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N° 1763

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 juillet 2025.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

visant à rejeter le projet d’accord sur les droits de douane et le commerce du 27 juillet 2025 entre l’Union européenne et les États-Unis,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par

M. Emmanuel MAUREL, M. Fabrice BARUSSEAU, M. Paul CHRISTOPHLE, M. Charles FOURNIER, M. Philippe LATOMBE, Mme Karine LEBON, M. Jean-Paul LECOQ, Mme Sophie PANTEL, M. Dominique POTIER, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Davy RIMANE, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, Mme Dominique VOYNET, Mme Marie-José ALLEMAND, Mme Christine ARRIGHI, Mme Delphine LINGEMANN, M. Emmanuel GRÉGOIRE, Mme Fanny DOMBRE COSTE, Mme Louise MOREL, M. Mickaël BOULOUX, M. Stéphane PEU, Mme Estelle MERCIER, Mme Béatrice BELLAY, Mme Clémentine AUTAIN, M. Yannick MONNET, Mme Marietta KARAMANLI, M. Romain ESKENAZI, M. Paul MOLAC, M. Pierrick COURBON, M. Marc PENA, M. Philippe BRUN, M. Laurent BAUMEL, M. Arthur DELAPORTE, Mme Chantal JOURDAN, Mme Anna PIC, M. Alexis CORBIÈRE, M. Pouria AMIRSHAHI, M. Inaki ECHANIZ, M. Tristan LAHAIS, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, M. Ian BOUCARD, Mme Sandrine RUNEL, M. Gérard LESEUL, M. Emmanuel DUPLESSY, M. Karim BEN CHEIKH, M. Benjamin LUCAS-LUNDY, M. François RUFFIN, M. Christophe NAEGELEN, M. Hervé SAULIGNAC, M. Julien BRUGEROLLES, Mme Josy POUEYTO,

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La Présidente de la Commission européenne en déplacement en Ecosse le 27 juillet 2025, a agréé les principales lignes directrices d’un projet d’accord commercial à sens unique, où la quasi‑totalité des exigences de l’administration de Donald Trump ont été satisfaites. 

1. Les exportations européennes feront l’objet d’un rehaussement général des droits de douane américains à hauteur de 15 %, tandis que les exportations américaines vers l’UE verront leur tarif inchangé. Ce à quoi il faut ajouter la récente dépréciation du dollar (environ moins 13 % depuis le début 2025), qui cumulée avec les droits à 15 %, équivaut en fait à satisfaire l’exigence initiale de Trump à 30 %. 

Des exemptions seraient prévues dans quelques secteurs, notamment l’aéronautique, les produits pharmaceutiques et les semi‑conducteurs. La négociation n’est pas arrêtée dans le secteur des vins et spiritueux, qui en France est très exposé à la demande intérieure américaine. 

Il ressort de cette négociation que l’économie française déjà en difficulté risque d’être violemment impactée, d’autant plus que la Commission s’est engagée sur des contingents d’importation supplémentaires de produits agricoles américains. 

2. La Commission s’est engagée à acheter plus d’armements originaires des USA, trahissant sa promesse de consolider l’Europe de la Défense et de favoriser au maximum l’industrie européenne, et notamment française, dans le cadre d’une élévation de l’effort de défense à 3 %, voire 3,5 % du produit intérieur brut. 

Il s’agit là d’une attaque directe contre nos intérêts économiques et stratégiques, par ailleurs contraire aux traités : hormis certains dispositifs spécifiques à l’aide européenne à l’Ukraine, la Commission n’a aucun droit ni mandat pour négocier et encore moins conclure des contrats d’armements avec l’étranger. 

3. La Commission s’est engagée à des investissements européens massifs, d’une valeur de 600 milliards d’euros, aux États‑Unis. Ce faisant, elle a balayé d’un revers de main toutes les recommandations récemment formulées par d’éminentes personnalités, particulièrement MM. Draghi et Letta, visant à mobiliser l’épargne européenne, qui finance déjà largement le déficit budgétaire et commercial américain, pour produire davantage en Europe et y investir dans les secteurs de pointe. 

Quoiqu’on pense de la pertinence et de l’opportunité de ces propositions faites dans le cadre du débat public européen, la Commission a décidé de facto, hier, de les rendre caduques et sans objet. 

4. La Commission s’est engagée à rendre l’Europe dépendante des États‑Unis, et au prix fort, pour son approvisionnement énergétique, via une intention de leur acheter 750 milliards d’euros de pétrole et de gaz naturel liquéfié. Cet engagement outrepasse ses prérogatives, car l’approvisionnement énergétique relève des États‑Membres. 

Sur le fond, cette décision est déplorable car notre autonomie stratégique repose précisément sur la diversification des approvisionnements énergétiques. Échanger notre dépendance au gaz à un régime autoritaire et agressif contre une dépendance à un pays qui se veut notre allié tout en nous imposant des conditions aussi léonines, ne paraît pas une approche responsable ni prudente.

5. Politiquement, l’Union européenne est humiliée et tous les efforts qu’elle a consacrés à la réciprocité commerciale, notamment des règlements importants comme l’instrument anti‑coercition voté par le Parlement européen sous sa précédente législature, tombent à néant. À ce stade, au terme de cet accord UE‑USA (à supposer qu’il soit intégralement appliqué), la Chine bénéficierait globalement, de la part des Américains, d’un traitement plus favorable que l’Union européenne. Employer le terme d’humiliation face à un pays allié qui, finalement, concéderait à son « rival systémique » des relations économiques et commerciales plus favorables, ne paraît donc pas excessif. La perte de crédibilité politique, diplomatique, économique et commerciale de l’Union européenne est immense. C’est indubitablement un jalon vers une perte de substance de la construction européenne. 

Dans ces conditions, il paraît urgent que le Parlement français se prononce dans des termes sans la moindre équivoque contre l’accord Trump – Von der Leyen, comme il a su le faire à l’automne dernier contre l’accord avec le Mercosur. 

 


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proposition de rÉsolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu l’article 5 du Traité sur l’Union européenne,

Vu le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, notamment ses articles 2, 3, 4, 7, 11, 12, 13, 206, 207 et 218,

Vu l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994,

Vu l’avis 2/15 de la Cour de justice de l’Union européenne du 16 mai 2017,

Vu l’Accord de Paris adopté le 12 décembre 2015 et ratifié le 5 octobre 2016,

Vu le règlement (UE) 2023/1115 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023 relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union et à l’exportation à partir de l’Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts, et abrogeant le règlement (UE) n° 995/2010,

Vu l’avis 2/15 rendu le 16 mai 2017 par la Cour de justice de l’Union européenne sur l’accord de libre‑échange avec Singapour,

Vu les conclusions du Conseil de l’Union européenne du 16 octobre 2020 approuvant la stratégie de l’Union européenne en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030, dans un document intitulé « L’urgence d’agir », 11829/20,

Vu la Déclaration du 27 juillet 2025 de la Présidente von der Leyen à propos de l’accord sur les droits de douane et le commerce avec les États‑Unis,

Vu la fiche d’information publiée le 28 juillet 2025 par la Maison Blanche : « Les États‑Unis et l’Union européenne concluent un accord commercial massif »,

Considérant que la Constitution, dans son préambule et dans son article 3, consacre les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie ; qu’elle précise, à son article 1er, que la France est une République « démocratique et sociale » ;

Considérant que les négociations menées en vue d’un accord économique et commercial avec les États‑Unis ont été menées sans respect réel des principes d’ouverture et de transparence posés à l’article 15 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et, par voie de conséquence, sans qu’ait pu être assuré un contrôle démocratique national et européen digne de l’État de droit ;

Considérant qu’en vertu des articles 207 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et 21 du traité sur l’Union européenne, la politique commerciale commune doit être menée dans le respect des objectifs de l’action extérieure de l’Union européenne et donc promouvoir un ordre multilatéral respectueux de la démocratie et de l’État de droit ;

Considérant qu’aux termes de l’article 218 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, « un État membre, le Parlement européen, le Conseil ou la Commission peut recueillir l’avis de la Cour de justice sur la compatibilité d’un accord envisagé avec les traités » ;

Considérant que le projet accord économique et commercial entre l’Union européenne et les États‑Unis comprend des dispositions relatives aux investissements étrangers, lesquelles relèvent du champ de compétences partagées entre l’Union européenne et les États membres et doivent donc donner lieu à une approbation par le Parlement national ;

Considérant que le projet accord économique et commercial entre l’Union européenne et les États‑Unis est susceptible de porter préjudice à la politique économique, environnementale, agricole ou encore sociale de notre pays, altérant ainsi durablement le périmètre de la souveraineté nationale garantie par l’article 3 de la Constitution ;

Considérant que l’engagement d’une augmentation massive des importations de produits agricoles américains exposera les agriculteurs français à une concurrence internationale déloyale résultant de la prévalence de normes environnementales et sociales moins strictes hors de l’Union européenne ;

Considérant que le projet d’accord entre l’Union européenne et les États‑Unis a pour objet l’augmentation des flux internationaux de marchandises et que l’augmentation des émissions de gaz à effets de serre et pollutions environnementales associées n’est pas conforme aux engagements de l’Union européenne et de la France pris lors de la COP21 pour lutter efficacement contre le changement climatique ;

Invite le Gouvernement :

1. À signifier à la Commission européenne son opposition au projet d’accord économique et commercial entre l’Union européenne et les États‑Unis ;

2. À s’opposer à ce projet d’accord économique et commercial entre l’Union européenne et les États‑Unis lors des prochaines réunions du Conseil ;

3. À se rapprocher de la Commission européenne afin de faire valoir le caractère mixte de l’éventuel accord économique et commercial entre l’Union européenne et les États‑Unis ;

4. À demander à la Commission européenne de soumettre le projet d’accord à un vote à l’unanimité des États membres au Conseil, puis à un vote au Parlement européen et à une ratification par l’ensemble des Parlements des États membres ;

5. À refuser toute mise en œuvre d’un accord économique et commercial entre l’Union européenne et les États‑Unis sans approbation préalable des parlements nationaux ;

6. À solliciter l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne sur la compatibilité de ce projet d’accord économique et commercial entre l’Union européenne et les États‑Unis avec les Traités européens sur la base de l’article 218 (11) du Traité de fonctionnement de l’Union européenne pour éviter qu’un accord incompatible avec les Traités européens soit conclu et de ne pas procéder à la ratification de cet accord tant que la Cour de justice de l’Union européenne ne s’est pas prononcée.