N° 357

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 octobre 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à introduire une dose de représentation proportionnelle  lors des élections législatives,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Yannick FAVENNEC-BÉCOT,

député.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le vote des Françaises et des Français les 30 juin et 7 juillet derniers, à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale, a conduit à l’émergence d’une Assemblée au sein de laquelle aucune formation politique n’a obtenu une majorité nette à elle seule. Cette situation inédite annihile la capacité d’un gouvernement d’une seule force politique à mettre en œuvre un programme, puisqu’à défaut d’accords politiques structurés, il s’expose à une motion de censure, d’une opposition supérieure par le nombre, et conduit à une situation de blocage institutionnel.

Ce contexte révèle les limites d’un mode de scrutin qui ne parait plus correspondre aux réalités politiques actuelles et donne l’occasion de le réformer en introduisant une dose de proportionnelle lors des prochaines élections législatives.

Mener cette réforme apparait plus que jamais nécessaire et se fonde sur plusieurs constats : le scrutin majoritaire actuel engendre des effets pervers dans les comportements de vote des électeurs, notamment en matière de « vote utile » ou d’abstention. Ce mode de scrutin ne semble plus pouvoir dégager une majorité stable et représentative, et les résultats des dernières élections législatives mettent en lumière la difficulté des partis à rechercher un consensus, une majorité élargie et d’idées, à bâtir un accord de gouvernement.

Le scrutin majoritaire à deux tours pousse les électeurs à des comportements de vote vécus avec amertume, ou encore à l’abstention. En choisissant non pas le candidat qu’ils soutiennent, mais celui qui a le plus de chances de battre un adversaire qu’ils redoutent, ils se sentent contraints de voter non par conviction, mais par nécessité stratégique, ce qui alimente un sentiment de frustration et de désillusion à l’égard du processus électoral. Lors du dernier scrutin, les désistements entre les deux tours ont conduit à des votes « contre nature ». Dans de nombreuses circonscriptions, des électeurs ont dû soutenir un candidat qu’ils ne souhaitaient pas voir élu, simplement pour éviter l’élection d’un candidat du Rassemblement national (RN). Pire, certains préfèrent ne pas voter plutôt que de choisir entre des options qu’ils jugent insatisfaisantes. Réformer le mode de scrutin permettrait d’éviter les désistements et votes « contre nature » et réduirait l’abstention.

Dans le cadre d’une élection à la proportionnelle, ce ne serait donc pas aux partis, engagés dans un accord électoral, d’arbitrer avant l’élection la répartition des candidats dans chaque circonscription, mais aux électeurs, par un vote de conviction dès le premier tour, sur la base de programmes d’idées. Les voix des électeurs seraient ainsi mieux prises en compte.

Le scrutin majoritaire conduit les partis à nouer des alliances avant l’élection puis les enferme dans une impasse politique, puisque toute coalition, après le scrutin, est perçue comme une trahison. Dans le cadre d’un scrutin à la proportionnelle, les partis courent sous leurs propres couleurs et les compromis et programmes de gouvernement sont négociés lorsque les équilibres parlementaires sont connus.

Au sein de l’Union européenne, seule la France élit ses députés au scrutin majoritaire ; vingt‑et‑un pays ont des systèmes proportionnels, et cinq ont des systèmes mixtes. La plupart d’entre eux ont un parlement sans majorité « claire » et un gouvernement de coalition formé sur la base d’accords postélectoraux.

Pour ne citer que l’Allemagne, à l’issue des élections des députés - élus dans le cadre d’un mode de scrutin mixte - la désignation du premier ministre et l’élaboration d’un contrat de gouvernement sont le fruit d’une longue négociation entre les partis ayant réuni le plus de suffrages.

Comme l’écrivait le politologue Dorian Dreuil dans une tribune parue en 2021 dans Le Monde « Partout où elle existe, la coalition fonctionne, à condition d’accepter qu’on n’ait jamais toujours raison tout seul. La coalition suppose aussi la co‑construction et donc le compromis, loin de la compromission, mais proche des concessions, pour persuader et se laisser convaincre. Quand le pouvoir se partage, il se grandit, quand il se coconstruit, il se renforce. » ([1])°

La présente proposition de loi prévoit donc l’instauration d’un mode de scrutin mixte pour les prochaines élections législatives en introduisant une dose de proportionnelle à hauteur de 22,5 % des sièges à l’Assemblée nationale, dans les départements de douze députés et plus. Dans les autres départements, il est proposé de maintenir le scrutin majoritaire uninominal à deux tours : les départements moins peuplés, souvent ruraux, conserveraient une représentation en adéquation avec leur réalité territoriale. Quant aux départements les plus peuplés, souvent les plus métropolitains, ils auraient une représentation plus en phase avec la réalité de leur paysage politique.

Cette réforme, tout en conservant les avantages du scrutin majoritaire, notamment en termes de représentation locale, permettrait - sans redécoupage des circonscriptions, ni réforme de la Constitution ‑ de revitaliser notre démocratie en rendant le vote plus significatif pour les citoyens, favoriserait la formation de majorités plus représentatives et, par conséquent, plus légitimes. Elle contribuerait à moderniser notre système politique français coutumier de la bipolarisation. Les partis politiques seraient plus libres de former une coalition sans donner l’impression de trahir leurs électeurs.

La présente proposition de loi instaure donc un scrutin législatif mixte à travers quatre articles.

L’article 1er réécrit l’article L. 123 du code électoral et prévoit, notamment, que dans les départements où sont élus onze députés ou moins, l’élection a lieu au scrutin uninominal majoritaire à deux tours, par circonscription.

L’article 2 réécrit l’article L. 124 du code électoral et prévoit que dans les départements où sont élus douze députés ou plus, l’élection a lieu à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, sans panachage ni vote préférentiel.

L’article 3 crée un nouvel article L. 124‑1 dans le code électoral. Celui‑ci prévoit les modalités de constitution des listes dans les départements où les élections législatives ont lieu à la représentation proportionnelle.

L’article 4 complète l’article L. 125 du code électoral afin de tenir compte du scrutin législatif à la représentation proportionnelle dans les départements où sont élus douze députés ou plus.

L’article 5 supprime l’article L. 126 du code électoral.

 


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proposition de loi

Article 1er

L’article L. 123 du code électoral est ainsi rédigé : 

« Art. L. 123. – Dans les départements où sont élus onze députés ou moins, l’élection a lieu au scrutin uninominal majoritaire à deux tours.

« Le vote a lieu par circonscription.

« Nul n’est élu au premier tour de scrutin s’il n’a réuni :

« 1° La majorité absolue des suffrages exprimés ;

« 2° Un nombre de suffrages égal au quart du nombre des électeurs inscrits.

« Au deuxième tour, la majorité relative suffit.

« En cas d’égalité de suffrages, le plus âgé des candidats est élu. »

Article 2

L’article L. 124 du code électoral est ainsi rédigé : 

« Art. L. 124. – Dans les départements où sont élus douze députés ou plus, l’élection a lieu à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, sans panachage ni vote préférentiel.

« Seules sont admises à la répartition des sièges les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés. Les sièges sont attribués aux candidats d’après l’ordre de présentation sur chaque liste. Si plusieurs listes ont la même moyenne pour l’attribution du dernier siège, celui‑ci revient à la liste qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages. »

Article 3

Après l’article L. 124 du code électoral, il est inséré un article L. 124‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1241. – Dans les départements où les élections ont lieu à la représentation proportionnelle, chaque liste de candidats doit comporter deux noms de plus qu’il y a de sièges à pourvoir. Sur chacune des listes, l’écart entre le nombre des candidats de chaque sexe ne peut être supérieur à un. Chaque liste est composée alternativement d’un candidat de chaque sexe.

« Outre les renseignements mentionnés à l’article L. 154 du présent code, la déclaration doit indiquer le titre de la liste et l’ordre de présentation des candidats. La déclaration de chaque candidat comporte la mention manuscrite suivante : « La présente signature marque mon consentement à me porter candidat à l’élection à l’Assemblée nationale sur la liste menée par (indication des nom et prénoms du candidat tête de liste) ». 

« Une déclaration collective pour chaque liste est faite par un mandataire de celle‑ci. Tout changement de composition d’une liste ne peut être effectué que par retrait de celle‑ci et le dépôt d’une nouvelle déclaration. La déclaration de retrait doit comporter la signature de l’ensemble des candidats de la liste.

« Le retrait d’une liste ne peut intervenir après l’expiration du délai prévu pour le dépôt des déclarations de candidatures.

« En cas de décès de l’un des candidats au cours de la campagne électorale, les autres candidats de la liste ont le droit de le remplacer jusqu’à la veille de l’ouverture du scrutin par un nouveau candidat au rang qui leur convient. »

Article 4

L’article L. 125 du code électoral est complété par une phrase ainsi rédigée : « Dans les départements où sont élus douze députés ou plus, le nombre de circonscriptions est égal au nombre de sièges à pourvoir. »

Article 5

L’article L. 126 du code électoral est abrogé.

 

 


([1]) Dorian Dreuil, représentant associatif et auteur du livre « Plaidoyer pour l’engagement citoyen » (VA Press, 2019). « La proportionnelle est une réponse à celles et à ceux qui ne se considèrent pas ou plus représentés » (lemonde.fr)