N° 679

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 décembre 2024.

PROPOSITION DE LOI

visant à préserver l’épargne réglementée du livret A pour le financement du logement social et de la transition écologique,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Christine ARRIGHI,

députée.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Créé le 22 mai 1818, le livret A est le plus ancien et le plus utilisé des produits d’épargne. Il a été conçu après les guerres napoléoniennes pour stabiliser le système financier, avant d’être réorienté au XXème siècle vers le soutien au logement social. Deux cents ans après sa création, il reste un produit particulièrement attractif et sûr.

Cette popularité se confirme au regard des chiffres récents, qui témoignent de l’ampleur de l’épargne collectée par ce produit réglementé. Au 31 décembre 2023, la France comptait 57 millions de livret A quasi intégralement détenus par des personnes physiques ([1]) pour un encours de 414 milliards d’euros, soit un niveau jamais égalé depuis le début de la collecte de l’épargne réglementée. Ces nombres sont en hausse par rapport aux années 2021 et 2022. Au titre de l’année 2022, le nombre de livrets A s’élevait à près de 56 millions, dont 55,1 millions détenus par des personnes physiques et 0,8 million détenu par des personnes morales ([2]) pour un encours total de 375 milliards d’euros ([3]). Pour l’année 2021, on dénombrait 55,7 millions de livrets A. 54,9 millions d’entre eux étaient détenus par des personnes physiques et 0,8 million par des personnes morales ([4]). Cette même année, l’encours du livret A s’établissait à 343,1 milliards d’euros ([5]).

En millions de comptes : échelle de gauche

Encours en milliards d’euros : échelle de droite

Source : Rapport 2023 de la Banque de France sur l’épargne réglementée.

Aujourd’hui, cette épargne règlementée sert en partie à financer le logement social et les équipements des collectivités locales (stades, crèches etc.). Cependant, le Gouvernement envisage une réorientation significative de son usage : l’épargne du livret A pourrait être mobilisée pour financer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires de nouvelle génération ([6]) (06 dans un premier temps et possibilité d’en construire 08 autres). Pour les six premiers, le chantier pourrait durer 25 ans, pour une somme de 60 milliards d’euros, selon les estimations (51,7 milliards d’euros + 4,6 milliards d’euros en cas de difficulté) ([7]).

Cette réflexion s’appuie notamment sur deux éléments : la difficulté probable de lever sur les marchés, des fonds susceptibles de financer sur le long terme la construction des quatorze nouveaux réacteurs et l’existence conjoncturelle d’un excédent de ressources croissant du fonds d’épargne centralisée par la Caisse des dépôts. Cela donne au Gouvernement l’idée de mobiliser jusqu’à 20 ou 30 milliards d’euros de cet encours pour financer cet investissement. Cette orientation est également soutenue par le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, qui a déclaré que l’épargne réglementée « peut davantage encore financer la transformation de notre appareil de production énergétique. » ([8])

Pourtant, une telle réorientation suscite de vives interrogations quant à sa cohérence avec les engagements climatiques et les priorités historiques de l’épargne réglementée. En 2019, le rapport de la Commission des finances de l’Assemblée nationale portant sur la proposition de loi en faveur de la transparence dans l’utilisation de l’épargne populaire en matière énergétique soulignait que « investir aujourd’hui dans les énergies fossiles, c’est aussi faire obstacle à une réorientation des flux financiers vers les investissements nécessaires au développement des énergies renouvelables. » ([9]) Cette observation reste pleinement valable pour le financement de projets nucléaires coûteux et longs à réaliser.

En effet, cette piste de financement, si elle venait à se concrétiser, remettrait en cause les fondements mêmes de l’épargne réglementée. Elle fragiliserait son modèle économique et démocratique, historiquement orienté vers le logement social et les investissements d’intérêt général, et pourrait réduire la confiance des épargnants dans la finalité de leur épargne.

En juin 2022, dans ses travaux portant sur l’épargne réglementée, la Cour des comptes s’interrogeait sur la pertinence de l’utilisation du fonds d’épargne pour financer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires et est arrivée à la conclusion suivante : « Si la durée et le niveau de risque de tels financements peuvent correspondre aux caractéristiques de stabilité des ressources de l’épargne réglementée […] d’autres pistes probablement plus proches de l’expertise de la Cour mériteraient d’être étudiées, concernant par exemple les équipements publics destinés à prévenir les effets du réchauffement climatique. On peut évoquer par exemple les investissements élevés qui seront nécessaires pour protéger de nombreuses communes du littoral ou de l’intérieur face au risque de montée du niveau de la mer ou de débordement des cours d’eau. Les solutions de couverture par les assurances risquent d’être insuffisantes et il est probable que les compagnies d’assurance exigent des primes à des tarifs de plus en plus élevés voire refusent purement et simplement de couvrir certaines zones ou certaines communes. » ([10])

Ces observations renforcent l’idée que l’excédent d’épargne réglementée devrait être prioritairement alloué à des chantiers répondant à des urgences sociales et écologiques. Parmi ces priorités, figurent notamment l’accélération de la construction de logements sociaux pour atteindre l’engagement gouvernemental de 250 000 logements sociaux entre 2021 et 2022 ([11]), la rénovation du parc existant ou encore les investissements nécessaires à la protection des communes littorales face à la montée du niveau des mers qui sont plus en phase avec les enjeux écologiques et sociaux du moment.

Or, les prêts sur fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations, qui ont historiquement financé une partie importante de la construction du parc social actuel (environ 4,3 millions de logements) ont vu leur contribution diminuer ces dernières années, aggravant une crise déjà bien présente. Cette chute explique la baisse préoccupante de la construction annuelle de logements sociaux ([12]), alors même que la demande est prégnante : 2,4 millions de demandeurs de logements sociaux ([13]), 4 millions de mal logés ([14]) et 300 000 sans domicile fixe ([15]).

 

Source : Graphique réalisé par nos soins sur la base de données collectées sur le site statistica.

Mobiliser entre 20 et 30 milliards d’euros de cet encours pour financer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires fragiliserait considérablement la capacité à répondre à ces besoins prioritaires. Cette ponction compliquerait également le financement des infrastructures publiques nécessaires pour accompagner la transition écologique, comme la protection des communes vulnérables ou la rénovation des bâtiments publics.

Enfin, les incertitudes financières associées à la filière nucléaire interrogent sur la viabilité même de cette orientation. Les coûts et les risques de gestion des déchets radioactifs ([16]) et les dépassements massifs des coûts observés sur l’EPR de Flamanville ([17]) soulignent les risques que de tels investissements font peser sur l’épargne des détenteurs de livret A. En tout état de cause, ils ne sont pas facteurs de sécurisation de l’épargne des détenteurs de Livret A. À l’inverse, une orientation claire vers des projets socialement utiles et écologiquement responsables garantirait la sécurisation et la pérennité de l’épargne réglementée.

Pour toutes ces raisons, cette proposition de loi vise à recentrer l’utilisation de l’épargne réglementée du livret A sur ses missions historiques : le financement du logement social, de l’investissement public local, des PME, de l’économie sociale et solidaire, et de la transition écologique. L’article unique qu’elle porte modifie le code monétaire et financier et le code de l’énergie afin de maintenir le lien séculaire de confiance entre les Français et le livret A, produit éminemment populaire en interdisant son utilisation pour le financement des installations de production d’électricité d’origine nucléaire.

 


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proposition de loi

Article unique

I. – Après le I de l’article L. 100‑1 A du code de l’énergie, il est inséré un I bis ainsi rédigé :

« I bis – Pour atteindre les objectifs mentionnés au I du présent article, les moyens financiers nécessaires à la production d’électricité d’origine nucléaire ne peuvent provenir de l’emploi du fonds d’épargne tel que défini par l’article L. 221‑7 du code monétaire et financier. »

II. – Le code monétaire et financier est ainsi modifié :

1° Après la première phrase du troisième alinéa de l’article L. 221‑5, il est inséré une phrase ainsi rédigée : « Ces ressources ne peuvent financer des installations de base, telles que définies à l’article L. 593‑2 du code de l’environnement pour la production d’électricité d’origine nucléaire ».

2° Le III de l’article L. 221‑7 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Aucune partie des sommes ne peut financer des installations de base, telles que définies à l’article L. 593‑2 du code de l’environnement pour la production d’électricité d’origine nucléaire. »

 


([1])  Rapport annuel 2023 de la Banque de France sur l’épargne réglementée, juillet 2024, p 33.

([2])  Rapport annuel 2022 de la Banque de France sur l’épargne réglementée, juillet 2023, p 21.

([3])  Ce montant est réparti comme suit : 350,2 milliards d’euros pour les personnes physiques et 23,8 milliards d’euros pour les personnes morales.

([4])  Rapport annuel 2021 de la Banque de France sur l’épargne réglementée, juillet 2022, p (2)1.

([5])  Ce montant est réparti comme suit : 319,3 milliards d’euros pour les personnes physiques et 23,8 milliards d’euros pour les personnes morales.

([6])  Les Echos, Le livret A en lice pour financer les nouveaux réacteurs nucléaires en France, 9 février 2023.

([7])  Rapport d’audit du Gouvernement, Travaux relatifs au nouveau nucléaire, 18 février 2022, pp 27-33.

([8])  Audition de M. Éric Lombard par la Commission des finances de l’Assemblée nationale, 10 janvier 2023.

([9])  Rapport sur la proposition de loi en faveur de la transparence dans l’utilisation de l’épargne populaire en matière énergétique, 4 mars 2019, p 8.

([10])  Cour des comptes, Observations définitives sur l’épargne réglementée, 9 juin 2022, pp 75-76.

([11])  Protocole en faveur de la relance de la production de logements sociaux en 2021 et 2022, 19 mars 2021.

([12])  Rapport annuel de la fondation Abbé Pierre, L’état du mal-logement en France 2023, janvier 2023, p 30.

([13])  Rapport annuel de la fondation Abbé Pierre, L’état du mal-logement en France 2024, janvier 2024, p 22.

([14])  Rapport annuel de la fondation Abbé Pierre, L’état du mal-logement en France 2022, 24 janvier 2022, p 130.

([15])  Rapport de la Cour des comptes, L’hébergement et le logement des personnes sans domicile pendant la crise sanitaire du printemps 2020, novembre 2020, p 111.

([16])  Rapport de la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale, la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, 28 juin 2018.

([17]) Le Monde, Les dérapages de l’EPR de Flamanville en graphiques, 20 décembre 2022.