N° 179

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 septembre 2024.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à soutenir nos artisans, assurer la pérennité de l’artisanat et renforcer leur rôle dans l’économie française,

 

présentée par

M. Stéphane VIRY,

député.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’artisanat français, souvent qualifié de « première entreprise de France », incarne un savoir‑faire précieux. Avec plus de 250 000 créations d’entreprises en 2023, il continue de jouer un rôle central dans notre économie et notre société. Toutefois, derrière ce chiffre encourageant se cachent des réalités plus complexes, marquées par des défis économiques, sociaux et administratifs qui fragilisent un secteur pourtant essentiel à notre tissu économique local et national.

Les artisans français sont confrontés à une situation économique de plus en plus tendue. La hausse des prix des matières premières, combinée aux difficultés d’approvisionnement dans certains secteurs, pèse lourdement sur les marges des entreprises artisanales. Selon une enquête récente des chambres de métiers et de l’artisanat (CMA), 44 % des artisans estiment que ces pressions économiques pourraient compromettre leur activité à long terme. Ces difficultés, qui ont émergé durant la pandémie de Covid‑19 et se sont aggravées avec la guerre en Ukraine, s’inscrivent désormais dans une réalité économique durable.

Le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), pourtant vital pour l’artisanat, est particulièrement touché. En 2023, ce secteur a enregistré une baisse de 8 % des créations d’entreprises, un chiffre qui interpelle et qui reflète l’impact profond de la crise immobilière et de la hausse des coûts de construction. Ces pressions ne se limitent pas au BTP : l’artisanat de l’alimentation (‑7 %) et de la fabrication (‑5 %) connaissent également un recul inquiétant, révélant une fragilité croissante de ces secteurs pourtant stratégiques.

Le baromètre ISM‑MAAF de 2023 met en lumière une France artisanale de plus en plus fragmentée. Alors que certaines régions, comme le Nord et l’Est, affichent une croissance des créations d’entreprises, d’autres, notamment l’Ouest et le Sud, subissent une baisse significative. Cette fracture territoriale est le reflet d’inégalités économiques et sociales croissantes. Elle soulève des questions sur la répartition des ressources et sur la nécessité d’une politique territoriale plus équilibrée pour soutenir l’artisanat dans les régions les plus touchées.

En parallèle des disparités territoriales qui fragilisent l’artisanat à l’échelle nationale, les inégalités dans la protection sociale des artisans représentent une autre barrière importante, exacerbant les difficultés auxquelles ce secteur doit faire face. En effet, la protection sociale des artisans demeure une autre source de complexité et d’inégalités qui mérite une attention urgente. Malgré la suppression du régime social des indépendants (RSI) en 2020 et l’intégration de la Sécurité sociale des indépendants (SSI) au sein du régime général, les règles de cotisation sociale pour les indépendants n’ont pas été alignées sur celles des salariés, maintenant ainsi une disparité injustifiée. Selon le rapport du Haut Conseil au financement de la Protection sociale, cette iniquité se traduit par des prélèvements sociaux et des droits à la retraite moins avantageux pour les artisans, alors qu’ils perçoivent un revenu net disponible avant impôt équivalent à celui des salariés. Concrètement, un artisan se voit imposer un taux de cotisation supérieur de près de 10 % par rapport à un salarié, tout en assumant des responsabilités et des risques bien plus importants. Cette disparité est d’autant plus problématique que les artisans doivent également gérer des tâches administratives et commerciales sans bénéficier des mêmes garanties et protections qu’un salarié. Pour rétablir l’équité et soutenir l’artisanat, il est nécessaire de repenser et de réformer le système de protection sociale en rattachant pleinement les indépendants au régime général, comme le suggère le Haut Conseil, afin de mettre fin à ces inégalités persistantes.

Le recrutement est également l’un des défis les plus pressants auxquels sont confrontés les artisans aujourd’hui. Près de 80 % des chefs d’entreprises artisanales déclarent avoir du mal à recruter, une situation qui impacte directement leur capacité à répondre à la demande et à développer leur activité. Les causes de cette crise du recrutement sont multiples : manque de main‑d’œuvre qualifiée, dévalorisation de certains métiers, et concurrence accrue d’autres secteurs économiques.

Pour pallier cette pénurie, certaines entreprises artisanales ont recours à des primes à l’embauche pour attirer les candidats. Cependant, cette solution, viable pour les entreprises disposant de marges confortables, est inapplicable pour la majorité des artisans qui doivent déjà composer avec des marges réduites. Cette situation exacerbe les inégalités au sein du secteur et pose la question de la valorisation des métiers artisanaux, tant en termes de rémunération que de conditions de travail.

La question du recrutement est d’autant plus cruciale que l’artisanat est un secteur où la transmission du savoir‑faire est essentielle. La pénurie de main‑d’œuvre qualifiée menace directement la pérennité des métiers artisanaux.

Ainsi, l’apprentissage est un vecteur essentiel de transmission des savoir‑faire. Il permet aux jeunes de se former à des métiers exigeants tout en contribuant à la pérennité de l’artisanat, une filière essentielle pour notre économie. Les réformes engagées depuis 2018 ont permis de redonner de l’élan à cette filière, avec un nombre croissant de jeunes s’orientant vers les métiers de l’artisanat. En 2023, près d’un million de jeunes ont pu accéder à des formations en contrat d’apprentissage ou en contrat de professionnalisation, un chiffre qui témoigne du succès de ces dispositifs.

Cependant, cette dynamique positive est aujourd’hui menacée par des décisions gouvernementales récentes. En avril 2024, un décret a été publié, supprimant l’aide exceptionnelle de 6 000 euros versée aux employeurs qui embauchent des jeunes de moins de 30 ans en contrat de professionnalisation. Cette suppression de la prime à l’embauche, largement décriée par les acteurs de l’artisanat, constitue un coup dur pour les petites entreprises. Ces dernières, déjà fragilisées par le contexte économique difficile, se voient ainsi privées d’un soutien financier pour le recrutement de jeunes en alternance.

Les formations en alternance sont pourtant largement plébiscitées, tant par les jeunes que par les entreprises. Elles offrent une double opportunité : d’une part, permettre aux jeunes d’acquérir une formation professionnelle solide tout en étant directement immergés dans le monde du travail ; d’autre part, offrir aux entreprises la possibilité de former des apprentis qui, une fois leur formation achevée, sont déjà familiarisés avec les exigences du métier et parfaitement intégrés au sein de l’entreprise. En supprimant cette aide, le gouvernement prend le risque d’affaiblir un modèle qui a fait ses preuves et qui est essentiel les métiers artisanaux.

La suppression de la prime à l’embauche risque également d’éroder les bénéfices des réformes de 2018. Sans le soutien financier apporté par la prime à l’embauche, de nombreuses petites entreprises artisanales pourraient se retrouver dans l’incapacité de recruter.

La lutte pour le plein‑emploi passe par un engagement fort en faveur de la formation et de l’insertion professionnelle des jeunes. En ce sens, l’apprentissage ne doit pas être sacrifié sur l’autel des économies.

À ces difficultés économiques et sociales s’ajoute un fardeau administratif de plus en plus lourd. La complexité administrative et l’inflation normative sont depuis longtemps des obstacles majeurs pour les artisans en France. La multiplication des réglementations, des formalités administratives, et des obligations diverses accable les petites entreprises artisanales, qui doivent consacrer une part disproportionnée de leur temps à des tâches bureaucratiques, au détriment de leur cœur de métier. Cette situation est d’autant plus préoccupante que les artisans, par nature, disposent de moins de ressources pour faire face à ces exigences par rapport aux grandes entreprises.

Le coût macroéconomique de cette inflation normative est considérable. Selon les estimations du gouvernement, il s’élève à 60 milliards d’euros par an, soit 3 % du produit intérieur brut (PIB). Ce chiffre colossal illustre à quel point les charges administratives pèsent sur les entreprises, en particulier les plus petites, qui voient leur compétitivité affectée et leur croissance entravée. Pour les artisans, ces contraintes se traduisent par une perte de temps précieux, une augmentation des coûts opérationnels, et souvent, une baisse de leur motivation face à des tâches de gestion de plus en plus complexes.

Devant ces défis, le gouvernement a reconnu la nécessité de simplifier le cadre normatif et de réduire les charges administratives pesant sur les PME et les TPE, qui constituent l’essentiel du tissu économique de l’artisanat. Lors de la journée nationale « Impact PME » du 30 novembre 2023, la Première ministre Élisabeth Borne s’était engagée à mettre en place un « test PME », un dispositif visant à évaluer les conséquences de toute nouvelle norme sur les petites et moyennes entreprises avant son application définitive. Ce test aurait permis d’anticiper les impacts négatifs potentiels des nouvelles réglementations et d’éviter que les PME ne soient soumises à des contraintes trop lourdes sans le recul nécessaire.

Cependant, la mise en œuvre de cette mesure et de bien d’autres ont subi plusieurs retards. Initialement prévue pour juin 2024 lors de l’examen du projet de loi sur la simplification de la vie économique des entreprises, l’application du « test PME » a été repoussée à plusieurs reprises, la dernière en date étant après l’annonce du Président de la République de dissoudre l’Assemblée nationale renvoyant ce projet de loi à une date indéterminée. À ce jour, les projets de simplification administrative semblent être à l’arrêt, malgré l’urgence de la situation. Ce manque de réactivité et ces reports successifs suscitent une inquiétude croissante au sein du secteur artisanal, qui voit dans ces retards un signe de désengagement de l’État face à leurs difficultés quotidiennes.

Pourtant, les demandes des artisans sont claires et urgentes : simplifier le droit du travail et le droit fiscal, notamment en ce qui concerne le système de TVA, ainsi que de faciliter l’accès aux marchés publics. Aujourd’hui, les procédures pour répondre à des appels d’offres publics sont si complexes que de nombreuses petites entreprises renoncent à y participer, se privant ainsi de précieuses opportunités de croissance.

Le retour à l’emploi est une priorité pour notre pays, et l’artisanat peut jouer un rôle clé dans cette dynamique. Cependant, pour que celui‑ci puisse contribuer pleinement à la lutte contre le chômage, il est notamment nécessaire de réformer le RSA de manière à encourager davantage le retour à l’emploi. Le rapport de la Cour des comptes de janvier 2022 souligne que « si le RSA protège de la grande pauvreté, il n’incite pas suffisamment au retour à l’emploi, en particulier pour les travailleurs pauvres et à temps partiel. »

L’expérimentation des 15 heures d’activité en contrepartie du RSA, introduite par la loi « pour le plein emploi », est une initiative prometteuse qui pourrait favoriser le recrutement dans l’artisanat, un secteur où les besoins en main‑d’œuvre sont importants. Il est essentiel que cette expérimentation soit étendue et renforcée, pour permettre aux bénéficiaires du RSA de retrouver le chemin de l’emploi, tout en répondant aux besoins des entreprises artisanales en matière de recrutement.

De plus, il est essentiel que la France renforce ses incitations fiscales en faveur de la transmission d’entreprise. Cette étape est tout aussi importante que la création d’entreprises pour la pérennité de notre économie. Actuellement, le focus du gouvernement sur la création d’entreprises, bien qu’important, néglige l’enjeu de la transmission, notamment dans le contexte du vieillissement des dirigeants de TPE‑PME. Alors que le départ à la retraite de nombreux dirigeants pourrait entraîner la fermeture d’entreprises en l’absence de repreneurs, il est nécessaire de simplifier les processus administratifs et fiscaux qui régissent ces transitions. Maintenir les entreprises en activité au sein de leurs territoires est non seulement vital pour la stabilité économique locale, mais aussi pour l’emploi et la conservation de savoir‑faire essentiels. En outre, la transformation des PME en entreprises de taille intermédiaire (ETI), qui jouent un rôle clé dans la performance économique du pays, nécessite en moyenne 21 ans. Il est donc primordial de faciliter ce passage de relais afin d’éviter la perte de compétences, d’emplois et de compétitivité. Le pacte Dutreil, bien qu’essentiel, reste insuffisant pour de nombreux dirigeants, ce qui souligne l’urgence d’une meilleure sensibilisation et d’un accompagnement renforcé, notamment à l’égard des 25 % de dirigeants âgés de plus de 60 ans, parmi lesquels 11 % ont déjà dépassé les 66 ans. Avec une estimation de 250 000 à 700 000 entreprises à transmettre dans les dix prochaines années, le besoin de modernisation, de simplification et d’incitation fiscale n’a jamais été aussi pressant.

Enfin, il est important d’aborder la question de la digitalisation, un levier indispensable pour l’avenir de l’artisanat. La transformation numérique représente une opportunité majeure pour les artisans, en leur permettant d’améliorer leur visibilité, d’accroître leur compétitivité, et de diversifier leurs sources de revenus. Cependant, cette transition nécessite un accompagnement adapté, notamment en termes de formation aux outils numériques et d’accès à des financements spécifiques.

La digitalisation peut également contribuer à simplifier certaines tâches administratives, en automatisant des processus et en facilitant la gestion quotidienne des entreprises artisanales. Toutefois, pour que cette transformation soit une réussite, il est impératif de garantir que tous les artisans, y compris ceux des zones rurales ou les plus âgés, puissent bénéficier de cet accompagnement. Le risque de fracture numérique est réel, et il convient de le prévenir en soutenant les initiatives locales de formation et d’équipement numérique pour les artisans.

L’artisanat français se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Face aux défis économiques, sociaux, et administratifs, il est urgent de prendre des mesures concrètes pour soutenir ce secteur vital. La reconnaissance du rôle central des artisans dans notre économie doit se traduire par des actions concrètes, rapides et coordonnées, qui répondent aux attentes des chefs d’entreprises et leur permettent de se concentrer sur ce qu’ils savent faire de mieux : créer, innover, et transmettre un savoir‑faire unique.

Tel est l’objet de cette proposition de résolution, qui appelle le Gouvernement à agir concrètement pour répondre aux besoins pressants des artisans français.

 


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proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Considérant que l’artisanat est un pilier essentiel de l’économie française, jouant un rôle important dans la dynamique locale et dans la préservation des savoir‑faire ;

Considérant que les métiers de l’artisanat sont essentiels à chaque Français dans son quotidien et représentent une part importante des entreprises à l’échelle nationale ;

Considérant l’injustice persistante dans la protection sociale des artisans, malgré l’intégration au régime général, creuse une inéquité insupportable par rapport aux salariés ;

Considérant les pressions économiques croissantes subies par les artisans, notamment en raison de l’augmentation des coûts des matières premières et des problèmes récurrents d’approvisionnement, qui compromettent la viabilité financière des petites entreprises artisanales ;

Considérant la difficulté grandissante pour les entreprises artisanales de recruter une main‑d’œuvre qualifiée, situation exacerbée par une perception dévalorisante de certains métiers ;

Considérant la complexité administrative et la surcharge réglementaire qui freinent l’activité des artisans, les obligeant à consacrer une part disproportionnée de leur temps à des tâches bureaucratiques au détriment de leur activité principale ;

Considérant l’importance de maintenir et de renforcer les dispositifs d’apprentissage et d’insertion professionnelle, essentiels à la pérennité des métiers artisanaux et à la transmission des compétences ;

Considérant que de nombreux chefs d’entreprise approchent de l’âge de la retraite et se trouvent confrontés à la complexité de transmettre leur entreprise dans des conditions optimales ;

Considérant que la complexité administrative et fiscale actuelle freine la transmission des entreprises, mettant en péril la survie des TPE‑PME et la continuité des savoir‑faire ;

Considérant le besoin accru d’accompagnement pour permettre aux artisans d’adopter les outils numériques, vecteurs de compétitivité et de modernisation, tout en évitant une fracture numérique au sein de la profession ;

Invite le Gouvernement à :

­ Fusionner le régime des indépendants avec le régime général et harmoniser l’assiette des cotisations ainsi que la CSG, afin de garantir une plus grande équité en matière de prélèvements sociaux entre indépendants et salariés, tout en simplifiant le calcul des cotisations ;

­ Relancer sans délai les travaux de simplification administrative en instaurant rapidement le « Test PME » pour évaluer l’impact des nouvelles réglementations sur les petites entreprises, ainsi que poursuivre les réflexions sur la simplification relatives à la TVA et aux marchés publics ;

­ Mettre en place de nouveaux dispositifs fiscaux pour alléger la taxation sur les dividendes des artisans, permettant ainsi de revaloriser leurs revenus et de garantir qu’ils puissent vivre dignement du fruit de leur travail, sans recourir à de nouvelles aides ou subventions ;

­ Réintroduire des incitations financières pour favoriser l’embauche de jeunes dans les métiers artisanaux, en particulier par la restauration de la prime à l’embauche pour les contrats en alternance, afin de lutter contre la pénurie de main‑d’œuvre qualifiée ;

­ Élaborer un programme national pour soutenir la transition numérique des artisans, en incluant des formations dédiées et un accès simplifié aux financements pour l’acquisition de nouvelles technologies ;

­ Poursuivre la réforme du RSA pour encourager davantage le retour à l’emploi, notamment en étendant l’expérimentation des 15 heures d’activité en contrepartie du RSA, afin de répondre aux besoins de recrutement dans l’artisanat tout en facilitant la réinsertion professionnelle des bénéficiaires.

­ Simplifier les démarches et les dispositifs pour faciliter les transmissions, notamment les reprises par les salariés,

­ Sanctuariser et étendre le « Pacte Dutreil », essentiel pour les transmissions familiales et pour le développement des PME et ETI en France.