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N° 1150
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 mars 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
visant à condamner la politique de ségrégation imposée aux femmes afghanes par le régime des Talibans et à prendre des mesures appropriées pour mettre un terme aux atteintes à leurs droits fondamentaux,
(Renvoyée à la commission des affaires européennes)
présentée par
Mme Caroline YADAN, M. David AMIEL, M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, M. Antoine ARMAND, M. Gabriel ATTAL, M. Olivier BECHT, M. Hervé BERVILLE, M. Éric BOTHOREL, M. Florent BOUDIÉ, Mme Maud BREGEON, M. Anthony BROSSE, Mme Danielle BRULEBOIS, M. Stéphane BUCHOU, Mme Françoise BUFFET, Mme Céline CALVEZ, Mme Eléonore CAROIT, M. Vincent CAURE, M. Lionel CAUSSE, M. Thomas CAZENAVE, M. Jean-René CAZENEUVE, M. Pierre CAZENEUVE, M. Yannick CHENEVARD, M. François CORMIER-BOULIGEON, Mme Julie DELPECH, M. Benjamin DIRX, Mme Nicole DUBRÉ-CHIRAT, M. Philippe FAIT, M. Jean-Marie FIÉVET, M. Moerani FRÉBAULT, M. Jean-Luc FUGIT, Mme Camille GALLIARD-MINIER, M. Thomas GASSILLOUD, Mme Anne GENETET, Mme Olga GIVERNET, M. Guillaume GOUFFIER VALENTE, Mme Olivia GRÉGOIRE, Mme Emmanuelle HOFFMAN, M. Sébastien HUYGHE, M. Jean-Michel JACQUES, M. Guillaume KASBARIAN, Mme Brigitte KLINKERT, M. Daniel LABARONNE, M. Jean LAUSSUCQ, M. Michel LAUZZANA, Mme Sandrine LE FEUR, M. Didier LE GAC, Mme Constance LE GRIP, Mme Annaïg LE MEUR, Mme Christine LE NABOUR, Mme Nicole LE PEIH, Mme Marie LEBEC, M. Vincent LEDOUX, M. Mathieu LEFÈVRE, M. Roland LESCURE, Mme Pauline LEVASSEUR, Mme Brigitte LISO, M. Sylvain MAILLARD, M. Bastien MARCHIVE, M. Christophe MARION, Mme Sandra MARSAUD, M. Denis MASSÉGLIA, M. Stéphane MAZARS, Mme Graziella MELCHIOR, M. Ludovic MENDES, M. Nicolas METZDORF, M. Paul MIDY, Mme Laure MILLER, Mme Joséphine MISSOFFE, M. Karl OLIVE, Mme Sophie PANONACLE, Mme Natalia POUZYREFF, M. Franck RIESTER, Mme Véronique RIOTTON, Mme Stéphanie RIST, Mme Marie-Pierre RIXAIN, M. Charles RODWELL, Mme Anne-Sophie RONCERET, Mme Marie-Ange ROUSSELOT, M. Jean-François ROUSSET, M. Mikaele SEO, M. Freddy SERTIN, M. Charles SITZENSTUHL, M. Bertrand SORRE, Mme Violette SPILLEBOUT, Mme Liliana TANGUY, M. Jean TERLIER, Mme Prisca THEVENOT, M. Stéphane TRAVERT, Mme Annie VIDAL, Mme Corinne VIGNON, M. Stéphane VOJETTA, M. Éric WOERTH, Mme Maud PETIT, M. Paul CHRISTOPHE, M. Éric PAUGET, M. Joël BRUNEAU, M. Michel HERBILLON, Mme Lise MAGNIER, M. Laurent MAZAURY, Mme Mereana REID ARBELOT, Mme Constance DE PÉLICHY, Mme Delphine LINGEMANN, M. Eric LIÉGEON, M. Jean MOULLIERE,
députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le 15 août 2021, les Talibans ont repris le contrôle de l’Afghanistan, rétablissant ainsi l’Émirat islamique. Face à ce bouleversement, de nombreux pays, dont la France, ont immédiatement procédé à l’évacuation de leurs ressortissants, témoignant de l’urgence de la situation face à la menace pesant sur les droits humains.
Depuis cette date, l’Émirat islamique d’Afghanistan (organisation militaire, politique et religieuse reconnue comme organisation terroriste par l’Organisation des Nations Unies [ONU] et le Canada), impose une structure sociale fondée sur une interprétation rigoriste de l’islam, dans le but d’imposer la charia.
Parallèlement, le Mouvement islamique des talibans mène une politique répressive de terreur contre les femmes. Ces dernières sont privées des mêmes droits que les hommes et leur existence se trouve marquée par une série d’obligations et d’interdits.
Dès le retour des Talibans en 2021, le port du voile islamique devient obligatoire, l’accès à l’enseignement et à l’étude leur est interdit, et de nombreuses femmes sont contraintes de quitter leur emploi, restant confinées à leur domicile. Les emplois publics leur sont aussi désormais strictement interdits.
En 2022, le port de la burqa est imposé en public et l’accès à des lieux publics est interdit aux femmes.
La théocratie dictatoriale des Talibans se caractérise également par le contrôle des libertés privées : les femmes ne peuvent ni chanter, ni lire si elles sont vues et ne peuvent pas non plus regarder un homme qui n’a aucun lien familial avec elles.
Ces derniers mois, les Talibans ont accéléré ce processus d’invisibilisation de la femme. Motivée par une hyper‑objectivation et sexualisation du corps des femmes, la loi du 31 juillet 2024 visant à « prévenir le vice et promouvoir la vertu » impose aux femmes une « pudeur totale » : elles doivent désormais couvrir en intégralité leur corps et leur visage en présence d’hommes n’appartenant pas à leur famille « par peur de la tentation ». Depuis octobre 2024, il leur est désormais interdit de faire entendre leur voix. Une directive officielle du régime islamiste impose aux femmes de vivre dans un espace sans fenêtre. Les nouvelles constructions ne possèdent plus de fenêtres dans les pièces où peuvent évoluer les femmes et les habitations déjà existantes sont murées.
Au‑delà du caractère liberticide, cette ségrégation sexuelle met en danger la vie des femmes afghanes. L’Afghanistan est l’un des pays où les femmes se suicident le plus au monde. D’autres perdent la tête et occupent, bien plus que les hommes, les services de psychiatrie des hôpitaux. La question de la santé publique est déterminante dans le régime des Talibans puisqu’ils imposent aux femmes d’être soignées par des femmes ce qui pose une difficulté majeure : l’accès à l’école est interdit aux femmes après 12 ans. L’offre de soignantes est donc largement insuffisante. Pour illustrer cette idée, le taux de mortalité infantile est éloquent : 638 décès de femmes sur 100 000 accouchements (Organisation mondiale de la santé) dans un contexte où le nombre de sage‑femmes est de 4,4 pour 10 000 habitants, la moyenne mondiale étant de 37,7 (Fonds des Nations Unies pour la population).
Les femmes sont victimes de violences dès le plus jeune âge. Un véritable trafic est mis en place depuis le retour des Talibans. Des fillettes âgées de 6 à 10 ans, sont mises en vente, et mariées. Ces fillettes sont des esclaves sexuelles victimes de violences morales, physiques et sexuelles.
Ainsi, une véritable politique de ségrégation sexuelle est instaurée, pouvant être comparée à un apartheid de genre, comme l’a souligné le Rapporteur spécial de l’ONU dans son rapport sur la situation des droits humains en Afghanistan (13 mai 2024) : « Selon les femmes afghanes, l’expression « apartheid fondé sur le genre » décrit le mieux l’ensemble des préjudices particuliers et transgénérationnels qui leur sont infligés. ».
En outre, les persécutions pour des motifs d’ordre sexiste de la part des Talibans est susceptible de constituer un crime contre l’humanité, au sens de l’article 7 des statuts de la Cour pénale internationale. Les femmes auteures de « délits moraux » ou de participation à des manifestations pacifiques subissent des châtiments corporels et sont torturées. On peut parler, dans de nombreux cas, de disparitions forcées avec des femmes supposées enfermées sans aucune explication, ni aucune communication sur leur captivité. En 2024, le régime demande aux juges de punir les femmes ayant des rapports extra‑conjugaux par la lapidation. Certaines femmes sont exécutées, d’autres torturées à mort.
Cette politique de terreur permet l’objectivation totale du corps de la femme qui n’a plus que le droit de respirer. Tout cela, sans contestation possible. La femme devient, de fait, un objet sexuel qui permet la reproduction, mais qui ne doit être en rien perceptible. Elle est invisible et inaudible. La moindre résistance ou contestation peut lui valoir la mort.
Malgré ces politiques de terreur, la suppression de toute opposition ouverte à la politique du régime, l’interdiction des médias indépendants et les arrestations arbitraires, de nombreuses femmes résistent. À travers des manifestations pacifiques, violemment réprimées, certaines tentent de revendiquer davantage de droits. D’autres, par l’art et la musique tentent un appel à l’aide au monde démocratique occidental.
Un des symboles de cette résistance se nomme Marzieh Hamidi. Sportive de haut niveau, elle a fui l’Afghanistan pour la France à l’arrivée des Talibans pour garantir ses droits et pouvoir continuer la pratique du taekwondo. Elle dénonce le régime des Talibans et milite pour les droits des femmes. Réfugiée en France, elle reçoit des menaces de mort pour son opposition au régime et vit aujourd’hui sous protection policière.
Alors que la violence de l’idéologie islamiste contre les droits des femmes s’exerce dans tous les domaines de la société afghane, nous, universalistes, ne pouvons rester aveugles face à ces graves atteintes aux droits fondamentaux. Il est de notre responsabilité d’apporter notre total soutien aux femmes afghanes et de tenter d’obtenir une réaction de la part de la communauté internationale. Ainsi, cette proposition de résolution vise à faire reconnaître officiellement les Talibans comme une organisation terroriste, en France et au sein de l’Union européenne, ainsi qu’à encourager le gouvernement français à travailler de concert avec ses partenaires européens afin de faire cesser ces violations des droits fondamentaux.
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proposition de rÉsolution europÉenne
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88‑4 de la Constitution,
Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu la Charte des Nations unies du 26 juin 1945,
Vu la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948,
Vu la résolution 2593 (2021) du Conseil de sécurité des Nations unies du 30 août 2021,
Vu la résolution 2681 (2023) du Conseil de sécurité des Nations unies du 27 avril 2023,
Vu la résolution 2721 (2023) du Conseil de sécurité des Nations unies du 29 décembre 2023,
Vu le rapport du rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’Homme en Afghanistan et du groupe de travail sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles (A/HRC/53/21) du 15 juin 2023,
Vu la déclaration commune des ministres des Affaires étrangères de l’Allemagne, de l’Australie, du Canada, du Danemark, des États‑Unis, de la France, de l’Italie, du Japon, de la Norvège, des Pays‑Bas, du Royaume‑Uni, de la Suisse, et du haut représentant de l’Union européenne du 28 décembre 2022,
Vu l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), n° C‑608/22, arrêt de la Cour, AH et FN contre Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl du 4 octobre 2024 qui facilite l’octroi du statut de réfugié aux femmes Afghanes en raison des persécutions qu’elles subissent sous le régime des Talibans,
Vu l’adhésion de l’Afghanistan en 1983 à la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid,
Vu la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite « Convention d’Istanbul »,
Considérant le non‑respect des engagements initiaux des Talibans en matière d’ouverture et d’inclusion des femmes dans la société, tels qu’annoncés après leur retour au pouvoir en 2021 ;
Considérant l’absence de réaction des autorités afghanes face aux nombreuses mises en garde de la communauté internationale concernant les persécutions fondées sur le genre ;
Considérant la volonté manifeste des Talibans d’exclure les femmes afghanes de la vie publique, les condamnant ainsi à la précarité, au mariage forcé, à l’analphabétisme et à l’isolement ;
Considérant que la France mène une diplomatie féministe, telle que présentée dans la Stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2018‑2022) ;
Condamne la politique de ségrégation et la répression exercées par les Talibans à l’encontre des femmes et jeunes filles afghanes ;
Condamne les abus systématiques et les persécutions subis par les femmes et les jeunes filles afghanes, susceptibles de constituer un crime contre l’humanité au regard du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, auquel l’Afghanistan est partie ;
Appelle la France et l’Union européenne à inscrire le Mouvement islamique des talibans sur la liste d’organisations considérées comme terroristes par le Conseil de l’Union Européenne ;
Encourage le Gouvernement à étudier, en concertation avec ses partenaires européens, toute action susceptible de mettre fin aux violations persistantes des droits fondamentaux des femmes en Afghanistan ;
Invite le Gouvernement à travailler avec l’Union européenne sur les moyens juridiques permettant de saisir la Cour pénale internationale, afin d’examiner les responsabilités des personnes impliquées dans la mise en œuvre des mesures discriminatoires à l’encontre des femmes afghanes ;
Invite le Gouvernement à poursuivre sa politique d’accueil des femmes afghanes, victimes d’oppressions en raison de leur genre ;
Encourage le Gouvernement à maintenir et à renforcer aux côtés de l’Union européenne l’aide humanitaire destinée aux populations afghanes, en particulier aux femmes et aux filles afghanes.