N° 5051
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 février 2022.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
relative au droit de vote à 16 ans aux élections municipales,
présentée par Mesdames et Messieurs
David CORCEIRO, Erwan BALANANT, Philippe BERTA, Christophe BLANCHET, Yolaine de COURSON, Jean‑Pierre CUBERTAFON, Marguerite DEPREZ‑AUDEBERT, Nadia ESSAYAN, Bruno FUCHS, Maud GATEL, Brahim HAMMOUCHE, Cyrille ISAAC‑SIBILLE, Mohamed LAQHILA, Sophie METTE, François PUPPONI, Michèle de VAUCOULEURS,
députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Cette proposition de résolution vise à reconnaître la place qu’occupent les jeunes dans la vie citoyenne de notre pays. Alors qu’ils sont plus d’un million et demi, qu’ils démontrent quotidiennement leur envie d’engagement, les jeunes de 16 à 18 ans sont insuffisamment associés au processus de décision dans notre système démocratique.
Nous ne pouvons que nous réjouir de voir le caractère démocratique des plus se forger de plus en plus tôt. Cela témoigne d’une prise de conscience de leur responsabilité politique. Au demeurant, tous les grands débats qui traversent notre société ne se conçoivent qu’à l’échelle de plusieurs générations : qu’il s’agisse de la question climatique, de l’avenir de notre modèle social, de la construction européenne, de la place de la France dans le monde, tous ces sujets concernent en premier lieu les jeunes.
Or, la reconnaissance que leur accorde le monde politique est inversement proportionnelle à leur motivation à s’engager, à prendre toute leur part dans la vie de la cité.
Il revient dès lors aux responsables politiques de considérer la dimension transgénérationnelle des décisions qu’ils doivent prendre en s’adressant aux jeunes et, plus encore, à reconnaître la place qui est la leur dans notre République.
À cette fin, cette résolution vise à avancer sur le chemin de la reconnaissance du droit de vote dès 16 ans aux élections municipales, qui pourrait être un premier levier pour les insérer dans la vie démocratique de notre pays.
Comme en 1974, l’impératif de s’adapter à l’évolution de notre société
La dernière réforme de la majorité électorale date de 1974, à l’initiative du Président Valéry Giscard d’Estaing, qui avait abaissé la majorité de 21 à 18 ans. La réforme répondait d’une part à la volonté de combler notre retard par rapport aux autres pays européens, et d’autre part à une demande générationnelle qui s’était très largement exprimée en mai 1968. Elle entendait apporter une réponse concrète aux jeunes d’alors, suivant aussi une certaine logique. À 18 ans, les hommes étaient appelés au service militaire, ce qui constituait un devoir vis‑à‑vis de leur nation ; ils pouvaient porter une arme, mais ils ne pouvaient pas voter. Aujourd’hui, un jeune de 16 ans est responsable pénalement. Pourquoi ne serait‑il pas capable d’exercer son droit de vote de manière responsable ?
Par ailleurs, nous devons prendre garde à ce que l’évolution démographique en France et en Europe ne conduise à une marginalisation des jeunes dans le dispositif démocratique, les représentants politiques s’adressant davantage aux citoyens plus âgés. En effet, en France, les plus de 65 ans représentent 20 % de la population, quand les jeunes de 18‑29 ans n’en représentent que 13 %. Combattre le décrochage politique des jeunes, c’est d’abord faire en sorte que les élus s’adressent davantage à eux, y compris en proposant des politiques publiques ciblées.
Les jeunes d’aujourd’hui sont‑ils informés de la même manière que les jeunes de mai 1968 ? Ils le sont bien davantage. Avec le développement des nouvelles technologies, l’information circule à une vitesse décuplée. Les réseaux leur permettent à la fois d’apprendre et de se mobiliser virtuellement, mais aussi de se réunir physiquement – ce que révèle la participation massive des jeunes aux récentes manifestations. Pourtant, leur engagement civique ne se répercute pas dans les urnes. Ainsi, leur permettre de s’exprimer dès l’âge de 16 ans, c’est créer une habitude du vote, et faire de ces citoyens de futurs votants assidus.
Une orientation européenne
Le 23 juin 2011, le Conseil de l’Europe, en réaction à la montée de l’abstention en Europe et en particulier des 18‑24 ans, a adopté une résolution ([1]), dans laquelle il demande aux États membres d’étudier la possibilité d’abaisser l’âge du droit de vote à 16 ans dans tous les pays et pour tout type d’élections. Le Conseil de l’Europe rappelle que « plus la proportion de la société qui participe aux élections est importante, plus les élus sont représentatifs. », et estime qu’une meilleure participation électorale contribuerait à « sensibiliser les jeunes à la responsabilité qui leur incombe de définir leur place et leur rôle dans la société ».
Le 11 novembre 2015, le Parlement européen a lui aussi adopté une résolution ([2]) en ce sens, préconisant l’harmonisation de l’âge minimal des électeurs à 16 ans, afin de garantir une plus grande égalité entre les citoyens de l’Union lors des élections.
Comme l’ont montré nos pays voisins, abaisser le droit de vote à 16 ans a un impact positif sur la participation politique des jeunes. Néanmoins, pour être efficace, la mesure doit impérativement être accompagnée d’un enseignement civique renforcé pour apprendre aux jeunes électeurs à voter en conscience.
Installer une habitude démocratique.
À 16 ans, l’ancrage au sein de la municipalité est fort. Le jeune homme ou la jeune femme vit encore dans le foyer familial et, souvent, est encore scolarisé. Il est donc moins mobile qu’un jeune de 18‑20 ans, qui a quitté le foyer pour poursuivre ses études ou se lancer dans la vie professionnelle, et qui, de facto, s’est éloigné de son bureau de vote. Ainsi, ces conditions rendent plus aisé l’accompagnement éducatif dans les cercles scolaire et familial. Par ailleurs, plus les jeunes attendent pour participer à la vie politique, moins ils s’engagent à l’âge adulte ; les diverses expériences en la matière prouvent ainsi, que lorsqu’un jeune vote trois fois d’affilée, ce dernier a plus de chances de devenir un votant assidu pour le reste de son parcours civique ([3]).
Accorder le droit de voter aux élections municipales
Accorder le droit de vote aux élections municipales dès 16 ans, permettrait de proposer aux jeunes de s’exprimer sur des problématiques qu’ils connaissent : ils pratiquent leur ville, ses commerces, ses espaces verts, ses associations, ses infrastructures culturelles et sportives, ses structures scolaires. Ainsi, les jeunes peuvent facilement créer des contacts avec les responsables et suivre la réalisation des programmes : en somme, ils s’expriment sur des éléments qui impactent très concrètement leur quotidien.
Abaisser l’âge du droit de vote à 16 ans pour les élections municipales, c’est donner la parole à nos jeunes et de leur faire confiance. C’est rétablir l’équilibre entre les générations. C’est former et accompagner de futurs citoyens, capables de comprendre les enjeux démocratiques. C’est lutter contre la déconnexion politique des jeunes et couper court à leur abstention. C’est modifier le visage de nos communes. Pour toutes ces raisons, le débat mérite d’être ouvert.
proposition de rÉsolution
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34‑1 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Considérant qu’il est du devoir du Gouvernement d’œuvrer à des initiatives en faveur de la participation des jeunes, à la vie démocratique, politique et institutionnelle, et de veiller à ce que les jeunes soient préparés à participer à la vie civique ;
Considérant que plus la proportion de la société qui participe aux élections est importante, plus les élus sont représentatifs ;
Soulignant que les 16‑17 ans exercent déjà des responsabilités au sein de la société, mais sans avoir le droit de vote ;
Invite le Gouvernement à :
I. Mettre en place des initiatives afin de former et accompagner les futurs citoyens, capables de comprendre les enjeux démocratiques et de créer les conditions préalables nécessaires à la participation des jeunes à partir de 16 ans à la vie civique par un accompagnement scolaire renforcé et la promotion de l’engagement au service de la collectivité ;
II. Examiner la nécessité de donner un plus grand espace d’expression aux préoccupations de la jeune génération, de lutter efficacement contre le danger de l’exclusion des jeunes et faciliter leur intégration dans les structures de la société ;
III. Étudier la possibilité d’abaisser l’âge de vote à 16 ans pour les prochaines élections municipales.
([1]) Sur le renforcement de la démocratie par l’abaissement de la majorité électorale à 16 ans.
([2]) Dans le cadre de la réforme de la loi électorale de l’Union Européenne.
([3]) Tournier, Vincent. « Comment le vote vient aux jeunes. L’apprentissage de la norme électorale », Agora débats/jeunesses, vol. 51, n° 1, 2009, pp. 79‑96.