N° 1113

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 mars 2025.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

visant à sauvegarder et renforcer le financement en faveur de la lutte contre le virus de l’immunodéficience humaine,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par

M. Arthur DELAPORTE, M. Pouria AMIRSHAHI, M. Hadrien CLOUET, Mme Agnès FIRMIN LE BODO, M. Guillaume GOUFFIER VALENTE, M. Emmanuel GRÉGOIRE, Mme Brigitte LISO, Mme Anna PIC, M. Aurélien ROUSSEAU, M. Freddy SERTIN, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, M. Frédéric VALLETOUX,

députés et députées.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’objectif du Programme commun des Nations unies sur le virus de l’immunodéficience humaine / syndrome d’immunodéficience acquise (VIH/Sida) (ONUSIDA) d’une éradication de l’épidémie d’infection par le VIH d’ici 2030 est gravement menacé par le retour de Donald Trump à la présidence des États‑Unis. Alors même que cet engagement fort des pays membres consiste à zéro nouvelle infection à VIH, zéro décès lié au sida, zéro discrimination d’ici 2030, l’inquiétude monte quant à la réalisation de cet objectif de santé publique à l’échelle internationale. 

Le partenariat du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme constitue un pilier central du financement de la lutte contre ces pandémies. Il a permis de sauver 65 millions de vies depuis sa création en 2002 en finançant l’accès aux traitements et autres produits et services de santé essentiels, ainsi qu’aux campagnes de prévention dans les pays les plus touchés. Malheureusement, depuis le retour de Donald Trump, nous constatons une inflexion majeure de la politique américaine en matière de financement de la lutte contre le VIH/sida alors même que les États‑Unis sont le premier contributeur de la lutte mondiale contre le sida ainsi que du Fonds mondial devant la France, 2ème contributrice. 

Les États‑Unis ont ainsi pris la décision d’interrompre totalement leur financement du Programme commun des Nations unies sur le VIH/SIDA, ONUSIDA. 

En mars 2025, l’administration Trump a annoncé la suppression de 83 % des contrats de l’Agence des États‑Unis pour le développement international (USAID) destinés à des programmes à l’étranger, représentant une économie de plusieurs milliards de dollars. Cette décision a entraîné l’annulation de près de 5 200 financements, affectant des initiatives essentielles en santé publique.

La suppression de la quasi‑totalité des programmes du Plan d’urgence du président des États‑Unis pour la lutte contre le sida (PEPFAR) mis en œuvre par l’USAID aura des conséquences dramatiques, comme l’a souligné Winnie Byanyima, directrice exécutive d’OUNSIDA, pouvant entraîner, d’ici 2029, une multiplication par six du nombre de nouvelles infections (8,7 millions de nouvelles contaminations) et par dix du nombre de décès liés au sida (6,3 millions de morts).

Le ralentissement des progrès dans la lutte contre le VIH/sida est immédiat : moins de distributions de traitements antirétroviraux, réduction des campagnes de prévention et augmentation des nouvelles infections. En Somalie ou à Haïti par exemple, des cliniques ont été fermées. C’est aussi une aggravation des inégalités sanitaires mondiales puisque le VIH/Sida touche particulièrement les populations les plus vulnérables, inégalités qui inquiètent le Secrétariat général de l’ONU. 

Dans ce contexte, la France et l’Union Européenne doivent renforcer leur engagement financier pour compenser le désengagement américain. Cette situation présente aussi une opportunité pour la France et les États membres de l’UE de renforcer leur engagement financier, tout en répondant à l’urgence créée par le désengagement américain et de réaffirmer le leadership européen dans la lutte contre le VIH. Dans la continuité, la France devra aussi maintenir son soutien au financement d’UNITAID. Atteindre l’objectif fixé par l’ONU repose évidemment sur un financement stable et suffisant afin notamment de ne pas ralentir les progrès scientifiques prometteurs et les efforts déployés ces dernières années pour limiter le nombre de nouvelles infections. 

L’éradication du VIH/sida d’ici 2030 est un objectif atteignable, à condition que la mobilisation internationale soit à la hauteur des enjeux. Un engagement fort et coordonné des États européens est indispensable pour préserver les avancées réalisées et sauver des millions de vies. 

Pour toutes ces raisons, les auteurs de cette proposition de résolution européenne membres du groupe d’études VIH/Sida de l’Assemblée nationale ou anciens ministres de la Santé invitent la France à prendre toute sa place dans cette lutte.

 

 

 


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proposition de rÉsolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu l’article 168 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu le Règlement (UE) 2021/522 du Parlement européen et du Conseil du 24 mars 2021 établissant le programme de l’Union européenne pour la santé,

Vu la communication de la Commission européenne sur la lutte contre le virus de l’immunodéficience humaine dans l’Union européenne et les pays voisins (2009‑2013) et les plans d’actions successifs 2009‑2013 et 2014‑2016,

Vu la résolution du Parlement européen du 1er décembre 2021 sur la lutte contre le virus de l’immunodéficience humaine,

Vu la stratégie mondiale de lutte contre le virus de l’immunodéficience humaine 2021‑2026 de l’ONUSIDA,

Vu les objectifs 2025 de lutte contre le virus de l’immunodéficience humaine de l’ONUSIDA,

Vu la résolution A/RES/75/284 du 8 juin 2021 l’Assemblée générale des Nations unies contenant la déclaration politique intitulée Mettre fin aux inégalités et agir pour vaincre le SIDA d’ici à 2030,

Vu la résolution A/RES/70/266 du 8 juin 2016 de l’Assemblée générale des Nations unies contenant la déclaration politique intitulée Sur la voie rapide pour accélérer la lutte contre le VIH et mettre fin à l’épidémie de SIDA d’ici 2030,

Vu la résolution A/RES/70/1 du 25 septembre 2015 de l’Assemblée générale des Nations unies intitulée Transformer notre monde : l’Agenda 2030 pour le développement durable faisant de l’éradication de l’épidémie du SIDA d’ici à 2030 une partie intégrante des objectifs de développement durable ,

Vu la stratégie française en santé mondiale 2023‑2027,

Considérant que la lutte contre le virus de l’immunodéficience humaine constitue un impératif de santé publique mondiale, l’infection ayant causé la mort de plus de 42 millions de personnes depuis sa découverte au début des années 1980 ;

Considérant que l’épidémie de SIDA demeure actuellement de grande ampleur, avec environ 39,9 millions de personnes vivant avec le virus de l’immunodéficience humaine dans le monde à la fin de l’année 2023, que 1,3 million de personnes ont contracté le virus en 2023, et que 630 000 personnes sont décédées de causes liées au virus de l’immunodéficience humaine cette même année ;

Considérant que plusieurs régions du monde connaissent une augmentation du nombre de nouvelles infections au virus de l’immunodéficience humaine, à savoir l’Europe de l’Est et l’Asie centrale, l’Amérique latine, ainsi que le Moyen‑Orient et l’Afrique du Nord ;

Considérant qu’en France, le virus de l’immunodéficience humaine demeure une préoccupation de santé publique majeure, avec environ 3 650 nouvelles contaminations estimées en 2023 et que, la même année, 5 500 personnes ont découvert leur séropositivité, dont une proportion significative à un stade tardif de l’infection ;

Considérant que dans l’Espace économique européen, regroupant les États membres de l’Union européenne et les États membres de l’Association européenne de libre‑échange , l’incidence du virus de l’immunodéficience humaine demeure un enjeu sanitaire majeur, avec environ 24 731 nouveaux diagnostics de virus de l’immunodéficience humaine signalés en 2023 ;

Considérant que les avancées thérapeutiques majeures développées depuis les années 1990, notamment l’essor des traitements antirétroviraux ont permis de réduire drastiquement la mortalité liée au virus de l’immunodéficience humaine et d’améliorer l’espérance de vie des personnes vivant avec le virus, tandis que les traitements préventifs tels que la prophylaxie pré‑exposition ou la prophylaxie post‑exposition ont permis de limiter les transmissions ;

Considérant que des innovations récentes et des traitements préventifs injectables comme le lénacapavir (prophylaxie pré‑exposition injectable administrée tous les six mois), avec une efficacité de plus de 95 %, pourraient réduire de manière considérable les nouvelles infections à virus de l’immunodéficience humaine, à condition qu’elles soient accessibles à tous et partout ;

Considérant que ces progrès scientifiques, combinés à un engagement international renforcé, offrent une réelle possibilité d’éradiquer l’épidémie d’ici à 2030, conformément aux objectifs fixés par l’ONUSIDA,

Considérant que de nombreux pays, particulièrement en Afrique, où se concentrent près des deux tiers des personnes vivant avec le virus de l’immunodéficience humaine – 25,6 millions de personnes environ – disposent de systèmes de santé fragiles, limitant leur capacité à assurer une prévention efficace, un dépistage généralisé et un accès équitable aux traitements, ce qui amplifie les inégalités et complique la lutte contre l’épidémie ;

Considérant que l’aide internationale est indispensable dans la lutte contre le virus de l’immunodéficience humaine, tant pour assurer l’accès universel aux traitements que pour soutenir les programmes de prévention, de recherche et de prise en charge, et que tout affaiblissement de cet engagement mondial pourrait mettre en péril les progrès réalisés jusqu’alors et aggraver l’épidémie à l’échelle planétaire ;

Considérant que le retrait des États‑Unis de l’Organisation mondiale de la santé ainsi que le gel des budgets des grandes institutions américaines de santé publique et de recherche, la suspension des programmes d’aide au développement de l’Agence des États‑Unis pour le développement international ainsi que les restrictions imposées au plan d’urgence présidentiel de lutte contre le SIDA (President’s emergency plan for AIDS relief) compromettent gravement les efforts internationaux de lutte contre l’épidémie du SIDA ;

Considérant que les États‑Unis constituent le principal bailleur international de la lutte contre le virus de l’immunodéficience humaine notamment à travers le plan d’urgence présidentiel de lutte contre le SIDA et leur contribution au Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme pour un montant 100 milliards de dollars américains à ce jour ;

Considérant qu’un arrêt du plan d’urgence présidentiel de lutte contre le SIDA pourrait entraîner, selon les estimations de l’ONUSIDA, une multiplication par six d’ici à 2029 du nombre de nouvelles infections par le virus de l’immunodéficience humaine dans le monde – 8,7 millions de personnes nouvellement infectées – ainsi qu’une multiplication par dix des décès liés au sida – 6,3 millions de personnes – et 3,4 millions d’enfants supplémentaires devenus orphelins ;

Appelle le Gouvernement à œuvrer à l’échelon national et européen pour un renforcement de la mobilisation financière auprès du Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme dont la reconstitution se tiendra à l’automne 2025 sous l’égide du Royaume‑Uni et de l’Afrique du Sud. Le soutien des États européens, qui représentent une proportion équivalente aux États‑Unis, premier contributeur du Fonds mondial, apparaît essentiel pour garantir la réalisation des objectifs mondiaux de lutte contre le SIDA ;

Invite le Gouvernement à œuvrer à l’échelon national et européen pour un renouvèlement et un renforcement de la coopération scientifique internationale dans la lutte contre le virus de l’immunodéficience humaine en rappelant que la recherche scientifique est un bien commun qui transcende les frontières et que toute interruption des échanges entre chercheurs, restriction sur les financements ou exclusion de certaines communautés scientifiques entraîne inévitablement des conséquences néfastes majeures sur la santé publique mondiale.

Invite l’Union européenne à faire du renforcement du financement de l’aide internationale pour la lutte contre levirus de l’immunodéficience humaine une priorité stratégique, en mobilisant davantage les États membres et en prenant, le cas échéant, les mesures nécessaires pour pallier le désengagement des États‑Unis. Un tel engagement vise à garantir un soutien essentiel aux personnes vivant avec le virus de l’immunodéficience humaine à travers le monde, à renforcer les outils et campagnes de prévention, et à maintenir les objectifs d’éradication de l’épidémie d’ici 2030 à portée de réalisation.

Invite la Commission européenne, face à l’évolution du contexte mondial, à replacer la lutte contre le virus de l’immunodéficience humaine au cœur de ses priorités, en adoptant une communication et un plan d’action sur cette question ainsi qu’en rétablissant les instances de coordination spécifiques qui existaient précédemment – tels le groupe de réflexion sur le virus de l’immunodéficience humaine et le forum de la société civile – dissoutes en 2019 affaiblissant ainsi la mobilisation collective et réduisant la visibilité de cet enjeu de santé publique ;

Demande que les présidences actuelles et futures du Conseil de l’Union européenne ainsi que le nouveau collège des commissaires européens placent la lutte contre le SIDA au cœur de leurs priorités.