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N° 2584

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 mai 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à préserver les droits des victimes dépositaires de plaintes classées sans suite,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jiovanny WILLIAM, M. André CHASSAIGNE, M. Bertrand PANCHER, Mme Cécile UNTERMAIER, M. Philippe BRUN, Mme Sandrine ROUSSEAU, M. Max MATHIASIN, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Emeline K/BIDI, M. Christian BAPTISTE, M. Olivier SERVA, M. Elie CALIFER, Mme Karine LEBON, M. Édouard BÉNARD, Mme Soumya BOUROUAHA, M. Jean-Victor CASTOR, M. Steve CHAILLOUX, M. Pierre DHARRÉVILLE, Mme Elsa FAUCILLON, M. Sébastien JUMEL, M. Tematai LE GAYIC, M. Jean-Paul LECOQ, M. Frédéric MAILLOT, M. Yannick MONNET, M. Marcellin NADEAU, M. Stéphane PEU, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Davy RIMANE, M. Fabien ROUSSEL, M. Nicolas SANSU, M. Jean-Marc TELLIER, Mme Véronique BESSE, Mme Christine PIRES BEAUNE, Mme Claudia ROUAUX, M. Mickaël BOULOUX, M. Guy BRICOUT, Mme Karen ERODI, M. Léo WALTER, M. Pierre MOREL-À-L’HUISSIER, Mme Maud PETIT, M. Mansour KAMARDINE, Mme Sabrina SEBAIHI, M. Stéphane LENORMAND, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Andy KERBRAT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Frédéric MATHIEU, Mme Marianne MAXIMI, Mme Mathilde PANOT, M. Adrien QUATENNENS, M. Michel SALA, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, M. Christophe BEX, M. Jean-Luc WARSMANN, M. Paul-André COLOMBANI, Mme Alma DUFOUR, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, Mme Marie-Agnès POUSSIER-WINSBACK, Mme Murielle LEPVRAUD, M. David GUIRAUD, M. Jean-Claude RAUX, M. Idir BOUMERTIT,

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En France, au cours de l’année 2022, 3 376 569 plaintes ou procès‑verbaux ont été enregistrés dans l’application CASSIOPEE, dédiée à la gestion des procédures pénales et transmises aux parquets régionaux. Une hausse de 10,6 % par rapport aux données transmises au titre de l’année 2021, avec une augmentation des infractions commises par un auteur inconnu.

Ainsi, au titre de cette même année 2022, 1 855 704 auteurs ont vu leur affaire traitée, données estimées en baisse de 4,8 % par le Ministère de la Justice, en tenant compte des chiffres provisoires de l’année 2021. Parmi eux, 1 230 020  auteurs (66,3 % des auteurs) étaient poursuivables, chiffre également en baisse de 5,9 % par rapport aux données recueillies en 2021. Par la suite, le taux de réponse pénale en 2022 a été porté à 89 %, sans distinction des modalités de poursuite, devant une juridiction, par le biais d’une procédure alternative ou par la voie de la composition pénale.

En 2021, les parquets des tribunaux judiciaires ont néanmoins considéré que 645 900 auteurs d’infractions, de crimes ou de délits présumés n’étaient pas poursuivables. Ce sont donc pas moins de 645 900 affaires qui ont été classées sans suite, au titre de la seule année 2021. Plus d’un demimillion de français reçoivent, année après année, un avis de classement sans suite de leur plainte.

Les causes sont multiples ; l’auteur n’ayant pu être identifié, l’infraction n’étant pas constituée ou encore ce classement étant motivé par l’insuffisance des charges ou des preuves matérielles détenues à l’encontre de l’auteur de l’infraction.

Pour les victimes de ces infractions, le classement sans suite de leur plainte est vécu comme un aveu d’échec du système judiciaire, laissant peu à peu place à la résurgence de mécanismes de justice privée. Ainsi, l’adage « Nul ne peut se faire justice à soimême », à l’origine des grands principes du procès pénal, est mis de côté, afin d’affronter la machine judiciaire, jugée insuffisamment protectrice.

Ce fort sentiment d’injustice ‑tel qu’exprimé par les victimes de plaintes classées sans suite- pourrait néanmoins être atténué par un accompagnement renforcé de ces dernières.

A ce jour, si les articles 40 à 40‑4‑1 du nouveau code de procédure pénale (NCPP) disposent que :

1) « Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner conformément aux dispositions de l’article 401.(…) » ;

2) « Le procureur de la République avise les plaignants (…) Lorsqu’il décide de classer sans suite la procédure, (…) également de sa décision en indiquant les raisons juridiques ou d’opportunité qui la justifient ».

La pratique de ces classements révèle en premier lieu, qu’ils sont notifiés dans des conditions variables et sans véritable sécurité juridique pour le justiciable, en fonction de la politique pénale du parquet dont il relève.

En effet, les victimes indiquent tantôt avoir été informées du classement sans suite de leur plainte ; par un officier de police judiciaire prenant leur attache par téléphone, par une notification de ce classement par courrier simple ‑ce qui pose des difficultés s’agissant des victimes qui rencontrent des difficultés d’adressage- notamment en Outre‑mer ; encore oralement au Commissariat. Plus rares sont celles qui reçoivent cet avis par le biais d’un courrier recommandé avec accusé de réception ou par tout autre moyen de notification effectif.

Il arrive donc que certaines victimes n’aient pas connaissance de ce classement dans les délais, de telle sorte qu’elles se retrouvent dans l’incapacité d’engager une action, en cas de prescription des délais. La notification aléatoire des avis de classement sans suite ne répond pas à ce jour aux exigences du droit à un procès équitable et effectif, dès lors que la réception de l’acte de classement par la victime a des conséquences sur l’opposition de la prescription des faits.

Le travail de sécurisation appelé tient également compte des contraintes pesant sur les magistrats du parquet et sur les officiers de police judiciaire. Dans un premier temps, les garanties nouvelles ne s’appliqueront qu’aux infractions criminelles et délictuelles les plus graves. Sécuriser le périmètre des infractions les plus graves, en impliquant d’une part la victime et en uniformisant les modalités de notification permettra en parallèle, de réduire les relances successives des conseils des victimes aux Parquets.

La sécurité juridique doit bien profiter à tous, notamment dans un contexte de délocalisation et de dématérialisation accélérée de l’enregistrement des plaintes, par le biais des pré‑plaintes en ligne, par visio‑conférence, ou encore des plaintes en mobilité proposées au sein des Maisons des femmes. L’avis de classement sans suite, parce qu’il demeure un acte de procédure, doit être dûment notifié, selon une procédure traçable et régulière.

Le parti est ici retenu, de conserver les modes usuels de notification, pour tenir compte de la diversité des situations et d’en accueillir de nouveaux pour des considérations pratiques et budgétaires. Si la notification téléphonique semble de prime abord peu propice à la sécurité juridique des victimes, elle reste dans certains cas de figure et si cette dernière en fait le choix, le seul mode de communication souhaitable, notamment en cas d’illettrisme ou encore en cas de violence intrafamiliale. Il est en outre proposé de privilégier l’envoi de l’avis de classement sans suite par lettre recommandée avec accusé de réception, par voie postale ou par voie électronique, si la victime en fait le choix.

En deuxième lieu, si le pouvoir constituant et le pouvoir normatif ont souhaité renforcer le principe d’intelligibilité de la loi, pour en assurer lisibilité et compréhension à tous et que dans ce même esprit, l’entrée en vigueur du Code des relations entre le public et l’administration le 1er janvier 2016, a également ouvert la voie de la simplification des normes et des procédures pour les administrés, force est de constater que certaines branches du droit, restent en lacune. Or, le destinataire final de la loi et du règlement, de l’acte administratif et de l’acte juridictionnel, doit pouvoir s’y retrouver et comprendre la portée de la mesure édictée à son endroit.

Bien que les dispositions de l’article 40‑2 du nouveau code de procédure pénale (NCPP) contiennent d’ores et déjà en leur sein une exigence de motivation, il n’en demeure pas moins qu’en pratique, la motivation des avis de classement sans suite répond à une codification logicielle, associée à une rédaction relevant ‑de l’avis des destinataires- d’un jargon juridique difficile d’accès. Cette motivation est limitée en outre à une énonciation de règles techniques sur le fondement des infractions pénales poursuivies.

Or, les exigences du droit à un procès équitable et effectif, tels que définis par l’article 6§1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux des droits de l’Union Européenne, justifient qu’un effort supplémentaire soit fait, en amenant la victime plaignante, à comprendre tant sur le plan matériel que juridique, les causes de ce classement sans suite.

Il est ainsi proposé de renforcer cette exigence de motivation, en précisant qu’elle sera garantie par l’emploi de termes simples et accessibles pour la victime, de telle sorte que cette dernière mesure par la même occasion les chances de succès d’une éventuelle citation directe, et se prépare sciemment à la défense future de ses intérêts juridiques.

La motivation pédagogique ainsi appelée, vient également faire œuvre d’humanisation de la démarche engagée par la victime pour qui cet avis de classement sans suite est vécu comme une forme de « déni de justice » et comme une double peine. Le courage et la force requise pour confier au Parquet et à la justice, des pans de vies, de souffrances, de traumatismes, requièrent une réaction pénale digne et respectueuse de la confiance accordée aux institutions. Ces dernières, ainsi que leurs ayants droits, se doivent d’éprouver un sentiment d’accompagnement, en lieu et place d’un sentiment de délaissement, fatalement exprimé.

Pour atteindre ces deux objectifs, la présente proposition de loi est constituée de deux articles :

L’article unique de cette proposition de loi vient modifier par son premier alinéa, l’article 153 du NCPP et précise la portée de la notification de l’avis de classement sans suite, en prévoyant au sein du procès‑verbal de dépôt de plainte, la possibilité de mentionner le choix exprimé par la victime quant au moyen à utiliser pour recevoir l’information portant sur les suites de la procédure. Ainsi, en cas de classement sans suite de ladite plainte, cet avis est notifié soit par lettre recommandée avec accusé de réception à son adresse postale déclarée, par voie numérique à l’adresse électronique qu’elle communique, soit par entretien téléphonique au numéro déclaré ou à l’occasion d’une convocation par officier de police judiciaire. Il appartiendra au pouvoir réglementaire d’apporter les précisions utiles.

Un deuxième alinéa vient compléter l’article 402 du NCPP, afin de préciser que la motivation est assurée par des termes simples et accessibles, de telle sorte que la victime soit en mesure de comprendre les raisons de l’impossibilité de poursuivre, et de prendre toutes dispositions utiles et propices à la défense de ses intérêts juridiques.

Enfin, le même article est complété par un troisième alinéa nouveau, précisant que l’accomplissement de ces formalités de notification et de motivation est versé au dossier de procédure. Cette garantie nouvelle permettra tant aux Conseils juridiques de chaque partie, qu’aux magistrats, de disposer d’une traçabilité exhaustive de la procédure de classement, pour in fine, en tirer toutes les conséquences.

 


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proposition de loi

Article unique

Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° L’article 15‑3 est ainsi modifié :

a) Au début de la deuxième phrase du second alinéa, les mots : « Si elle en fait la demande, » sont supprimés ;

b) Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :

« Le procès‑verbal de dépôt de plainte mentionne le choix exprimé par la victime du moyen à utiliser pour recevoir l’information portant sur les suites de la procédure, soit par lettre recommandée avec accusé de réception à son adresse postale déclarée, par voie numérique à l’adresse électronique qu’elle communique, par entretien téléphonique au numéro déclaré ou à l’occasion d’une convocation par officier de police judiciaire.

« En cas d’impossibilité de notifier le classement sans suite en considération du choix exprimé par la victime, il est procédé par le biais d’un moyen alternatif, dument justifié. » ;

2° L’article 40‑2 est ainsi modifié :

a) Le second alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « L’avis de classement sans suite est motivé en des termes simples et accessibles. » ;

b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« En matière criminelle et délictuelle, la décision de classement sans suite fait l’objet d’une notification à personne. Le procureur de la République verse au dossier de la procédure les éléments justifiant de l’accomplissement de ces formalités. »