Compte rendu
Commission d’enquête
sur les dysfonctionnements
obstruant l’accès à une justice adaptée aux besoins
des justiciables ultramarins
– Audition, ouverte à la presse, de M. Olivier Baret, secrétaire du bureau national de la Chambre nationale des commissaires de justice, et M. Jérôme Fastier, directeur des affaires publiques 2
– Présences en réunion................................11
Jeudi
3 juillet 2025
Séance de 14 heures 30
Compte rendu n° 6
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Frantz Gumbs,
Président de la commission
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La séance est ouverte à quatorze heures trente.
M. le président Frantz Gumbs. L’accès au droit et à la justice nécessite la pleine implication de tous les professionnels du droit. Dès lors, il nous a paru pertinent d’entendre les représentants des commissaires de justice. Ceux-ci interviennent notamment pour faire exécuter les décisions, signifier des actes judiciaires, recouvrer des créances et réaliser des ventes aux enchères.
La Chambre nationale des commissaires de justice (CNCJ), que vous représentez, est l’instance ordinale de cette profession nouvelle, née du rapprochement des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Olivier Baret et M. Jérôme Fastier prêtent successivement serment.)
M. Olivier Baret, secrétaire du bureau national de la Chambre nationale des commissaires de justice. J’exerce à La Réunion, plus précisément à Saint-Pierre mais notre compétence s’étend à tout le département. Je suis entré à la Chambre nationale au début de l’année 2019 ; depuis le 1er juillet 2022, je suis secrétaire du bureau national, chargé des pôles numérique et formation.
En application de l’ordonnance du 2 juin 2016, les commissaires de justice sont issus du rapprochement des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires. Ces derniers se distinguent des commissaires-priseurs car ils exercent en vertu d’une décision de justice.
Nous sommes 3 700 commissaires de justice, regroupés au sein de 2 200 offices situés dans tout le territoire, y compris dans les régions ultramarines. Nous employons un peu plus de 10 000 collaborateurs. Notre exercice touche d’abord à la matière régalienne, pour toutes les activités liées à l’institution judiciaire, comme la signification et l’exécution des décisions de justice. L’autre part de notre activité est concurrentielle puisque nous sommes là en concurrence avec d’autres acteurs du marché, comme dans le cas des ventes volontaires ; des constats, dans le domaine de la preuve ; et du recouvrement amiable. Dans ce dernier cas, nous intervenons avant toute décision de justice, souvent après quelques mois seulement d’impayés, afin de chercher rapidement des solutions et d’éviter d’alourdir les frais à la charge du justiciable. En matière amiable, nous n’avons pas le droit de faire supporter des frais au débiteur.
M. Jérôme Fastier, directeur des affaires publiques. En ma qualité de directeur des affaires publiques, j’accompagne la Chambre nationale dans ses relations avec les institutions. La Chambre nationale est l’ordre chargé de représenter la profession auprès des pouvoirs publics. S’agissant des outre-mer, elle n’a autorité que sur les commissaires de justice installés dans les départements et régions d’outre-mer (Drom). Nous n’avons pas de relation hiérarchique ou d’autorité avec les commissaires de justice ou huissiers de justice – l’appellation subsiste – de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie, de Wallis-et-Futuna ni de Saint-Pierre-et-Miquelon. Dans cette dernière collectivité, il n’y a d’ailleurs pas d’huissiers de justice : ce sont les gendarmes qui en exercent les fonctions. Cette situation dérive des statuts particuliers à chacune de ces collectivités, définis par la loi organique qui s’y applique. En vertu du principe de spécialité législative, le code des procédures civiles d’exécution ne s’y applique donc pas. Chacune a son propre code, qui définit des statuts comparables.
M. le président Frantz Gumbs. Qu’en est-il à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy ?
M. Jérôme Fastier. Étant rattachées à la chambre régionale de Guadeloupe, elles constituent, si je puis dire, une exception à l’exception. En effet, jusqu’en 2007, elles faisaient partie du département. Nous vous préciserons les chiffres exacts, mais très peu de professionnels y exercent.
M. le président Frantz Gumbs. Si j’ai bien compris, vous exercez une profession libérale ; vous n’êtes pas fonctionnaires du ministère de la justice.
M. Olivier Baret. Tout à fait. Pour devenir commissaire de justice, il faut être titulaire d’un master 2 de droit, d’économie ou de gestion. Il faut ensuite réussir un examen d’accès puis suivre deux années de formation théorique et pratique, qu’on appelle le stage. Vient alors l’examen d’aptitude : on se présente devant un jury composé de magistrats, de commissaires de justice et d’universitaires.
Le diplôme obtenu, on cherche une charge. On peut s’associer au sein d’un office, en achetant des parts sociales. En cas de création d’un nouvel office, on peut également y postuler. La nomination par le garde des sceaux et le serment constituent la dernière étape.
Nous exerçons une profession libérale mais réglementée, en particulier s’agissant de l’activité régalienne.
M. le président Frantz Gumbs. Il existe donc des restrictions au lieu d’implantation, comme c’est le cas pour les pharmaciens ?
M. Olivier Baret. Les lieux d’implantation sont définis. Une fois le diplôme obtenu, je peux m’installer où je veux, s’il existe une charge. Cela suppose une négociation avec d’autres professionnels. Natif de l’île de La Réunion, j’ai pu m’implanter à Saint-Pierre parce qu’un office a bien voulu m’y accueillir. J’aurais aussi bien pu aller à Paris, à Montpellier ou ailleurs en faisant affaire avec les offices qui s’y trouvent.
M. Davy Rimane, rapporteur. Un commissaire de justice nouvellement diplômé ne peut donc pas créer son office.
M. Olivier Baret. Exactement. Nous sommes des officiers publics et ministériels. Nous sommes les cousins des notaires : les statuts et les textes de référence sont les mêmes.
Nous sommes très associés au maillage territorial. La création d’offices a toujours existé, en application des textes successifs. Depuis l’ordonnance du 2 juin 2016, prise en application de la loi dite « Macron », l’Autorité de la concurrence (ADLC) vérifie tous les deux ans – contre tous les ans auparavant – s’il y a suffisamment de professionnels partout sur le territoire. Les critères, de population, de chiffre d’affaires et d’activité, sont bien définis. S’il y a lieu, elle propose des créations d’offices. Celles-ci ont été nombreuses depuis 2016. À La Réunion, par exemple, sept ont été décidées depuis 2019, dont trois sur ma seule commune. Je parle d’implantations nouvelles et non d’offices existants qui auraient intégré des commissaires de justice supplémentaires.
L’ordre – la Chambre nationale – en discute au préalable avec l’Autorité de la concurrence mais la décision, fondée sur des critères objectifs, appartient à la Chancellerie.
M. le président Frantz Gumbs. Estimez-vous qu’il existe des déserts, comme il existe des déserts médicaux ?
M. Olivier Baret. Aujourd’hui, non.
S’agissant de la matière concurrentielle, notre compétence est nationale. C’est le cas par exemple des constats, seul moyen de preuve devant les juridictions. Le commissaire de justice se déplace, fait des constatations, les soumet à son client qui les donne à la juridiction. C’est aussi le cas du recouvrement amiable. Certaines études se sont spécialisées dans ce domaine et elles interviennent dans tout le territoire, elles-mêmes ou en faisant appel à des correspondants – on parle d’études pilotes.
En revanche, pour la matière régalienne, notre intervention est limitée au ressort de la cour d’appel, mais nous pouvons nous déplacer dans tout son territoire.
Nous sommes non seulement des officiers publics et ministériels mais aussi des chefs d’entreprise. Si vous installez un commissaire de justice dans une zone de forêt dépourvue de toute activité économique, il ne pourra pas embaucher et n’aura aucune activité. Il faut un bassin géographique adapté. Le gouvernement prend toujours en considération à la fois la population et les missions que nous exerçons en tant qu’officiers publics et ministériels. Certaines créations ont donc été décidées dans des grandes villes.
À l’origine, le champ de notre compétence correspondait au ressort du tribunal d’instance – les tribunaux d’instance ont été remplacés par les tribunaux judiciaires –, puis elle a été élargie au ressort du tribunal de grande instance. Désormais, notre périmètre est celui de la cour d’appel. Je peux donc affirmer que toutes les régions sont pourvues. Si certaines zones n’ont pas de commissaire de justice, c’est parce qu’elles ne disposent pas d’un vivier économique à même d’assurer une activité suffisante, comme c’est le cas de n’importe quelle activité économique. Mais chaque point du territoire dépend d’une cour d’appel et, là où il y a une cour d’appel, il y a des commissaires de justice.
M. Davy Rimane, rapporteur. Vous dites qu’il n’y a pas de désert, mais nos discussions avec nos concitoyens révèlent qu’il est parfois compliqué d’accéder à un commissaire de justice, que ce soit ou non dans le cadre d’une affaire judiciaire. La profession étant réglementée, le coût peut représenter un obstacle. Les prix sont-ils les mêmes dans les territoires d’outre-mer que dans l’Hexagone ? S’il existe une différence, qu’est-ce qui la justifie ?
Les commissaires de justice peuvent-ils se trouver en conflit d’intérêts ?
M. Olivier Baret. Les textes prévoient toute une série de cas dans lesquels nous ne pouvons pas intervenir. Par exemple, je ne peux instrumenter pour mon frère ni à son encontre. L’interdiction concerne tous les parents et alliés, à tous les degrés en ligne directe et jusqu’au quatrième degré en ligne collatérale.
S’agissant des tarifs, ils sont libres dans le domaine concurrentiel, dans tout le territoire. En effet, la matière n’est pas réglementée. En revanche, pour la matière régalienne, un décret prévoit une tarification pour tous les actes délivrés aux justiciables. Elle est spécifique à chaque procédure et à chaque formalité. Dans les Drom, une majoration s’applique. C’est celle qui existe de manière générale. Elle est définie par les textes législatifs et réglementaires. J’exerce la profession depuis 1995 et je l’ai toujours connue. Elle est discutée tous les deux ans avec l’Autorité de la concurrence, qui s’appuie sur des faits objectifs, et Bercy. La prochaine échéance est en fin d’année. J’ajoute que la majoration varie en fonction des territoires. Elle est de 25 % aux Antilles et de 37 % à La Réunion.
M. Davy Rimane, rapporteur. L’accès à la justice et au droit suppose l’accès aux commissaires de justice. Dans nos territoires, on parle de la vie chère. Vous expliquez qu’une majoration y est appliquée, révisée tous les deux ans, selon des critères objectifs. Or si les fonctionnaires voient leurs revenus majorés, ce n’est pas le cas de ceux qui travaillent dans le privé, qui sont le plus souvent payés au smic. Beaucoup de nos concitoyens ne peuvent donc accéder à un commissaire de justice lorsqu’ils ont besoin d’un acte. C’est pourquoi j’ai un peu tiqué en vous entendant dire qu’il n’existe pas de désert. Objectivement, un problème se pose. Avez-vous des retours concrets dans ce domaine ? La Chambre réfléchit-elle à cette réalité ?
M. Olivier Baret. Personnellement, je persiste à dire qu’il n’y a pas de désert. À ma connaissance, en tout cas, il n’en existe pas.
Vous affirmez que certains justiciables ont du mal à trouver un commissaire de justice. Physiquement, ce n’est pas le cas. Nous sommes implantés dans tout le territoire, y compris dans les endroits plus reculés, notamment aux Antilles, où des difficultés peuvent exister.
Selon moi, c’est plutôt un problème d’éducation et de communication. L’aide juridictionnelle représente une part non négligeable de notre activité. On aimerait qu’elle soit plus importante : le commissaire de justice perçoit un peu moins que le tarif de droit commun lorsqu’il intervient dans ce cadre. En attendant, lorsqu’on est désigné au titre de l’aide juridictionnelle, on ne peut refuser la demande, sauf dans les cas prévus à l’article 8 de l’ordonnance – on ne saurait, par exemple, agir à l’encontre d’un membre de sa famille. J’ajoute que les bureaux d’aide juridictionnelle fonctionnent très bien. Par ailleurs, l’aide juridictionnelle couvre toute la matière régalienne ainsi que les constats. Il faut mener un travail d’information auprès des justiciables pour leur faire connaître la possibilité d’y recourir.
En revanche, il faudrait travailler davantage avec l’administration pour couvrir les frais de déplacement dans les territoires plus éloignés où il existe des difficultés de transport. Dans le monde judiciaire, nous discutons entre nous, y compris avec les avocats. Je sais que, aux Antilles notamment, on prend souvent le bateau pour aller d’un territoire à un autre. Chez moi, à La Réunion, on est obligé de prendre l’hélicoptère pour aller à Mafate ; en cas d’audience spécifique, la prise en charge du déplacement est examinée au cas par cas. J’aimerais que l’on fasse évoluer l’aide juridictionnelle afin qu’elle englobe d’office la prise en charge des frais de transport. Cela changerait tout.
La justice n’est pas gratuite. Toutefois, je vous rejoins, la majoration qui s’applique dans les Drom n’a pas les mêmes effets pour les fonctionnaires et pour ceux qui gagnent le smic ou perçoivent le RSA. Or ceux-ci ont également droit à la justice. Les plafonds et les planchers peuvent être réévalués. Mais il faut aussi faire savoir que si vous avez besoin d’un commissaire de justice et que vos revenus ne vous permettent pas de le saisir, vous pouvez ouvrir un dossier de demande d’aide juridictionnelle. Avec la justice numérique, l’examen des dossiers et l’attribution des aides vont un peu plus vite. Il ne se passe pas une semaine sans qu’on nous attribue trois, quatre ou cinq dossiers.
Le système judiciaire est ainsi fait et j’en suis fier. Comme officiers publics et ministériels, nous assurons une mission de service public. Nous n’avons pas le droit de refuser d’intervenir dans le cadre de l’aide juridictionnelle. Selon moi, un effort de communication est nécessaire, mais on ne peut parler de désert juridique, même si j’entends ce que vous dites, à savoir que des personnes affirment ne pas avoir pu recourir à un commissaire de justice. Cela peut arriver, mais on ne peut généraliser l’affirmation à tous les territoires d’outre-mer.
M. le président Frantz Gumbs. Vous voyez la situation comme elle est officiellement ; nous la voyons comme elle est vécue sur le terrain.
En théorie, il y a suffisamment d’offices pour la population de la Guadeloupe. Mais si j’habite à Pointe-à-Pitre, je peux aller à pied dans l’office d’un commissaire de justice tandis que si j’habite à La Désirade, il faut que je prenne le bateau. C’est vrai aussi en Guyane, dont le territoire est très vaste, ou en Polynésie, où l’on ne trouve pas un commissaire de justice sur chaque île. Pour certains, l’accès est plus facile que pour d’autres, défavorisés par leur situation géographique. Nous estimons donc que tout le monde n’a pas un égal accès au droit et à la justice.
M. Olivier Baret. Une première solution consiste, comme je le disais, à adopter un texte prévoyant d’intégrer le coût du transport dans l’aide juridictionnelle. Ainsi, pour la partie de la population qui n’a pas les moyens de saisir un commissaire de justice, l’État prendrait en charge les frais de déplacement. Nous militons en faveur d’une telle mesure, en particulier aux Antilles. À La Réunion, la population de Mafate ne compte que quelques personnes, mais il faut toujours raisonner en macro : ce n’est pas parce que le nombre d’habitants d’un endroit est faible que la justice ne doit pas arriver jusqu’à eux.
Par ailleurs, la Chambre nationale des commissaires de justice développe, depuis plusieurs années – le phénomène a connu une progression exponentielle – la dématérialisation des actes. Nous sommes très en avance, en ce domaine, par rapport à d’autres professions ; on se tourne souvent vers nous pour savoir à quel stade nous nous trouvons. La dématérialisation des actes, dans le domaine régalien, est une possibilité offerte tant pour la convocation que pour la signification – d’une décision de justice, par exemple. Cette évolution renvoie évidemment à la question de la fracture numérique.
Il est tout à fait possible, aujourd’hui, de rencontrer un commissaire de justice. Nous devons être présents dans les régions éloignées ou difficiles d’accès ; nous n’avons aucun intérêt à ne pas y être. Mais ce que je demande, c’est que le monde de la justice dans son ensemble se rende dans ces territoires, par le biais des CDAD (conseils départementaux de l’accès au droit) ou d’autres instances. Les réunions des commissions d’accès au droit ont souvent lieu le samedi matin ; nous y participons depuis le début. Conformément à leurs missions de service public, les commissaires de justice y sont systématiquement présents, comme les avocats et les notaires, pour accueillir la population. Nous n’avons jamais dit non. Le CDAD n’est pas seul concerné ; des associations, comme Soleil, contribuent aussi à aider les personnes qui éprouvent des difficultés d’adaptation au numérique.
Même en matière pénale, nous ne pouvons pas opposer de refus, compte tenu de nos missions de service public, aux réquisitions du ministère, bien que ce domaine diffère du champ régalien civil et de l’aide juridictionnelle. Si les moyens humains et matériels engagés sont les mêmes dans chacune de ces matières, elles donnent lieu à une tarification très différente.
À l’occasion de nos déplacements dans les territoires, nous réalisons des campagnes de publicité. Certes, elles doivent être améliorées, mais les commissaires de justice ne refusent jamais de participer à ce type d’opérations.
M. Davy Rimane, rapporteur. Depuis 2022, nous demandons une évolution de l’aide juridictionnelle car elle ne prend pas en charge les frais de transport des avocats, des commissaires de justice, etc. De ce fait, des avocats refusent parfois d’apporter leur concours. Par ailleurs, il est arrivé que certains de vos collègues refusent d’accomplir des actes. Il y a un écart considérable entre la théorie, la mission de service public que vous décrivez, et la réalité que vivent nos concitoyens dans certains territoires. On doit parfois déplorer une fracture physique en fonction de leur lieu d’habitation. Lorsque nos concitoyens se rendent dans une étude, on les invite souvent à s’adresser ailleurs au motif d’une surcharge de travail. De la même façon, lorsqu’ils appellent une étude, ils n’obtiennent très souvent pas de réponse ; si on leur en apporte une, tout dépendra du dossier et de la personne qui appelle pour faire établir l’acte : une personne défavorisée aura deux fois plus de risques d’être laissée de côté. Au sein de votre profession, nombreux sont ceux qui ne jouent pas le jeu.
M. Olivier Baret. Nous sommes des officiers publics et ministériels et, à ce titre, nous sommes soumis à un statut et à une déontologie très stricts. Si toutes les conditions requises sont remplies – telles que l’existence d’une décision de justice en bonne et due forme –, nous sommes tenus d’exécuter la décision, d’accepter un dossier d’aide juridictionnelle, etc. Peut-être conviendrait-il que, dans certaines régions, l’ordre améliore ses actions de communication et fasse savoir que les chambres régionales des commissaires de justice disposent de pouvoirs étendus en matière de discipline. Il serait utile d’informer la population que l’on peut écrire au président de la chambre régionale pour lui demander de prendre une sanction. Il ne s’agit pas seulement de blâmes : cette année encore, des destitutions ont été prononcées.
On a créé récemment un collège de déontologie. Notre statut d’officier public et ministériel nous oblige à suivre certaines règles. Les cas que vous citez, qui me paraissent très regrettables, me semblent relever d’agissements individuels d’une partie de la communauté. Quelle que soit la profession, malheureusement, cela peut arriver. Si l’information ne remonte pas à l’ordre national ou local, aucune sanction ne sera prononcée. En tout état de cause, si des professionnels doivent montrer l’exemple, ce sont bien les officiers publics et ministériels.
M. Davy Rimane, rapporteur. Une partie de la population est victime de la fracture numérique, de l’illectronisme ; il faut aussi prendre en compte les difficultés rencontrées par les allophones. Autrement dit, une frange de la population n’est pas en mesure d’écrire un courrier à la chambre régionale pour signaler qu’un commissaire de justice n’assume pas ses obligations.
Dans les Drom, où s’applique le principe de l’identité législative, en vertu de l’article 73 de la Constitution, les lois et règlements nationaux sont applicables de plein droit mais les moyens accordés à nos concitoyens pour accéder au droit et à la justice ne sont souvent pas à la hauteur. Avez-vous des propositions à nous soumettre pour remédier à cela ? Des initiatives sont prises à l’échelon local : les avocats, par exemple, ont institué le justibus en Martinique et la pirogue du droit en Guyane. Nous pourrions accompagner des initiatives de la Chambre nationale ou des chambres régionales des commissaires de justice destinées à réduire les inégalités.
M. Olivier Baret. La solution doit être commune à toutes les professions du droit et de la justice. Si le commissaire de justice se déplace seul, sans l’avocat, le notaire, le psychologue, l’officier de police ou de gendarmerie, les résultats seront limités. La justice est efficace lorsque l’ensemble de ses représentants se déplacent ensemble. Souvent, le justiciable, lorsqu’il est mal informé, ne s’adresse pas au professionnel compétent pour traiter sa question : il consulte le commissaire de justice, par exemple, alors que son affaire concerne le notaire ou l’avocat.
À côté de cela, j’insiste beaucoup sur l’éducation et la communication. On peut commencer par délivrer des messages, plus ou moins ludiques, dans le cadre éducatif. Nous avons un projet de lancement d’une bande dessinée sur le commissaire de justice, destinée aux enfants. Notre profession est en effet très méconnue, même si cela commence à s’améliorer grâce aux actions que nous menons au sein des facultés, des collèges, etc. Les médias publics jouent également un rôle d’information. Dans beaucoup de territoires, un professionnel du monde du droit intervient sur ces médias tous les mois ou tous les quinze jours. C’est la seule manière de faire passer des messages, d’indiquer aux habitants qu’ils peuvent poser des questions en direct, prendre rendez-vous. Éducation et communication vont de pair.
Les commissaires de justice sont souvent au bout de la chaîne : ils interviennent, la plupart du temps, une fois que la décision de justice a été rendue. Vous me dites que, dans certaines régions, il est difficile d’avoir accès à un commissaire de justice mais je crois que ces territoires souffrent, plus généralement, d’une forme de carence de l’administration publique : on y manque de magistrats, de greffiers, de policiers, de gendarmes, de fonctionnaires. C’est pourquoi, à mon sens, on ne peut considérer cette question que de manière globale. Il convient d’aller dans les régions les plus difficiles d’accès pour y rencontrer les habitants et, dans certains cas, de les amener au palais de justice ou dans des centres où l’on aura tous les professionnels sous la main. Telle est l’une de nos propositions pour faire évoluer les choses.
M. Jérôme Fastier. La Chambre nationale a réfléchi à la création d’une signification personnalisée, projet sur lequel nous travaillons avec la direction des affaires civiles et du sceau de la Chancellerie. Autrement dit, nous étudions les moyens d’ajouter un QR code sur l’acte de signification, que le commissaire de justice remet à une personne, à son domicile. Cela permettrait, en quelque sorte, de vulgariser l’acte. Dans un premier temps, le commissaire de justice apportera des explications orales, puis la personne aura accès, au moyen de son smartphone, à un ensemble d’informations, y compris dans une autre langue que le français. C’est une mesure concrète qui a vocation à s’appliquer à l’échelon national et qui pourrait se révéler particulièrement utile pour certaines populations d’outre-mer, par exemple pour les personnes allophones, qui ont besoin d’accéder au droit.
M. le président Frantz Gumbs. Ce projet nous intéresse.
M. Olivier Baret. Notre site national – auquel il faut certes pouvoir accéder, mais des associations aident les citoyens à se connecter – explique ce qu’est une assignation ou une convocation, par exemple, ce qui débloque un certain nombre de situations. Nous souhaitons aller beaucoup plus loin et fournir à chacun une information personnalisée.
Chez moi, on parle aussi le créole, comme c’est le cas, par exemple, dans les Antilles ; on parle d’autres langues à Mayotte. Dans les territoires d’outre-mer, les commissaires de justice ne sont pas uniquement des expatriés, des Français de l’Hexagone. On compte, parmi eux, de nombreux professionnels locaux, issus du vivier universitaire. La mobilité est possible, grâce aux aides accordées pour former nos étudiants. Ce mélange est très intéressant.
À Mayotte, les significations peuvent être un peu plus compliquées à réaliser mais il s’y trouve une étude locale et trois bureaux secondaires, dont les collaborateurs sont mahorais. Nous n’y rencontrons aucune difficulté pour recruter des collaborateurs ou pour parler directement dans la langue principalement utilisée. Tous nos actes sont rédigés en français – c’est une évidence, sur le territoire de la République – mais cela ne pose aucun problème : c’est quelque chose que l’on a résolu au fil du temps.
M. Michaël Taverne (RN). L’État développe une stratégie de l’aller vers : autrement dit, les services de l’État vont vers nos concitoyens. Les habitants de mon territoire, qui est très rural, sont confrontés à de nombreux problèmes de déplacement, et on sait que la situation est plus difficile encore dans certains territoires d’outre-mer. De ce point de vue, il serait judicieux d’octroyer un bon de transport aux bénéficiaires de l’aide juridictionnelle – en sus et non pas, comme cela avait été proposé il y a quelque temps, en déduction de cette aide, laquelle se trouverait alors réduite de 70 %.
Dans certains villages très reculés de ma circonscription, qui comptent quelques centaines d’habitants et sont distants de 35 kilomètres de la première grande commune, je mets en place des permanences dans les mairies, conformément à la logique de l’aller vers. Pour sa part, la Chambre nationale des commissaires de justice assure-t-elle des permanences au sein des maisons de la justice et du droit ?
Il est désormais obligatoire d’afficher, dans les commissariats de police, des informations concernant les associations d’aide aux victimes. Pourriez-vous impulser une dynamique en informant nos compatriotes, selon la même logique que celle du QR code, dans les établissements publics, les mairies, les commissariats de police, les brigades de gendarmerie mais aussi, par exemple, les cabinets médicaux, de la possibilité qui leur est offerte de saisir un commissaire de justice ?
M. Olivier Baret. Nous faisons partie des rares professionnels à entrer chez les gens, à aller vers eux. Lors du premier contact, nous nous déplaçons à leur domicile. Les gens sont heureux de pouvoir parler enfin à un professionnel du droit. C’est la raison pour laquelle nous nous attachons à ne pas aller vers le tout-dématérialisé et à conserver un mode de communication mixte. À un moment donné, en effet, le justiciable doit rencontrer physiquement le commissaire de justice.
S’agissant des difficultés de déplacement, vous avez entièrement raison. Dans les territoires ultramarins, nous avons beaucoup de véhicules car il n’existe pas d’autre moyen suffisamment développé pour répondre aux besoins de mobilité. Je me réjouis du fait que, chez moi, on ait appliqué vos préconisations : dans les mairies, les habitants peuvent consulter l’annuaire des commissaires de justice. Je retiens l’idée selon laquelle la Chambre nationale pourrait impulser ou rendre obligatoire la communication sur l’ensemble du territoire. Cela étant, les présidents des chambres régionales se réunissent assez fréquemment, ce qui favorise la circulation des bonnes idées. Par ailleurs, je suis persuadé que dans beaucoup de régions, la population a accès à la liste de nos confrères, à leurs coordonnées postales, téléphoniques et électroniques, et aux permanences qu’ils assurent.
À chaque fois que nous y sommes invités, nous participons aux travaux des commissions d’accès au droit ou de toute autre commission créée à l’initiative d’une municipalité, d’une association, etc. Nous ne pouvons pas nous permettre d’être absents : cela n’aurait pas de sens. Nous nous déplaçons bien volontiers, en tant que de besoin, dans des endroits difficiles d’accès, quitte à devoir marcher cinq heures – ou à prendre l’hélicoptère – pour gagner un lieu comme Mafate, à La Réunion. Nous ne pouvons pas le faire très fréquemment faute d’une prise en charge spécifique du coût de transport mais nous répondons favorablement à toutes les sollicitations. Ce n’est qu’à cette condition que nous réduirons la fracture physique, numérique et juridique.
M. le président Frantz Gumbs. Je suppose que vous n’êtes pas dans le même état d’esprit lorsque vous devez intervenir, par exemple pour dresser un constat, à La Défense ou dans les quartiers chauds de Marseille. Estimez-vous que les conditions d’exercice de votre profession peuvent être plus difficiles en certains lieux ou en certaines circonstances ?
M. Olivier Baret. Cette question mériterait, là encore, une réflexion commune des différents professionnels du droit et de la justice. La plupart du temps, nous nous déplaçons seuls mais, dans certains lieux ou pour certaines procédures, nous devons être accompagnés de membres du ministère et éventuellement des forces de l’ordre – nous calons alors nos agendas avec les uns et les autres. Je ne peux pas dire que nous soyons satisfaits des conditions de sécurité dans lesquelles nous exerçons. On sait très bien que l’on manque de fonctionnaires, que les forces de l’ordre sont en sous-effectifs ; nous sommes tributaires de cette situation, car nous sommes les derniers à intervenir. Dans certaines zones, nous dépendons du bon vouloir de l’administration, dont l’assistance nous est indispensable ; en d’autres lieux, nous interviendrons plus facilement.
Nous exerçons un métier difficile. Les dossiers doivent être carrés. La violence, aujourd’hui, n’est pas seulement physique, mais aussi verbale. Les mots peuvent faire mal ; certaines consœurs et certains confrères moins expérimentés peuvent s’en trouver émus.
Nous faisons preuve d’une totale neutralité dans l’exercice de notre mission. Lorsque nous devons faire exécuter une décision, nous le faisons mais il faut que cela se déroule dans de bonnes conditions. Telle est la principale difficulté à laquelle nous sommes exposés et telle est la raison pour laquelle nous devons parfois requérir le concours de la force publique.
En la matière, le territoire, comme l’humain, peuvent jouer. On éprouve souvent une certaine appréhension lors d’une intervention. On n’arrive jamais la fleur au fusil. Tout est calculé, réfléchi. On essaie de faire en sorte que cela se passe bien. Généralement, lorsqu’on a bien préparé son dossier, les choses se déroulent correctement. Au cours de mes vingt-huit ans de carrière, j’ai constaté que, dans les situations très difficiles, il fallait consacrer 25 % du temps au dialogue et à l’écoute, la discussion commençant d’entrée de jeu. Mais, ensuite, on arrive à mener sa mission à bien.
M. le président Frantz Gumbs. Je vous remercie, messieurs, pour la richesse de ces échanges. Si vous pensez à d’autres éléments qui seraient susceptibles de nous intéresser, n’hésitez pas à nous les faire parvenir. Pour notre part, si nous avions d’autres questions importantes à vous poser, nous vous les soumettrions par écrit.
La séance s’achève à quinze heures trente.
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Présents. – M. Elie Califer, M. Frantz Gumbs, M. Davy Rimane, M. Michaël Taverne
Excusés. – M. Philippe Gosselin, Mme Nicole Sanquer, M. Jiovanny William