N° 1019
_____
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 mars 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
visant à préserver les concessions hydroélectriques françaises d’une mise en concurrence,
(Renvoyée à la commission des affaires européennes)
présentée par
M. Philippe BOLO, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL,
députés.
– 1 –
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
En 2023, l’hydroélectricité représentait environ 12 % de la production d’électricité française ([1]), générant 58,8 térawattheures (TWh) d’électricité sur l’année. La France possède ainsi un parc hydraulique exceptionnel, qui lui permet, ainsi qu’aux autres pays de l’Union européenne, de disposer d’une électricité décarbonée, compétitive et pilotable.
Les installations hydroélectriques d’une puissance supérieure à 4,5 mégawatts (MW) sont soumises au régime de la concession. 70 % du parc hydroélectrique est exploité par Électricité de France (EDF). La Société hydroélectrique du Midi (SHEM) et la Compagnie nationale du Rhône (CNR) sont les deux autres grands exploitants de ces concessions. Conclus pour des durées de 75 ans maximum, ces contrats de concession arrivent progressivement à échéance.
La directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution des contrats de concession, dite « directive Concessions », impose une mise en concurrence pour l’octroi ou le renouvellement des contrats de concession. Jusqu’à présent, la France n’a pas procédé à de telles remises en concurrence. En raison de ce manquement, elle fait l’objet d’une procédure précontentieuse de la Commission européenne, initiée en 2019. Une autre procédure précontentieuse, datant de 2015, porte sur l’abus supposé de position dominante d’EDF sur le marché hydroélectrique français. Ces deux procédures bloquent aujourd’hui de nombreux investissements, pourtant nécessaires au développement de l’hydroélectricité.
Il existe aujourd’hui un très large consensus, tant au sein de la classe politique française que dans la société, pour préserver les ouvrages hydroélectriques français de la mise en concurrence. Leur rôle pour la stabilisation et l’équilibrage du système électrique national et européen est en effet essentiel et devient central pour accompagner l’intégration des autres productions d’électricité renouvelable. Les ouvrages hydroélectriques jouent également une fonction cruciale dans la gestion des différents usages de l’eau, qui est un bien public, et ce d’autant plus que les conséquences du réchauffement climatique font peser une menace croissante sur cette ressource. La gestion des étiages et l’écrêtement des crues ne sont que deux exemples des services rendus par l’hydroélectricité. Le savoir‑faire et le dialogue bâtis par les exploitants historiques autour de leurs concessions permettent de concilier la production hydroélectrique avec les autres multiples usages de l’eau, en constante évolution : alimentation en eau potable, tourisme, navigation, irrigation agricole, refroidissement des centrales nucléaires, etc. Fragmenter le paysage hydroélectrique en l’ouvrant à la concurrence multiplierait le nombre d’acteurs sur un même bassin versant et désoptimiserait la gestion de la ressource en eau, tout en ouvrant des actifs stratégiques, essentiels à notre sûreté, à des opérateurs dont il est difficile de s’assurer sur le long terme de leur adaptabilité aux différentes priorités nationales et territoriales.
La Commission européenne envisage de réviser ses trois directives relatives aux marchés publics et aux concessions. La mission d’information transpartisane consacrée aux modes de gestion et d’exploitation des installations hydroélectriques de la commission des affaires économiques travaille à trouver une solution pour sortir des deux procédures précontentieuses précédemment mentionnées. Mais sans attendre la présentation de ses conclusions, les rapporteurs de la mission d’information transpartisane, soutenus par l’ensemble de ses membres, issus de neuf des onze groupes politiques composant l’Assemblée nationale, souhaitent dès à présent inviter les autorités françaises à travailler à la possibilité d’exclure l’hydroélectricité du champ de la directive « Concessions », en arguant qu’il ne s’agit pas d’un bien comme les autres et que la multiplicité des enjeux que soulève l’exploitation d’un barrage, ainsi que ses conséquences directes sur la gestion de l’eau et la sécurité des biens et des personnes situées en aval justifient un régime spécifique.
– 1 –
proposition de rÉsolution europÉenne
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88‑4 de la Constitution,
Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu les articles 49, 56, 102, 106 et 194 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,
Vu la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution des contrats de concession,
Vu la directive 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE,
Vu le code de l’énergie,
Vu le code de l’environnement,
Vu le code de la commande publique,
Vu les procédures d’infraction en cours n° 2015/2187 et n° INFR(2018)2378 de la Commission européenne à l’encontre de la France,
Considérant l’évaluation engagée par la Commission européenne des trois directives européennes relatives à la commande publique et en particulier de la directive 2014/23/UE sur les contrats de concession ;
Considérant le consensus existant au niveau national pour préserver les ouvrages hydroélectriques de la mise en concurrence ;
Considérant que l’énergie hydroélectrique est une énergie décarbonée indispensable à la transition énergétique, à la sécurité d’approvisionnement et au bon équilibre du système électrique grâce à son caractère pilotable et flexible ;
Considérant les enjeux vitaux de la gestion de la ressource en eau, bien commun, et sa capacité de stockage pour satisfaire les différents usages, et la régulation des crues, enjeux amenés à s’intensifier avec les conséquences du réchauffement climatique ;
Considérant l’importance de la sûreté et de la sécurité des installations hydroélectriques sous concession pour les territoires et les bassins versants en aval, qui font de ces installations des actifs stratégiques pour le pays ;
Considérant le rôle des centrales hydroélectriques pour refroidir les centrales nucléaires et pour prévenir les risques d’inondation de celles‑ci ;
Considérant l’importance d’effectuer de nouveaux investissements dans le secteur hydroélectrique pour l’atteinte des objectifs de politique énergétique nationaux et européens en matière de développement des énergies renouvelables, de production et de stockage d’électricité ;
Considérant que l’ensemble de ces éléments justifient que la production d’énergie hydroélectrique ne soit pas soumise aux règles de droit commun de la concurrence au sein du marché intérieur européen ;
Invite le Gouvernement à défendre l’exclusion des concessions hydroélectriques du champ de la directive 2014/23/UE lors des travaux de révision de celle‑ci.
([1]) Bilan électrique RTE 2023.