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N° 1457

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 mai 2025.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

visant à garantir la protection des travailleurs des métiers de la fleur coupée en réglementant les seuils de résidus de pesticides contenus dans les fleurs commercialisées en Europe,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par

Mme Mathilde PANOT, M. Matthias TAVEL, Mme Mathilde HIGNET, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Karine LEBON, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Marcellin NADEAU, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER, Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Chantal JOURDAN,

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Des fleurs offertes pour le repas du dimanche, pour la Saint‑Valentin, pour la Fête des mères, des pères ou des grand‑mères, pour la Toussaint, lors des cérémonies et commémorations. Les fleurs sont offertes comme expression de respect, d’amour, d’hommage. Elles incarnent l’embellissement des liens qui nous sont les plus chers, individuellement et collectivement. Elles sont aussi ces « tueuses silencieuses », qui empoisonnent lentement celles et ceux qui les manipulent au quotidien sans protection.

L’expression est de Laure Marivain, dont l’histoire et le combat sont révélateurs. Fleuriste puis représentante en fleurs dans les Pays de la Loire, Laure Marivain a eu trois enfants, dont la petite Emmy. Emmy est décédée à 11 ans, le 12 mars 2022, après sept années à lutter contre un cancer, une leucémie aiguë lymphoblastique B. Un calvaire médical long de sept ans, provoqué par son exposition in utero aux pesticides contenus dans les fleurs. Emmy est devenue la première enfant dont la pathologie et le décès ont été reconnus par le Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP) comme provoqués par le métier et les conditions de travail de sa mère fleuriste.

La France compte, selon les estimations de la Fédération française des artisans fleuristes, 25 000 à 30 000 fleuristes. Ces fleuristes manipulent quotidiennement des fleurs dont 85 % proviennent de l’étranger, où elles ne sont pas produites dans les mêmes conditions qu’en Europe. Certains pays comme le Kenya, l’Ethiopie, l’Equateur, la Colombie produisent des fleurs en monoculture, avec des apports lourds en intrants et en produits phytosanitaires. Ce type d’horticulture est dénoncée depuis les années 2000 pour la destruction des écosystèmes locaux qu’elle provoque : accaparement des ressources en eau, contamination des eaux, des sols, conditions de travail éprouvantes pour des travailleurs, eux aussi exposés aux risques liés à l’usage des pesticides. En 2019, le Kenyan Pest Control Products Board (PCPB) reconnaissait l’usage de 699 produits chimiques composés de 247 principes actifs « dont 150 étaient acceptés en Europe et 78 interdits car jugés nocifs » ([1]).

La majorité des fleurs circulant en France sont donc susceptibles de contenir un cocktail de pesticides, dont certains interdits en Europe. Une étude de l’Université de Liège en Belgique a été menée pendant quatre ans par la docteure en agronomie Khaoula Toumi sous la supervision du professeur honoraire Bruno Schiffers. Ses conclusions ont été publiées en 2019 dans la revue Human and Ecological Risk Assessment ([2]). Elles exposent le risque massif encouru par les fleuristes, et le passage par les pesticides de la barrière de la peau. Le professeur Schiffers qualifie cette exposition comme bien supérieure aux niveaux considérés comme sûrs pour les travailleurs, plus importante même que le risque auquel sont exposés les agriculteurs et les agricultrices, car les fleuristes manipulent les fleurs empoisonnées 6 jours sur 7, sans protection. Ainsi, les plus de 100 pesticides présents sur les fleurs qu’elles manipulaient ont tous été retrouvés sur les gants qu’elles portaient pour les besoins de l’étude, et 70 ont été détectés dans leurs urines. « Ce n’est pas un risque potentiel. C’est un risque avéré » (Pr Schiffers).

Une étude brésilienne, publiée dans la revue Environmental Pollution, confirme en novembre 2021 l’usage de plus de 200 pesticides pour la production ou la conservation des fleurs, dont 93 sont interdits par l’Union européenne. Près de la moitié de ces molécules très toxiques a été retrouvée dans des échantillons de fleurs vendues en Europe.

Aux résultats des études scientifiques s’ajoutent également les campagnes d’analyses initiées par les organisations non gouvernementales (ONG) de lutte contre les pesticides ou de défense des consommateurs. En France, dès 2017, le magazine 60 millions de consommateurs avait fait tester les bouquets de dix enseignes : tous étaient contaminés aux pesticides, tous contenaient des molécules interdites en France ([3]).

La branche néerlandaise du réseau Pesticide Action Network a publié en février 2025 les résultats d’une campagne d’analyses portant sur treize bouquets à l’occasion de la Saint‑Valentin ([4]). De nouveau, tous les bouquets contenaient des résidus de pesticides, dont 39 % interdits en Europe. Les deux tiers des molécules détectées comportent des risques pour la santé des cultivateurs de fleurs, des fleuristes, des consommateurs et pour la biodiversité.

Toujours à l’occasion de la Saint‑Valentin, en 2025 c’est cette fois l’association de consommateurs UFCQue Choisir qui publie les résultats « effarants » de l’analyse de 15 bouquets, encore une fois tous contaminés. Jusqu’à 46 résidus de pesticides sont détectés, « dont 7 présentent un danger pour la santé avéré ou suspecté (perturbateur endocrinien, cancérigène ou encore délétère pour la fertilité ou le fœtus) » ([5]).

Fin 2024, le combat porté par Laure Marivain et sa famille, à l’occasion du procès intenté au FIVP pour une requalification de l’indemnisation accordée suite au décès d’Emmy, bénéficie d’une bonne couverture médiatique. La cellule d’investigation de Radio France et du Monde notamment se saisit de l’affaire, les articles se multiplient.

Le combat de la famille Marivain, à la fois pour la reconnaissance du traumatisme subi au cours du calvaire médical d’Emmy, mais également pour que cela ne se reproduise pas ; la couverture médiatique dont il bénéficie ; le plaidoyer porté par les ONG de lutte contre les pesticides ou de défense des droits des consommateurs ; les différentes interpellations des parlementaires aboutissent enfin à une réaction du gouvernement, qui annonce fin 2024 confier une mission à l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) pour établir une analyse des risques pour les travailleurs du secteur des fleurs coupées, en lien avec les expositions aux produits phytopharmaceutiques et leurs résidus ([6]). Cette mission doit aboutir en juin 2027. Elle est évidemment d’intérêt public et doit être menée à bien. Elle complètera sans nul doute l’état des connaissances concernant l’exposition de ces travailleuses et travailleurs. Mais la réponse semble pour le moins faible au regard des enjeux. L’ensemble des données existantes sur le sujet, à la fois dans les campagnes organisées par les ONG et dans les publications scientifiques convergent unanimement pour confirmer le risque réel encouru par les fleuristes dans la manipulation quotidienne des fleurs.

Les risques de l’exposition impliquent des cancers, des troubles neurologiques, des fausses couches, des naissances prématurées, une baisse de fertilité. Au moins trois décès ont été reconnus comme ayant été causés par des maladies professionnelles : deux fleuristes décédées en 2019 et 2020 d’un lymphome non hodgkinien, et Emmy Marivain.

Le secteur de la fleur coupée a des caractéristiques contribuant à la difficile reconnaissance des risques professionnels. C’est une profession majoritairement féminine, donc particulièrement vulnérable aux risques des expositions prénatales ou sur le système reproductif. Au niveau salarial, le secteur compte 83,5 % de femmes contre seulement 16,5 % d’hommes. Il est constitué principalement de petites entreprises comprenant 1 à 2 salariées qui maillent le territoire national : 69 % d’entre elles sont situées en centre‑ville, 59 % exercent dans des communes de moins de 10 000 habitants. Elles font partie du tissu de petits commerçants, si essentiel pour la vie économique et sociale de notre pays. La profession se compose majoritairement de métiers à revenus modestes : artisan fleuriste, décorateur floral, fleuriste en boutique, en atelier événementiel, en bouquetterie, en mairie, responsable d’un rayon floral en grand magasin, vendeuse ou conseillère en art floral… Au quotidien, les travailleuses réceptionnent des fleurs (traitées), installent dans le magasin, confectionnent des bouquets, épinent, nettoient les fleurs, les végétaux, les feuillages, changent l’eau des bacs, chargent les bottes florales dans le camion, les livrent aux clients… Tout cela, sans protection et sans information sur les risques encourus. Les fleuristes ne manipulent pas directement de produits phytosanitaires (à la différence des agriculteurs·trices), le risque n’est donc pas tangible. Pourtant, elles touchent et absorbent toute la semaine des résidus de pesticides dangereux pour la santé, par voie cutanée ou respiratoire.

C’est en échangeant avec ses collègues que Laure Marivain témoigne d’une première prise de conscience, réalisant le nombre inquiétant de décès dans leur entourage professionnel, pouvant paraître isolés lorsque considérés séparément. Si ce type de constat diffus et les alertes des ONG n’ont pas échappé aux fleuristes, la position prise par la profession, au travers notamment de la Fédération Française des Artisans Fleuristes, semble plutôt orientée vers le discrédit des alertes émises par les ONG. Elle oppose à l’inquiétude croissante, le fragile équilibre économique des entreprises du secteur, dépendant notamment des revenus générés aux grandes occasions florales. En février 2025, elle « déplore [ainsi dans un communiqué] la publication du dossier de l’UFCQue choisir à la veille de la SaintValentin, une période cruciale pour nos artisans et une fête emblématique célébrant l’amour et l’affection », parle de « démarche sensationnaliste » cherchant à « semer la peur et [à] discréditer une profession passionnée et désavouée » ([7]). Elle juge utile de rappeler que « les fleurs ne sont pas destinées à la consommation humaine ».

En octobre 2024, lorsque l’affaire Marivain est relatée dans la presse, c’est cette fois l’Union nationale des fleuristes (UNF) qui envoie un courrier à des milliers de fleuristes pour exposer qu’ » [i]l est important de garder du recul face aux informations relayées […] À ce titre, nous vous invitons à ne pas vous exprimer devant les médias pour éviter toute mauvaise interprétation de la part des journalistes. […] Nous voulons rappeler que cette situation concerne pour l’instant un cas isolé. À ce jour, il n’existe aucune étude scientifique formelle prouvant un lien direct et systématique entre notre métier et de tels risques pour la santé ».

Pourtant, de nombreuses fleuristes s’interrogent sur les problèmes de santé qu’elles rencontrent, sur l’absence de consignes de protection dans l’immense majorité des formations et des entreprises du secteur. Elles témoignent dans la presse de « la détresse et la colère dans le milieu » ([8]), entre amour du métier et inquiétude pour leur santé.

Si ce n’est pas le cas pour les fleurs coupées, l’Union européenne impose des réglementations sur les seuils de pesticides présents dans les produits alimentaires. Il n’existe donc pas de limite maximale de résidus pour les fleurs (coupées ou en pot) et les plantes ornementales. Lorsqu’elle est interpellée par la branche néerlandaise du Pesticide Action Network en février 2022, la Commission européenne répond qu’elle a mené une consultation auprès des États membres au sujet de la réglementation appliquée aux fleurs en mars 2022 à l’occasion d’une réunion du Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l’alimentation animale (ScoPAFF), comité à qui revient la décision d’autoriser ou non des substances phytosanitaires en Europe. Aucun État membre, alors ou depuis, n’a exprimé la volonté d’engager la mise en place d’une réglementation adéquate. La Commission européenne n’a pas non plus pris d’initiative à ce sujet.

Les alternatives à l’empoisonnement par les fleurs existent et se développent en France. L’approvisionnement est un réel sujet de préoccupation pour les fleuristes, à la fois dans une perspective environnementale de circuit court, mais aussi par préoccupation pour leur santé et celle de leurs clients. Il est temps que la réglementation européenne en tienne également compte.

 


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proposition de rÉsolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu l’article 5 du traité sur l’Union européenne,

Vu les articles 2, 4, 6, 9 et 36 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu le règlement n° 396/2005 du 23 février 2005 concernant les limites maximales applicables aux résidus de pesticides présents dans ou sur les denrées alimentaires et les aliments pour animaux d’origine végétale et animale,

Vu le règlement n° 1107/2009 du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques,

Vu la directive n° 2009/128 du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable,

Vu le règlement n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles,

Vu l’article 70 de la loi n° 2019‑1446 de financement de la Sécurité sociale pour 2020 créant le fonds d’indemnisation des victimes de pesticides,

Vu le décret n° 2020‑1463 du 27 novembre 2020 publié le 29 novembre 2020 détaillant le fonctionnement du fonds et les modalités d’indemnisation,

Vu le courrier de réponse de la Commission européenne daté d’avril 2022 à l’interpellation du réseau Pesticide Action Network,

Considérant que les décès de deux fleuristes et d’une enfant de fleuristes ont été reconnus par le fonds d’indemnisation des victimes de pesticides comme ayant été causés par une maladie professionnelle à la suite de l’exposition à des pesticides ;

Considérant que 10 % des 2 000 demandes adressées en trois ans au fonds d’indemnisation des victimes de pesticides concernaient des professionnels de la fleur ;

Considérant que 85 % des fleurs vendues en France proviennent de l’étranger et ne sont pas soumises aux mêmes contraintes que les fleurs produites en France ;

Considérant qu’il a été maintes fois démontré que des résidus de nombreux pesticides, pourtant interdits en Europe, se retrouvent dans les fleurs commercialisées sur le sol européen ;

Considérant qu’il est interdit dans l’Union européenne de traiter les cultures avec des substances non approuvées par la réglementation européenne ;

Considérant que le principe de précaution doit prévaloir au nom de la santé des travailleurs et travailleuses de la fleur ;

Considérant que la Commission européenne identifie la réglementation des fleurs coupées comme une préoccupation potentielle des États membres ;

Invite le Gouvernement à solliciter, auprès de la Commission européenne, le lancement de la procédure visant à l’élaboration d’une réglementation stricte sur les limites maximales de résidus de pesticides dans les fleurs coupées, et à l’interdiction d’importer, en provenance de pays tiers, des fleurs traitées avec des pesticides interdits en Europe, avec un renforcement des contrôles par les autorités sanitaires et douanières.

 

 


([1]) Les fleuristes exposés aux pesticides, le grand déni de la profession, Reporterre, 6 décembre 2024

([2]) Exposure of workers to pesticide residues during re-entry activities: A Review, Toumi, Khaoula; Joly, Laure; Vleminckx, Christiane et al. 2019, in Human and Ecological Risk Assessment

([3]) 60 millions de consommateurs, 10 février 2017

([4]) Pesticide Action Network, 14 février 2025

([5]) UFC que choisir, 14 février 2025

([6]) Constitution d’un groupe de travail chargé d’expertiser les risques relatifs à l’exposition professionnelle aux agents chimiques dangereux dans le secteur des fleurs coupées, ANSES

([7]) Communiqué de presse de la FFAF de février 2025

([8]) Pesticides : des fleuristes témoignent de problèmes de santé, Reporterre, 3 décembre 2024