N° 824
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 janvier 2025.
PROPOSITION DE LOI
visant à renforcer l’effectivité des droits voisins de la presse,
(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Erwan BALANANT,
député.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Institués par la directive européenne 2019/790 « sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique », les droits voisins doivent permettre aux éditeurs et agences de presse de se faire rémunérer lorsque leurs contenus sont réutilisés sur internet par les grandes entreprises du numérique tels que les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft).
La directive a été transposée en droit français par la loi n° 2019‑775 du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse. Son objectif étant ainsi de mettre en place des conditions de négociations équilibrées entre les éditeurs et agences de presse d’une part et les plateformes numériques d’autre part, en redéfinissant le partage de la valeur entre ces acteurs.
En juillet 2021, l’Autorité française de la concurrence a condamné Google à payer une amende de 500 millions d’euros ([1]) pour le non‑respect de plusieurs injonctions prononcées à son encontre en avril 2020 dans le cadre de sa décision de mesure conservatoire ([2]), eu égard à la rémunération des droits voisins des éditeurs et agences de presse. En mars 2024, l’Autorité de la concurrence a de nouveau prononcé une sanction, toujours à l’égard de Google, d’une amende d’un montant de 250 millions d’euros, pour le non‑respect de certains de ses engagements pris en juin 2022 ([3]). Il s’agit ainsi de la quatrième décision rendue par l’Autorité de la concurrence en quatre ans sur un même dossier.
Presque six ans après sa promulgation, force est de constater que son bilan n’est pas à la hauteur des enjeux poursuivis malgré l’annonce faite, le 14 janvier 2025, par Google et l’Alliance de la presse d’information générale (APIG), du renouvellement de leur accord‑cadre sur les droits voisins.
Selon une étude conjointe de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) et de la Direction générale des médias et des industries culturelles du ministère de la culture (DGMIC) « Évolution du marché de la communication et impact sur le financement des médias par la publicité » publiée le 30 janvier 2024, les recettes totales des médias devraient atteindre 18,3 milliards d’euros en 2030 ([4]). Cependant, les entreprises du numérique capteront une part grandissante de ce marché : « 65 % en 2030 (contre 52 % aujourd’hui), dont 45 % pour les quatre grandes plateformes extra‑européennes (Alphabet, Meta, Amazon et Tiktok) ». Poursuivant son analyse, l’étude précise que « les revenus numériques des acteurs historiques continueront de progresser (+400 millions d’euros sur la période) et représenteront une part croissante mais toujours modeste du marché publicitaire (6,4 % en 2030 contre 5,2 % en 2022) ». Il apparait toutefois que cela ne suffira pas à contrebalancer « la décroissance de leurs recettes traditionnelles ». Plus inquiétant encore, il ressort in fine de cette étude que « les médias qui investissent dans les contenus de d’information et de création (…) verront leurs ressources poursuivre leur baisse : 7,3 milliards d’euros en 2012, 6,1 en 2022 et 5,3 en 2030 soit une diminution à venir de – 800 millions d’euros d’ici 2030 ».
Nous ne pouvons le nier, nous faisons donc toujours face à un transfert massif de la valeur créée par la presse vers les grandes plateformes du numérique.
Les éditeurs et agences de presse sont donc quasiment systématiquement contraints de poursuivre en justice les plateformes pour négocier avec elles les droits voisins, en raison de leur manque de loyauté à cet égard. C’est par ailleurs ce qui a conduit l’autorité de la concurrence à prononcer de nombreuses sanctions, notamment, comme nous l’avons vu, contre Google.
Cette judiciarisation de la procédure de négociation est bien souvent longue, chronophage, et à l’issue incertaine pour les éditeurs et agences de presse dont la survie dépend parfois de ces revenus. Cela est d’autant plus regrettable que cette procédure a été définie démocratiquement par la représentation nationale et la représentation européenne. Les plateformes ne devraient avoir d’autres choix que de s’y conformer.
Face à ce constat et à la nécessité de promouvoir et défendre une information pluraliste, nous ne pouvons rester sans agir. Pour les éditeurs et agences de presse, ces droits voisins doivent représenter une manne financière de plusieurs millions d’euros par an.
Même si cela ne peut être l’objet de cette proposition de loi en raison des règles établies par la loi organique relative aux lois de finances, l’auteur de cette proposition de loi considère qu’il doit être créé dans la prochaine loi de finances un compte d’affectation spéciale des sanctions prononcées par l’Autorité de la concurrence en application du droit voisin des agences de presse et des éditeurs de presse institué par la loi du 24 juillet 2019.
Ce compte d’affectation permettra de verser ces amendes vers les crédits dédiés au budget des aides à la presse du ministère de la Culture, selon une ventilation qui tient compte tant des objectifs des droits voisins de rééquilibrage du partage de la valeur créée par la presse sur le digital que des crises structurelles auxquelles le secteur est confronté en raison de la transformation des usages. Il s’inspire pour cela du modèle existant dans le domaine des amendes routières et audiovisuelles.
Reprenant la proposition de loi déposée par notre collègue Laurent Esquenet‑Goxes lors de la précédente législature, l’article 1er de cette proposition de loi vise donc à renforcer la procédure de négociation des droits voisins.
Aujourd’hui, la confusion qui règne sur les informations et les données devant être transmises conduit à ce que les plateformes ne transmettent que des éléments très partiels ou indéchiffrables. Pour faire face à la confusion entretenue par les entreprises du numériques qui usent et abusent de la rétention d’information, l’article propose tout d’abord que le Gouvernement, après consultation des parties‑prenantes, établisse par décret une liste des éléments devant obligatoirement faire l’objet d’une transmission des plateformes vers les acteurs du monde de la presse.
Cet article inscrit ensuite dans la loi un délai maximum de six mois pour la transmission de ces informations, sous peine pour l’entreprise de se voir imposer une amende pouvant aller jusqu’à 2 % de son chiffre d’affaires mondial.
Il créé par ailleurs une procédure de médiation par l’Autorité française de la concurrence en cas d’absence de conclusion d’un accord dans un délai d’un an à compter de l’ouverture des négociations. Si aucune issue n’est trouvée, l’Autorité de la concurrence sera habilitée à déterminer elle‑même les conditions de rémunération. Cette procédure s’inspire du mécanisme créé par la loi de transposition de 2019 en cas d’échec des négociations entre un journaliste et un éditeur ou agence de presse pour la répartition de la rémunération des droits voisins.
Enfin, il introduit dans le code de la propriété intellectuelle une obligation de traitement non discriminatoire de l’affichage des contenus des ayants‑droits pendant la durée des négociations. Cette obligation est constituée sur le modèle du troisième engagement de Google annexé à la décision de l’Autorité de la concurrence n° 22‑D‑13 du 21 juin 2022 relative à des pratiques mises en œuvre par la plateforme dans le secteur de la presse ([5]).
L’article 2 vise à renforcer le caractère dissuasif des amendes en précisant que ces dernières sont sans préjudice de l’application des règles du droit de la concurrence prévues aux articles L. 420‑1 du code de commerce.
– 1 –
proposition de loi
Article 1er
L’article L. 218‑4 du code de la propriété intellectuelle est ainsi modifié :
1° Après le deuxième alinéa, il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Pendant la durée des négociations relatives à la rémunération prévue au premier alinéa du présent article et à l’issue de ces négociations, les services de communication au public en ligne ne peuvent restreindre les paramètres et modalités d’affichage des publications de presse concernées. » ;
2° Le dernier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ces éléments d’information sont déterminés par décret, pris après consultation des éditeurs, agences de presse et services de communication au public en ligne concernés. » ;
3° Sont ajoutés trois alinéas ainsi rédigés :
« Le refus, exprès ou tacite, d’un service de communication au public en ligne de transmettre les éléments d’information mentionnés au précédent alinéa, ou la transmission partielle de ceux‑ci, est puni d’une amende ne pouvant excéder 2 % de son chiffre d’affaires mondial.
« Est considéré comme un refus tacite le fait pour un service de communication au public en ligne de ne pas délivrer ces éléments d’information dans un délai de six mois à compter de la première demande d’accès aux informations adressée par l’une des personnes mentionnées à l’article L. 218‑1.
« À défaut d’un accord entre un service de communication au public en ligne et une ou plusieurs personnes mentionnées à l’article L. 218‑1, portant sur la rémunération prévue au premier alinéa du présent article, dans un délai d’un an à compter d’une demande d’ouverture de négociations par une ou plusieurs personnes mentionnées à l’article L. 218‑1, celles‑ci peuvent saisir l’Autorité de la concurrence. Celle‑ci recherche, avec les demandeurs et le service de communication au public en ligne concerné, une solution de compromis afin de parvenir à un accord. En cas de désaccord persistant, elle fixe les modalités de rémunération. »
Article 2
Le chapitre V du titre III du livre III de la première partie du code de la propriété intellectuelle est ainsi modifié :
1° L’article L. 335‑4 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L’application du présent article est sans préjudice de l’application des dispositions du titre II du livre IV du code de commerce » ;
2° Après le II de l’article L. 335‑4‑1, il est inséré un II bis ainsi rédigé :
« II bis. – L’application du présent article est sans préjudice de l’application des dispositions du titre II du livre IV du code de commerce » ;
3° Après le III de l’article L. 335‑4‑2, il est inséré un III bis ainsi rédigé :
« III. – L’application du présent article est sans préjudice de l’application des dispositions du titre III du livre IV du code de commerce ».
Article 3
La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
([1]) https://www.autoritedelaconcurrence.fr/fr/communiques-de-presse/remuneration-des-droits-voisins-lautorite-sanctionne-google-hauteur-de-500
([2]) Décision n°20-MC-01 du 9 avril 2020 relatives à des demandes de mesures conservatoires présentées par le Syndicat des éditeurs de la presse magazine, l’Alliance de la presse d’information général e.a. et l’Agence France-Presse.
([3]) https://www.autoritedelaconcurrence.fr/fr/communiques-de-presse/droits-voisins-lautorite-prononce-une-sanction-de-250-millions-deuros