N° 1108
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 mars 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
sur la reconnaissance d’un droit fondamental à l’eau et à l’assainissement de qualité au sein de l’Union européenne,
(Renvoyée à la commission des affaires européennes)
présentée par
M. Gabriel AMARD, Mme Anne-Cécile VIOLLAND, M. Hubert OTT, M. Marcellin NADEAU, Mme Chantal JOURDAN, Mme Marie POCHON, M. Olivier SERVA,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La présente proposition de résolution européenne ambitionne de définir une position de l’Assemblée en faveur de la reconnaissance d’un droit fondamental à l’eau et à l’assainissement de qualité dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Alors que le droit à l’eau et l’assainissement, indispensable au vivant, a fait l’objet de plusieurs textes européens et internationaux, il n’a pas été élevé au rang de droit fondamental au sein de l’Union européenne (UE).
La résolution 64/292 relative au droit de l’homme à l’eau et l’assainissement adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 28 juillet 2010 établit en son premier alinéa que : « le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit humain, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme ». Ultérieurement, la résolution A/64/L.63/Rev.1 du 30 septembre 2010 confirme la résolution susmentionnée et précise que : « le droit à une eau potable salubre et propre est un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’homme ».
Cette reconnaissance de ce droit comme fondamental a été fortement plébiscitée par les ressortissantes et ressortissants de l’Union. Lancée le 10 mai 2012, l’initiative citoyenne européenne (ICE) « L’eau et l’assainissement sont un droit humain ! L’eau est un bien public, pas une marchandise ! » (Right2Water) a été signée par presque deux millions de citoyennes et citoyens de l’Union européenne et par conséquent constitue la deuxième ICE ayant obtenu le plus de signatures.
L’ambition de cette initiative européenne était d’élever le droit à l’eau et à l’assainissement au rang de droit fondamental, ainsi que de promouvoir la fourniture d’eau saine et potable en suffisance et l’assainissement en tant que services publics essentiels pour toutes et tous au sein de l’ Union européenne.
Si à la suite à de cette ICE les institutions européennes ont révisé en partie la législation communautaire correspondante, le droit à l’eau et à l’assainissement n’a pas été reconnu comme droit fondamental, contrairement aux résolutions des Nations unies, et n’a donc pas été ajouté dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Pourtant, l’ensemble des instances internationales n’a cessé de rappeler la prépondérance du droit à l’eau pour la survie de chaque être humain et du droit à l’assainissement : article 14 de la Convention de 1979 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, article 24 de la Convention internationale de 1989 relative aux droits de l’enfant, Protocole sur l’eau et la santé issu de la Convention de 1992 sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontaliers et des lacs internationaux, depuis 2002 de façon implicite dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ou encore lors de la conférence des Nations unies de 2012 sur le développement durable.
La consécration d’un droit fondamental, subséquemment opposable et garanti au plus haut niveau de sécurité juridique en droit communautaire, à l’eau et à l’assainissement pour toutes et tous semble à la fois nécessaire et dans la continuité des divers engagements internationaux de la majorité des Etats membres.
Cette nécessité s’explique en outre par le fait que ce droit doit être repensé dans un contexte de changement et chocs climatiques, qui agit comme un multiplicateur de risques sanitaires et environnementaux.
Selon l’Agence européenne pour l’environnement (AEE), le stress hydrique ne cesse de se renforcer dans les Etats membres de l’ Union européenne. L’Europe est le continent se réchauffant le plus rapidement, ce qui a pour conséquence une modification du cycle de l’eau. Chaque année, la sécurité alimentaire, sanitaire et hydrique est davantage compromise. Les méga-sécheresses, et leurs conséquences, de ces dernières années à travers les Etats membres n’en sont qu’un exemple. Ces incidences climatiques ne « s’arrêtant pas aux frontières », il est prépondérant que les ressortissantes et ressortissants de la zone communautaire voient leur droit à l’eau et l’assainissement de qualité protégé de façon harmonisée à la hausse.
Le rapport de l’AEE « Réagir aux effets du changement climatique sur la santé humaine en Europe : inondations, sécheresses et qualité de l’eau » estimait qu’en 2024 30 % des habitantes et habitants du sud de l’Europe étaient déjà confrontés à un stress hydrique permanent. Cette part de la population souffrant de stress hydrique tendra même à augmenter dans les prochaines décennies, comme le met en lumière le rapport sur l’état des ressources en eau dans le monde en 2023 de l’Organisation mondiale météorologique.
Outre les inégalités géographiques dans l’accès à une eau potable et salubre, celles socio-économiques demeurent. Défendre un droit opposable à l’eau et à l’assainissement de qualité revient également à garantir la justice et la cohésion sociales dans l’espace communautaire, particulièrement lorsqu’on sait que la compétition et la prédation pour la ressource eau s’accentueront.
Par ailleurs, ce stress hydrique a des conséquences directes sur la qualité de l’eau, puisque durant les périodes de sécheresse le faible débit d’eau entraîne une concentration accrue des polluants, qui nécessite de même des procédures de traitement et d’assainissement plus coûteuses. L’augmentation de la température des sources d’eaux favorisent aussi la croissance d’agents pathogènes.
D’après le rapport de l’AEE relatif à l’état de l’eau en Europe en 2024, au sein de l’UE 63 % des eaux de surface ne présentent pas un bon état écologique et 71 % de ces masses d’eau sont dans un état chimique alarmant. Les écosystèmes aquatiques et les eaux sont gravement touchés par les produits chimiques et la dégradation des habitats est généralisée.
Si le droit à l’eau et le droit de l’eau diffèrent, ils sont cependant intimement liés. L’approche « une seule santé » de l’Organisation mondiale de la Santé met à jour les liens interdépendants entre santé humaine, santé animale et santé environnementale. L’eau est vitale à la survie du vivant, son absence et sa mauvaise qualité potentiellement mortelles.
À la lumière de ces éléments et la protection de l’environnement étant l’une des compétences majeures de l’Union, cette dernière devrait inscrire le droit à l’eau et l’assainissement de qualité comme un droit fondamental protégé au plus haut niveau juridique européen, soit en l’intégrant dans la Charte européenne des droits fondamentaux.
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proposition de rÉsolution europÉenne
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88‑4 de la Constitution,
Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (version consolidée), notamment ses articles 191, 192 et 193,
Vu la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2012/C 326/02), notamment ses articles 35 et 37,
Vu la Résolution du Parlement européen du 5 octobre 2022 sur l’accès à l’eau en tant que droit de l’homme : la dimension extérieure (2021/2187(INI)),
Vu la Directive (UE) 2020/2184 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine,
Vu le Règlement (UE) 2020/741 du Parlement européen et du Conseil du 25 mai 2020 relatif aux exigences minimales applicables à la réutilisation de l’eau,
Vu la Directive 2008/105/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 établissant des normes de qualité environnementale dans le domaine de l’eau, modifiant et abrogeant les directives du Conseil 82/176/CEE, 83/513/CEE, 84/156/CEE, 84/491/CEE, 86/280/CEE et modifiant la directive 2000/60/CE,
Vu la Directive 2006/118/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 sur la protection des eaux souterraines contre la pollution et la détérioration,
Tenant compte que le droit à l’eau et à l’assainissement a été reconnu comme droit humain fondamental par les Nations unies, notamment au travers de la résolution 64/292 relative au droit de l’homme à l’eau et l’assainissement adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 28 juillet 2010, ainsi que la résolution A/64/L.63/Rev1 du Conseil des droits de l’homme du 30 septembre 2010 et les textes juridiques cités dans ces résolutions ;
Rappelant que le domaine de l’environnement fait partie de la politique de l’Union en vertu du Traité le fonctionnement de l’Union européenne et que la Charte européenne des droits fondamentaux dispose qu’un niveau de protection élevé de l’environnement et l’amélioration de sa qualité doit être garanti par les politiques de l’Union ;
Estimant que le principe 20 du Socle européen des droits sociaux proclamé le 17 novembre 2017 par le Parlement européen, le Conseil et la Commission met en lumière un consensus entre les États membres eux‑mêmes et la Commission européenne concernant l’accès à l’eau et l’assainissement pour toute personne ;
Notant avec une vive préoccupation qu’une partie des habitantes et habitants de l’Union européenne souffre de stress hydrique et de problème d’accès à l’assainissement de qualité et que ce phénomène tend à s’aggraver au cours des prochaines décennies à cause du changement climatique ;
Considérant que le droit à l’eau et l’assainissement fait partie de la réalisation de tous les droits humains ;
Invite le Gouvernement à soumettre une proposition de modification de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2012/C 326/02), afin d’ajouter, dans les plus brefs délais, un article 37‑1 intitulé « Droit à l’eau et à l’assainissement », qui reprend la définition du droit à l’eau et à l’assainissement de la Résolution 64/292 relative au droit de l’homme à l’eau et l’assainissement adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 28 juillet 2010, ainsi rédigé : « Le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit humain, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme. Un niveau élevé de protection de l’eau et de l’assainissement et leur amélioration doivent être intégrés et garantis dans les politiques de l’Union. ».