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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 décembre 2024.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand‑duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune
(Procédure accélérée)
PAR Mme Pascale GOT,
Députée
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EN ANNEXE
LE TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Voir les numéros :
Assemblée nationale : 548.
Sénat : 255, 381 et 382 (2023‑2024).
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Pages
b. L’imposition en 2024 des revenus perçus en 2023 reste toujours soumise au régime de l’exonération
2. Une règle sans conséquence sur la protection sociale des transfrontaliers
2. Un avenant qui bénéficie principalement au Luxembourg et aux travailleurs transfrontaliers
a. Une perte de recettes pour le Trésor public
b. Des conditions de travail améliorées pour les travailleurs transfrontaliers
A. malgré Une clause de revoyure avant la fin 2024, aucun nouvel avenant n’est en vue
1. Une frontière source de dynamisme économique mais aussi de déséquilibres
2. Une coopération vivante qui doit poursuivre son approfondissement
ANNEXE 1 : TEXTE DE LA COMMISSION des affaires ÉtrangÈres
ANNEXE 2 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE
L’article 53 de la Constitution prévoit que les traités qui engagent les finances de l’État ou entraînent la modification de dispositions législatives doivent être ratifiés ou approuvés par une loi. En application du principe de réciprocité, les accords négociés par le gouvernement et signés par les parties ne peuvent plus être modifiés unilatéralement par l’une d’entre elles. Le Parlement ne peut donc que les approuver ou les refuser.
La convention fiscale franco-luxembourgeois du 20 mars 2018, modifié par l’avenant du 10 octobre 2019, a pour objet « d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune ». Elle entre donc dans le champ de l’article 53 de la Constitution et le Parlement s’est prononcé en faveur de sa ratification en 2018 et, s’agissant de son avenant, en 2020.
L’avenant signé le 7 novembre 2022 ne déroge pas à cette procédure puisqu’il fait évoluer le régime d’imposition des jours de télétravail par les transfrontaliers de façon à aménager le principe selon lequel les revenus sont imposés dans l’État d’exercice de l’activité professionnelle. Le seuil à partir duquel les revenus tirés des jours de télétravail sont imposés dans l’État de résidence serait relevé de vingt-neuf à trente-quatre jours. Ce même seuil s’appliquerait également aux agents publics, notamment de nationalité luxembourgeoise résidant en France, ainsi qu’aux transfrontaliers belges et allemands en application d’autres conventions bilatérales conclues concomitamment.
Cet avenant a été ratifié par le Luxembourg dès 2023. En France, le gouvernement a déposé au Sénat le projet de loi autorisant son approbation le 17 janvier 2024, qui l’a adopté le 14 mars 2024. Inscrit une première fois à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ([1]), son examen a dû être reporté en raison de la dissolution du 9 juin 2024. Il a été redéposé le 8 novembre 2024.
Cet examen tardif – alors que les dispositions de l’avenant s’appliquent depuis le 1er janvier 2023 – coïncide avec le terme de la clause de revoyure fixée au 31 décembre 2024. Or, les discussions entre les gouvernements français et luxembourgeois sur la recherche d’une solution pérenne à la question du télétravail semblent au point mort et la commission intergouvernementale, qui aurait dû se tenir à l’automne 2024, n’a toujours pas été programmée. C’est pourtant dans ce cadre qu’une solution pérenne pourrait enfin être trouvée sur la question du télétravail et sur les contreparties dues par le Luxembourg à la France.
I. La convention fiscale conclue Entre la France et le Luxembourg en 2018 répond à plusieurs objectifs dont celui d’éviter la double imposition des travailleurs transfrontaliers
A. Une mise à jour du partenariat franco-luxembourgeois dans un contexte de lutte contre l’évasion fiscale
Jusqu’en 2018, les relations bilatérales entre la France et le Luxembourg en matière fiscale étaient régies par une convention de 1958, modifiée à quatre reprises ([2]).
Le contexte économique avait rendu nécessaire l’ouverture d’une renégociation d’ensemble de la convention afin de la mettre en adéquation avec les évolutions récentes des recommandations internationales en matière de lutte contre l’évasion fiscale. En effet, la crise financière de 2008 puis la crise des dettes souveraines en Europe ont conduit à interroger les pratiques de concurrence fiscale entre États, notamment au sein de l’Union européenne.
Entre 2013 et 2015, les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont mené un vaste projet de réflexion, dit BEPS ([3]), visant à établir des standards pour limiter l’évasion fiscale et la concurrence déloyale entre États. La France a contribué activement à ces travaux pour y défendre une position de fermeté à l’égard des pays pratiquant le « dumping fiscal ».
Initialement réticent à cette initiative compte tenu de sa position de pays bénéficiant des pratiques de transferts de bénéfices, le Luxembourg a finalement participé à ces discussions. Il y a été fortement encouragé par la fuite de ses pratiques en matière fiscale, notamment le recours aux rescrits fiscaux (tax ruling) pour faire bénéficier certaines multinationales d’un régime de taxation avantageux (voir encadré ci-après). Comme le rappelait le rapporteur pour avis de la commission des finances de l’Assemblée nationale : « La conclusion de cette convention fiscale doit être mise en perspective avec la volonté du Luxembourg de se montrer coopératif dans la lutte contre l’évasion fiscale » ([4]).
Au terme des négociations, vingt-quatre des trente-neuf articles de la convention ont mis en œuvre les recommandations du projet BEPS, à l’exception notable de celles relatives à la taxation des entreprises du numérique.
L’affaire des LuxLeaks
En novembre 2014, une quarantaine de médias internationaux réunis au sein du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) ont révélé, dans le cadre d’une affaire baptisée « LuxLeaks », les rescrits fiscaux passés par le Luxembourg avec près de 340 multinationales qui leur auraient permis de réduire leur charge d’imposition de plusieurs milliards d’euros.
Pour rappel, les rescrits fiscaux sont des accords permettant de fixer de manière préalable les modalités d’imposition d’un contribuable. De nombreux pays, dont la France, emploient régulièrement ce moyen afin d’offrir une sécurité juridique appréciée des entreprises.
Par distinction, les « tax rulings » luxembourgeois sont des moyens assurant aux entreprises une optimisation préalable de l’impôt auquel elles sont assujetties. À ce titre, ils permettent aux entreprises de bénéficier d’un taux d’imposition très faible de manière dérogatoire du droit commun.
Parce qu’ils accordent un traitement préférentiel à une entreprise par rapport à une autre, les « tax rulings » luxembourgeois entrent dans le champ des aides d’État interdites par la législation européenne.
La nouvelle convention fiscale entre la France et le Luxembourg n’a pas pour objet de lutter contre ce type de pratiques fiscales agressives. Néanmoins, dès lors que cette convention a pour objectif de lutter contre les doubles exonérations, celle-ci peut permettre de réimposer en France un contribuable qui serait complètement exonéré d’impôt au Luxembourg.
La convention établit de nouvelles règles de définition de l’établissement stable afin d’éviter les montages par lesquels la localisation de l’activité ne reflète pas la réalité économique (article 5). Pour lutter contre le chalandage fiscal (treaty shopping), elle prévoit qu’un « avantage [prévu par la convention] ne sera pas accordé […] si l’on peut raisonnablement conclure […] que l’octroi de cet avantage était un des objets principaux d’un montage ou d’une transaction ayant permis, directement ou indirectement, de l’obtenir » (article 28). Elle instaure également une imposition partagée des redevances et gains en capital (articles 12 et 13).
Outre le projet BEPS, la convention s’appuie également sur plusieurs évolutions du droit de l’Union européenne tendant à renforcer la transparence fiscale entre les États membres et les règles anti-abus afin que les entreprises soient bien imposées dans les États où elles réalisent des bénéfices ([5]).
Toutes ces évolutions ont permis au Luxembourg de se mettre en conformité avec les standards internationaux et de réduire la concurrence fiscale avec la France, qui tire des recettes fiscales supplémentaires de cette convention ([6]).
B. une modernisation des règles d’élimination de la double imposition des travailleurs transfrontaliers
1. La convention de 2018 renforce le principe d’imposition dans le pays d’exercice de l’activité professionnelle
Si la renégociation de la convention répondait prioritairement à l’objectif de lutter contre l’évasion fiscale des entreprises, les questions relatives à la double imposition – et corrélativement à la double exonération – concernent également les revenus des transfrontaliers.
Dans son arrêt Shumacker du 14 février 1995, la CJUE a rappelé que les États membres sont fondés à fixer des règles d’imposition spécifiques, par des conventions fiscales bilatérales, afin de prévenir la double imposition.
Carte des flux de frontaliers vers le Luxembourg en 2021
Source : Système d’information géographique de grande région, ministère du logement et de l’aménagement du territoire du Luxembourg, 2021
Les travailleurs transfrontaliers
Le nombre de personnes résidents de France travaillant au Luxembourg est estimé à 121 000, pour un salaire moyen annuel à 54 600 € en 2023, contre 103 500 frontaliers pour un salaire moyen de 48 091 euros en 2019. Ces chiffres connaissent une augmentation constante ces dernières années.
À titre de comparaison, 53 000 proviennent d’Allemagne et 52 000 de Belgique. Les travailleurs français représentent 54 % des 228 000 salariés transfrontaliers travaillant au Luxembourg et 25 % du total des salariés travaillant au Luxembourg (485 000).
Concernant les secteurs d’activité, les frontaliers résidant en France se concentrent pour une grande partie dans le commerce, l’entretien et la réparation d’automobiles et de motocycles ainsi que dans les activités de services administratifs et de soutien (28 %). Par ailleurs, l’industrie manufacturière reste toujours marquée par la présence en son sein des frontaliers originaires de France qui y représentent 52 % des frontaliers.
Les secteurs d’activité dans lesquels le télétravail est le plus pratiqué au Luxembourg sont les secteurs de l’assurance, de l’audit, de la finance, de l’informatique et des télécoms.
Source : Réponses de l’administration
La convention bilatérale franco-luxembourgeoise prévoit un régime dit de la lex loci laboris, selon lequel les revenus du travail sont imposés en fonction du lieu d’exercice de l’activité professionnelle.
Ce même principe s’applique aux Français travaillant en Andorre, en Belgique ou dans certains cantons suisses. À l’inverse, les Français travaillant en Allemagne, en Italie, en Espagne, dans les autres cantons suisses ([7]) ou à Monaco sont imposés dans leur pays de résidence, parfois avec un mécanisme de compensation ([8]).
La nouvelle convention fiscale du 20 mars 2018 renforce la règle de l’imposition dans le pays d’exercice puisque son article 14 prévoit que « les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu’un résident d’un État contractant reçoit au titre d’un emploi salarié ne sont imposables que dans cet État, à moins que l’emploi ne soit exercé dans l’autre État contractant ». Autrement dit, les revenus sont imposés dans le pays d’exercice de l’emploi, si besoin au prorata des jours de travail réalisés dans chacun des deux pays.
Ce principe souffre néanmoins diverses exceptions, notamment en ce qui concerne le télétravail (voir II ci-après).
2. La convention de 2018 met fin à la méthode de « l’exemption » au profit de celle de « l’imputation »
La convention de 1958 comportait une règle générale d’exonération d’impôt sur les revenus perçus pour des activités exercées au Luxembourg par les résidents français, y compris en cas de mission temporaire réalisée en France, sous réserve de travailler au Luxembourg au moins cent-quatre-vingt-trois jours par an.
Ces revenus devaient néanmoins être déclarés, en France, en tant que « salaires exonérés étrangers » afin d’être pris en compte pour calculer le taux de certains autres impôts. Il s’agit de la méthode d’élimination des doubles impositions dite de « l’exemption avec progressivité ». Cependant, cette méthode pouvait conduire à des cas de « double exonération » pour lesquels des revenus n’étaient imposés ni au Luxembourg, ni en France. C’est pourquoi la convention de 2018 y met un terme.
Depuis 2018, le travailleur résidant en France doit y déclarer les revenus perçus au Luxembourg. La France lui accorde ensuite un crédit d’impôt correspondant à l’impôt versé au Luxembourg de façon à éliminer la double imposition. C’est la méthode dite de « l’imputation ». Elle correspond aux standards internationaux en vigueur depuis les années 1990 et s’applique dans les autres conventions que la France a conclues avec ses voisins.
Ce changement de méthode concerne principalement les contribuables ou les foyers percevant à la fois des revenus au Luxembourg et en France puisque le calcul du barème applicable aux revenus français prend désormais en compte les revenus luxembourgeois. Il s’agit d’une mesure d’équité fiscale permettant de refléter au mieux les capacités contributives du travailleur concerné. Ce n’est pas une double imposition puisque les revenus luxembourgeois ne sont pas à nouveau imposés en France.
3. La mise en place de cette nouvelle méthode de calcul, corrigée en 2019, n’est toujours pas effective
a. L’avenant du 10 octobre 2019 a modifié les règles de calcul du crédit d’impôt octroyé aux travailleurs transfrontaliers
Compte tenu des différences de calcul de l’impôt sur le revenu en France et au Luxembourg, la rédaction de la convention de 2018 laissait ouverte la possibilité pour la France d’imposer le différentiel entre l’impôt effectivement acquitté au Luxembourg – qui fait l’objet d’un crédit d’impôt – et le montant théoriquement dû en France après l’application des règles d’imposition françaises. Sans constituer une double imposition, cette possibilité aurait conduit les travailleurs transfrontaliers à être imposés sur cette différence par l’administration fiscale en France.
Comparaison des barèmes d’imposition en France et au Luxembourg
Barème de l’impôt sur le revenu en France (revenus 2023) |
Barème de l’impôt sur le revenu au Luxembourg (revenus 2024) |
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Tranches de revenu |
Taux d’imposition de la tranche de revenu |
Tranches de revenu |
Taux d’imposition de la tranche de revenus |
Jusqu’à 11 294 € |
0 % |
Jusqu’à 12 438 € |
0 % |
De 11 295 € à 28 797 € |
11 % |
De 12 438 € à 14 508 € |
8 % |
De 14 508 € à 16 578 € |
9 % |
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De 16 578 € à 18 648 € |
10 % |
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De 18 648 € et 20 718 € |
11 % |
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De 20 718 € à 22 788 € |
12 % |
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De 22 788 € à 24 939 € |
14 % |
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De 24 939 € à 27 090 € |
16 % |
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De 28 798 € à 82 341 € |
30 % |
De 27 090 € à 29 241 € |
18 % |
De 29 241 € à 31 392 € |
20 % |
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De 31 392 € à 33 543 € |
22 % |
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De 33 543 € à 35 694 € |
24 % |
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De 35 694 € à 37 845 € |
26 % |
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De 37 845 € à 39 996 € |
28 % |
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De 39 996 € à 42 147 € |
30 % |
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De 42 147 € à 44 298 € |
32 % |
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De 44 298 € à 46 449 € |
34 % |
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De 46 449 € à 48 600 € |
36 % |
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De 48 600 € à 50 751 € |
38 % |
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De 82 342 € à 177 106 € |
41 % |
De 50 751 € à 110 403 € |
39 % |
De 110 403 € à 165 600 € |
40 % |
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Plus de 177 106 € |
45 % |
De 165 600 € à 220 788 € |
41 % |
Plus de 220 788 € |
42 % |
La convention a donc été modifiée par un avenant du 10 octobre 2019, approuvé par le Parlement en janvier 2021 ([9]), afin de rectifier la méthode d’élimination de la double imposition pour les revenus d’activité perçus au Luxembourg. L’avenant de 2019 a ainsi prévu, du côté français, que le crédit d’impôt soit égal au montant de l’impôt français, et non plus luxembourgeois, qui aurait été dû sur ces revenus.
b. L’imposition en 2024 des revenus perçus en 2023 reste toujours soumise au régime de l’exonération
Il convient de relever que ces deux réformes successives du calcul de l’imposition des revenus issus du travail transfrontalier ne sont pas encore pleinement entrées en vigueur. L’administration a décidé, à titre transitoire, de continuer à appliquer l’ancienne méthode de l’exemption prévue par la convention de 1958.
Interrogé par la rapporteure, le gouvernement a indiqué que « le passage d’une méthode d’élimination de la double imposition à l’autre peut avoir une incidence sur le taux d’imposition appliqué aux revenus imposables en France de source autre que luxembourgeoise. En effet, la méthode de l’exemption prend en compte pour un montant moindre les revenus exonérés pour la détermination du taux moyen d’imposition qui va s’appliquer aux autres revenus du contribuable. Le temps de documenter les effets de ce changement de méthode, le Gouvernement a annoncé que les foyers concernés peuvent exceptionnellement demander le bénéfice des stipulations de l’ancienne convention pour les revenus visés qu’ils ont perçus en 2020 et 2021. Cette tolérance a été étendue aux revenus perçus en 2022, puis pour la dernière fois à ceux perçus en 2023. ».
À compter des revenus de 2024, la convention s’appliquera pleinement et le mécanisme du crédit d’impôt permettra d’assurer l’égalité devant l’impôt avec les autres contribuables qui ne perçoivent pas des revenus luxembourgeois.
*
* *
II. L’avenant soumis à l’approbation du parlement assouplit le régime fiscal dérogatoire qui s’applique au télétravail des transfrontaliers
Indépendamment de l’évolution de la méthode de calcul de l’impôt dû par les transfrontaliers en France, l’imposition des revenus issus du télétravail obéit à des règles particulières. Cette question ne faisant pas encore l’objet d’un encadrement au niveau de l’Union européenne, elle est réglée par voie bilatérale pour prendre en compte les spécificités de chaque situation frontalière. Renouvelé en 2018, puis adapté pendant la pandémie du Covid 19, c’est ce régime que vient modifier l’avenant du 7 novembre 2022 soumis à l’approbation du Parlement.
A. Le régime d’imposition du télétravail déroge au principe d’imposition dans le pays d’exercice de l’activité professionnelle
1. La convention de 2018 prévoit l’imposition au Luxembourg des vingt-neuf premiers jours de télétravail réalisé en France
La convention de 1958 maintenait l’exonération d’impôt des revenus d’activité perçus au Luxembourg par les résidents français en cas de mission temporaire réalisée en France, sous réserve de travailler pendant au moins cent-quatre-vingt-trois jours au Luxembourg. Autrement dit, il était possible de travailler l’autre moitié de l’année depuis la France tout en continuant de bénéficier de l’exonération.
L’application stricte du principe de l’imposition dans le pays de résidence prévue dans la convention de 2018 (voir supra) aurait dû conduire à répartir les revenus imposés au prorata du nombre de jours d’activité dans chaque pays. Pour des raisons essentiellement pratiques, le Luxembourg a demandé à ce que les transfrontaliers puissent bénéficier d’un forfait de jours de télétravail assimilés à des jours travaillés au Luxembourg.
Le paragraphe 3 du protocole annexé à la convention de 2018 prévoit ainsi qu’un travailleur exerçant provisoirement son activité dans un autre État que celui où il est imposable reste imposable dans celui-ci, sous réserve que cette période n’excède pas vingt-neuf jours par an. Au-delà de ce seuil, l’ensemble des revenus perçus au titre des activités réalisées dans le pays de résidence sont imposables dans ce même pays.
Dans son rapport pour avis sur le projet de loi de ratification de la convention, le rapporteur de la commission des finances de l’Assemblée nationale présentait la solution trouvée sur le télétravail comme « une concession faite au Luxembourg » ([10]) car l’application stricte du principe de l’imposition dans le pays de résidence aurait augmenté les recettes fiscales de la France. C’est la raison pour laquelle elle peut apparaître désavantageuse pour la France si on la considère indépendamment du reste de la convention. Cette concession doit être relativisée par le fait que la convention de 2018 demeure plus avantageuse pour la France que celle de 1958, qui permettait en théorie de travailler depuis son pays de résidence près de la moitié de l’année en restant entièrement soumis au régime fiscal luxembourgeois.
2. Une règle sans conséquence sur la protection sociale des transfrontaliers
Ces règles n’ont pas d’effet sur la protection sociale des travailleurs concernés. Jusqu’en 2023, la législation européenne prévoyait qu’un travailleur continuait de cotiser et de bénéficier de la protection sociale dans le pays d’exercice de l’activité tant que la durée passée en télétravail depuis un autre pays n’excédait pas 25 % du temps de travail ou de la rémunération. En mars 2023, un accord-cadre élevant ce seuil à 49,9 % a été soumis à la signature des États parties au règlement communautaire (CE) 883/2004 de coordination des systèmes de sécurité sociale.
La France et le Luxembourg appliquent cet accord-cadre depuis juillet 2023. Le seuil de vingt-neuf jours, porté à trente-quatre jours par l’avenant dont l’Assemblée nationale est appelée à autoriser l’approbation, n’affecte donc pas la protection sociale des transfrontaliers qui continueront de cotiser au système de protection sociale luxembourgeois.
B. La hausse du nombre de jours de télétravail imposés dans le pays d’exercice de l’activité professionnelle est attendue par les transfrontaliers et les employeurs luxembourgeois
1. Une augmentation du nombre de jours de télétravail pouvant être imposés dans le pays d’exercice qui tire les conséquences de la période Covid 19
Le 7 novembre 2022, la France et le Luxembourg se sont accordés sur un nouvel avenant modifiant le protocole annexé à la convention fiscale du 20 mars 2018.
Cet avenant est soumis à la ratification du Parlement tardivement puisque le Sénat n’a été saisi que le 17 janvier 2024 alors que le mécanisme s’applique de manière rétroactive à l’imposition des revenus 2023 ([11]). Cela n’est pas sans conséquence car il serait très compliqué de venir corriger la situation pour les transfrontaliers – qui sont nombreux à avoir augmenté leur durée de télétravail à l’entrée en vigueur de l’avenant – en cas de rejet de l’accord par le Parlement.
L’article 1er de cet avenant étend de vingt-neuf à trente-quatre jours le nombre maximal de jours de télétravail pouvant être soumis au régime d’imposition du pays d’activité.
Il fait suite à la période du Covid 19, au cours de laquelle la limitation à vingt-neuf jours a été suspendue par un accord amiable en date du 16 juillet 2020 et prolongé à deux reprises, le 27 août et le 7 décembre 2020, jusqu’au 30 juin 2022. En outre, cette période a laissé comme héritage un recours accru au télétravail, notamment dans les métiers du secteur tertiaire qui représentent la majorité des emplois des transfrontaliers.
Le Luxembourg applique ce même seuil de trente-quatre jours dans ses conventions avec l’Allemagne et la Belgique. Cette cohérence est utile pour les employeurs luxembourgeois qui comptent souvent parmi leurs salariés des ressortissants des trois pays.
Comme c’est le cas depuis 2018, si ce seuil est dépassé, l’ensemble des jours travaillés depuis le pays de résidence sont soumis au régime d’imposition du pays de résidence et exonérés dans le pays d’activité. L’effet de seuil se voit ainsi repoussé. Ce seuil n’empêche aucunement un transfrontalier de travailler depuis son domicile davantage de jours mais il sera alors imposé sous le régime de son pays de résidence au prorata de l’ensemble des jours de télétravail réalisés.
Comme indiqué précédemment, cela n’a pas d’implication financière pour l’employeur car le travailleur demeure sous le régime de protection sociale de son pays d’activité tant qu’il n’exerce pas plus de la moitié de son temps de travail dans son pays de résidence (voir supra). Le Luxembourg doit en revanche rembourser au travailleur transfrontalier les impôts prélevés à la source sur les revenus perçus au Luxembourg pour éviter toute double imposition.
Le dépassement du seuil pourrait présenter un coût administratif pour l’employeur luxembourgeois qui devrait prélever l’impôt français à la source et déduire les revenus issus du télétravail de la déclaration des revenus au Luxembourg. Pour éviter cette situation, la France a décidé de simplifier les obligations incombant aux employeurs luxembourgeois employant des salariés domiciliés en France et télétravaillant plus de trente-quatre jours. Ainsi, la loi de finances pour 2023 a mis en place un mécanisme d’acomptes contemporains, prélevés directement sur le compte bancaire des travailleurs, en lieu et place de l’application d’une retenue à la source par l’employeur au Luxembourg.
L’article 2 de l’avenant permet aux contribuables résidents dans l’un des deux pays et travaillant dans le secteur public de l’autre pays, de bénéficier des mêmes conditions fiscales en cas de télétravail, ce que le protocole annexé à la convention de 2018 n’avait pas prévu.
Lors de son audition par la rapporteure, l’ambassadeur du Luxembourg en France a indiqué que cette disposition concernait principalement des Luxembourgeois exerçant dans le service public luxembourgeois et résidant en France en raison des difficultés à trouver un logement au Luxembourg.
Tableau comparatif des régimes d’imposition des jours télétravaillés par les transfrontaliers français
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Convention de 1958 |
Convention de 2018 |
Avenant de 2019 |
Accord amiable de 2020 à 2022 |
Avenant de 2022 |
Règles d’imposition du télétravail |
Les jours de télétravail sont imposés au Luxembourg dès lors qu’au moins cent-quatre-vingt-trois jours de travail sont réalisés annuellement au Luxembourg |
Les vingt-neuf premiers jours de télétravail sont imposés au Luxembourg. Au-delà, l’ensemble des jours télétravaillés sont imposés en France |
Les jours de télétravail sont assimilés à des jours travaillés au Luxembourg |
Les trente-quatre premiers jours de télétravail sont imposés au Luxembourg. Au-delà, l’ensemble des jours télétravaillés sont imposés en France |
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Calcul de l’impôt dû en France sur les revenus perçus au Luxembourg |
Exonération des revenus perçus au Luxembourg |
Déclaration de l’ensemble des revenus en France et crédit d’impôt du montant de l’impôt dû au Luxembourg |
Déclaration de l’ensemble des revenus en France et crédit d’impôt du montant de l’impôt qui aurait été dû en France |
2. Un avenant qui bénéficie principalement au Luxembourg et aux travailleurs transfrontaliers
a. Une perte de recettes pour le Trésor public
Le manque à gagner pour les finances de l’État n’est pas négligeable, dans un contexte marqué par la recherche d’économies dans les dépenses publiques.
En l’absence de suivi par l’administration fiscale de la déclaration des revenus issus du télétravail, la perte de recettes pour la France liée à cette clause ne fait l’objet que d’une estimation approximative s’élevant entre 30 et 60 millions d’euros ([12]).
La perte supplémentaire résultant de l’augmentation du seuil prévue par l’avenant est encore plus difficile à évaluer car les travailleurs transfrontaliers vont certainement adapter leur organisation à ce nouveau seuil. Elle pourrait varier entre 5 et 10 millions d’euros ([13]).
En comparaison avec la convention de 1958, cette perte de recettes doit être relativisée. À l’époque, l’ensemble des revenus des travailleurs transfrontaliers étaient imposés au Luxembourg dès lors qu’au moins cent-quatre-vingt-trois jours dans l’année étaient effectivement travaillés sur place, ce qui permettait de télétravailler bien plus longtemps depuis la France.
Le coût de ce régime pour la France peut être maîtrisé par un contrôle effectif des jours de télétravail. À ce jour, ce contrôle est restreint même si les transfrontaliers doivent indiquer ces revenus dans une case spécifique de leur formulaire de déclaration. Les vérifications réalisées auprès des employeurs sont rares, notamment en comparaison avec la Belgique dont l’administration fiscale exerce un suivi très strict de la durée du télétravail.
b. Des conditions de travail améliorées pour les travailleurs transfrontaliers
Cette solution bénéficiera à nos compatriotes travailleurs transfrontaliers car le télétravail améliore souvent leur confort de vie en limitant leurs déplacements dans des infrastructures de transport souvent saturées.
Elle simplifie également les règles applicables à la déclaration des revenus tandis que les procédures administratives auxquelles sont confrontés les transfrontaliers sont déjà nombreuses et complexes.
Enfin, les recettes de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) résultant de la présence sur le territoire français de ces travailleurs pendant leurs jours de télétravail devraient compenser très partiellement le manque à gagner lié à la non-imposition de leurs revenus. Cela ne fait toutefois l’objet d’aucune estimation.
c. Des recettes supplémentaires pour le Luxembourg et une simplification administrative pour les employeurs luxembourgeois
Cet avenant bénéficie principalement au Luxembourg, qui en est à l’origine. Pour le Luxembourg, il s’agit d’une augmentation des recettes fiscales, d’autant que les emplois concernés sont souvent des emplois dans les services, notamment de cadres, qui sont bien rémunérés.
C’est également une simplification attendue par les employeurs luxembourgeois qui pourront appliquer le même seuil à l’ensemble des transfrontaliers – français, belges et allemands – et seront plus rarement tenus de procéder aux démarches administratives complexes qui résultent du dépassement de ce même seuil.
*
* *
III. La question de l’imposition du télétravail semble encore devoir être stabilisée, à l’instar du reste de la question transfrontalière
A. malgré Une clause de revoyure avant la fin 2024, aucun nouvel avenant n’est en vue
L’article 3 de l’avenant prévoit une clause de revoyure, « avant le 31 décembre 2024 […] afin de déterminer les conditions qui s’appliqueront à ces résidents à compter du 1er janvier 2025 et, le cas échéant, de conclure un nouvel avenant ».
Dans les réponses qu’il a fournies à la rapporteure, le gouvernement a indiqué que « cette clause de réexamen a été insérée dans l’avenant dans l’objectif de rechercher une solution pérenne à la question du télétravail pour l’avenir si le nouveau seuil de trente-quatre jours devait s’avérer insuffisant. Conformément à ces stipulations, des contacts ont été pris avec les autorités luxembourgeoises en vue d’ouvrir une discussion sur l’avenir de ce système. Il est précisé que le présent avenant restera en vigueur en l’absence de conclusion d’un nouvel avenant. ».
Compte tenu du délai dans lequel intervient la ratification de l’avenant, il n’y a pas encore de visibilité sur une éventuelle évolution du régime applicable au télétravail. Selon l’ambassadeur du Luxembourg, la ratification de l’avenant en France est un préalable à de futures discussions sur une extension de ce seuil qui est demandée par le Luxembourg et de nombreux transfrontaliers ([14]) mais achoppe sur les contreparties accordées par le Luxembourg à la France.
Lors de son audition par la rapporteure, le gouvernement a indiqué qu’il avait formulé une proposition au Luxembourg, en mars 2024, à laquelle le gouvernement luxembourgeois n’a pas donné suite. Elle s’inspirait de la solution trouvée en juin 2023 avec la Suisse, qui permettra l’exercice du télétravail depuis le domicile du salarié dans la limite de 40 % du temps de travail annuel, en contrepartie du versement d’une compensation financière ([15]).
Le Luxembourg se montre réticent à l’idée d’un tel mécanisme de compensation des pertes de recettes fiscales pour la France. Comme l’a indiqué le gouvernement à la rapporteure : « La voie du co-développement et du co-financement de projets a été privilégiée en 2018, afin d’associer le Luxembourg au financement de projets bénéficiant aux départements et régions frontaliers, plutôt que celle de mécanismes de compensation dont le Grand-Duché ne veut pas ».
La voie du co-développement a également la préférence de nombreux élus locaux, qui craignent qu’une rétrocession ne serve qu’à alimenter le budget général de l’État alors que la question de la fiscalité du travail transfrontalier devrait entrer dans le champ plus large du partenariat franco-luxembourgeois.
B. la négociation d’une solution pérenne sur le télétravail est indissociable des discussions sur l’avenir du partenariat franco-luxembourgeois
1. Une frontière source de dynamisme économique mais aussi de déséquilibres
Le sujet du télétravail n’est qu’un des nombreux enjeux concernant le travail transfrontalier mais il risque d’accroître les déséquilibres à l’œuvre dans les départements frontaliers du Luxembourg (Meurthe-et-Moselle et Moselle).
La frontière est source de dynamisme économique car le Luxembourg accorde généralement des revenus plus élevés qu’en France, ce qui tire vers le haut la consommation des résidents français concernés. Le tissu économique de la zone est dense et les échanges bénéficient également aux entreprises françaises.
Cependant, l’attractivité du Luxembourg conduit de nombreux travailleurs et entreprises à préférer exercer leur activité au Luxembourg qu’en France. Les écarts en matière de fiscalité pénalisent l’activité économique du côté français et réduisent les ressources fiscales des collectivités. Les services publics sont les premiers touchés, faute de moyens et de capacité à recruter des agents qui sont mieux rémunérés dans les services publics luxembourgeois, notamment dans le secteur de la santé. Les prix, particulièrement ceux du logement, sont élevés et pénalisent les résidents français non transfrontaliers.
2. Une coopération vivante qui doit poursuivre son approfondissement
La question de l’équilibre de la région frontalière est au cœur des discussions des commissions intergouvernementales (CIG) entre la France et le Luxembourg.
À ce jour, les principaux projets d’intérêt commun cofinancés par le Luxembourg concernent surtout les enjeux de mobilité. L’intensification des flux transfrontaliers conduit en effet à une saturation régulière des réseaux de transport routiers et ferroviaires. Un protocole d’accord en 2018 et son avenant de 2021 permettent le financement, à parité entre les deux États, d’un programme d’investissements de 440 millions d’euros pour renforcer la desserte ferroviaire et routière entre les deux pays (nouvelles rames, extensions des quais, création de lignes de bus et de parking relais). Ces projets sont toutefois lents à voir le jour car ils impliquent de très nombreux acteurs, y compris privés. L’augmentation des montants alloués à ce type de projets n’aura de sens que s’ils permettent des avancées concrètes et rapides pour les habitants.
La coopération transfrontalière s’étend à d’autres sujets ([16]) :
– en matière de santé, avec un système de versement d’une participation du Luxembourg à la formation clinique des étudiants en médecine venant se former en France ;
– en matière d’éducation, avec la création d’un parcours plurilingue, des échanges d’enseignants et un projet d’école transfrontalière – à ce jour bloqué par le ministère de l’éducation nationale français ;
– en matière sociale, avec le remboursement par le Luxembourg des prestations en nature relatives à la dépendance dispensées en France aux assurés du système luxembourgeois ;
– en matière de sécurité, avec la mise en place de contrôles conjoints et de patrouilles mixtes dans les gares et les trains, ainsi que sur les routes et autoroutes transfrontalières.
De nouvelles problématiques doivent encore être traitées par les deux États, par exemple la question de l’indemnisation du chômage des transfrontaliers (voir encadré).
Un comité de pilotage s’est tenu le 4 décembre 2024 autour de ces différents sujets. En revanche, la 8ème CIG, qui aurait dû réunir les ministres des deux pays concernés au Luxembourg à l’automne 2024, n’est toujours pas programmée, en raison principalement de l’instabilité gouvernementale en France.
La question de l’indemnisation du chômage des transfrontaliers
En application du règlement européen n° 883/2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, la charge de l’indemnisation du travailleur frontalier en période de chômage revient à son État de résidence. L’État de dernière activité professionnelle rembourse les trois premiers mois d’indemnisation perçue par l’allocataire à l’État de résidence et jusqu’à cinq mois lorsque le travailleur frontalier a travaillé plus de douze mois dans l’État de dernière activité professionnelle au cours des vingt-quatre derniers mois.
S’agissant du Luxembourg, l’article 86 de ce règlement prévoit que la conclusion d’un accord bilatéral est nécessaire pour appliquer la règle des cinq mois de remboursement. Or, aucun accord bilatéral entre la France et le Luxembourg n’a été conclu.
L’Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (Unedic) estime le surcoût pour la France lié au chômage des transfrontaliers avec le Luxembourg à 137 millions d’euros.
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Le mercredi 11 décembre 2024, à 11 heures, la commission examine le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune, signé à Bruxelles le 7 novembre 2022.
Mme Pascale Got, rapporteure. Ce texte vise à autoriser l’approbation d’un avenant à la convention fiscale qui lie la France et le Luxembourg depuis 2018. Cette convention, qui a succédé à celle de 1958, avait pour but de mettre les relations franco-luxembourgeoises en adéquation avec les standards internationaux en matière de lutte contre l’évasion fiscale et d’élimination des doubles impositions.
L’avenant que nous examinons porte exclusivement sur une disposition nouvelle consensuelle. Il ne traite ni de l’évasion fiscale, ni de la coopération transfrontalière, ni même de l’élimination des doubles impositions. Il a une portée restreinte, puisqu’il se limite à porter de vingt-neuf à trente-quatre le nombre de jours de télétravail que les transfrontaliers peuvent réaliser depuis la France tout en restant soumis au régime luxembourgeois d’imposition sur les revenus. Cela simplifiera les démarches administratives des employeurs luxembourgeois en leur évitant de devoir répartir l’imposition des revenus entre les deux pays. Ils pourront ainsi accorder plus de jours de télétravail sans se soucier de prélever l’impôt sur le revenu français.
Comme l’ont indiqué les représentants syndicaux auditionnés, ce seuil de trente-quatre jours répond aux attentes des travailleurs transfrontaliers. Les taux d’imposition luxembourgeois ne sont pas toujours plus avantageux ; en revanche, ces travailleurs passent beaucoup de temps dans les transports, ce qui explique l’importance prise par le télétravail, notamment après le Covid. Ce seuil correspond par ailleurs à celui retenu dans les conventions qu’a signé le Luxembourg avec la Belgique et l’Allemagne. Enfin, l’avenant permet aux travailleurs transfrontaliers employés dans le secteur public de bénéficier du télétravail, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent.
Je rappelle que la convention de 2018 prévoit un régime d’imposition dans le pays d’exercice. Si vous habitez en France et que vous travaillez au Luxembourg, vous êtes imposé au Luxembourg, et vice versa. Par dérogation à ce principe, le protocole annexé à la convention de 2018 prévoyait qu’il soit possible de télétravailler vingt-neuf jours depuis la France en restant imposé au Luxembourg ; au-delà, le télétravailleur est soumis à l’impôt français. L’avenant propose de porter ce seuil à trente-quatre jours.
Cette mesure n’aura pas d’incidence sur les cotisations versées par les employeurs. En effet, conformément au droit européen, les travailleurs transfrontaliers restent soumis au régime de protection sociale de leur pays d’activité si plus de la moitié de leur temps de travail a lieu dans ce dernier.
Cet avenant n’a pas encore été ratifié par la France, alors qu’il a été signé en novembre 2022 et ratifié par le Luxembourg dès 2023. Il est même entré en vigueur de façon rétroactive le 1er janvier 2023. Pourtant, le Parlement français ne s’est toujours pas prononcé. Le gouvernement n’a déposé le projet de loi d’approbation qu’en janvier 2024 – je n’ai pas reçu d’explications sur ce retard – ; le texte a été adopté par le Sénat en mars dernier et la dissolution de notre Assemblée a reporté son examen en commission, aucune date n’étant pour l’instant prévue pour le vote en séance. Il m’apparaît donc souhaitable que notre commission et le Parlement approuvent cet avenant, qui facilitera la vie de nombre de nos compatriotes transfrontaliers.
La perte de recettes fiscales pour la France du fait du télétravail est estimée au total entre 30 et 60 millions d’euros et le relèvement du seuil de vingt-neuf à trente-quatre jours entraînerait une perte supplémentaire évaluée entre 5 et 10 millions d’euros. Selon l’administration fiscale française, cette perte de recettes doit cependant être relativisée, d’autant qu’avant 2018 l’ensemble des revenus des travailleurs transfrontaliers étaient imposés au Luxembourg dès lors qu’au moins cent quatre-vingt-trois jours dans l’année étaient effectivement travaillés sur place.
Dans le cadre de la clause de revoyure prévue par l’avenant, la France a proposé, en mars 2024, de relever encore le seuil de télétravail en contrepartie d’une rétrocession de recettes fiscales. Le Luxembourg n’a pas encore répondu à cette demande, notamment parce que l’avenant de 2022 n’a toujours pas été ratifié. Pour autant, tout le monde s’accorde à dire qu’il faudra trouver une solution pérenne.
Il convient notamment de s’accorder sur les modalités de la compensation, qui peut prendre la forme d’une rétrocession fiscale ou celle d’un accord de codéveloppement. Un accord de rétrocession fiscale a ainsi été trouvé en 2023 avec la Suisse, qui permet aux transfrontaliers de télétravailler jusqu’à 40 % de leur temps de travail, en contrepartie de quoi l’État qui perçoit l’impôt en reverse 40 % à l’autre partie. Or le Luxembourg ne semble pas vouloir prendre cette direction : il préconise plutôt la poursuite d’un codéveloppement passant par de gros projets d’aménagement financés en commun dans le secteur des transports, notamment ferroviaires. Un accord a été conclu dans ce domaine, qui prévoit 420 millions d’euros – à parité entre la France et le Luxembourg – pour améliorer les réseaux mais ces projets importants avancent à une vitesse très modérée, en raison des lourdeurs administratives constatées de part et d’autre. Le Luxembourg souhaiterait élargir cette coopération aux domaines de la santé et de l’éducation, avec par exemple des projets de lycées transfrontaliers. Cela doit être étudié dans le cadre d’une commission intergouvernementale, qui aurait dû se tenir en 2024 mais a encore une fois été reportée du fait de l’instabilité gouvernementale en France.
La portée de cet avenant n’est pas très importante, même si la mesure est très attendue par les transfrontaliers. Il s’agit seulement d’un mécanisme dérogatoire de partage de l’imposition entre la France et le Luxembourg dans le cas spécifique du télétravail. On ne peut donc attendre de ce texte qu’il résolve l’ensemble des problèmes rencontrés par le couple franco-luxembourgeois. Il est tout de même nécessaire pour faire avancer la coopération entre nos deux pays : en approuvant cet avenant, nous pouvons espérer relancer les discussions.
Mme Lætitia Saint-Paul, présidente. Les orateurs des groupes politiques vont maintenant s’exprimer.
M. Stéphane Hablot (SOC). Ce sujet est très important, notamment pour les travailleurs transfrontaliers. Comme vous l’avez souligné, la convention fiscale entre la France et le Luxembourg s’inscrit dans le cadre plus large du codéveloppement entre nos deux pays, notamment dans les régions limitrophes.
Dans les années 1980, Longwy était la capitale de l’acier français. Les usines sidérurgiques ont ensuite fermé leurs portes et, dans ce contexte de crise, un vent d’espoir pour les territoires sinistrés est venu du Luxembourg. Actuellement, 120 000 Français travaillent au Luxembourg : ils représentent la moitié des travailleurs transfrontaliers et un quart de l’ensemble de la main-d’œuvre dans ce pays. Ces chiffres impressionnants sont à l’origine d’une saturation des infrastructures de transport, ainsi que de disparités fiscales et de déséquilibres dans nos territoires.
L’avenant signé le 7 novembre 2022 constitue une avancée concrète pour les travailleurs et pour nos collectivités. En portant le seuil de télétravail de vingt-neuf à trente-quatre jours, il répond à une réalité sociétale et à l’évolution des pratiques professionnelles. Cela permettra à des milliers de salariés d’adopter des modes de vie plus équilibrés, de limiter leurs déplacements et, par conséquent, de réduire leur empreinte carbone.
Cependant, des questions restent pendantes. Quelles mesures seront prises pour garantir le respect du seuil de trente-quatre jours ? Selon Alain Casoni, qui a longtemps été maire de Villerupt, l’Union des entreprises luxembourgeoises ne sait pas comment contrôler l’application de cet accord. Or il faudra s’assurer du respect des règles.
Par ailleurs, il est crucial de réfléchir à la répartition de la richesse produite. La rémunération de la main-d’œuvre au Luxembourg s’élève à 120 milliards d’euros, dont 30 milliards pour les travailleurs transfrontaliers français. Or les collectivités locales françaises supportent des coûts importants liés à la formation et au logement de ces derniers. Pour ces mêmes raisons, la convention fiscale de 1973 entre la France et la Suisse prévoit une compensation financière, en vertu de laquelle Genève reverse 3,5 % de la masse salariale des travailleurs frontaliers français, soit 350 millions d’euros, dont 80 % reviennent aux communes françaises. Le Luxembourg ne se comporte pas avec la France comme avec la Belgique : 40 000 Belges travaillent dans le Grand-duché et ce dernier reverse à ce titre 55 millions d’euros aux communes belges.
Le groupe Socialistes et apparentés votera pour ce texte, tout en appelant à la poursuite des discussions en vue d’un partage plus équitable des richesses des deux côtés de la frontière.
Mme Pascale Got, rapporteure. Les services fiscaux français ont indiqué très honnêtement que leurs contrôles n’étaient guère approfondis, à la différence de ceux très pointus effectués par l’administration belge. Notre administration fiscale essaie pourtant de les renforcer et les formulaires de déclaration de revenus comprennent des rubriques à cet effet.
La question du codéveloppement n’est pas du tout abordée par l’avenant car elle relève de discussions distinctes de la directive, pour l’instant. Le Luxembourg se montre réticent à l’instauration d’un système de compensation comparable à celui prévu par la convention avec la Suisse. En outre, certaines collectivités locales préfèrent s’entendre directement avec le Luxembourg dans le cadre de projets d’aménagement plutôt que d’attendre le reversement d’une compensation perçue par l’État.
Mme Clémentine Autain (EcoS). Je me demande ce que penseraient nos concitoyens s’ils savaient que nous consacrons autant de temps à un avenant visant à porter de vingt-neuf à trente-quatre jours le seuil de télétravail pour les travailleurs français au Luxembourg… Ce ne sont pourtant pas les sujets majeurs qui manquent. Il faut lutter contre une évasion fiscale d’ampleur, accroître la transparence et éviter la concurrence déloyale, notamment en matière d’indemnisation du chômage. L’attractivité du Luxembourg entraîne en outre d’importantes difficultés de recrutement dans les services publics des collectivités françaises frontalières.
Au lieu de cela, on nous demande de voter sur une modification de quelques jours du seuil de télétravail – avec, en prime, une nouvelle concession faite au Luxembourg, puisqu’après avoir fait à ce dernier un cadeau de 30 à 60 millions d’euros en 2018, nous acceptons maintenant une perte de recettes fiscales supplémentaire de 5 à 10 millions. C’est un peu fort de café !
Nous avons mieux à faire que ces petits pas, qui sont en fait des reculs. Depuis le scandale des LuxLeaks, en 2014, on sait que le Luxembourg est un havre fiscal. Les questions relatives à la transparence, aux stratégies des multinationales, aux fraudes et aux moyens de lutte contre l’évasion fiscale sont bien plus importantes que le sujet abordé ce matin.
Notre groupe votera contre cet accord car nous n’avons pas très envie que la France perde encore de l’argent dans cette affaire. Si la représentation nationale doit passer du temps sur un sujet, autant qu’il soit plus ambitieux.
Mme Pascale Got, rapporteure. La portée de cet avenant peut en effet paraître assez limitée par rapport aux objectifs de la convention. Pour autant, il répond à une forte demande des travailleurs transfrontaliers en alignant le seuil du télétravail sur celui pratiqué par la Belgique et l’Allemagne.
Il n’en demeure pas moins que des difficultés persistent en matière d’évasion fiscale, même si la convention de 2018 a en partie amélioré les choses. D’où l’importance de la clause de revoyure, qui permettra d’aborder d’autres questions que le télétravail, notamment en se penchant sur la manière dont le Luxembourg répond au problème de l’évasion fiscale.
La convention de 2018 est un progrès par rapport à celle de 1958 et elle correspond davantage aux standards internationaux. Elle a réaffirmé la règle de l’imposition de tous les revenus du salarié. Depuis 2018, les travailleurs transfrontaliers sont également tenus de les déclarer à l’administration fiscale française ; pour ne pas être imposés deux fois, ils bénéficient d’un crédit d’impôt. Cela permet de mieux apprécier les facultés contributives puisque les revenus perçus au Luxembourg sont pris en compte dans le calcul du taux applicable aux autres revenus.
Il y avait beaucoup à faire pour lutter contre l’évasion fiscale des entreprises. Un pas a été franchi à la suite du scandale des LuxLeaks, qui a obligé tout le monde à se mettre autour de la table.
M. Frédéric Petit (Dem). J’ai été le rapporteur du projet de loi autorisant l’approbation de la convention fiscale de 2018 ; je connais donc bien ce sujet. Il est important que la représentation nationale effectue de grands travaux mais aussi certains plus petits qui sont utiles à nos concitoyens.
Le sujet du télétravail peut évidemment sembler annexe par rapport à la convention de 2018, dont la rapporteure a eu raison de rappeler qu’elle a permis un alignement avec le droit commun. Elle a ainsi mis fin à l’implantation artificielle d’entreprises lorraines au Luxembourg, ce qui leur permettait d’embaucher des salariés selon le droit luxembourgeois.
Quant au télétravail, cela reste un sujet important à l’échelle européenne, qui concerne d’ailleurs beaucoup les députés représentant les Français établis à l’étranger, de même que leurs équipes. Il a été jusqu’à présent abordé sous l’angle des travailleurs transfrontaliers mais beaucoup de gens travaillent pour des employeurs très éloignés, et ce bien plus que trente-quatre jours par an. Pendant la crise sanitaire, j’ai connu des salariés en République tchèque travaillant depuis le Portugal, parce que c’est dans ce pays que se trouvait leur famille. Cela pose également des questions de fiscalité, de rétrocession de recettes par les États – pour ma part, je pense que nous avons plutôt intérêt à travailler sur de grands projets communs –, et donc de coopération européenne.
Alors que la nouvelle Commission européenne a annoncé un choc de simplification, il serait intéressant d’aborder globalement la question du télétravail dans le droit de l’Union européenne plutôt que de s’en tenir à des approches bilatérales.
Pour l’instant, le contrôle du nombre de jours télétravaillés repose avant tout sur les déclarations des intéressés. Procède-t-on vraiment à des vérifications à domicile ?
Mme Pascale Got, rapporteure. Comme je l’ai déjà indiqué, le contrôle exercé par l’administration fiscale est bien moindre en France qu’en Belgique.
Les normes européennes en matière d’organisation du télétravail peuvent être encore améliorées mais les aspects fiscaux demeurent régis par des accords bilatéraux.
Mme Isabelle Mesnard (HOR). Le télétravail s’est beaucoup développé dans les entreprises lors de la Covid-19. Il est à présent entré dans les mœurs et fait partie des critères de choix d’un emploi. Il permet de concilier la qualité de vie au travail, le bien-être et la liberté. Le télétravail a également un effet positif du point de vue écologique, puisqu’il réduit les déplacements.
Il nous appartient de nous prononcer sur l’opportunité de porter de vingt-neuf à trente-quatre jours le seuil au-delà duquel le télétravail est imposé dans le pays de résidence. Cette disposition a une portée significative car le Luxembourg emploie 120 000 travailleurs frontaliers résidant en France.
Deux données essentielles guident notre appréciation de cet avenant.
Tout d’abord, celui-ci revêt un caractère transitoire, grâce à la clause de revoyure. Nous soutiendrons toujours les mesures qui favorisent le télétravail et la modification portant le seuil à trente-quatre jours n’est pas suffisante pour accompagner les profondes transformations de la relation au travail observée après la Covid. Les autorités françaises et luxembourgeoises sont censées se réunir avant la fin de l’année 2024 pour définir les modalités d’application de l’avenant.
Ensuite, l’augmentation du seuil aura un impact sur les recettes du Trésor public. En effet, davantage de personnes paieront l’impôt au Luxembourg.
Le groupe Horizons & indépendants votera en faveur de ce projet de loi, en attendant une solution pérenne pour les travailleurs frontaliers.
Mme Pascale Got, rapporteure. Vous avez bien résumé le contenu de cet avenant.
La clause de revoyure est vraiment importante pour tous les sujets que nous avons abordés, en particulier pour les actions de codéveloppement destinées à faciliter la vie des travailleurs transfrontaliers.
Les représentants syndicaux que nous avons auditionnés ont relevé que le développement du télétravail pourrait tenter certains employeurs luxembourgeois de délocaliser certaines activités. Nous n’en sommes pas encore là mais il faut prêter attention à ce risque.
La véritable interrogation concerne la date d’organisation de la huitième conférence intergouvernementale entre la France et le Luxembourg. Elle permettrait de faire avancer certains dossiers, notamment celui de la lutte contre l’évasion fiscale.
M. Nicolas Forissier (DR). Notre groupe votera évidemment en faveur de ce texte.
Je suis sensible à la question évoquée par Clémentine Autain. L’optimisation fiscale pratiquée par de grands groupes dans des pays comme le Luxembourg représente en réalité le contraire du libéralisme. Il y a encore beaucoup d’efforts à faire pour harmoniser les règles au sein de l’Union européenne et nous devrions travailler sur ce sujet.
S’agissant de l’avenant qui nous occupe ce matin, je suis d’accord avec Frédéric Petit : il nous revient aussi d’améliorer la situation de nos concitoyens en statuant sur des sujets extrêmement concrets. Ce texte résulte de négociations et il est nécessaire. Il répond à certaines demandes des travailleurs transfrontaliers et devrait faire l’objet d’un consensus.
Mme Pascale Got, rapporteure. Les représentants des syndicats que nous avons auditionnés ont confirmé que le rejet de cet avenant constituerait un signal tout à fait négatif. J’entends les préoccupations exprimées par les uns et les autres mais il serait malvenu de bloquer nos travailleurs transfrontaliers.
M. Michel Guiniot (RN). L’avenant vise à adapter les dispositions fiscales aux nouvelles pratiques du télétravail. Son objet n’est pas de savoir s’il faut reconnaître cette nouvelle forme d’organisation du travail mais de l’encadrer au mieux.
L’article 1er vise à porter la période de télétravail pouvant être soumise au régime d’imposition du pays d’activité de vingt-neuf à trente-quatre jours. C’est peu, comparé aux quarante-cinq jours prévus dans l’accord avec la Suisse du 27 octobre 2022, d’autant que les Français télétravaillent en moyenne quatre-vingt-dix jours par an, selon les chiffres de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES). Par ailleurs, l’avenant ne prévoit aucun dispositif de contrôle. Comment vérifier son application ?
L’article 2 est de cohérence.
L’article 3 prévoit que la mesure s’applique à partir de la prochaine période fiscale. Or l’avenant a été préparé en 2019, signé en 2022 et il est toujours en cours d’approbation par le Parlement français. Il semble improbable que les États se rencontrent avant le 31 décembre 2024 pour déterminer les conditions qui s’appliqueront aux travailleurs transfrontaliers à partir du 1er°janvier 2025.
Enfin, je m’interroge sur le deuxième alinéa de l’article 4, qui précise que « les dispositions du présent avenant s’appliquent aux périodes d’imposition commençant à compter du 1er°janvier 2023 ». Pourquoi le début de la période d’imposition concernée n’est-il pas fixé au 1er janvier de l’année qui suit l’entrée en vigueur du dispositif, comme c’est l’usage dans de telles conventions ? La France devra-t-elle débloquer des crédits d’impôts pour la période fiscale de 2023, alors que les impôts pour cette année-là ont déjà été collectés ? Quel en sera le coût ?
Nous voterons en faveur de cet avenant.
Mme Pascale Got, rapporteure. Le texte aura effectivement un effet rétroactif, au bénéfice des travailleurs transfrontaliers français. Cela ne pose pas de difficulté.
Par ailleurs, même si aucune date n’a encore été arrêtée pour la prochaine réunion de la commission intergouvernementale, une rencontre a déjà eu lieu entre les services fiscaux français et ceux du Grand-duché en mars 2024 et un comité de pilotage s’est réuni le 4 décembre.
M. Michel Guiniot (RN). Quid du contrôle de la durée effective du télétravail ? Le texte ne prévoit rien en la matière.
Mme Pascale Got, rapporteure. En Belgique, pour vérifier la véracité des déclarations en matière de télétravail, les services fiscaux vont jusqu’à localiser les télécommunications du déclarant. En France, les contrôles sont bien moins intrusifs : l’administration se contente de vérifier la conformité des documents d’imposition avec le droit.
Mme Brigitte Klinkert (EPR). Cet avenant représente une avancée dans notre coopération fiscale avec le Luxembourg. Il est très attendu par les travailleurs transfrontaliers. Il vise non seulement à éviter la double imposition, qui est une injustice fiscale, mais aussi à lutter contre l’évasion et la fraude fiscales, qui constituent des enjeux importants, en particulier pour nos finances publiques.
Cet avenant porte sur une convention du 20 mars 2018, qui avait remplacé le cadre défini en avril 1958 afin de permettre les modernisations fiscales définies par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). La convention de 2018 reflète l’engagement des deux États à respecter les principes de transparence et de justice fiscale, en renforçant les mécanismes d’échange d’informations et en prévoyant des dispositions spécifiques pour contrer l’érosion de la base d’imposition.
L’avenant a été signé le 7 novembre 2022, après la crise sanitaire. Il permettra de moderniser et d’assouplir le cadre juridique prévu pour les travailleurs transfrontaliers en portant le seuil de télétravail à trente-quatre jours, comme c’est déjà le cas dans les conventions bilatérales conclues par le Luxembourg avec la Belgique et l’Allemagne. Les règles seront ainsi harmonisées pour tous les travailleurs transfrontaliers.
Je rappelle qu’au dernier trimestre 2024, près de 47 % des salariés travaillant au Luxembourg, soit 224 000 personnes, étaient transfrontaliers. Il faut garantir un cadre juridique moderne, équitable et efficace pour réguler ces échanges tout en évitant les doubles impositions et en luttant contre les abus fiscaux.
Cet avenant simplifiera le quotidien des salariés transfrontaliers et renforcera notre coopération fiscale avec un pays européen. Aussi le groupe Ensemble pour la République soutiendra-t-il le projet de loi autorisant son approbation.
Mme Pascale Got, rapporteure. Oui, cet avenant est important pour les travailleurs transfrontaliers. La commission intergouvernementale qui sera organisée après son approbation permettra de mettre sur la table d’autres sujets, notamment celui de l’indemnisation du chômage. Ne bloquons pas ce processus !
M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Nous comprenons bien le souhait de ceux qui travaillent au Luxembourg de bénéficier de jours supplémentaires de télétravail sans conséquences pour leur régime fiscal, au vu des distances parfois longues qu’ils parcourent pour se rendre sur leur lieu de travail.
Toutefois, vous ne pouvez pas feindre que cet avenant n’aura aucune conséquence fiscale. Il complète une convention fiscale et prévoit de retarder le moment où le taux d’imposition français s’appliquera. Nos collègues sénateurs ont estimé la perte de recettes fiscales entre 30 et 60 millions d’euros. Nous ne pouvons donc pas soutenir un tel avenant, qui sert d’abord les intérêts du Luxembourg. La France ne peut pas se plier aux exigences fiscales de ce pays, qui est au cœur du système d’évasion fiscale, selon l’Observatoire européen de la fiscalité.
Au lieu d’alléger la fiscalité pesant sur les travailleurs transfrontaliers en augmentant le nombre de jours de télétravail autorisés, il vaudrait mieux instaurer un système de rétrocession fiscale, comme l’avait proposé Mme Martine Étienne pendant la précédente législature, car le Luxembourg ne reverse pas les impôts qu’il perçoit auprès des travailleurs résidant en France. Ces derniers ne financent donc pas les services publics et les infrastructures des régions frontalières françaises, alors même qu’ils en bénéficient quotidiennement. Les communes et les départements de notre pays ne peuvent plus assumer seuls ces dépenses. Au-delà de la dégradation du service public, l’attractivité économique très forte du Luxembourg contribue à la désindustrialisation des zones frontalières françaises, notamment la Moselle. Nous ne souhaitons évidemment pas que les 121 000 Français concernés soient privés de leur emploi au Luxembourg mais que le Grand-duché nous reverse une partie des impôts levés sur les travailleurs résidant en France. Dans l’attente de la mise en place d’un tel mécanisme de rétrocession, qui existe déjà entre la France et la Suisse, nous voterons contre cet avenant.
Mme Pascale Got, rapporteure. La France souhaite rapprocher la convention fiscale avec le Luxembourg de celle conclue avec la Suisse mais, pour cela, il faut créer les conditions de la négociation et donc renoncer à bloquer ce texte.
Il faut relativiser la perte de recettes fiscales induite par cet avenant, puisque les revenus visés, même s’ils seront imposés au Luxembourg, devront être déclarés en France et entreront dans l’appréciation globale des revenus du contribuable. Ainsi, si le déclarant possède un patrimoine en France et en tire des revenus, ces derniers seront imposés au taux correspondant à une tranche supérieure du barème de l’impôt sur le revenu.
En outre, en matière fiscale, il faut distinguer le régime applicable aux travailleurs, qui n’est pas toujours plus avantageux au Luxembourg – pour certaines tranches, il vaut mieux déclarer ses revenus en France –, de la fiscalité des entreprises, qui favorise l’évasion fiscale. En la matière, la convention de 2018 a toutefois créé des contre-feux.
Mme Lætitia Saint-Paul, présidente. Je donne à présent la parole aux collègues qui souhaitent intervenir à titre individuel.
M. Frédéric Petit (Dem). Monsieur Taché, il n’est pas question que le Luxembourg ne rétrocède pas une partie des recettes fiscales ; la question est celle du mode de rétrocession. Plutôt que de demander au Luxembourg de verser les sommes à Paris, en espérant qu’elles bénéficieront à la Lorraine, les collectivités territoriales préfèrent s’engager dans des projets communs en matière d’infrastructures, pour financer par exemple le chantier de l’A31 bis ou pour améliorer les liaisons ferroviaires avec le Luxembourg. Nous pourrions également parler des hôpitaux.
Vous évoquez une perte de recettes liée à l’avenant mais aucune recette n’est perdue puisque, avant la crise du Covid, les revenus des journées de télétravail n’étaient pas imposés en France ! Le manque à gagner n’est donc pas « cash », comme on dit dans le monde de l’entreprise, mais virtuel.
Mme Pascale Got, rapporteure. Les représentants des collectivités auditionnés préfèrent effectivement les accords de codéveloppement, notamment pour le secteur ferroviaire. La modernisation des liaisons entre la France et la Luxembourg bénéficie d’une enveloppe de 440 millions d’euros, abondée pour moitié par chacun des deux pays. Je doute que l’État français aurait accepté de financer seul ces travaux. Les collectivités préfèrent prendre directement ce qui peut l’être et négocier elles-mêmes avec le Luxembourg pour ouvrir d’autres chantiers en matière de santé et d’éducation, dans le cadre d’un projet territorial global.
M. Stéphane Vojetta (EPR). Monsieur Taché, vous êtes aveuglé par vos préjugés sur le Luxembourg et ceux de nos compatriotes qui veulent travailler à l’étranger, en y résidant ou non. Les taux d’imposition sur les revenus des personnes physiques sont extrêmement similaires en France et au Luxembourg et c’est seulement à partir de 200 000 euros annuels que l’imposition au Luxembourg est légèrement plus intéressante. Or les travailleurs transfrontaliers – ceux du bassin d’emploi de Thionville, Uckange, Herserange, Longwy et Mont-Saint-Martin – ne visent pas des salaires aussi élevés.
En revanche, les axes routiers entre la France et le Luxembourg sont bloqués tous les matins et tous les soirs. Pour les travailleurs transfrontaliers, l’avenant permettra par exemple d’échapper aux bouchons cinq lundis supplémentaires par an ; c’est ce jour-là que le trafic est le plus compliqué, avec le retour des poids lourds sur l’A31.
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Article unique (approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune, et le protocole y relatif, faits à Paris, le 20 mars 2018, tels que modifiés par l’avenant, fait à Luxembourg, le 10 octobre 2019, signé à Bruxelles le 7 novembre 2022)
La commission adopte l’article unique non modifié.
L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.
ANNEXE 1 :
TEXTE DE LA COMMISSION des affaires ÉtrangÈres
Article unique
Est autorisée l’approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand‑duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune, et le protocole y relatif, faits à Paris, le 20 mars 2018, tels que modifiés par l’avenant, fait à Luxembourg, le 10 octobre 2019, signé à Bruxelles le 7 novembre 2022, et dont le texte est annexé à la présente loi ([17]).
ANNEXE 2 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE
Ambassade du Luxembourg en France
– M. Marc Ungeheuer, ambassadeur du Luxembourg en France ;
– M. Georges Eischen, chef de mission adjoint ;
– Mme Natalia Radichevskaia, conseillère.
Ministère de l’Europe et des affaires étrangères
– Mme Anne-Charlotte Montin, cheffe de la mission de l’Europe occidentale et nordique à la direction de l’Union européenne ;
– Mme Fanny Rolland, rédactrice à la direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire ;
– Mme Claire Giroir, conseillère juridique à la mission des accords et traités de la direction des affaires juridiques.
Ministère de l’économie, des finances et de l’industrie
– M. Florian de Filippo, chef du bureau E1 (règles de fiscalité internationale et conventions fiscales) à la direction de la législation fiscale ;
– Mme Nathalie Gossement, adjointe au chef du bureau E1 ;
– M. Antoine Guici, chef de section au bureau E1 ;
– Mme Miléna Wittmann, rédactrice au bureau E1.
Confédération syndicale indépendante du Luxembourg (OGBL)
– M. Gilbert Matarazzo, président ;
– M. Frédéric Krier, secrétaire central.
([1]) M. Mohamed Laqhila avait été désigné rapporteur le 7 mai 2024.
([2]) La convention entre la France et le Grand-Duché de Luxembourg tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d’assistance administrative réciproque en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune du 1er avril 1958 a été modifiée à quatre reprises en 1970, en 2006, en 2009 et en 2014.
([3]) Base erosion et profit shifting (Érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices).
([4]) Avis de la commission des finances de l’Assemblée nationale sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune, n° 1670, p. 17.
([5]) Tel est l’objet des directives sur la coopération entre administrations et l’échange d’informations dites « DAC » et des directives anti-évasion fiscale, dites « ATAD ».
([6]) Le gouvernement n’est cependant pas en mesure d’indiquer le montant des recettes fiscales permises par la convention.
([7]) Un accord du 11 avril 1983 prévoit la règle de l’imposition exclusive dans l’État de résidence des rémunérations des travailleurs frontaliers exerçant dans huit cantons suisses : Berne, Soleure, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Vaud, Valais, Neuchâtel et Jura.
([8]) Dans le cadre de l’accord du 11 avril 1983, la France reverse à la Suisse l’équivalent de 4,5 % de la rémunération brute perçue en Suisse par les frontaliers.
([9]) Loi n° 2021-68 du 27 janvier 2021 autorisant l’approbation de l’avenant à la convention du 20 mars 2018 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune
([10]) Avis de la commission des finances de l’Assemblée nationale sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune, n° 1670, p. 29.
([11]) Le gouvernement a indiqué à la rapporteure que le Conseil d’État avait estimé que cette rétroactivité ne posait pas de difficulté dès lors qu’elle bénéficiait aux contribuables.
([12]) Calcul de l’administration. En l’absence de déclaration des jours télétravaillés, cette estimation repose sur une estimation de la part de travailleurs transfrontaliers télétravaillant vingt-neuf jours (25 % pour la fourchette basse ; 50 % pour la fourchette haute) et un salaire moyen annuel de 54 600 euros.
([13]) Calcul de l’administration.
([14]) L’extension du recours au télétravail ne fait toutefois pas l’objet d’un consensus parmi les transfrontaliers, certains s’inquiétant qu’il ne finisse par inciter les employeurs luxembourgeois à délocaliser complètement certaines de leurs activités « télétravaillables » dans d’autres pays européens où les salaires sont moins élevés.
([15]) Le Parlement devrait être prochainement amené à examiner la ratification de cet avenant à la convention fiscale bilatérale avec la Suisse concernant l’exercice du télétravail, conclu le 27 juin 2023.
([16]) Voir le communiqué conjoint de la 7ème commission intergouvernementale pour le renforcement de la coopération transfrontalière (Thionville, 17 avril 2023).
([17]) Le texte figure en annexe du projet de loi n° 548.