N° 1330

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 avril 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à réparations aux harkis et leurs familles ainsi qu’aux membres des autres formations supplétives et assimilées de l’armée française,

(Renvoyée à la commission de la défense nationale et des forces armées, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Zahia HAMDANE, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, M. Emmanuel FERNANDES, M. Damien GIRARD, M. David GUIRAUD, Mme Florence HEROUIN-LÉAUTEY, M. Aurélien LE COQ, Mme Alexandra MARTIN, M. Richard RAMOS, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, M. François RUFFIN, M. Aurélien SAINTOUL,

députées et députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Malgré leur engagement militaire et leur loyauté envers la République française, la plupart des Harkis n’ont jamais été reconnus comme citoyens français à part entière. Beaucoup ont été considérés comme des étrangers, sans statut clair ni droits sociaux. Tout semble avoir été mis en œuvre pour compliquer leur intégration, à commencer par l’ordonnance n° 62‑825 du 21 juillet 1962 qui a restreint à une période limitée la possibilité pour les anciens « Français musulmans d’Algérie » de conserver la nationalité française sous réserve d’en faire la demande formelle. Il s’agissait purement et simplement d’une déchéance de nationalité, volontaire et politique et, durant ce laps de temps, leurs droits, leur liberté de circuler et leur accès à l’information ont été gravement entravés. Ceux qui ont pu retrouver leurs papiers après de longues démarches administratives n’ont souvent eu accès qu’à des droits limités et aux services de base. Ce déni de citoyenneté constitue une profonde injustice qui empêche jusqu’à aujourd’hui les Harkis et leurs descendants de trouver leur place dans la société.

La guerre d’Algérie (1954‑1962) a laissé des blessures profondes des deux côtés de la Méditerranée. Au cœur de cette histoire complexe et douloureuse, les Harkis – des citoyens français privés de droits politiques effectifs, ayant servi dans l’armée française pendant la guerre d’indépendance algérienne – ont payé un lourd tribut. Leur engagement pour la France les a exposés, eux et leurs familles, à de terribles représailles après l’indépendance de l’Algérie en 1962. Pour échapper aux massacres, nombre d’entre eux ont été contraints de fuir vers la France, avec l’espoir d’une vie meilleure et d’une reconnaissance pour les services rendus à la France et le sacrifice de leur histoire, de leurs liens familiaux et amicaux et de l’exil. Car de nombreuses familles algériennes ont été déchirées de l’intérieur par cette guerre qui a contraint leurs membres à choisir un camp.

Dans de nombreux départements français, les Harkis et leurs familles ont été accueillis dans des conditions précaires et le plus souvent indignes. Souvent parqués dans des camps de fortune comme celui de Saint‑Maurice‑lès‑Roye, ils ont été logés dans des baraquements ou des logements provisoires, éloignés des centres urbains et privés des moyens de s’intégrer pleinement à la société française. La découverte récente du transfert de corps d’enfants inhumés dans le camp de Rivesaltes vers le cimetière de Saint‑Saturnin en 1986, et la déclaration d’un officiel sur l’existence de meurtres sur lesquels aucune enquête ne fut menée dans le camps, a déclenché une saisine du Procureur adjoint de la République au titre de l’article 40 de procédure pénale. Cette affaire illustre à nouveau combien les Harkis étaient traités comme des « sous‑français ». Ce déracinement, ajouté à la méfiance d’une partie de la société française, les a enfermés dans une marginalisation durable. Rejetés par leur pays d’origine, exclus par leur pays d’adoption, ils ont subi une double peine.

Aujourd’hui encore, les Harkis ayant été internés dans les camps et leurs enfants poursuivent le combat pour que soit reconnue leur histoire. Des associations locales et nationales se sont formées et œuvrent pour que la souffrance et l’engagement des Harkis et de leurs familles soient enfin reconnus à leur juste valeur et que l’accès à la citoyenneté française leur soit garanti. Français de naissance, les enfants de Harkis restent marqués par le stigmate de la relégation de leurs parents et se battent pour honorer la mémoire de ceux qui par fidélité à la France ont payé un prix exorbitant.

Plusieurs lois ont tenté de réparer cette injustice, notamment la loi n° 2022‑229 du 23 février 2022 qui a reconnu la responsabilité de la France et prévu une indemnisation pour les victimes des conditions d’accueil dans les camps et hameaux de forestage. Cette loi est néanmoins incomplète et insuffisante et ne prend pas en compte l’ampleur des préjudices subis par les Harkis et leurs familles.

L’abandon et les traitements inhumains et dégradants infligés aux rapatriés et aux supplétifs ayant combattu dans les harkas, largement documentés, ont été condamnés par la Cour européenne des droits de l’homme en avril 2024. Le constat dressé par l’arrêt Tamazount c. France du 4 avril 2024 est sans appel : les indemnisations actuelles restent symboliques et ne compensent pas pleinement les torts causés.

L’histoire des Harkis témoigne de la complexité des liens entre la France et ses anciennes colonies. Une reconnaissance juste de leur engagement par un geste citoyen fort permettrait de réparer en partie cette injustice et d’apaiser une douleur qui ne passe pas depuis des décennies.

Réorganiser la Commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les Harkis (CNIH) et de leurs familles, victimes des politiques d’abandon et de relégation dans des camps en France, constituera un pas supplémentaire dans le processus de réparation et le travail de mémoire. Cela permettra à la France de reconnaître sa responsabilité dans ces crimes et de se conformer enfin aux principes d’Égalité et de Fraternité qui ont si longtemps été refusés aux citoyens Harkis.

Cette proposition de loi vise à aller au‑delà des mesures existantes en renforçant l’indemnisation des Harkis et la reconnaissance pleine et entière de leur citoyenneté. Il s’agit d’une œuvre de justice et de reconnaissance pour celles et ceux qui ont servi notre pays dans une période sombre de son histoire. Il s’agit également d’une démarche nécessaire pour nous mettre en conformité avec le droit européen. Notre pays pourrait de nouveau être condamné pour les mêmes faits en l’absence d’un changement du cadre juridique.

L’article 1er établit une revalorisation des sommes indemnisées aux harkis et à leurs descendants. Conformément à l’arrêt Tamazount c. France du 4 avril 2024, cet article intègre les catégories de préjudices identifiées par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire du camp de Bias et de les étend aux autres camps de relégation. Cette revalorisation s’appuie sur les violations des articles 3, 5 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi que de l’article 1er du Protocole n° 1, établi par la CEDH.

L’article 2 précise les modalités d’indemnisations de l’article 1 en définissant la fonction de la CNIH, pour permettre l’indemnisation en fonction de la durée et des conditions de vie de chaque citoyen dans les camps de relégation. Conformément à l’arrêt Tamazount, il est indiqué que les préjudices subis par les harkis doivent être évalués en tenant compte de l’ensemble des souffrances infligées à chaque individu. Cela inclut la détention arbitraire, le non‑versement direct des prestations sociales, la maltraitance par le personnel des camps, ainsi que le manque d’hygiène et d’accès aux soins.

L’article 3 réorganise la composition de la commission nationale d’indemnisation afin d’y inclure des personnalités issues de la population harkie et de leurs familles. En ajoutant des représentants harkis, cet article vise à leur garantir une voix dans les discussions concernant leur propre indemnisation. Cela permet d’assurer une représentation équitable et de mieux adapter les décisions aux réalités de leurs parcours.

L’article 4 vise à garantir que les demandes d’indemnisation des Harkis et de leurs familles soient traitées dans des délais raisonnables, en mettant en place les moyens humains et matériels nécessaires. Tout retard de plus de 6 mois, à compter de la réception d’un dossier, imputable à un manque de moyens, pourrait constituer une faute et entraîner la responsabilité de l’État, ouvrant ainsi la voie à des recours contentieux. De fait, environ 14 000 dossiers sont en cours de traitement et les effectifs actuels ne permettent pas de les traiter avant que les requérants ne risquent de disparaître. Un plan d’embauche prévoyant au minimum 100 équivalents temps plein (ETP) pourrait être mis en place afin de garantir un traitement rapide des demandes et éviter que les requérants ne disparaissent avant que leurs demandes ne soient traitées.

L’article 5 prévoit la création d’un comité de suivi budgétaire et la présentation d’un rapport annuel sur la gestion l’impact du fonds devant le Parlement.

L’article 6 dispose que la charge pour l’État résultant de la revalorisation de l’indemnisation des Harkis sera compensée par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs, conformément aux dispositions prévues au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services. Cette disposition vise à garantir que le financement de la mesure de revalorisation des indemnités des harkis ne pèse pas directement sur le budget de l’État, mais soit assuré par l’introduction d’une nouvelle taxe.

 


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proposition de loi

Article 1er

Les harkis et leurs descendants ayant résidé dans des camps de relégation où ils ont été soumis à des restrictions de liberté, à des conditions de vie indignes et à des traitements discriminatoires, ont droit à une indemnisation revalorisée. Pour l’ensemble de leur séjour au sein des structures à partir du 20 mars 1962 jusqu’au 31 décembre 1975 inclus. Toute année commencée est intégralement prise en compte.

Sont déduites du montant revalorisé de l’indemnité les sommes déjà perçues en réparation des mêmes chefs de préjudice.

Article 2

L’article 3 de la loi n° 2022-223 du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français est ainsi rédigé :

« Art. 3. – Il est institué une commission nationale d’attribution de l’indemnisation des Harkis et de leurs familles victimes des politiques d’abandon et de relégation dans des camps en France. Par ses délibérations, la commission arrête le montant de la réparation intégrale individualisée proposée à chaque victime en fonction de la durée et des conditions de vie dans les camps d’accueil. »

Article 3

L’article 4 de la loi n° 2022-223 du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français est ainsi rédigé :

« Art. 4. – La commission nationale dattribution de lindemnisation des harkis et de leurs familles victimes des politiques dabandon et de relégation dans des camps en France a le statut dautorité administrative indépendante.

« Elle est composée de :

« 1° Un député et un sénateur ;

« 2° Un membre du Conseil d’État, un membre de la Cour des comptes et un magistrat de la Cour de cassation ;

« 3° Trois représentants de l’État désignés par le Premier ministre ;

« 4° Deux personnalités universitaires qualifiées en raison de la connaissance de lhistoire des harkis ;

« 5° Trois personnalités issues de la population des harkis et de leurs familles ;

« Les membres de la commission sont désignés pour une durée de cinq ans par décret du Premier ministre. »

Article 4

Les moyens humains et matériels nécessaires pour traiter, dans un délai maximum de six mois après la première saisine, les demandes formulées auprès de la Commission nationale d’attribution de l’indemnisation des Harkis et de leurs familles victimes des politiques d’abandon et de relégation dans les camps en France, sont mis en place. Un minimum de 100 équivalents temps plein assurent la bonne gestion des demandes. Tout dépassement de ce délai, dû à un défaut de moyens mis en œuvre, peut engager la responsabilité de l'État et donner lieu à des recours contentieux pour carence fautive.

Article 5

I. – Un comité de suivi budgétaire, composé de représentants de l’État, du Parlement, des associations de Harkis et d’experts indépendants, est chargé d’évaluer l’utilisation des fonds et de proposer des ajustements si nécessaire.

II. – Un rapport annuel sur la gestion et l’impact du fonds est présenté devant le Parlement et rendu public.

Article 6

La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.