N° 530

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 novembre 2024.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)
SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE (N° 484),
DE Mme MARIETTA KARAMANLI
ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES,


visant à lutter contre les addictions numériques chez les enfants,

 

 

PAR Mme Marietta KARAMANLI,

Députée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  1.    La composition de la commission figure au verso de la présente page.

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, président, MM. Laurent MAZAURY, Thierry SOTHER, Mmes Manon BOUQUIN, Nathalie OZIOL viceprésidents ; MM. Henri ALFANDARI, Benoît BITEAU, Maxime MICHELET, Mme Liliana TANGUY secrétaires ; MM.  Gabriel AMARD, David AMIEL, Philippe BALLARD, Karim BENBRAHIM, Guillaume BIGOT, Nicolas BONNET, Mmes Céline CALVEZ, Colette CAPDEVIELLE, M. François-Xavier CECCOLI, Mmes Sophia CHIKIROU, Nathalie COLIN-OESTERLÉ, MM. Julien DIVE, Nicolas DRAGON, Mme Elsa FAUCILLON, M. Michel HERBILLON, Mme Mathilde HIGNET, M. Sébastien HUYGHE, Mmes Sylvie JOSSERAND, Marietta KARAMANLI, M. Andy KERBRAT, Mme Hélène LAPORTE, M. Jean LAUSSUCQ, Mme Constance LE GRIP, MM. Pascal LECAMP, Alexandre LOUBET, Mathieu MARCHIO, Patrice MARTIN, Mmes Yaël MENACHÉ, Louise MOREL, Danièle OBONO, Anna PIC, M. Pierre PRIBETICH, Mme Isabelle RAUCH, M. Alexandre SABATOU, M. Charles SITZENSTUHL, Mmes Michèle TABAROT, Sophie TAILLÉPOLIAN, Sabine THILLAYE, Estelle YOUSSOUFFA.

 


SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

PREMIÈRE PARTIE : L’addiction au numérique : de la difficulté À apprÉhender le phÉNOMÈne et ses enjeux

A. caractÉriser la dÉpendance au numÉrique

B. En France, la prise de conscience de l’addiction aux Écrans a Évolué avec la pandÉmie de covid-19 tout en restant incomplÈte

C. L’Union européenne est partie de l’approche du consommateur avant de faire Évoluer sa lÉgislation vers une approche par le risque

deuxiÈme PARTIE : l’addiction au numÉrique est devenue une question de politique publique que le lÉgislateur ne peut plus ignorer

A. le lÉgislateur Français a proposÉ des Évolutions dont la portÉe n’est pas encore clairement perceptible

B. L’Union européenne doit faire évoluer son cadre législatif pour l’adapter aux enjeux de dÉpendance numÉrique

conclusion

EXAMEN EN COMMISSION

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE INITIALE

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION

ANNEXE : PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION

 


   Introduction

 

« Nos expériences font l’objet d’une extraction. Les prédictions faites à notre égard ne nous sont pas destinées. Elles sont vendues à des entreprises sur des marchés nouvellement créés, déclarait au journal Le Monde la professeure Shoshana Zuboff, le 27 novembre 2020, à l’occasion de la parution en français de son ouvrage « L’âge de surveillance du capitalisme. »

Cet ouvrage a eu un retentissement inouï en illustrant les nouvelles modalités d’un capitalisme dénommé de surveillance qui enregistre, analyse et revend les données des utilisateurs d’internet réalisant ainsi un profilage des comportements à une échelle encore jamais vue.

Le constat tiré par la professeure trouve une résonance toute particulière à la lumière de l’utilisation du numérique par les enfants et adolescents et la prédation dont ils font l’objet par les grandes plateformes en ligne.

La dépendance au numérique, initialement niée ou moquée, a pris une ampleur inattendue avec la pandémie de Covid-19 survenue en mars 2020. La croissance de l’utilisation du numérique est désormais telle que 84 % des moins de 35 ans se déclarent dépendants du numérique ([1]).

Cette sur-utilisation emporte des conséquences sur les publics les plus sensibles et les plus vulnérables. L’emprise du numérique est telle que même les nourrissons ont développé des formes de dépendance aux écrans omniprésents. La sonnette d’alarme a été tirée par nombre de professionnels de santé qui observent des situations de dépendance chez des publics jusqu’ici plutôt épargnés : enfants et adolescents.

La difficulté à caractériser le problème a grandement nui à la prise de conscience globale et notamment au développement de politique publique adaptée, tant à l’échelle nationale qu’européenne.

Désormais, la problématique n’est plus ignorée même si le législateur peine encore à trouver les voies et moyens d’y répondre efficacement. C’est le sens de la proposition de résolution européenne déposée par votre rapporteure qui vise à renforcer la prise de conscience et à se doter d’un arsenal législatif adapté.

L’Union européenne a pris une avance en matière de régulation du numérique. Elle devrait s’engager dans ce nouveau chantier comme l’y appelle le Parlement européen.


   PREMIÈRE PARTIE : L’addiction au numérique : de la difficulté À apprÉhender le phÉNOMÈne et ses enjeux

A.   caractÉriser la dÉpendance au numÉrique

L’addiction ou dépendance est une manifestation rattachée à la médecine depuis ses origines. Envie répétée et irrépressible de faire ou de consommer quelque chose, l’anglicisme addiction concerne spécifiquement une substance ou une activité nocive.

Le terme a connu un élargissement au cours du XXe siècle avec l’accroissement du nombre d’objets donnant lieu à des addictions. Il en va ainsi du numérique. Le débat public s’est focalisé au cours des années 1990 sur les jeux vidéos.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a d’ailleurs reconnu l’addiction aux jeux vidéos comme avérée en 2018. Cette reconnaissance n’est pas allée sans difficultés tant l’extension du concept d’addictions a pu paraître à certains professionnels de santé comme problématique.

C’est donc dans cette temporalité que la question de l’addiction au numérique, de façon plus large, s’est inscrite. Il est également observable que le débat est devenu central dès lors que le numérique a connu une phase de marchandisation et de monétisation.

Le sociologue et spécialiste du numérique Dominique Boullier a rendu compte du phénomène dans une interview ([2]) en soulignant que la réorganisation du numérique autour de la publicité a entraîné un changement de paradigme.

Initialement, l’internet consistait en la publication d’informations et était une communauté non marchande. Le choix du gouvernement américain, sous l’administration de Bill Clinton, de cesser tout soutien public à son développement a modifié les paramètres de l’équation.

L’ouverture du réseau internet aux opérateurs de télécommunications a aussi eu pour conséquence le vote du Communication Decency Act aux États‑Unis selon lequel ces derniers ne sont pas responsables des contenus publiés sur leur réseau, y compris les réseaux sociaux. Il faudra l’entrée en vigueur des législations européennes sur le numérique à partir de 2018 pour enrayer cette situation.

Un autre fait mérite d’être mentionné, la construction des câbles sous‑marins par les sociétés Google, Facebook et Amazon. Ces câbles représentent 98 % des échanges. Enfin, la possibilité de privilégier certains contenus au détriment d’autres (l’absence de neutralité d’internet) a permis à ces grandes plateformes de renverser l’équilibre pour appliquer leurs propres règles au détriment de la volonté du régulateur.

La puissance de ces sociétés dites GAFAM (Google Amazon Facebook Apple Microsoft) leur a permis de mettre en pratique des dispositifs au détriment de l’utilisateur.

Ainsi, les plateformes sont parvenues à créer un mécanisme de « synchronisation des esprits » (D. Boullier) et à hacher l’attention à travers des notifications et des alertes. Les conséquences sur l’attention sont immenses car l’esprit est sans cesse sollicité et se trouve contraint de réagir.

Le phénomène devient systémique puisque l’utilisateur cliquant, réagissant et générant des traces crée une viralité. L’individu en propageant des contenus s’aliène et donne ainsi un pouvoir disproportionné aux plateformes.

L’étude produite par le service de recherche du Parlement européen en 2019 intitulée « Utilisation délétère de l’internet. Partie I. Dépendance à l’internet et utilisation problématique de l’internet » ([3]) fournit des éléments d’analyses synthétiques sur les manifestations cliniques de la dépendance au numérique.

L’étude souligne d’emblée que le débat relatif à l’addiction a émergé ces deux dernières décennies et rappelle qu’en 2013 le trouble lié au jeu sur internet (internet gaming disorder) a été inclus dans l’appendice du cinquième Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux (Diagnostic and Statistic Manual of Mental Disorders ; DSM) de l’Association américaine de psychiatrie.

Le DSM constitue dans le champ clinique et psychiatrique la référence pour identifier les troubles mentaux, leurs manifestations. La Classification internationale des maladies publiée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a également référencé le trouble.

Le choix de se focaliser sur les enfants et jeunes adultes relève de l’observation de l’addiction à internet observé chez ce public précis. L’étude du Parlement européen à réaliser une compilation de la multiplicité des études sur l’addiction au numérique et représente à ce titre une analyse de choix et utile à la décision publique.

Est considérée comme une addiction à internet un comportement nocif ou produisant du stress et ne découlant pas de la personne elle-même. Il persiste pendant une période significative (au moins douze mois).

Les symptômes observables sont les suivants : une perte de contrôle aboutissant à l’utilisation du numérique sans pouvoir stopper l’activité et sans que celle-ci n’apporte de plaisir ; un sentiment de vide, de frustration et d’angoisse voire même d’agressivité en cas d’impossibilité d’accéder à une interface numérique ; un manque d’intérêt pour d’autres activités que le numérique et un repli sur soi, un désintérêt pour son entourage ou pour les relations sociales en général.

En France, l’organisme Santé Public France et l’Union des associations familiales (UNAF) ont produit une étude sur l’addiction aux écrans des enfants, en 2017, dont les chiffres renseignent sur l’ampleur du phénomène.

Dès l’âge de cinq ans, l’utilisation des écrans est de plus d’1h30 par jour et atteint chez les 11-14 ans le chiffre record de 8h23. En 2020, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) relevait déjà que 64 % des enfants de 10 à 14 ans jouaient régulièrement aux jeux vidéos et 20 % d’entre eux plus de deux heures chaque jour.

Enfin, l’utilisation des réseaux sociaux chez les 11-12 ans – pourtant interdit avant 13 ans – était relevée chez 87 % d’entre eux. L’utilisation du téléphone portable est quant à elle relevée chez 84 % des personnes âgées au mois de douze ans et le temps d’utilisation chez les 16-24 ans atteint sept heures par jour.

B.   En France, la prise de conscience de l’addiction aux Écrans a Évolué avec la pandÉmie de covid-19 tout en restant incomplÈte

Le Japon a connu à partir des années 1990 un phénomène touchant les adolescents et les jeunes adultes qui s’est vu attribuer le nom de hikikomori. Ce phénomène désigne un état psychosocial dans lequel la personne est repliée sur elle-même et ne sort plus de sa chambre.

Cette situation observée dans un pays très différent de la France s’est peu à peu répandue dans plusieurs pays au grand dam des pouvoirs publics totalement démunis devant un phénomène inouï.

S’il ne s’agit pas de rattacher strictement l’addiction au numérique au phénomène hikikomori, il convient tout de même de souligner que les symptômes de l’addiction aux écrans présentent des similarités et doivent inquiéter les pouvoirs publics.

L’absence de reconnaissance du phénomène de l’addiction au numérique pendant de longues années a créé une incapacité à concevoir une politique publique dédiée et cohérente.

L’usage des jeux vidéos s’était déjà répandu dans le courant des années 1980 et était devenu systémique dans les années 1990. Il était cependant hors des radars de la médecine.

Ainsi, en 2012 encore, l’Académie de Médecine en France refusait de reconnaître un phénomène d’addiction estimant que le consensus scientifique n’était pas réuni.

Lorsque l’OMS reconnaît l’addiction aux jeux vidéos en 2018, elle évalue cette dépendance entre 0.5 % et 4 % des jeux dans le monde entier. En 2021, Médiamétrie estimait à 38 millions de personnes le nombre de joueurs en France. Sans pouvoir totalement identifier le nombre de joueurs dépendants, l’évaluation de l’OMS a de quoi inquiéter en considérant les pourcentages donnés par l’instance internationale.

La question de l’addiction aux écrans a pris une nouvelle actualité avec la survenue de la pandémie de Covid-19 en mars 2020. L’ensemble de la population française a alors été confiné pendant près de dix semaines et les écrans sont alors devenus les seules portes vers l’extérieur et le seul moyen de troubler un quotidien enfermé dans la monotonie.

L’étude produite par l’institut Ipsos, à la demande de l’Union nationale des associations familiale (UNAF) et de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique, a éclairé l’extension du domaine de l’emprise du numérique sur les vies et singulièrement celles des jeunes enfants et adolescents.

L’étude publiée en février 2022 a été réalisée durant le mois de juillet 2021, à la sortie de la pandémie. Enfants et parents font partie de l’échantillon représentatif.

Il ressort que 44 % des adultes font état d’un usage accru des écrans quand ce sont près de 53 % des enfants qui indiquent le même constat. 77 % des adultes estiment y passer trop de temps, 62 % des enfants formulent le même constat.

L’augmentation concerne tous les types d’écrans : ordinateur, télévision, smartphone et tablette.

L’usage des écrans arrive également à un âge plus jeune qu’auparavant puisque l’âge d’obtention du premier appareil numérique chez un enfant est désormais dix ans et demi. Surtout, 43 % des enfants âgés de 0 à 2 ans utilisent internet.

L’écran est devenu un mode de parentalité pour certains puisque 83 % des parents affirment être convaincus des opportunités qu’offre le numérique pour distraire facilement les plus jeunes.


Le décalage dans la perception de l’usage entre adulte et enfants est saisissant. Les adultes sous-estiment ainsi l’usage de l’écran par leurs enfants de près de 23 %. Dans le cas des enfants âgés de 7 à 10 ans, cette sous-estimation est trois fois plus importante.

Un autre problème soulevé par l’usage accru des écrans est celui des contenus choquants. 31 % des parents estiment que leurs enfants y ont été exposés quand ce sont 40 % des enfants qui font le même constat. L’usage des filtres ne semble pas pouvoir empêcher totalement l’apparition de ce genre de situations.

L’étude indique bien un changement social majeur contre lequel il sera difficile de revenir puisque la société a fini par s’y habituer. Le développement du numérique dans l’ensemble des sphères de la vie rend l’usage d’autant plus grand.

À titre d’exemple, la pandémie a accru le recours à des outils numériques dans le cadre scolaire, qu’il s’agisse des devoirs à effectuer ou des dispositifs permettant d’échanger entre professeurs et adultes.

L’impact de la crise sanitaire sur l’ensemble des français a été mis en exergue par plusieurs études publiées après les différents confinements. Les professionnels de santé en lien avec les publics jeunes ont ainsi fait état de patients en consultation présentant des états d’angoisse, des symptômes de détresse et des pulsions suicidaires.

 Au plus fort de l’épidémie, déjà, l’étude EpiCov ([4]) estimait déjà que 15 % des enfants auraient pu avoir besoin d’effectuer une consultation pour des soins en santé mentale. La rupture de soins et de suivi de santé qu’ont constitué les différents confinements a entraîné un surcroît de troubles et une perte de chance pour les patients.

En tant que public vulnérable, les enfants et adolescents n’ont pu trouver de réconfort à leur mal-être que dans les écrans, durant la pandémie, ne pouvant fréquenter leurs pairs.

Cette situation a été très tardivement prise en compte par les pouvoirs publics qui se souciaient déjà de réagir aux conséquences économiques des différents confinements (-9 % de croissance en 2020).

La situation de dépendance au numérique a été prioritairement abordée sous l’angle des jeux en ligne, des possibles dérives sectaires et de la violence. En témoigne le constat réalisé par la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca).


Les données produites sur le site de la Mission évoquent tout à la fois le fait que 17 % des adolescents de 17 ans aient joué à des jeux en ligne (interdits aux mineurs), l’usage problématique des jeux vidéos pour un adolescent sur huit, l’aggravation du nombre d’accidents sur la route et l’absence de déconnexion de cadres pendant leurs congés.

Il apparaît donc clairement que les effets de l’addiction numérique sont appréhendés sous plusieurs sous-ensembles touchant à de multiples politiques publiques. Dès lors, il devient difficile de construire une politique publique cohérente puisque les spécificités du problème ne sont pas saisies.

Le site de la Mildeca semble témoigner d’un trouble des pouvoirs publics puisque certains contenus émettent des réserves sur la véracité du phénomène d’addiction en le comparant à d’autres phénomènes addictifs telle que la prise de psychotropes.

La mission admet la nécessité de documenter les usages et contenus problématiques et décline plusieurs priorités gouvernementales en la matière. Plusieurs sites internet sont mentionnés qui sont autant de ressources à disposition des parents. Si les pouvoirs publics soutiennent ces initiatives, ils n’en sont pas nécessairement à l’initiative.

Il est regrettable qu’une politique publique cohérente en matière d’addiction au numérique n’existe pas. Dès lors, les parents sont renvoyés à une gestion psychologique du problème par eux-mêmes avec un coût financier qui n’est pas neutre.

Il est d’autant plus regrettable de ne pas disposer d’une politique publique pertinente sur l’addiction au numérique que le sujet a été perçu très tôt par certains, à l’image du psychiatre Serge Tisseron qui posait déjà la question des effets de l’écran en 2003 dans son ouvrage Enfants sous influence : Les écrans rendent-ils les jeunes violents ?

Le constat dressé par le psychiatre est plus nuancé qu’un certain discours public véhiculé faisant un lien immédiat entre violence et écrans, et conduisant à imputer tout phénomène de violence à un écran. La mise en cause des réseaux sociaux lors des émeutes de juillet 2023 a été presque immédiate. De même, le même constat a guidé la décision des pouvoirs publics de suspendre l’application TikTok en mai 2024 en Nouvelle Calédonie.

C.   L’Union européenne est partie de l’approche du consommateur avant de faire Évoluer sa lÉgislation vers une approche par le risque

Compétente sur les questions relatives au marché intérieur, l’Union européenne a initialement appréhendé la question du rapport au numérique par une approche purement économique.

L’achèvement du marché intérieur dans les années 1990 ouvrait la voie à de nouvelles possibilités et c’est au nom de la circulation des biens, des marchandises, des personnes et des capitaux que l’Union a agi.

En témoigne la première directive adoptée le 5 avril 1993 et traitant des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs.

Cette première législation vise à « protéger le citoyen dans son rôle de consommateur ». Elle constitue la première pierre européenne en matière de droit de la consommation.

En 2005, le législateur européen décide d’une nouvelle directive relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs. Ce texte s’inscrit dans le droit fil de celui de 1993 tout en se démarquant puisqu’il introduit l’idée d’altération du jugement du consommateur par des mécanismes de manipulation.

La directive prévoit d’une part un degré élevé de protection à l’égard de consommateurs à la vulnérabilité particulière (enfants et personnes âgées par exemple).

D’autre part, elle distingue les pratiques commerciales trompeuses et agressives et liste dans une annexe les pratiques interdites (« liste noire »).

La directive de 2005 constitue à cet égard un pas important dans la mesure où elle prend compte des caractéristiques spécifiques de certains consommateurs et mentionne le statut de vulnérabilité.

Par ailleurs, elle marque la prise en compte des stratégies commerciales basées sur la manipulation. La directive sera modifiée en 2019 pour ajouter certaines dispositions relatives à de nouveaux mécanismes visant à tromper le consommateur.

La pertinence de la directive de 2005 a pu se constater à travers un suivi de son application, notamment par une évaluation du Parlement européen intervenu en 2013.

Alors que le numérique n’avait pas encore étendu son emprise, le législateur avait déjà fait avancer sa réflexion. D’ailleurs, dans son évaluation de la mise en œuvre de la directive, le Parlement européen avait demandé en 2013 à la Commission une attention spécifique à la publicité cachée sur internet.

Cependant, c’est l’agenda numérique de la Commission entrée en fonction en 2019 qui marque un véritable tournant.


Certes, la Commission précédente avait œuvré à l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données (RGPD). Ce dernier mettait déjà des limites importantes à l’utilisation des données des utilisateurs sans leur consentement. À cet égard, il a contraint les entreprises du numérique à rendre des comptes.

Néanmoins, cette mesure législative pour importante qu’elle soit ne constituait que les prémisses des actions à venir.

En effet, prenant acte de la domination des grandes sociétés « GAFAM » et des conséquences de leur emprise économique, la Commission a poussé un agenda visant à exercer une action régulatrice.

Les Digital Market Act (DMA) et Digital Services Act (DSA) constituent à cet égard un changement radical. Désormais, des mesures doivent être prises par les plateformes contre les contenus illicites et en informer les utilisateurs. La traçabilité des informations transmises par les professionnels devient une exigence. Les mesures relatives à la publicité en ligne sont confortées et renforcées.

De plus, les surfaces truquées pour biaiser le jugement des utilisateurs sont désormais interdites. Les grandes plateformes sont soumises à des exigences en matière de recommandation pour empêcher tout profilage.

Enfin, des dispositions relatives à la protection des mineurs en ligne doivent permettre d’assurer un niveau de protection élevé à un public jugé sensible.

Outre le renforcement des exigences en matière de transparence et de protection des mineurs, il convient de souligner l’approche par le risque choisi par le législateur.

En effet, dans le cadre du DMA, la notion de risque systémique est introduite et recouvre de nombreux domaines : contenus illicites type pédopornographiques ou haineux, incidence sur les processus électoraux, manipulation ayant des effets néfastes sur la santé ou la protection des mineurs, ou même encore les risques graves sur le bien-être physique et mental.

Cette approche de protection du consommateur met donc l’accent sur la dimension protectrice plutôt que sur celle du marché intérieur. Il s’agit d’un changement de paradigme conforté par d’autres textes.

En effet, la récente législation sur l’intelligence artificielle marque un souci du législateur européen d’éviter l’utilisation de techniques volontairement manipulatrices et trompeuses, l’utilisation de vulnérabilités en vue d’altérer le comportement des personnes, le recours à la notation sociale ou même encore l’utilisation de données biométriques.

La législation sur l’intelligence artificielle assume dès l’origine de considérer la technologie en question en questionnant les risques posés et en discriminant les risques acceptables de ceux qui ne le sont pas. De même, elle pose une série de garde-fous suffisamment forts pour s’assurer de garder le contrôle sur une technologie encore balbutiante et sur laquelle de forts enjeux pèsent.

L’Union européenne a très clairement fait évoluer son paradigme originel et s’est ainsi donnée les moyens de tenir compte des risques portés par le numérique lorsqu’une action régulatrice ne vient pas y mettre bon ordre.

Pour autant, il n’est ici pas question de lutte contre l’addiction et c’est pourquoi un nouveau pas doit être franchi pour considérer une nouvelle dimension de la question de l’usage du numérique.


   deuxiÈme PARTIE : l’addiction au numÉrique est devenue une question de politique publique que le lÉgislateur ne peut plus ignorer

A.   le lÉgislateur Français a proposÉ des Évolutions dont la portÉe n’est pas encore clairement perceptible

Il semble que la pandémie de Covid-19 ait permis au législateur français de prendre la mesure du phénomène de dépendance. Les études publiées et les débats publics récurrents ont fini par convaincre les parlementaires de la nécessité d’une action publique.

La question a aussi été mis en avant avec le sujet du cyberharcèlement et plusieurs affaires médiatisées ayant abouti au suicide d’adolescents et d’enfants victimes de cyberharcèlement.

Cette question n’est pas strictement liée à celle de l’addiction mais elle interroge l’usage du numérique, et notamment son importance grandissante dans les existences. À ce titre, elle a conduit le législateur à s’interroger sur les mésusages du numérique et la gravité des conséquences qui peuvent en découler.

Une première proposition de loi relative à la prévention de l’exposition excessive des enfants aux écrans à l’initiative de deux députées Renaissance, Caroline Janvier et Aurore Bergé, a été adoptée à l’unanimité le 7 mars 2023 en première lecture à l’Assemblée nationale. L’exposé des motifs de la proposition insiste sur l’exposition annuelle des enfants (728 heures) dont près de 2 heures par jour pour la tranche d’âge 0-3 ans.

Le texte appelle à construire « un véritable plan national contre la surexposition des enfants aux écrans » et cherche à « constituer la première pierre législative d’une politique publique adaptée, réaliste, fondée sur une approche équilibrée du numérique. »

Le texte met en avant des propositions en matière de santé publique et traite également la question sous l’angle éducatif en encourageant la limitation de l’usage des écrans dans les structures éducatives.

Une autre proposition de loi, non examinée à ce jour, a été déposée par le groupe Les Républicains le 2 mai 2024 et reprend certains constats à l’origine de la mesure législative présentée en 2023.

Il convient également de noter l’existence de la mission flash portant sur les jeunes et le numérique à l’aune des propositions de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne, visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants et relative à la prévention de l’exposition excessive des enfants aux écrans en 2023.

Réalisée au nom de la délégation aux droits des enfants, les travaux de cette mission flash illustrent bien l’inquiétude grandissante concernant l’emprise du numérique sur les enfants.

L’usage des photographies sur certains forums pédopornographiques issues de publications de parents sur les réseaux sociaux, le constat britannique de symptômes dépressifs chez des adolescents ayant une consommation numérique excessive ou bien encore l’âge d’obtention du premier smartphone constituent des signaux que le législateur souhaite voir être pris en compte.

Certaines mesures existent déjà en droit pour traiter ces questions (cyber harcèlement, crimes et délits commis par le biais d’internet, contrôle parental) mais elles semblent insuffisantes pour traiter une dépendance ayant envahi la société dans son ensemble.

Enfin, un rapport remis au président de la République le 30 avril 2024 illustre à son tour la préoccupation des pouvoirs publics pour la question. Intitulé « Enfants et écrans : à la recherche du temps perdu », le rapport rejoint largement le constat des différentes études scientifiques publiées à ce jour.

Il évalue le nombre le nombre d’écrans par foyer à près de 10 en moyenne, constituant autant de possibilités d’expositions pour l’enfant.

Il souligne également la nécessité de poursuivre les recherches scientifiques pour explorer l’ensemble des conséquences d’un usage excessif des écrans sur le développement psychologique et physique.

Les recommandations du rapport rejoignent largement les constats observés et soulignent la nécessité d’un apprentissage raisonné du numérique posant le rôle des parents et leur capacité à accompagner l’enfant.

La formation des personnels interagissant avec les enfants est également mise en avant. La proposition d’interdiction des téléphones à un certain âge pose cependant des problématiques pratiques.

Le législateur dispose d’un constat clair et étayé par des données chiffrées. Néanmoins, il se heurte à la difficulté patente de contrôler un phénomène systémique durablement installé, et ce alors que le numérique s’est immiscé dans chaque sphère la société.

B.   L’Union européenne doit faire évoluer son cadre législatif pour l’adapter aux enjeux de dÉpendance numÉrique

Le 12 décembre 2023, le Parlement européen a adopté une résolution sur la « Conception addictive des services en ligne et la protection des consommateurs sur le marché unique de l’Union européenne ».

L’intitulé de la résolution présente deux dimensions : d’une part, la santé publique avec la problématique de la dépendance au numérique, d’autre part la protection des consommateurs dans le cadre du marché intérieur.

Placer la question de l’addiction sous l’angle de la protection des consommateurs pourrait avoir pour conséquence de faire primer les enjeux économiques sur les questions de santé et orienterait le champ de la réflexion en matière d’adaptation de la législation européenne.

Cet entre-deux se perçoit d’ailleurs à la lecture des considérants qui mentionnent en premier lieu les directives et textes divers relatifs aux consommateurs et aux pratiques déloyales commerciales.

Les députés européens ont cependant également placé leur réflexion sous l’empire des textes relatifs au numérique adoptés ces dernières années. Ces textes illustrent la préoccupation de l’Union de réguler le numérique et ses usages et marquent ainsi l’impératif public de dicter des règles au secteur marchand.

Il convient de souligner que ce sont le règlement général sur la protection des données, le règlement sur les services numériques (DSA) et le règlement relatif à l’intelligence artificielle qui structurent la réflexion des parlementaires.

Dans la mesure où ces derniers appellent de leur vœu une nouvelle législation européenne pour appréhender l’addiction numérique, se référer aux précédentes et importantes législations en la matière oriente le mode d’action.

L’addiction ainsi appréhendée ne se réfère pas explicitement à l’enfant : c’est pourtant autour de cette figure que s’articule la réflexion comme en témoignent les différents textes d’orientations des Nations-Unies mentionnés.

Les études relatives à l’addiction numérique se sont rapidement orientées en direction des enfants et adolescents car ils constituent un public cible de choix dont l’usage n’est pas nécessairement raisonné, ni marqué par un recul.

En premier lieu est posée la question de l’attention. Il s’agit d’un domaine dans lequel les sciences humaines se sont aventurées et la réflexion a avancé. Le théoricien en littérature Yves Citton a ainsi structuré sa réflexion depuis plusieurs années, allant jusqu’à parler d’économie de l’attention.

Il s’agit ici de concevoir l’attention comme une denrée rare et précieuse et dont le contrôle et l’utilisation pourraient donner lieu à des stratégies marchandes. La plainte déposée aux États-Unis par plusieurs procureurs d’États fédérés s’inscrit en ce sens.

En effet, à l’automne 2023, les procureurs de quarante-deux États ont allégués que la société Meta – propriétaire de Facebook et Instagram – avait sciemment mis en place des fonctionnalités conduisant à développer certains usages et pratiques problématique des réseaux sociaux.

La plainte déposée indique ainsi que Meta avait « conçu des caractéristiques de produit psychologiquement manipulatrices pour inciter les jeunes utilisateurs à une utilisation compulsive et prolongée ».

Outre la mention des enfants et de l’usage addictif, c’est bien la manœuvre volontairement malveillante contre laquelle les procureurs se dressent. Le développement d’un usage anormal des réseaux sociaux résulte bien d’une captation de l’attention auprès d’un public facilement influençable.

Cette captation est monétisable puisqu’elle permet à ces services numériques de se développer. Le considérant A met en avant les services de diffusion, les marchés en ligne ou encore la diffusion de publicités.

Ce qui est en cause est le modèle commercial sur lequel nombre de ces entreprises numériques sont fondées. Les utilisations constatées ont mis en exergue manipulation, addiction et situations de dépendance sur lesquelles la recherche se poursuit.

La résolution ne cherche pas à diaboliser le numérique dont elle reconnaît les apports en matière sociétale, notamment, mais pose la question des enjeux d’un usage non régulé sur lequel le législateur ne disposerait pas de données détaillées.

Ainsi, la capacité à concevoir des services dont le fonctionnement n’est pas connu pose la nécessité d’une action publique. Les effets de la dépendance au numérique ont pu être étayés sur le plan médical. Mais l’enjeu va au-delà comme le démontre l’affaire dite Cambridge Analytica.

Cette société d’analyse des données a connu une triste notoriété en 2018 lorsqu’un lanceur d’alerte a révélé combien elle avait utilisé les données mises à disposition par les utilisateurs de Facebook en 2016. Ces données, récupérées par certains stratèges du candidat républicain Donald Trump à la présidentielle américaine, ont permis de cibler les utilisateurs en leur fournissant du contenu manipulé.

Le contenu a permis d’orienter le choix des électeurs et d’influencer ainsi le résultat du scrutin de novembre 2016. La même année, au Royaume-Uni, une affaire semblable avait eu lieu avec le référendum sur la sortie de l’Union européenne. Il a pareillement été prouvé que des contenus mensongers avaient été utilisés pour faire basculer certains électeurs vers le vote en faveur du Brexit.

Ainsi, l’impératif d’une politique publique emporte des conséquences politiques que le législateur ne peut écarter.

Plusieurs considérants de la résolution insistent sur les manifestations cliniques de la dépendance en soulignant le mal-être social et les désordres psychologiques constatés (troubles anxieux, déficit d’attention, augmentation des situations de détresse psychologique).

La capacité des interfaces numériques à pouvoir utiliser les ressorts humains et émotionnels est une préoccupation pour le législateur. Il est fait mention de plusieurs fonctionnalités dont les effets négatifs ont été constatés : fixation d’objectifs aux utilisateurs, exploitation des émotions et notifications initiées par la plateforme.

Le considérant L. décrit avec précision et minutie les techniques aboutissant à créer des pratiques addictives. Le développement de ces techniques ne s’est pas accompagné d’études et d’analyses sur leurs conséquences. Le législateur européen en prend acte et souligne qu’au regard des certaines manifestations, il devient nécessaire de pousser de mener des études approfondies en la matière.

En effet, la simple responsabilisation de l’utilisateur apparaît insuffisante. S’agissant de publics sensibles et vulnérables comme les enfants et adolescents, le paradigme est inopérant.

Des mécanismes de protection ont pu être mis en place mais le développement des technologies numériques précède la volonté et la capacité du législateur à les encadrer.

Il est pertinent de noter que la prise en compte de certaines problématiques figurait déjà dans la législation sur les services numériques : exigences en matière de conception (article 25), de transparence (article 27), de protection des mineurs (article 28) ou encore de systèmes de recommandation (article 38).

Cependant, l’apparition de l’intelligence artificielle a démontré combien la régulation était impérative et devait prendre en compte de nouveaux facteurs. Le règlement européen en la matière, premier du genre au monde, a fixé une liste de pratiques interdites, dessinant en creux l’éthique voulue par le législateur.

Cependant, l’interdiction de pratiques subliminales, d’utilisation des émotions ou de notation sociale est insuffisante pour appréhender l’ensemble des risques que porte cette nouvelle technologie.

Dès lors, sans proposer une législation en tant que telle, la résolution en présente les contours. Il s’agit, d’une part de tenir compte de la nature addictive des services en ligne, et d’autre part de promouvoir une conception éthique des services en ligne.

La ligne de faille consistant à délimiter la frontière entre les deux dimensions n’est pas évidente et porte en elle les difficultés de toute nouvelle législation sur le sujet.


En premier lieu, il convient de souligner que c’est l’approche par le consommateur qui est mentionnée. C’est en effet par ce prisme que l’Union s’est saisie de la question des services en ligne pour cheminer vers la question des effets toxiques de certains d’entre eux.

À cet égard, la résolution forme le vœu que le principe d’équité numérique devienne le principe guidant les futures législations afin d’assurer une meilleure protection des consommateurs.

Le passage de la protection du consommateur à celle du consommateur vulnérable, que la résolution appelle de ses vœux, constitue une avancée importante. Elle témoigne de la prise en compte des spécificités du public concerné par les textes législatifs. S’agissant des enfants et adolescents, il convient ainsi de tenir compte de leur vulnérabilité.

C’est ici que se situe toute la problématique de toute nouvelle législation. Elle devra intégrer la dimension psychologique posée par l’usage de technologie persuasive et de l’addiction au numérique. Cette dimension a été trop absente des précédentes législations. Sa prise en compte constituerait donc un changement de paradigme.

Pour autant, une partie du chemin a été faite puisque déjà le DSA et l’IA avaient intégré les dimensions potentiellement nuisibles et manipulatrices que les plateformes étaient susceptibles d’encourager, tout du moins de laisser prospérer.

À ce sujet, il convient de mentionner les articles 25 et 35 du DSA qui insistent sur la conception des plateformes et sur l’atténuation des risques.

La proposition législative voulue par les parlementaires européens devra également passer par les révisions des législations relatives au consommateur (pratiques déloyales commerciales, droit des consommateurs et clauses contractuelles abusives).

L’étude comportementale de la Commission européenne sur les pratiques commerciales déloyales, publiée en 2022, apporte des repères essentiels. En effet, elle rappelle que les premiers textes relatifs à la protection des consommateurs avaient déjà intégré la question des techniques de manipulation.

Recourant au concept d’interface truquée (dark pattern), l’étude rappelle que le concept est présent dans plusieurs législations européennes. Il conviendrait donc d’en étendre le champ d’application en y intégrant les nouvelles méthodes de manipulation identifiées au fur et à mesure du développement du numérique.

L’annexe I de la directive sur les pratiques commerciales déloyales liste plusieurs pratiques interdites. La liste a été modifiée au cours des vingts dernières années au gré de l’évolution de la législation.

Ainsi, les contours d’une future législation sur la question de l’addiction pourront emprunter certains concepts à cette annexe et dessiner une éthique de conception des plateformes.

Votre rapporteure souhaite ici rappeler l’étude du Bureau européen des unions de consommateurs BEUC (2022) ([5]). Celle-ci a effectivement insisté sur le concept d’asymétrie numérique désignant par là le rapport de forces inégal entre les plateformes et l’utilisateur.

En recourant à ce concept pour construire toute future législation, l’Union prendrait en compte la question du point de vue du consommateur et de sa capacité à utiliser les services numériques en disposant d’un point de vue éclairé.

L’asymétrie numérique, telle que définie par le BEUC, prend en compte trois dimensions : l’architecture et la structure du service, l’aspect relationnel au sens de la transaction et enfin la capacité à disposer des informations permettant d’orienter le choix.

Toute révision législation ou nouveau texte législatif devrait tenir compte de ce concept et de ses différentes dimensions afin de pouvoir créer des mécanismes de régulation en mesure de créer un choix juste (fair) pour l’utilisateur.

Un autre point mis en avant par la résolution du Parlement consiste à inverser la charge de la preuve pour les pratiques considérées comme addictives. Ce serait aux plateformes et services numériques de concevoir des interfaces qui soient honnêtes et ne contiennent pas de dispositifs en situation de créer des dépendances et addictions.

L’inversion de la charge s’ajoute à la question de l’asymétrie dans la mesure où elle prend acte du rapport inégal et donne des clés pour renverser la situation. Ce n’est pas à l’utilisateur de mettre en place des mécanismes de résistance à l’addiction mais aux fournisseurs de services numériques de concevoir des structures saines.

La Commission devrait également évaluer l’impact sur la santé, notamment mentale, des systèmes de recommandations et des systèmes personnalisés. Si les études sur les conséquences de l’addiction numérique sont nombreuses, elles n’ont pas nécessairement pris la mesure de certaines dimensions.

Le scandale Cambride Analytica, mentionné précédemment, illustre bien la capacité de certaines techniques à fausser le choix et aboutir à des conséquences dramatiques.

La conception éthique des services en ligne voulue par la législation européenne sera rendue possible en permettant à l’utilisateur de désactiver tous les dispositifs réant des dépendances, une sorte de « droit numérique à ne pas être dérangé ».

Une liste de bonnes pratiques, symétrique à celle des pratiques interdites, devrait également être créée. Cette liste délimiterait les contours des futures interfaces dites éthiques permettant à l’utilisateur de maitriser sa pratique des services numériques. L’alinéa 11 de la résolution constitue, à cet égard, une base de départ d’exigences à fixer aux plateformes.

En définitive, les avancées en matière de lutte contre les addictions nécessiteront la mobilisation de l’ensemble de la société : législateurs, structures publics, professionnels de santé, entreprises, médias ou encore organisations représentatives des consommateurs.

Si la recherche en matière d’addiction est déjà bien avancée, votre rapporteure formule le souhait de soutenir et renforcer la coopération internationale en la matière afin de coaliser les efforts et les recherches sur la dépendance et ses effets.

 


conclusion

Le numérique a produit des changements radicaux dans notre société dont la rapidité a surpris le législateur lui-même.

En quelques années, des plateformes et sociétés sont devenues des géants dont la puissance financière égale celle de certains États.

L’observation de certains phénomènes de société, à l’instar de la dépendance numérique, a rendu nécessaire des mécanismes de régulation pour préserver les publics les plus vulnérables comme les enfants et les adolescents.

L’addiction au numérique avait été perçue à travers les jeux vidéos comme en témoigne la décision de l’OMS de la consacrer cliniquement en 2018. Cependant la pandémie de Covid-19 et les bouleversements qu’elle a engendrés dans l’existence de milliards d’individus de manière simultanée a accéléré la réflexion.

Après avoir entamé une démarche régulatrice au niveau européen (RGPD, DMA, DSA, IA), il devient nécessaire d’entamer un nouveau chapitre dédié spécifiquement à la question de la dépendance au numérique.

Le législateur français a posé quelques jalons qui méritent d’être poursuivis. Mais c’est à l’échelle européenne que peut être développée une méthode harmonisée, cohérente et structurée afin d’imaginer une réponse commune.

 

 

 

 

 


   EXAMEN EN COMMISSION

La Commission s’est réunie le mardi 30 octobre 2024, sous la présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, Président, pour examiner la présente proposition de résolution européenne.

 

M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade. Mes chers collègues, l’ordre du jour de notre commission appelle l’examen d’une proposition de résolution européenne (PPRE) visant à lutter contre les addictions numériques chez les enfants. Je laisse la parole à notre collègue Marietta Karamanli, qui en est la principale auteure.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Cette PPRE est le résultat d’un travail transpartisan. Le sujet des addictions numériques chez les enfants est au centre de préoccupations politiques – nationales et européennes – et intrafamiliales. L’impact sanitaire néfaste de l’utilisation outrancière des réseaux numériques a été démontré, touchant majoritairement les populations les plus jeunes. Malgré une utilisation certes problématique, la responsabilité demeure celle des grandes entreprises, propriétaires des plateformes d’accès à internet et de diffusion. Informées des conséquences néfastes de leurs réseaux numériques, ces entreprises laissent volontairement prospérer des fonctionnalités encourageant ces addictions : des notifications à toute heure du jour et de la nuit, des vidéos s’enchaînant automatiquement et causant une perte de la notion du temps ainsi que des filtres modifiant des images et l’appréhension du corps humain.

L’intelligence artificielle est bien présente et les algorithmes répondent à un objectif de maintien de l’utilisateur sur la plateforme afin d’en faire un public prisonnier des contenus. Grâce aux moyens évoqués précédemment, les grandes plateformes cherchent à affirmer leur puissance via leur nombre d’utilisateurs, les temps d’utilisation et la quantité de données personnelles à commercialiser.

En 2004, le PDG d’une importante chaîne de télévision française expliquait vendre du « temps de cerveau disponible » aux annonceurs. Cette formule s’incarne aujourd’hui dans la dépendance des cerveaux aux réseaux numériques ou aux jeux en ligne. Cette situation, que le législateur n’avait pas anticipée, est devenue une véritable préoccupation : elle ne concerne plus seulement un nombre restreint de spécialistes de l’enfance et de pédopsychiatres, mais aussi les parents et les professeurs. Nos capteurs d’attention, sursollicités au quotidien, sont dépassés par la quantité d’informations à traiter.

Les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), sont devenus en vingt ans des puissances économiques surpassant de nombreux États.

Durant la pandémie de Covid-19, chacun a pu réaliser l’ampleur de la place quotidienne occupée par le numérique et le parasite que constitue une présence malsaine en ligne. La situation de dépendance actée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’agissant des jeux vidéo dès 2018 a été étendue et l’emprise concerne désormais l’ensemble du champ numérique. La caractérisation de l’addiction numérique s’est fondée sur différents facteurs observés sur les populations ciblées : un sentiment de frustration et d’angoisse, un désintérêt pour les relations sociales, un repli sur soi, ainsi qu’un temps anormalement long et déséquilibré en ligne.

Souvent, le temps passé en ligne par des enfants se fait en dehors des moments de dialogue avec les parents, ou avec un adulte.

Exposant l’ampleur du phénomène, de multiples études ont permis d’affirmer la réalité de l’omniprésence numérique, dont une produite par le Parlement européen en 2022. Bien que la prise de conscience ne soit pas si récente, le constat a été long à dresser. La préoccupation de santé publique est devenue réelle lorsque la société a réalisé que les effets de la surutilisation du numérique ne résultaient pas uniquement du confinement.

Bien que la mission interministérielle contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) conduise un travail essentiel de sensibilisation sur les addictions, le périmètre de son champ d’action ne lui permet pas de proposer des politiques publiques adaptées. La MILDECA se limite donc au recensement d’initiatives mises en place pour sensibiliser les parents et le personnel d’enseignement.

La capacité d’action transversale de l’Union européenne aurait pu constituer un vecteur efficace de changement et de prise de conscience. Néanmoins, conformément à son champ de compétence régi par les traités, l’Union a en priorité investi le marché intérieur dans le cadre de l’achèvement du marché unique au début des années 1990. Ainsi, l’Union européenne a d’abord envisagé la question de la tromperie sous l’angle commercial, à l’image des directives relatives aux droits du consommateur et aux pratiques commerciales déloyales. Cet aspect commercial est important dans la mesure où la dimension de tromperie a su se frayer un chemin pour tenir compte des incidences des réseaux numériques sur les choix du consommateur.

Face à la place croissante occupée par le numérique au cours des années 2000 et 2010, la Commission européenne a initié différentes propositions ambitieuses. Ainsi, le Règlement général sur la protection des données (RGDP) de 2016 constitue le dispositif de protection des droits numériques le plus achevé à ce jour. Plus récemment, en 2020, les règlements européens DSA (Digital Services Act) et DMA (Digital Markets Act) ont parachevé la protection du consommateur en inversant la tendance d’emprise des plateformes, via l’instauration des mécanismes de régulation solides et efficaces. Si les tensions entre la Commission européenne et X (ex-Twitter) témoignent des effets de ces deux textes, ces derniers n’abordent pas de front la question de l’addiction numérique. Il est donc nécessaire de franchir une nouvelle étape.

Le règlement sur les services numériques (DSA) vise à rendre illégal en ligne ce qui est illégal hors ligne : un objectif qui n’est simple que d’apparence. Depuis son adoption en 2022, les fournisseurs d’accès à internet doivent prendre des mesures pour lutter contre les contenus illicites et préjudiciables sur leurs plateformes, tels que la haine en ligne, la pédopornographie ou la désinformation. Le règlement sur les marchés numériques (DMA), quant à lui, vise à contester la domination des géants du numérique et lutter contre leurs pratiques anticoncurrentielles. À l’occasion de la pandémie de Covid-19, différents travaux parlementaires ont permis à la France de tirer des conclusions sur l’emprise numérique et sur le développement de l’addiction. Bien que leur parcours législatif ne soit pas terminé, différentes propositions de lois soumises en 2023 et 2024 témoignent de la volonté du législateur de se saisir d’un phénomène de société « qu’il n’est plus possible de seulement regretter ».

Il convient de proposer de véritables mécanismes législatifs pour protéger les plus vulnérables. Dans cette optique, la résolution du Parlement européen sur la conception addictive des services en ligne et la protection des consommateurs sur le marché unique de l’UE (2023/2043 (INI), adoptée en décembre 2023, me réjouit particulièrement. Face à la progression de l’emprise numérique, l’Union européenne a développé des outils juridiques contraignants pour assurer la protection des consommateurs. Cette dernière s’accompagne notamment d’une obligation de transparence et de concurrence.

Aux États-Unis, quatorze procureurs d’états fédérés ont engagé des actions contre Meta et TikTok, tandis que la Commission européenne a elle aussi initié des enquêtes à l’encontre de Twitter et TikTok.

Au Parlement européen, la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs (IMCO) a adopté, à une grande majorité, un rapport requérant des mesures dans le sens d’une protection accrue des enfants et des jeunes non majeurs. Visant à diminuer le potentiel addictif des plateformes numériques, ce rapport participe utilement au débat sur le concept d’emprise et sur les mécanismes addictifs mis en place par les services en ligne. La description des multiples notifications, recommandations et outils utilisés par les plateformes pour solliciter l’utilisateur jusqu’à l’excès donne la pleine mesure du chantier qui se tient devant nous.

Le législateur doit tenir compte de tous les paramètres : la conception addictive des services en ligne d’une part, et la nécessaire élaboration d’une éthique de conception de plateformes d’autre part. L’autorégulation n’est plus la solution.

Les multiples scandales, tels que celui de Facebook Cambridge Analytica (2018) ou la plainte déposée en 2023 par trente-trois procureurs américains contre Meta, accusée de nuire à la « santé mentale et physique de la jeunesse », nous rappellent notre devoir. Nous sommes dans l’obligation de légiférer sur ces questions de protection des données et d’addiction numérique pour établir des règles directrices et s’assurer de leur respect par les acteurs concernés.

Nous pouvons déjà explorer certaines pistes, telles qu’une législation européenne sur la conception addictive des services en ligne, la consécration d’un « droit numérique à ne pas être dérangé », l’interdiction des pratiques les plus préjudiciables au niveau commercial, la mise en place d’une liste de bonnes pratiques numériques, et le renversement de la charge de la preuve pour responsabiliser les plateformes.

Voici les points de cette proposition de résolution que je veux mettre en exergue. Il ne s’agit pas uniquement de questions commerciales mais bien d’une éthique, d’une action pratique et contraignante que nous devons mettre en place. Je connais l’engagement de plusieurs députés présents aujourd’hui, et cette PPRE constitue un premier pas dans la bonne direction. Forte du constat objectif dressé, je vous invite à soutenir cette résolution et à demander au gouvernement et à la France de s’engager de manière concrète dans cette voie. L’importance du sujet nous demandera certainement de continuer à travailler de manière transpartisane pour protéger les enfants.

 

L’exposé de la rapporteure a été suivi d’un débat.

 

M. Charles Sitzenstuhl (EPR). Le groupe Ensemble pour la République s’associe à cette PPRE, qui reprend les objectifs et les orientations de la résolution du Parlement européen du 12 décembre 2023 relative à la conception addictive des services en ligne et protection des consommateurs sur le marché unique de l’UE. Pour préserver le potentiel de la technologie numérique, nous devons nous assurer qu’elle ne devienne pas un vecteur d’enfermement, d’aliénation ou de soumission de nos futurs citoyens.

En moyenne, un enfant français côtoie dix écrans dans son domicile familial. Cette omniprésence numérique contribue directement ou indirectement à des déficits de sommeil, au recul de l’activité physique, à l’explosion de la sédentarité et donc finalement au développement de maladies chroniques. Il faut aussi souligner le risque que représente les fausses informations et le complotisme en ligne qui se cache derrière les écrans. Selon une enquête de l’IFOP publiée en mars 2024, 46% des jeunes ont déjà relayé des fake news sur les réseaux sociaux, très largement devant les autres classes d’âge. Il existe donc aussi un enjeu démocratique dans la question des addictions numériques, puisque les enfants sont par définition les citoyens de demain.

Le 30 avril 2024, à la demande du Président de la République, une commission spéciale composée de dix experts – scientifiques, neurologues, psychiatres, professeurs ou ingénieurs – a remis ses conclusions sur les défis que présentent les nouvelles technologies numériques pour notre jeunesse. Leur constat est sans appel : dans le nouveau marché du numérique, nos enfants sont devenus des marchandises. Les experts ont été alarmés par des dérives très concrètes, notamment concernant la représentation des femmes, les enfermant dans des stéréotypes ou des représentations délétères. Nous devons réagir, notre jeunesse n’est pas une marchandise.

Nous appelons donc le gouvernement à se saisir de ce sujet, en lien avec ses homologues européens et avec la Commission européenne, afin de construire une réponse collective pour protéger les enfants européens. Nous devons renforcer le cadre réglementaire européen dans la continuité des travaux engagés par la France lors de la présidence française du Conseil de l’Union européenne autour du DSA, qui constitue une base concrète pour agir. Madame la rapporteure, le groupe EPR soutient totalement votre PPRE.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Il a été rappelé de manière très concise la question de l’effet du numérique sur la santé et sur le fonctionnement de notre démocratie. Il s’agit d’un chantier sur lequel il nous faut travailler à plusieurs pour proposer à l’Assemblée nationale des propositions avec des mesures concrètes car nous manquons encore d’outils pour faire face à ce problème.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Merci madame la rapporteure de mettre la lumière sur un sujet de société qui concerne le développement intellectuel, le développement social et le bien-être des enfants.

La première partie de votre rapport s’intéresse au constat qui est unanimement partagé, du moins je l’espère. Les études indiquant un usage de plus en plus malsain du numérique chez les jeunes se multiplient.

L’organisation mondiale de la santé a publié un rapport le 25 septembre dernier, qui souligne que la part des jeunes utilisateurs ayant développé un usage problématique des réseaux sociaux est passée de 7% en 2018 à 11% en 2022. Le phénomène touche des enfants de plus en plus jeunes et selon l’enquête Health de 2023, 40% des enfants de deux ans passent déjà 40 minutes par jour devant un écran.

Une fois ce constat posé doit venir le temps des solutions, comme vous l’indiquez dans la seconde partie de votre rapport. La France a commencé à légiférer avec la loi sécuriser et réguler l’espace numérique (SREN) de 2023 qui est passée à côté du sujet. Elle s’est contentée d’un faux solutionnisme technique avec un filtre anti-porno inopérant et des systèmes de censure administrative pour certains contenus inappropriés qui s’avèrent inapplicables. Elle a même offert un cadre juridique sur mesure aux jeux à objet numérique monétisables (JONUM) alors même que l’autorité nationale des jeux s’y opposait, mettant en avant le taux de joueurs problématiques et sa similarité avec les jeux d’argents et de hasard. C’était une ineptie totale. Malheureusement, la direction prise par cette loi n’a donc pas été la bonne.

Tous les spécialistes, notamment ceux de l’OMS, le reconnaissent : la solution passe d’abord par l’éducation qui est la grande oubliée de la loi SREN. Notre système éducatif doit adopter une approche plus globale du numérique, qui n’oppose pas éducation aux médias et à l’apprentissage de l’utilisation des outils.

Le deuxième levier majeur est de mettre les GAFAM face à leurs responsabilités. Aux États-Unis, la multinationale Meta plateforme est poursuivie par trente-trois procureurs généraux d’État pour avoir sciemment utilisé des fonctionnalités addictives sur Instagram et Facebook pour accroître la dépendance des enfants à ces plateformes.

Ne sacrifions pas l’avenir de nos enfants sur l’autel de la rentabilité des grands groupes américains. Cela est possible dès maintenant avec des mesures simples et fortes. On peut tout à fait interdire des systèmes algorithmiques addictifs et on peut interdire la lecture automatique des vidéos. Surtout, agissons sur la confection des appareils et des logiciels.

Mon groupe appuie donc votre proposition de résolution.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Je n’ai rien à enlever aux propos qui ont été tenus. L’exemple nous montre qu’on peut tout à fait légiférer et passer à côté de problèmes qui touchent des milliers d’enfants. Il faut donc passer à l’acte dès maintenant.

Le rapport du Parlement européen et le consensus actuel nous ont incités à saisir cette occasion pour remettre ce sujet dans le débat public. Par ailleurs, le Premier ministre a, dans sa déclaration, insisté sur ce volet-là. Nous allons donc à sa rencontre avec ce texte.

Mme Colette Capdevielle (SOC). Le groupe socialiste soutient ce projet qui est d’une grande qualité et qui donne des chiffres extrêmement inquiétants quant à la dépendance de nos enfants au numérique. J’en reprends trois : 84% des moins de 35 ans se déclarent dépendants au numérique ; entre 11 et 14 ans, les enfants passent 8h30 par jour sur les différents écrans ; et, surtout, dans chaque foyer il y aurait en moyenne 10 écrans, ce qui fait que les enfants sont exposés en permanence aux écrans. Il s’agit d’un problème de santé publique.

Récemment, je visitais dans ma circonscription une clinique psychiatrique dont les responsables indiquaient que leur public est de plus en plus jeune et qu’ils sont démunis face à la nécessité de trouver des traitements adaptés.

L’échelle européenne est donc pertinente pour lutter ensemble et protéger les plus fragiles : c’est une question éthique.

Par ailleurs, je voulais soulever le fait que, paradoxalement, à côté de cette addiction au numérique chez les enfants, les mêmes, quand il s’agit d’utiliser activement les écrans font face à un phénomène nommé « l’illectronisme ». Les écrans les rebutent complètement et ils ne parviennent pas à les utiliser de manière active que ce soit pour étudier, pour faire des recherches ou simplement pour faire valoir leurs droits. Alors même qu’il y a une véritable addiction lorsqu’ils sont passifs et qu’il s’agit simplement de les regarder.

Les enfants sont donc doublement fragiles : d’une part parce qu’ils sont exposés à des contenus addictifs et, d’autre part, parce qu’ils n’arrivent pas à utiliser les outils numériques qui pourraient leur être utiles.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Il est important d’insister sur la distinction entre attitude passive et attitude active, montrant comment certaines utilisations du numérique peuvent amener les enfants à avoir des attitudes passives et addictives au lieu d’être actives et positives. Cela requière aussi un accompagnement qu’il faudra inclure dans les propositions futures.

Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). Le groupe Horizon et indépendants soutient cette proposition de résolution qui s’inscrit dans la stratégie proposée par la Commission européenne « pour un Internet mieux adapté aux enfants » et du rapport du Parlement européen pour de nouvelles règles européennes afin de lutter contre la dépendance numérique.

La consommation problématique et dysfonctionnelle de contenu sur les plateformes numériques et les réseaux sociaux est une source d’inquiétudes légitimes. Le rapport de la « commission écran » rendu au Président de la République en avril 2024 est sans détour : les écrans et les réseaux sociaux sont des facteurs de risques supplémentaires lorsqu’il y a une vulnérabilité préexistante chez un enfant ou un adolescent, notamment de dépression ou d’anxiété. Leur usage est aussi associé aux déficits de sommeil, à la sédentarité, au manque d’activité physique, à l’obésité, ainsi qu’aux problèmes de vue.

Notre groupe est particulièrement sensible à la question des dangers de l’addiction et de l’impact de l’usage des écrans sur les enfants. Il a été à l’initiative de la loi du 7 juillet 2023 qui fixe en France une majorité numérique à 15 ans. Il revient au gouvernement de veiller à sa bonne application et de garantir avec les plateformes son effectivité sur notre territoire. Mais nous devons aller plus loin : le président de la République a rappelé lors de son discours de la Sorbonne sa volonté d’étendre la majorité numérique à l’ensemble de l’Union européenne.

Nous sommes donc en accord avec cette proposition et souhaitons que la Commission propose des moyens d’encadrer les pratiques commerciales des plateformes visant à renforcer les comportements addictifs, les notifications push, les confirmations de lecture ou encore le défilement et la lecture automatique des contenus vidéo.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Effectivement, la majorité numérique a constitué une réponse concrète, mais l’on voit bien que, pour anticiper et protéger les enfants du phénomène addictif, il ne suffit pas d’avoir une majorité numérique. N’oublions pas que l’addiction peut toucher des personnes plus âgées, même si cette proposition de résolution européenne se concentre sur les enfants et les jeunes mineurs qu’il est de notre devoir de protéger.

Mme Christine Loir (RN). En tant que membre de la délégation aux droits des enfants, j’ai eu l’occasion de porter la mission flash sur l’exposition excessive des jeunes aux écrans, en mars 2023. Le constat est sans appel : les écrans sont omniprésents, et ce, dès le plus jeune âge. L’âge moyen d’acquisition d’un smartphone est de 9 ans et 27% des enfants de 2 ans utilisent déjà un écran. Le regret que je formulerais concernant cette résolution est la tranche d’âge retenue : 16-24 ans. Le mal est fait bien plus tôt. Cette surexposition nuit à leur santé et à leur équilibre. Notre cadre législatif est encore insuffisant pour répondre à cet enjeu et encadrer les contenus auxquels les enfants sont surexposés. Il s’agit bien souvent du pire d’internet : contenu pornographique, violence et cyber-harcèlement.

Au niveau européen, le Digital Service Act, en vigueur depuis février 2024, vise notamment à protéger les mineurs. Si l’intention est louable, les moyens alloués ne sont pas à la hauteur de l’ambition. Ainsi, en France, l’ARCOM est chargée de veiller à l’application de ces nouvelles règles mais ses ressources demeurent limitées face aux multinationales du secteur numérique. Pour être efficace, cette lutte contre l’addiction numérique doit impliquer tous les acteurs : familles, établissements scolaires et les plateformes numériques elles‑mêmes. Nous devons donc mieux encadrer, sensibiliser et légiférer pour réduire les effets néfastes des écrans et véritablement protéger nos enfants.

Nous soutiendrons votre proposition.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Vous avez raison d’insister sur la question des moyens. Effectivement, il faut pouvoir accompagner, contrôler et corriger ce qui n’est pas fait ou fait imparfaitement. Les exemples qui existent outre-Atlantique doivent être regardés de près : il faut établir une contrainte auprès des plateformes qui provoquent volontairement ces addictions et en sont conscientes.

Pour cela, l’ARCOM a besoin de moyens supplémentaires. Il ne faut pas négliger l’importance de cette autorité et de l’administration pour faire la part des choses entre les usages bénéfiques de l’IA et ceux qui peuvent être dangereux en cas d’absence d’une réglementation suffisamment protectrice.

M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade. Nous en passons à l’examen des amendements.

Amendement n° 3 de Constance Le Grip et Charles Sitzenstuhl

Mme Constance Le Grip (EPR). Il s’agit d’un amendement rédactionnel et d’actualisation qui vise à faire état du « règlement » du Parlement européen et du Conseil sur l’intelligence artificielle et non plus d’une « proposition de règlement » puisque le texte a été définitivement adopté et a représenté une étape clé dans la constitution d’un cadre européen de régulation sur l’intelligence artificielle.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Avis favorable.

M. Pierre Pribetich (SOC). Je souhaite attirer votre attention sur le règlement relatif à l’IA. Le règlement et les éléments qui vont être intégrés dans notre résolution listent les dangers que nous connaissons actuellement en lien avec l’IA : les techniques subliminales, la manipulation du comportement humain ou encore la vulnérabilité de l’âge. Néanmoins, si nous voulons parfaitement maîtriser l’IA, le législateur doit avoir un temps d’avance. La maîtrise de l’IA passe donc par une vigilance de tous les instants concernant l’évolution de la législation dans un contexte où les puissances de calcul, les capacités de stockage de l’information, l’algorithmique et le calcul en parallèle connaissent un développement exponentiel.

Tous ces éléments nécessitent que nous soyons en alerte permanente afin de s’assurer que notre régulation de l’IA soit réellement performante. Je souhaiterais donc qu’on se penche sur les manières d’anticiper les évolutions concernant l’IA dont le développement est un facteur d’addiction supplémentaire chez les enfants et les personnes plus âgées.

L’amendement n  3 est adopté.

Amendement n °8 de Constance Le Grip et Charles Sitzenstuhl.

Mme Constance Le Grip (EPR). Cet amendement vise à mentionner dans les visas de la PPRE, la loi SREN. Si nous sommes parfaitement conscients des imperfections de cette législation, la loi SREN a, toutefois, le mérite d’exister et d’être un premier outil pour lutter contre les addictions numériques.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Avis favorable.

L’amendement n  8 est adopté.

Amendement n° 4 de Constance Le Grip et Charles Sitzenstuhl.

Mme Constance Le Grip (EPR). Cet amendement propose d’ajouter un considérant relatif aux conclusions du Conseil de l’Union européenne sur la stratégie de l’Union en faveur des droits des enfants, adoptées le 9 juin 2022. Cette stratégie propose des actions permettant aux enfants d’être des membres responsables et résilients de la société numérique.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Avis favorable.

L’amendement n  4 est adopté.

Amendement n° 7 de Constance Le Grip et Charles Sitzenstuhl.

M. Charles Sitzenstuhl (EPR). Cet amendement propose d’ajouter un visa pour mentionner l’Appel de Paris lancé en 2018 par le président de la République française, M. Emmanuel Macron, lors de la réunion à l’Unesco (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) du Forum sur la gouvernance de l’internet et du Forum de Paris sur la paix. Il s’agit de rappeler le travail, entamé par la France, sur le long terme, concernant ces politiques publiques.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Avis favorable.

L’amendement n  7 est adopté.

Amendement n °2 de Constance Le Grip et Charles Sitzenstuhl.

Mme Constance Le Grip (EPR). Il s’agit d’ajouter un visa pour mentionner les travaux de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) pour lutter contre la pornographie violente et extrême. Outre le rappel de l’importance de ces travaux, il faut souligner les risques réels, extrêmement dangereux d’addiction à la pornographie violente pour les mineurs, sans compter la représentation de stéréotypes dégradants et d’atteinte à la dignité humaine notamment de la femme que ces contenus véhiculent.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Avis favorable. En effet, l’APCE joue un rôle fondamental insuffisamment reconnu.

L’amendement n  2 est adopté.

Amendement n° 1 de Constance Le Grip et Charles Sitzenstuhl

M. Charles Sitzenstuhl (EPR). Il s’agit d’ajouter un alinéa pour souligner que la numérisation de la société et le développement des médias sociaux présentent des risques pour la santé mentale des mineurs. Le rapport du Bureau régional de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), présenté en septembre 2024, précise non seulement que 11 % des adolescents européens utilisent les médias de manière problématique, mais également que ce taux est en forte hausse.

L’amendement n  1 est adopté.

Amendement n° 6 de Constance Le Grip et Charles Sitzenstuhl

Mme Constance Le Grip (EPR). Cet amendement vise à ajouter un considérant pour rappeler l’adoption du règlement sur les services numériques (DSA) durant la Présidence française de l’Union européenne auquel la rapporteure a déjà fait allusion dans son rapport.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Avis favorable. En effet, tous les éléments présents dans le DSA, qu’il s’agisse du harcèlement ou de la violence, ont leur place dans le rapport, ce visa trouve donc son utilité.

L’amendement n  6 est adopté.

Amendement n° 1 de Constance Le Grip et Charles Sitzenstuhl.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Avis favorable.

L’amendement n  1 est adopté.

Amendement n° 5 de Constance Le Grip et Charles Sitzenstuhl.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Avis favorable.

L’amendement n  5 est adopté.

L’article unique de la proposition de loi, ainsi modifié, est adopté, à l’unanimité.

La proposition de résolution européenne ainsi modifiée est par conséquent adoptée.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Je vous remercie pour ce travail collectif concernant les addictions numériques. Il importe de reprendre cette thématique dans l’ensemble des textes en discussion. Une fois la commission compétente saisie au fond, nous pourrons avoir un débat dans d’autres instances de l’Assemblée nationale pour proposer des outils efficaces pour les combattre.

M. Charles Sitzenstuhl (EPR). Ce sujet est majeur est un enjeu de société, et les consciences ne sont malheureusement pas encore assez éveillées. Si Madame la rapporteure peut défendre son initiative auprès de la présidente de la commission compétente au fond, vous aussi Monsieur le Président, vous pourrez soutenir, en conférence des Présidents, et auprès de la présidente de l’Assemblée nationale, son inscription à l’ordre du jour de la séance publique pour un débat dans l’hémicycle.

Mme Sofia Chikirou (LFI-NFP). Je soutiens entièrement cette initiative. Lors du débat sur le SREN, nous sommes un peu restés sur notre faim en particulier concernant la protection des enfants. Ce serait l’occasion d’aller plus loin et d’évaluer les dispositifs ne fonctionnant pas tels que le contrôle d’identité relatif à la diffusion de contenus pornographiques. Que faut-il faire ? Faut-il arrêter de légiférer parce que la loi n’est pas appliquée ? Faut-il au regard de la santé mentale, de l’équilibre des enfants, et de l’ensemble des enjeux qui sous‑tendent cette question, reprendre le débat et trouver des solutions ? Pour ma part, je suis favorable à la tenue d’un débat dans l’hémicycle.


   PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE INITIALE

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu larticle 88‑4 de la Constitution,

Vu larticle 151‑5 du Règlement de lAssemblée nationale,

Vu le règlement (UE) 2022/2065 relatif à un marché unique des services numériques,

Vue la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle (COM(2021)0206),

Vu le règlement (UE) 2016/679 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données,

Vu l’article 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

Vue la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant et l’observation générale nº 25 (2021), sur les droits de l’enfant en relation avec l’environnement numérique,

Vue la stratégie de la Commission pour un internet mieux adapté aux enfants,

Considérant qu’un enfant ou jeune sur quatre a une utilisation « problématique » ou qualifiée de « dysfonctionnelle » de son smartphone, c’est‑à‑dire que ses schémas comportementaux indiquent une dépendance ;

Considérant que la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs du Parlement européen a adopté un rapport demandant instamment des mesures dans le sens d’une protection accrue des enfants et jeunes non majeurs et visant à rendre les plateformes numériques moins addictives ;

Considérant qu’il convient de faciliter et de financer des recherches ciblées sur ces thèmes ;

Considérant qu’il convient de promouvoir une réglementation de la conception addictive en ligne à cet égard ;

Considérant qu’il est indispensable de mettre en œuvre des normes de sécurité dès leur conception pour les services et produits numériques destinés aux enfants, et ce, en vue de favoriser le respect de leurs droits ;

Invite le Gouvernement de la République française à soutenir les objectifs et orientations promus par la résolution du Parlement européen du 12 décembre 2023 sur la conception addictive des services en ligne et la protection des consommateurs sur le marché unique de l’UE (2023/2043(INI)) au Conseil et à la Commission ;

Soutient plus particulièrement :

– la présentation par la Commission européenne d’une proposition législative contre la conception addictive des services en ligne notamment à l’égard des plus jeunes ;

– la consécration par le droit de l’Union européenne d’un « droit numérique à ne pas être dérangé » afin que les consommateurs puissent désactiver les fonctions qui attirent l’attention et choisir d’activer ces fonctions par des moyens simples et facilement accessibles ;

– l’interdiction dans le droit de l’Union européenne des pratiques commerciales trompeuses les plus préjudiciables aux consommateurs ;

– l’établissement par la Commission européenne d’une liste de bonnes pratiques en matière de caractéristiques de conception éthique correspondant aux pratiques :

1° ne créant pas de dépendance ou de manipulation ;

2° garantissant aux consommateurs la prise de mesures conscientes et éclairées en ligne sans être confrontés à une surcharge d’informations ou être soumis à des influences subconscientes ;

3° visant entre autres les contenus conçus et utilisés pour créer une utilisation irrationnelle et irraisonnée chez les publics les plus jeunes et les plus vulnérables ;

– le renversement de la charge de la preuve pour les pratiques considérées comme addictives afin de tenir compte de la vulnérabilité des consommateurs et de leur ignorance de ce qui se passe derrière les interfaces en ligne ;

– le financement sur le budget de l’Union de recherches ciblées sur la conception de la dépendance, ses formes et ses effets. 

 

 


   AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

30 octobre 2024


Proposition de rÉsolution europÉenne
lutter contre les addictions numÉriques chez les enfants (n° 484)

 

 

AMENDEMENT

No 3

présenté par

Constance LE GRIP et Charles SITZENSTUHL

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ARTICLE UNIQUE

Amendement rédactionnel

À l’alinéa 5, remplacer les mots :

« Vue la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle (COM(2021)0206), »

par les mots :

« Vu le règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle du 14 mai 2024 entré en vigueur le 1er août 2024, »

EXPOSÉ SOMMAIRE

Cet amendement a pour objet de rappeler que l’Union européenne a légiféré en matière d’intelligence artificielle, et que ce cadre réglementaire n’est plus au stade de proposition.

En avril 2021, la Commission européenne a déposé une proposition de règlement visant à encadrer l’usage de l’intelligence artificielle. Depuis, les institutions européennes ont progressé de manière significative dans ce domaine. Le Conseil de l’Union européenne a adopté une orientation générale le 6 décembre 2022, appelant à promouvoir une intelligence artificielle sûre et respectueuse des droits fondamentaux.

Le 14 juin 2023, le Parlement européen a adopté un texte amendé en session plénière, ouvrant ainsi la voie aux trilogues, lesquels ont abouti le 9 décembre 2023 avec un accord définitif. Ce cadre législatif, approuvé par le Conseil le 21 mai 2024, a permis l’harmonisation des règles relatives à l’intelligence artificielle au sein de l’Union européenne. La législation est entrée en vigueur officiellement le 1er août 2024, marquant une étape clé pour une IA alignée avec les principes européens.

Cet amendement a été adopté.

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

30 octobre 2024


Proposition de rÉsolution europÉenne
lutter contre les addictions numÉriques chez les enfants (n° 484)

 

 

AMENDEMENT

No 8

 

présenté par

Constance LE GRIP et Charles SITZENSTUHL

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ARTICLE UNIQUE

 

Après l’alinéa 6, ajouter l’alinéa suivant :

« Vu la loi n° 2024-449 du 21 mai 2024, visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique ; »

EXPOSÉ SOMMAIRE

La loi n° 2024-449 du 21 mai 2024, visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique, marque une avancée majeure pour la protection des mineurs dans l’environnement numérique. Elle prévoit un encadrement renforcé des plateformes et des réseaux sociaux pour limiter les risques d’exposition des enfants aux contenus inappropriés, ainsi qu'aux mécanismes de conception addictive qui peuvent conduire à des comportements de dépendance numérique.

Cette loi incarne donc la volonté française de lutter contre les addictions numériques et de protéger la santé et le bien-être des enfants.

 

 

 

 

 

 

 

Cet amendement a été adopté.


COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

30 octobre 2024


Proposition de rÉsolution europÉenne
lutter contre les addictions numÉriques chez les enfants (n° 484)

 

 

AMENDEMENT

No 4

 

présenté par

Constance LE GRIP et Charles SITZENSTUHL

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ARTICLE UNIQUE

 

Après l’alinéa 6, ajouter l’alinéa suivant :

« Vu les conclusions du Conseil de l'Union européenne sur la stratégie de l'UE en faveur des droits de l'enfant, adoptées le 9 juin 2022 » 

EXPOSÉ SOMMAIRE

Ces conclusions couvrent la stratégie de l'Union européenne sur les droits de l'enfant. En particulier, le Conseil invite les États membres à élaborer des politiques globales pour que les droits de tous les enfants soient respectés sans aucune discrimination, à intensifier les efforts déployés pour prévenir toutes les formes de violence à l'égard des enfants et lutter contre celles-ci, à renforcer leurs systèmes judiciaires afin qu'ils respectent les droits des enfants, et à accroître les possibilités qui s'offrent aux enfants d'être des membres responsables et résilients de la société numérique.

 

 

 

 

Cet amendement a été adopté.


COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

30 octobre 2024


Proposition de rÉsolution europÉenne
lutter contre les addictions numÉriques chez les enfants (n° 484)

 

 

AMENDEMENT

No 7

 

présenté par

Constance LE GRIP et Charles SITZENSTUHL

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ARTICLE UNIQUE

 

Après l’alinéa 8, ajouter l’alinéa suivant :

« Vu l'Appel de Paris du 12 novembre 2018, lancé lors du Forum sur la gouvernance de l’internet, pour la confiance et de la sécurité dans le cyberespace, et plus particulièrement son principe 7 » 

EXPOSÉ SOMMAIRE

L’Appel de Paris a été lancé en 2018 par le Président de la République française, Emmanuel Macron, à l’occasion de la réunion à l’UNESCO du Forum sur la gouvernance de l’internet et du Forum de Paris sur la Paix. L’Appel de Paris invite tous les acteurs du cyberespace à collaborer et encourage les États à coopérer avec des partenaires du secteur privé, du monde de la recherche et de la société civile afin d’adopter des comportements responsables.

Par son principe 7 Hygiène informatique, cet Appel encourage des pratiques de cybersécurité renforcées pour protéger les enfants vis-à-vis du numérique. Il promeut une éducation précoce à la sécurité numérique, incite les États à sensibiliser les jeunes aux comportements responsables. En plaçant les enfants comme priorité, dans son septième principe, l'Appel souligne l'importance d'une coopération internationale pour créer un cyberespace sécurisé et éducatif pour les jeunes.

 

 

Cet amendement a été adopté.


COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

30 octobre 2024


Proposition de rÉsolution europÉenne
lutter contre les addictions numÉriques chez les enfants (n° 484)

 

 

AMENDEMENT

No 2

 

présenté par

Charles Sitzenstuhl et Constance Le Grip

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ARTICLE UNIQUE

 

Après l’alinéa 9, insérer l’alinéa suivant :

 « Vue la résolution 1835 (2011) de l’Assemblée du Conseil de l’Europe relative à la pornographie violente et extrême, »

EXPOSÉ SOMMAIRE

 

Cet amendement vise à ajouter une référence aux travaux de l’Assemblée du Conseil de l’Europe sur le sujet de la pornographie.

Dans sa résolution de 2011 le Conseil de l’Europe souligne la nécessité de « protéger les enfants de l’exposition aux contenus pornographiques violents et extrêmes, qui pourrait nuire à leur développement équilibré ».

Cependant, travaux de la commission spéciale « Enfants et écrans, à la recherche du temps perdu », présentés le 30 avril 2024, soulignent l’accroissement significatif de l’exposition des mineurs aux contenus pornographiques via les écrans.

De plus, dans l’enquête « Génération numérique, Enquête sur les contenus choquants accessibles aux mineurs » de février 2023, nous apprenons notamment que 36% des enfants de la tranche d’âge 11 à 18 ans, ont eu accès à des scènes de pornographie. L’âge moyen de la première exposition serait désormais de 10 ou 11 ans selon les sources de cette enquête.

Ces contenus ne sont pas adaptés pour nos enfants, ils exposent des scènes parfois violentes, qui diffusent des stéréotypes ou des représentations délétères sur les relations entre les femmes et les hommes et sur la sexualité. Selon le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, l’initiation précoce à la pornographie « semble avoir des effets réels sur les représentations que se font les hommes des femmes dans les relations sexuelles ».

Dans la continuité des mesures prises par le Digital Services Act, nous appelons le Gouvernement et la Commission européenne à renforcer les dispositifs de contrôle de l’âge sur les sites pornographiques. Nous devons également approfondir la production de ressources adaptées aux interrogations légitimes des enfants sur la sexualité et la vie affective.

Aussi, puisque la présente résolution vise à protéger nos enfants des addictions numériques, nous appelons à traiter la pornographie comme étant une thématique structurante de ce sujet.

 

 

 

 

 

Cet amendement a été adopté.


COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

30 octobre 2024


Proposition de rÉsolution europÉenne
lutter contre les addictions numÉriques chez les enfants (n° 484)

 

 

AMENDEMENT

No 1

 

présenté par

Charles Sitzenstuhl, Constance Le Grip

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ARTICLE UNIQUE

 

Après l’alinéa 10, insérer l’alinéa suivant :

« Considérant que la numérisation de la société et le développement des médias sociaux présentent des risques pour la santé mentale des mineurs ; »

EXPOSÉ SOMMAIRE

 

Cet amendement vise à attirer l’attention du Gouvernement sur l’impact direct que font peser les addictions numériques sur la santé mentale des mineurs.

En septembre 2024, le Bureau régional de l’OMS pour l’Europe a présenté un rapport révélant qu’en 2022, 11% des adolescents européens ont une utilisation problématique des médias sociaux, un taux en hausse de 4% par rapport à 2018. En complément, une enquête du Health Behaviour in School-aged Children de 2022 souligne que « 1 adolescent sur 10 présente des signes de comportement problématiques vis-à-vis des médias sociaux[6] ». Ces comportements sont caractérisés par des utilisations excessives, l’abandon d’autres activités au profit des médias sociaux, des sensations de sevrage en cas d’absence des écrans.

Plusieurs travaux scientifiques[7] ont également démontré des niveaux de bien-être mental et social plus faibles pour les utilisateurs fréquents des médias sociaux. Leur consommation de substances psychoactives sont également plus importantes que pour les utilisateurs non-problématiques. Enfin, l’ONG Amnesty International a publié des rapports détaillés sur les algorithmes du média social Tik Tok qui encouragent les idées suicidaires et les automutilations.[8]

Au-delà des médias sociaux, les jeux numériques sont également omniprésents dans le quotidien de nos adolescents. Le Bureau européen de l’OMS souligne que « 34 % des adolescents s’adonnent quotidiennement à des jeux numériques, et que 22 % d’entre eux jouent pendant au moins 4 heures[9] ». Pour les joueurs problématiques, ces pratiques seraient responsables de plaintes psychologiques plus fréquentes et des degrés de satisfaction plus faible au quotidien.

Face à ces constats, nous proposons d’inscrire la santé mentale de nos enfants comme un élément structurant de cette proposition de résolution. Nous souhaitons ainsi participer à la grande cause de l’année 2025 voulue par le premier Ministre Michel Barnier.

 

 

 

 

 

Cet amendement a été adopté.


COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

30 octobre 2024


Proposition de rÉsolution europÉenne
lutter contre les addictions numÉriques chez les enfants (n° 484)

 

 

AMENDEMENT

No 6

 

présenté par

Constance LE GRIP et Charles SITZENSTUHL

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ARTICLE UNIQUE

 

Après l’alinéa 11, insérer l’alinéa suivant :

« Considérant que le règlement sur les services numériques (DSA) a été adopté durant la Présidence française de l'Union européenne ; »

EXPOSÉ SOMMAIRE

Lors du premier semestre 2022, la présidence française du Conseil de l'Union européenne a placé le numérique au cœur de ses priorités, posant des normes de régulation ambitieuses pour les géants du numérique et renforçant la protection des citoyens ainsi que des entreprises européennes. Deux législations majeures ont ainsi été adoptées, posant un standard mondial pour la régulation de ce secteur.

La législation sur les services numériques (DSA), en particulier, marque une avancée décisive. En s’attaquant à la diffusion de contenus illicites en ligne, tels que les incitations à la haine, la violence, le harcèlement, les contenus pédopornographiques et l’apologie du terrorisme, elle reflète l’engagement de la présidence française pour garantir un espace numérique sécurisé et respectueux des droits de chacun, notamment pour les enfants.

 

 

Cet amendement a été adopté.


COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

30 octobre 2024


Proposition de rÉsolution europÉenne
lutter contre les addictions numÉriques chez les enfants (n° 484)

 

 

AMENDEMENT

No 5

 

présenté par

Constance LE GRIP et Charles SITZENSTUHL

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ARTICLE UNIQUE

 

Après l’alinéa 14, insérer l’alinéa suivant :

« Invite le Gouvernement de la République française à accroître les possibilités qui s'offrent aux enfants d'être des membres responsables et résilients de la société numérique, s’appuyant sur les conclusions du Conseil de l'Union européenne sur la stratégie de l'UE en faveur des droits de l'enfant, adoptées le 9 juin 2022 ; »

EXPOSÉ SOMMAIRE

Les conclusions du Conseil de l'Union européenne sur la stratégie de l'UE en faveur des droits de l'enfant, adoptées le 9 juin 2022, invitent les États membres à accroître les initiatives visant à préparer les enfants à devenir des citoyens numériques éclairés, responsables et résilients. Ces conclusions soulignent l’importance de mettre en place des mesures éducatives et préventives pour favoriser une utilisation saine et équilibrée des technologies numériques dès le plus jeune âge. Dans cette perspective, la lutte contre les comportements de dépendance numérique s’impose comme un élément central de l’éducation au numérique, visant à prévenir les risques de surconsommation et à promouvoir un rapport réfléchi aux écrans. L'encouragement à de telles pratiques s'inscrit dans une démarche globale pour garantir aux jeunes un environnement numérique respectueux de leur bien-être et de leurs droits fondamentaux.

 

 

Cet amendement a été adopté.


   ANNEXE :
PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION

 

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu larticle 88‑4 de la Constitution,

Vu larticle 151‑5 du Règlement de lAssemblée nationale,

Vu le règlement (UE) 2022/2065 relatif à un marché unique des services numériques,

Vu le règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle du 14 mai 2021 entré en vigueur le 1er août 2024,

Vu le règlement (UE) 2016/679 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données,

Vu les conclusions du Conseil de l’Union européenne sur la stratégie de l’UE en faveur des droits de l’enfant adoptés le 9 juin 2022,

Vu la loi n°2024-449 du 21 mai 2024, visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique

Vu l’article 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

Vu la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant et l’observation générale nº 25 (2021), sur les droits de l’enfant en relation avec l’environnement numérique,

Vu l’Appel de Paris du 12 novembre 2018, lancé lors du Forum sur la gouvernance de l’internet, pour la confiance et de la sécurité dans le cyberespace, et plus particulièrement son principe 7,

Vu la stratégie de la Commission pour un internet mieux adapté aux enfants,

Vu la résolution 1835 (2011) de l’Assemblée du Conseil de l’Europe relative à la pornographie violente et extrême,

Considérant qu’un enfant ou jeune sur quatre a une utilisation « problématique » ou qualifiée de « dysfonctionnelle » de son smartphone, c’est‑à‑dire que ses schémas comportementaux indiquent une dépendance ;

Considérant que la numérisation de la société et le développement des médias sociaux présentent des risques pour la santé mentale des mineurs ;

Considérant que la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs du Parlement européen a adopté un rapport demandant instamment des mesures dans le sens d’une protection accrue des enfants et jeunes non majeurs et visant à rendre les plateformes numériques moins addictives ;

Considérant que le règlement sur les services numériques (DSA) a été adopté durant la Présidence française de l’Union européenne ;

Considérant qu’il convient de faciliter et de financer des recherches ciblées sur ces thèmes ;

Considérant qu’il convient de promouvoir une réglementation de la conception addictive en ligne à cet égard ;

Considérant qu’il est indispensable de mettre en œuvre des normes de sécurité dès leur conception pour les services et produits numériques destinés aux enfants, et ce, en vue de favoriser le respect de leurs droits ;

Invite le Gouvernement de la République française à accroître les possibilités qui s’offrent aux enfants d’être des membres responsables et résilients de la société numérique, s’appuyant sur les conclusions du Conseil de l’Union européenne sur la stratégie de l’UE en faveur des droits de l’enfant adoptées le 9 juin 2022 ;

Invite le Gouvernement de la République française à soutenir les objectifs et orientations promus par la résolution du Parlement européen du 12 décembre 2023 sur la conception addictive des services en ligne et la protection des consommateurs sur le marché unique de l’UE (2023/2043(INI)) au Conseil et à la Commission ;

Soutient plus particulièrement :

– la présentation par la Commission européenne d’une proposition législative contre la conception addictive des services en ligne notamment à l’égard des plus jeunes ;

– la consécration par le droit de l’Union européenne d’un « droit numérique à ne pas être dérangé » afin que les consommateurs puissent désactiver les fonctions qui attirent l’attention et choisir d’activer ces fonctions par des moyens simples et facilement accessibles ;

– l’interdiction dans le droit de l’Union européenne des pratiques commerciales trompeuses les plus préjudiciables aux consommateurs ;

– l’établissement par la Commission européenne d’une liste de bonnes pratiques en matière de caractéristiques de conception éthique correspondant aux pratiques :

1° ne créant pas de dépendance ou de manipulation ;

2° garantissant aux consommateurs la prise de mesures conscientes et éclairées en ligne sans être confrontés à une surcharge d’informations ou être soumis à des influences subconscientes ;

3° visant entre autres les contenus conçus et utilisés pour créer une utilisation irrationnelle et irraisonnée chez les publics les plus jeunes et les plus vulnérables ;

– le renversement de la charge de la preuve pour les pratiques considérées comme addictives afin de tenir compte de la vulnérabilité des consommateurs et de leur ignorance de ce qui se passe derrière les interfaces en ligne ;

– le financement sur le budget de l’Union de recherches ciblées sur la conception de la dépendance, ses formes et ses effets. 

 


([1]) Sondage IFOP « Les français et l’addiction au numérique », janvier 2024.

([2]) Addiction aux écrans et aux réseaux sociaux : « Un autre internet aurait été possible », Ouest France, 25 décembre 2023

([3]) Harmful Internet use. Part I : Internet addiction and problematic use

([4]) Enquêtes et Conditions de vie liées au Covid-19 (DREES, ministères sociaux). Juin 2023

([5]) « EU Consumer protection 2.0 Protecting Fainess and consumer choice in adigital economy » (Protection des consommateurs de l’Union 2.0 Protéger l’équité et le choix des consommateurs dans une économique numérique)

[6] https://iris.who.int/handle/10665/378982

[7] https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0747563221004672

[8] https://amnestyfr.cdn.prismic.io/amnestyfr/f7a52b32-793f-4e0a-a83a-737436f415f3_Poussé·e·s+vers+les+ténèbres_rapport_Tiktok_Amnesty_International_FR.pdf

[9] https://www.who.int/europe/fr/news/item/25-09-2024-teens--screens-and-mental-health