N° 1336

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 avril 2025.

PROPOSITION DE LOI

visant à lutter efficacement contre le gaspillage immobilier,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Lionel CAUSSE, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Emmanuel GRÉGOIRE,

députés et députée.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En France, le secteur de l’immobilier fait face à un double phénomène massif (et sous‑estimé) de vacance et d’obsolescence. Plusieurs centaines de milliers de bâtiments restent inoccupés, partiellement ou totalement, jusqu’à 10 % des bâtiments dans les grandes métropoles françaises et ce malgré un besoin croissant de logement, d’hébergement et de locaux de travail pour les structures de l’Économie sociale et solidaire (ESS). Cet état de fait n’est pas seulement une incohérence économique, mais également un gâchis environnemental et social dans un contexte où la crise du logement et la précarité de nombreux publics demeurent des priorités pour la société française, et où de nombreuses structures de l’économie sociale et solidaire peinent à trouver des locaux abordables pour exercer leurs activités. 

Contrairement aux crises immobilières précédentes, tout indique que cette vacance va se pérenniser, alimentée par la pratique du télétravail et les mutations démographiques, annonçant le ralentissement de la tertiarisation de l’économie. 

Face aux défis de l’inflation, de l’exclusion sociale, de la crise climatique et de l’injustice spatiale, chaque mètre carré vacant ou sous‑occupé doit être mobilisé comme une ressource d’utilité sociale pour répondre aux besoins de logement, d’accompagnement social et de développement de l’Économie Sociale et Solidaire. Plusieurs pays européens à l’instar de l’Espagne, des Pays‑Bas, de la Belgique ou encore du Danemark ont mis en place des politiques publiques innovantes pour lutter contre la vacance immobilière, en cherchant à transformer ces espaces vacants pour répondre aux besoins de logements, de bureaux partagés ou d’initiatives sociales. L’ensemble de ces initiatives ont fait leur preuve et doivent servir d’inspiration pour améliorer les pratiques françaises. 

Cette proposition de loi a pour objectif de lutter activement et efficacement contre le gaspillage immobilier, en rendant possible l’utilisation des bâtiments vacants pour des solutions d’hébergement ou de mise à disposition pour des structures de l’Économie Sociale et Solidaire et les associations d’intérêt général en créant notamment des espaces économiques de transition. Elle propose la mise en œuvre d’une série de mesures graduées pour mobiliser efficacement le parc immobilier économique vacant et non productif, c’est‑à‑dire les immeubles vides appartenant à des personnes morales, qui ne vont pas faire l’objet de transformation avant plusieurs années. 

Le gaspillage immobilier se caractérise d’abord par les espaces laissés vacants, ou les espaces abandonnés qui ont été construits et ont fait l’objet d’une activité. De manière moins évidente, le gaspillage immobilier concerne aussi les bâtiments exploités en dessous de leur capacité d’occupation et/ou d’utilisation durant certaines heures du jour mais aussi la nuit et/ou durant certaines périodes de l’année, comme les vacances scolaires. Cette sous‑utilisation et ces « temps morts » sont pourtant autant d’opportunités pour accueillir plus d’usages sans devoir construire.

À ce titre, l’intensité d’usage ou intensité des usages se manifeste par la caractérisation du taux d’usage d’un bâtiment ou d’un espace. On considère par ailleurs l’intensification des usages tel que le fait d’augmenter le taux d’utilisation (c’est‑à‑dire la part du temps pendant laquelle le lieu est utilisé) et/ou le taux d’occupation d’un espace (c’est‑à‑dire la part des personnes présentes sur un site à un instant donné). L’hybridation, la mutualisation, la chronotopie ou encore la réversibilité sont quelques‑uns des grands leviers qui permettent d’intensifier les usages des bâtiments et des espaces. La notion d’hybridation consiste à utiliser un espace pour plusieurs usages (exemple : une salle de classe qui devient salle de sport le soir pour les riverains).

Grâce à la mobilisation de cet immobilier disponible, dont une majorité ne pourra pas être transformée à court et moyen terme et restera vide sans politiques publiques dédiées, il est possible de générer des espaces dédiés à la transition de l’économie et à la solidarité. 

Les objectifs de cette Proposition de loi sont les suivants : 

1. Mesurer la vacance 

Pour lutter efficacement contre le gaspillage immobilier, il convient dans un premier temps de mesurer efficacement son ampleur. Si différents indicateurs existent, les données ne sont pas efficacement transmises aux collectivités ni rendues publiques. Il conviendrait de prévoir de rendre public annuellement un état du parc immobilier vacant en zone tendue, en distinguant le résidentiel et le non‑résidentiel, par le biais des collectivités qui disposent de la compétence en matière d’urbanisme.

2. Intégrer davantage la mobilisation prioritaire de la vacance au profit des acteurs de l’économie sociale et solidaire dans les documents de planification urbaine

En l’état actuel du droit, les plans locaux d’urbanisme et cartes communales doivent notamment tenir compte de la capacité à mobiliser effectivement les locaux vacants pour ouvrir à l’urbanisation des espaces naturels, agricoles ou forestiers. 

Toutefois cette disposition ne peut à ce jour produire pleinement ses effets en l’absence de définition de la vacance et d’état des lieux chiffré. La proposition consiste donc à intégrer dans le code de l’urbanisme une définition de la vacance et à obliger les autorités compétentes en matière de plan local d’urbanisme à en faire l’inventaire dans le rapport de présentation. 

Afin que la mobilisation de ces locaux puisse permettre le développement de l’économie sociale et solidaire, il est proposé de préciser l’objectif de diversité des fonctions urbaines et rurales et la mixité sociale dans l’habitat devant être au cœur de l’action des collectivités publiques en matière d’urbanisme (article L. 101‑2 du code de l’urbanisme).

3. Faciliter la mobilisation de ces immeubles vides 

Il s’agit de créer un cadre incitatif et protecteur pour les propriétaires d’immeubles vacants afin de convaincre les propriétaires privés et publics de s’engager dans la mise à disposition de leur bien vide à des acteurs de l’ESS. Pour ce faire, il est proposé d’étendre la durée des baux dérogatoires lorsqu’ils permettent de louer des locaux vacants à des acteurs de l’économie sociale et solidaire, pourvu que le loyer soit fixé à un montant sensiblement inférieur aux conditions de marchés.

Il conviendrait par ailleurs, en zone tendue, de donner plus de pouvoirs aux élus locaux en vue de la mobilisation d’immeubles vides non résidentiels : 

– en élargissant le droit actuel de réquisition par les préfets aux maires ;

– aux fins d’accueillir des usages relevant de l’économie sociale et solidaire : activités associatives ou coopératives, et activités d’hébergement notamment.

4. Optimiser l’utilisation des espaces bâtis par la diversification des usages

Les bâtiments et les différents espaces de la ville, qu’ils soient publics ou privés, sont largement sous‑utilisés si l’on prend en compte les moments auxquels ils sont mobilisés : le taux d’usage moyen est de l’ordre de 20 %. Ce phénomène est d’autant plus marqué si l’on tient compte des épisodes de vacance, même de courte durée, qui peuvent se produire au cours de la vie d’un immeuble.

Ces périodes d’inutilisation permettraient pourtant d’accueillir de nouveaux usages, qui trouveraient ainsi une place dans la ville sans construire davantage. Cela présente des avantages écologiques et économiques, mais favorise également une plus grande mixité fonctionnelle, au cœur des politiques publiques depuis de nombreuses années. Cette intensification des usages se heurte pourtant au droit de l’urbanisme, qui n’a pas été conçu pour appréhender la pluralité d’usages d’un même local. Ainsi, les PLU ne peuvent pas adopter de règles favorisant l’ajout d’usages à un bâtiment en complément de son usage principal. De plus, du point de vue des autorisations d’urbanisme requises, la mise en place d’usages complémentaires peut, dans certains cas, être subordonnée à des formalités préalables au titre du droit de l’urbanisme, alors même que, dans différents cas, l’usage complémentaire ne se substitue pas à la destination initiale.

Afin de favoriser l’intensification des usages des bâtiments existants, il convient d’adapter le droit de l’urbanisme, de sorte à permettre au règlement de prendre des dispositions encourageant l’ajout d’usages complémentaires, et à adapter les règles relatives aux autorisations d’urbanisme. De ce point de vue, quatre types d’intensification doivent être distingués :

– l’intensification des usages consiste à ajouter une activité identique à l’activité principale.

– l’intensification d’usage correspond à une utilisation ponctuelle à certaines heures de la journée, sans modification de la destination du bien.

– l’intensification d’usage correspond à une utilisation du bien sûr une période continue plus ou moins longue, pour une autre destination.

– l’intensification d’usage constitue un changement de destination ou de sous‑destination provisoire qui se substitue totalement à la destination initiale et qui va au‑delà des délais de la précédente hypothèse.

 


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proposition de loi

CHAPITRE 1er

DE LA LUTTE CONTRE LA VACANCE STRUCTURELLE
DES BÂTIMENTS

Article 1er

I. – L’article L. 145‑5 du code de commerce est complété par un alinéa ainsi rédigé : 

« Les biens immobiliers vacants constituent un potentiel d’utilité sociale que l’État, les collectivités locales et les structures de l’économie sociale et solidaire doivent pouvoir utiliser pour remplir des fonctions d’intérêt général et d’utilité sociale, au service des politiques publiques, notamment en faveur du développement du logement, de l’hébergement et des espaces économiques de transition écologique et sociale. Lorsque le bail conclu conformément au premier alinéa porte sur des locaux vacants au sens de l’article L. 111‑26‑1 du code de l’urbanisme, la durée totale du bail ou des baux successifs peut atteindre soixante‑douze mois, pourvu que les conditions suivantes soient cumulativement respectées :

« – le loyer est inférieur de 80 % par rapport au loyer de marché ou à la valeur locative prise en compte dans la valeur d’expertise des locaux, pour la période allant au‑delà de la période initiale de 36 mois ;

« – le preneur est une entreprise de l’économie sociale et solidaire au sens de l’article 1er de la loi n° 2014‑856 relative à l’économie sociale et solidaire. »

II. – La section 1 bis du chapitre VI du titre II du livre Ier du code de la construction et de l’habitation est complétée par un article L. 126‑6‑2 ainsi rédigé :

« Art. L. 12662. – Les établissements publics de coopération intercommunale publient tous les trois ans un baromètre de la vacance immobilière précisant le nombre de mètres carrés vacants en fonction de leur destination. »

III. – Au dernier alinéa de l’article L. 135 B du livre des procédures fiscales, après le mot : « propre », sont insérés les mots : « ainsi que, à leur demande, aux services de l’État intéressés en matière d’aménagement et d’environnement, ».

IV. – Le livre Ier du code de l’urbanisme est ainsi modifié :

1° Le 3° de l’article L. 101‑2 est complété par les mots : « , ainsi que de l’objectif de développement de l’économie sociale et solidaire au sens de l’article 1er de la loi n° 214‑856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire » ;

2° La section 8 du chapitre Ier du titre Ier du livre Ier est ainsi modifiée :

a) L’intitulé est complété par les mots « et locaux vacants » ;

b) L’article L. 111‑26 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Est considéré comme vacant tout local inutilisé depuis plus de vingt‑quatre mois ou, s’il est à usage d’habitation, depuis plus de douze mois, et qui ne répond pas aux conditions définies au premier alinéa. » ;

3° À la dernière phrase du premier alinéa de l’article L. 141‑3, après le mot : « friches », sont insérés les mots : « et des locaux vacants » ;

4° L’article L. 151‑4 est complété par un alinéa ainsi rédigé : 

« Le rapport de présentation établit un inventaire du nombre de mètres carrés vacants en fonction de leur destination. »

Article 2

Le titre IV du livre VI du code de la construction et de l’habitation est ainsi modifié :

1° À l’article L. 641‑5, après le mot : « département », sont insérés les mots : « ou par le maire » ;

2° Au premier alinéa de l’article L. 642‑1, le mot : « peut » est remplacé par les mots : « ainsi que le maire peuvent » ;

3° Au premier alinéa de l’article L. 642‑5, après le mot : « département », sont insérés les mots : « ou par le maire » ;

4° Au premier alinéa de l’article L. 642‑7, le mot : « peut » est remplacé par les mots : « ainsi que le maire peuvent » ;

5° À l’article L. 642‑8, après le mot : « département », sont insérés les mots : « ainsi qu’au maire » ;

6° Le premier alinéa de l’article L. 642‑9 est ainsi modifié :

a) La première et deuxième phrases sont supprimées ;

b) Au début de la dernière phrase, les mots : « Le représentant de l’État dans le département notifie » sont remplacés par les mots : « Le maire ou le représentant de l’État dans le département notifient » ;

7° L’article L. 642‑10 est ainsi modifié :

a) Le premier alinéa est complété par les mots : « ainsi qu’au maire » ;

b) La première phrase du 3° est complétée par les mots : « ainsi qu’au maire » ;

8° Au premier alinéa de l’article L. 642‑11, le mot : « notifie » est remplacé par les mots : « ainsi que le maire notifient » ;

9° L’article L. 642‑12 est ainsi modifié :

a) Le premier alinéa est complété par les mots : « ou du maire » ;

b) Au second alinéa, le mot : « peut » est remplacé par les mots : « ainsi que le maire peuvent ».

CHAPITRE 2

DE LA LUTTE CONTRE LA SOUS‑UTILISATION
DES BÂTIMENTS EN INTENSIFIANT LES USAGES

Article 3

I. – L’article L. 112‑13 du code de la construction et de l’habitation est ainsi modifié :

1° Au début du premier alinéa, est ajoutée la mention : « I. – » ;

2° Il est ajouté un II ainsi rédigé :

« II. – Les dérogations prévues au I peuvent être accordées, dans les mêmes conditions, pour les demandes de destinations additionnelles ou accessoires mentionnées au II de l’article L. 152‑16 du code de l’urbanisme. »

II. – Le code de l’urbanisme est ainsi modifié : 

1° L’article L. 151‑16 est ainsi modifié :

a) Au début du premier alinéa, est ajoutée la mention : « I. – » ;

b) Il est ajouté un II ainsi rédigé :

« II. – Afin de favoriser une meilleure utilisation des espaces bâtis, le règlement peut autoriser des destinations additionnelles ou accessoires à la destination principale d’un bâtiment. » ;

2° Au premier alinéa de l’article L. 421‑5, après le mot : « installations », sont insérés les mots : « , changements de destination » ;

3° L’article L. 421‑8 est ainsi modifié :

a) Les mots : « constructions et des travaux » sont remplacés par les mots : « opérations » ;

b) Après le mot : « installations », sont insérés les mots : « , changements de destination ».

CHAPITRE 3

RECEVABILITÉ FINANCIÈRE

Article 4

La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.