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N° 417

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 octobre 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à instaurer un moratoire sur les projets routiers et autoroutiers,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Gabriel AMARD, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Cette proposition de loi vise à préserver la biodiversité, réduire les pollutions et les émissions de gaz à effet de serre, protéger la santé humaine et le vivant, et promouvoir les mobilités du quotidien, en instaurant un moratoire sur l’ensemble des projets de création d’autoroutes et sur l’ensemble des projets de création de voies rapides à 2 x 2 voies.

La mise en place d’un moratoire sur les infrastructures routières et autoroutières permettra - comme le demandent de nombreuses associations et des scientifiques – d’avoir une réflexion globale sur la politique des transports. Cela mettra en lumière les limites écologiques, sociales et économiques de ces projets routiers et autoroutiers et démontrera que des alternatives plus vertueuses, notamment pour le vivant, l’eau ([1]) et le climat, sont possibles. Les projets routiers et autoroutiers ont en effet des conséquences écologiques désastreuses (artificialisation, destructions des écosystèmes et d’espèces protégées, hausse des pollutions et des émissions de gaz à effet de serre), encouragent le recours à la voiture, peuvent conduire à renforcer la précarité mobilité et coûtent très cher, limitant les investissements dans des transports plus écologiques.

Les grands projets routiers et autoroutiers détruisent la biodiversité.

Les projets autoroutiers conduisent à un effondrement du vivant et notamment à une artificialisation des sols et des terres agricoles importante. La construction de l’autoroute A69 Toulouse – Castres est un exemple symptomatique de la destruction de la biodiversité que de tels projets engendrent. Ce projet prévoit la bétonnisation de près de 400 hectares de terres agricoles et d’espaces naturels, 13 hectares de bois ‑ rappelons que les bénéfices écologiques d’arbres centenaires sont bien plus importants que ceux d’arbustes tout juste replantés et qui meurent, pour beaucoup, juste après avoir été replantés ‑ et 22,5 hectares de zones humides. Toutes ces destructions pour un projet qui longe une route nationale existante et ne prévoit qu’un gain maximal de vingt minutes, pour un prix de 19,50 euros aller‑retour, ce qui ferait de l’A69 une des autoroutes les plus chères de France. Dans son avis du 6 octobre 2022, l’Autorité environnementale indique que le projet d’A69 engendre une « forte consommation des sols naturels et agricoles ». La bétonnisation réduit la quantité de terres agricoles disponibles, allant à l’encontre du discours d’Emmanuel Macron et ses gouvernements sur la nécessité d’atteindre la souveraineté agricole et l’objectif du zéro artificialisation nette (ZAN). Par ailleurs, la construction de nouvelles routes conduit à une imperméabilisation des sols et augmente en conséquence le risque de ruissellement et d’inondation, alors que les événements climatiques extrêmes sont amenés à se multiplier et s’intensifier dans les années à venir. En outre, construire de nouvelles infrastructures de transports conduit à la rupture des continuités écologiques et à une fragmentation des milieux naturels, limitant les interactions entre espèces. Cela empêche certaines migrations. Fabien Paquier, chargé de mission à l’Office français de la biodiversité (OFB), précise qu’ » à l’échelle nationale voire mondiale, ce type de mortalité n’est pas négligeable »[2].

Les projets routiers et autoroutiers menacent également la ressource en eau, tant du point de vue de sa qualité que de sa quantité. Les dangers pour la ressource en eau ont par exemple été mis en avant par les opposants et opposantes du projet de contournement est de Rouen : 50 % des captages qui alimentent l’agglomération rouennaise sont menacés. Les projets routiers et autoroutiers nécessitent des quantités astronomiques de goudron, lui‑même fabriqué grâce à des « prélèvements » de granulats dans les milieux naturels par des carrières alluvionnaires d’exploitation dénommées gravières. Ces gravières sont néfastes pour l’environnement car elles ponctionnent massivement les alluvions directement aux abords des rivières et des nappes phréatiques, exposant ces dernières à la pollution et à l’évaporation. Par exemple, à Saverdun en Ariège, les carrières exhibent 250 hectares de nappe phréatique à l’air libre et la surface d’exposition pourrait atteindre à terme 1 100 hectares avec les projets d’agrandissement prévus, visant notamment à répondre aux besoins créés par les nouveaux projets routiers et autoroutiers comme l’autoroute A69. Quant aux trous creusés pour récolter ces granulats, ils sont rebouchés avec des déchets du BTP dits inertes, mais des prélèvements recensent des taux de présence de métaux lourds très largement supérieurs à la normale. Les nappes et cours d’eaux se retrouvent ainsi pollués et par extension, toute la biodiversité attenante.

Pourtant, la biodiversité est déjà très fortement menacée. D’après son rapport sur l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques datant de 2019, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (Intergovernmental SciencePolicy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services ou IPBES en anglais) précise que 75 % de la surface de la planète est abîmée « de manière significative » par les activités humaines. Un million d’espèces animales et végétales sont actuellement menacées d’extinction et 85 % des zones humides ont disparu. L’IPBES indique que « le taux mondial d’extinction d’espèces est déjà au moins plusieurs dizaines à centaines de fois supérieur au taux moyen des 10 derniers millions d’années, et le rythme s’accélère ». La première des cinq principales causes du déclin de la biodiversité est la destruction et l’artificialisation des milieux naturels, en détruisant les écosystèmes et privant les espèces de biotope.

Pour protéger la biodiversité, il est nécessaire d’agir vite et de mettre rapidement des mesures en œuvre et renoncer aux projets les plus destructeurs de la biodiversité. Le président de l’IPBES, Robert Watson, avait en effet précisé lors de la parution de ce rapport que « la santé des écosystèmes dont nous dépendons, ainsi que toutes les autres espèces, se dégrade plus vite que jamais. Nous sommes en train d’éroder les fondements mêmes de nos économies, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier ». Il précise également « qu’il n’est pas trop tard pour agir, mais seulement si nous commençons à le faire maintenant à tous les niveaux, du local au mondial ».

De plus, le développement supplémentaire des infrastructures routières et autoroutières sousentend un mode d’aménagement du territoire qui à terme conduit à davantage d’artificialisation. D’après Valentin Desfontaines, auparavant responsable Mobilités durables du Réseau Action Climat, «  la route est le bras armé du modèle de l’artificialisation des sols  : elle raccourcit les distances, ouvre sur des zones d’activités commerciales, rend les citoyens prisonniers de la voiture, et donc, des énergies fossiles  ». Entre 1982 et 2018, la superficie des espaces artificialisés a augmenté de 72 % en France métropolitaine, passant de 2,9 Mha à 5,0 Mha. La croissance de l’artificialisation des sols est due à 28 % aux infrastructures de transports et à 16 % aux infrastructures de services et de loisirs comme les zones commerciales.

Le coût climatique de ces nouveaux projets n’est pas non plus suffisamment pris en compte.

Le Haut conseil pour le climat dans son rapport annuel rappelle en effet que « l’impact climatique des projets de transport n’est pas suffisamment pris en compte. Les études d’impacts concernant les gaz à effet de serre dans les projets de transport sont peu précises et peu détaillées et se limitent aux émissions d’utilisation de l’infrastructure, sans comptabiliser l’ensemble de la construction » ([3]).

Le développement de nouvelles infrastructures routières et autoroutières s’inscrit en effet dans un modèle du toutvoiture et du toutcamion, qui engendre une hausse du trafic ou « trafic induit ». En effet, cela conduit à une hausse des déplacements et à des déplacements plus lointains, augmentant le trafic au total. Dans une note de janvier 2019 portant sur les projets d’infrastructures de transport routières, l’Autorité environnementale souligne que « les études de trafic sont très importantes car elles alimentent la justification du projet et conditionnent le calcul de nombreux impacts comme le bruit, la pollution atmosphérique ou les émissions de gaz à effet de serre. Or leurs résultats sont présentés de manière trop succincte et les études ellesmêmes ne prennent presque jamais en compte les trafics induits par la création ou la transformation de l’infrastructure, ni les reports modaux possibles ». Ce constat est partagé par le Haut conseil pour le climat : « Lles prévisions de trafic ont tendance à sousestimer la fréquentation et les externalités associées car elles ne prennent pas en compte l’induction de trafic générée par de nouvelles infrastructures. Ce manque est pointé depuis de nombreuses années. Le temps passé à se déplacer par un individu est plutôt constant dans le temps, ainsi, les gains de vitesse permettent surtout de parcourir plus de distance. »

Selon l’économiste des transports, Frédéric Héran, cité dans Reporterre, « on constate qu’en moyenne, le trafic induit correspond à une augmentation du trafic de l’ordre de 10 % à court terme et de 20 % à plus long terme » ([4]). L’ouverture du Grand contournement ouest (GCO) de Strasbourg ou autoroute A355, inauguré par Jean Castex alors Premier ministre, est l’exemple même du trafic induit : dès août 2023, l’Agence d’urbanisme de Strasbourg Rhin supérieur a constaté quelques mois après que le trafic était déjà en hausse : « Depuis mai 2022 (…) le trafic automobile cumulé sur la M35 et l’A355 dépasse les niveaux de la M35 seule : +1,6 % en moyenne, soit 2 700 véhicules par jour en plus. Ce constat, couplé à la dégradation des conditions de circulation au fur et à mesure du temps, semble indiquer les premiers signes d’un trafic induit. » ([5]). Le constat de l’augmentation du trafic automobile global (A355 + M35) a été confirmé pour l’année 2023 : « Le trafic VL [véhicules légers] global sur l’ensemble du réseau hyperstructurant (A355 + M35) est supérieur au niveau de 2019 sur la M35 seule sur l’ensemble de l’année 2023 avec environ 4 850 véhicules supplémentaires par jour ouvré, confirmant ainsi les premières observations de 2022. » ([6]). Ainsi, Philippe Ledenvic, président de l’Autorité environnementale de 2014 à 2022, indiquait dans un entretien avec Reporterre qu’ « ajouter une nouvelle voie ce n’est pas apporter une solution, mais plutôt ajouter un problème » ([7]).

La hausse du trafic routier liée à ces projets routiers et autoroutiers entraine une hausse des pollutions de l’air et des émissions de gaz à effet de serre. Elle va ainsi à l’encontre des objectifs climatiques que la France s’est fixés. Dans son rapport annuel de l’année 2024, le Haut conseil pour le climat indique en effet que « la cohérence d’ensemble [de la politique des transports] n’est pas assurée car plusieurs projets entraîneront une hausse du trafic automobile, contraire à̀ l’objectif affiché, et leur impact climatique n’est pas suffisamment pris en compte » ([8]).

Chacun de ces projets est un problème climatique de plus. Christophe Cassou, climatologue et auteur principal du sixième rapport du GIEC précise que « chaque tonne de CO2 émise dans l’atmosphère compte, car c’est leur cumul qui détermine le niveau de réchauffement et les risques qui en découlent. Dit autrement, toute tonne de CO2 évitée réduit le risque tandis qu’à l’inverse, tout objectif non atteint en la matière l’accentue. Ce n’est pas mon opinion, mais une loi intangible et non négociable de la physique. Il n’y a pas de petites émissions : leur addition nous a conduits à la situation actuelle et détermine le niveau de risque climatique futur »[9]. Dès lors, minimiser l’impact de chacun de ces projets va à l’encontre de la logique de bon fonctionnement de notre système climatique.

Les pollutions de l’air ne se limitent pas à celles générées par le trafic induit. La fabrication du goudron génère également des pollutions massives. Les usines de fabrication de bitume, installées à proximité des projets routiers et autoroutiers, rejettent des fumées toxiques nauséabondes, rendant le quotidien des riverains invivable en raison d’odeurs pestilentielles, mais aussi de difficultés à respirer correctement. Ces fumées sont potentiellement dangereuses et cancérogènes pour les humains et pour tout le vivant. Un vrai risque de la contamination de l’environnement proche de ces usines existe, avec une pollution des différentes exploitations agricoles. Par exemple, à Gragnague en Haute‑Garonne, des usines d’enrobés ont récemment causé de gros désagréments aux riverains situés à proximité. Certains souffraient de maux de têtes et de difficultés respiratoires. Selon un habitant, « des gouttelettes huileuses tombaient parfois du ciel […] un ami a découvert son tshirt constellé de taches noires. Il l’avait oublié dans son jardin la veille au soir ». Dans le village de Villeneuve‑lès‑Lavaur, dans le Tarn, une usine à goudron en lien avec le projet d’A69 sera installée au milieu d’exploitations agricoles, avec dans son rayon immédiat plusieurs écoles. Des agriculteurs réfléchissent sérieusement à abandonner leurs exploitations à cause des pollutions ainsi que de la méfiance éprouvée à juste titre par la clientèle.

Les projets routiers et autoroutiers vont également générer des pollutions sonores supplémentaires. L’Autorité environnementale a souligné dans son rapport annuel 2023, publié en juillet 2024, que « le bruit de circulation est régulièrement sousévalué dans les projets d’infrastructures terrestres de transport (…) Dans le scénario de référence (sans projet), l’évaluation du bruit repose souvent sur une surestimation du trafic (…) En revanche, le trafic après réalisation du projet est souvent manifestement sousévalué, le périmètre du projet ne tenant pas compte, par exemple, des effets induits par l’achèvement d’une continuité, l’urbanisation induite à proximité avec la présence d’une zone d’aménagement concerté (ZAC). La sousestimation des effets du projet sur le trafic et la surestimation de la situation de référence conduisent à une sousévaluation des nuisances, tant en matière de bruit que d’émission de polluants de l’air et de gaz à effet de serre ». L’Autorité environnementale l’a d’ailleurs constaté dans plusieurs projets : déviation de Marquixanes, la voie rapide RN141 entre Chasseneuil et Roumazières ou encore les travaux sur la RN116 Boulternère, Rodès, Vinça. Pourtant, les conséquences sanitaires des pollutions sonores sont importantes : l’Organisation mondiale de la santé (OMS) mentionne notamment les problèmes auditifs ainsi que les maladies cardiovasculaires, la perturbation du sommeil, la gêne et le retard dans les apprentissages. L’Ademe chiffre le coût social du bruit en France à « 147,1 milliards d’euros par an. Les deuxtiers (66,5 %) des coûts sont liés aux transports : le bruit routier représente 54,8 % des coûts, le bruit ferroviaire 7,6 % et le bruit aérien 4,1 % » ([10]).

Ces nouveaux projets routiers et autoroutiers sont donc anachroniques.

Différents acteurs et actrices de la communauté scientifique, d’organismes indépendants ou encore des militants et militantes écologiques soulignent en effet l’inutilité des projets au vu de l’urgence climatique. Par exemple pour l’autoroute A69, l’Autorité environnementale a déclaré que « ce projet […] apparait anachronique au regard des enjeux et ambitions actuels de sobriété, de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la pollution de l’air, d’arrêt de l’érosion de la biodiversité et de l’artificialisation du territoire et d’évolution des pratiques de mobilité ». Deux mille scientifiques, dont dix auteurs principaux du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), des représentants de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (Intergovernmental SciencePolicy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services ou IPBES en anglais) et du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) ont également appelé le président de la République à renoncer à ce projet d’autoroute A69. L’A69 n’est évidemment pas le seul projet dont l’utilité a été ou est questionnée. La Mission régionale d’autorité environnementale (MRAe) a critiqué l’étude d’impact du projet LIEN (Liaison intercommunale d’évitement nord) à Montpellier, qui comprend de nombreuses lacunes notamment concernant la qualité de l’air, les nuisances sonores, la biodiversité ou l’artificialisation des sols. La RN88 à 2x2 voies – une déviation de 10,7 kilomètres qui doit faire gagner trois minutes aux automobilistes – a reçu un avis défavorable du Conseil national de la protection de la nature mais son autorisation a tout de même été accordée en 2020 par arrêté préfectoral.

La réalisation des nouveaux projets routiers nuit très directement aux droits fondamentaux des riverains. L’article 1er de la Charte de l’environnement dispose que « chacun a droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2008‑564 DC du 19 juin 2008, a conféré à ce droit une valeur constitutionnelle. Il en a également fait une liberté fondamentale dans sa décision n° 451129 du 20 septembre 2022. Tout administré peut donc faire valoir ce droit contre un projet qui y porte atteinte

Ces projets sont d’autant plus anachroniques que la France est d’ores et déjà dotée d’un réseau routier conséquent avec 1 101 810 kilomètres de routes en 2022. Malgré l’urgence écologique, le réseau routier continue de s’étendre tandis que la quantité de lignes ferroviaires exploitées diminue ! En effet, les données du ministère de la Transition écologique indique qu’ « entre 2013 et 2022, la longueur des routes est passée de 1 082 500 kilomètres à 1 101 800 kilomètres, soit une progression de 1,8 % en 9 ans. En revanche, la longueur totale des lignes ferroviaires exploitées a diminué de 11,1 % entre 2013 et 2022 » ([11]).

La politique de soutien d’Emmanuel Macron et ses gouvernements à ces projets vont donc à l’encontre de l’urgence écologique

Le Président Emmanuel Macron et ses gouvernements ont en effet soutenu des projets routiers contestés avec des fonds publics. Dans une enquête de Reporterre ([12]), il est indiqué que le séjour de Jean Castex à Matignon aurait permis de soutenir cinquante‑cinq projets routiers, pour un coût de près 18 milliards d’euros, avec 12,322 milliards d’euros venant de fonds publics. 4 488 hectares de prairies, forets ou terres agricoles seront recouverts par ces routes, autoroutes, contournements, ponts et déviations, soit presque la taille de Lyon (4 787 hectares). Par ailleurs, la « revue » des projets annoncée par l’ancien ministre des Transports, Clément Beaune, n’a pas vu le jour et s’est limitée à des déclarations. Le constat des associations rencontrées par Clément Beaune est limpide : « Nous doutions de la capacité du gouvernement à adopter une position responsable en prenant la seule décision acceptable à l’heure actuelle : un moratoire sur tous les projets routiers, et la suspension totale du projet d’autoroute A69 comme des travaux destructeurs en cours sur de nombreux projets partout en France. Notre constat est unanime : le gouvernement ne prend pas la mesure des enjeux et choisit de continuer de nous mener droit dans le mur. Les quelques abandons de projets qui n’ont aujourd’hui plus de faisabilité financière ni politique ne sont absolument pas suffisants (…) Les promesses de décarbonation du secteur des transports et de compensations environnementales ne sont en aucun cas ni à la hauteur, ni pertinentes par rapport aux enjeux globaux. Ces mesures de contournement du débat ne permettent en rien de réduire les impacts catastrophiques de la politique de développement des axes et du trafic routier sur la santé, la biodiversité, le climat, et la précarisation grandissante des oublié.e.s de la mobilité pris au piège du modèle du tout routier sans alternative. »

Ces projets routiers passent parfois en force, au mépris des règles environnementales et des procédures de justice. En témoignent les exemples récents d’abattages d’arbres illégaux sur le site de la Crem’arbre à Saïx, dans le Tarn, pour l’autoroute A69, ou encore l’annulation par le tribunal administratif de l’autorisation de construction de la route de Pont‑Sainte‑Maxence dans l’Oise, un an après qu’elle a été finalisée.

En outre, le Président Emmanuel Macron a célébré la voiture individuelle alors qu’il est urgent de planifier la bifurcation écologique : « On aime la bagnole. Et moi je l’adore. » Le climatologue Jean Jouzel sur France Inter s’exprimait en réaction aux propos du Président de la République : « Magnifier la voiture, ça pose des questions sur la manière dont on va atteindre la neutralité carbone dans le transport. » Les voitures individuelles sont responsables de près d’un sixième de la contribution française au réchauffement (15,7 %). Le Haut conseil pour le climat indique dans son rapport annuel de 2024 qu’ « aucun report modal depuis la voiture n’a encore été observé. La part modale de la voiture est restée stable entre 2015 et 2022, alors qu’il est prévu un recul de 5 points entre 2015 et 2028, soit une baisse moyenne de 0,4 point par an dans le projet de SNBC 3 ». Par ailleurs, en France, le surdimensionnement grandissant des voitures s’accélère et va à l’encontre de l’urgence écologique puisque les SUV consomment un quart de carburant en plus par kilomètre que les voitures de taille moyenne. Entre 1960 et 2017, le poids moyen des voitures a augmenté de 62 % et leur puissance a été multipliée par trois.

Afin de mettre en œuvre une transition juste, il est nécessaire de soutenir les mobilités du quotidien

Choisir d’investir dans le toutvoiture plutôt que dans les transports en commun rend de nombreuses personnes dépendantes à leur voiture, alors que 15 millions de personnes de plus de 18 ans sont en situation de précarité de mobilité en 2023, d’après le Baromètre des mobilités du quotidien[13]. Elle a donc augmenté en deux ans : 1,7 million de personnes supplémentaires sont en situation de précarité de mobilité. La 3ème édition de ce Baromètre indique que « près d’1 Français·e sur 3 n’a pas la liberté de choisir la façon de se déplacer : des personnes cumulant bas revenus, dépenses élevées en carburant, longues distances à parcourir et/ou absence d’alternative à la voiture, auxquelles s’ajoutent les personnes qui ne disposent d’aucun moyen de mobilité́. Cette précarité́ touche toutes les générations, en ville, en banlieue, à la campagne, les actifs comme les inactifs ». Ce baromètre souligne également que la dépendance à la voiture augmente : 11,5 % des répondants et répondantes sont dépendants contre 10,5 % en 2021. En outre, pour la première fois, ce baromètre montre les conséquences des aléas climatiques sur les déplacements : « 46 % des Françaises affirment que les aléas climatiques ont eu un impact sur leurs mobilités : 18 % ont dû changer de mode de transport tandis que 30 % ont dû renoncer à se déplacer ponctuellement ou durablement. Parmi ceux qui ont changé de mode de transport, près de la moitié s’est reportée sur un mode de déplacement thermique ou hybride. Autrement dit, ils ont opté pour une solution qui participe ellemême au dérèglement climatique et à la multiplication des aléas climatiques. »

Il est absolument nécessaire d’orienter massivement les politiques publiques vers les mobilités du quotidien et la sortie du tout voiture. Le Haut conseil pour le climat le rappelle d’ailleurs : « L’offre de transport en commun doit se développer fortement pour permettre un report modal suffisant de la voiture vers les transports collectifs de 7 millions de voyageurs quotidiens d’ici 2030 selon le projet de SNBC 3. » Il est nécessaire de viser une réduction du système automobile et routier qui passera par une baisse d’ampleur du trafic et cela implique de ne pas engager la réalisation de projets nouveaux. La sobriété des usages et des investissements massifs dans des modes de transports plus écologiques sont vitaux. Les députés et députées signataires de cette proposition de loi défendent le développement des transports du quotidien par la réhabilitation du réseau ferroviaire existant, des transports à des prix accessibles à toutes et tous, le développement du service public des transports collectifs sans aggraver l’artificialisation des sols, le soutien aux mobilités actives et le réaménagement des routes nationales existantes plutôt que de nouveaux projets routiers destructeurs.

Par conséquent, la nécessité d’un moratoire sur ces projets autoroutiers, objectivement néfastes pour l’environnement, s’impose comme une évidence. C’est d’ailleurs pour cette raison que les députés et députées signataires de cette proposition de loi soutiennent les associations demandant un tel moratoire. Par ailleurs, ces députés et députées dénoncent la criminalisation des militants et militantes écologistes. Michel Forst, rapporteur spécial sur les défenseurs de l’environnement aux Nations Unies, est venu en France notamment à la suite de l’invitation de Mathilde Panot, à la rencontre des militants et militants opposés à l’A69, qui subissent une féroce répression. Le rapporteur spécial des Nations Unies indiquait que « la France est le pire pays d’Europe concernant la répression policière des militants environnementaux ».

La France ne serait pas la première Nation à mettre en œuvre ce moratoire puisque les Pays‑Bas ont pris cette décision en mars 2023 par le biais d’une annonce gouvernementale. Le Pays de Galles a aussi drastiquement revu à la baisse les projets routiers prévus sur son territoire après la mise en œuvre d’un moratoire annoncé avant le début de la COP26 qui se tenait à Glasgow en 2021.

L’article 1er de la présente proposition de loi prévoit la mise en place d’un moratoire sur les projets de construction d’autoroutes et des routes rapides à 2 x 2 voies pendant une durée de dix années.

L’article 2 gage la proposition de loi.

 


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proposition de loi

Article 1er

I. – Il est instauré un moratoire suspendant la délivrance des autorisations environnementales prévues aux articles L. 181-1 à L. 181-4 du code de l’environnement pour les projets de création d’autoroutes définies à l’article L. 122-1 du code de la voirie routière et pour les projets d’aménagements avec un profil à deux fois deux voies et chaussées séparées.

II. – Les autorisations environnementales délivrées pour les projets de création d’autoroutes définies à l’article L. 122-1 du code de la voirie routière et pour les projets d’aménagement avec un profil à deux fois deux voies et chaussées séparées, dont les travaux sont déjà engagés lors de la publication de la présente loi, sont suspendues.

III. – Le moratoire prévu aux I et II du présent article est instauré pour une durée de dix ans à compter de la publication de la présente loi.

Article 2

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

 

 


([1])  Pour rappel, la directive-cadre européenne sur l’eau du 23 octobre 2000 stipule au paragraphe 7 de son article 4 que les États membres doivent systématiquement examiner toutes les alternatives à des projets qui altèreraient ou dégraderaient la quantité ou la qualité des eaux, qu’elles soient souterraines ou de surfaces. Cela concerne donc les projets routiers et autoroutiers qui dégradent les quantités et la qualité des masses d’eau. L’extrait en question de la directive-cadre européenne sur l’eau est le suivant : « 7. Les États membres ne commettent pas une infraction à la présente directive lorsque : (…) les objectifs bénéfiques poursuivis par ces modifications ou ces altérations de la masse d'eau ne peuvent, pour des raisons de faisabilité technique ou de coûts disproportionnés, être atteints par d'autres moyens qui constituent une option environnementale sensiblement meilleure ».

([2]) Radenne Victoire, « Comment les routes provoquent le déclin de la biodiversité », Socialter, juin 2023

([3])  Haut Conseil pour le climat, « Tenir le cap de la décarbonation, protéger la population », rapport annuel, juin 2024.

([4])  Lavocat Lorène, « Entre promoteurs d’autoroutes et associations, l’écart abyssal des bilans carbone », Reporterre, avril 2024

([5]) Agence d’urbanisme de Strasbourg Rhin supérieur, « A255 – M35 : un nouveau contexte autoroutier. Quels impacts ? », août 2023

([6])Agence d’urbanisme de Strasbourg Rhin supérieur, « Évaluation des mesures mises en œuvre sur la M35 à la mise en service de l’A355 », rapport de synthèse, juillet 2024.

([7]) Cholez Laury-Anne, Guedj Léa, « Les projets routiers, contrevérités et carnage écologique », Reporterre, mai 2022

([8]) Haut Conseil pour le climat, « Tenir le cap de la décarbonation, protéger la population », rapport annuel, juin 2024.

([9])  Commission d’enquête sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69, Assemblée nationale compte-rendu n°4, 12 mars 2024

([10])  Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), « Le coût social du bruit en France. Estimation du coût social du bruit en France et analyse de mesures d’évitement simultané du coût social du bruit et de la pollution de l’air », octobre 2021

([11])  Ministre de la Transition écologique et de la cohésion des territoires. Chiffres clés des transports - édition 2024, mars 2024.

([12])  Cholez Laury-Anne, Guedj Léa, « Routes, autoroutes : un gâchis à 18 milliards d’euros », Reporterre, mai 2022

([13]) Wimoov. Baromètre des mobilités du quotidien. https://barometremobilites-quotidien.org/wp-content/uploads/2024/09/BMQ3_National_Rapport-complet-VF.pdf