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N° 304

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 octobre 2024.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION tendant à la création d’une commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance,

 

 

 

Par Mme Isabelle SANTIAGO,

 

Députée.

 

——

 

 

Voir le numéro : 190.

 


 

 


  1  —

SOMMAIRE

___

Pages

introduction

I. la recevabilité juridique de la proposition de résolution

II. L’opportunité de la création de la commission d’enquête

Travaux de la commission

Annexe

 

 


  1  —

   introduction

La rapporteure a déposé, le 18 septembre 2024, une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance, dont la commission des affaires sociales est saisie.

L’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et les articles 137 à 144-2 du Règlement de l’Assemblée nationale fixent le régime de la création et du fonctionnement d’une commission d’enquête parlementaire.

L’article 140 du Règlement prévoit que « les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont renvoyées à la commission permanente compétente ». La présente proposition de résolution a donc été renvoyée à la commission des affaires sociales.

En vertu du même article 140, il appartient ainsi à la commission des affaires sociales de vérifier si les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance sont bien réunies et de se prononcer sur son opportunité. Une fois cet examen réalisé, la création de la commission d’enquête devra faire l’objet d’un vote par l’Assemblée, conformément au premier alinéa de l’article 141 du Règlement.

*

*     *

I.   la recevabilité juridique de la proposition de résolution

La recevabilité juridique de la proposition de résolution tient à la conformité de ses dispositions aux exigences tant de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 ([1]) que des articles 137 à 139 du Règlement.

 

Dispositions encadrant la création des commissions d’enquête

Article 137

« Les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont déposées sur le bureau de l’Assemblée. Elles doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion. Elles sont examinées et discutées dans les conditions fixées par le présent Règlement. »

Article 138

« 1. Est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre.

2. L’irrecevabilité est déclarée par le Président de l’Assemblée. En cas de doute, le Président statue après avis du Bureau de l’Assemblée. »

Article 139

« 1. Le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête est notifié par le Président de l’Assemblée au garde des Sceaux, ministre de la Justice.

2. Si le garde des Sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion. Si la discussion est déjà commencée, elle est immédiatement interrompue.

3. Lorsqu’une information judiciaire est ouverte après la création de la commission, le Président de l’Assemblée, saisi par le garde des Sceaux, en informe le président de la commission. Celle‑ci met immédiatement fin à ses travaux. »

Source : Règlement de l’Assemblée nationale.

● En premier lieu, une commission d’enquête ne peut être créée qu’aux fins de « recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre [ses] conclusions à l’assemblée qui [l’]a [créée] » ([2]). La proposition de résolution tendant à sa création doit « déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion » ([3]).

Selon l’article unique de la proposition de résolution de la commission d’enquête, celle-ci devra :

– identifier les manquements actuels de la politique de l’aide sociale à l’enfance () ;

– cibler les défaillances de la gouvernance de la politique de l’aide sociale à l’enfance () ;

– faire des recommandations sur les réponses législatives, réglementaires et budgétaires à apporter à la crise que traverse la protection de l’enfance, mais aussi sur l’articulation entre les collectivités territoriales et les services de l’État ().

L’article détaille avec une grande précision les différents éléments à examiner afin de déterminer l’étendue des « manquements » et des « défaillances » dans la gestion de la politique de l’aide sociale à l’enfance.

La proposition de résolution est, par conséquent, recevable au regard du deuxième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 et de l’article 137 du Règlement.

● En deuxième lieu, il convient d’examiner la recevabilité de la proposition de résolution au regard de l’article 138 du Règlement, lequel dispose qu’une commission d’enquête ne peut être constituée si son objet est identique à celui d’une mission d’information investie des prérogatives d’une commission d’enquête ou d’une commission d’enquête dont les travaux se seraient achevés au cours des douze mois précédant sa création. Cette disposition découle du cinquième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qui indique que les commissions d’enquête « ne peuvent être reconstituées avec le même objet avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter de la fin de leur mission ».

De fait, le 9 avril 2024, la Conférence des présidents avait pris acte de la création d’une commission d’enquête ayant le même objet que celle de la présente proposition de résolution. Proposée par Mme Isabelle Santiago et de nombreux députés, cette création résultait de l’exercice du droit de tirage ([4]) du groupe Socialistes et apparentés. La commission d’enquête était présidée par Mme Laure Miller et Mme Isabelle Santiago en était la rapporteure. Ses travaux ont été interrompus le 9 juin 2024, du fait de la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par le Président de la République.

Ni le Règlement ni l’ordonnance susmentionnée ne prévoient explicitement les implications d’un changement de législature sur la question du respect du délai de douze mois avant la reconstitution d’une commission d’enquête ayant le même objet. Cependant, il résulte de l’article 3 de la Constitution, qui consacre le principe de souveraineté nationale s’exprimant lors des élections, que les décisions d’une nouvelle assemblée en matière de contrôle ne peuvent être liées par les choix effectués lors d’une législature précédente. Il appartient aux élus de la législature nouvelle de déterminer souverainement les travaux d’évaluation et de contrôle qu’ils jugent pertinents.

En outre, les dispositions de l’ordonnance de 1958 ont pour objectif d’assurer une forme de régulation du pouvoir d’enquête du Parlement. On peut considérer que, dans l’esprit du législateur, il s’agissait d’empêcher les parlementaires consacrer un temps indéterminé à un même sujet, au risque d’empiéter sur les compétences des commissions permanentes, voire de contourner le premier alinéa de l’article 43 de la Constitution, qui limite à huit le nombre de commissions permanentes dans chaque assemblée. Or, en tout état de cause, la proposition de résolution que nous examinons ne vise manifestement pas à prolonger de façon disproportionnée ou abusive les travaux d’une commission d’enquête antérieure.

Pour toutes ces raisons, votre rapporteur estime que l’irrecevabilité prévue à l’article 138 du Règlement ne peut être opposée à la présente proposition de résolution.

● En dernier lieu, une commission d’enquête ne peut être constituée s’il apparaît que les faits sur lesquels elle porte ont « donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours » ([5]). Afin de vérifier que cette condition est réunie, l’article 139 du Règlement prévoit la notification par le Président de l’Assemblée nationale du garde des sceaux, ministre de la justice, au moment du dépôt d’une proposition de loi tendant à la création d’une commission d’enquête. Si le garde des sceaux « fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celleci ne peut être mise en discussion » ([6]).

Dans sa réponse, en date du 1er octobre 2024, le garde des sceaux a fait savoir que le périmètre de la commission d’enquête était « susceptible de recouvrir des procédures en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ».

En tout état de cause, il convient de rappeler que le principe de séparation des pouvoirs, garanti par l’interdiction pour les députés d’enquêter sur des faits donnant lieu à des procédures judiciaires en cours, ne saurait cependant priver à lui seul l’Assemblée nationale de la faculté de création d’une commission d’enquête, prévue à l’article 51-2 de la Constitution. Conformément à une appréciation constante de cette condition, l’existence de poursuites judiciaires pouvant entrer dans le champ de la commission d’enquête ne fait pas obstacle à sa création mais implique une vigilance particulière, selon la formulation consacrée, quant à l’articulation de l’enquête parlementaire avec ces procédures judiciaires.

*

*     *

II.   L’opportunité de la création de la commission d’enquête

La commission des affaires sociales doit se prononcer en application du premier alinéa de l’article 140 du Règlement de l’Assemblée nationale sur l’opportunité de création de cette commission d’enquête, celle-ci n’ayant pas été déposée dans le cadre du « droit de tirage » prévu au deuxième alinéa de l’article 141 du Règlement.

Il faut d’abord souligner que cette commission d’enquête est très attendue par les associations et la société civile, dans un contexte où la dissolution de l’Assemblée nationale intervenue le 9 juin 2024 n’a pas permis à la précédente commission d’enquête portant sur le même sujet d’arriver à son terme.

Ces dernières années ont été marquées par une prise de conscience croissante des abus à l’encontre des enfants placés. Le système français de la protection de l’enfance traverse une crise profonde, dont les dysfonctionnements émaillent régulièrement l’actualité. Le Conseil national de la protection de l’enfance appelait le 11 septembre 2023 à un « plan Marshall » en faveur des mineurs les plus vulnérables ([7]). Le suicide de Lily, une jeune fille de 15 ans suivie par le service d’aide sociale à l’enfance du Puy‑de‑Dôme, en janvier 2024, alors qu’elle était hébergée dans un établissement hôtelier, est un drame qui rappelle l’urgence de poursuivre la mise en évidence des dysfonctionnements de l’aide sociale à l’enfance.

Aux termes de l’article L. 112-3 du code de l’action sociale et des familles, la protection de l’enfance « vise à garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant, à soutenir son développement physique, affectif, intellectuel et social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation, dans le respect de ses droits ». Malgré ses missions, l’aide sociale à l’enfance ne permet pas aujourd’hui de protéger efficacement les mineurs pris en charge.

Au 31 décembre 2022, près de 208 000 mineurs et jeunes majeurs bénéficient de 381 000 mesures d’aide sociale à l’enfance, un nombre en augmentation continue depuis 1998 ([8]). Le nombre de mineurs non accompagnés (MNA) pris en charge par l’aide sociale à l’enfance a également augmenté pour atteindre 39 000 enfants fin 2022 ([9]). Cette dynamique se heurte au manque de places en famille d’accueil et en établissement, entraînant une forte instabilité pour les enfants pris en charge. La protection de l’enfance est aussi marquée par une forte judiciarisation, les mesures éducatives relevant aujourd’hui à 70 % de mesures judiciaires ([10]).

La création d’une commission d’enquête est essentielle pour identifier les manquements actuels de la politique de l’aide sociale à l’enfance.

En effet, la qualité de l’accompagnement des mineurs et jeunes adultes n’est « pas garantie » selon la Cour des comptes ([11]) qui souligne le manque de contrôle des établissements et des familles d’accueil ainsi que des retards de prise en charge malgré des situations souvent urgentes. La diminution du recours à l’accueil familial entraîne des risques liés à l’absence de consolidation de l’environnement socio-affectif des mineurs. Des faits de maltraitance active et passive ont été mis en lumière depuis plusieurs années par les professionnels, le monde associatif et dénoncés dans plusieurs rapports ([12]).

La transition à l’âge adulte entraîne par ailleurs de nombreuses ruptures de parcours liées notamment aux « sorties sèches » sans accompagnement. Un quart des personnes de moins de 25 ans sans domicile fixe seraient issues de l’aide sociale à l’enfance, une part qui s’élève à 36 % pour les jeunes sans‑abri entre 18 et 25 ans ([13]). L’intégration scolaire, sociale et professionnelle de ces jeunes est ainsi rendue plus complexe que pour le reste de la population alors que l’exigence d’autonomie est paradoxalement plus forte à leur égard ([14]). Selon France Stratégie, les jeunes placés sont deux fois plus susceptibles d’être sans diplôme que la moyenne de l’ensemble des jeunes ([15]) en raison de difficultés familiales et de situations de maltraitance qui perturbent leur trajectoire scolaire. Les parcours éducatifs sont souvent subis alors que les jeunes placés sont le plus souvent orientés vers les formations courtes et professionnalisantes ([16]). Seuls 12 % des jeunes placés ont un baccalauréat général contre 39 % de l’ensemble des jeunes en population générale ([17]). Le manque de soutien parental et les difficultés des services de l’aide sociale à l’enfance contribuent à limiter leur réussite scolaire.

Les jeunes en situation de handicap, qui représentent 15 % des mineurs pris en charge par l’aide sociale à l’enfance ([18]), subissent en outre une « double peine » liée au manque de prise en charge dans une structure médico-sociale adaptée. Les troubles psychiques et du comportement sont surreprésentés chez les enfants placés alors que les structures d’accueil ne disposent pas toujours des moyens nécessaires pour les accompagner ([19]).

Les moyens mis à disposition d’une commission d’enquête permettraient également de mettre en lumière les défaillances de la gouvernance de la politique d’aide sociale à l’enfance.

Le pilotage de la protection de l’enfance a été réformé à la suite de la loi dite « Taquet » du 7 février 2022 ([20]) qui consacre une compétence partagée entre l’État et les départements. Alors que le pilotage national était auparavant éclaté ([21]), un groupement d’intérêt public « France Enfance Protégée », rassemble désormais l’ensemble des acteurs. Cependant, la coordination entre les services judiciaires et les services départementaux paraît rester limitée, notamment en l’absence d’un système d’information commun ([22]).

Un état des lieux de la mise en œuvre de la loi de 2016 relative à la protection de l’enfant ([23]) et de la loi de 2022 dite Taquet ([24]) est nécessaire alors que plusieurs décrets d’application ont été publiés tardivement ([25]). L’interdiction des accueils hôteliers n’est pas systématiquement respectée ([26]), le suivi du référentiel national d’évaluation des informations préoccupantes est toujours en cours ([27]) tandis que la priorité donnée à l’accueil de l’enfant ou à un membre de la famille n’est pas effective ([28]). Les départements ne sont pas toujours en capacité de mettre en œuvre les dispositions légales notamment le contrat jeune majeur et l’entretien supplémentaire jusqu’à l’âge de 21 ans ([29]).

La protection de l’enfance fait également face à l’insuffisance des moyens humains et financiers. En 2021, 75 % des assistants familiaux ont plus de 50 ans ([30]) tandis que 30 000 postes sont aujourd’hui vacants dans le secteur de l’aide sociale ([31]). Cette crise de l’attractivité de la protection de l’enfance a des conséquences directes sur l’instabilité des parcours des enfants placés et sur leur prise en charge psycho-affective. Les dépenses départementales s’élèvent à 9,9 milliards d’euros en 2022, soit une multiplication par deux depuis 1998 ([32]), mais elles restent insuffisantes pour faire face à la hausse du nombre de mineurs pris en charge. Cette pression financière est aggravée par l’absence d’évaluation de l’impact de la loi dite « Taquet » du 7 février 2022 ([33]), qui prévoit notamment l’extension du contrat jeune majeur. En outre, de fortes disparités persistent entre les départements avec des taux de prise en charge allant de 9,5 ‰ à 44,5 ‰ selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) ([34]). Les écarts budgétaires sont également conséquents alors qu’en 2019, le département des Bouches-du-Rhône dépensait 480 euros par habitant de moins de 20 ans pour la protection de l’enfance, contre 737 euros en Seine-Saint-Denis ([35]).

Il est donc essentiel que la lumière soit faite sur les graves dysfonctionnements actuels de la protection de l’enfance ainsi que sur leurs causes. Les moyens propres aux commissions d’enquête parlementaires seront utiles et indispensables pour mener à bien ce travail. L’opportunité de création de cette commission d’enquête est d’autant plus importante qu’elle permettra au regard du constat dressé de formuler des recommandations de nature législative, réglementaire ou budgétaire, aujourd’hui très attendues sur le terrain, pour que la protection de l’enfance remplisse pleinement ses missions.

 


  1  —

   Travaux de la commission

Lors de sa réunion du mercredi 2 octobre 2024, la commission examine la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance (Mme Isabelle Santiago, rapporteure) (n° 190) ([36]).

Mme Annie Vidal, présidente. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance. Ce texte est inscrit à l’ordre du jour de la séance publique de l’après-midi du mercredi 9 octobre.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Il nous revient d’examiner la recevabilité et l’opportunité de la création d’une commission d’enquête sur la protection de l’enfance. Comme vous le savez, la précédente commission d’enquête qui portait sur le même périmètre a dû clore ses travaux précipitamment après trois semaines d’auditions, du fait de la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par le président de la République le 9 juin dernier.

Cette précédente commission d’enquête était issue du droit de tirage du groupe socialiste et j’avais l’honneur d’en être la rapporteure. Elle n’a malheureusement pas pu aller au bout de ses travaux. Il s’agit pourtant d’un sujet extrêmement attendu par les associations et les professionnels. Mais nous devons une telle commission en premier lieu aux enfants qui font l’objet de mesures de protection, et plus généralement aux enfants. La manière dont ils sont protégés par les pouvoirs publics est révélatrice de l’état de la société et de notre pacte social.

Les drames quotidiens témoignent de la nécessité de revoir profondément cette politique publique. Il est urgent que la représentation nationale dresse un constat clair des défaillances actuelles et formule des recommandations pour y remédier. C’est pour cela qu’avec mes collègues du groupe Socialistes et apparentés j’ai déposé le 18 septembre une proposition de résolution tendant à la création d’une nouvelle commission d’enquête. La Conférence des présidents qui s’est tenue hier a décidé que son examen en séance publique aurait lieu le 9 octobre – ce dont je me réjouis.

Comme le prévoient le Règlement de l’Assemblée nationale et l’ordonnance du 17 novembre 1958, il convient de vérifier trois conditions de recevabilité.

Tout d’abord, une commission d’enquête doit être créée pour réunir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales. La présente proposition confie à la commission d’enquête trois missions principales relatives à la gestion du service public de l’aide sociale à l’enfance (ASE) : identifier les manquements à l’origine de la situation actuelle ; analyser les défaillances de sa gouvernance ; formuler des recommandations législatives, réglementaires et budgétaires. La proposition satisfait donc pleinement la première condition.

Ensuite, une commission d’enquête ne peut avoir le même objet qu’une mission d’information investie des prérogatives d’une commission d’enquête ou qu’une commission d’enquête dont les travaux se sont achevés au cours des douze mois précédents. Cela mérite que l’on s’y attarde quelques instants.

En effet, la Conférence des présidents avait pris acte le 9 avril 2024 de la création d’une commission d’enquête ayant le même objet que celle de la présente proposition. Le Règlement et l’ordonnance précités ne prévoient pas explicitement quelles sont les conséquences d’un changement de législature en ce qui concerne le respect du délai de douze mois. Cependant, il résulte de l’article 3 de la Constitution – qui consacre le principe de l’expression de la souveraineté nationale lors des élections – que les décisions d’une nouvelle assemblée en matière de contrôle ne peuvent être liées par les choix effectués lors d’une législature précédente. Il appartient aux élus de la nouvelle législature de déterminer souverainement les travaux d’évaluation et de contrôle qu’ils jugent pertinents. On peut considérer que, dans l’esprit du législateur, les dispositions de l’ordonnance de 1958 avaient pour objectif d’empêcher les parlementaires de consacrer un temps indéterminé au même sujet, au risque d’empiéter sur les compétences des commissions permanentes – voire de contourner le premier alinéa de l’article 43 de la Constitution qui limite à huit le nombre de commissions permanentes dans chaque assemblée. Or il est évident que la proposition ne vise manifestement pas à prolonger de façon disproportionnée ou abusive les travaux d’une commission d’enquête antérieure.

Enfin, il ne peut être créé une commission d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Saisi par la Présidente de l’Assemblée nationale en application de l’article 139 du Règlement, le garde des sceaux a indiqué que le champ proposé pour la commission d’enquête était susceptible de concerner des procédures en cours. Ce critère a fait l’objet d’une appréciation constante selon laquelle l’existence de poursuites judiciaires n’empêche pas la création d’une commission d’enquête, à condition de veiller à la bonne articulation des travaux parlementaires et des procédures judiciaires et de ne pas empiéter sur les compétences de la justice. Nous y serons bien évidemment attentifs.

Les trois critères de recevabilité pour créer une commission d’enquête me paraissent donc pleinement remplis.

S’agissant de l’opportunité de sa création et sans anticiper sur ses conclusions, il est évident que le système français de protection de l’enfance est à bout de souffle. La crise de la prise en charge est connue de tous et elle a fait l’objet de très nombreux rapports. Près de 400 000 enfants ont bénéficié d’une mesure d’aide sociale à l’enfance en 2022, 178 000 font l’objet d’une mesure de suppléance familiale et 150 000 sont accompagnés par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

L’augmentation continue du nombre de mineurs pris en charge n’a pas été suivie par une évolution des modes d’accueil, des financements et de la politique de prévention. En 2024, pour la première fois l’accueil familial n’est plus le mode de prise en charge le plus fréquent à l’échelle nationale. L’accueil en hôtel perdure, au détriment des besoins psycho‑affectifs des enfants.

Le temps de l’enfant n’est pas celui de l’adulte. Malgré l’urgence des situations, les retards de prise en charge affectent directement la capacité de l’État, mais aussi des départements, à accompagner le développement des enfants.

Le système de protection de l’enfance est parfois défaillant dès la naissance des enfants. J’avais lancé en mai dernier une alerte au sujet des pouponnières, qui font face à des difficultés majeures du fait d’une croissance exponentielle du nombre d’enfants de moins de 3 ans qu’elles accueillent. Ces derniers sont désormais 11 000.

L’âge de 21 ans est aussi un couperet qui pose d’énormes problèmes. Il faudra travailler pour éviter les « sorties sèches ». Ceux qui relèvent de la protection de l’enfance doivent bénéficier d’un accompagnement vers l’autonomie pleine et entière.

La crise de la protection de l’enfance est également une crise des moyens financiers et humains. Elle est particulièrement grave dans le secteur médico-social, ce qui doit nous conduire à nous interroger sur les raisons du manque d’attractivité de ce dernier – donc sur les évolutions nécessaires de la formation initiale et continue, mais aussi sur la dégradation des conditions de travail et la revalorisation des salaires. Le Livre blanc du travail social publié en novembre dernier fournit un certain nombre d’éléments utiles pour aborder ces nombreux aspects.

Enfin, la crise est également une crise de gouvernance, même si cette dernière a été modifiée par la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants. Les travaux de la commission d’enquête permettront de comprendre l’ensemble des difficultés d’application des dernières réformes.

Parmi ceux qui attendent cette commission d’enquête figurent notamment de nombreuses associations – qui tirent la sonnette d’alarme à travers la mobilisation dite des 400 000 – et l’ensemble de la société civile, très touchée par les faits dont les médias se font l’écho, qui sont à l’origine de grandes souffrances. Il faut que cela cesse et que l’on assure mieux la protection de l’enfance et la suppléance familiale. On peut s’inspirer de l’expérience d’autres pays et innover. Il ne faut s’interdire aucune réflexion pour être à la hauteur des besoins des enfants.

Il n’y a pas eu de commission d’enquête sur le sujet depuis les lois de décentralisation. Compte tenu de la situation, il est plus qu’urgent de trouver des solutions pour l’enfance en danger et l’honneur des représentants de la nation est de répondre à ce défi.

Mme Annie Vidal, présidente. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Christine Loir (RN). Le Conseil national de la protection de l’enfance réclame un plan Marshall pour soutenir les mineurs vulnérables et nous devons donc nous emparer de ce sujet. Nous saluons la démarche proposée par la rapporteure, car elle est indispensable pour identifier les dysfonctionnements.

En France, plus de 80 000 enfants sont victimes de violences chaque année. Plus de 300 000 sont pris en charge par l’ASE. Bien que cette dernière soit censée garantir leurs droits fondamentaux, elle échoue souvent à les protéger par manque de place dans des familles d’accueil et en raison de leur maintien dans une situation précaire qui les empêche d’avoir une enfance heureuse. Cette situation a des conséquences sur leur avenir : 70 % des enfants placés n’obtiendront jamais un diplôme et un grand nombre de jeunes délinquants pris en charge par la PJJ l’ont été d’abord été par l’ASE. Il faut mettre fin à cette fatalité.

Nous, députés, sommes bien souvent contactés par des familles et des services sociaux désemparés. J’en profite pour saluer le dévouement des personnels, qui font de leur mieux. Le secteur est en crise : il est sous-financé et souffre d’une crise d’attractivité. Le cas particulier des enfants en situation de handicap est tout aussi préoccupant : 15 % des enfants pris en charge souffrent d’un manque de structures adaptées. Qu’il me soit permis de saisir cette occasion pour souligner le manque catastrophique d’accompagnants d’élèves en situation de handicap dans le département de l’Eure depuis la rentrée scolaire.

Dans son programme présidentiel, Marine Le Pen avait souligné qu’il était tout aussi essentiel de protéger les enfants que les jeunes adultes privés de la protection d’une famille aimante. Dans bien des cas ces derniers sont littéralement mis à la rue à 18 ans.

M. Jean-François Rousset (EPR). Je serai bref car cette proposition de résolution a vocation à permettre la poursuite des travaux entamés sous la précédente législature et interrompus par la dissolution de juin dernier. La commission d’enquête qui avait alors été créée résultait d’une demande du groupe socialiste dans le cadre de son droit de tirage et nous n’avions donc pas eu à nous prononcer sur son opportunité.

Notre groupe souhaite que cette commission – présidée par Laure Miller et dont la rapporteure était Isabelle Santiago – poursuive les travaux qu’elle avait brièvement engagés et nous ne nous opposerons donc pas à l’adoption de cette proposition.

Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Mon groupe soutient également que soit recréée cette commission d’enquête, interrompue brutalement par la dissolution. L’arrêt soudain des travaux a été particulièrement ressenti par les anciens enfants placés, les professionnels et toutes les associations habilitées – qui font comme elles le peuvent, avec des moyens très réduits et malgré les difficultés que l’on sait.

Pas un jour ne passe sans que l’on nous alerte au sujet de dysfonctionnements extrêmement graves et de violences, comme l’ont fait le 17 juin des éducateurs d’un foyer. Le 11 juillet, une enfant de 17 mois a été retrouvée morte au domicile de ses parents alors qu’une mesure judiciaire d’investigation éducative avait été prise. Le 18 juillet, une enfant placée est décédée lors d’un séjour en vacances. Le 29 août, des personnels de la PJJ ont fait grève car cette direction est très touchée par des coupes budgétaires, avec la perte de 500 emplois. Le 30 août, une société a été condamnée pour accueil illégal d’enfants placés et pour maltraitance. Le même jour, une association de protection de l’enfance a été mise sous tutelle à la suite de plusieurs dysfonctionnements graves. Le 10 septembre, après des fugues à répétition dans un foyer, on a découvert qu’une fonctionnaire de l’ASE fournissait des informations sur des enfants placés à un homme incarcéré pour viol. Le 26 septembre, on a appris qu’un foyer de l’ASE servait de dépôt pour du trafic de drogue. Le 27 septembre, une enquête a révélé que des enfants placés dans des familles d’accueil non habilitées ont subi des humiliations et des violences pendant plus de sept ans. Le 30 septembre un assistant familial a été mis en examen pour viol et actes de torture et de barbarie.

Je vous épargne la liste des infanticides ainsi que celle des faits de proxénétisme, qui touchent aussi des enfants qui relèvent de l’ASE. Je vous épargne la liste des placements décidés par la justice qui ne sont pas exécutés, faute de places. Cela concernerait plus de 3 000 enfants. Je vous épargne aussi la liste des pouponnières qui croulent sous le nombre des enfants qui leurs sont confiés jusqu’à l’âge de 3 ans, qui sont victimes du syndrome de l’hospitalisme du fait des conditions d’accueil.

Je vous épargne enfin la liste des « sorties sèches » avec des jeunes qui se retrouvent à la rue.

Vous l’avez compris : nous soutenons évidemment cette proposition de résolution. La protection de l’enfance s’effondre et entraîne avec elle des vies d’enfants. Il est urgent d’agir en créant une commission d’enquête mais il faut aller plus loin : l’État doit demander pardon aux enfants victimes de dysfonctionnements et leur fournir des réparations.

M. Arnaud Simion (SOC). Le système français de protection de l’enfance et l’ASE sont à bout de souffle en dépit des lois fondatrices du 5 mars 2007, du 14 mars 2016 et du 7 février 2022 qui ont fixé les objectifs de la politique de protection de l’enfance et organisé sa déclinaison territoriale. En dépit aussi de l’engagement de certains départements, qui ont placé la protection de l’enfance au cœur de leur action, le degré d’engagement variant toutefois selon les territoires.

Toutes les données chiffrées montrent qu’il est urgent de mieux protéger les enfants : 400 000 mineurs et jeunes majeurs relèvent de l’ASE ; 150 000 enfants sont suivis par la PJJ ; 25 % des SDF sont passés par l’ASE.

Les difficultés financières des départements – qui n’ont plus aucun levier fiscal depuis 2021 et qui subissent la baisse des droits de mutation à titre onéreux – ont de quoi nous inquiéter.

Il est grand temps que la représentation nationale établisse un diagnostic clair des causes des dysfonctionnements de la gestion du service public de l’ASE. Les travaux de la commission d’enquête permettront d’identifier les manquements à l’origine de la situation actuelle, d’identifier les défaillances de la gouvernance et de proposer des solutions aussi bien législatives que budgétaires pour y remédier. Tous les acteurs pourront être interrogés, dont les départements.

En se mobilisant pour présenter cette proposition de résolution, notre groupe souhaite répondre aux besoins fondamentaux des enfants, aux familles concernées, aux milliers de professionnels départementaux, aux assistants familiaux et au réseau des professionnels de l’ASE – que nous avons soutenu lors de la manifestation de la semaine dernière à l’appel du collectif des 400 000. Nous avons hâte de participer aux travaux de cette commission d’enquête ou de les suivre.

M. Thibault Bazin (DR). Madame la rapporteure, je vous remercie de votre engagement et de la présentation de cette proposition de résolution.

Cette initiative s’inscrit dans la continuité de votre rapport tendant à la création d’une commission d’enquête, publié le 9 avril 2024. Les travaux afférents ont été interrompus le 9 juin 2024 en raison de la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par le Président de la République. Cette nouvelle proposition, dont l’intitulé est quasi identique à celui de la précédente, vise à identifier les causes des défaillances de l’ASE afin de formuler des recommandations concrètes pour y remédier.

Nous estimons comme vous que le système français de protection de l’enfance traverse une crise profonde, illustrée par des drames récents. Nous considérons que ces tragédies révèlent les failles du système et ressortissent parfois à un échec de la promesse républicaine faite aux enfants les plus vulnérables. Cela étant, il existe aussi de très belles histoires de protection de l’enfance, de vies sauvées, protégées et accompagnées. Il sera intéressant de regarder aussi ce qui fonctionne pour s’en inspirer.

Conscient de l’importance de ces enjeux, notre groupe soutiendra la création de la commission d’enquête, dans la continuité de notre position sous la précédente législature. Un état des lieux est nécessaire pour formuler des propositions adaptées et pour renforcer la protection et l’accompagnement des enfants les plus vulnérables en France, tout en identifiant les dysfonctionnements de l’ASE. Parmi les enjeux, citons notamment l’articulation des compétences entre les conseils départementaux et l’État, l’attractivité des métiers et les conditions de travail. Nous serons aussi très attentifs, comme vous, à la prise en compte des disparités territoriales et des défis spécifiques liés à la prise en charge des enfants en situation de handicap ou présentant des troubles du neuro-développement.

Mme Marie-Charlotte Garin (EcoS). La semaine dernière, en l’espace de seulement quelques jours, nous avons été confrontés à des faits profondément troublants : un assistant familial mis en examen pour viol et pour actes de torture et de barbarie à l’encontre d’une fillette de 4 ans handicapée ; une fonctionnaire accusée de livrer des enfants placés à un proxénète ; un réseau de trafic de drogue découvert au sein d’un foyer de l’ASE ; des enfants placés maltraités dans des familles d’accueil clandestines – j’ai bien dit clandestines.

La semaine prochaine, devant le tribunal de Châteauroux, dix-neuf personnes seront jugées pour de graves maltraitances sur une vingtaine d’enfants, hébergés de 2010 à 2017 dans l’Indre, la Haute-Vienne et la Creuse en toute illégalité, dès lors que ces familles n’ont jamais obtenu l’agrément officiel des autorités pour héberger ces enfants confiés par l’ASE du Nord. Comment est-ce possible ?

Ces événements terrifiants s’ajoutent à une longue liste d’abus, de maltraitances, de viols et, dans les cas les plus tragiques, de décès tel celui de la petite Amandine dont Mediapart vient de dévoiler l’histoire bouleversante – placée à l’ASE, elle est décédée le 18 juillet 2023. Chaque jour apporte de nouvelles révélations plus choquantes les unes que les autres sur les conditions déplorables dans lesquelles vivent certains enfants placés.

Ces faits ne sont pas des incidents isolés. Ils témoignent d’un dysfonctionnement systémique de la protection de l’enfance. Outre l’horreur que m’inspirent ces faits, je suis choquée du silence persistant des élus départementaux responsables de cette politique comme des services de l’ASE.

Il est urgent de réagir. Une commission d’enquête sur la protection de l’enfance s’impose – elle s’imposait déjà lors de la précédente législature. Le groupe Écologiste et Social, soutient pleinement la proposition de résolution qui vise à faire la lumière sur ces graves défaillances.

M. Nicolas Turquois (Dem). Madame la rapporteure, au printemps de cette année, le groupe Les Démocrates a soutenu la constitution d’une commission d’enquête dont l’intitulé était similaire, dont vous étiez rapporteure et Laure Miller présidente et qui avait été créée au titre du droit de tirage dévolu à chaque groupe minoritaire ou d’opposition.

La dissolution du mois de juin a interrompu ses travaux, ainsi que ceux de la commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité. La Conférence des présidents a souhaité que ces commissions d’enquête qui avaient commencé leur travail puissent l’achever. Le groupe Les Démocrates soutiendra cette décision et votera donc en faveur de la présente proposition de résolution.

Il rappelle toutefois que l’Assemblée s’intéresse déjà à la protection de l’enfance. Il tient notamment à saluer la qualité du travail transpartisan mené au sein de la délégation aux droits aux enfants que présidait notre collègue Perrine Goulet jusqu’à la dissolution. Nous regrettons un peu que votre initiative ne s’inscrive pas dans une forme de complémentarité avec ses travaux.

Nous n’en reconnaissons pas moins la qualité de votre engagement en matière de protection de l’enfance, au conseil départemental du Val-de-Marne et au sein de l’Assemblée nationale. Nous espérons que la commission d’enquête pourra achever ses travaux dans la sérénité et l’esprit de responsabilité qui doit prévaloir sur un tel sujet, nous sommes nombreux à l’avoir rappelé. Notre assemblée le doit aux plus de 300 000 mineurs et jeunes majeurs bénéficiant d’une mesure de protection.

Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). L’ASE est un service départemental essentiel, chargé de protéger les enfants en situation de danger et de vulnérabilité. En 2021, quelque 377 000 mesures relevant de la protection de l’enfance ont concerné environ 2 % des mineurs.

Le groupe Horizons & Indépendants est pleinement conscient des difficultés auxquelles l’ASE fait face depuis plusieurs années, causées notamment par des problèmes de places, de moyens et de disparités territoriales. La mission d’information sur l’ASE, dont la rapporteure Perrine Goulet a rendu les conclusions en 2019, avait déjà démontré que le suivi psychologique des enfants est très limité, voire inexistant.

Des actions ont été entreprises. En 2021, le Parlement a adopté le projet de loi relatif à la protection des enfants, qui s’inscrit dans la Stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance 2020-2022. Il a apporté plusieurs réponses en matière d’hébergement, en particulier l’interdiction du placement à l’hôtel des mineurs et des jeunes majeurs confiés à l’ASE, et de santé, notamment en améliorant le suivi annuel de chaque enfant.

Il faut aussi mentionner la mise en œuvre en 2023, par la Première ministre Élisabeth Borne, du troisième plan contre les violences faites aux enfants, qui prévoit notamment un dispositif automatisé de contrôle des antécédents judiciaires des personnes intervenant dans l’accueil du jeune enfant et dans la protection de l’enfance. L’actualité montre qu’il faut aller plus loin.

La demande de création d’une commission d’enquête à ce sujet s’était inscrite, avant la dissolution, dans le cadre du droit de tirage annuel du groupe Socialistes et apparentés. Le groupe Horizons & Indépendants ne change pas de position et votera la présente proposition de résolution afin que le travail engagé se poursuive dans les meilleures conditions.

M. Paul-André Colombani (LIOT). Il y a quelques mois, nous étions unanimes pour saluer l’initiative de nos collègues du groupe Socialistes et apparentés visant à créer une commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance, menée par la rapporteure Isabelle Santiago. La dissolution a interrompu nos travaux, dont celui‑ci, alors même que nous avons déjà trop tardé à résorber les défaillances.

Nous devons nous saisir à nouveau au plus vite de ce sujet, tant la politique de protection de l’enfance est dysfonctionnelle, ses manquements le démontrent. Je ne rappellerai pas les nombreux faits divers sordides ni les statistiques affolantes. Les drames que nous découvrons de façon répétée sont autant de déchirements offrant une preuve supplémentaire que les lois adoptées au cours des dernières années ne suffisent pas ou ne sont pas adaptées.

Dans les prochains jours, une vingtaine de personnes seront jugées pour des actes graves de maltraitance. Des dizaines d’enfants ont été confiés à des familles n’ayant jamais reçu d’agrément. En dépit de plusieurs signalements, l’ASE n’a rien fait. Pire, elle a continué à confier des enfants à une structure non contrôlée. Ce scandale va bien au-delà des simples défaillances humaines.

Le constat est clair et amer : les pouvoirs publics échouent à garantir la sécurité des enfants. En tant que législateurs il est de notre devoir d’y remédier et de réunir toutes les conditions pour offrir à tous les enfants la protection qu’ils méritent. C’est pourquoi notre groupe soutiendra la relance de la commission d’enquête, qui nous semble une véritable priorité.

Mme Karine Lebon (GDR). Permettez-moi de commencer mon intervention en adressant une pensée sincère à cette fillette de 4 ans, déjà lourdement handicapée, qui a été violée et torturée par son assistant familial. Nous l’avons appris hier. À chaque jour son lot d’horreur et de barbarie ! Nous en prenons connaissance dans les médias, grâce aux associations. C’est toujours le choc et l’effroi. Mettons-nous à la place de ces enfants : la violence et la souffrance ne cessent jamais. Elles forment un cercle sans fin.

C’est avant tout pour répondre à la détresse de ces enfants que la commission d’enquête doit reprendre ses travaux. En mai dernier, elle répondait à l’interrogation récurrente des pouvoirs publics par d’anciens enfants de l’ASE. Dès l’annonce de sa création, 200 d’entre eux ont créé le Comité de vigilance des enfants placés. Leurs attentes étaient aussi vastes que légitimes. La dissolution a anéanti leurs espoirs. Nous ne pouvons pas les abandonner. Tous, nous connaissons les difficultés de leur parcours de résilience.

La commission d’enquête se faisait également l’écho des alertes lancées par les professionnels du secteur, notamment dans une tribune publiée par Le Monde en mars. En mai, une enquête du Syndicat de la magistrature a mis en évidence au moins 3 335 placements non exécutés, soit autant d’enfants contraints de rester dans leur famille, en dépit du danger qu’ils encourent. « Aux placements non exécutés s’ajoutent les placements mal exécutés » complétait le syndicat.

La commission d’enquête devra examiner tout le parcours, de l’entrée dans le dispositif à la sortie, qui fait partie des aspects les plus délicats et requiert de nouvelles dispositions. Elle devra mettre en lumière les failles de l’organisation, les disparités de traitement en fonction des territoires et l’évolution des dispositifs, parfois même leur dégradation. Il faudra évaluer les structures et les moyens nécessaires pour être à la hauteur des enjeux et répondre aux besoins des enfants et des jeunes concernés.

Pour tous ceux qui ont souffert des manquements des politiques publiques dans ce domaine, pour tous ceux qui en souffrent encore cette commission d’enquête est capitale. Nous en soutiendrons la création.

M. Olivier Fayssat (UDR). Notre groupe soutient sans réserve la reprise de cette commission d’enquête absolument indispensable : parler d’aide sociale à l’enfance, c’est parler de parcours de vie terriblement difficiles, dès l’enfance.

Outre l’aide matérielle et financière, nous ne devons pas négliger les problèmes psychologiques intimement liés à ces situations. La santé mentale n’est pas assez priorisée à nos yeux. Un délai d’un an pour accéder à un pédopsychiatre prive de chances de reconstruction. C’est autant de détresse et de malheurs qu’on ne règle pas. Le Premier ministre a indiqué hier que la santé mentale ferait partie des nombreuses causes nationales qu’il a annoncées. Nous devons saisir cette occasion et nous inscrire dans ce cadre.

Mme Annie Vidal, présidente. Nous en venons aux interventions des autres députés.

Mme Sylvie Bonnet (DR). Madame la rapporteure, vous avez rappelé que les départements consacrent environ 9 milliards d’euros par an à l’aide sociale à l’enfance : c’est insuffisant. Les départements ont demandé à de nombreuses reprises que la prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA) soit compensée pour ne pas grever les budgets de l’ASE, au motif que la politique migratoire est du ressort exclusif de l’État.

À titre d’exemple, le coût de l’accompagnement des MNA pour le département de la Loire est de 10 millions d’euros par an. L’État ne compense cette charge considérable qu’à hauteur de 460 000 euros, soit 4,6 %. Il faut vraiment que le coût de la mise à l’abri des MNA et les dépenses engagées par les départements pour leur prise en charge soient compensés à l’euro près pour que les mineurs non accompagnés ou confiés à la solidarité de la nation soient accueillis et soutenus dans de bonnes conditions.

M. Michel Lauzzana (EPR). Nous soutiendrons la création de la commission d’enquête – nous la soutenons tous, tant elle est nécessaire.

J’observe toutefois que son intitulé en limite le périmètre aux manquements des politiques publiques. Or il s’agit d’une politique décentralisée. Certains départements y consacrent les moyens nécessaires, d’autres non. Je souhaite que la commission d’enquête fasse remonter du terrain les réalisations positives pour les donner en exemple en vue de faire des progrès.

Je ferai une seconde observation, qui me tient particulièrement à cœur. Nous avons beaucoup entendu parler des dysfonctionnements et des problèmes rencontrés dans certaines familles. En tant que médecin généraliste, j’ai souvent eu à soigner des enfants placés dans des familles d’accueil et des membres de celles-ci. Je tiens à dire que la très grande majorité des familles d’accueil sont des personnes dévouées, compétentes et efficaces, qui prennent particulièrement à cœur leur fonction. Ces familles très dévouées, nous devons les aider, sans minimiser les dérives dont les autres se rendent coupables. Je leur tire mon chapeau, car leur fonction n’est pas toujours facile à remplir.

M. Fabien Di Filippo (DR). L’exposé des motifs de la présente proposition de résolution insiste sur le manque de moyens humains et financiers des départements, dont la plupart sont financièrement exsangues en raison de l’évolution de leur capacité de financement. Dans le contexte que nous connaissons, nous n’échapperons pas à une réallocation des moyens. Il faudra déterminer où nous les prendrons.

Les échanges que j’ai eus, notamment avec des éducateurs, ont révélé des situations scandaleuses, où il ne restait que quelques euros pour gérer les activités des enfants et des adolescents à l’échelle de la semaine ou organiser un repas de Noël. Lorsque l’on place les parents face à leurs responsabilités, beaucoup se contentent de déposer un cadeau et n’ont manifestement pas grand-chose à faire de leur enfant. Or ils perçoivent des aides sociales, notamment les allocations familiales, parfois à hauteur de plusieurs milliers d’euros, pour des enfants dont ils ne s’occupent pas.

Afin de rétablir quelques repères, je rappelle une règle de base à nos collègues et à quiconque suit nos débats : on ne peut pas bénéficier d’allocations familiales pour des enfants dont on ne s’occupe pas et dont on ne s’occupera sans doute jamais. Pour que celles-ci bénéficient aux enfants, il serait intéressant de faire en sorte qu’elles soient directement versées aux services de l’ASE plutôt qu’aux parents s’ils sont défaillants.

Mme Josiane Corneloup (DR). La qualité de l’accompagnement des mineurs et des jeunes adultes n’est pas satisfaisante. Le manque de contrôle des établissements et des familles d’accueil ainsi que des retards de prise en charge dans des situations pourtant urgentes, sont fréquemment mentionnés. Depuis plusieurs années, des faits de maltraitance active et passive ont été mis en lumière. La transition avec l’âge adulte pose également problème, de nombreux jeunes de l’ASE étant sans diplôme.

Le pilotage de la protection de l’enfance a été réformé par la loi relative à la protection de l’enfance du 7 février 2022, dite « loi Taquet ». Toutefois, la coordination entre les services judiciaires et les services départementaux demeure limitée en raison notamment de l’absence d’un système d’information commun.

L’accompagnement après 18 ans pose également problème, les départements n’étant pas toujours en capacité de l’assurer, faute de financement. Le projet de loi de finances pour 2024 prévoit que l’État octroie 50 millions d’euros aux départements pour financer cette mesure nouvelle : c’est très insuffisant. La loi Taquet n’a pas eu les effets escomptés.

Certaines expérimentations ont été menées avec succès. À Charolles dans ma circonscription, l’institut éducatif Saint-Benoît a créé des cottages conçus pour favoriser l’autonomie des jeunes très en amont de leur sortie définitive, en leur apprenant à gérer leur autonomie et à réaliser les tâches de la vie quotidienne. Nous devons encourager de telles initiatives très positives.

Mme la rapporteure. Je répondrai succinctement aux questions soulevées, pour ne pas empiéter sur les travaux de la commission d’enquête, qu’il s’agit pour l’heure de créer, dans lesquels aucun sujet ne sera tabou.

Les MNA ont fait l’objet de nombreux textes de loi. Il ne faut pas en faire un totem. J’ai eu la chance d’avoir été pendant douze ans vice-présidente du conseil départemental du Val-de-Marne, chargée de la protection de l’enfance et de l’adolescence. Je mets cette expérience de territoire au service de mon mandat de députée. L’accueil des MNA s’inscrit dans le cadre du droit international. Il faut rédiger nos propres textes en gardant à l’esprit que ces mineurs sont une richesse, j’en veux pour preuve les très belles réussites de certains.

Chacun est libre de ses opinions, mais je vous invite à ne pas réduire la question de la protection de l’enfance à celle des MNA. J’ai été membre de la commission Solidarité et affaires sociales de l’Assemblée des départements de France (ADF) ; nous y débattions des MNA, du revenu de solidarité active (RSA) et des maisons départementales des personnes handicapées.

S’agissant d’une politique décentralisée, la protection de l’enfance doit être abordée dans sa globalité. Comment accompagner les enfants ? Telle est la question à laquelle nous travaillerons à répondre. L’ADF a évolué petit à petit pour intégrer pleinement la protection de l’enfance dans son périmètre, comme nous avons été plusieurs à le demander pendant plusieurs années.

Je souhaite que nous ayons de la protection de l’enfance une conception universelle. Je souhaite que chaque enfant soit pris en considération exclusivement comme tel, afin que nous puissions proposer les meilleures solutions à l’issue de nos travaux. Je n’empêche personne de penser ce qu’il pense mais je ne souhaite pas que nous nous laissions entraîner dans un débat qui nous éloignerait des vrais et nombreux problèmes.

Nous aborderons le sujet des frais liés, dont le repas de Noël est un exemple. Est-il normal que certains départements le financent en le revalorisant chaque année à hauteur de l’inflation et que d’autres aient conservé des budgets dont la valeur nominale est inchangée depuis le passage à l’euro ? S’agissant de la participation des parents, de nombreux enfants de l’ASE sont au secret ; à ceux-là, leurs parents ne risquent pas d’apporter un cadeau !

J’invite donc chacun à se garder de toute généralité et à être acteur de la commission d’enquête. Tous les sujets seront abordés, en lien avec les départements. Nous devrons travailler sereinement et formuler des réponses en tant que représentants de la nation. Il est plus que temps de considérer la protection de l’enfance comme un enjeu majeur et transpartisan, sur lequel nous devons être capables de nous rassembler et de proscrire toute attitude clivante.

Article unique

Amendement AS1 de Mme Katiana Levavasseur

Mme Katiana Levavasseur (RN). Il nous semble impératif de faire évoluer les dispositifs d’accompagnement des jeunes suivis par l’ASE. Les travailleurs sociaux sont formels : borner le suivi des jeunes à leurs 20 ans n’est pas satisfaisant. Certes, il est déjà difficile de faire appliquer la loi prévoyant un accompagnement des jeunes jusqu’à leurs 21 ans. Il sera d’autant plus difficile de le faire jusqu’à leurs 25 ans.

Toutefois, si nous voulons faire avancer les choses dans le bon sens, aller vers plus de protection, éviter à des jeunes déjà isolés d’être à la rue ou leur permettre de faire de longues études, nous devons dès à présent envisager l’extension du dispositif d’accompagnement et permettre aux jeunes qui le désirent d’être suivis jusqu’à 25 ans. Nous devons envisager d’insérer cette évolution dans notre réflexion à venir, pour donner aux autorités compétentes l’occasion d’approfondir ce sujet.

Mme la rapporteure. Avis défavorable.

Je comprends l’esprit de l’amendement, d’autant que j’ai déposé une proposition de loi visant à étendre à 25 ans l’accompagnement des jeunes de l’ASE. Toutefois, je suis défavorable à l’insertion de cette question dans le périmètre de la commission d’enquête, dont je souhaite qu’il demeure inchangé. Dans le cadre de nos travaux et des conclusions que nous rendrons au bout des six mois qu’ils dureront, nous échangerons collectivement sur les questions soulevées depuis le début de l’examen de la présente proposition de résolution, parmi lesquelles celle des jeunes majeurs.

M. Thibault Bazin (DR). Nous voterons contre l’amendement, non seulement afin que le périmètre de la commission d’enquête demeure intact, mais aussi parce que la prolongation de l’accompagnement des jeunes de l’ASE de 18 à 21 ans est déjà difficile. Les départements ont des moyens très limités. Proposer de prolonger l’accompagnement à 25 ans est très facile, mais avec quels moyens ?

Par ailleurs, on peut être jeune longtemps, mais à un moment donné, la question de l’insertion se pose. Prévoir un tremplin sur trois ans, c’est concevable ; sur sept ans, ce n’est plus un tremplin c’est même un frein à l’autonomie, d’autant qu’il existe déjà des structures destinées à aider les jeunes de moins de 25 ans. Mieux vaut travailler à améliorer leur complémentarité en éliminant les doublons. À une prolongation de l’accompagnement jusqu’à 25 ans, je préfère un accompagnement de qualité jusqu’à 18 ans, si possible jusqu’à 21 ans.

M. Jean-François Rousset (EPR). Nous voterons contre l’amendement. Commençons par bien faire ce qui est difficile à faire, n’encourageons pas la multiplication des Tanguy et restons raisonnables !

M. Nicolas Turquois (Dem). Je m’inscris en faux contre l’intervention des plus ou moins jeunes majeurs qui viennent de s’exprimer. Certes, la prolongation de l’accompagnement des jeunes de l’ASE ne s’inscrit pas dans le périmètre de la commission d’enquête. Toutefois, l’entrée dans la vie active est déjà complexe pour un jeune issu d’une famille fonctionnant à peu près normalement ; elle l’est a fortiori davantage pour les jeunes de l’ASE – quelques exemples me viennent à l’esprit.

Réfléchir à ce sujet dans le cadre d’expérimentations menées dans certains territoires ne me semble pas dépourvu de sens, sans rien généraliser ni faire abstraction de la question du budget. L’amendement soulève une question qui n’est pas sans intérêt.

M. Sébastien Peytavie (EcoS). Aucun enfant placé auprès de l’ASE n’est un Tanguy. Tous sont en grande difficulté, beaucoup deviennent SDF faute de revenus, d’autant qu’ils ne sont pas éligibles au RSA avant d’avoir 25 ans. Il y a des choses que l’on ne peut pas dire !

Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Certains centres d’accueil des jeunes majeurs mènent des expérimentations visant à les préparer progressivement à l’autonomie, en les logeant en studio in situ ou à l’extérieur et en leur attribuant à chacun un référent. Par ailleurs, certains jeunes sont prêts plus tôt que d’autres.

Ce qui importe, c’est d’assurer un accompagnement par un référent susceptible de répondre à leurs questions en matière de logement, de budget et de recherche d’emploi. Il faut faire preuve de souplesse. Il ne faut pas accompagner les jeunes jusqu’à leurs 25 ans, mais jusqu’à leurs 21 ans en fonction de leurs besoins, et non de façon systématique.

Mme la rapporteure. J’espère que nos échanges et nos travaux apporteront des réponses à cette question et que nous ne nous contenterons pas de dire que nous avons un problème de moyens. La commission d’enquête a vocation à formuler des préconisations, d’autant que M. le Premier ministre a indiqué hier qu’il serait attentif aux propositions du Parlement. Nous formulerons des propositions budgétaires et législatives, avec la ferme intention que les choses changent concrètement.

Je ne dirai pas ce que je pense de la référence au personnage de Tanguy. Je me contenterai de rappeler que la moyenne d’âge du départ du foyer parental, dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques, est 24 ans. Qui parmi nous dit à son fils ou à sa fille de 16 ans « Il est temps de préparer ton avenir » ? Je ne connais personne qui l’ait fait. De surcroît, le bagage que l’on demande à un jeune de l’ASE âgé de 17 ans et demi de préparer est souvent un sac poubelle. Je mets au défi ceux qui ont tenu les propos que je vise de les maintenir.

Je pense sincèrement que la protection de l’enfance est un sujet transpartisan. Nous n’avons pas le droit d’y déroger. Des 400 000 enfants en danger que compte la France, environ 178 000 sont accueillis dans le cadre d’une suppléance parentale. Que sont 180 enfants à l’échelle d’un territoire ? Que sont 1 500 jeunes majeurs de 18 à 21 ans en difficulté à l’échelle d’une région de 11 millions d’habitants telle que l’Île-de-France ? Comment se fait-il que nous ne soyons pas capables de leur offrir un meilleur modèle avec les moyens de nos collectivités locales ?

Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cet état de fait, ni des statistiques nationales. Les départements investissent dans la protection de l’enfance non pas 9 milliards mais près de 10. Le résultat n’est pas satisfaisant. Certains jeunes sont logés dans des structures destinées aux sans-abri et connaissent de grandes difficultés, notamment en matière d’obtention d’un diplôme.

Je me félicite des initiatives prises par certains conseils départementaux. Celui de Meurthe-et-Moselle a récemment introduit un revenu d’émancipation jeune de 500 euros pour accompagner les jeunes de moins de 25 ans les plus vulnérables, sur le modèle d’un dispositif en vigueur au Québec.

Tel est l’état d’esprit dans lequel je m’inscris et dans lequel je souhaite que nos travaux s’inscrivent. J’espère que nous partagerons l’ambition collective de ne pas laisser ces jeunes au bord du chemin, ce qui est une situation inacceptable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte la proposition de résolution non modifiée.

 

*

*     *

En conséquence, la commission des affaires sociales demande à l’Assemblée nationale d’adopter la proposition de résolution dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

Texte adopté par la commission : https://assnat.fr/dUhVVz

   Annexe

 


([1]) Ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

([2]) Article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 précitée.

([3]) Article 137 du Règlement.

([4]) Conformément au deuxième alinéa de l’article 141 du Règlement.

([5]) Troisième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 précitée.

([6]) Article 139 du Règlement.

([7]) Conseil national de la protection de l’enfance, Conseil national de l’adoption et Conseil d’orientation des politiques de jeunesse, « Un plan Marshall pour la protection de l’enfance », communiqué de presse du 18 octobre 2023.

([8]) Tedjani Tarayoun, Élisa Abassi, Cheikh-Tidiane Diallo et Klara Vinceneux, « L’aide sociale à l’enfance », Les dossiers de la DREES, n° 119, 23 juillet 2024, p. 15.

([9]) Ibid.

([10]) Tedjani Tarayoun et al., op. cit., p. 14.

([11]) Cour des comptes, « La protection de l’enfance, une politique inadaptée au temps de l’enfant », novembre 2020, p. 53.

([12]) Voir notamment Gautier Arnaud-Melchiorre, 2022, « A (h)auteur d’enfants », rapport de la mission gouvernementale « La parole aux enfants ».

([13]) Fondation Abbé Pierre, « État du mal-logement en France », 2019, p. 143.

([14]) Cour des comptes, op. cit., p. 13.

([15]) Bénédicte Galtier, Solène Manivel et Clément Peruyero, « Retisser les fils du destin, le parcours des jeunes placés », France Stratégie, septembre 2024, n° 43, p. 8.

([16]) Conseil d’orientation des politiques de jeunesse, « L’insertion sociale et professionnelle des jeunes sortant des dispositifs de protection de l’enfance », 2023, p. 12.

([17]) Bénédicte Galtier et al., op. cit., p. 7.

([18]) Tedjani Tarayoun et al., op. cit., p. 35.

([19]) Défenseur des droits, « Handicap et protection de l’enfance », 2015, pp. 28-29.

([20]) Loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants.

([21]) Notamment entre le Conseil national de la protection de l’enfance, le Groupement d’intérêt public « Enfance en danger » (GIPED), l’Agence française de l’adoption (AFA) et le Conseil national d’accès aux origines personnelles.

([22]) Le Monde, « Les missions de la protection de l’enfance entravées par des logiciels défaillants », 28 février 2024.

([23]) Loi n° 2016‑297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant.

([24]) Loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants.

([25]) Notamment le décret n° 2024-119 du 16 février 2024 relatif aux conditions d’accueil des mineurs et jeunes majeurs pris en charge par l’aide sociale à l’enfance hébergés à titre dérogatoire dans des structures d’hébergement dites jeunesse et sport ou relevant du régime de la déclaration.

([26]) Départements de France, « Interdiction des prises en charge de mineurs en hôtel en application de la loi Taquet : une bonne intention, mais hélas inapplicable dans les conditions actuelles », communiqué de presse publié le 14 février 2024.

([27]) Bernard Bonne, Rapport d’information n° 837 fait au nom de la commission des affaires sociales sur l’application des lois relatives à la protection de l’enfance, 2023, p. 8.

([28]) Ibid., p. 9.

([29]) Collectif Cause Majeur, « 1 an après la promulgation de la loi Taquet, quel bilan ? », 2023, p. 7.

([30]) DREES, Études et Résultats, n° 1291, « Les assistants familiaux en 2021 : qui sont-elles ? », décembre 2023, p. 2.

([31]) Haut conseil du travail social, « Livre blanc du travail social », 2023, p. 32.

([32]) Tedjani Tarayoun et al., op. cit., p. 10.

([33]) Loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants.

([34]) Tedjani Tarayoun et al., op. cit., p. 8.

([35]) Igas, « Contrôle du service d’aide sociale à l’enfance du département des Bouches-du-Rhône, novembre 2022, p. 4.

([36])  https://assnat.fr/vHiAsv