N° 2614

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 mai 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à mieux évaluer les risques en termes de sécurité routière de la conduite sous l’effet de médicaments,

 

présentée par

Mme Béatrice DESCAMPS,

députée.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Si les Français ont tendance, ces dernières années, à diminuer leur consommation de médicaments – après avoir été, dans les années 2000, identifiés comme les plus gros consommateurs de produits pharmaceutiques d’Europe – l’évolution des habitudes de médication ne suffit pas à effacer leurs conséquences souvent sous‑estimées en matière de sécurité routière.

L’Agence nationale de Sécurité du médicament et des produits de santé indique que sur les 9000 spécialités pharmaceutiques commercialisées en France, 3000 sont susceptibles d’avoir un effet sur la conduite. Un médicament sur trois affecte donc de facto la capacité à conduire un véhicule, et un médicament sur cinquante contre‑indique catégoriquement le fait de prendre le volant.

Indépendamment de la maladie qu’ils traitent, certains médicaments peuvent occasionner de la somnolence, une baisse de vigilance, des vertiges, des troubles de l’équilibre, des troubles de la vue, des tétanies ou des spasmes musculaires, ou encore une modification du comportement – euphorie, agitation – et de la capacité à percevoir les risques. C’est notamment le cas des anxiolytiques, des antidépresseurs, des somnifères, et bien d’autres produits de consommation très courante.

À titre d’exemple, d’après les chiffres du Gouvernement ([1]), plus de 11 millions de Français consomment des benzodiazépines au moins une fois dans l’année – or ce produit, comme tous ses dérivés, est strictement contre‑indiqué pour la conduite de véhicules.

En 2003, le Directeur général de la Santé, dans le cadre du programme d’actions défini par le Comité interministériel de la sécurité routière (CISR), a chargé l’Agence nationale de sécurité sanitaire, anciennement l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, d’élaborer une classification des médicaments en fonction de leurs effets avérés sur la capacité à conduire un véhicule et de mettre en place un système de pictogrammes facilement identifiables sur les contenants des produits pharmaceutiques. Cette classification a été réactualisée à plusieurs reprises et s’est vue conforter par une étude de novembre 2010 pour évaluer l’impact de la consommation de médicaments sur le risque d’accidents, étude produite conjointement par l’Agence nationale de sécurité sanitaire, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), la Caisse nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés, et l’Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (INRETS) ([2]) et qui estime que près de 3 % des 70 000 conducteurs impliqués dans un accident corporel entre 2005 et 2008 ayant intégré l’étude étaient sous l’effet de médicaments, soit environ 2 100.

Aujourd’hui, on estime que la part des accidents de la route impliquant un automobiliste sous l’effet de médicaments se situe entre 3 et 4 % ([3]).

Le système de pictogramme mis en place depuis 2008 sur les boîtes de médicament se décline en trois couleurs, clairement lisibles : jaune pour les médicaments appelant à la vigilance, orange pour les médicaments nécessitant un avis médical pour pouvoir conduire, et rouge pour les médicaments dont les effets sont trop significatifs pour prendre le volant sans mise en danger du malade et des autres usagers de la route. De plus, l’article L.1111‑2 du code de santé publique, créé par la loi n° 2002‑303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, prévoit explicitement la transmission des informations relatives aux effets des traitements médicamenteux prescrits par le médecin. Dans ce contexte, il semble pertinent de partir du postulat d’une connaissance présumée, par le patient, des effets potentiels de son traitement médicamenteux sur son comportement et ses capacités sensorielles. Quand le volant est pris malgré la prise d’un traitement de niveau 3, donc incompatible avec la conduite, malgré les avertissements du personnel soignant et des indications sur les boîtes de médicaments, l’automobiliste prend un risque à la fois pour lui‑même, pour ses passagers et pour les autres usagers de la route.

Pourtant, rien n’est prévu dans le code de la route pour pénaliser ce risque encouru sciemment. Les infractions existantes sont la conduite sous état alcoolique (article L. 234‑1 du code de la route) et sous état lié à la prise de produits « stupéfiants » (L.235‑1 du même code), ce qui exclut mécaniquement la prise de médicaments, qui a pourtant des effets équivalents sur le comportement et sur les capacités sensorielles.

Il apparaît nécessaire, dans ce contexte, d’une part de se pencher sur l’état des lieux de l’accidentologie routière liée à la prise de médicaments et sur les perspectives de prise en compte de ce phénomène par des dispositifs efficaces et applicables, tant en terme de sensibilisation, de prévention que de répression, notamment par l’intégration de cette incompatibilité oubliée de l’état de l’automobiliste avec la conduite dans le droit positif. Dans ce dernier cadre, il sera absolument indispensable d’aborder le pendant opérationnel de ce dispositif de façon à orienter et faciliter le travail des forces de l’ordre chargées de son application.

Réduire l’accidentologie routière liée à la prise de médicaments incompatibles avec la conduite et diminuer le nombre de victimes potentielles passe par une prise en compte réelle de la dangerosité effective de ce facteur de risques pour la sécurité de l’ensemble des usagers de la route. La présente proposition de résolution a pour objectif d’inviter le gouvernement à envisager des perspectives et à agir en ce sens.

 


– 1 –

proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu les articles L.235‑1 à L.235‑4 du code de la route,

Vu les articles R.235‑1 à R.235‑13 du code de la route,

Vu l’article 11 de la loi n° 2002‑303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, portant création de l’article L.1111‑2 du code de santé publique,

Vu l’article R.5121‑139 du code de la santé publique relatif à l’étiquetage du conditionnement extérieur des médicaments ayant des effets sur la capacité à conduire des véhicules,

Vu l’arrêté du 13 mars 2017 modifiant l’arrêté du 8 août 2008 pris pour l’application de l’article R.5121‑139 du code de la santé publique,

Vu la classification des médicaments susceptibles de retentir sur les capacités de conduite, établie en 2003 et réactualisée depuis, par l’Agence nationale de sécurité sanitaire, anciennement l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, à la demande du directeur général de la santé et dans le cadre du programme d’actions défini par le Comité interministériel de la sécurité routière,

Considérant que l’État, en tant que garant de la sécurité routière sur l’ensemble du territoire, met en place les politiques adéquates permettant de protéger les usagers de la route et l’ensemble de la population ;

Considérant que l’article L.235‑1 du code de la route, en limitant son champ aux substances considérées comme « stupéfiants », exclut de fait l’usage dangereux de médicaments de niveau 3 qui ont pourtant des effets similaires ;

Considérant que l’article L.1111‑2 du code de santé publique fonde le principe de la connaissance présumée, par le malade, des effets du traitement médicamenteux qui lui est prescrit ;

Considérant de plus que l’article R. 5121‑139 du code de la santé publique relatif à l’étiquetage du conditionnement extérieur des médicaments ayant des effets sur la capacité à conduire des véhicules, ainsi que les différents arrêtés établissant la liste des produits médicamenteux concernés, garantissent un étiquetage clair et lisible de la dangerosité de la conduite sous l’effet desdits produits médicamenteux ;

Invite le Gouvernement à évaluer l’impact, en terme de sécurité routière, de la prise de traitements médicamenteux de niveau 3 par les conducteurs et les perspectives, de façon à permettre une meilleure prise en compte des risques induits par ces médicaments en terme de vigilance, de concentration, de lucidité, de capacités sensorielles et de réactivité sur la route ;

Invite le Gouvernement à inscrire dans le code de la route les restrictions adéquates relatives au danger que représente un conducteur sous l’emprise d’un traitement médicamenteux de niveau 3 ou à assimiler les traitements médicamenteux de niveau 3 aux substances interdites par l’article L.235‑1 du code de la route ;

Invite le Gouvernement à étudier des moyens administratifs, techniques et opérationnels efficaces permettant lors des contrôles routiers de détecter ou de suspecter raisonnablement la prise d’un traitement médicamenteux de niveau 3 par un conducteur.

 

 


([1]) Site officiel de la Sécurité Routière :  www.securite-routiere.fr

([2]) Prescription Medicines and the Risk of Road Traffic Crashes : a French Registry-Based Study , novembre 2010, publiée dans la revue PloS Medicine

([3]) Site officiel de l'Agence nationale de Sécurité du Médicament et  des Produits de Santé, juin 2023