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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 20 novembre 2024.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE, SUR LA PROPOSITION DE LOI visant à instaurer un moratoire sur les projets routiers et autoroutiers (n° 417).
PAR Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR
Députée
Voir le numéro :
Assemblée nationale : 417.
SOMMAIRE
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Pages
I. fonder la politique des transports sur la science
a. Effets économiques et territoriaux de l’offre routière
b. Mettre fin aux mantras du développement économique et du désenclavement
2. Des dommages souvent irréversibles sur les milieux naturels
a. L’augmentation du cumul des gaz à effet de serre
b. L’artificialisation et le saccage des sols
c. L’atteinte à la biodiversité et aux activités agricoles
II. pourquoi continuer À construire des routes et des autoroutes ?
1. Un moratoire en lien avec la priorité donnée aux transports collectifs
2. Réflexion institutionnelle et mobilisation citoyenne
a. Des interrogations institutionnelles
b. L’absence de pilotage politique et de vision globale de la politique des transports routiers
c. Des interrogations sur les actes juridiques autorisant les infrastructures routières
d. Près d’un demi-siècle de conflits autour des infrastructures
e. Un problème de santé publique
3. Mettre à profit la perspective de la fin des concessions d’autoroutes
Article 2 Financement de la mesure
liste des personnes auditionnÉes
« Quand le dernier arbre aura été abattu, quand la dernière rivière aura été empoisonnée, quand le dernier poisson aura été pêché, alors on saura que l’argent ne se mange pas »
(Géronimo).
Le système économique sur lequel fonctionnent nos sociétés est à bout de souffle. Il ne résout aucun problème économique et social de base, comme en témoignent l’augmentation de la pauvreté, l’insuffisance des salaires et le mal-logement. Fondé sur le curieux principe que les ressources sont infinies, alors que la Terre est par essence un milieu fini, il ne survit que par la consommation de ressources et d’espaces.
À quel moment nos sociétés, particulièrement dans les pays développés, accepteront-elles de considérer qu’elles sont entrées dans une crise climatique, écologique, économique et sociale profonde – en résumé, que notre temps est celui d’une conjonction de crises – dont l’origine est le refus de prendre en compte les limites physiques de notre planète ? Pour l’instant, les députés signataires de la présente proposition de loi n’entrevoient pas de réponse.
La période que nous traversons est celle de la mondialisation des évènements climatiques. Pendant longtemps, seules les zones tropicales ont été touchées par les inondations ou les sécheresses. Tout en les déplorant, nous les avons vécues dans une relative indifférence parce qu’elles ne nous concernaient pas directement. Or, le Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés (HCR), qui collecte des milliers de données lors des conflits ou des catastrophes naturelles, estime que le nombre de pays confrontés à des risques climatiques extrêmes, de 3 actuellement – Bangladesh, Émirats arabes unis et Oman – devrait passer à 65 en 2050.
La plupart des personnes déplacées par des catastrophes naturelles, le plus souvent en Asie du sud-est ou en Afrique subsaharienne, n’ont pas quitté leur pays d’origine mais se sont installées dans d’autres régions de celui-ci. En conséquence, aucune convention internationale ne définit la notion de réfugié climatique, alors que plusieurs institutions lui donnent un contenu concret. Pour le Programme des Nations unies pour l’environnement, il s’agit de personnes forcées de quitter leur habitat de façon temporaire ou permanente, en raison d’une rupture environnementale. Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés évoque pour sa part des personnes déplacées par les catastrophes naturelles et le changement climatique. D’ici à 2050, la Banque mondiale estime à 216 millions de personnes le nombre de personnes obligées de changer de lieu d’habitation dans leur propre pays.
Rappelons la violence et l’ampleur de quelques catastrophes climatiques récentes : au Canada, 6 000 incendies ont détruit en 2023 près de 15 millions d’hectares de forêts, soit une surface quasiment équivalente à celle de la forêt hexagonale, et l’ensemble de l’écosystème qui y était lié. En Australie, 20 millions d’hectares ont subi le même sort en 2019. Les inondations au Pakistan en 2022 ont touché 33 millions de personnes, emporté 250 000 habitations et ruiné 1,8 million d’hectares de terres agricoles. Au Bangladesh, en août 2024, près 4 millions de personnes ont été forcées de fuir des zones inondées. Plus récemment, en novembre 2024, la crue exceptionnelle du fleuve Sénégal, due à des pluies tardives, a ravagé des cultures et des constructions et provoqué le déplacement de 56 000 habitants.
Ces crises climatiques touchent désormais la France, et ce à intervalles rapprochés : vallées de la Roya, de La Vésubie et de la Tinée (octobre 2020), sécheresse dans les Pyrénées-Orientales depuis 2022, inondations en 2023 et 2024 dans le Pas-de-Calais, en Seine-et-Marne et à Givors, dans le Rhône. Dans le Pas‑de-Calais, des habitants ont décidé de quitter définitivement leur maison, après avoir subi des crues à répétition. Cette annonce a eu peu d’échos dans la presse ; elle marque pourtant l’apparition concrète de la notion de réfugié climatique en France.
Dans les pays voisins, chacun garde à l’esprit les récentes inondations en Europe centrale ou encore la catastrophe dans la région de Valence, en Espagne, avec à ce jour 223 morts et 78 disparus. Il ne fait malheureusement aucun doute que les amoncellements de voitures déplacées par les eaux, devenues le symbole malheureux de cette catastrophe, se répéteront en d’autres lieux.
2024 est déjà enregistrée, alors qu’elle n’est pas achevée, comme l’année au cours de laquelle les émissions de CO2 provenant des combustibles fossiles atteindront un niveau record avec 37,4 milliards de tonnes (soit 0,8 % de plus qu’en 2023) et comme l’année la plus chaude jamais observée par l’Organisation météorologique mondiale. Elle aura été ponctuée par la tempête Boris (Europe centrale), le typhon Yagi (Philippines et Chine), l’ouragan Beryl (Jamaïque, Mexique), des inondations meurtrières au Tchad, au Mali, au Soudan, en Inde, au Pakistan, au sud du Brésil, en Espagne, les incendies de forêts en Californie... En 2025, la science trouvera de nouveaux prénoms puisque nos politiques réagissent trop lentement. Comme le souligne Mme Sonia Seneviratne, climatologue à l’École polytechnique de Zürich et vice-présidente d’un groupe de travail du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), « de nombreuses catastrophes se déroulent en même temps dans plusieurs régions du monde. Si l’ensemble de la planète est sans cesse dans une situation de crise, cela limite les possibilités de s’adapter ».
L’utilisation d’énergie fossile par le secteur des transports entre pour 30 % des émissions de gaz à effet de serre de notre pays, et le lancement de routes et d’autoroutes, notamment celles à deux fois deux voies, consomme des terres naturelles et agricoles. Les grands projets d’infrastructures routières forment l’exact contraire des politiques à conduire pour lutter contre le dérèglement climatique et ses multiples effets.
La présente proposition de loi, qui s’appuie sur la prise de conscience et le militantisme de nombreux collectifs, mais également sur des travaux d’une institution comme la Cour des comptes, a pour objet de mettre fin à une forme de cécité politique grâce à un mécanisme en deux étapes. La première, objet central de la proposition, consiste en un moratoire sur les projets routiers et autoroutiers en cours et à venir ; la seconde consiste à utiliser la période du moratoire pour la consacrer à une réflexion globale sur nos politiques d’aménagement du territoire, d’habitat, de production, de consommation, dont le transport routier est à la fois un facteur et une résultante. Il ne s’agit pas de condamner d’emblée l’ensemble de ces projets, mais d’écarter ceux qui vont à l’encontre de l’action en faveur de la défense du climat et parallèlement, de conserver ceux qui se révéleraient utiles et, surtout, de développer l’ensemble des alternatives à l’usage de la route, tant pour les personnes que pour les marchandises.
Pour répondre par avance aux critiques que ce dispositif suscitera, il est indéniable que cette proposition de loi présente un coût financier important, en raison de l’obligation d’indemniser l’ensemble des entreprises concernées par le moratoire. Deux éléments plaident néanmoins – et indéniablement – en sa faveur : d’une part, le coût pour l’État des projets en cours ou à venir s’élève aux alentours de 17 milliards d’euros, somme non négligeable à l’heure où notre pays aspire à rétablir l’équilibre de ses finances publiques ; d’autre part, le maintien des projets existants, avec son cortège d’émission de gaz à effet de serre (GES) et d’artificialisation des sols, ne peut que conduire à de nouvelles catastrophes, dont le coût humain, matériel et financier sera croissant.
La proposition de loi vise donc à susciter une réflexion globale sur nos politiques et nos modes de déplacement, partant du constat qu’ils ne peuvent se fonder sur des concepts hérités des années 1950. L’objectif est de reprendre la maîtrise d’une politique routière qui, du constat même de la Cour des comptes, souffre d’un défaut de pilotage ([1]) et de l’insérer dans une politique d’ensemble de lutte contre le dérèglement climatique et la chute de la biodiversité.
I. fonder la politique des transports sur la science
Ainsi que l’a affirmé M. Christophe Cassou, climatologue, membre de l’Atelier d’écologie politique (ATECOPOL) devant la commission d’enquête sur le montage juridique et financier de l’autoroute A69, « si la science ne peut en aucune façon dicter la décision publique, nous considérons collectivement, au sein de la communauté scientifique, qu’il est problématique dans une démocratie de décider en ignorant sciemment les connaissances scientifiques clairement établies » ([2]).
Or la persistance de décisions consistant à lancer des infrastructures routières, alors que leurs effets sur le climat sont connus, signifie que ces effets sont sciemment écartés au nom d’autres impératifs, notamment économiques et financiers. Aussi est-il nécessaire de rappeler une nouvelle fois que le réseau routier crée un trafic qualifié d’induit par les économistes et urbanistes, qui génère parallèlement deux inconvénients majeurs : l’émission de GES, dont les molécules demeurent longtemps dans l’atmosphère, et l’artificialisation des sols.
Le constat est indéniable. Les scientifiques travaillent sur des faits démontrés par des mesures précises, des expériences pratiques. Ceux qui œuvrent sur le climat ne se limitent pas aux météorologues ou aux physiciens ; leur communauté rassemble des économistes, des urbanistes, des sociologues, qui partagent des statistiques et d’autres données et qui dressent ainsi les risques que court notre société en cas d’inaction climatique.
2024 aura été l’année la plus chaude depuis 1850 ; la consommation d’énergies fossiles augmente et les émissions de gaz à effet de serre battront à nouveau un record. La route demeure cependant le support des mobilités alors qu’elle génère de nombreux coûts pour le climat, la biodiversité, la santé, la consommation d’espaces naturels et agricoles. En poursuivant une politique routière sans réflexion sur les effets de celle-ci, notre pays va à l’encontre des objectifs qu’il s’assigne lui-même dans la stratégie nationale bas carbone SNBC) et la stratégie nationale biodiversité (SNB).
1. La hausse du trafic routier, conséquence inéluctable de l’offre d’infrastructures routières et autoroutières
Toute nouvelle route induit une augmentation du trafic routier, de l’ordre de 3 %, voire plus d’après M. Frédéric Héran, économiste des transports et urbaniste, qui évoque pour sa part 10 % à court terme et 20 % à long terme, avec néanmoins une grande disparité de situations ([3]). À court terme, un nouvel équipement routier provoque des changements d’itinéraire et d’horaire – en d’autres termes un report de trafic dans l’espace et dans le temps – et conduit à la multiplication des déplacements entre le domicile et le lieu de travail, ainsi que vers les différents lieux de consommation (magasins, offre de loisirs). Une autoroute favorise par ailleurs des déplacements plus lointains, grâce à l’accroissement de la vitesse.
a. Effets économiques et territoriaux de l’offre routière
Les auditions de MM. Aurélien Bigo, Frédéric Héran, Nelo Magalhães et de Mme Geneviève Laferrère, dans le cadre de la présente proposition de loi, ou celles de MM. Jean-Marc Offner, Yves Crozet et Marc Ivaldi, lors de la commission d’enquête sur l’autoroute A69 convergent toutes sur les effets économiques et sociaux des routes, et démontrent que le trafic dépend essentiellement de l’offre d’infrastructures.
La route demeure le principal support des mobilités, à raison de 70 % des distances parcourues et de 95 % des déplacements. La voiture, les cars et poids lourds, qu’ils soient à moteur thermique ou électrique, prédominent.
On rappellera en outre que l’importance des infrastructures routières en France provient des lacunes répétées de la politique de fret ferroviaire. Le transport de marchandises est assuré par les poids lourds, qui forment en semaine, selon les axes, de 35 à 80 % des trafics. En retour, il faut réparer une chaussée tous les sept ans environ.
Routes et autoroutes n’ont pas modifié le temps de transport, stable au fil du temps, d’environ 1 heure par jour, ni le nombre de trajets, autour de 3 ou 4 par jour et par personne, ni encore le temps par trajet, oscillant entre 15 et 20 minutes. En revanche, les mobilités se sont accélérées, et la vitesse comme la distance des déplacements ont été multipliées par 10 depuis 1800. Si d’évidence les kilomètres parcourus à la marche et à vélo sont restés stables, le nombre de kilomètres parcourus par jour et par personne en véhicule individuel a explosé.
La conséquence est que les autoroutes n’apportent pas de gain de temps, dans la mesure où les automobilistes profitent de l’équipement pour se rendre en des lieux éloignés. Or, on rappellera que le gain de temps est l’un des facteurs principaux entrant dans le calcul de la valeur nette économique et sociale (VAN‑SE) d’un projet. Il s’agit d’un paradoxe d’autant plus surprenant qu’à l’exception des évacuations sanitaires, la multiplication des moyens de communication évitant de se déplacer rend le gain de temps de moins en moins pertinent.
Il en résulte un cercle vicieux. Les nouvelles infrastructures induisent des augmentations de trafic, l’augmentation des congestions, elles-mêmes génératrices de demandes de nouvelles infrastructures, tandis qu’à titre individuel, une offre de transports centrée sur le véhicule individuel génère la nécessité d’en disposer pour parcourir des distances plus longues. Elles favorisent un aménagement du territoire centré sur la métropolisation et créent les différentes nuisances précédemment évoquées. En résumé, les infrastructures routières induisent un effet d’agglomération, notamment parce que la concentration d’activités plus grande facilite le partage des infrastructures et des biens publics.
Cet effet d’agglomération explique la concentration des activités. Les économistes de l’économie urbaine et de l’espace estiment que si la plupart des activités peuvent être installées n’importe où, peu d’activités sont représentées partout. Cela se vérifie aisément à l’échelle nationale où une très petite partie du territoire français (la région Île-de-France) produit la majorité du PIB. Les effets d’agglomération augmentent en outre la probabilité d’avoir un emploi.
b. Mettre fin aux mantras du développement économique et du désenclavement
Le lancement de routes et autoroutes obéit de longue date à deux mantras : ceux du développement économique et du désenclavement. Or, aucun des deux n’a été démontré.
Dès 1977, une thèse de François Plassard a montré qu’il n’existait pas de lien automatique entre route et croissance économique. Ce travail a été approfondi par M. Jean-Marc Offner en 1993. M. Yves Crozet, économiste, en a rappelé l’origine lors de son audition devant la commission d’enquête sur l’A69 : « ... l’ingénieur des ponts, Jean Poulit ... a longtemps défendu l’idée que les gains de temps pouvaient potentiellement générer des gains de PIB. Son raisonnement était le suivant. Sur une ville comme Paris, le nombre d’emplois accessibles en quarante minutes est très élevé, tout comme le PIB par habitant. Sur une ville un peu plus isolée, comme Guéret, le nombre d’emplois accessibles en quarante minutes est relativement faible, ainsi que le PIB par habitant. De ce constat, Jean Poulit a établi le lien de causalité suivant : l’augmentation du nombre d’emplois accessibles à Guéret, par la construction d’une autoroute par exemple, augmenterait automatiquement son PIB. Autrement dit, il suffirait d’augmenter l’accessibilité d’un territoire, sur une certaine durée, pour en augmenter la productivité et le niveau de vie. Telle est la base de cette croyance, qui mérite aujourd’hui d’être relativisée... Il y a une vingtaine d’années, nous avions mené une étude sur l’A75, toujours dans la suite des travaux de Jean Poulit. Là encore, il apparaissait clairement que l’autoroute avait créé de l’activité à sa proximité. Des entreprises s’étaient installées de part et d’autre de l’autoroute sur une bande de vingt kilomètres de large, mais en élargissant la bande à 60/70 kilomètres, on constatait que ces entreprises venaient en réalité d’une bande plus large. En somme, il n’y a pas vraiment eu création d’activité, mais déplacement des activités ».
Pour M. Jean-Marc Offner, « les infrastructures de transport amplifient et accélèrent certaines tendances préexistantes. Il s’agit d’une conclusion consensuelle, y compris au sein d’organismes tels que les héritiers de la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR), pourtant axée sur une vision proactive des infrastructures. Une nouvelle infrastructure de transport crée, grâce à l’augmentation des vitesses, un accroissement de l’accessibilité et une dilatation des aires de marché ou zones de chalandise pour les services, les produits, l’habitat et l’emploi. Ainsi l’aire de marché résidentielle pour les habitants de Castres et de Toulouse s’élargit-elle grâce à la construction de l’A69. Cet élargissement des aires de marché ne fonctionne toutefois que pour certains services ou produits, pour lesquels l’élargissement de l’aire de chalandise est pertinent. Dès lors, la concurrence s’accroît, entraînant ainsi une amplification de situations préexistantes pour la santé économique des acteurs du territoire ».
Le développement d’un territoire résulte de multiples facteurs, propres en réalité à chacun d’entre eux. Une route, comme d’ailleurs un chemin de fer ou un aéroport, n’ont de sens que s’ils s’insèrent dans un projet d’aménagement du territoire. Il suffit de constater que Perpignan, ville classée parmi les plus pauvres de France, dispose d’une route, d’une autoroute, d’une gare et d’un aéroport pour comprendre que le développement économique ne dépend pas automatiquement du réseau de transports. Cet élément a d’ailleurs bien été noté par la préfecture du Tarn, qui, face à la contestation à l’encontre de l’autoroute A69, a mis en place une cellule pour établir une stratégie de développement économique du bassin de Castres-Mazamet.
La notion d’enclavement, maintes fois invoquée depuis cinquante ans pour justifier l’autoroute A69, est elle-même sujette à caution. Elle est souvent affaire de perception par les élus locaux, plutôt qu’un fait établi. Le bassin de Castres‑Mazamet est desservi par une route nationale, une voie ferrée et un aéroport subventionné par la puissance publique – soit trois modes de transport - et pourtant, la construction d’une autoroute a été présentée comme la solution lui permettant de faire face au déclin de l’industrie textile. La Bretagne pourrait pour sa part se considérer comme enclavée, elle qui ne figure pas sur la banane bleue ([4]). Elle dispose cependant d’un tissu très dense de petites et moyennes entreprises, qui explique pourquoi elle enregistre un taux de chômage parmi les plus bas en France. La ville d’Albi bénéficie pour sa part d’une route nationale, d’une autoroute et d’une gare. Sa situation économique et sociale est enviable à l’échelle du département du Tarn, mais la présence d’une autoroute ne l’empêche pas d’enregistrer un taux de chômage (19 %) et de pauvreté (19 % également) supérieurs à la moyenne nationale.
Rappelons que l’économie n’est pas une science exacte, qu’il s’agit d’une discipline qui mêle la démographie, la géographie, l’étude des comportements. Les économistes ne s’accordent toujours pas sur les origines de la croissance économique à l’ère moderne. S’ils recourent volontiers à la modélisation mathématique pour asseoir leurs théories, force est de constater que l’élasticité entre infrastructures routières et croissance ne fait pas consensus.
2. Des dommages souvent irréversibles sur les milieux naturels
a. L’augmentation du cumul des gaz à effet de serre
La question des gaz à effet de serre est trop souvent abordée sous l’angle de leur émission annuelle, exprimée en tonnes. Ainsi, la France a émis en 2023 près de 373 millions de tonnes (chiffre non consolidé), en diminution de 5,8 % par rapport à 2022. Rappelons que les émissions mondiales ont pour leur part augmenté de 2 % sur la même période, dépassant pour la première fois 40 gigatonnes d’équivalent CO2.
Comme l’a souligné M. Nick Wayth, directeur de l’Energy Institute, « les énergies propres ne permettent toujours pas de répondre à la croissance de la demande. On peut dire que la transition énergétique n’a même pas commencé » ([5]).
Plus préoccupant est le constat que chaque tonne émise augmente le stock de GES dans l’atmosphère. Or c’est leur cumul et leur concentration qui déterminent le niveau de réchauffement de l’atmosphère et les risques qui en découlent, comme le rappelle M. Christophe Cassou, climatologue. Pour le seul CO2, la masse présente dans l’atmosphère s’établissait à 3 200 milliards de tonnes en 2021. Année après année, ce cumul croissant conduit entre autres effets à une élévation des températures moyennes du globe. L’objectif de l’Accord de Paris d’une élévation limitée à 1,5° en 2100 apparaît ainsi d’ores et déjà hors de portée, en raison des lois de la géophysique. Il s’établit plutôt autour de 4°, en l’état des connaissances actuelles.
Les projections pour l’avenir du dérèglement climatique vont bien au-delà des prévisions les plus alarmistes présentées dans le passé, ainsi que l’a rappelé M. Dennis Meadows, directeur en 1972 d’un groupe de travail au Massachussets Institute of Technology (MIT), qui contribua au célèbre rapport du Club de Rome Les limites de la croissance. Le sixième rapport d’évaluation du Groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) indique pour sa part que le réchauffement de 1,5° sera atteint dès le début des années 2030, et ce quels que soient les efforts de réduction immédiate des émissions mondiales de CO2.
Il est souvent affirmé que la France ne représente que 1 % des émissions mondiales, cet argument venant à l’appui du maintien d’un relatif statu quo des politiques publiques. Ce raisonnement doit être rejeté. Le cumul des émissions de GES est une question mondiale et chaque tonne émise accroît les risques, tandis que chaque tonne évitée les réduit. Il s’agit là encore d’une loi intangible de la géophysique : il n’existe pas de petites ou de grandes émissions ; seule compte leur addition.
En conséquence, tout projet routier ou autoroutier majore les effets du dérèglement climatique. L’amplification des catastrophes climatiques va croissant, et si leurs effets humains ne plaident pas suffisamment en faveur d’un changement de politique, votre rapporteure propose d’examiner leur coût économique et financier. Entre 2000 et 2008, la facture pour la France des évènements climatiques s’est établie annuellement à 2,7 milliards d’euros ; de 2010 à 2019, à 3,7 milliards, toujours annuellement ; de 2019 à 2023, à 6 milliards chaque année. Pour le secteur de l’assurance et de la réassurance, la couverture des biens deviendra problématique à terme.
b. L’artificialisation et le saccage des sols
L’artificialisation des sols contribue au dérèglement climatique par deux facteurs : ce sont les êtres vivants du sol qui lui permettent d’absorber du carbone. Plus un sol est artificialisé, dégradé, moins il est capable d’absorber ce carbone. En outre, il participe au phénomène d’îlot de chaleur, particulièrement prégnant en milieu urbain.
Ajoutons que l’artificialisation accélère la perte de biodiversité, en faisant disparaître les habitats des végétaux et des animaux, et qu’elle favorise les inondations en empêchant l’absorption naturelle des eaux de pluies, et l’on comprendra les racines de la législation sur le zéro artificialisation nette (ZAN) prévue par la loi dite « climat et résilience », dont l’objectif a été repris dans la stratégie nationale biodiversité 2030 (SNB).
Présentée le 27 novembre 2023 par Mme Elisabeth Borne, alors Première ministre, la SNB expose l’engagement de la France au titre de la convention sur la diversité biologique. Elle s’articule autour de quatre axes, l’axe n° 1 consistant à réduire les pressions qui s’exercent sur la biodiversité.
Le sous-axe 1.1 comprend les mesures n° 2 Lutter contre l’artificialisation des sols et n° 9 Réduire les pollutions lumineuses et sonores. Le sous-axe 1.2 comporte une mesure n° 17 Accompagner le secteur des infrastructures de transport pour réduire ses impacts sur la biodiversité. Les mesures nos 2 et 9 se déclinent en actions mais à la lecture du document, aucune d’entre elles ne porte sur le réseau routier. Pourtant, celui constitue bien un des principaux facteurs notables d’artificialisation des sols.
Quant à la mesure n° 17, le Gouvernement constate que « la construction des infrastructures de transport participe à l’artificialisation des sols ainsi qu’à la fragmentation des espaces. C’est pourquoi ces constructions doivent respecter scrupuleusement la séquence éviter – réduire – compenser ». C’est donc essentiellement sous l’angle du triptyque ERC qu’il envisage d’atténuer les effets de ces infrastructures sur la nature, et non par une révision de l’ensemble des projets au regard de leur impact sur le climat et la biodiversité, ce qui semblerait plus logique en situation d’urgence.
Les infrastructures de transports forment une part notable des segments linéaires et des surfaces artificialisées. La France disposait en 2021 (données consolidées en 2023) de 1 105 094 kilomètres (km) de voies routières, à raison de 11 664 km d’autoroutes (concédées et non concédées), 9 581 km de routes nationales, 378 906 km de routes départementales et 704 942 km de routes communales. Le territoire est, à de rares exceptions, bien maillé. Ce réseau représente une surface 1 185 000 hectares, soit 79 % de la surface des sols servant aux différents modes de transports.
Ces chiffres, tant le linéaire que la surface qu’ils représentent, doivent être comparés à ceux relatifs aux transports collectifs ou non polluants : 27 057 km pour le réseau ferroviaire exploité par la SNCF, 1 354 km de réseaux ferrés de transports urbains et 19 440 km de véloroutes et de voies vertes. Les voies navigables représentent pour leur part 5 216 km ([6]).
90 % du transport de marchandises continuent d’être acheminés par voie routière, qui représente 334,5 milliards de tonneskilomètres, en hausse de 3 % par rapport à 2020. Le transport individuel en véhicule particulier n’avait pas pour sa part retrouvé son niveau de 2019, mais augmentait par rapport à 2020, pour atteindre 728,2 milliards de voyageurs-kilomètres. Malgré les annonces du Gouvernement sur le développement des alternatives à la route, aucune politique n’a encore permis le nécessaire report du trafic routier vers d’autres modes, en raison du maintien de l’offre d’infrastructures routières. Celle-ci induit mécaniquement un trafic nouveau.
Dans un tel contexte, il est impossible de parvenir à un report modal du trafic de passagers et de marchandises, sauf marginalement. Le développement du transport ferroviaire et fluvial et celui du vélo ne peuvent réussir que si le développement de routes et d’autoroutes est stoppé. Votre rapporteure reviendra sur ce point infra.
Point souvent oublié, l’artificialisation des sols s’accompagne de leur saccage et d’une altération profonde des paysages. L’intensification du trafic routier, destiné à soutenir la consommation de masse et le commerce national comme international, a accompagné l’extension de multiples infrastructures – ports, aéroports, centrales de production d’énergie, villes nouvelles – en utilisant notamment le béton. La généralisation de ce matériau a permis de révolutionner la consommation d’espace en permettant à l’être humain de s’affranchir des contraintes du relief et de la géologie, « d’abstraire le sol pour faire passer la route » ([7]).
La contrepartie d’une politique de transports excessivement centrée sur la route réside dans l’extraction et le déplacement de milliards de mètres cubes de terre, de sable et de pierre et dans leur concassage, soit autant d’opérations qui portent pour chacune d’entre elle une atteinte aux équilibres naturels. Bâtir un kilomètre d’autoroute exige en moyenne, sur une emprise de 10 hectares, 30 000 tonnes de sable et de gravier et le déplacement de 100 000 mètres cubes de terre au titre des terrassements, ainsi que 300 tonnes de bitume et de ciment. Toute une industrie extractive accompagne le lancement et l’entretien du réseau routier.
Il faut souvent des décennies à la nature pour se reconstituer après de telles opérations. Dans l’intervalle, les riverains des mines comme des chantiers de construction doivent supporter des poussières et les nuisances sonores dues au transport des matières, qui sont ultérieurement dommageables pour leur santé.
c. L’atteinte à la biodiversité et aux activités agricoles
L’impact des routes sur la biodiversité et sur les activités agricoles est parfaitement connu :
– il provoque des effets de barrière et engendre la mortalité de la faune ;
– il pollue et perturbe les habitats environnants ;
– il ouvre de nouveaux axes qui sont très souvent la première étape d’un changement complet et profond. Lorsque des infrastructures de transport sont construites dans des zones naturelles, la population tend à suivre ses infrastructures et à se développer autour. Une fois la première coupe effectuée, de nombreux impacts se propagent tels que la déforestation, les feux de forêt ou la fragmentation de l’habitat naturel. La construction de logements et la mise en place de zones d’activités économiques s’effectuent le plus souvent par le grignotage des terres agricoles.
Environ 194 millions d’oiseaux et 29 millions de mammifères sont tués sur les routes chaque année en Europe, appartenant respectivement à 423 et 2 121 espèces ([8]). Les chiffres de mortalité animale ne sont pas établis clairement pour la France, mais ils avoisineraient un million d’individus de différentes espèces. Ainsi, à la fin du mois d’octobre 2024, l’Union internationale pour la conservation de la nature a indiqué que le hérisson était proche d’être classé comme espèce vulnérable, sa population ayant diminué de moitié en raison de l’urbanisation et du trafic automobile.
À l’échelle d’une région, un travail conduit entre 2009 et 2015 conjointement par la direction régionale de l’équipement, de l’aménagement et du logement (Dreal) et la ligue de protection des oiseaux (LPO), en Provence-Alpes-Côte d’Azur, afin de mettre en œuvre le schéma de cohérence écologique de la région, a confirmé les conséquences des routes sur la faune sauvage : morcellement des espaces vitaux, destruction des habitats de reproduction, dérangement diurne et nocturne, effet de barrière pour les déplacements saisonniers, isolement des populations animales.
La fragmentation des milieux naturels et agricoles représente un facteur important de la dégradation de la biodiversité, avec d’importantes variations selon la densité du réseau routier et de l’urbanisme. Dans la région Provence, l’étude précitée indique que les mammifères formaient 59 % des décès, suivis, à parts égales, des oiseaux, amphibiens et autres reptiles. Les insectes n’ont pas été pris en compte dans l’étude.
Le réseau routier aménage les territoires, et fracture parallèlement l’espace naturel, devenu « plein d’arêtes, mais sans cœur » ([9]). Ce constat, unanimement reconnu, a généré depuis longtemps des réflexions et des actions autour de l’aménagement des routes. Des trames vertes aux passages pour animaux, des murs anti-bruits à la réduction des halos lumineux, de la création de zones de compensation en contrepartie des surfaces artificialisées, les solutions sont mises en pratique ([10]). Mais il convient de rappeler qu’actuellement, à l’échelle de l’Union européenne, le réseau routier pourrait s’étendre substantiellement, notamment en Europe orientale et qu’en France, aucune remise en cause des investissements routiers n’apparaît. Or une politique de transport doit, pour être qualifiée de durable, se fonder sur la réduction de la demande de transport, à tout le moins individuel, et favoriser le transport collectif.
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En résumé, la lutte contre le dérèglement climatique et en faveur de la biodiversité, ainsi que le maintien de la qualité des sols sont des exigences absolues, qui ne s’accommodent pas de demi-mesures. Elles nécessitent une refonte de nos choix de transports, ce qui conduit votre rapporteure à poser la question suivante : pourquoi continuer à construire des routes et des autoroutes ? Pourquoi continuer à mettre en œuvre des projets conçus pour certains il y a 30 ans, à une époque où le dérèglement climatique était une question moins prégnante qu’aujourd’hui ?
II. pourquoi continuer À construire des routes et des autoroutes ?
En proposant un moratoire sur les projets routiers et autoroutiers, la présente proposition de loi vise à ménager un temps de réflexion sur les politiques de transport individuel et public et, plus largement, sur notre modèle de société.
Un moratoire ne signifie en effet, en aucun cas, une annulation de principe de ces projets. Certains répondent clairement à une nécessité, comme la sécurité routière, ou l’accès à des zones de montagne ou peu densément peuplées, où l’usage de la voiture individuelle prédomine. Il existe également une demande d’équipements de la part des collectivités d’outre-mer. Une mission de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, effectuée en septembre 2023, a ainsi mis en exergue l’importance de doter la Guyane d’un véritable réseau routier, dont l’absence coûte des vies en raison du chavirage régulier de pirogues et pèse sur tous les aspects de la vie sociale, scolarité, santé, coût de la vie... Le minimum, l’urgence, est de relier Cayenne à Maripasoula et Maripasoula à Saint-Laurent par de bonnes routes. Pour les territoires les moins pourvus en solutions alternatives de mobilité, la route demeure incontournable.
Néanmoins, ce moratoire apparaît nécessaire, car notre société ne mesure pas suffisamment le fait que notre modèle économique, fondé sur l’exploitation de ressources limitées et sur la consommation d’espace, est le générateur des crises que nous vivons.
Nul ne conteste l’utilité d’un réseau routier, défini comme une politique publique sous la Régence ([11]) dans le but de développer le commerce, avant de devenir au XXe siècle un instrument essentiel de l’aménagement du territoire. Outil de désenclavement, facilitateur d’échanges, instrument et conséquence et de la révolution industrielle, le réseau routier a longtemps été perçu comme la marque du progrès, avant que ses externalités négatives soient connues. Un moratoire constituerait le moyen d’évaluer si l’extension du maillage déjà considérable du territoire – la France a le réseau routier le plus dense d’Europe – doit se poursuivre, au regard de plusieurs considérations, au premier rang desquelles figure le dérèglement climatique.
La puissance publique s’est interrogée à plusieurs reprises sur la programmation des projets routiers. Le conseil interministériel d’aménagement du territoire du 18 décembre 2003, le Grenelle de l’environnement ou encore la promesse non tenue d’une revue des projets autoroutiers et routiers par M. Clément Beaune, ancien ministre des transports, en témoignent, mais les interrogations se sont le plus souvent fondées sur l’adéquation entre les projets et les capacités à les financer. C’est légitime, mais insuffisant, car la politique routière doit désormais contribuer à une politique écologique.
De nombreuses interrogations sont apparues ces dernières années dans le débat public, auxquelles un moratoire pourrait donner le temps de mieux répondre : comment partager la voirie entre les différents usagers, piétons, cyclistes, automobilistes, chauffeurs de transports collectifs ? Comment favoriser les solutions de mobilité partagée, comme le covoiturage, pour contenir l’offre de voirie ? Comment rendre fluides les circulations urbaines et périurbaines ? Comment irriguer les territoires ruraux autrement que par l’usage du véhicule individuel ? Comment organiser la société pour éviter des déplacements, a minima ceux qui sont carbonés ? Personne ne nie que les gouvernements qui se sont succédé à la tête de notre pays, ainsi que les collectivités territoriales, ne s’en soient pas emparés, mais il s’agit plutôt d’adaptations ponctuelles, non de réflexion globale sur les liens existant avec d’autres politiques, notamment la défense du climat.
1. Un moratoire en lien avec la priorité donnée aux transports collectifs
La proposition de moratoire coïncide avec les orientations prises par notre société depuis plusieurs années. Compte tenu du maillage routier du territoire français, les besoins d’investissement en nouvelles liaisons sont nettement moindres que dans l’immédiate après-guerre. Les dépenses concernent plutôt l’entretien du réseau, qui s’est considérablement dégradé, et la sécurité routière. La priorité est actuellement donnée aux transports collectifs décarbonés, notamment le train. Dans le volet mobilités des derniers contrats de plan État-régions, les crédits alloués aux routes ont diminué de 40 % par rapport aux contrats précédents. Les surfaces artificialisées chaque année s’élèveraient à 200 hectares par an actuellement, à comparer à 2 200 hectares lors de la décennie de 2010.
Un moratoire ne constituerait donc pas un choc considérable. Auditionnée par votre rapporteure, la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) a confirmé que la politique des transports actuelle visait à concilier les besoins de déplacement des hommes et des marchandises en tenant compte de la stratégie nationale bas carbone, au coût le plus réduit possible, et que les investissements se concentraient sur les alternatives au véhicule individuel. L’État accorderait d’après la direction générale quatre fois plus de crédits au réseau ferroviaire qu’au réseau routier.
Projets de l’État routiers et autoroutiers en cours
Projets dont les travaux ont commencé :
Ils sont au nombre d’une trentaine, dont la moitié en deux fois deux voies. Ils concernent entre autres, dans le réseau non concédé, plusieurs tronçons de la route Centre Europe Atlantique et dans le réseau concédé, l’A69 et l’élargissement de l’A57 autour de Toulon.
Projet à l’étude disposant d’une déclaration d’utilité publique (DUP) et d’une autorisation environnementale :
Ils représentent une vingtaine de kilomètres.
Projets à l’étude avant DUP
Le nombre de ces projets est plus important que ceux en chantier car ils nécessitent encore des études préalables. Sur le réseau non concédé, citons l’aménagement de créneaux de dépassement sur la RN22, dans le Cantal ou la liaison entre Fos et Salon-de-Provence. Sur le réseau concédé, l’A31 nord reliant la frontière du Luxembourg à Nancy va aborder la phase de l’enquête publique.
Projets autoroutiers abandonnés
Rares ont été les abandons de projets autoroutiers après DUP. Les plus notables ont été l’A45 (Lyon – Saint-Étienne), l’A831 (Vendée) et l’A585 (Digne-les-Bains). Il n’y a jamais eu en revanche d’abandon de projet après la signature d’une convention de concession.
La DGITM rappelle néanmoins que le véhicule individuel demeure prédominant pour les trajets oscillant entre 10 et 80 km dans les zones peu denses. 85 % des trajets s’y effectuent par ce moyen, le transport collectif ne représentant en ce cas que 15 %. Les aménagements routiers procèdent souvent en ce cas de la volonté des collectivités territoriales.
Il s’agit d’une véritable question de politique publique, mise récemment en lumière par une étude du Secours catholique / Caritas France ([12]). Les habitants des zones peu denses, ou ceux qui subissent les effets de la métropolisation – notamment en raison de la présence d’un réseau autoroutier – se retrouvent exclusivement dépendants de leur véhicule, au moment où les coûts de l’énergie ne cessent d’augmenter. L’usage contraint et donc obligatoire du véhicule individuel est donc une question sociale, dès lors que l’on rappelle que huit Français sur dix percevaient en 2023 leur voiture comme un gouffre financier, et que les ménages vivant en zone périurbaine et rurale ont respectivement payé en 2022 1 480 euros et 1 855 euros en moyenne en frais de carburant. Il appelle en conséquence une réponse portant sur la mise en place de solutions collectives dans les zones peu denses.
2. Réflexion institutionnelle et mobilisation citoyenne
La protestation contre l’extension du réseau routier est souvent présentée comme l’apanage de quelques zadistes dont l’image de marque est de se suspendre aux arbres. Cette vision, très réductrice, oblitère le fait que parallèlement aux mobilisations citoyennes, les institutions elles-mêmes, l’appareil d’État, s’interrogent depuis plusieurs années sur le bien-fondé de la politique routière.
a. Des interrogations institutionnelles
Votre rapporteure souligne que les membres du Parlement font partie des institutions – ils forment le pouvoir législatif et au-delà de ce rôle, ils assurent le lien entre les citoyens et l’État – et qu’il relève de leur mission d’évaluer les politiques publiques, en application de l’article 24 de la Constitution. Rappelons que l’amélioration de la qualité et de la sécurité des réseaux routiers est inscrite dans la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 et que la politique routière fait souvent l’objet d’évaluations. Dans la période la plus récente, on citera un rapport de la commission des finances du Sénat (n° 65, 23 octobre 2024) sur l’échéance des concessions d’autoroutes, qui suit un rapport de commission d’enquête de la même chambre sur les concessions autoroutières (n° 709, 2019-2020, 16 septembre 2020). La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale a pour sa part examiné en février 2024 une pétition à l’encontre de l’autoroute A69 entre Toulouse et Castres, avant que l’Assemblée ne constitue une commission d’enquête sur le montage juridique et financier de cette autoroute, dont les auditions ont été interrompues par la dissolution. De nombreuses propositions de loi, questions orales et questions écrites témoignent des interrogations constantes des députés et des sénateurs sur les objectifs et la gestion du réseau routier de notre pays.
Placée auprès du Gouvernement et du Parlement en application de l’article 47-2 de la Constitution, la Cour des comptes a publié en mars 2022 un rapport sur l’entretien des routes nationales et départementales. Les magistrats ont mis en lumière deux faits saillants : l’absence d’une véritable politique routière nationale, et l’insuffisance des outils de pilotage et de programmation. Sans trop exagérer, la Cour montre que la gestion d’un réseau équivaut à conduire un navire sans réels outils de navigation...
D’autres organes de l’État, notamment l’Observatoire national de la route et le Conseil d’orientation des infrastructures (COI) s’interrogent en permanence sur la politique routière, qu’il s’agisse de l’entretien du réseau, de sa sécurisation ou de la limitation de son empreinte écologique. Le programme de modernisation du réseau, lancé par le Gouvernement en 2023 dans le cadre de la planification écologique, se fixe ainsi comme objectif de protéger la ressource en eau en réduisant les risques de pollution à proximité des captages d’eau potable, de mieux lutter contre les nuisances sonores et de rétablir autant que possible les continuités écologiques.
On notera par exemple que le COI, qui émet des avis sur les projets routiers, n’a pas hésité à faire part d’un avis défavorable, en 2023, au passage à deux fois deux voies de la route nationale 88, dans l’Aveyron, estimant que « malgré la forte mobilisation des autorités locales et l’accord donné récemment par le gouvernement, la pertinence d’un aménagement complet à 2 fois 2 voies ne semble toujours pas établie comme une réponse adaptée aux besoins de développement économique du territoire concerné. Les projections de trafic, qui restent faibles au regard d’un aménagement à 2 fois 2 voies, méritent elles-mêmes d’être réexaminées en fonction des nouvelles orientations nationales ». Le COI, dont l’avis n’est que consultatif, a recommandé des solutions collectives de transport.
On relèvera par ailleurs que les administrations qui assistent le Gouvernement dans ses prises de décision réfléchissent elles-mêmes à leur processus d’instruction ou d’évaluation des projets routiers. À titre d’exemple, le secrétariat général pour l’investissement (SGPI), auditionné par votre rapporteure et dont le rôle est d’examiner la cohérence des investissements publics au regard de l’objectif de décarbonation, s’interroge actuellement sur la manière dont les facteurs environnementaux, difficilement transposables en comptabilité, pourraient être mieux pris en compte dans le calcul de la valeur nette socio-économique (VAN‑SE). Il lui faut concilier plusieurs formes d’intérêt public, avec une priorité à la décarbonation, sans oublier néanmoins les impératifs d’aménagement du territoire, le respect de la zéro artificialisation nette et les besoins de mobilité. Il admet par ailleurs que l’évaluation de l’ensemble des conséquences (niveau de trafic, environnement, santé publique, dynamisme économique) mériterait d’être renforcé.
b. L’absence de pilotage politique et de vision globale de la politique des transports routiers
Souligné par le rapport précité de la Cour des comptes de mars 2022, l’absence de vision globale de la politique des transports routiers et son adéquation avec la SNBC et la SNB justifient à elles seules le moratoire demandé par les signataires de la présente proposition de loi.
Les infrastructures structurantes de routes et d’autoroutes ont été lancées en deux vagues. D’une part dans l’immédiate après-guerre, d’autre part dans les années 1990 et en ce dernier cas, l’État a fait le choix de recourir massivement aux concessions autoroutières, faute de moyens budgétaires. Le cahier des charges qu’il a imposé aux sociétés concessionnaires d’autoroutes ne tenait pas compte de la défense du climat et de la biodiversité, étant resté inchangé depuis les années 1990. Ces sociétés disposent ainsi d’une base juridique pour ne pas en faire une priorité.
En outre, les projets se sont additionnés, sans réelle perspective d’ensemble. Le Grenelle de l’environnement, qui date de près de vingt ans, est la dernière tentative de mettre en place un schéma national d’infrastructures de transports (SNIT), qui n’a jamais vu le jour en raison d’un risque d’endettement supplémentaire de l’État et de la crainte de la réaction des agences de notation. Certes, la loi d’orientation des mobilités (LOM) a constitué un exercice de programmation intéressant, le premier depuis l’an 2000, mais il n’a pas pris en compte de multiples petits projets qui ignorent la SNBC et la SNB.
En résumé, la politique de transports routiers s’affranchit toujours des objectifs climatiques de notre pays. Il ne sert en conséquence à rien d’afficher une priorité pour le transport ferroviaire si des autoroutes continuent d’être lancées. Les pouvoirs publics sont loin d’avoir suivi l’avis (n° Ae 2024-088) de l’Autorité environnementale, qui rappelle la difficulté de revenir sur des choix d’aménagement du territoire induisant des déplacements importants en véhicule individuel, mais qui demande que chaque évaluation économique et sociale s’effectue par rapport au scénario de référence constitué par la LOM, la SNBC et la programmation pluriannuelle de l’énergie.
L’objet d’un moratoire serait de changer notre vision et d’envisager les enjeux environnementaux et la politique des transports de manière globale.
c. Des interrogations sur les actes juridiques autorisant les infrastructures routières
Les actes juridiques afférant à un ouvrage concédé se structurent autour d’un triptyque : DUP, mise en concession et autorisation environnementale. Pour un ouvrage non concédé, interviennent la DUP et l’autorisation environnementale.
En premier lieu, plusieurs interrogations apparaissent, s’agissant des éléments d’évaluation socio-économiques qui fondent ces actes. L’utilité publique et la raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) reposent sur des critères établis par le pouvoir réglementaire, qui ne correspondent visiblement plus aux réalités de notre société. Le critère de gain de temps, prédominant dans la grille de décision, est devenu absurde à l’heure où une partie de la population a la possibilité de recourir au télétravail et où le wifi dans les transports en commun permet d’y travailler. La nécessité d’économiser l’énergie conduit également à ralentir la vitesse sur les autoroutes, de nombreux scientifiques rappelant que le contexte géopolitique rend plus onéreux l’accès aux énergies fossiles.
La monétisation des gains de temps constitue une méthode datant d’un demi-siècle. Elle ignore totalement les nouveaux enjeux de la mobilité, principalement la massification de transports collectifs décarbonés, à coût réduit, fiables et confortables. Une note (Ae 2017 N 05) de l’Autorité environnementale, en date de septembre 2017, portant sur les évaluations socio-économiques des projets d’infrastructures linéaires de transport, met en lumière la surpondération du facteur de vitesse et de gain de temps qui, selon l’Autorité « écrasent les enjeux environnementaux ». Les porteurs de projet surestiment souvent ce gain dans la présentation de leur projet.
La notion de désenclavement ne se fonde pour sa part sur aucun critère sérieux dans un pays largement maillé comme la France, à l’exception de quelques territoires, au regard des travaux les plus récents des économistes et urbanistes.
Plus préoccupante, l’analyse des effets d’un projet sur la biodiversité n’est pas prise en compte dans l’analyse de son utilité publique. Alors que la biodiversité devrait être érigée en priorité en raison de l’existence d’une stratégie nationale, elle n’est examinée que lorsque la DUP est intervenue, pendant la séquence ERC, notamment pour la mise en œuvre de compensations. Or celles-ci sont un échec. Des chercheurs du Muséum national d’histoire naturelle et d’AgroParisTech ont mis cet échec en lumière dans une étude de septembre 2019 ([13]), après avoir examiné 25 projets. Les chercheurs ont constaté un déséquilibre important entre le niveau de détail apporté sur les impacts des travaux et la faible précision des mesures compensatoires à mettre en place : les sites de compensation et leur état écologique sont décrits de manière superficielle. Presque aucun des projets ne fournissait d’objectif explicite et moins de 5 % prévoyaient un plan alternatif en cas d’échec des mesures. En outre, les compensations interviennent dans des sites qui sont déjà en bon état biologique, plus rarement sur des zones dégradées ou dont les sols sont artificialisés. Enfin, un tiers des mesures de compensation seraient réellement mises en œuvre.
Votre rapporteure relève également qu’un projet routier constitue une infrastructure d’un seul tenant, alors que les mesures de compensation sont dispersées sur de multiples espaces, parfois restreints. L’efficacité de la compensation en est amoindrie. Celle-ci est présentée de manière arithmétique (des hectares de compensation en contrepartie d’hectares naturels détruits), sans tenir compte que l’atteinte à l’environnement ne s’analyse pas en termes de surface, mais d’écosystème et de continuité écologique. La plantation de nouveaux arbres ne compense ainsi pas la destruction d’arbres anciens, qui ont développé au fil des siècles, via le système mycologique qui leur est associé, un réseau dans le sol qui unit des centaines d’espèces, souvent invisibles à l’œil nu.
Le triptyque ERC est donc invalide au regard des connaissances scientifiques. La mise en avant de mesures compensatoires n’est qu’un paravent visant à faire croire qu’un projet est exemplaire écologiquement. Toute la communication d’Atosca a par exemple reposé, sur le projet d’autoroute A69, sur la maîtrise foncière d’espaces à but conservatoire alors que la conservation des systèmes naturels est en réalité la clé du maintien de la biodiversité.
Par ailleurs, on relèvera que les grilles de critères qui fondent l’utilité publique des projets ne sont en règle générale pas connues des élus, alors que ces derniers votent au niveau national et local les crédits finançant les projets. Il y a un hiatus démocratique sur ce point.
Un deuxième point mérite d’être souligné, lié à la multiplication des recours contentieux à l’encontre des projets d’infrastructure. Il revient au juge administratif de se prononcer sur la légalité du projet. On peut toutefois s’interroger sur l’absence d’effet suspensif des recours car la contestation s’accentue en général quand les travaux démarrent, avant que le jugement au fond ne soit rendu. Pour autant, l’absence d’effet suspensif se fonde sur un principe fondamental du droit administratif, la présomption de légalité de l’acte administratif.
Il pourrait cependant être envisagé un régime spécial de contentieux au fond pour les grands projets d’infrastructure, avec un délai contentieux beaucoup plus court que ce que les juridictions administratives sont en mesure de faire actuellement – c’est déjà le cas pour certains permis de construire, sur lesquels le tribunal administratif est censé se prononcer dans un délai de neuf mois, afin de dénouer des situations juridiques. La durée actuelle des contentieux, trop longue, accentue les conflits au lieu de les apaiser, car les travaux exécutés pendant cette période entraînent des dégâts irréversibles sur l’environnement.
Un troisième et dernier point justifie plus que tout un moratoire. Les actes juridiques afférant aux projets sont la conséquence de processus de décisions politiques portant sur la programmation des investissements. Il existe en effet une multitude d’outils permettant de programmer des investissements, comme les CPER, les programmes de développement et de modernisation des itinéraires ou les lois d’orientation, mais il n’existe plus de vue d’ensemble. Comme le notait M. Arnaud Gossement, avocat, auditionné par la commission d’enquête sur l’A69, « il faudrait mener une réflexion sur la phase de programmation. Le rapport de 2014 du Conseil général de l’environnement et du développement durable proposait de créer un schéma régional intégrateur. La réforme n’a cependant pas été conduite à son terme. Elle a abouti au schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), qui demeure un document éclaté, avec différentes autorités et un raisonnement en silo : la programmation des routes n’intègre pas les réflexions sur le carbone, et la programmation sur le carbone n’inclut pas les questions de biodiversité. Bref, les sujets sont abordés différemment, par des administrations et des experts différents ».
C’est cette approche en silo qui explique, pour votre rapporteure, le lancement de projets routiers et autoroutiers, sans que soit réellement analysé leur impact sur l’environnement. Il est rappelé que les émissions des GES des véhicules s’additionnent dans l’atmosphère. Il conviendrait en conséquence d’additionner les impacts de ces projets, non de les évaluer isolément. La méthode actuelle de leur instruction fait en quelque sorte partie intégrante d’un système au demeurant involontaire, qui n’agrège pas le cumul des nuisances issues de l’ensemble des projets en cours de lancement ou en travaux. Le mécanisme d’appréciation de chaque projet, sa DUP, les critères économiques et sociaux qui le sous-tendent n’ont en conséquence aucun sens au regard du dérèglement climatique. Le secrétariat général à la planification écologique et le secrétariat général pour l’investissement ont pour leur part acté l’absence de vision globale de la politique de transport routier.
Enfin, de sérieux doutes sont liés au contenu des études d’impact, établis par les maîtres d’ouvrage. Il est en effet impossible aux bureaux d’études de se démarquer de leurs commanditaires, même si in fine, la responsabilité de l’étude relève des maîtres d’ouvrage et que l’administration joue un rôle notable pour que l’étude soit réaliste. Il serait temps de réfléchir à la mise en place, évoquée lors du Grenelle de l’environnement, d’un tiers organisme qui coordonnerait l’étude indépendamment du maître d’ouvrage.
Pour être clair, le jeu actuel de l’utilité publique et de l’évaluation environnementale est biaisé, parce que les critères qui protègeraient l’environnement ont un poids insuffisant par rapport aux critères économiques. Cette situation est profondément dommageable, notamment pour justifier auprès de nos concitoyens la pertinence des projets. M. Philippe Ledenvic, ancien président de l’Autorité environnementale, a rappelé devant la commission d’enquête sur l’A69 que « la logique de l’évaluation environnementale est pour l’instant très difficile à intégrer dans le corpus législatif et réglementaire de notre pays. Les décisions sont prises en amont et les évaluations et les éléments complémentaires deviennent alors difficiles à intégrer. Les apports de la démocratie environnementale à la décision publique sont le plus souvent niés et les évaluations ex ante et ex post sont perçues le plus souvent comme superfétatoires, voire inutilement chronophages. La jurisprudence a conduit à une meilleure prise en compte de l’évaluation environnementale, qui reste encore trop souvent perçue comme une étape inutile et un risque juridique, alors que dans les autres pays européens, elle est exploitée comme une aide à la décision. Compte tenu de ce contexte culturel, elle a dû trouver sa place dans un édifice juridique national complexe qui mériterait une mise en cohérence au regard d’une jurisprudence désormais de plus en plus éparpillée. »
La suspension de projets routiers aux Pays-Bas
La situation de la France et des Pays-Bas n’est pas pleinement comparable, en raison de l’exiguïté du territoire néerlandais, qui en fait un des pays les plus densément peuplés au monde. Compte tenu de sa puissance industrielle et agricole, l’espace est quasiment saturé d’équipements.
Les Pays-Bas ont décidé en avril 2023 de suspendre plusieurs projets routiers, pour trois raisons :
la pénurie générale de personnel, le chômage n’étant qu’à 3,7 % ;
la crise de l’azote, à laquelle le pays n’a pas encore répondu, mais qui le conduit à limiter les émissions d’autres gaz pour ne pas l’aggraver ;
le besoin d’investissements pour l’entretien du patrimoine routier existant.
d. Près d’un demi-siècle de conflits autour des infrastructures
La manière dont la presse écrite et audiovisuelle met en lumière les luttes citoyennes pour la défense de l’environnement est surtout axée sur les conflits avec les forces de l’ordre, comme si seule la violence, qu’elles qu’en soient les causes, constituait le seul fait digne d’intérêt, alors que l’écrasante majorité des manifestations est pacifique. Cette présentation occulte une tendance de fond, de près d’un demi-siècle, à savoir la multiplication des conflits autour des projets d’aménagement. M. Bruno Charlier, universitaire, avait recensé en 2005 pour le compte de l’ex Commissariat général au plan près de 1 800 conflits d’usage depuis 1975 ([14]).
Les raisons de cette émergence des luttes sont multiples : amélioration du niveau d’éducation de la population, expertise croissante des associations environnementales, crise de légitimité de l’État, interrogations sur le modèle sociétal, valeur donnée au territoire de proximité, celui dans lequel on vit, qui met en conséquence en question les projets d’intérêt national. Les mouvements de protestation ont des résultats variés. Certains n’ont guère influé la marche des projets, d’autres les ont retardés en exigeant des aménagements complémentaires (Le Havre/port 2000, TGV Méditerranée, autoroute A14), d’autres enfin ont conduit à leur abandon (aéroport de Notre-Dame-des-Landes, 3e aéroport parisien).
Il convient d’accorder à ces mouvements de protestation l’importance qu’ils méritent, d’une part parce qu’en démocratie, la vie politique ne se limite pas aux campagnes électorales et à l’exercice des mandats des élus, l’expression des citoyens, garantie par les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, étant nécessaire au fonctionnement d’une société libre ; d’autre part, ils questionnent la notion d’intérêt général et d’utilité publique, sur laquelle sont fondés les projets routiers. Cet intérêt, cette utilité ne sont plus aussi évidents qu’auparavant : ils donnent même lieu à des clivages sur lesquels notre société gagnerait à s’interroger, comme, en lien avec la présente proposition de loi, la place de l’automobile et des infrastructures routières dans notre société au regard, d’un côté, de la préservation de l’environnement, et de l’autre, du maintien de notre tissu industriel.
Près d’une soixantaine de projets routiers et autoroutiers font actuellement l’objet de contestations en France. Leur coût représente environ 13 milliards d’euros pour les finances publiques, alors que leur effet sera d’artificialiser des terres naturelles et agricoles. Le 12 octobre 2023, plusieurs associations (Déroute des routes, Réseau action climat, Fédération des usagers de la bicyclette, Greenpeace France, Amis de la terre, France nature environnement, Agir pour l’environnement, GNSA) avaient rencontré M. Clément Beaune, ministre des transports, afin d’obtenir un moratoire sur les projets routiers et autoroutiers. Cette solution paraît en effet plus raisonnable qu’une simple « revue » desdits projets, avancée à plusieurs reprises par le ministre, car elle autoriserait l’ouverture d’une véritable phase de réflexion sur la place que nous pouvons donner au transport routier, si nous voulons réellement lutter contre le dérèglement climatique.
Comme le montre le communiqué de presse de ces associations, cette rencontre a renforcé la certitude que le Gouvernement s’obstinait dans une politique détruisant la biodiversité, augmentant les pollutions et favorisant sans doute les intérêts de quelques sociétés privées au détriment des biens communs et de l’intérêt général.
Imaginer que nos politiques publiques doivent continuer, comme si de rien n’était, apparaît irréel. Telle est au demeurant l’opinion d’un nombre croissant de nos concitoyens, qui refusent de suivre une voie qu’ils jugent mortifère pour nos sociétés. Il convient bien au contraire de saluer à sa juste valeur le combat de personnes qualifiées d’écoterroristes par un ancien ministre de l’intérieur – expression qui n’a aucune existence juridique – alors qu’elles sont souvent victimes d’un usage disproportionné de la force publique à leur encontre, et qu’elles devraient plutôt être qualifiées de lanceuses d’alerte ([15]). « La France est le pire pays d’Europe concernant la répression policière des militants environnementaux. La violence des forces de l’ordre est hors catégorie. Leurs homologues à l’étranger ne comprennent pas la manière dont les Français répondent aux manifestations, ne comprennent pas qu’on puisse user d’une telle violence » (Michel Forst, Reporterre).
e. Un problème de santé publique
Contraire à l’intérêt général, le lancement d’axes routiers et autoroutiers génère des nuisances maintes fois dénoncées (GES, bruit). Il convient également de mettre en lumière le problème croissant représenté par les centrales d’enrobage au bitume pétrolier à chaud. Autour de 700 d’entre elles sont en fonction sur notre territoire, d’après la Fédération des alternatives au bitume pétrolier (FAB), provoquant des poussières, des odeurs malsaines, l’émission de substances toxiques potentiellement cancérigènes, la retombée de gouttelettes de bitume dans les espaces naturels et les jardins des riverains, ou encore des atteintes aux fonctions chlorophylliennes de plantes comme les vignes.
L’essentiel du bitume est extrait du pétrole brut par raffinage. Ce produit est composé essentiellement d’hydrocarbures et de ses dérivés. Le goudron issu de la houille n’est plus utilisé « neuf » depuis les années 1980, mais il se retrouve dans les enrobés du fait de la réutilisation du rabotage des routes, présenté comme un recyclage vertueux ! Les fraisâts (rabotages routiers) réincorporés en centrale par liquéfaction dans les enrobés sont de l’ordre de 100 à 1 000 fois plus polluants et plus toxiques pour la santé humaine que les enrobés des années 1980. Or le bitume et les fumées de bitume ne sont référencés dans aucun des tableaux de maladies du système respiratoire de l’être humain.
3. Mettre à profit la perspective de la fin des concessions d’autoroutes
Un moratoire portant sur les projets autoroutiers se justifie d’autant plus que les liaisons entre les grandes métropoles sont assurées et que les projets en cours sont le plus souvent des barreaux. Il reste que ces projets poursuivent une logique d’artificialisation des sols naturels et agricoles, vont créer un trafic induit et sans doute générer de nouvelles zones d’urbanisation. Votre rapporteure estime d’une part que de tels projets sont inadaptés aux exigences de notre temps, et qu’en outre, la fin programmée de plusieurs concessions autoroutières pourrait constituer l’occasion de financer l’ensemble des mobilités et de contribuer à la transition écologique.
Sept sociétés d’autoroutes – ASF, Sanef, SAPN, APRR, Cofiroute, AREA et ESCOTA – dont les concessions ont commencé entre 1961 et 1975, verront en effet leur convention avec l’État s’achever entre 2031 et 2036. De nombreux travaux, notamment ceux du Sénat récemment, ont mis en lumière les défauts de ces contrats historiques. Conçus sur une durée très longue, de 64 à 75 ans, ils ont permis aux sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA) d’engranger de substantiels profits, avec 40 milliards d’euros de plus qu’attendu. Certes, une part de ce profit provient du refinancement de leur dette pendant la période de réduction des taux d’intérêt ; l’État en a également récupéré une part via la fiscalité, par laquelle il prélève 36 % des péages, mais globalement, les SCA ont largement contribué aux résultats de leur société actionnaire. Le rapport précité de la commission des finances du Sénat indique que la filiale Vinci Autoroutes représente 9 % du chiffre d’affaires du groupe Vinci, mais 43 % de son résultat net.
La valeur du patrimoine autoroutier concédé est de l’ordre de 194 milliards d’euros, sachant qu’il existe des incertitudes sur le montant d’investissements encore dus par les SCA, oscillant de 1 à 5 milliards d’euros. Mais l’intérêt de la fin de ces concessions réside dans leur avenir. L’État, à qui elles reviennent, devra décider de leur avenir.
Le débat sur la gratuité ou le paiement de leur usage sera sans doute très vif. Nos concitoyens pourraient juger qu’ils ont financé de tels équipements à la fois par leurs péages et leurs impôts, via les subventions publiques qui ont accompagné tous les contrats de concession.
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Pour votre rapporteure, un moratoire s’impose, car les questions de politique routière préoccupent de plus en plus les organes de l’État, et pas uniquement les associations de défense de l’environnement.
Une large partie des projets routiers trouve sa genèse il y a de longues années, parfois plusieurs décennies, lorsque l’urgence climatique était moins prégnante. Mais il est impossible, quand l’enjeu n’est rien de moins que la vie sur terre et l’habitabilité de notre planète par les générations actuelles et futures, de poursuivre une politique comme si de rien n’était. Le défi climatique exige des remises en cause profondes, notamment celle d’un triptyque devenu un mantra des politiques publiques : « fluidification, désenclavement et développement économique ». Ce mantra nous enferme dans un modèle des années 1950, qui conduit à dépenser des milliards d’euros pour gagner 10 à 20 minutes sur un trajet, en ignorant les urgences de notre temps.
Le débat est en réalité simple, puisque nous en connaissons tous les volets :
– les infrastructures routières nouvelles induisent un trafic supplémentaire qui va à l’encontre de la SNBC et de la stratégie nationale pour la biodiversité ;
– elles sont souvent nuisibles à la santé humaine ;
– elles accentuent la métropolisation et participent de mutations violentes imposées aux populations rurales et péri-urbaines ;
– elles ne permettent pas automatiquement le développement des territoires, et induisent le risque de déplacement de certains emplois, notamment tertiaires, vers les métropoles.
Un moratoire ne sera rien d’autre qu’une période de réflexion sur les moyens de refondre plusieurs politiques, d’accentuer les efforts pour le rail et de mettre fin à une impasse.
Article 1er
Moratoire sur les projets de construction d’autoroutes et de routes
à deux fois deux voies
Supprimé par la commission
Cet article mettait en place un moratoire sur les projets d’autoroutes et de routes à deux fois deux voies pendant une durée de dix ans.
Un moratoire est un mécanisme juridique qui accorde un délai ou suspend une action. À l’origine, il s’agissait de suspendre l’exigibilité de créances ou le cours d’actions en justice, puis ce mécanisme s’est étendu à d’autres sujets. Il est utilisé tant en droit national qu’en droit international : ainsi en a-t-il été des moratoires sur les essais nucléaires (1992), sur la chasse à la baleine (1966 et 1986) ou sur le commerce de l’ivoire (1990).
Le terme a progressivement été introduit dans le langage politique. On parle par exemple de moratoires sur la peine de mort ou sur l’utilisation des organismes génétiquement modifiés. Le moratoire est dans ce cas équivalent à une interdiction temporaire, établie dans l’attente d’une réforme législative.
En droit interne, les propositions de loi portant moratoire ne sont pas rares et concernent différents sujets. Parmi les plus récentes déposées à l’Assemblée nationale, citons la proposition de loi (n° 199 de Mme Delphine Batho) instaurant un moratoire sur la construction d’ouvrages de stockage de l’eau à usage d’irrigation agricole et réformant le code de l’environnement concernant l’usage de l’eau en agriculture et la proposition de loi (n° 455, groupe Écologiste et social), qui a le même objet que le présent texte ; sous la XVIe législature, la proposition de loi (n° 1766 de Mme Clémence Guetté) instaurant un moratoire sur les méga-bassines. Au Sénat, une proposition de loi souhaitait instaurer un moratoire sur les fermetures de service et d’établissements de santé ou leur regroupement (n° 708, 2023).
En réponse aux interrogations apparues pendant certaines des auditions qu’elle a conduites, votre rapporteure estime, sans préjuger d’une éventuelle décision du Conseil constitutionnel, que la constitutionnalité de la proposition de loi ne pose pas de problème. Le législateur peut toujours modifier le cours des contrats pour des motifs d’intérêt général, à condition ensuite d’indemniser les co-contractants. Il est légitime à considérer que la protection des atteintes à l’environnement est une priorité, au regard des dommages considérables suscités par le dérèglement du climat.
Un moratoire est une réponse à une question politique, et en l’espèce, il s’agit de questionner la légitimité des projets routiers. Les signataires de la présente proposition de loi considèrent que les fondements des décisions actuelles sont erronés et appellent à reconsidérer les projets en cours, comme l’a par exemple affirmé M. Sébastien Vincini, président du conseil départemental de Haute‑Garonne, à propos de l’autoroute A69.
Un moratoire ne peut cependant s’affranchir du principe de légalité, et comme il s’apparente par ses effets à un retrait de projet, il convient de rappeler quelques éléments.
En premier lieu, quand le projet a obtenu les autorisations – DUP, autorisation environnementale, etc. – son retrait demeure possible par la voie du contentieux. Il appartient au juge administratif de se prononcer sur la légalité du projet, et non sur sa légitimité.
En second lieu, si le projet est validé par le juge du fond, les voies de recours sont purgées. Le retrait du projet n’est dès lors plus possible compte tenu du principe de sécurité juridique, qui implique qu’un projet légalement autorisé et validé par les juges ne peut être remis en cause. Ce principe fondamental du droit administratif permet d’apporter une stabilité essentielle, dans un État de droit. Dans cette hypothèse, seule une décision politique peut entraîner le retrait d’un projet. En ce cas, la responsabilité de l’État ou de la collectivité territoriale qui prend la décision est engagée et donne droit à indemnisation aux entreprises cocontractantes, évoquée infra dans le commentaire de l’article 2.
À l’instar d’un retrait de projet, un moratoire emporte des effets sur l’exécution des contrats passés entre la puissance publique – États, collectivités territoriales – et les entreprises qui réalisent les projets. De multiples entreprises concourent au fonctionnement du secteur routier et autoroutier, tant pour la gestion et l’exploitation des systèmes que pour l’entretien, allant de très grands groupes, notamment les sociétés concessionnaires, à de petites entreprises.
Il n’est pas étonnant que beaucoup de propositions de moratoire portent sur des sujets environnementaux. Nous vivons une période de conjonction de crises, qui marque en fait l’épuisement d’un modèle productiviste et qui cause à la nature des dommages souvent irréversibles. Devant ce constat, il est normal que des collectifs de citoyens refusent de cautionner une telle dégradation des facteurs les plus importants de notre vie – qualité de l’air, de l’eau, biodiversité, climat – et il est de la responsabilité des élus d’en être le relais au sein de l’État. Face à ce qui s’avère être une impasse économique et sociétale, une fuite en avant au nom d’intérêts financiers, faire une pause, réfléchir à une nouvelle politique de transports n’a rien d’absurde. Votre rapporteure et les signataires de la proposition de loi, ainsi que les collectifs de citoyens, aspirent à une telle réflexion.
Celle-ci serait un gage de vitalité démocratique. Il serait préférable de la conduire au sein des institutions car les deux chambres du Parlement, le Conseil économique, social et environnemental et de multiples organes de l’État (Conseil d’orientation des infrastructures, AFIT-France, Autorité environnementale, Office français de la biodiversité, Conseil national de la protection de la nature, etc), dont le rôle est de définir la politique de la nation ou d’en instruire certains aspects, disposent toutes d’une expertise et d’une riche expérience humaine. À défaut, l’urgence environnementale est d’une telle ampleur que des citoyens pourraient être tentés par la désobéissance civile, qui est, rappelons-le, une infraction délibérée, mais pacifique, dont le but exprime un désaccord politique au nom d’un intérêt supérieur. Illustré notamment par Thoreau et Gandhi, ce concept ne doit être manié qu’en dernier recours, mais lorsque des destructions irréversibles et graves pour notre avenir sont en jeu, il est normal que des citoyens l’invoquent. Or, rappelons que pour le moment, aucune politique, en France comme dans le monde, n’a modifié le cours du dérèglement climatique, ce qui signifie que les catastrophes futures seront plus graves que celles constatées jusqu’à présent.
La proposition de loi instaure un moratoire sur deux types de voies routières : d’une part les autoroutes ; d’autre part les routes à deux fois deux voies.
La portée de ce moratoire est donc relativement modérée, contrairement à ce que laisserait penser la radicalité du dispositif. Il ne vise que les voiries dont l’emprise au sol est la plus importante, qui sont le plus souvent des liaisons nationales. Toutefois, certains projets d’aménagement local, comme le contournement de Montpellier ou la route nationale 88, pour son tronçon passant dans l’Aveyron, entrent dans cette catégorie.
La DGITM, auditionnée par votre rapporteure, a confirmé que les projets ressortant de la compétence de l’État, envisagés ou en cours de construction, pouvaient être anciens, ayant été conçus à une période où le dérèglement climatique ne revêtait pas un caractère d’urgence, ou relativement récents ; pour ces derniers, les pouvoirs publics ne pouvaient donc ignorer leurs impacts sur l’environnement. Outre l’autoroute A69 entre Castres et Toulouse, qui a donné lieu à une commission d’enquête inachevée en raison de la dissolution, quatre projets peuvent être pris en exemple.
Contournement Est de Rouen / liaison A28 – A13
Ce projet de liaison autoroutière à 2 fois 2 voies sur 41,5 km, relie l’A28 au nord et l’A13-A154 au sud, intégrant une branche vers le sud de l’agglomération rouennaise à la hauteur de Saint-Etienne-du-Rouvray. La première évocation du projet date de 1972, mais l’ouverture de l’enquête publique préalable à la DUP a été effectuée en 2016. L’année 2025 serait celle de la signature du contrat de concession, pour une mise en service en 2031 ([16]).
L’étude d’impact préalable à la DUP fournit des données chiffrées relatives à l’artificialisation des sols qu’entraînerait la réalisation du projet. L’avis motivé de la commission d’enquête sur la DUP, rendu le 9 septembre 2016, fait ainsi état d’une part « d’impacts permanents ou temporaires, [qui] auront un impact résiduel faible, grâce aux mesures ERC proposées », et d’autre part « d’impacts qui resteront forts ou seront considérés comme forts par le public malgré celles-ci ».
Sont ainsi mis en avant :
– la consommation globale d’espace au sol : elle concernera 516 hectares, répartis dans 27 communes ;
– la consommation de terres agricoles et d’espaces boisés, soit 260 hectares de terres agricoles et 146 hectares d’espaces boisés classés, « pour lesquels l’impact résiduel reste considéré comme fort, malgré les mesures ERC » ;
– la ressource en eau, avec la destruction d’un hectare de milieux aquatiques et humides détruits et le risque de pollution des points de captage alimentant 50 % de la métropole de Rouen : « l’impact résiduel est jugé fort concernant les eaux superficielles » ;
– 87 hectares de milieux ouverts ou semi-ouverts naturels seront détruits par le projet, impactant certaines espèces dont l’habitat est protégé : « l’impact résiduel est considéré comme restant fort ».
Projet d’autoroute A412
L’autoroute du Chablais est un projet de liaison payante en Haute-Savoie, entre Machilly, commune limitrophe du canton de Genève et Thonon-les-Bains. L’infrastructure s’étendrait sur 16,5 kilomètres en deux fois deux voies ([17]).
Envisagé une première fois entre 1994 et 1997, le projet d’autoroute A412 a été relancé en 2014. Il s’agit d’un projet dont le Conseil d’État avait annulé la DUP par une décision du 28 mars 1997, considérant que le bilan coûts-avantages du projet était déséquilibré.
Malgré cette décision du Conseil d’État, une nouvelle enquête publique préalable à la DUP a été ouverte en juin 2018, et il a fallu recourir, en 2023, à une loi de régularisation permettant la construction de l’autoroute, à la suite de difficultés rencontrées dans l’élaboration des documents d’urbanisme. On ne saurait trouver meilleur exemple de passage en force ! Le décret d’attribution de la concession au groupe Eiffage a ensuite été signé en octobre 2024.
L’étude d’impact soumise à l’enquête préalable à la DUP, dont l’avis a été rendu public le 27 septembre 2018, révèle l’incidence des travaux envisagés sur les habitats naturels et zones humides, avec la consommation de 76,4 hectares de milieux boisés, 69,2 hectares de prairies et bocages, et 53,2 à 68 hectares de zones humides, pour partie dans les milieux boisés, prairies et bocages.
Contournement Ouest de Montpellier
Le projet de contournement Ouest de Montpellier vise à créer une route à deux fois deux voies d’environ 6 km, reliant l’autoroute A709 à l’autoroute A750, à l’ouest de Montpellier. Elle assurera également les échanges avec les routes départementales (RD) 5 et 613. L’A9 dédouble l’A709 et passe au sud de Montpellier. À ses deux extrémités, l’A709 rejoint l’A9 qui relie Orange à Perpignan. L’A750 se connecte sur l’A75 (Clermont-Ferrand Béziers) à Clermont l’Hérault, à 40 km à l’ouest de Montpellier. Elle débouche à Juvignac, au Nord-Ouest de Montpellier.
Il s’agit littéralement de faire passer environ 53 000 véhicules par jour de plus dans la métropole, au prix de la destruction de 75 hectares de zones naturelles et de 56 hectares d’espaces agricoles, pour un gain de temps de quelques minutes, soit un coût écologique exorbitant, démontrant une nouvelle fois la surpondération du facteur de la vitesse dans le calcul de la VAN-SE d’un projet. Le projet comporte un tronçon de 2 fois 5 voies, soit 10 voies sur 1,7 km.
Dans son avis du 4 décembre 2019, l’Autorité environnementale a relevé de nombreuses fragilités sur les données relatives aux trafics et aux déplacements, et que les impacts cumulés avec d’autres projets n’étaient pas traités ; la séquence ERC est imparfaitement appliquée, particulièrement sur la protection des eaux souterraines, les impacts des aménagements de lutte contre les inondations, l’artificialisation des terres, les émissions de GES et d’autres polluants.
Projet d’autoroute A154-120
La RN 154 relie Rouen à Chartres, puis à Orléans. Depuis 1994, 260 millions d’euros ont été investis sur cet axe. Sa partie nord (Louviers–Nonancourt) est aménagée en 2 fois 2 voies. Environ 60 km des 91,5 km de l’itinéraire situé entre Nonancourt et l’A10 restent à aménager. À la suite du débat public organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP) entre octobre 2009 et janvier 2010, le principe de l’achèvement de l’aménagement par mise en concession autoroutière de la RN 154 entre Nonancourt et Allaines et de son tronc commun avec la RN 12 a été retenu.
L’avant-projet sommaire d’itinéraire (APSI) a été approuvé en 1994. Le débat public sous l’égide de la CNDP s’est déroulé à partir de 2009. L’enquête publique préalable à la DUP a été conduite de novembre 2016 à janvier 2017 ([18]). Après appel à candidature en 2022, les années 2024 et 2025 sont consacrées à la procédure de désignation d’un concessionnaire.
L’étude d’impact préalable à la DUP fait état d’« une très forte destruction de sols naturels et agricoles, évaluée à 576 hectares, dont 460 hectares de surfaces cultivées et 75 hectares de parcelles boisées, liée aux tronçons de tracé neuf ainsi qu’aux compléments nécessaires pour l’itinéraire de substitution » ([19]).
Les députés signataires de la présente proposition de loi n’ont pas souhaité suspendre l’ensemble des projets routiers, sachant que la majorité du réseau relève désormais des collectivités territoriales et que plusieurs d’entre eux présentent un intérêt local. Les projets de liaison à 2 fois 1 voie, de sens giratoire ou d’ouvrages d’art n’entrent donc pas dans le champ du texte. De nombreux territoires, tant dans l’hexagone qu’en outre-mer, notamment en Guyane, ont des besoins d’équipement et il ne saurait être question de geler l’ensemble des projets existants.
Ce choix ne rencontre pas l’adhésion de l’ensemble des collectifs de citoyens mobilisés contre des projets routiers. Le collectif Yonne Vivante a ainsi indiqué à votre rapporteure que « avant toute chose, il semble que la proposition de moratoire ne devrait pas se limiter aux projets d’autoroutes et routes à 2 fois 2 voies. Le texte devrait viser sans distinction "la création d’infrastructures routières nouvelles ou l’extension d’infrastructures routières existantes". En effet, nombre de projets, sans être à 2 fois 2 voies, font peser de lourdes conséquences sur les riverains, la biodiversité, le climat... ».
À l’instar de ses collègues, votre rapporteure est bien consciente que l’addition de petites infrastructures est consommatrice d’espace, comme les grands projets. La surface artificialisée pour les besoins des routes représente dans l’hexagone 1,28 million d’hectares, soit la surface de l’Île-de-France, et elle s’est accrue de 105 000 hectares entre 2010 et 2015, 75 % de cet accroissement étant dû aux routes. Une simple rocade, une route supplémentaire, un échangeur peuvent générer un trafic induit et l’urbanisation de terres agricoles. Il est néanmoins irréaliste de stopper tous les travaux publics et tous les projets d’équipement.
Le présent article prévoit un double moratoire, portant sur la délivrance des autorisations environnementales.
Il est rappelé que la délivrance de ces autorisations, dont le régime est organisé par les articles L. 181-1 à L. 181-18 du code de l’environnement, est nécessaire au lancement des travaux pour la construction d’autoroutes et de voies rapides, soumis à évaluation environnementale en vertu du tableau annexé à l’article R. 122-2 du code précité.
Le premier moratoire (paragraphe I du présent article) concerne les projets d’autoroutes et de routes à deux fois deux voies en cours d’instruction. Le terme « en projet » s’entend comme tout stade d’élaboration du projet préalable à la signature d’une convention de concession autoroutière ou de marchés publics pour la construction d’une route.
Le paragraphe II du présent article suspend les autorisations environnementales déjà délivrées pour des projets analogues, dont les travaux sont déjà engagés. Dès lors, cette suspension entraîne l’impossibilité de poursuivre les travaux prévus, puis d’exploiter l’infrastructure. Il cause un préjudice financier pour tout concessionnaire ou co-contractant, ouvrant la voie à une indemnisation.
La durée proposée pour ce double moratoire est de dix ans. Elle correspond au temps nécessaire pour définir de nouvelles politiques de transport et d’aménagement du territoire, elles-mêmes liées à un système économique qu’il convient de profondément modifier, afin que la lutte contre le dérèglement climatique et la protection de la biodiversité soient réellement érigées en priorité. Il s’agit plus généralement d’organiser la société afin qu’elle fonctionne en conformité avec la SNBC, ce qui n’est pas le cas actuellement.
La présente proposition de loi vise, sans le mentionner, à élargir le débat sur notre politique des mobilités. Il est impossible à une proposition de loi de préjuger par avance d’un débat subséquent à un moratoire. Les députés signataires de la proposition de loi ont néanmoins une idée très claire de la manière dont ils veulent agir.
Le moratoire est en premier lieu une pause dans l’application d’une politique routière climaticide et écocidaire. Cette pause est nécessaire puisque les pouvoirs publics continuent de lancer des projets comme si notre époque n’avait pas changé par rapport aux trente glorieuses.
Le moratoire ouvrira ensuite une période de débat national, à l’issue duquel notre modèle de société devra être profondément réformé. Il ne s’agit donc pas d’examiner à nouveau chaque projet d’infrastructure, au cas par cas, pour évaluer son utilité publique ou son impact environnemental, mais d’avoir une vue d’ensemble sur la politique des transports et les politiques auxquelles elle est liée. Comme le rappelle Mme Enora Chopard, porte-parole du collectif La Déroute des routes, nous vivons actuellement une période de « non politique globale » : chaque projet routier est examiné en silo, indépendamment des autres, sans que sa pertinence soit examinée au regard d’enjeux nationaux plus larges, comme la quantité de CO2 qui s’ajoutera aux émissions de notre pays, sans réfléchir non plus à une évolution de l’organisation de notre société qui génère ou suscite l’obligation de se déplacer.
Les infrastructures routières sont en effet au croisement de plusieurs politiques. Ouvertes à l’origine dans une France peu densément peuplée et largement rurale pour favoriser le commerce, elles ont progressivement façonné le territoire, reliant les régions entre elles, puis reliant notre pays aux États limitrophes. Elles ont ensuite été multipliées en vertu d’un mantra selon lequel la route augmentait le produit intérieur brut (PIB) local grâce au désenclavement – mot magique chez les partisans du tout routier. Elles posent en réalité plusieurs questions, sur la manière dont nos sociétés produisent et consomment, dont notre territoire est aménagé, divisé en zones qu’il faut relier par différents modes de transport, sur le mode d’allocation de l’espace pour les logements et les activités. Les routes sont en réalité des objets, très tangibles par la masse de matériaux qu’elles mobilisent, qui matérialisent nos choix.
Plusieurs de ces questions ont été évoquées par la Convention citoyenne pour le climat et ont ensuite été traduites dans la loi dite « climat et résilience ». Mais chaque fois qu’il s’est agi d’adopter dans cette loi des dispositions qui pouvaient modifier profondément notre société, ce sont des demi-mesures qui ont été votées, au nom de la réalité économique.
L’exemple du commerce électronique est criant. Conséquence de la mondialisation, il a indéniablement développé l’image de marque, la notoriété, le chiffre d’affaires et les débouchés des entreprises capables de prendre un virage numérique, comme la Fnac, et généré parallèlement l’augmentation des ventes en magasin. Mais il a porté préjudice aux entreprises trop petites pour gérer, faute de personnel, un site marchand et surtout, il structure notre territoire par un maillage d’entrepôts qui justifient des routes et leur élargissement, ainsi qu’une noria de poids lourds pour l’acheminement des produits depuis les ports et aéroports, puis de camionnettes pour la livraison du dernier kilomètre.
Le moratoire vise donc à ce que les pouvoirs publics et l’ensemble de la société réfléchissent à une nouvelle organisation sociétale, sociale et économique, en plaçant prioritairement, au cœur des politiques publiques, les intérêts collectifs.
III. LES TRAVAUX DE LA COMMISSION
Lors de l’examen en commission, onze amendements identiques de suppression de l’article (CD 1, CD 2, CD 3, CD 4, CD 8, CD 15, CD 17, CD 22, CD 24, CD 31 et CD 32) ont été adoptés.
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Article 2
Financement de la mesure
Supprimé par la commission
Cet article visait à tenir compte des conséquences financières d’un moratoire sur les projets routiers et autoroutiers.
I. l’obligation de verser des indemnisations
Voter un moratoire sur des projets routiers et autoroutiers pour lesquels des entreprises ont déjà signé des contrats aboutit à modifier unilatéralement lesdits contrats, ce qui donne droit à des indemnisations pour celles-ci, en application de plusieurs principes et dispositions constitutionnelles et légales, et de la jurisprudence. Même s’il n’existe pas de précédent de moratoire sur des projets routiers, il ne fait aucun doute que la responsabilité de l’État du fait des lois serait engagée et pourrait donner lieu à des indemnisations à double titre :
– d’une part, vers les entreprises cocontractantes ;
– d’autre part, vers les collectivités territoriales qui devraient suspendre des projets en cours, et se retourneraient ensuite vers l’État, le moratoire résultant de la loi et non d’une décision de leur conseil délibérant.
Outre le principe d’égalité affirmé à l’article 1er de la Constitution et à l’article VI de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le principe de responsabilité, consacré par la décision du Conseil constitutionnel (n° 82-144 du 22 octobre 1982 sur la loi relative au développement des institutions représentatives du personnel) rappelle que « nul n’ayant le droit de nuire à autrui, en principe tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ».
Parmi les dispositions légales, le code de la commande publique prévoit, en son article L. 3136-3, la possibilité pour l’autorité concédante de résilier un contrat de concession administratif pour motif d’intérêt général, et renvoie à l’article L. 6 du code précité un droit à une indemnisation, sous réserve des stipulations du contrat. En outre, l’article L. 3136-10 du même code développe le droit du concessionnaire à « l’indemnisation du préjudice qu’il subit à raison du retour anticipé des biens, à titre gratuit, dans le patrimoine de la personne publique s’ils n’ont pas été totalement amortis », dans le cas où la personne publique concédante résilie avant son terme normal la convention de concession ou le contrat de travaux.
Une jurisprudence, datant de plus d’un siècle, a par ailleurs précisé les principes de l’indemnisation des cocontractants. Bien qu’un moratoire ne constitue pas une rupture directe du contrat de concession, les conséquences financières qu’entraîneraient l’entrée en vigueur de la proposition de loi sont similaires, ce qui conduit à rappeler au minimum deux d’entre eux qui pourraient s’appliquer.
Le principe de l’équilibre financier, obligeant à indemniser le cocontractant, est considéré comme la contrepartie du pouvoir de modification unilatérale de l’administration. La notion « d’équation financière » a été développée par Léon Blum dans ses conclusions dans l’arrêt du 11 mars 1910 du Conseil d’État, Compagnie générale française des tramways. Ainsi, « si l’administration peut remettre en cause certains aspects (modification) ou la totalité (résiliation) du contrat, elle doit, par l’octroi d’une indemnité, compenser les charges qu’elle fait peser sur son cocontractant, de telle sorte que soit rétabli l’équilibre financier que les parties avaient aménagé initialement ».
La théorie du fait du prince donne droit à une indemnisation intégrale, lorsqu’un surcoût résulte d’une modification de la réglementation générale. L’édiction par l’administration d’une mesure ayant une répercussion directe sur un contrat auquel elle est elle-même partie donne droit au cocontractant à une indemnité compensatrice correspondant à l’intégralité du préjudice subi. Le droit à réparation résulte ainsi non pas d’une forme de responsabilité pour faute, mais résulte du principe d’équilibre financier (Conseil d’État 28 avril 1939, Compagnie des chemins de fer de l’Ouest). Les conditions d’application de cette théorie sont très restrictives ; la mesure alléguée doit émaner de l’administration contractante elle-même, son édiction ou le préjudice qu’elle cause au cocontractant doit être imprévisible (Conseil d’État, 19 novembre 1909, Compagnie générale transatlantique), la mesure doit affecter spécifiquement le cocontractant ou affecter le contrat dans l’un de ses éléments essentiels.
Votre rapporteure rappelle par ailleurs que dans son avis n° 407003 en date du 8 juillet 2023 portant sur la sécurisation des mesures permettant d’assurer une meilleure prise en compte de l’intérêt public dans l’équilibre des contrats de concession autoroutière, le Conseil d’État a envisagé différentes pistes permettant de mettre fin à un contrat de concession autoroutière.
Résiliation unilatérale
Celle-ci doit donner lieu à une indemnisation.
Rachat pour motif d’intérêt général
Les contrats de concession autoroutière conclus avec les SCA historiques prévoient la faculté pour l’autorité concédante de procéder à l’indemnisation du concessionnaire en contrepartie de la résiliation du contrat.
Rupture amiable du contrat
Les modalités de détermination de l’indemnité à verser seraient les suivantes : « les parties à un contrat conclu par une personne publique peuvent déterminer l’étendue et les modalités des droits à indemnité du cocontractant en cas de résiliation amiable du contrat, sous réserve qu’il n’en résulte pas, au détriment de la personne publique, l’allocation au cocontractant d’une indemnisation excédant le montant du préjudice qu’il a subi résultant du gain dont il a été privé ainsi que des dépenses qu’il a normalement exposées et qui n’ont pas été couvertes en raison de la résiliation du contrat ». L’indemnisation ne saurait ainsi donner lieu à un enrichissement.
Aucune proposition de loi portant moratoire n’ayant été votée, il n’existe pas de jurisprudence permettant de mesurer comment seraient établies les indemnisations des cocontractants concernés par les projets autoroutiers et routiers faisant l’objet d’un moratoire. Auditionnée par votre rapporteure, la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités a indiqué que la suspension de chantiers exigerait leur mise en sécurité (dans l’attente d’une décision définitive de poursuite ou d’abandon du projet), la couverture des frais liés à leur arrêt ainsi que de l’ensemble des charges et du manque à gagner pour les cocontractants et concessionnaires.
Sachant que pour la seule A69, les sommes en jeu sont de plusieurs centaines de millions d’euros, le cumul d’indemnisations pour l’ensemble des projets entrant dans le champ du moratoire serait au minimum de l’ordre d’un milliard d’euros, voire plus. Le calcul des indemnisations est complexe car il dépend de la durée du moratoire.
Votre rapporteure est consciente que la question de l’indemnisation est au cœur de la crédibilité de la présente proposition de loi. Il ne s’agit pas d’un aspect marginal ou accessoire du dispositif proposé. Il coûtera entre plusieurs centaines de millions ou peut-être plusieurs milliards d’euros à l’État, dans un contexte où les finances publiques sont en situation tendue. Les montants en jeu doivent toutefois être mis en balance avec le coût du maintien d’un réseau dont l’extension, certes moins rapide qu’avant, se poursuit.
Ils doivent surtout être comparés au coût croissant des catastrophes naturelles, qui sont prises en charge par l’ensemble de la société, via les cotisations aux compagnies d’assurances et de réassurance, mais qui mobilisent également des crédits d’État, au titre de l’aide d’urgence. Deux exemples récents méritent d’être rappelés : le coût des inondations de novembre 2023 dans les Hauts-de-France avait été évalué dans un premier temps à 550 millions d’euros par la caisse centrale de réassurance, avant de passer à 640 millions en janvier 2024. Quant à la catastrophe de Valence, les dégâts sont encore non évalués mais le gouvernement espagnol et l’Union européenne ont déjà versé 10,6 milliards d’euros au titre de l’aide d’urgence et des premières opérations de déblaiement.
Rappelons que pour tous les météorologues, la catastrophe de Valence, due au réchauffement de la mer Méditerranée, pourrait se reproduire dans toute ville qui en est riveraine. En France, de grandes villes comme Perpignan, Béziers, Sète, Marseille, Aix, Toulon, Fréjus, Nice, pourraient vivre un tel phénomène. L’État devrait alors débloquer en urgence des sommes dont le montant avoisine l’ordre de grandeur des investissements routiers.
Les indemnisations conséquentes au moratoire doivent donc être considérées comme des dépenses inévitables juridiquement, mais politiquement assumées par les députés qui aspirent à une nouvelle politique de transports. En cas de statu quo, le coût des catastrophes naturelles ou simplement des effets du dérèglement climatique pourrait dépasser les possibilités financières des collectivités publiques et des compagnies d’assurances. Travailler sur l’atténuation du dérèglement climatique par de nouvelles politiques doit donc être considéré comme un acte de bonne gestion pour les finances publiques et pour la préservation de notre système assurantiel.
II. LES TRAVAUX DE LA COMMISSION
Lors de l’examen en commission, un amendement CD 23 de suppression de l’article a été adopté.
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Lors de sa réunion du mercredi 20 novembre 2024, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a examiné, sur le rapport de Mme Anne Stambach-Terrenoir, la proposition de loi visant à instaurer un moratoire sur les projets routiers ou autoroutiers (n° 417).
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Nous examinons ce matin la proposition de loi (PPL) visant à instaurer un moratoire sur les projets routiers et autoroutiers (n° 417) de Mme Anne Stambach-Terrenoir.
Mme Anne Stambach-Terrenoir, rapporteure. Cette proposition de loi vise à interroger et à refuser une politique routière qui nous mène à l’impasse. Notre groupe se fait l’écho des actions de nombreux collectifs et associations qui se battent, dans notre pays, contre des décisions économiques obsolètes et destructrices. Il donne également suite à la pétition contre l’autoroute A69 examinée par notre commission, ainsi qu’aux intéressants travaux menés par notre collègue Christine Arrighi dans le cadre de la commission d’enquête sur cette même autoroute, et malheureusement interrompus par la dissolution.
Si l’autoroute A69 suscite une telle opposition, c’est parce qu’elle incarne, comme le dit le climatologue Christophe Cassou, « l’impossible bifurcation » : tout ce que l’on ne peut plus se permettre de faire dans le contexte actuel d’accélération du changement climatique et d’effondrement de la biodiversité. Parmi la cinquantaine de projets routiers contestés en France, un grand nombre sont construits sur le même modèle. Pensés il y a trente voire quarante ans, ils ont pour objectif de faire gagner quelques minutes aux usagers, au prix de dégâts écologiques irréversibles : des milliers d’hectares de terres agricoles, de terres naturelles et de zones humides sont sacrifiés, des espèces protégées menacées. Au bout de compte, ce sont toujours plus de routes, de voitures, de poids lourds et de gaz à effet de serre (GES).
L’année 2024 sera la plus chaude jamais enregistrée par l’Organisation météorologique mondiale, alors même que l’année 2023 l’avait déjà été. Des catastrophes que l’on croyait être l’apanage des pays tropicaux touchent l’Europe : des inondations en Europe centrale et en France – dans le Pas-de-Calais, à Givors et en Seine-et-Marne – et, très récemment, une tempête violente et meurtrière en Espagne, qui a fait plus de 200 morts à Valence. Ces catastrophes sont d’abord des drames et des vies humaines balayées. Mais elles ont aussi un coût financier : dans la décennie 2010, la facture annuelle s’établissait pour la France à 3,7 milliards d’euros. Depuis 2019, elle est passée à 6 milliards. Viendra un jour où ni l’État ni les compagnies d’assurances ne pourront plus financer les aides d’urgence et les réparations. Rappelons qu’à Valence, les premières interventions ont déjà coûté 10,6 milliards d’euros à l’Espagne et à l’Union européenne. Voilà la facture du réchauffement climatique !
Or le secteur des transports compte pour 30 % des émissions de GES, et le transport routier est responsable de la très grande majorité de ces émissions. Or l’imperméabilisation des sols aggrave les événements climatiques. Or le premier facteur de pression sur la biodiversité, c’est aussi le réseau routier. Sans compter les 30 000 tonnes de sable et de gravier que nécessite un seul kilomètre d’autoroute, ni la multiplication des usines à enrobé bitumineux qui menacent la santé des habitants et les terres agricoles. Nous continuons de lancer des projets qui vont totalement à l’encontre des objectifs que notre pays s’assigne lui-même avec la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et la stratégie nationale pour la biodiversité (SNB). Ce n’est pas tenable : il faut appuyer sur pause.
Le serpent se mord la queue. Toutes les études d’économistes et d’urbanistes convergent : chaque nouvelle infrastructure routière engendre un trafic induit, c’est-à-dire une augmentation de la circulation. On se déplace plus loin et parfois plus souvent. L’offre d’infrastructures crée ainsi une demande, dont la conséquence est l’augmentation d’une part des gaz à effet de serre, d’autre part des surfaces artificialisées.
Des nombreuses auditions que nous avons menées ressortent deux mantras de l’aménagement du territoire. Le premier lie de façon automatique routes et développement économique ; le second souligne la nécessité du désenclavement. Or développement économique et infrastructures ne vont pas de pair. Ainsi, alors que Perpignan dispose d’une autoroute, d’une route, de liaisons ferroviaires et d’un aéroport, elle affichait en 2021 un taux de pauvreté de 34 %, plus de deux fois supérieur à la moyenne nationale.
Quant au désenclavement, c’est une notion très subjective. Qui peut croire que la ville de Castres, qui dispose d’une route nationale, d’une ligne ferroviaire et d’un aéroport avec une ligne subventionnée, serait enclavée ? En quoi un gain de dix minutes sur le trajet vers Toulouse va-t-il dynamiser le bassin d’emplois de Castres-Mazamet ? Le risque est plutôt qu’avec l’élargissement de l’aire de chalandise, des activités soient transférées vers Toulouse. Une route, ça va dans les deux sens, et les grandes infrastructures accentuent en réalité les effets de la métropolisation. De petites villes se vident de leurs commerces et de leurs services publics, devenant des satellites des métropoles. Des activités économiques quittent leur implantation d’origine pour s’établir le long d’une autoroute. Finalement, les habitants sont condamnés à dépendre de la voiture – laquelle est considérée comme un gouffre financier par 79 % des Français.
En plus des dommages irréversibles causés à l’environnement et des conséquences sociales et économiques de la prépondérance du modèle routier, un troisième argument en faveur d’un moratoire est apparu au cours des auditions que j’ai conduites. Trop souvent, le débat sur les infrastructures de transport est présenté comme un conflit entre pouvoirs publics et militants écologistes. Au sein des multiples organismes qui assistent l’État dans ses décisions, émergent en réalité des interrogations sur la manière dont sont préparés les actes juridiques qui permettent le lancement des projets routiers – déclarations d’utilité publique (DUP) et autorisations environnementales, notamment. Ces actes sont élaborés à partir de critères faisant l’objet d’une pondération pour le calcul de la valeur actualisée nette socio-économique (VAN-SE) du projet. Or, parmi ces critères, celui lié au gain de temps est à la fois surestimé et monétisé de telle façon que, d’après un rapport de l’Autorité environnementale confirmé par le secrétariat général pour l’investissement (SGPI), il écrase tous les autres – considérations environnementales comprises.
L’environnement, lui, ne se monétise pas. Pour l’instant, on ne peut pas donner de valeur monétaire à un écosystème, sauf lorsque l’on constate les dégâts résultant de sa disparition. De plus, les critères utilisés datent d’il y a au moins trente ans – une autre époque, sur le plan climatique. C’est ainsi que sont justifiés, en dépit d’un bilan environnemental ou agricole catastrophique, de vieux projets ressortis des cartons : l’A69, le contournement par l’ouest de Montpellier – avec un tronçon à deux fois cinq voix ! – et l’A412, qui décroche la palme. Après que le Conseil d’État a annulé la DUP de cette autoroute en 1997, une nouvelle enquête publique a en effet été ouverte vingt et un ans après mais il fallut recourir à une loi de régularisation, en 2023, pour lancer sa construction.
Les critères environnementaux sont le plus souvent ignorés et, lorsqu’ils sont pris en compte, c’est pour servir de paravent. C’est le constat fait par des scientifiques du Muséum national d’histoire naturelle qui, en se penchant sur les compensations environnementales, ont découvert qu’elles étaient mal appliquées, mal mises en œuvre et réalisées sur des terrains en bon état, où le gain écologique est faible. Surtout, la conception de la compensation est purement spatiale – des hectares renaturés en échange d’hectares artificialisés –, oubliant la complexité des écosystèmes. Quand un arbre centenaire est abattu, ce sont la biodiversité qu’il abrite et son système racinaire et mycologique qui sont atteints ; il ne peut être remplacé par un arbuste à la survie incertaine. Certains écosystèmes, comme les zones humides ou les tourbières, sont le fruit de siècles voire de millénaires d’évolution : on ne peut évidemment pas compenser leur destruction en quelques années. Nos décisions ne sont pas fondées sur la science.
Enfin, notre politique routière souffre d’un pilotage insuffisant. C’est ce qu’affirme la Cour des comptes dans un rapport de mars 2022 que chacun peut consulter en ligne : elle souligne le coût élevé d’une politique qui n’a pourtant pas prévenu la dégradation du réseau, et rappelle que l’État a progressivement abandonné aux départements et aux communes la gestion du réseau routier. Les institutions d’État en charge de l’environnement montrent que chaque projet est instruit en fonction de son bilan coût-avantage local, sans qu’une agrégation de l’ensemble ne permette de connaître l’impact global. Résultat, le secteur des transports routiers n’atteint ni les objectifs de la SNBC, ni ceux de la SNB pour 2030.
En résumé, nous proposons un moratoire pour trois raisons principales : les atteintes que les projets routiers portent à l’environnement et à la santé humaine ; leur instruction sur la base de critères obsolètes ignorant sciemment l’environnement ; leur programmation au cas par cas plutôt que dans le cadre d’un schéma national des infrastructures de transport tel qu’envisagé, sans succès, par le Grenelle de l’environnement.
Le moratoire que nous proposons est en réalité très modéré car il ne porte que sur les projets les plus importants, à deux fois deux voies, relevant soit du réseau autoroutier concédé, soit du réseau national ou départemental non concédé. Les petits projets, comme les ronds-points ou les liaisons à deux fois une voie, n’entrent pas dans son champ. Il ne s’agit donc pas de ne plus rien construire. Je suis d’ailleurs prête à accepter l’amendement de Jean-Victor Castor, qui propose d’exclure la Guyane du moratoire : les besoins y sont en effet incontestables.
Un moratoire, pour quoi faire ? D’abord, pour conduire une réflexion sur nos modes de vie. Les transports sont à la fois les facteurs et les résultantes de nos modes de production et de consommation, ainsi que de la répartition, dans nos territoires, du logement, de la production industrielle, de l’agriculture et des espaces naturels. Face au dérèglement climatique, nous devons repenser transports et aménagement du territoire en donnant la priorité aux objectifs collectifs : sortir du tout-voiture et du tout-camion. Pour cela, il faut une vision globale des projets routiers s’insérant dans une vision tout aussi globale des investissements publics et de leur impact environnemental. Bref, il faut penser une véritable planification écologique.
Si nous proposons un moratoire, c’est aussi pour revoir les procédures d’instruction et de gestion des projets. La pondération des différents critères me semble constituer un enjeu central et je serais heureuse, madame la présidente, que notre commission puisse auditionner les responsables ministériels sur ce point : aucun parlementaire ni aucun élu local ne connaissent ces critères, alors que nous votons les projets et leur attribuons des financements.
Il nous faut enfin saisir l’occasion de la fin programmée des concessions autoroutières, entre 2031 et 2036, pour déterminer ce que nous ferons du patrimoine de 194 milliards d’euros, payé à la fois par le contribuable et par l’usager, que nous aurons ainsi récupéré. Un moratoire est un excellent moyen de réfléchir sans pression excessive.
J’en viens au coût de cette mesure. Comme indiqué dans mon rapport je ne vois, en l’état de la jurisprudence, aucun obstacle constitutionnel à cette proposition de loi. Le législateur peut parfaitement invoquer l’intérêt général au sujet de la préservation de l’environnement, qui est un objectif à valeur constitutionnelle.
Un moratoire remet cependant en cause des contrats, et l’État se verra contraint pas la loi d’indemniser les contractants. Le montant qu’il devra verser ne peut être évalué pour l’instant mais devrait sans doute atteindre quelques milliards d’euros compte tenu des coûts d’arrêt et de mise en sécurité des chantiers, ainsi que des pertes d’exploitation. Cette somme sera peut-être jugée exorbitante. Pour ma part, je la rapproche du coût croissant de la réparation des dégâts dus aux catastrophes naturelles, auquel j’ajoute le coût exorbitant – 15 à 17 milliards d’euros par an – de l’entretien des routes. Enfin, la suspension des projets non engagés permettrait également 17 milliards d’économies. Notre proposition est donc tout à fait raisonnable.
Je souhaite rendre hommage aux milliers de citoyens qui jouent dans notre pays le rôle de lanceurs d’alerte, en dépit d’une répression folle. Comme nous l’avons encore constaté lors des auditions, ils démontrent leur expertise croissante et leur sens du bien public. Les écouter nous grandirait. Je vous engage, chers collègues, à voter ce moratoire soutenu, selon un sondage, par 66 % de la population. Il sera la première étape d’une politique de transport à la hauteur des enjeux de notre siècle.
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Nous en venons aux orateurs des groupes.
M. Matthieu Marchio (RN). Les masques tombent. Grâce à cette proposition de loi on comprend mieux votre projet, madame la rapporteure : celui d’un écologisme de la décroissance qui vise à revenir sur tout ce qui permet le développement économique de nos territoires. Votre proposition, d’une grande radicalité et d’une grande brutalité, propose d’arrêter tout net le développement des routes et autoroutes, alors même qu’un réseau routier modernisé est indispensable pour relier certaines zones géographiques isolées, dynamiser l’économie locale et soutenir l’attractivité de nos territoires. Dans de nombreuses régions, notamment celles qui sont enclavées, les autoroutes sont bien plus qu’une simple voie de circulation : elles sont le lien essentiel qui permet aux populations d’accéder à l’emploi, aux services publics et aux opportunités de développement économique.
En suspendant les autorisations de construction d’infrastructures routières, vous condamnez nos concitoyens à renoncer à l’amélioration de leurs conditions de vie, ainsi qu’à l’accès à l’emploi. Vous renforcez l’isolement de territoires déjà en grande difficulté. Les transports collectifs que vous proposez de renforcer sont en réalité absents de nombreuses zones rurales, où leur déploiement prendrait des décennies. Ce moratoire mettrait donc un frein brutal au développement des territoires.
Notre rôle, en tant que députés, consiste à trouver un équilibre entre la préservation de l’environnement, qui est un enjeu majeur, et les besoins des Français en matière de mobilité et de développement économique. Plutôt que de bloquer toute modernisation des infrastructures routières, il serait bien plus pertinent de promouvoir des solutions innovantes et écologiques pour réduire l’impact environnemental de ces projets, par exemple en intégrant des infrastructures vertes. Il faut également investir massivement dans le ferroviaire pour proposer d’autres modes de déplacement et de transport de marchandises, via le fret. Nous devons construire une transition écologique intelligente, qui tienne compte des réalités des territoires et respecte les besoins de mobilité de tous les Français.
Contrairement à ce que vous dites, madame la rapporteure, les avis contenus dans votre rapport militant ne vont pas dans le sens de ce qu’attend la population. Vous démontrez une nouvelle fois la profonde déconnexion de la gauche avec nos territoires. Dans les zones rurales et périurbaines, en particulier, la mobilité repose sur des infrastructures routières de qualité. Ce moratoire risquerait d’aggraver les fractures territoriales : notre groupe s’y opposera donc fermement.
M. Jean Terlier (EPR). Nouvelle législature, mais toujours le même acharnement des députés de La France insoumise contre les projets routiers et contre le chantier de l’autoroute entre Castres et Toulouse. Ne nous y trompons pas, en effet : si cette proposition de loi propose un moratoire sur les grands projets autoroutiers et routiers, l’exposé des motifs concentre très largement ses critiques sur cette autoroute – qui n’est d’ailleurs plus en projet, madame la rapporteure, mais en chantier, et dont la mise en circulation devrait intervenir fin 2025.
En suspendant pour une durée de dix ans la délivrance des autorisations environnementales, nouvelles et déjà acquises, l’article premier entend mettre un coup d’arrêt brutal à l’ensemble des projets de construction d’autoroutes et de voies rapides à deux fois deux voies. La PPL s’expose ainsi à la censure du Conseil constitutionnel car elle bafoue manifestement la garantie des droits consacrés par l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Une loi ne peut s’appliquer de manière rétroactive pour modifier des règles juridiques déjà établies, à moins que cela ne soit justifié par un motif d’intérêt général suffisant – ce qui n’est pas le cas en l’espèce. La PPL suspendrait en effet des autorisations déjà délivrées, portant atteinte aux droits légalement acquis des concessionnaires, comme la société Atosca dans le cas de l’autoroute A69.
La PPL s’expose également à la censure du Conseil constitutionnel en raison de son caractère antidémocratique : en effet, elle ne respecte pas le processus de concertation et la volonté des citoyens manifestée tant par les élus que lors des consultations électorales. Le chantier de l’A69 est le fruit d’une concertation approfondie avec les élus locaux – maires, communautés de communes, département du Tarn et région – et la population. Les dernières élections municipales, départementales, régionales et législatives ont systématiquement abouti à la victoire d’un candidat favorable à l’autoroute.
Cette proposition de loi voudrait nous imposer un moratoire alors que la commission d’enquête sur l’A69, lancée à grand renfort de communication par le groupe écologiste et aujourd’hui relayée par La France insoumise, a d’ores et déjà traité tous les procès d’intention des opposants au projet. Le texte repose sur des constats techniques erronés. S’agissant de l’impact sur la biodiversité et l’environnement, des mesures compensatoires environnementales ont été intégrées au chantier. Pour la première fois dans le cadre d’un tel projet, un comité de suivi des compensations environnementales a d’ailleurs été mis en place, réunissant le concessionnaire, l’État et les organisations non gouvernementales.
De surcroît, la charge financière pour l’État et pour les collectivités territoriales, liée à l’indemnisation des concessionnaires concernés, a manifestement été sous-estimée. L’instauration du moratoire entraînerait ainsi, pour le seul projet de l’autoroute A69, un surcoût estimé à près de 500 millions d’euros pour les finances publiques.
Cette proposition de loi arrêterait le développement des voies rapides en France, négligeant les besoins de mobilité croissants de la population. Ne vous en déplaise, tout le monde ne peut pas utiliser le vélo, la trottinette électrique ou le métro pour se déplacer. Dans les départements ruraux, des millions de Français sont obligés d’utiliser quotidiennement leur voiture. Les habitants du Castrais et du Mazamétain sont dans ce cas, qui attendent l’autoroute A69 depuis trente ans.
M. Sylvain Carrière (LFI-NFP). Au nom du groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire, permettez-moi de vous remercier, madame la rapporteure, pour le travail que vous avez réalisé. Cette proposition de loi soulève une question d’intérêt général : faut‑il continuer à construire des autoroutes de manière désorganisée dans l’ensemble du territoire, au bon vouloir des sociétés concessionnaires, ou faut-il au contraire commencer à statuer, de façon démocratique et transparente, sur le caractère véritablement nécessaire de ces projets ?
C’est ce que propose le présent texte : statuer sur la nécessité des projets routiers et autoroutiers et sur le caractère démocratique des décisions dont ils ont fait l’objet. Alors que les transports sont à l’origine de 32 % des émissions de gaz à effet de serre, que 15 millions de personnes sont aujourd’hui en situation de précarité mobilité, qu’il existe déjà 1 million de kilomètres de routes, que le Haut Conseil pour le climat (HCC) alerte sur la non-prise en compte du trafic induit dans les études préalables, que l’Autorité environnementale alerte sur le caractère archaïque des critères environnementaux depuis vingt ans, et alors enfin que le fret ferroviaire est en cours de liquidation, les pouvoirs publics soutiennent et encouragent des projets écocidaires inutiles et extrêmement coûteux !
Pire, ils participent au mensonge d’État qui opacifie les externalités négatives de la route – la congestion, les maladies cardiovasculaires, la destruction des terres arables et de la biodiversité. C’est le cas de l’emblématique A69, projet d’envergure et inutile datant du siècle dernier, finalisé en 2006 par le lobbyiste Pierre Fabre, le ministre des transports de l’époque et le commissaire européen aux transports. Ce projet va détruire près de 400 hectares de terres agricoles fertiles et de zones humides. Il aveugle l’ensemble des soutiens politiques au prétexte qu’il pourrait avoir un effet positif sur l’économie locale, alors qu’un report modal pourrait se faire vers la ligne de chemin de fer existant déjà le long du tracé. De la même façon, la construction du contournement ouest de Montpellier réduirait à néant les bénéfices obtenus grâce aux efforts réalisés au sein de la métropole. Les habitants qui ne pourront plus se déplacer à cause de la zone à faibles émissions mais verront une autoroute construite dans leur jardin apprécieront.
Ce moratoire sur les projets routiers et autoroutiers vise à mettre un terme à ce chaos. Non, les nouvelles autoroutes ne sont pas des projets d’intérêt général. La question posée par cette proposition de loi est simple : êtes-vous pour la poursuite de ces projets inutiles qui ne prennent pas en compte les externalités négatives de la route – le collectif La Déroute des routes en recense plus d’une cinquantaine – ou voulez-vous appuyer sur le bouton pause, le temps que ces projets soient réévalués en tenant compte des enjeux sociaux et environnementaux ?
M. Peio Dufau (SOC). Je suis convaincu, après avoir assisté aux auditions organisées par la rapporteure pendant une semaine, qu’un moratoire sur les infrastructures routières doit être sérieusement étudié. Pour les experts interrogés, la politique actuelle du cas par cas est une non-politique qui continue de favoriser la route comme moyen de transport principal en France, rendant toujours plus difficile le développement d’alternatives. Au vu des engagements de la France dans la lutte contre le réchauffement climatique, il est urgent d’agir pour arrêter la construction d’infrastructures routières.
Pendant l’examen du projet de loi de finances (PLF), notre groupe a défendu une vision centrée sur les transports du quotidien, sur le fret ferroviaire et sur la rénovation du réseau ferré, dans le but de favoriser un report modal massif de la route vers le rail. Cette vision est incompatible avec le développement de nouveaux projets d’aménagements autoroutiers qui renforcent encore la place du camion par rapport aux alternatives plus propres. Même si elle permet un gain de temps pour les utilisateurs dans un premier temps, chaque nouvelle autoroute ne fait que repousser le problème : ces infrastructures génèrent un trafic induit, qui annihile les efforts de décongestionnement et réduit les gains de temps. Pire : les experts montrent que les temps de transport ne baissent pas mais que les utilisateurs vont tout simplement plus loin et plus fréquemment. Le bilan carbone est donc largement défavorable.
Enfin, les avantages économiques avancés sont loin d’être systématiques et pourraient souvent être obtenus grâce à des stratégies différentes, basées sur des transports propres et des mesures ciblées. Nous devons collectivement affirmer que les grands projets autoroutiers appartiennent au passé. Cette proposition de loi peut servir de base à une réflexion sur un moratoire et nous pousser à travailler un certain nombre de mesures qui pourront transformer notre modèle de mobilité.
Il faut redéfinir les processus de décision concernant les grands projets d’infrastructures pour cesser de faire primer les prétendus gains de temps sur la préservation d’un monde vivable. Il convient aussi d’inscrire les infrastructures de transport dans une politique d’aménagement du territoire qui rompe avec l’étalement urbain, lequel condamne nos concitoyens à des trajets toujours plus longs. Des alternatives doivent être systématiquement étudiées et leur impact chiffré. Nous devons aussi créer un nouveau modèle de gestion des routes pour remplacer l’aberrant système des concessions autoroutières, qui remplit les poches d’acteurs privés tout en interdisant une vraie politique de taxation des transports routiers de marchandises. Enfin, une politique de financement des infrastructures ferroviaires doit être définie, notamment pour les petites lignes : sans celles-ci, nos concitoyens des zones rurales se retrouvent dépendants de la voiture pour leurs trajets quotidiens.
Nous espérons que cette proposition de loi ouvrira la voie à un travail en commun pour sortir du cercle vicieux du tout-routier, lequel expose notre société à des catastrophes écologiques dans les années à venir.
Mme Christelle Petex (DR). On pourrait aborder ce texte comme une proposition de loi d’appel, à l’image de ces amendements, souvent de guingois, dont les signataires eux-mêmes ne souhaitent pas forcément l’adoption et qui sont retirés avant le vote parce qu’ils n’ont pour but que d’ouvrir la discussion. Au fond, la justesse et la recevabilité des dispositions qu’ils proposent importent peu : l’essentiel, c’est l’exposé des motifs. Ils constituent un curieux renversement de notre pratique parlementaire mais ont le mérite, selon leurs défenseurs, de permettre l’évocation de sujets que l’on voudrait parfois taire.
Je préférerais supposer que cette PPL est ce type de texte, n’osant croire qu’autant de députés de la République souscrivent réellement au dispositif introduit en son article premier. Se trouve-t-il vraiment des dizaines de parlementaires pour adhérer à cette entreprise d’un simplisme confondant et d’un dirigisme révoltant mais qui, comme naguère, entend imposer ses vues les plus radicales au nom d’un d’idéal que l’on ne saurait contester ?
Ceux qui auraient à pâtir de l’application de ce moratoire comptent infiniment moins que la vertu dont peuvent se parer ses signataires. Les usagers de la route, les ruraux, les enclavés et les travailleurs en transhumance quotidienne paraissent bien loin, à la lecture de votre texte, madame la rapporteure. C’est étrange car, pour ma part, je les côtoie au quotidien ; ils sont nombreux, en tout cas en Haute-Savoie. Notre territoire est-il si différent des autres ? Je ne le crois pas.
Pour vous, le mieux serait peut-être que tous ces Français n’existent pas ; cela simplifierait grandement la tâche. Dans votre proposition de loi en tout cas, c’est tout comme : pas une seule fois il n’y est fait mention de ces Français-là. Vous prétendez faire la transition écologique pour le peuple mais vous la rêvez systématiquement sans lui. Les chiffres et constats que vous avancez pour justifier votre approche brutale sont bel et bien alarmants. Mais le déclin de notre biodiversité, auquel je suis particulièrement sensible, ne saurait servir de caution aux politiques les plus inégalitaires et aux projets les plus oublieux des réalités locales, plus souvent subies que souhaitées, qui font le quotidien des Français.
L’accessibilité des zones rurales enclavées, l’attractivité des territoires pour les entreprises, la lutte contre la congestion du trafic en zone urbaine, les conséquences brutales pour le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) : tout est passé sous silence. Ce sont sans doute pour vous des considérations secondaires. Avec mes collègues de la Droite républicaine, nous considérons à l’inverse que c’est précisément le juste équilibre entre l’ambition d’une politique publique et la nature de ses répercussions sur les conditions de vie des Français qui détermine le bien-fondé des propositions parlementaires ou gouvernementales. C’est avant tout pour cette divergence fondamentale que nous nous opposerons à ce texte.
Mme Marie Pochon (EcoS). « La bagnole, moi, je l’adore ! ». Voilà une déclaration un brin populo, bien irresponsable, tenue par le président de la République en septembre dernier. Plutôt que de mépriser la terre entière avec tant de démagogie, il aurait mieux fait de tout mettre en œuvre pour planifier la transition écologique du secteur des transports, responsable à lui seul de 32 % des émissions de gaz à effet de serre de la France – dont 95 % dus au seul transport routier – afin que chacun, dans ce pays, puisse se déplacer librement.
Pour vous, peu importe que les alertes écologiques et climatiques commandent de cesser les mégaprojets routiers. Avec 16,3 kilomètres de routes pour 1 000 habitants, notre réseau routier est pourtant déjà le plus dense au monde.
Peu importe que notre rythme d’artificialisation des terres naturelles riches en biodiversité soit le plus soutenu à l’échelle européenne, que l’on vole des terres agricoles au mépris de l’impératif de souveraineté agricole et alimentaire : après tout, demain, on pourra importer ce dont on a besoin du Brésil.
Peu importe, aussi, les chiffres glaçants de la fracture qui est en jeu : pendant que vous pérorez avec vos amis de la droite et de l’extrême droite sur le désenclavement à coups de kilomètres de bitume, 2 millions de voitures circulent sur les routes de France sans contrôle technique et 40 % des Français renoncent régulièrement à des rendez-vous, faute d’en avoir les moyens. Peu importe que nos jeunes et nos aînés ne puissent pas conduire, que nos campagnes soient condamnées au tout-voiture, que le prix des carburants, des réparations, de l’assurance flambe : qu’on puisse faire le plein ou pas n’est plus votre problème.
Au cours des vingt dernières années, vous avez sciemment décidé d’agrandir de 15 % le réseau routier et de démanteler d’autant le réseau ferroviaire : les transports en commun – trains, bus, navettes –, étaient moins prioritaires que vos petits deals bien mal ficelés avec Vinci ou Eiffage.
Chez moi, des touristes louent des voitures de course le week-end pour dévaler sur les routes sinueuses et sublimes du Vercors. Les habitants des villages qu’ils traversent, eux, ont dû s’organiser pour conduire bénévolement un véhicule à la demande afin d’emmener nos aînés à leurs rendez-vous médicaux dans la vallée.
Chez moi, on galère à installer de jeunes agriculteurs pour reprendre des fermes, tant les terres agricoles se font rares. Pourtant, on continue d’investir des montagnes d’argent public dans des projets absurdes décidés il y a trente ans, qui détruisent des hectares de terres agricoles fertiles pour gagner cinq minutes de temps de trajet.
Chez moi, les habitants demandent plus de démocratie : ils voudraient être écoutés, mais les procédures de consultation sont de moins en moins nombreuses. Et pendant qu’on déplore l’arrêt des financements pour le retour à l’emploi, l’accessibilité des logements, les associations de solidarité, on injecte l’argent du contribuable à coups de milliards dans des projets dépassés.
Nous saluons le texte ici proposé – avec ma collègue Christine Arrighi, nous avons d’ailleurs déposé une proposition de loi similaire – et le voterons donc, car il est un préalable nécessaire à toute politique écologique et sociale de service public de transport digne de ce nom, à l’opposé de la privatisation rampante du secteur routier, fait de routes payantes, de voitures individuelles, de crédits et d’assurances hors de prix, et de destruction écologique.
M. Mickaël Cosson (Dem). Je vous remercie de nous offrir l’occasion d’échanger sur les conséquences des infrastructures routières sur l’environnement et le climat, sujet qui mérite une attention particulière.
Les chiffres sont clairs : les infrastructures de transport sont responsables à elles seules de 28 % de l’artificialisation des sols, qui a augmenté de 72 % entre 1982 et 2018, et elles favorisent l’usage des véhicules individuels, responsables de 15,7 % des émissions de gaz à effet de serre. Au regard de l’urgence climatique, ce modèle d’expansion routière n’est évidemment plus tenable à grande échelle.
Cependant, l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN) entraînera de fait, à terme, une réduction majeure du nombre de projets routiers, même si, à la demande de nombreuses collectivités, la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « climat et résilience » a été légèrement assouplie en 2023.
La liste des projets considérés d’intérêt général majeur, annexée à l’arrêté relatif à la mutualisation nationale de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers des projets d’envergure nationale ou européenne d’intérêt général majeur, publié cet été, montre bien qu’il s’agit essentiellement de projets routiers, souvent très ciblés, que les collectivités tiennent à finaliser parce qu’elles savent combien ils sont attendus par leurs concitoyens. C’est le cas du contournement de Froidmont-Cohartille, dans l’Aisne, par la route nationale 12, de l’autoroute A69 entre Toulouse et Castres, soutenue par les élus locaux de tous bords, et qui doit permettre de désenclaver une région éloignée des grands axes, ou encore du passage à deux fois deux voies de la RN12 entre Alençon et Paris, pour favoriser le développement économique de l’Orne. Il est essentiel de reconnaître que les collectivités territoriales, au plus proche du terrain, sont les mieux placées pour définir les priorités d’aménagement de leur territoire.
Au-delà des gains de temps qu’ils permettent, certains projets répondent à des enjeux locaux de sécurité et de qualité de vie. Par exemple, 4 000 à 5 000 poids lourds empruntent chaque jour la RN141 entre Limoges et Angoulême, un trafic source de nuisances et de dangers pour les habitants des villages traversés, comme Roumazières. Le taux de mortalité sur les routes nationales hors agglomération peut monter jusqu’à 59 %, contre seulement 9 % sur les autoroutes : le passage à deux fois deux voies d’un axe existant vise souvent à sécuriser les dépassements sur des routes très accidentogènes, donc à sauver des vies.
Si la sobriété des aménagements routiers est indispensable, un moratoire strict risquerait de pénaliser les territoires et de nuire à la sécurité de nos concitoyens. Aujourd’hui, ce sont bien les acteurs locaux qui décident de réaliser des aménagements routiers – souvent, d’ailleurs, à l’issue d’une réflexion de plusieurs années. Cette proposition de loi nous semble donc à la fois artificielle et irrespectueuse des élus locaux.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Démocrates ne la soutiendra pas.
Mme Anne-Cécile Violland (HOR). Aujourd’hui, 53 % des émissions de GES sont liées à l’usage de la voiture, et les infrastructures routières entraînent une importante artificialisation des sols – en particulier des terres agricoles. Or un sol artificialisé devient un espace stérile pour la biodiversité, n’est plus en mesure de capter de CO2 et contribue directement au dérèglement du cycle de l’eau. Les conséquences dramatiques du transport routier sur l’environnement nous ont conduits à prendre, ces dernières années, des engagements et mesures forts pour développer davantage la multimodalité et les mobilités vertes au quotidien.
Le volet mobilités des contrats de plan État-région (CPER) pour les années 2023 à 2027 prévoit ainsi un engagement financier de l’État de 8,6 milliards d’euros, en hausse de 50 % par rapport au précédent CPER, dont plus des deux tiers sont consacrés au transport ferroviaire et aux transports collectifs. En particulier, les 800 millions d’euros consacrés aux services express régionaux métropolitains (Serm) doivent permettre d’améliorer la desserte des territoires et de définir une stratégie locale de déploiement des RER métropolitains. Pour la première fois, les CPER prévoient également un soutien de 200 millions d’euros aux véloroutes, pour favoriser la création d’infrastructures cyclables. Parallèlement, afin de favoriser les modes de transport décarbonés, l’enveloppe consacrée aux opérations routières a été réduite à 1,6 milliard d’euros, contre 3,3 milliards pour les années 2015 à 2022.
Le groupe Horizons et indépendants estime qu’imposer un moratoire de dix ans dans l’ensemble du territoire national reviendrait à faire fi des singularités et de la pertinence propres à chaque projet. Cela ne saurait se faire qu’au mépris des projets déjà engagés et des processus de décision à l’échelle locale.
Venez en Haute-Savoie, département de montagne très majoritairement rural, et en particulier dans ma circonscription très enclavée du Chablais : vous verrez que l’autoroute est indispensable pour y maintenir une dynamique économique et touristique, et y garantir la santé environnementale.
M. Stéphane Lenormand (LIOT). Comme vous, nous considérons que les grands projets autoroutiers ne doivent plus être la norme et que l’avenir doit se concentrer davantage sur le développement du ferroviaire et l’entretien du réseau existant. Mais si nous souscrivons à la nécessité de faire évoluer notre approche en matière de politique des transports, nous estimons que tout projet autoroutier n’est pas par nature mauvais et à bannir, et défendons une approche décentralisée : l’aménagement doit être pensé par et pour ceux qui vivent dans les territoires.
Ceux qui vivent dans les territoires périphériques le savent bien : la création d’une autoroute ou d’une route à deux fois deux voies est souvent le meilleur moyen de désenclaver les circonscriptions particulièrement isolées et d’en améliorer l’accessibilité, facteur déterminant pour soutenir le développement économique local. Ces projets peuvent aussi être bénéfiques pour les petites communes qui sont traversées par des axes empruntés par les poids lourds. Au-delà des nuisances sonores et de la pollution atmosphérique, ce trafic augmente le risque d’accidents pour les piétons et cyclistes.
Il n’en reste pas moins nécessaire de minimiser le nombre de projets routiers, et de tenir compte de leurs conséquences environnementales et du surcroît de trafic qu’ils induisent. C’est le rôle des évaluations socio-économiques et des études environnementales menées dans le cadre des déclarations d’utilité publique ou des déclarations d’autorisation environnementale, qui permettent de vérifier la pertinence d’un projet pour le territoire.
C’est en adoptant une approche pragmatique, en analysant au cas par cas les enjeux des projets, et en faisant confiance aux élus locaux et aux populations concernées que nous parviendrons à un aménagement pertinent et accepté localement. En l’état, le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT) ne soutiendra pas cette proposition de loi.
M. Édouard Bénard (GDR). À l’image du texte déposé par le groupe Écologiste et social à l’initiative de Christine Arrighi mi-octobre, cette proposition de loi s’inspire d’une proposition formulée dès 2022 par le collectif La Déroute des routes. Elle a le mérite de mettre en avant l’absence de politique nationale d’aménagement du territoire cohérente avec nos objectifs climatiques et les enjeux de préservation de l’environnement, et de souligner que la plupart des projets routiers et autoroutiers actuels répondent à des logiques totalement étrangères à l’intérêt général.
Je vais prêcher pour ma paroisse – ou plutôt, ma circonscription : il faut, surtout, trouver un dispositif qui permette de faire enfin entendre la voix des acteurs concernés au premier chef. Voilà bien trop longtemps que l’avis des élus locaux – maire, élus des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et de la métropole –, des agences environnementales, des acteurs économiques et des parlementaires opposés au pseudo-contournement est de Rouen est simplement consultatif.
Si on part du principe que les routes ne sont pas de simples infrastructures, mais répondent à des choix d’aménagement visant à pallier des organisations socio-économiques préjudiciables à la qualité de vie de nos concitoyens, l’idée d’instaurer un moratoire semble justifiée.
Néanmoins, cela empêcherait la réalisation de certains projets non autoroutiers répondant à des préoccupations d’intérêt général. L’élargissement de voies existantes, par exemple, peut avoir des conséquences moins préjudiciables pour l’environnement et la population que le statu quo ou le report de trafic vers d’autres axes routiers – je pense notamment au passage à deux fois deux voies de l’axe Rennes-Loudéac-Carhaix, ou encore de la route entre Montluçon, Moulins et Mâcon, particulièrement accidentogène. En outre, interrompre tous les travaux pendant dix ans et renoncer à l’exécution des autorisations déjà délivrées nécessiterait probablement l’indemnisation des bénéficiaires de ces autorisations par les collectivités publiques, sans que nous ayons une idée du montant en jeu. Enfin, comme mon collègue Jean-Victor Castor le fera sûrement remarquer s’agissant en particulier de la Guyane, ce texte ne prend pas en considération la réalité des mobilités propre à chaque territoire.
Il reste urgent d’imposer un débat public sur la planification des besoins en matière d’infrastructures de transport à l’échelle du pays et des collectivités territoriales. Nous devons également renforcer les moyens alloués à l’autorité environnementale pour garantir son indépendance. Enfin, il faut prendre davantage en considération les connaissances scientifiques en amont des autorisations, et impliquer davantage les citoyens, notamment à travers la généralisation de la médiation environnementale.
Désireux que le débat sur tous ces sujets puisse se tenir dans l’hémicycle dans le cadre de la niche de la France insoumise, nous voterons pour cette proposition de loi.
M. Éric Michoux (UDR). Cela ne vous surprendra pas, le groupe UDR s’oppose résolument à cette proposition de loi outrancière, caricaturale, et démagogique – à l’image de la France insoumise, en somme.
Je vais parler avec mon cœur : certains territoires de la Bourgogne, comme le Brionnais ou le Charolais, sont particulièrement enclavés. Sans l’énorme projet engagé il y a trente ans, et qui ne sera pas achevé avant au moins dix ans, des dizaines de milliers de personnes ne pourraient y vivre aujourd’hui. Tout le monde déplore la désertification, notamment médicale, dans les territoires ruraux : justement, heureusement que ces gros projets existent ! On n’est pas ici pour écrire la politique des trottinettes, mais pour faire vivre les territoires ruraux. On se battra contre votre proposition de loi idéaliste.
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Nous en venons aux questions des autres députés.
Mme Karen Erodi (LFI-NFP). Je tiens à remercier la rapporteure de défendre l’idée d’un moratoire sur les projets autoroutiers. En tant que députée du Tarn, permettez-moi de revenir sur le cas, emblématique, de l’A69.
Certains, ici, osent justifier ce projet au nom d’une stabilité juridique, sociale et économique. Mais comment parler de stabilité juridique, alors que plusieurs nous sommes en présence de sujets aussi graves que des atteintes à des sites classés, de faux et usages de faux, d’irrégularités dans la durée du contrat de concession ? Comment parler de stabilité sociale quand 90 % des participants à l’enquête publique sont opposés à ce projet, que seuls 22 % des élus et 4 % des entreprises soutiennent ? Comment parler de stabilité économique quand il en coûtera 20 euros l’aller-retour aux travailleurs d’emprunter ce tronçon de 53 kilomètres, pourtant largement financé par de l’argent public, et que nos agriculteurs ont été spoliés de 400 hectares de terres fertiles ? S’agit-il ici d’assurer plus de stabilité, ou juste de défendre des intérêts économiques privés ? Madame la rapporteure, que pensez-vous d’incohérences aussi flagrantes ?
Mme Nathalie Oziol (LFI-NFP). Je voudrais évoquer un cas d’école : le contournement ouest de Montpellier, une autoroute de 6 kilomètres visant à relier les deux autoroutes existantes, l’A750 et l’A709, en passant par Montpellier. Issu d’un partenariat entre l’État et Vinci, ce projet, qui ne compterait pas moins de dix voies, est d’abord un désastre écologique. Cela n’a pas empêché la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) Occitanie de conclure audacieusement, dans son étude d’impact, à des conséquences positives sur le climat et la baisse des émissions de CO2 – on parle pourtant, je le répète, de faire passer tout le trafic routier par la métropole de Montpellier !
Ce projet est le fruit de politiques vieilles de trente ans : soyons ambitieux et tournons-nous plutôt vers des alternatives écologiques, en renforçant les investissements dans les politiques de transports publics.
Il y a également un enjeu de transparence.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Pour ma part je ne parlerai pas avec mon cœur mais avec ma tête, c’est-à-dire en m’attachant aux données scientifiques, qui attestent un effondrement de la biodiversité et confirment que nous avons déjà dépassé six des neuf limites planétaires.
D’autres, en Europe, se sont déjà engagés dans cette voie : le vice-ministre de l’économie et des transports du Pays de Galles a décidé d’abandonner la construction de projets routiers et autoroutiers jugés totalement irresponsables, et les autorités suisses organiseront prochainement un référendum sur l’abandon ou, à tout le moins, la suspension, de tels projets.
Ces projets sont fondés sur des études et une vision du monde vieilles de plus de vingt ans. Sans renoncer à tout, il est donc temps, en responsabilité, de réexaminer leur pertinence.
Mme Anne Stambach-Terrenoir, rapporteure. Les exemples cités par Mme Erodi et Mme Oziol illustrent bien toute l’absurdité de ces projets pensés à une autre époque, et qui ne sont plus du tout adaptés au contexte actuel – ce qui n’est pas sans poser des problèmes d’acceptabilité par la population.
Comme Mme Arrighi l’a souligné, d’autres pays européens, comme le Pays de Galles ou les Pays-Bas, ont décrété des moratoires pour engager une réflexion sur leur politique routière.
Monsieur Marchio, vos propos me confirment que vous ne m’avez pas bien écoutée et que vous n’avez même pas jeté un œil à mon rapport : ce texte ne vise pas à empêcher le développement économique des territoires, mais, au contraire, à y améliorer la qualité de vie. Contrairement à une croyance très répandue qui nous vient de l’époque pompidolienne, il n’y a pas de lien entre le développement de l’activité économique et la présence de grosses infrastructures routières : au contraire, les urbanistes et les économistes des transports ont montré que les grands axes avaient plutôt tendance à vider l’activité économique des villages et petites villes au profit des grosses agglomérations, et nous le constatons tous dans nos territoires. C’est donc justement pour améliorer les conditions de vie de nos concitoyens des zones rurales, condamnés à utiliser leur voiture, que nous proposons de développer ou renforcer d’autres types de mobilités, comme le ferroviaire. Faute de changer de paradigme, on fonce droit dans le mur de la métropolisation à outrance – c’est-à-dire, d’une certaine manière, dans le déménagement pur et simple de certains territoires.
Monsieur Terlier, l’A69 ne constitue absolument pas le cœur de mon rapport – vous non plus n’avez pas dû le lire très attentivement : ce n’est que le point de départ de ma réflexion. Cet exemple est emblématique de ce qu’on ne peut plus faire : tous les voyants étaient au rouge ! Pas moins de 2 000 scientifiques ont appelé à arrêter le massacre, ce n’est pas anodin. Nous devons vraiment apprendre à écouter davantage la communauté scientifique.
Quoi qu’il en soit, vous en parlez comme d’un chantier achevé, mais c’est loin d’être le cas : les nombreux problèmes rencontrés ont entraîné de gros retards – encore récemment, on a découvert qu’un pont n’était pas construit au bon endroit, et il a fallu tout recommencer –et à peine la moitié du projet a été réalisée à ce stade. Bref, on n’est pas rendus !
Par ailleurs, sans préjuger de l’avis du Conseil constitutionnel, l’existence d’autorisations déjà délivrées ne fait a priori pas obstacle à la constitutionnalité du texte. Le Conseil constitutionnel l’a lui-même rappelé par le passé, arguant par exemple dans sa décision du 17 septembre 2015 relative à la mise sur le marché de produits contenant du bisphénol A, qu’il « n’appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de remettre en cause, au regard de l’état des connaissances, les dispositions prises par le législateur ». Au reste, la proposition de loi vise à préserver l’environnement, un motif d’intérêt général jugé suffisant pour justifier sa constitutionnalité.
Contrairement à ce que vous semblez penser, les mesures compensatoires des atteintes à la biodiversité, lorsqu’elles sont effectivement réalisées – les auditions ont montré qu’elles ne l’étaient que dans un tiers des cas – sont loin d’avoir des résultats fabuleux. Selon l’ingénieur écologue Jacques Thomas, rencontré ce week-end au château de Maurens-Scopont, où je me suis rendue ce week-end avec Karen Erodi, elles peuvent même être totalement inopérantes si le fonctionnement de l’écosystème détruit – en l’espèce, une zone humide – a été mal compris. Vous qui vivez dans ce territoire, monsieur Terlier, vous n’aurez pas manqué de remarquer l’importante inondation apparue le long du tracé il y a quelques semaines : un phénomène inédit à cet endroit, qui n’est évidemment pas étranger au terrassement et au remblai de cette zone.
Monsieur Carrière, monsieur Dufau – que je remercie tout particulièrement d’avoir suivi avec assiduité les auditions –, vous avez parfaitement résumé les enjeux de la proposition de loi : le développement des mobilités durables implique nécessairement d’arrêter le développement du réseau routier. Il faut investir dans autre chose, réfléchir autrement.
Comme vous l’avez souligné à juste titre, le gain de temps est le premier argument mis en avant pour justifier les gros projets d’infrastructures routières. Or les chercheurs sont unanimes : elles ne permettent pas de diminuer les temps de transport, mais seulement, dans le même laps de temps, d’aller plus loin. Comme je l’expliquais tout à l’heure, elles ne font donc que renforcer la désertification. En outre, en raison du contexte géopolitique, qui complique l’accès à la ressource énergétique, et du réchauffement climatique, la vitesse sur les routes sera certainement encore abaissée dans les années à venir, rendant cet argument caduc.
Madame Petex, nous ne faisons pas le même diagnostic de la situation, mais cela ne vous autorise pas à m’accuser de mépriser les populations. Je suis convaincue que l’organisation routière de notre pays condamne une partie des Français à utiliser leur voiture, alors même qu’elle représente un gouffre financier pour 79 % d’entre eux. Refuser de s’interroger sur la politique des transports actuelle et de développer une autre vision, c’est les condamner à subir cette situation.
Vous êtes nombreux à arguer que ces projets sont nécessaires localement. Tout le monde a beau s’accorder sur le fait qu’il faut diminuer l’usage de la voiture individuelle, réduire le trafic des poids lourds et tenir compte du changement climatique mais, en réalité, il y a toujours une bonne raison de réaliser un projet routier ! Sauf que ces projets, pensés il y a trente ou quarante ans, souvent sur la base de croyances erronées, sont généralement synonymes de promesses non tenues. Par exemple, le contournement de Strasbourg, inauguré en 2021, devait permettre de fluidifier le trafic : las, dès le lendemain de son inauguration, il était déjà saturé. Cette infrastructure a finalement conduit à une augmentation générale du trafic, notamment à cause du trafic induit.
Sans une politique globale qui prenne en compte tous les enjeux, nous sommes voués à perpétuer un système qui ne fait que déménager les territoires vers les plus grandes villes et consacre la prééminence des véhicules et de leur cohorte de conséquences négatives – pollution, émissions de gaz à effet de serre, utilisation faramineuse de matière, artificialisation de terres agricoles, naturelles, zones humides, destruction d’écosystèmes précieux. Le réchauffement climatique dépassera bientôt 1,5°, il atteindra 4° à l’horizon 2100. En France, en particulier, il est encore plus rapide que prévu. Pour des raisons écologiques, économiques et sociales, il est urgent d’engager une réflexion globale pour rendre nos mobilités plus vertueuses à l’avenir – d’où cette proposition d’instaurer un moratoire.
Madame Pochon, je vous remercie d’avoir souligné les difficultés rencontrées par les habitants des zones rurales, qui subissent la désertification de leur territoire et voient le réseau ferroviaire se réduire peu à peu alors qu’ils croulent sous les frais liés à l’utilisation de leur voiture – c’était un excellent contrepoint à l’intervention de Mme Petex. Il est important, vous l’avez dit, de préserver les terres agricoles. Or, en asséchant les sols à des kilomètres à la ronde, la construction d’une autoroute a des conséquences majeures sur l’activité de nos agriculteurs et notre souveraineté alimentaire.
Monsieur Cosson, la construction d’une infrastructure plus grande et plus rapide, comme une autoroute, ne saurait être la seule réponse à l’enjeu de sécurité routière : d’autres aménagements permettent de limiter le nombre d’accidents, comme l’installation d’un séparateur entre les deux voies de circulation. D’ailleurs, les accidents de la route sont avant tout dus au comportement des conducteurs – 32 % sont dus à une vitesse excessive, 29 % à la consommation d’alcool, sans parler de la consommation de drogue et du défaut de port de la ceinture de sécurité.
Madame Violland, non seulement les investissements dans le ferroviaire et les infrastructures dédiées au vélo sont globalement insuffisants par rapport aux besoins, mais l’État est en train d’abandonner le fret, ce qui provoque la mobilisation actuelle des cheminots – que je salue à cette occasion. Vous avez raison de dire que l’État investit moins pour la route, mais c’est parce qu’il a transféré la gestion d’une énorme partie du réseau routier aux collectivités territoriales et celle des autoroutes à des concessionnaires. Quoi qu’il en soit, je reste persuadée que si l’on continue à développer des projets routiers sans faire de pause, on ne peut pas penser un réseau ferroviaire de qualité, destiné à se substituer en partie au réseau routier pour avoir un système de mobilités durable dans le temps.
Monsieur Lenormand, c’est bien parce que tout projet n’est pas forcément négatif que je propose un moratoire et non pas une interdiction, afin de nous situer dans une perspective globale au lieu de poursuivre la réalisation de chantiers qui nous envoient droit dans le mur parce qu’ils ont été conçus il y a trop longtemps et qu’ils sont inadaptés à la situation actuelle. Appuyons sur pause et regardons. Certains projets se révéleront peut-être nécessaires, en complément d’une politique de transports collectifs digne de son nom. Mais commençons par appuyer sur pause parce que nous sommes allés trop loin en matière de projets routiers et autoroutiers. Quant à l’évaluation socio-économique, il en a été beaucoup question lors de nos auditions. Comme je l’ai déjà indiqué, le SGPI et l’Autorité environnementale s’interrogent sur la pertinence des critères utilisés pour ces évaluations et vont même jusqu’à les remettre en cause : le fameux critère de gain de temps écrase tout le reste ; il est d’autant plus compliqué de monétiser les enjeux environnementaux qu’ils sont toujours mal évalués par manque de moyens. Si je me réfère aux propos tenus par les représentants de ces institutions lors des auditions, je peux en conclure que l’on ne peut pas s’appuyer sur les évaluations socio-économiques pour déclarer qu’un projet est vertueux.
Monsieur Bénard, merci beaucoup de permettre le débat malgré les dissensions qui peuvent exister entre nous. Comme je l’ai déjà indiqué, je suis favorable à l’amendement de notre collègue Jean-Victor Castor sur la Guyane car j’ai bien conscience que ce territoire très particulier a besoin de routes, notamment pour des raisons de sécurité et de santé publique. La situation de la Guyane n’a rien à voir avec celle de la France hexagonale qui possède 1,1 million de kilomètres de linéaire routier, soit le réseau le plus dense d’Europe.
Monsieur Michoux, votre propos était particulièrement outrancier et un peu désobligeant. Je vais moi aussi vous parler avec mon cœur. Quand je vois les inondations catastrophiques qui ont frappé la région de Valence, cela ne me fait pas rire. En raison du réchauffement de la Méditerranée, de tels événements vont se multiplier, y compris chez nous. Nous avons tous vu les voitures amoncelées, les maisons détruites, les commerces balayés. La catastrophe a fait plus de 200 morts, et certaines personnes sont encore portées disparues. Or le réseau routier est impliqué à un double titre : il a sa part dans le réchauffement climatique qui provoque les pluies diluviennes ; il joue un rôle dans l’imperméabilisation des sols qui transforme ces pluies en inondations catastrophiques. Réfléchissons. Dans le contexte actuel, nous ne pouvons pas continuer à détruire des terres agricoles et naturelles pour construire du bitume et accroître l’imperméabilisation.
J’espère, chers collègues, vous avoir convaincus.
Article 1er : Moratoire sur les projets de construction d’autoroutes et de routes à deux fois deux voies
Amendements de suppression CD1 de M. Nicolas Ray, CD2 de Mme Danielle Brulebois, CD3 de M. Emeric Salmon, CD4 de M. Timothée Houssin, CD8 de M. Emmanuel Blairy, CD15 de M. Pierre Meurin, CD17 de M. Matthieu Marchio, CD22 de M. Jean Terlier, CD24 de M. Frédéric-Pierre Vos, CD31 de M. Emmanuel Fouquart et CD32 de M. Stéphane Mazars
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Je vous informe que ces amendements de suppression seront mis aux voix par scrutin avec appel nominal.
M. Nicolas Ray (DR). Plutôt que de les opposer, nous devons chercher à combiner tous les modes de transport, qu’ils soient routiers, ferroviaires, aériens ou maritimes. Votre proposition de loi ne suit pas cette logique car, extrêmement idéologique, elle fait de la route l’incarnation du mal absolu. Les infrastructures routières restent indispensables pour le désenclavement et le développement de nos territoires, pour permettre à nos populations de circuler et à nos entreprises d’être livrées, de commercer. Il faut bien sûr développer le fret ferroviaire, mais nous aurons toujours besoin de transports routiers pour le dernier kilomètre.
Nous devons aussi terminer les contournements, notamment celui de Vichy, qui sont indispensables pour désengorger certains axes dans les cœurs urbains. Nous devons aussi améliorer la sécurisation de notre réseau routier avec la mise à deux fois deux voies de certains axes comme la RN7 dans l’Allier et la Loire. C’est à notre grande satisfaction que l’autoroute A79 a été réalisée pour remplacer la fameuse route Centre-Europe Atlantique (RCEA) qui faisait de nombreux morts chaque année dans nos départements. Pour toutes ces raisons, je propose de supprimer cet article qui ne ferait que retarder des projets indispensables pour le désenclavement de nos territoires.
Mme Danielle Brulebois (EPR). Les autoroutes, qui font partie de la vie des Français, méritent plus que des raccourcis ou des débats simplistes. L’autoroute A39, par exemple, permet à beaucoup de Jurassiens d’aller au travail ou de faire leurs courses, et à l’activité économique de se développer dans la région. Rappelons aussi qu’il y a cinq fois moins d’accidents sur les autoroutes que sur les routes nationales ou départementales. Façonné il y a près de soixante-dix ans, ce modèle a beaucoup évolué, notamment en ce qui concerne les relations entre l’État et les acteurs autoroutiers.
À cet égard, la proposition de loi ne permet pas de discuter des actuels contrats de concession qui vont arriver à échéance entre 2031 à 2036. Le moratoire empêcherait la réalisation de travaux utiles, notamment dans le Jura où 2 500 camions traversent encore nos villages sur une nationale. Le prolongement de l’autoroute A391 permettrait l’accès au premier plateau jurassien et l’amélioration de la desserte du Haut-Jura – territoire très industriel – et des liaisons avec la Suisse, ce qui est indispensable. D’où mon amendement.
M. Emeric Salmon (RN). Pour ne pas être redondant avec la très bonne intervention liminaire de mon collègue Marchio, je vais vous parler de la Haute-Saône, un département sans gare TGV ni autoroute. À sa frontière avec le Doubs et le Territoire de Belfort, une ligne TGV et une autoroute relient Besançon à Belfort, en le longeant et en le narguant un peu. Résultat : la Haute-Saône perd des habitants, peine à attirer des entreprises et se développe au ralenti depuis de nombreuses années. Pour que le corps social de la Haute-Saône se structure, il faut un squelette, en l’occurrence les deux routes nationales, la RN 19 qui va de Langres en Haute-Marne à Belfort, et la RN 57 qui va d’Épinal dans les Vosges à Besançon. Malheureusement, plusieurs tronçons de ces deux routes nationales ne sont pas finalisés et sont toujours des deux fois une voie, notamment entre Vesoul et Lure, où la RN19 traverse les villages de Pomoy, Genevreuille et Amblans-et-Velotte. Les habitants, qui s’entendent promettre le contournement de ces trois villages depuis plus quarante ans, appellent ce tronçon « la route de la mort ». Avec votre proposition de loi, vous voulez tuer la ruralité en empêchant un développement économique. Je demande donc la suppression de cet article.
M. Timothée Houssin (RN). Cet article exige l’arrêt total des constructions d’autoroutes et des routes deux fois deux voies en France. Certains projets peuvent certes être nocifs et laisser sceptique, comme celui qui prévoit le contournement de Rouen par l’est grâce à la construction d’une nouvelle autoroute à péage de 40 kilomètres, qui va coûter 1 milliard d’euros d’argent public. Mais la proposition de loi de LFI, qui veut empêcher tout développement d’infrastructures, pèche par sa radicalité. Au RN, nous préférons un équilibre entre préservation de l’environnement et développement économique. Dans mon département de l’Eure, le projet de deux fois deux voies entre Évreux et les Yvelines, qui coûtait 200 millions d’euros pour gagner 2,30 minutes, a été annulé, ce qui relève du bon sens. En revanche, la proposition de loi de LFI est extrémiste, radicale, caricaturale au point que l’on peut se demander si elle est vraiment sérieuse. Elle interdit aveuglément tous les projets, y compris ceux qui sont utiles comme il peut y en avoir dans l’Orne ou dans la Haute-Saône de mon collègue Salmon. Vu le manque de sérieux de cette proposition, il ne nous semble pas nécessaire de l’étudier davantage : nous vous proposons de supprimer l’article 1er.
M. Emmanuel Blairy (RN). Nous aurions pu mettre 1 000 propositions sur la table, madame la rapporteure, pour parler de protection de la biodiversité, de lutte contre le réchauffement climatique et même de mobilité. La vôtre est coercitive, voire punitive. Du parti communiste au Rassemblement national, nous prêchons tous pour nos petites paroisses qui, à elles toutes, constituent la France. Quand vous avez indiqué que vous étiez favorable à l’adoption de l’amendement de Jean-Victor Castor qui vise à exclure la Guyane du champ d’application de ce texte, j’ai vu mes collègues de la Haute-Saône, des Bouches-du-Rhône, du Var, de l’Oise penser qu’ils ne voulaient rien d’autre pour leurs propres territoires. Excluons les territoires ruraux et même la France entière du champ d’application de ce texte brutal. Il est temps de penser aux Français qui vivent hors des grandes métropoles et qui ont besoin de ces routes pour vivre, travailler, prospérer. C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.
M. Pierre Meurin (RN). Madame la rapporteure, vous avez dénoncé une forme d’outrance dans certains propos, mais quoi de plus outrancier que cette proposition de loi ? C’est curieux ce besoin qu’a l’extrême gauche de nous faire perdre du temps avec des folies idéologiques sans la moindre nuance et mesure. Considérant qu’un automobiliste est condamné à l’usage de la voiture, vous allez condamner les habitants de la ruralité à faire trente kilomètres par jour à vélo pour aller au travail. Contrairement à ce que vous avez indiqué sur la sécurité, les infrastructures routières sont responsables d’un tiers des accidents mortels. Nous devons pouvoir agrandir nos routes et en construire de nouvelles. Dans mon département du Gard, la route nationale N106, une deux fois deux voies qui relie Alès à Nîmes, attend des travaux d’achèvement depuis près de trente ans. Alors que quelque 20 000 véhicules, dont 1 300 poids lourds, y circulent déjà chaque jour, ce nombre devrait atteindre 45 000 dans les années à venir. Si vous êtes attachée à la défense de l’environnement, vous devriez être favorable à ce qui permet de fluidifier le trafic car les bouchons accroissent la pollution. Il faut donc envoyer ce texte aux oubliettes. Par pitié, essayez d’arrêter de nous faire perdre du temps avec des propositions de loi parfaitement idéologiques qui condamnent nos territoires à l’enclavement et l’enfermement. Commençons par supprimer cet article.
M. Matthieu Marchio (RN). Les routes et autoroutes sont essentielles pour nos territoires. Vous proposez en quelque sorte d’enfermer nos concitoyens dans leurs villages, de les contraindre à vivre repliés sur eux-mêmes. C’est assez insensé ! Dans mon département du Nord, beaucoup de gens ont besoin de prendre une autoroute pour aller à Lille, ou d’emprunter l’autoroute A21, dite la rocade minière, pour aller travailler à Douai. Doivent-ils se déplacer à vélo ou en trottinette ? Même la gauche locale est favorable à la construction d’un nouvel échangeur sur l’autoroute A21, avec 350 emplois à la clef, pour désengorger un tronçon qui est toujours bloqué aux heures de pointe. Vous allez évidemment condamner un tel projet, ce qui est assez farfelu et contradictoire avec la position de la gauche locale – mais vous n’êtes pas à une contradiction près. Je demande évidemment la suppression de cet article qui nous renvoie au Moyen Âge par pure idéologie.
M. Jean Terlier (EPR). Assumez que cette proposition de loi est un texte contre l’autoroute A69, citée à plus de dix reprises dans l’exposé des motifs. Vous prétendez que le chantier n’ira pas à son terme alors que plus de 80 % des ouvrages sont en cours et que le concessionnaire annonce que l’ouverture de l’autoroute aura lieu fin 2025. Lors de la commission d’enquête, nous avons pu vérifier que les mesures compensatoires environnementales seraient respectées dans le cadre d’un suivi et d’un contrôle réalisés par l’État.
Votre proposition de loi est inconstitutionnelle. Le Conseil constitutionnel exige que la mesure envisagée soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant et proportionné à l’objectif poursuivi. Et selon la jurisprudence, il n’est pas possible de retenir une disposition consistant à priver instantanément de tout effet une autorisation délivrée légalement.
Votre proposition de loi, profondément antidémocratique, témoigne d’un mépris envers les populations locales. Depuis trente ans, les habitants de ce territoire du sud du Tarn et leurs représentants soutiennent massivement l’arrivée de cette infrastructure autoroutière : les élus locaux, la communauté d’agglomération Castres-Mazamet, le conseil départemental, la région Occitanie présidée par Carole Delga – je le signale aux collègues socialistes qui pourraient être tentés de voter pour cette proposition de loi. L’autoroute A69 a aussi été au cœur des débats lors des dernières législatives, et le candidat de la France insoumise, opposé au projet, est arrivé en troisième position.
Votre proposition de loi témoigne aussi d’un mépris de l’État de droit. Le projet a fait l’objet de plusieurs dizaines de recours demandant la suspension de la déclaration d’utilité publique ou de l’autorisation environnementale. À chaque fois, le tribunal administratif a estimé qu’il ne fallait pas suspendre les travaux. À travers votre moratoire, vous cherchez à contourner l’institution judiciaire, manifestant ainsi votre mépris de l’État de droit. Comme vous le savez très bien, des concertations ont eu lieu dans le cadre de la déclaration d’utilité publique et l’état d’enclavement a été reconnu par le Conseil d’État lors du recours au fond.
M. Frédéric-Pierre Vos (RN). Le collègue Terlier m’a enlevé une partie des arguments de la bouche. Vous voulez rejouer le match perdu devant les juridictions administratives. Sur Légifrance, vous trouverez le décret de 2018 avec la liste entière des organismes consultés en amont, y compris lors de l’enquête publique. La commission d’enquête et la Commission nationale du débat public (CNDP) ont émis un avis favorable. Le tout a été validé par ce décret pris en Conseil d’État. Vous êtes très intelligents, mais vous ne pouvez pas revenir sur tout le processus mis en place dans ce pays depuis plus de cinquante ans concernant l’impact de constructions sur l’environnement. Lors des enquêtes précitées, tous les arguments ont été échangés de part et d’autre sur le biotope et autres, avant le lancement des procédures d’expropriation. En application d’un principe général du droit, ces procédures d’expropriation sont d’ailleurs indépendantes de ce que vous voulez supprimer par votre moratoire : l’autorisation environnementale. Tous les recours devant le juge administratif ont effectivement été rejetés, mais, le 25 novembre prochain, le tribunal administratif de Toulouse va examiner la légalité de l’autorisation environnementale de l’autoroute A69. À partir de la semaine prochaine, vous pourrez consulter les conclusions du rapporteur public sur le site du tribunal administratif. En attendant, je vous invite tous à voter pour la suppression de cet article 1er qui est inconstitutionnel, délétère et infantile.
M. Emmanuel Fouquart (RN). Je propose de supprimer cet article qui revient à interdire toute construction de routes et d’autoroutes jusqu’en 2035. Il est certes louable de vouloir préserver la biodiversité et lutter contre l’artificialisation des sols, mais cette interdiction générale et absolue serait contre-productive : elle compromettrait les engagements de l’État dans les CPER et paralyserait les déplacements, notamment dans les zones industrialisées où le trafic routier continue de croître.
Prenons un exemple probant : le projet de contournement de Martigues et Port-de-Bouc, deux villes dirigées par le parti communiste depuis l’après-guerre. Identifiée comme indispensable depuis quarante-cinq ans, cette RN 568, une deux fois deux voies, est empruntée quotidiennement par 70 000 véhicules, dont un grand nombre de camions transportant des matières dangereuses qui traversent des quartiers sensibles et passent à proximité d’établissements scolaires. Ce trafic expose une partie des deux villes à des risques d’accidents et à une pollution sonore nocive – en moyenne 75 décibels. Inutile de dire que cette situation nuit gravement à la sécurité des habitants et à leur qualité de vie.
La suppression de cet article est d’autant plus justifiée que la région connaît un développement économique significatif, soutenu notamment par des projets de décarbonation industrielle dans la zone portuaire de Fos-sur-Mer, gérée par le grand port maritime de Marseille. Ces initiatives vont créer des milliers d’emplois et augmenter le trafic routier dans des proportions qui ne pourraient être absorbées par les alternatives ferroviaires proposées. Par conséquent, l’interdiction générale de construction routière mettrait en péril le développement industriel et écologique de ces territoires. La suppression de l’article 1er permettrait de concilier sécurité, développement économique et réduction des pollutions, autant d’objectifs que la proposition de loi s’est pourtant fixée.
M. Stéphane Mazars (EPR). Madame la rapporteure, j’aimerais vous convaincre que par certains aspects tels que l’enclavement, l’Aveyron est un peu la Guyane de l’Hexagone. Vous opposez les transports routiers et ferroviaires. Si je pouvais me rendre à Paris, Toulouse ou Montpellier de manière fiable et rapide par le train, je trouverais cela très bien. L’ennui, c’est que j’en suis loin. En temps de déplacement par le train, Rodez est le chef-lieu de France hexagonale le plus éloigné de Paris et aussi des capitales régionales.
Au-delà de l’enclavement de notre département, synonyme de déclin économique et démographique, il faut raisonner en termes d’aménagement du territoire, donc de création de voies de communication qui permettent aux gens de se déplacer. Mais si un seul argument pouvait trouver grâce à vos yeux, madame la rapporteure, retenez celui de l’accidentalité du tronçon de la RN88 qui relie Rodez et Sévérac-le-Château et à l’autoroute A9, qu’il faut mettre en deux fois deux voies. En cinq ans, de 2019 à 2023, on a déploré plus de quatre-vingts accidents sur ce linéaire de cinquante kilomètres, qui ont fait dix-sept morts et soixante blessés. Allez expliquer aux familles endeuillées que nous pouvons attendre encore dix ans avant d’envisager les travaux, alors que le projet fait l’unanimité de tous les acteurs locaux.
Nous sommes confrontés depuis trente ans à un vrai déni de démocratie locale. Ayez une lecture singulière pour chacun des projets et ne partez pas d’une position de principe à l’égard de territoires qui ne sont pas appréhendés comme ils devraient l’être.
Mme Anne Stambach-Terrenoir, rapporteure. Vos propos corroborent l’idée que je défends : tous les projets ne sont pas bons à jeter, mais il faut arrêter de ne penser qu’en termes d’enjeux locaux et chercher à développer une vision globale. Quant à dire que l’Aveyron serait un peu la Guyane de l’Hexagone, il ne faut pas exagérer. Le réseau routier de l’Aveyron fait 15 000 kilomètres quand celui de la Guyane – un territoire grand comme le Portugal – en compte 2 200. Nous sommes d’accord sur la nécessité de développer le rail, mais, et je ne sais plus comment le dire pour me faire comprendre, tant que l’on continuera à investir dans de nouveaux projets routiers comme ceux-là, on ne pourra pas développer un réseau ferroviaire.
Quant à nos collègues du RN, je les renvoie à leurs caricatures. Ils sont manifestement venus pour faire une vidéo puisqu’ils continuent à dérouler des arguments auxquels j’ai déjà répondu.
La proposition de loi défend un moratoire sur les grands projets routiers et autoroutiers sur la base des arguments suivants : l’absence de pilotage de la politique des transports routiers ; des décisions d’utilité publique prises sur des bases socio-économiques vieilles de trente ou cinquante ans, qui sont obsolètes car elles négligent notamment les impératifs climatiques et la biodiversité ; l’atteinte à la santé humaine. À cet égard, cher collègue Meurin, je ne peux plus rien pour vous si vous ne comprenez pas que le fait de déplacer la pollution ne la fait pas diminuer, bien au contraire, en raison du trafic induit.
Monsieur Terlier, l’État de droit, vous vous en souciez quand cela vous arrange. Lors de l’audition de Philippe Ledenvic, l’ancien président de l’Autorité environnementale, nous avons précisément évoqué la longueur des procédures judiciaires et le caractère non suspensif des recours. Résultat : en cas de jugement défavorable, les dégâts sont déjà faits. Au printemps dernier, le tribunal administratif d’Amiens a ainsi annulé l’autorisation accordée pour une route, mais celle-ci était déjà construite. Les dégâts étant irréversibles, cela vaut le coup de repenser ces procédures. Tout cela plaide en faveur du moratoire que je propose. À ceux qui font semblant de ne pas comprendre, je rappelle qu’un moratoire est une pause et non une interdiction. Si l’on voulait bien s’en donner la peine, cela pourrait être passionnant et enthousiasmant de réfléchir à la politique de mobilité et d’aménagement du territoire des années à venir.
J’émets évidemment un avis défavorable sur ces amendements de suppression.
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Au vu des nombreuses demandes, je vais donner la parole à un seul orateur par groupe.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Je remercie Mme la rapporteure pour son plaidoyer, qui est celui de l’intelligence et de l’avenir. Le titre de cette proposition de loi exprime bien qu’elle vise à instaurer un moratoire sur les projets routiers et autoroutiers, ce qui signifie que ne sont remis en cause ni l’entretien du réseau entier et autoroutier existant ni la pertinence des différents projets, mais que, puisque ces projets s’inscrivent dans le temps long, du fait tant des procédures que du désengagement de l’État – lequel a préféré confier le réseau à des concessions autoroutières –, nous pouvons, au bout de trente, quarante ou cinquante ans, nous poser pour réfléchir. À nous, politiques, de réexpertiser l’ensemble de ces projets à l’aune de critères de 2024, compte tenu notamment du dérèglement climatique et de ses conséquences sanitaires et budgétaires, dans le contexte très contraint d’aujourd’hui. Dire que nous allons continuer à entretenir et développer notre réseau routier de 1,1 million de kilomètres, alors même que les routes nationales, par exemple, sont très dégradées, est tout à fait irréaliste dans le contexte budgétaire actuel.
Nous pouvons aussi nous poser pour penser que, si nous avons besoin de voitures pour assurer la mobilité dans les zones rurales, nous avons aussi besoin de projets d’infrastructures lourds dans le domaine du ferroviaire et de projets systémiques au niveau des métropoles, comme les Serm, les services express régionaux métropolitains. À défaut d’être complètement sensibilisé à la question écologique, on peut au moins l’être à la question financière : nous n’aurons pas les moyens de financer à la fois l’entretien de l’existant – notre réseau ferroviaire est le plus vieux d’Europe – et le développement d’autres projets si nous ne prenons pas le temps politique de nous poser pour réfléchir à l’avenir de nos mobilités.
Mme Nathalie Oziol (LFI-NFP). Cette série d’amendements de suppression communs à des groupes qui vont des macronistes au Rassemblement national s’appuie sur des arguments très faibles. Ils sont l’aveu que vous voulez supprimer l’article alors même que vous désapprouvez ces projets d’extension et de création de routes – ou alors que les auteurs de ces amendements ont une vision très étriquée de la ruralité, définie uniquement par la voiture. En d’autres termes, les grands défenseurs autoproclamés de la ruralité que sont les députés de l’extrême droite vont apprendre aux habitants de la ruralité qu’ils sont condamnés à ce que leur air soit pollué par les routes et les voitures. Ces projets routiers et autoroutiers signifient aussi le massacre des terres agricoles. À elle seule, l’A69 implique la bétonisation de 400 hectares de terres agricoles. Vous irez expliquer aux agriculteurs que la destruction de leurs terres est une bonne chose pour la ruralité !
Enfin, ma collègue Karen Erodi me souffle, à l’intention de M. Terlier, député du Tarn, que le jugement sur le fond du projet de l’A69 est prévu le 25 novembre. N’omettez donc pas des informations cruciales. Ce projet n’a pas de conclusion bénéfique : vous ne pouvez pas dire qu’une autoroute qui traverse des terres agricoles, c’est bon pour les gens !
M. Jean Terlier (EPR). Je suis un peu déçu par l’intervention de notre collègue de La France insoumise et par votre absence de réponse, madame la rapporteure. Vous n’avez pas répondu, en effet, à l’argument constitutionnel. Quant à l’argument légal, vous n’y répondez pas non plus. Un jugement sera certes rendu sur le fond, mais la suspension des travaux qui est l’objet de la présente proposition de loi a déjà été refusée à plusieurs reprises par le tribunal administratif. Enfin, vous ne répondez pas non plus à l’argument de la démocratie locale. Ces projets, à commencer par celui de l’autoroute A69, font l’unanimité parmi les acteurs locaux, qu’il s’agisse des chefs d’entreprise ou de l’ensemble des élus qui les ont décidés et y apportent des financements. Vous opposez un mépris absolu aux décisions prises démocratiquement sur les territoires.
M. Pierre Meurin (RN). Madame la rapporteure, au-delà du fait que vous ne répondez pas aux questions, vous inventez le « en même temps » d’extrême gauche et ne cessez de vous contredire. Vous dites qu’un moratoire est une pause, mais une pause de dix ans, c’est un arrêt complet. Vous dites en même temps que, bien qu’on les arrête pendant dix ans, certains projets sont utiles. Or le moratoire empêchera de réaliser les projets utiles. Vous êtes pétrie de contradictions.
En fait, vous ne parvenez pas à argumenter correctement parce que votre projet n’est pas raisonnable : il est idéologique, voire religieux. Vous opposez en permanence les mobilités, mais pourquoi les mobilités routières s’opposeraient-elles, par principe ou par religion, aux mobilités douces ou au développement des mobilités ferroviaires ? Je rappelle qu’en trente ans, nous avons perdu 40 000 petites lignes de desserte fine. La gauche a, elle aussi, été au pouvoir voilà quelques années, et donc responsable de l’affaissement de notre réseau ferroviaire. Arrêtons donc l’idéologie et repensons de façon globale les infrastructures françaises de transport, sans perdre du temps avec des propositions de loi qui relèvent de la paresse intellectuelle.
M. François-Xavier Ceccoli (DR). Tout ce qui est excessif est insignifiant. Ce que vous demandez n’est pas une pause, mais une remise en cause complète de ce que peut être le développement routier et autoroutier en France, avec les conséquences désastreuses que cela entraînerait pour notre pays. Vous faites fi de tous les territoires car, si vous les respectiez, vous sauriez que la majorité des gens qui s’expriment y sont favorables. Il y a toujours, bien sûr, des gens qui font preuve de violence et qui s’opposent même aux décisions de justice, mais la vérité est là. Pour un territoire comme le Cantal, qui est à sept heures de train, on peut toujours dire qu’on va résoudre le problème du train mais, en attendant que ce soit fait, rien n’est résolu. Cette proposition de loi est dangereuse pour le pays et ne peut absolument pas être acceptée.
Mme Anne-Cécile Violland (HOR). Face à la vision étriquée de la ruralité que vous nous reprochez, la vôtre est très simpliste et manifestement décalée de la réalité de la montagne. De fait, vous ne répondez pas à la situation singulière des territoires de montagne – les trains ne vont pas en altitude et le ferroviaire s’y heurte à des difficultés de déploiement. Plus généralement, votre proposition de loi est un signe de mépris envers les collectivités locales et les décisions de leurs élus.
Mme Anne Stambach-Terrenoir, rapporteure. Monsieur Terlier, j’avais déjà répondu à propos de l’argument constitutionnel. En l’absence de jurisprudence du Conseil constitutionnel à propos d’un moratoire, on ne peut pas préjuger de son jugement, mais il a déjà considéré que l’intérêt général pouvait justifier l’action du législateur – je vous en ai donné un exemple tout à l’heure. Si vous ne voulez pas me croire, je vous propose de voter ce moratoire : vous aurez ensuite le plaisir d’en défendre l’inconstitutionnalité devant le Conseil constitutionnel.
Monsieur Meurin, monsieur Ceccoli, vous pouvez trouver longue cette pause de dix ans, mais il s’agit bien d’une pause, et vous avez raison de dire qu’elle vise à remettre en question le développement du réseau routier actuel et à essayer de penser autre chose. Ce n’est pas une contradiction. Cela me semble en effet préférable pour l’activité économique ou agricole, pour le bien-être et la santé publics et pour la préservation de nos conditions de survie sur cette planète – car, au bout du compte, c’est un peu de cela que nous parlons aujourd’hui.
Madame Violland, je ne comprends pas votre question car, sauf erreur de ma part, les routes à deux fois deux voies et les autoroutes concernées par le texte circulent dans les vallées, et non pas dans la montagne.
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Je vais maintenant procéder au scrutin demandé en procédant à l’appel nominal des membres de la commission pour recueillir votre vote.
Les résultats du scrutin sont les suivants :
Nombre de votants |
44 |
Nombre de suffrages exprimés |
44 |
Majorité absolue |
23 |
Pour |
27 |
Contre |
17 |
Abstention |
0 |
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l’article 1er est supprimé et les autres amendements tombent.
Après l’article 1er
Amendement CD16 de M. Pierre Meurin
Mme Anne Stambach-Terrenoir, rapporteure. L’article 1er ayant été supprimé, cet amendement est sans objet. J’en demande donc le retrait.
L’amendement est retiré.
Article 2 : Financement de la mesure
Amendement de suppression CD23 de M. Jean Terlier
M. Jean Terlier (EPR). Cet amendement se justifie par la suppression de l’article 1er. Je constate que cette proposition de loi était un manifeste contre l’autoroute A69. Il importe de souligner que la représentation nationale s’est prononcée aujourd’hui en faveur de la défense de ce chantier autoroutier et j’espère que vous pourrez faire passer ce message à ses opposants.
Adopter cette proposition de loi aurait été une folie. En effet, la suspension du chantier de l’autoroute A69 se serait traduite par un montant d’au moins 500 millions d’euros à régler au concessionnaire en raison de la remise en cause du contrat de concession. Il faut donc nous féliciter de la suppression de l’article 1er.
Mme Anne Stambach-Terrenoir, rapporteure. Monsieur Terlier, il est malhonnête de transformer ma proposition de loi, qui traitait d’une cinquantaine de projets et non pas seulement de l’autoroute A69, et de faire du vote qui vient d’être émis un vote qui irait dans votre sens.
Sur le fond, l’article 1er étant supprimé, l’article 2 n’a plus de raison d’être et je suis donc favorable à sa suppression.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’article 2 est supprimé.
La commission ayant supprimé tous les articles de la proposition de loi, l’ensemble de celle-ci est rejeté.
Mme Anne Stambach-Terrenoir, rapporteure. Je remercie les services de la commission pour le travail réalisé autour de cette proposition de loi, ainsi que toutes les nombreuses personnes auditionnées, avec qui nous avons eu des échanges passionnants.
Sans surprise, l’alliance qui va des macronistes au Rassemblement national a empêché un débat véritable et sérieux sur ce moratoire.
Collègues, il vous reste une semaine avant la séance pour changer d’avis. Plus largement, je forme le vœu sincère que ce texte fasse avancer notre réflexion collective. Le travail d’auditions et les déplacements que j’ai effectués m’ont convaincu que nous n’avions collectivement pas conscience de l’impact phénoménal des routes sur nos modes de vie et, en l’occurrence, sur nos conditions de survie. L’avenir nous obligera à repenser cela – et le présent nous y oblige déjà.
En tant que commissaires du développement durable et de l’aménagement du territoire, c’est à nous qu’il revient de penser l’aménagement du territoire de demain. Continuer à se fonder sur des considérations datant des années 1990, comme nous l’avons largement entendu aujourd’hui, est pure folie. Si des citoyens se mobilisent partout dans le pays et développent des compétences techniques sur des dossiers très difficiles, et si certains vont jusqu’à se mettre en danger pour tenter d’attirer notre attention sur la nécessité d’un changement et d’un autre horizon que l’autoroutier, il est de notre devoir d’élus et de représentants du peuple de les écouter.
liste des personnes auditionnÉes
(par ordre chronologique)
Commission nationale du débat public
M. Marc Papinutti, président
Audition conjointe
– Mme Fanny Guillet, chercheuse au centre d’écologie et des sciences de la conservation au muséum national d’histoire naturelle
– M. Jacques Thomas, écologue
– M. Nelo Magalhaes, docteur en mathématiques et en économie, post-doctorant à l’institut de la transition environnementale
Secrétariat général à la planification écologique
M. Antoine Pellion, secrétaire général
Secrétariat général pour l’investissement
M. Marc-Antoine Lacroix, directeur de l’évaluation et des impacts
Autorité environnementale
M. Laurent Michel, président
Audition conjointe
– M. Aurélien Bigo, chercheur sur la transition énergétique des transports
– M. Frédéric Héran, économiste des transports et urbaniste
– Mme Geneviève Laferrère, pilote du réseau Territoires et Mobilités durables de France Nature Environnement
Collectif Déroute des routes
Mmes Anna Tubiana, Céline Scornavacca et Enora Chopard, porte-parole
M. Christophe Cassou, climatologue
Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités
M. Fabien Balderelli, sous-directeur des financements innovants et du contrôle des concessions autoroutières
M. Jérôme Audhui, sous-directeur de la stratégie d’aménagement et de modernisation du réseau routier national.
M. Nicolas Bina, conseiller en charge des élus et de la communication auprès du directeur général
Fédération des alternatives au bitume pétrolier
M. Patrick Lorne, porte-parole
Office français de la biodiversité
M. Nicolas Hette-Tronquart, chargé de mission recherche à la direction de la recherche et de l’appui scientifique
M. Fabien Paquier, chargé de mission trame verte et bleue à la direction acteurs et citoyens
Inspection générale de l’environnement et du développement durable
M. Philippe Ledenvic, membre de l’inspection générale, ancien président de l’Autorité environnementale
Collectif La Déroute des routes
Association Vivre, respirer, se déplacer en Tricastin
Association Yonne Vivante
Fédération des alternatives au bitume pétrolier
M. Julien Haegy, maire de Duppigheim
Mme Geneviève Laferrère, pilote du réseau Territoires et mobilités durables de France Nature Environnement
([1]) Cour des comptes, L’entretien des routes nationales et départementales, rapport public thématique, mars 2022.
([2]) Audition du 12 mars 2024 de la commission d’enquête sur le montage juridique et financier de l’autoroute A69, compte rendu n° 4.
([3]) « Moins d’infrastructures routières, report ou évaporation du trafic ? », conférence de M. Frédéric Héran à la Halle aux Toiles de Rouen, 18 janvier 2018.
([4]) Courbe géographique partant de la Lombardie et se terminant à Londres en passant par la Bavière, la Rhénanie, l’Alsace, l’Ile-de-France et le Benelux, qui rassemble les régions les plus riches d’Europe.
([5]) Nick Wayth, Energy emissions hit record high on rising fossil fuel, Financial Times, 19 juin 2024.
([6]) Les données sont issues de Data Lab, chiffres clés des transports, mars 2023, ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
([7]) L’expression est de M. Nelo Magalhaes, docteur en mathématiques et en économie, auditionné par votre rapporteure.
([8]) Elena Koroleva, Richard Andrasik, Michal Bil, Manuela Gonzalez, Frontiers in ecology and environment, 8 juin 2020. Le chiffre est issu d’une extrapolation.
([9]) Ben Goldfarb, Croisements : comment l’écologie des routes façonne l’avenir de notre planète, 2023.
([10]) Cf. Intégrer la biodiversité dans les infrastructures de transport, Fondation pour la recherche sur la biodiversité, septembre 2022.
([11]) La création du corps des ponts-et-chaussées date de 1716, cf. Jean-Marcel Goger, La politique routière en France de 1716 à 1815.
([12]) Territoires ruraux : en panne de mobilité, Secours catholique.
([13]) Magali Weissberger, Samuel Roturier, Romain Julliard et Fanny Guillet, Compensation de la biodiversité : certitude quant aux pertes, incertitudes sur le gain, in Biological Conservation, septembre 2019.
([14]) Cf. Philippe Subra, Conflits, débat public : les nouveaux défis de l’aménagement du territoire, Presses universitaires de Caen.
([15]) Rappelons en outre que 196 défenseuses et défenseurs de l’environnement ont été tués dans le monde en 2023, d’après l’association Global Witness, principalement en Amérique latine.
([16]) Réalisation du projet de liaison A28/A13, Préfet de la Seine-Maritime, https://www.seine-maritime.gouv.fr/Actions-de-l-Etat/Amenagement-Territoire-Urbanisme/Contournement-Est-de-Rouen/Realisation-du-projet-de-liaison-A28-A13-Contournement-Est-de-Rouen - Le contournement Est de Rouen, un serpent de mer qui pourrait rapidement devenir une réalité, Paris-Normandie, publié le 05/04/2023, https://www.paris-normandie.fr/id403150/article/2023-04-05/le-contournement-est-de-rouen-un-serpent-de-mer-qui-pourrait-rapidement-devenir
([17]) Haute-Savoie : Liaison Machilly- Thonon-les-Bains, DREAL Auvergne-Rhône-Alpes, https://www.auvergne-rhone-alpes.developpement-durable.gouv.fr/haute-savoie-liaison-machilly-thonon-les-bains-r1355.html - Autoroute A412 en Haute-Savoie : la loi de régularisation est parue, Banque des territoires, publié le 24/07/2024 https://www.banquedesterritoires.fr/autoroute-a412-en-haute-savoie-la-loi-de-regularisation-est-parue
([18]) Calendrier du projet RN 154-120, DREAL Centre-Val de Loire, https://www.centre-val-de-loire.developpement-durable.gouv.fr/le-calendrier-du-projet-a4017.html
([19]) Délibéré n°Ae 2016-52 adopté lors de la séance du 21 septembre 2016, https://www.centre-val-de-loire.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/autorite_gouvernementale.pdf