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N° 862

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 janvier 2025.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi visant à plafonner le cumul de prestations sociales
en vue de créer une aide sociale unique et à soutenir les familles qui travaillent

 

 

Par M. Thibault BAZIN,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

 

 

Voir le numéro : 765.

 

 


– 1 –

SOMMAIRE

___

Pages

Avant-propos

Commentaire des articles

Article 1er Plafonnement du montant total du revenu de solidarité active et des aides personnelles au logement perçues par une personne ou un ménage à hauteur d’un multiple de 70 % du salaire minimum de croissance, attribution des allocations familiales à partir du premier enfant à charge, suppression de la modulation de leur montant en fonction des ressources et demande de rapport en vue de l’instauration d’une aide sociale unique

Article 1er bis (nouveau) Rapport sur la solidarité à la source

Article 2 Gage de recevabilité financière

Titre Proposition de loi visant à plafonner le cumul de prestations sociales et à rétablir le caractère universel des allocations familiales dès le premier enfant

Travaux de la commission

Annexe n° 1 : Liste des contributionS ÉcriteS adressÉES au rapporteur

Annexe n° 2 : Textes susceptibles d’Être abrogÉs ou modifiÉs À l’occasion de l’examen de la proposition de loi

 


– 1 –

   Avant-propos

Mesdames, Messieurs,

La proposition de loi faisant l’objet du présent rapport a été déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 19 décembre 2024 ; elle a été examinée par la commission des affaires sociales le 29 janvier 2025 ; elle devrait être examinée en séance le 6 février 2025, à savoir une journée réservée, sur le fondement de l’avant‑dernier alinéa de l’article 48 de la Constitution, aux initiatives du groupe Droite républicaine. Celui-ci avait d’ailleurs dès l’été dernier annoncé l’inscription de ce texte dans sa « niche » portant la valorisation du travail comme une priorité pour la France.

● Quelques jours avant la discussion de cette proposition de loi, sont parues deux études qui confirment l’inquiétante baisse du nombre de naissances en France et la difficulté qu’ont les pouvoirs publics à y remédier.

Dans son dernier Bilan démographique ([1]), l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) relève que le solde naturel français a atteint son plus faible niveau depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le nombre de naissances poursuit sa chute, n’étant plus supérieur à celui des décès que d’environ 17 000 bébés lors de l’année écoulée, ce qui représente une diminution de 21,5 % depuis 2010, se traduisant à l’école primaire, laquelle a perdu 12 % de ses élèves entre 2014 et aujourd’hui.

Avec 1,62 enfant par femme – contre un désir de 2,3 enfants d’après l’Union nationale des associations familiales (Unaf) –, l’indice de fécondité est le plus bas depuis le lendemain de la Première guerre mondiale, soit 1,59 enfant en 1919, une évidence tenant au nombre immense de jeunes hommes morts pour la Patrie.

L’économiste Maxime Sbaihi, dont le travail scientifique est de qualité mais dont le rapporteur ne partage pas toutes les opinions à titre personnel, évoque ainsi un « déni démographique » qui n’est pas sans commencer à ressembler à ce que connaissent des pays industrialisés comme l’Italie et le Japon ([2]).

Et l’essayiste de conclure : « on retrouve ici le risque autoréalisateur du piège de la basse fécondité ; le vieillissement appauvrit les jeunes générations, qui par conséquent font moins d’enfants pour maintenir leur niveau de vie, ce qui réduit encore plus les naissances et accélère le vieillissement ; par un cruel cercle vicieux, la dénatalité devient cause et conséquence du vieillissement démographique ; l’autre conséquence, c’est le creusement des inégalités intergénérationnelles sous le poids d’un État-providence qui les renforce au lieu de les atténuer [...; une petite musique hélas récurrente dans le débat public accuse les jeunes d’être devenus trop individualistes, trop matérialistes, trop égoïstes pour penser à fonder une famille ; la dénatalité serait dans les têtes et indépendante du contexte ; on entend régulièrement ces clichés, vieux comme le monde, de la part de personnalités plus enclines [...] à exagérer les défauts de la jeunesse qu’à avouer les difficultés économiques inédites auxquelles elle est confrontée [...; l’écart flagrant entre le nombre d’enfants que les Français font et [celui] qu’ils aimeraient n’incrimine pas le désir d’enfant en tant que tel mais bien les possibilités de sa réalisation » ([3]).

Face à la baisse de la natalité, que les politiques menées ces dernières années échouent à endiguer – le rapporteur n’aura pas à l’endroit du Président de la République la discourtoisie d’aborder le sort du « réarmement démographique » qu’il appelait, littéralement, de ses vœux ([4]) –, il apparaît nécessaire d’enfin rétablir l’universalité des allocations familiales, en supprimant leur modulation selon les ressources du ménage ou de la personne qui a la charge des enfants, instaurée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, et en prévoyant leur versement en droit commun dès le premier enfant d’un ménage, comme tel est déjà le cas outre‑mer.

Cette logique de redistribution horizontale motive le II de l’article 1er.

● Aussi soucieux de la justice sociale que de l’équilibre des comptes publics, sur lesquels il ne revient pas dans le présent avant-propos mais qu’il a eu l’occasion de commenter encore très récemment en tant que rapporteur général lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 en nouvelle lecture, le rapporteur préconise également de garantir que les revenus du travail soient systématiquement supérieurs à ceux tirés des aides sociales.

Dans un premier temps, le I du même article 1er plafonne à 70 % du salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic) net le montant cumulé du revenu de solidarité active (RSA) et des aides personnelles au logement.

Il s’agit d’éviter la formation de trappes à inactivité : une des explications du caractère parfois désincitatif de la reprise d’un emploi ou de l’acceptation d’un temps de travail supérieur ou d’un poste donnant un meilleur salaire est le fait qu’un tel choix puisse s’accompagner de surcoûts, comme des frais de transport ou de garde d’enfants et de la perte d’avantages, par exemple de tarifs réduits à la cantine scolaire ou dans d’autres services publics. De telles dépenses, pourtant nécessaires à la hausse de l’activité, illustrent l’urgence que les effets de seuil entre le travail et l’aide soient remis dans un ordre logique et affichent un écart vertueux.

Certains de ses collègues, dont au demeurant il respecte tout à fait, s’il était seulement besoin de le rappeler, la sensibilité, ont indiqué au rapporteur pendant que la commission examinait le texte qu’il était tout bonnement impossible de percevoir plus de prestations que de revenus d’activité, ce que prouveraient les données des ministères sociaux, de sorte que le groupe Droite Républicaine se rendrait coupable de mobiliser un « fantasme » ou un « mythe ». Le rapporteur n’aurait pas cru nécessaire d’insister sur le fait que, ni dans un sens ni dans l’autre, il ne faut faire de généralités et que la diversité des situations individuelles et familiales se retrouve dans l’avantage pécuniaire comparatif des prestations et du travail.

Dans sa contribution écrite, après avoir noté que naturellement « l’estimation financière d’un plafonnement [de ces deux mesures] est dépendante des paramètres retenus » – ce qui permet de souligner que la proposition de loi, dans sa version initiale, prévoit bien une prise en compte de la composition du ménage –, la direction de la sécurité sociale (DSS) indique que « quel que soit le nombre d’enfants dans le foyer, un couple sans enfant perçoit des masses de RSA et d’aides au logement correspondant à un Smic environ ».

Montant du RSA et des aides au logement perçu par un couple sans revenu selon son nombre d’enfants entre trois et cinq ans

(en pourcentage du Smic net)

Note : est pris en compte un loyer de 500 euros en zone 2 (cf. infra dans le C du I du commentaire de l’article 1er).

Source : réponses écrites de la DSS au questionnaire du rapporteur.

● Une étape supplémentaire devra être le rapprochement de l’ensemble des prestations non contributives : tel est l’objet du III dudit article 1er.

Dans les mots du ministère chargé du logement, qui a également répondu par écrit au rapporteur, les objectifs de la réflexion actuelle sur une allocation sociale unique, ou unifiée, testée dans cinq départements, « consistent à accroître l’incitation au travail, réduire le taux de pauvreté, diminuer le non-recours aux prestations et simplifier les règles en vigueur » ([5]).

Le groupe politique de l’auteur du présent rapport est convaincu qu’il est possible d’engager une simplification de notre modèle social, sans pour autant nuire à son efficacité et à sa générosité – dans la mesure où, à l’inverse, l’objectif de lutter contre le non-recours est partagé sur de nombreux bancs –, ce que conforte l’avis de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), suivant laquelle créer une allocation unique sera délicat, mais pas impossible : « au vu du retour d’expérience de la réforme des aides au logement de 2021, il apparaît nécessaire en cas de modification substantielle des modalités de calcul et de déclaration des droits de garantir une communication spécifique et un parcours réactif pour les allocataires, afin de limiter le surcroît de flux de contact et permettre aux caisses d’être en capacité de le gérer ».

Une résolution a été adoptée à l’unanimité par le bureau de Départements de France (ex-Assemblée des départements de France) le 22 janvier dernier, aux termes de laquelle les élus de l’association partagent l’ambition de « fiabiliser le calcul des droits et verser le juste droit ; diminuer les indus mis à la charge des bénéficiaires, simplifier les démarches administratives et réduire la charge déclarative ; réduire les risques de fraude ; créer les conditions d’un rapprochement entre les prestations et harmoniser les ressources prises en compte dans le RSA et la prime d’activité ; lutter contre le non-recours », mais estiment que « le principe de généralisation de la réforme [de la] solidarité à la source est prématuré faute de pouvoir en mesurer les impacts [sic] avec certitude ».

*

*     *

À l’issue d’une réunion de la commission des affaires sociales pendant laquelle s’est manifesté un clivage classique et, selon le rapporteur, parfaitement sain entre la droite et la gauche, le texte a été adopté, avec :

– un article 1er restreint à l’universalisation des allocations familiales ;

– un nouvel article 1er bis demandant un rapport ;

– un article 2 comprenant un gage, sans changement ;

– un titre modifié en « proposition de loi visant à plafonner le cumul de prestations sociales et à rétablir le caractère universel des allocations familiales dès le premier enfant ».


– 1 –

   Commentaire des articles

Adopté par la commission avec modifications

Cet article modifie le code de l’action sociale et des familles de sorte que, pour une personne ou un ménage, le cumul du revenu de soldarité active et des aides personnelles au logement n’excède 70 % du salaire minimum de croissance.

Il modifie également le code de la sécurité sociale pour que les allocations familiales soient attribuées dès le premier enfant à charge au lieu du deuxième et que leur montant ne varie plus en fonction des ressources des parents.

Il demande enfin un rapport sur l’instauration d’une aide sociale unique.

  1.   Le droit existant

Seront abordés les principes généraux de l’aide sociale (A) puis, dans l’ordre de leur mention dans les I et II de l’article 1er de la proposition de loi, le revenu de solidarité active (B), les aides personnelles au logement (C), le salaire minimum (D) et les allocations familiales (E).

Avant de résumer les dispositions applicables à ces prestations et au salaire devant servir au calcul du montant plafonné de deux d’entre elles, le rapporteur souhaite faire le départ entre les notions de famille, de foyer fiscal et de ménage que le texte même comme le débat à son propos mobiliseront nécessairement.

L’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) donne les définitions suivantes pour trois concepts qui se chevauchent sans se confondre :

– « une famille est la partie d’un ménage comprenant au moins deux personnes et constituée soit d’un couple vivant au sein du ménage, avec le cas échéant son ou ses enfant(s) appartenant au même ménage, soit d’un adulte avec son ou ses enfant(s) appartenant au même ménage (famille monoparentale) ; pour qu’une personne soit enfant d’une famille, elle doit être célibataire et ne pas avoir de conjoint ou d’enfant faisant partie du même ménage ; un ménage peut comprendre zéro, une ou plusieurs familles » ;

– « un foyer fiscal est l’ensemble des personnes inscrites sur une même déclaration de revenus ; il peut y avoir plusieurs foyers fiscaux dans un seul ménage, par exemple, un couple non marié où chacun remplit sa propre déclaration de revenus compte pour deux foyers fiscaux » ;

– « un ménage est l’ensemble des occupants d’un même logement sans que ces personnes soient nécessairement unies par des liens de parenté (par exemple, en cas de colocation) ; un ménage peut être composé d’une seule personne ».

  1.   L’aide sociale

Comme l’indiquent diverses publications du ministère du travail, de la santé, des solidarités et des familles, « il n’existe pas de définition unique du périmètre de l’aide et l’action sociales au sein de la protection sociale », tant doivent être pris en compte des dispositifs gérés aussi bien par l’État que par les régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss) ou les collectivités territoriales et tant la législation applicable est éclatée entre les codes de l’action sociale et des familles, de la sécurité sociale, du travail ou général des collectivités territoriales, avec des ajustements dans le code rural et de la pêche maritime ou pour ce qui concerne l’outre-mer.

Selon les conventions, l’on peut considérer que l’aide sociale compte pour environ 10 % des dépenses de protection sociale, lesquelles, d’après l’Insee, sont passées entre 2019 et 2022 de 760,9 milliards d’euros à 848,9 milliards d’euros ([6]).

● L’alinéa unique de l’article L. 111-1 du code de l’action sociale et des familles dispose que « toute personne résidant en France bénéficie, si elle remplit les conditions légales d’attribution des formes de l’aide sociale ».

Cette rédaction, issue de l’annexe à l’article 1er de l’ordonnance n° 2000‑1249 du 21 décembre 2000 relative à la partie législative du code de l’action sociale et des familles ([7]), est identique à celle de l’article 24 de l’ancien code de la famille et de l’aide sociale, créé par l’article 1er du décret n° 53‑1186 du 29 novembre 1953 partant réforme des lois d’assistance, puis repris dans l’annexe à l’article 1er du décret n° 56‑149 du 24 janvier 1956 ([8]) et abrogé par le I de l’article 4 de l’ordonnance du 21 décembre 2000 précitée.

● L’article L. 111‑1 s’applique cependant sous les réserves posées aux articles L. 111‑2 et L. 111‑3 du même code.

D’une part, les personnes de nationalité étrangère bénéficient :

– sans condition distincte, des prestations d’aide sociale à l’enfance (1°), de l’aide sociale en cas d’admission dans un centre d’hébergement et de réinsertion sociale (2°) et de l’aide médicale de l’État (AME) (3°) ;

– si elles justifient d’une résidence ininterrompue en France métropolitaine depuis au moins quinze ans avant leurs 70 ans, des allocations versées aux personnes âgées de plus de 65 ans pour bénéficier, en deçà d’un certain seuil de ressources, soit d’une aide à domicile, soit d’un accueil chez des particuliers ou dans un établissement ([9]) (4°) ;

– si elles justifient d’un titre de séjour régulier, des autres aides sociales.

D’autre part, les personnes dont la présence sur le territoire résulte de circonstances exceptionnelles et qui n’ont pu choisir librement leur lieu de résidence et les personnes pour lesquelles aucun domicile fixe ne peut être déterminé doivent respecter des conditions prévues pour chacune des prestations sociales.

● De manière générale, les chapitres II à IX du titre Ier du livre Ier du code de l’action sociale et des familles distinguent les mesures sur la politique familiale, les personnes âgées ou handicapées, la lutte contre la pauvreté et les exclusions, l’action sociale et médico-sociale, les personnes immigrées ou issues de l’immigration, la cohabitation intergénérationnelle solidaire et la maltraitance.

Pour les thèmes intéressant la proposition de loi, l’on peut noter que :

– selon le 1° du I de l’article L. 112‑2, « afin d’aider les familles à élever leurs enfants, il leur est accordé notamment [...] des prestations familiales » ;

– les premier et deuxième alinéas de l’article L. 115‑1 et le premier alinéa de l’article L. 115‑3 indiquent respectivement que « la lutte contre la pauvreté et les exclusions [...] tend à garantir sur l’ensemble du territoire l’accès effectif de tous [au] logement » et que « toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, au regard notamment de son patrimoine, de l’insuffisance de ses ressources ou de ses conditions d’existence, a droit à une aide de la collectivité pour disposer de la fourniture d’eau, d’énergie, d’un service de téléphonie fixe et d’un service d’accès à internet » ;

– les deuxième et troisième alinéas de l’article L. 115‑2 disposent que « le revenu de solidarité active [...] complète les revenus du travail ou les supplée pour les foyers dont les membres ne tirent que des ressources limitées de leur travail et des droits qu’ils ont acquis en travaillant ou sont privés d’emploi ; il garantit à toute personne, qu’elle soit ou non en capacité de travailler, de disposer d’un revenu minimum ; [son] bénéficiaire a droit à un accompagnement social et professionnel destiné à faciliter son insertion [...] ».

  1.   Le revenu de solidaritÉ active

Le revenu de solidarité active (RSA) assure aux personnes sans ressources ou aux ressources d’activité limitées un niveau minimum différentiel de revenu qui varie selon la composition de leur foyer et est ouvert, sous conditions, aux personnes d’au moins 25 ans et aux actifs majeurs. Il a coûté 12,3 milliards d’euros en 2023.

Selon l’étude précitée de la Drees, après une forte hausse en 2020 (+ 7,4 %) dans le contexte de la crise liée à l’épidémie de covid-19, le nombre de bénéficiaires du RSA a connu un net reflux en 2021 (– 6,2 %), suivi d’une légère baisse en 2022 et 2023 (respectivement – 2,3 % et – 2 %), pour atteindre 1,89 million de foyers bénéficiaires à la fin de l’avant-dernier exercice clos, soit 3,78 millions de personnes couvertes une fois les conjoints et enfants à charge comptabilisés, soit 5,5 % de la population dans l’Hexagone et 19,4 % en outre-mer. Cet écart important dans la répartition géographique des allocataires peut notamment être expliqué par le lien étroit existant entre la perception d’un minimum social d’insertion et le chômage.

Évolution du nombre depuis 1990
et de la part parmi la population ÂgEe de 15 à 69 ans (depuis 1999) d’allocataires du RMI, de l’API, du RSA socle et du RSA

(en milliers ; en pourcentage)

Source : Drees, octobre 2024.

Instauré en 2009 à la place d’anciennes aides (1), le RSA voit son bénéfice subordonné à des conditions ayant encore récemment évolué (2).

  1.   Une aide créée par la fusion de plusieurs dispositifs

La première phrase du I de l’article 1er de la loi n° 2008‑1249 du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion a institué le RSA, ayant « pour objet d’assurer à ses bénéficiaires des moyens convenables d’existence, afin de lutter contre la pauvreté, encourager l’exercice ou le retour à une activité professionnelle et aider à l’insertion sociale ». Sur le fondement de la première phrase du I de l’article 28 et du premier alinéa de l’article 29 de la même loi, son article 1er est entré en vigueur le 1er juin 2009 pour ce qui concerne le droit commun et le 1er janvier 2011 dans la plupart des collectivités d’outre‑mer ; sur celui de l’article 1er de l’ordonnance n° 2011‑1641 du 24 novembre 2011 dont c’était le seul objet ([10]), il a été rendu applicable le 1er janvier 2012 à Mayotte.

Le RSA est issu de la fusion du revenu minimum d’insertion (RMI), de l’allocation de parent isolé (API) et des dispositifs d’intéressement à la reprise d’activité qui leur étaient associés.

Originellement composé des deux volets, alternativement appelés minimum social et complément de revenus d’activité ou RSA socle et RSA activité, le RSA n’a conservé ce seul premier depuis l’intégration, le 1er janvier 2016, du second et de la prime pour l’emploi dans la prime d’activité ([11]).

La loi de 2008 précitée a confié aux caisses d’allocations familiales (CAF) et aux caisses locales de mutualité sociale agricole (MSA) la charge du calcul et de la liquidation du RSA, son instruction par les départements leur étant déléguée.

Les départements financent le coût des droits versés, cette charge leur étant compensée par l’État au moyen de l’affectation d’une fraction du produit de l’accise perçue dans l’Hexagone sur les produits énergétiques autres que les gaz naturels et les charbons prévue au chapitre II du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et les services – laquelle, avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2021‑1843 du 22 décembre 2021 ayant créé ce code et transposé diverses normes européennes ([12]), était connue comme la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE) – à travers l’action 2 du programme 833 du compte de concours financiers (CCF) Avances aux collectivités.

La Cour des comptes relève que le RSA constitue la part la plus importante et dynamique des allocations individuelles de solidarité (AIS), représentant en 2019 près de 71 % d’entre elles et 28 % des charges de gestion de ces collectivités ([13]).

Dans des conditions à propos desquelles le rapporteur renvoie aux rapports spéciaux de l’Assemblée nationale et du Sénat sur les missions Relations avec les collectivités territoriales ([14]) et Solidarité, insertion et égalité des chances ([15]) du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, il existe des départements pour lesquels le financement du RSA a été repris par l’État, c’est-à-dire recentralisé :

– soit définitivement en Guyane, à Mayotte et La Réunion ;

– soit de manière expérimentale en Seine-Saint-Denis, dans les Pyrénées-Orientales et dans l’Ariège.

Le a du 1° du I de l’article 1er et le 1° du II de l’article 2 de la loi n° 2023‑1196 du 18 décembre 2023 pour le plein emploi ont opéré une rédaction globale des articles L. 5411‑1, L. 5411‑6 et L. 5411‑6‑1 du code du travail, aux nouveaux termes desquels à compter de l’année en cours, est inscrite sur la liste des demandeurs d’emploi auprès de France travail non seulement toute personne à la recherche d’un emploi qui le demande mais aussi, sans démarche, celle qui bénéficie du RSA, ainsi que son conjoint, son concubin ou partenaire civil de solidarité.

À ce titre, elles signent un contrat d’engagement, remplaçant entre autres l’ancien contrat d’engagement réciproque (CER), où est convenu un « plan d’action [...] auquel correspond une durée hebdomadaire d’activité [...] d’au moins quinze heures » et d’au plus vingt heures, expérimenté dans dix-huit puis quarante‑sept départements avant d’être généralisé depuis le début de 2025.

Le rapporteur soutient cette mesure favorable à l’insertion individuelle autant qu’à l’intérêt collectif.

Des démarches d’insertion incombent aussi au bénéficiaire du RSA qui, malgré l’exercice d’un emploi, a des revenus professionnels inférieurs à 500 euros par mois en moyenne au cours des trois derniers mois considérés.

  1.   Des critères de ressources, d’âge et d’activité

Il convient de résumer les deux types de conditions pour le RSA.

● D’une part, aux termes des articles L. 262‑2 et L. 262‑3 du code de l’action sociale et des familles, l’accès au RSA est soumis à la condition que les ressources professionnelles, en nature et de remplacement du foyer, à l’exception d’une partie des aides au logement et certaines prestations familiales soient inférieures à un montant forfaitaire mensuel fixé par décret et revalorisé le 1er avril de chaque année par application du coefficient mentionné à l’article L. 161‑25 du code de la sécurité sociale, c’est-à-dire selon l’évolution de l’indice des prix à la consommation (IPC), hors tabac, en moyenne sur les douze derniers mois ([16]).

Ce montant est fixé à 635,71 euros depuis le 1er avril 2024, en application de l’article 1er du décret n° 2024‑396 du 29 avril 2024.

BarÈme des montants mensuels forfaitaires du RSA selon le type de foyer

(en euros)

Source : Drees, octobre 2024.

● D’autre part, l’article L. 262-4 du code de l’action sociale et des familles définit divers critères au respect desquels est subordonné le bénéfice du RSA :

– être âgé d’au moins 25 ans ou assumer la charge d’un ou plusieurs enfants nés ou à naître ;

– être français ou titulaire, depuis au moins cinq ans, d’un titre de séjour autorisant à travailler, ce dont sont notamment dispensés les réfugiés, les bénéficiaires de la protection subsidiaire et les apatrides ;

– ne pas être élève, étudiant ou stagiaire, sauf à satisfaire aux conditions d’octroi du RSA majoré (cf. infra) ; ne pas être en congé parental, sabbatique, sans solde ou en disponibilité.

Depuis le 1er septembre 2010 et sur le fondement de l’article L. 262‑7‑1 du même code, créé par le I de l’article 135 de la loi n° 2009‑1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010, les jeunes âgés de 18 ans au moins et de 25 ans au plus justifiant au minimum de deux années de travail sur les trois dernières années écoulées peuvent également bénéficier du RSA.

Enfin, une majoration temporaire du RSA est prévue par l’article L. 262‑9 dudit code pour les personnes isolées assumant la charge d’un ou de plusieurs enfants ou les femmes isolées pendant leur grossesse, sous condition de ressources, expliquant ainsi une surreprésentation des femmes parmi les allocataires du RSA majoré. Toujours selon la Drees, les allocataires du RSA majoré ne représentent cependant que 12 % de l’ensemble des allocataires.

Un dispositif imparfait pouvant s’apparenter à une trappe à inactivité

Une autre publication récente de la Drees relève qu’un bénéficiaire du RSA sur cinq continue à le percevoir pendant au moins dix ans et que « 22,4 % des entrants dans le RSA en 2010 ont quitté définitivement le dispositif [...] dès 2011, contre seulement 5,0 % pour les personnes ayant au moins quatre ans d’ancienneté ». La persistance dans le RSA semble augmenter fortement avec l’ancienneté, tandis que la probabilité d’en sortir du dispositif décroît. Le rapporteur est très inquiet d’un tel phénomène.

Les effets de seuil qu’induisent le barème de la prime d’activité renforcent ce problème de trappe : par exemple, sur la foi du barème de 2022 – dernier exercice pour lequel toutes les données sont connues –, son montant croissait pour atteindre, dans le cas d’un couple monoactif avec un enfant, environ 750 euros aux alentours de 1 100 euros de revenus d’activité avant de décroître suivant une pente très forte, n’incitant pas à maximiser la part du travail tiré du salaire du conjoint concerné ou de la reprise d’un emploi par l’autre.

Source : Drees, Études et résultats n° 1287, décembre 2023.

CaractÉristiques des foyers allocataires du RSA en 2022

(en valeur absolue ; en pourcentage)

Source : Drees, octobre 2024.

  1.   Les aides personnelles au logement

Objet du livre VIII du code de la construction et de l’habitation, les aides personnelles au logement comprennent, sur le fondement de son article L. 821‑1, l’aide personnalisée au logement et les allocations de logement, celles-ci étant composées d’une part dite familiale (ALF) et d’une autre dite sociale (ALS).

● Quoique distribuées par les caisses d’allocations familiales (CAF) ou, pour les deux régimes concernés, de mutualité sociale agricole (MSA), les aides personnelles au logement sont, aux termes de l’article L. 811‑1 du même code, financées par le Fonds national d’aide au logement (Fnal), via la mission Cohésion des territoires du budget de l’État, pour 15,4 milliards d’euros en 2023.

DÉpenses annuelles et montant mensuel moyen
par foyer pour les aides au logement en 2010 et 2013 puis de 2017 À 2022

(en millions d’euros ou en euros courants)

Source : Drees, octobre 2024.

En décembre 2023, le nombre d’allocataires s’élevait à 5,9 millions de foyers, soit environ 11 millions de personnes et 17 % de la population. Ce premier effectif a baissé de 1,8 % par rapport à 2022. L’aide personnalisée au logement (APL) concerne le plus grand nombre de foyers (2,7 millions), suivie par l’ALS (2,3 millions) et l’ALF (900 000).

Évolution du nombre d’allocataires des APL de 1980 À 2023

(en milliers)

Source : Drees, octobre 2024.

● Les trois allocations ont en commun d’être destinées aux locataires, ainsi qu’aux résidents en foyer et aux accédants à la propriété ayant signé un prêt aidé par l’État avant le 1er janvier 2018 ou, en outre-mer, avant le 31 décembre 2019.

Suivant l’article R. 831‑1 du code de la construction et de l’habitation, l’APL est attribuée, pour leur résidence principale, aux personnes qui occupent :

– soit le logement dont elles sont propriétaires et qui a été construit, acquis ou amélioré au moyen d’aides de l’État ou de prêts encadrés par lui ;

– soit un logement à usage locatif appartenant à un organisme public d’habitations à loyer modéré (OPHLM), géré par un OPHLM, appartenant à des bailleurs institutionnels ([17]) s’engageant à respecter les obligations précisées par un premier type de conventions ([18]) ou à d’autres bailleurs s’engagent à respecter un second type de conventions ([19]) ;

– soit un logement faisant l’objet d’un contrat conclu dans les conditions prévues par la loi n° 84-595 du 12 juillet 1984 définissant la location-accession à la propriété immobilière, dont le premier alinéa de l’article 1er précise qu’il s’agit pour le vendeur de « s’engage[r] envers un accédant à lui transférer [...] et après une période de jouissance à titre onéreux, la propriété de tout ou partie d’un immeuble moyennant le paiement fractionné ou différé du prix de vente et le versement d’une redevance jusqu’à la date de levée de l’option » ;

– soit un local privatif dans un logement-foyer conventionné et répondant aux critères de l’article L. 633‑1 du code de la construction et de l’habitation, c’est‑à‑dire être un « établissement destiné au logement collectif à titre de résidence principale de personnes dans des immeubles comportant à la fois des locaux privatifs meublés ou non et des locaux communs affectés à la vie collective [qui] accueille notamment des personnes âgées, des personnes handicapées, des jeunes travailleurs, des étudiants, des travailleurs migrants ou des personnes défavorisées ».

              L’ALF est versée aux familles ayant à charge un enfant – ce qui touche 98 % de ses bénéficiaires –, un ascendant ou un proche parent infirme, ainsi qu’aux jeunes couples – dont la somme des âges révolus n’excède pas 55 ans – sans enfant à charge qui n’entrent pas dans le champ d’application de l’APL.

              L’ALS a été progressivement étendue à toute personne disposant de faibles ressources et ne pouvant prétendre ni à l’APL, ni à l’ALF. Elle concerne donc principalement les jeunes, les ménages sans enfant de manière générale et les personnes âgées ou handicapées.

● Plusieurs conditions sont communes à ces trois prestations.

L’article R. 822‑23 du code de la construction et de l’habitation dispose qu’est considéré comme résidence principale le logement effectivement occupé soit par le bénéficiaire, soit par son conjoint, soit par une personne à charge, au moins huit mois par an, sauf raison professionnelle, de santé ou cas de force majeure.

Les articles R. 822‑24 et R. 822‑25 du même code précisent que, d’une part, le logement au titre duquel le droit à l’aide personnelle au logement est ouvert doit répondre aux caractéristiques de décence définies par voie réglementaire ([20]) et que, d’autre part, il doit présenter une surface habitable globale au moins égale à 9 mètres carrés pour une personne seule, 16 mètres carrés pour un ménage sans enfant ou deux personnes, augmentée de 9 mètres carrés par personne en plus, dans la limite de 70 mètres carrés pour huit personnes et plus.

              Le bénéfice des trois prestations est aussi soumis à des critères posés par les articles R. 822‑3 à R. 822‑17 dudit code.

Leurs barèmes prennent en considération le nombre de personnes à charge vivant habituellement dans le foyer, le montant des ressources du demandeur et des personnes vivant actuellement dans le foyer concerné au cours des douze derniers mois – en fait, entre le treizième dernier et le pénultième –, la valeur du patrimoine immobilier et financier lorsque s’il dépasse 30 000 euros et le montant du loyer.

Sont retirés du calcul les revenus d’activité des personnes percevant le RSA et les allocations de chômage ; les ressources des étudiants sont réputées forfaitaires, avec une minoration pour les boursiers.

Le plafond de loyer varie entre :

– l’agglomération parisienne et villes nouvelles d’Île-de-France (zone 1) ;

– les communes d’Île-de-France ne répondant pas aux deux catégories précédentes, les agglomérations de 100 000 habitants ou plus et les villes nouvelles du reste de l’Hexagone, de Corse et d’outre-mer (zone 2) ;

– et le reste du territoire (zone 3).

La Drees indique que « de façon schématique, l’allocation d’aide au logement fonctionne comme un forfait jusqu’à un certain niveau de revenu net mensuel ; ce dernier dépend de la composition familiale [...] au-delà, l’allocation décroît à mesure que les revenus du ménage augmentent, jusqu’à atteindre le seuil de versement en deçà duquel elle n’est plus versée − il s’établit à 10 euros pour l’ALF et l’ALS et il n’en existe plus pour l’APL ».

La complexité de la combinaison de la composition familiale, des paramètres financiers – à ceux évoqués supra s’ajoutent en effet des coefficients pour les loyers élevés ou à l’inverse faisant l’objet de la réduction de solidarité (RLS) ([21]) – et des spécificités géographiques exclut une reprise intégrale des tableaux dans ce rapport.

Ils sont naturellement disponibles sur le site de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) ou de la Caisse centrale de la MSA (CCMSA).

Trois allocataires sur cinq sont des personnes seules sans enfant et près d’un sur trois a moins de 30 ans.

CaractÉristiques des allocataires de l’ALF, de l’ALS et de l’APL en 2022

(en pourcentage)

Source : Drees, octobre 2024.

Montant mensuel de l’aide personnelle au logement
selon la composition et les revenus du mÉnage, en zone 2, au 1er avril 2024

(en euros)

Source : Drees, octobre 2024.

  1.   Le salaire minimum

Introduit par la loi n° 70‑7 du 2 janvier 1970 portant réforme du salaire minimum garanti et création d’un salaire minimum de croissance, le salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic) ([22]) remplace alors le salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig) qui avait été créé par l’article 1er de la loi n° 50‑205 du 11 février 1950 relative aux conventions collectives et aux procédures de règlement des conflits collectifs de travail.

● Le Smic concerne les travailleurs mentionnés à l’article L. 2211‑1 du code du travail, c’est-à-dire :

– les salariés des employeurs privés et des établissements publics à caractère industriel et commercial (Epic) ;

– les agents de droit privé des établissements publics administratifs (EPA).

Le juge administratif a toutefois dégagé un principe général du droit suivant lequel la rémunération d’un agent public ne saurait être inférieure au Smic ([23]).

● Selon l’article L. 3231‑2 du code du travail, le salaire minimum « assure aux salariés dont les rémunérations sont les plus faibles la garantie de leur pouvoir d’achat et une participation au développement économique de la Nation ».

L’article L. 3231‑4 du même code prévoit son indexation sur l’évolution d’un l’indice ad hoc, à savoir depuis une douzaine d’années ([24]) :

– pour le niveau de vie, l’indice mensuel des prix à la consommation hors tabac des ménages du « premier quintile de la distribution des niveaux de vie » ([25]), au lieu de celui pour les « ménages urbains dont le chef est ouvrier ou employé » ;

– pour le soutien à la conjoncture, la « moitié du gain de pouvoir d’achat du salaire horaire moyen des ouvriers et employés » ([26]), non plus des seuls ouvriers ([27]).

L’article L. 3231‑5 dudit code dispose que, lorsque le premier indice connaît une hausse d’au moins 2 % par rapport au niveau constaté lors de la revalorisation antérieure, le Smic est relevé dans la même proportion le mois qui suit.

À cet accroissement automatique peut s’en ajouter un que les organisations syndicales et la presse désignent parfois sous le nom de coup de pouce : le Smic peut être porté, par voie réglementaire, à un niveau supérieur à celui résultant de l’application de l’article L. 3231‑5, précité, mais son évolution ne peut être inférieure à la moitié de l’augmentation du pouvoir d’achat des salaires horaires moyens enregistrés par l’enquête trimestrielle du ministère chargé du travail ([28]).

Sans remonter aux années 1970, l’on note que le Smic a été revalorisé vingt‑trois fois entre l’été 2005 et l’automne 2024, passant de 8,03 euros à 11,88 euros pour une hausse brute de 47,9 % alors que l’inflation – réelle, non en utilisant les indices supra – cumulée a été de 37,4 % sur la même période.

Comparaison de l’Évolution du smic et des prix de 1990 À 2023

(en base 100 pour 2010)

Source : Dares, Emploi, chômage et revenus du travail, décembre 2024.

Rejoignant une large part des économistes, dont le rapporteur partage l’avis, la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) note que cette augmentation répétée du Smic, non fondée sur celle de la productivité, a eu pour conséquence un rattrapage des salaires les plus bas et donc une concentration plus forte des salariés rémunérés à ce niveau, pour un taux de 14,6 % au début de l’année 2024 – soit 2,7 millions de personnes dans les branches autres que l’agriculture –, après un record de 17,3 % l’année précédente ([29]).

Évolution du Smic et propOrtion de salariÉs concernÉs de 2012 À 2024

(en euros courants ; en pourcentage)

Source : Dares, novembre 2024.

● À l’heure de la discussion de la proposition de loi faisant l’objet du présent rapport, le Smic brut est, pour la configuration de référence, de 11,88 euros par heure et de 1 801,80 euros par mois pour un majeur, ce qui, à titre indicatif tant le profil de chaque entreprise et de chaque salarié varie, correspond à un Smic net de 9,40 euros par heure et de 1 426,30 euros par mois.

Le montant du Smic diffère selon que le bénéficiaire exécute son contrat :

– dans l’Hexagone, en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon ([30]), ce cas général prévoyant un abattement de 10 % pour les mineurs de 17 à 18 ans et de 20 % pour ceux de moins de 17 ans ayant moins de six mois d’activité ([31]) ;

– à Mayotte, seul département d’outre-mer dans lequel il demeure « fixé [...] compte tenu de la situation économique locale [...] » ([32]).

Montant du Smic brut (et net) depuis le 1er novembre 2024

(en euros)

 

Cas général

Mayotte

Majeur

17 à 18 ans

Moins de 17 ans

 

Brut

Net

Smic horaire

11,88

9,40

10,69

9,50

8,98

Smic mensuel

1 801,80

1 426,30

1 621,62

1 441,44

1 361,97

Smic annuel

21 621,60

17 115,69

19 459,44

17 297,28

16 343,60

Source : décret n° 2024-951 du 23 octobre 2024 portant relèvement du salaire minimum de croissance.

● Compte tenu des allégements de cotisations et contributions de sécurité sociale, un employeur a plus intérêt à recruter quelqu’un ne prétendant qu’au Smic plutôt qu’un concurrent demandeur d’un meilleur salaire.

Sur la foi des chiffres en vigueur au 1er juillet 2024, la hausse de 100 euros du revenu disponible d’une personne percevant le Smic pour un temps plein, non éligible au RSA et aux APL et initialement non imposé sur son revenu, coûtait 442 euros à son employeur, avec notamment une hausse de 260 euros des prélèvements sociaux ([33]).

La commission des affaires sociales a débattu de ce problème de manière approfondie lors de l’examen de l’article 6 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, en première lecture ([34]), laquelle disposition s’inspirait du rapport conduit pour France Stratégie par deux économistes ([35]).

Attentif à ce que la hausse du coût du travail n’entraîne pas celle du chômage, le rapporteur sera, en sa qualité de rapporteur général, très vigilant quant à la rédaction et à l’incidence finales de cet article 6.

DÉcomposition de la hausse de 442 euros
permettant une augmentation de 100 euros du revenu disponible

(en euros)

 

1 Smic

1,13 Smic

Différence

Salaire superbrut

1 852

2 294

+ 442

Prélèvements sociaux à la charge de l’employeur

85

297

+ 212

Salaire brut

1 767

1 998

+ 231

Prélèvements sociaux à la charge du salarié

368

416

+ 48

Salaire net

1 399

1 582

+ 183

Prime d’activité

257

186

– 71

Impôt sur le revenu

0

12

+ 12

Revenu disponible

1 656

1 756

+ 100

Source : commission des affaires sociales d’après la Dares, octobre 2024.

● Avant la revalorisation de l’automne 2024, la France était le sixième pays européen où le salaire minimum avait le plus haut montant. L’Autriche, le Danemark, la Finlande, l’Italie et la Suède n’ont pas d’équivalent national : la question y relève des branches ou d’autres échelons conventionnels.

Comparaison du salaire minimum mensuel brut
dans 22 des 27 États membres de l’Union europÉenne en juillet 2024

(en euros)

Source : direction générale des statistiques de la Commission européenne (Eurostat).

  1.   Les allocations familiales

Au sens de l’article L. 511‑1 du code de la sécurité sociale, neuf prestations sont qualifiées de familiales :

– la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje) ;

– les allocations familiales, seules concernées par le II de l’article 1er de la proposition de loi (cf. infra) ;

– le complément familial ;

– l’allocation de logement (distincte des aides au logement vues supra) ;

– l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) ;

– l’allocation de soutien familial (ASF) ;

– l’allocation de rentrée scolaire (ARS) ;

– l’allocation versée à l’occasion du décès d’un enfant ;

– l’allocation journalière de présence parentale (AJPP).

● Dès la loi du 11 mars 1932 modifiant les titres III et V du livre Ier du code du travail et l’article 2101 du code civil, adoptée à l’initiative d’Émile Landry, ministre du travail et de la prévoyance sociale, elles ont eu une triple motivation :

– encourager la natalité pour préserver le dynamisme de la Nation ;

– alléger le coût de l’entretien et de l’éducation des enfants ;

– faciliter l’emploi des parents, et historiquement surtout des mères, avec un soutien aux modes de garde à domicile ou en établissement spécialisé.

Au cas général, le premier alinéa de l’article L. 512‑1 du même code dispose que bénéficie de ces prestations toute personne française ou étrangère respectant la condition d’un séjour principal sur le territoire d’une durée de plus de six mois jusqu’au 31 décembre 2024 et de plus de neuf depuis le 1er janvier 2025 ([36]).

Sans qu’il les traite toutes, le panorama publié il y a quelques semaines par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) des ministères chargés des affaires sociales ([37]) fournit au sujet de ces « aides aux familles pour l’entretien des enfants et la conciliation des vies familiale et professionnelle des parents » de précieuses statistiques.

● Quoiqu’en baisse depuis 2018, le nombre de familles auxquelles sont versées des allocations familiales restait en 2022 de l’ordre de 5 millions, quand le total de celles avec au moins un enfant mineur est d’environ 8 millions selon l’Insee.


Évolution du nombre de familles bÉnÉficiaires
des principales prestations familiales de 2014 À 2022

(en milliers ; en pourcentage)

Notes : il y a pour 2015 et 2016 des ruptures de série ; le cumul de composantes de la prestation d’accueil du jeune enfant est possible ; les bénéficiaires sont donnés au 31 décembre de l’année n, les enfants le sont au 1er janvier de l’année n + 1.

Source : Drees, octobre 2024.

Avec 13 milliards d’euros, les allocations familiales représentaient 40,4 % du total consacré aux prestations familiales lors de l’avant-dernier exercice clos.

Évolution des dÉpenses
pour les principales prestations familiales de 2015 À 2022

(en millions d’euros courants)

Notes : la déflation des valeurs courantes suit l’IIPC – tabac compris ; le nombre moyen de familles bénéficiaires de l’année n est la demi-somme des bénéficiaires au 31 décembre de l’année n – 1 et de l’année n.

Source : Drees, octobre 2024.

Les rapports à la Commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS), les rapports d’évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss) relatifs à la branche famille et faisant partie de l’annexe 1 des projets de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss) de l’année 2023 et enfin l’annexe 3 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 – toujours en discussion lors de la remise du présent rapport – permettent de compléter la série : la dépense relative aux allocations familiales aurait aussi atteint 13,4 milliards d’euros en 2023, pour s’élever à 13,8 milliards d’euros en 2024 et à 14 milliards d’euros en 2025.

● Les dispositions législatives afférentes aux allocations familiales sont pour l’essentiel les articles L. 521‑1 à L. 521‑3 du code de la sécurité sociale, lesquels prévoient qu’elles sont dues à partir du deuxième enfant à charge et que leur montant varie en fonction d’une part du nombre d’enfants à charge et d’une part du niveau des ressources du ménage ou de la personne qui a la charge des enfants.

Cette seconde forme de modulation – les ressources prises en considération étant celles de l’avant-dernière année avant le versement des allocations – a été introduite par le I de l’article 85 de la loi n° 2014‑1554 du 22 décembre 2014 de financement de la sécurité sociale pour 2015. Elle a mis fin au caractère universel des allocations familiales qui était pourtant au cœur du pacte social et républicain tel qu’il avait été réaffirmé au sortir de la Seconde Guerre mondiale.

Consistant à ne verser que 50 % ou 25 % de leur montant aux familles dont les revenus dépassent certains seuils, à des fins d’économies supportées par les familles les plus aisées, la réforme a concerné, la première année, 472 000 familles, soit 10 % des bénéficiaires ([38]).

La baisse du montant des allocations familiales versées dans cette nouvelle mouture a généré une économie de 760 millions d’euros en 2021, dont 290 millions d’euros aux dépens des familles nombreuses. Le gain cumulé a été de 4,3 milliards d’euros entre 2016 et 2021, dont 40 % ont été supportées par les 100 000 familles nombreuses concernées, qui ne représentent pourtant que 2 % de l’ensemble ([39]).

Depuis 2016, les barèmes des prestations familiales sont révisés au 1er avril, en règle générale en fonction de l’indice des prix (hors tabac) observée en moyenne annuelle glissante sur les douze derniers mois. La Cour des comptes souligne le caractère partiel ce ajustement : si l’inflation a été de 8 % de 2011 à 2021, la base mensuelle des allocations familiales (BMAF) n’a augmenté que de 5 % sur la même période, générant des économies pouvant être évaluées à environ 1 milliard d’euros, dont la moitié a porté sur les familles nombreuses ([40]).

BarÈme des allocations familiales depuis le 1er avril 2024

(en euros)

Note : la Cnaf publie par convention des plafonds annuels, sans naturellement que les calculs diffèrent.

Source : Drees, octobre 2024.

  1.   Le dispositif proposÉ

Avec la proposition de loi, serait instituée une limitation du montant pouvant être perçu par une personne ou un ménage avec le revenu de solidarité active (RSA) et les aides personnelles au logement à 70 % du salaire minimum de croissance (A), tandis que serait restaurée l’universalité des allocations familiales (B). En outre, un rapport est demandé sur la création d’une allocation sociale unique (C).

  1.   Le plafonnement du RSA et des aides au logement

Le I de l’article 1er complète par un nouvel alinéa l’article L. 111‑1, précité, du code de l’action sociale et des familles, pour disposer que le montant perçu par une personne ou un ménage au titre du RSA et des aides personnelles au logement ne puisse au total – donc aussi bien pour la perception d’une allocation que pour un cumul – dépasser 70 % du Smic.

● Aux yeux du rapporteur et des membres de son groupe politique, il s’agit d’abord d’une mesure de justice pour les individus et les familles qui travaillent, comme le souligne l’avant-propos du présent rapport (cf. supra).

● Sur le plan rédactionnel, le rapporteur précise :

– que l’absence de mention d’une base calendaire ne doit pas entraîner de difficulté, car par défaut les prestations et le Smic sont mensuels ; l’effet n’aurait pas été différent si étaient indiqués un cumul et un Smic annuels ;

– le Smic dont il est question s’entend net, de sorte que le taux de 70 % équivaut à 998,41 euros par mois ou 11 980,98 euros par an.

● Certes, le dispositif implique un chantier administratif ambitieux, avec une coordination entre l’État, les départements et les caisses de sécurité sociale.

Ainsi que l’indique le ministère chargé du logement dans ses réponses écrites au questionnaire transmis par le rapporteur – qui remercie ses services pour le délai dans lequel elles lui ont été adressées –, les aides au logement et le RSA reposent sur des règles différentes pour les points suivants :

– « les revenus pris en compte (les aides au logement reposent sur une base fiscale avec l’application de mesures sociales d’abattements ou de neutralisations, tandis que le RSA repose sur une base-ressources plus large) » ;

– « la période de référence (le RSA est calculé selon les revenus perçus sur les trois derniers mois tandis que les APL sont principalement calculées selon ceux des douze derniers mois, actualisés tous les trois mois) » ;

 « la prise en compte de la configuration familiale (celle-ci varie selon le montant forfaitaire pour le RSA tandis que pour les APL la prise en compte des personnes à charge est élargie aux ascendants, en particulier dépendants et vivant dans le même logement que les allocataires) » ;

– « les dates de versement (l’aide personnalisée au logement est versée le 25 du mois en tiers payant aux bailleurs sociaux, tandis que les allocations de logement et le RSA le sont le 5 du mois suivant) » ;

– plus largement, « les modalités de calcul », au sens des barèmes.

Loin de décourager le rapporteur vis-à-vis de la pertinence de la proposition de loi, une telle disparité paramétrique ne fait que confirmer l’urgence d’un système plus simple, avec des critères harmonisés : il en va de la lisibilité de notre modèle social pour les allocataires, mais aussi – et sinon plus – pour nos compatriotes chez qui le fait de ne pas percevoir les aides auxquelles son voisin a droit suscite un bien légitime sentiment d’injustice, sans compter qu’une fois terminé l’effort sur soi que demande tout changement, l’administration se félicitera d’avoir redonné à ses agents comme à ses usagers une pleine confiance dans le service public et la solidarité.

● À l’évidence, le plafonnement du montant de prestations sociales entraîne un gain pour les finances publiques.

Toute estimation de cas individuels ou de l’effet agrégé du mécanisme dépend, naturellement, de la clef de modulation du taux de plafonnement en fonction de la composition familiale que définirait l’autorité réglementaire.

Ce paramètre important mis à part et en partant des chiffres fournis pour 2022 par la Drees dans son étude intitulée La protection sociale en France et en Europe publiée en décembre 2023, le rapporteur estime que l’économie résultant d’un plafonnement du revenu de solidarité active et des aides au logement à hauteur de 70 % du Smic net serait d’environ 7,13 milliards d’euros.

Cela correspond à 6,65 milliards d’euros en 2022, augmentés de l’évolution intercalaire du salaire minimum.

  1.   Le soutien À la politique familiale

Le II de l’article 1er modifie le code de la sécurité sociale pour restaurer la pleine universalité des allocations familiales.

● Le modifie l’article L. 521‑1.

Son a en modifie le premier alinéa, de sorte que les allocations familiales ne soient plus dues à compter du deuxième, mais du premier enfant à charge.

Son b en supprime le troisième et le dernier alinéas, aux termes desquels :

– le montant des allocations de base et des majorations par enfant ou pour les familles nombreuses varie en fonction des ressources du ménage ;

– le montant des allocations des familles dépassant les plafonds de ressources, dans une limite définie par décret, est dégressif.

● Il convient d’abord de préciser que le titre V de son livre VII comprend les dispositions dérogatoires pour la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

Le supprime le second alinéa de l’article L. 755‑12 du même code qui rendait les quatre derniers alinéas de l’article L. 521‑1 dudit code inapplicables dans les départements ultramarins précités « lorsque le ménage ou la personne a un seul enfant à charge » et il s’agit d’une pure coordination :

– ils ne pourront par construction plus l’être pour le troisième et le dernier, que le b du 1° supprime ;

– l’antépénultième et l’avant-dernier seront sans objet, car grâce au a du 1° les allocations seront dues dès le premier enfant à charge.

● En reprenant les hypothèses de la Cour des comptes pour les années 2016 à 2020 (cf. supra), l’abrogation de la modulation des allocations familiales selon les ressources du ménage bénéficiaire reviendrait à majorer de 5,7 % à 6 % par an la dépense y afférente, ce qui correspondrait à un effort de 800,51 millions d’euros à 842,64 millions d’euros en 2025.

Disposant de sources données plus complètes que le Parlement, la direction de la sécurité sociale (DSS) a indiqué au rapporteur que les revalorisations qui se sont succédées dans les barèmes donneraient plutôt un coût de 1 milliard d’euros.

Selon les montants que la nouvelle ligne du barème retiendrait, l’octroi des allocations familiales à compter du premier enfant pourrait, lui, mobiliser entre 1 milliard d’euros et 2,5 milliards d’euros la première année, toujours d’après les réponses écrites de la DSS au questionnaire du rapporteur.

L’incidence financière du rétablissement complet de l’universalité de ces aides aux familles serait donc comprise dans une fourchette totale de 1,8 milliard d’euros à 3,5 milliards d’euros, aisément financée par le gain tiré du plafonnement du RSA et des aides personnelles au logement.

Une somme aussi si modeste est donc une mesure de justice pour le présent autant qu’un choix clair d’investissement pour l’avenir du pays, lequel ne peut faire l’impasse sur une démographie dynamique. La commission des affaires sociales, en adoptant cette disposition, enverrait aux familles le message qu’elle efface l’affront qui leur a été fait en 2015, par voie d’amendement de la rapporteure thématique de la branche famille et d’un président de groupe, qui plus est ([41]).

● Le rapporteur souhaite à ce stade rappeler que deux autres coups de rabot avaient été faits sur les aides aux familles.

D’une part, la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje), pour laquelle les principales dispositions applicables sont le titre III du livre V du code de la sécurité sociale, comprend la prime à la naissance (PN) ou à l’adoption (PA), l’allocation de base (AB), la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PreParE) et le complément de libre choix du mode de garde (CMG).

Les deux derniers ne se cumulent pas.

Cependant, le I de l’article 37 de la loi n° 2017‑1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018 a aligné, dans un sens défavorable aux familles et exclusivement motivé par un objectif de gain budgétaire, le montant de l’AB à taux plein de la Paje, ainsi que les plafonds de ressources pour en bénéficier, sur ceux du complément familial.

La première année et selon le rapporteur général de la commission des affaires sociales de l’époque, cette mesure a entraîné une « baisse de l’allocation de base » mais aussi eu pour effet de « resserrer les conditions d’accès » à celle-ci ([42]).

D’autre part, l’avantage tiré de l’application du quotient pour chaque demi-part ([43]), plafonné en application du premier alinéa du 2 du I de l’article 197 du code général des impôts, a par deux fois été réduit sous la XIVème législature (cf. infra).

Ainsi que le souligne la commission des finances :

– « visant à corriger la progressivité du barème de l’impôt […], le quotient familial a pour conséquence d’alléger, à revenu égal, la charge fiscale pesant sur les familles par rapport à celle des redevables taxés sur un nombre inférieur de parts, en permettant d’imposer les revenus fractionnés dans des tranches plus basses » ;

 « depuis la loi de finances pour 1982, l’avantage qui résulte du quotient familial est plafonné, de sorte que, pour les contribuables soumis au plafonnement, cet avantage tend à diminuer, en valeur relative par rapport à l’impôt dû, à mesure que le revenu augmente » ([44]).

Les articles 193 et 194 du code général des impôts disposent que « le revenu imposable est [...] divisé en un certain nombre de parts, fixé [...] d’après la situation et les charges de famille du contribuable », suivant le tableau ci-après.

Calcul du nombre de parts À prendre en considÉration
pour la division du revenu imposable dans un foyer fiscal

Situation de famille

Parts

Célibataire, divorcé ou veuf sans enfant à charge

1

Marié sans enfant à charge

2

Célibataire ou divorcé ayant un enfant à charge

1,5

Marié ou veuf ayant un enfant à charge

2,5

Célibataire ou divorcé ayant deux enfants à charge

2

Marié ou veuf ayant deux enfants à charge

3

Célibataire ou divorcé ayant trois enfants à charge

3

Marié ou veuf ayant trois enfants à charge

4

Célibataire ou divorcé ayant quatre enfants à charge

4

Marié ou veuf ayant quatre enfants à charge

5

Célibataire ou divorcé ayant cinq enfants à charge

5

Marié ou veuf ayant cinq enfants à charge

6

Célibataire ou divorcé ayant six enfants à charge

6

« et ainsi de suite, en augmentant d’une part par enfant à charge du contribuable »

Source : I de l’article 194 du code général des impôts.

Parmi les cas particuliers, il convient de citer celui des « époux [qui] font l’objet d’une imposition séparée », pour lesquels :

– en général, « chacun d’eux est considéré comme un célibataire ayant à sa charge les enfants dont il assume à titre principal l’entretien ; dans cette situation, ainsi qu’en cas de divorce, de rupture du pacte civil de solidarité ou de toute séparation de fait de parents non mariés, l’enfant est considéré, jusqu’à preuve du contraire, comme à la charge du parent chez lequel il réside à titre principal » ;

– « en cas de résidence alternée au domicile de chacun des parents [...], les enfants mineurs sont réputés à la charge égale de l’un et de l’autre parent », de sorte qu’ils ouvrent droit à une majoration de 0,25 part ou de 0,5 part, à compter soit du premier, soit du deuxième, soit du troisième en fonction de la situation.

Toujours d’après le rapporteur général de la commission des finances, « depuis la loi de finances pour 1982, l’avantage fiscal qui résulte de l’application du quotient familial est plafonné, de sorte que, pour les contribuables soumis au plafonnement, cet avantage tend à diminuer, en valeur relative par rapport à l’impôt dû, à mesure que le revenu augmente » ([45]).

Le montant du plafond est ajusté en fonction de l’indice des prix, suivant un usage dont l’actualité politique aura rendu familier le lecteur du présent rapport.

Or le 1° de l’article 4 de la loi n° 2012‑1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 avait fait passer l’avantage maximal de 2 336 euros à 2 000 euros puis le 1° de l’article 3 de la loi n° 2013‑1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 l’avait porté à 1 500 euros.

Il est aujourd’hui plafonné à 1 759 euros, mais cela résulte de l’indexation des valeurs absolues sur l’inflation, non d’une revalorisation en termes relatifs.

  1.   La piste d’un rapprochement des aides

Le III de l’article 1er demande la remise par le Gouvernement au Parlement, avant le 31 décembre 2025, donnant la liste de l’ensemble des prestations sociales non contributives, c’est-à-dire dont le montant ne dépend pas de celui des cotisations ou contributions acquittées, en vue de l’instauration d’une aide sociale unique.

Il ne s’agit nullement pour le rapporteur de remettre en cause le fait que ces prestations reposent sur un principe de solidarité, non mécanisme d’assurance : leur différence avec les pensions de retraite ou d’invalidité, les allocations de chômage ou certaines indemnités journalières est évidente.

Mais le poids des prestations sociales non contributives rend indispensable de les simplifier pour que leur plus grande proximité, à défaut d’une fusion complète, génère des économies de gestion, sans priver aucun bénéficiaire de ses droits.

Dans une récente publication sur le niveau de vie des Français ([46]), l’Insee note qu’en 2022 elles valaient 18 % du revenu disponible des ménages modestes – dont le niveau de vie n’était pas supérieur au niveau de vie médian des habitants de la France métropolitaine – et 38 % de celui des ménages pauvres – dont le niveau de vie n’était pas supérieur à 60 % de cette référence –, augmentant le niveau de vie moyen de 188 euros et de 347 euros par mois pour les personnes appartenant à la première et la seconde de ces catégories ou de 106 euros et 373 euros pour les personnes seules et les familles monoparentales avec au moins deux enfants ([47]).

La réflexion sur la création d’une aide ou d’une allocation sociale unique n’est pas nouvelle et le rapporteur ne voudrait ici que citer plusieurs idées.

● À la fin de la XIVe législature, un rapport remis au Premier ministre par M. Christophe Sirugue sur le fondement de l’article L.O. 144 du code électoral ([48]) soulignait la complexité des minima sociaux qui, du fait de la diversité des règles applicables aux allocataires, perturbe aussi bien la compréhension du système que l’articulation entre les dispositifs, les démarches que l’usager doit entreprendre pour avoir accès à ses droits ([49]).

Pour « renforcer son acceptabilité et fonder le consentement de tous à l’effort de solidarité », le député de Saône-et-Loire recommandait de clarifier l’architecture des prestations non contributives en créant une « couverture socle commune » qui remplacerait les aides figurant ci-après, dans une perspective radicale dont l’auteur définissait les trois principes : « la nécessité de maintenir un dispositif spécifiquement consacrée à la lutte contre la pauvreté, la possibilité que cette couverture socle unique soit accessible à tout individu dès 18 ans sans tenir compte de la composition de son foyer et, enfin, un versement, à terme, automatique de l’aide attribuée » avant de prévoir deux majorations : un « complément d’insertion permettant à tout actif [...] de bénéficier d’un accompagnement ad hoc » et un « complément de soutien pour préserver les ressources des personnes en situation de handicap et des personnes âgées ». L’ancien vice-président de l’Assemblée nationale indiquait que « les coûts [...] importants [qu’une telle réforme] implique en termes budgétaire et administratif semblent pleinement justifiés, dans la mesure où ils constituent un investissement de long terme ; il est des dépenses que la collectivité peut s’honorer d’assumer ».

Un scénario de repli aurait regroupé dix aides en cinq pôles, ce qui selon le rapport aurait pu être fait d’ici à 2020.

Allocations ÉtudiÉes par M. Christophe Sirugue

Source : rapport de M. Christophe Sirugue, avril 2016.

Couverture socle commune et ses complÉments selon M. Christophe Sirugue

Source : rapport de M. Christophe Sirugue, avril 2016.

ScÉnario de repli de M. Christophe Sirugue

Source : rapport de M. Christophe Sirugue, avril 2016.

 À plusieurs reprises, la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (Ifrap) a relevé qu’il n’est « pas toujours plus intéressant de travailler que de cumuler des aides sociales, surtout pour les petits revenus » :

 en 2016, elle proposait d’économiser 10 milliards d’euros au moyen d’une allocation sociale unique « issue de la fusion des 47 aides sous conditions de ressources [qu’elle recensait alors] ; plafonnée à 2 500 euros par mois de cumul d’aides et de revenus du travail ; fiscalisée selon le principe qu’un euro de la solidarité nationale doit être imposé de la même manière qu’un euro de revenu issu du travail ; centralisée avec les fusions des gestionnaires administratifs dans un organisme régional qui serait directement renseigné de la situation de chaque foyer fiscal par les services fiscaux, et informatisée avec un compte en ligne pour chaque bénéficiaire afin de suivre sa progression au mois le mois » ([50]) ;

Gestion de l’allocation sociale unique selon l’Ifrap

Source : Ifrap, mars 2016.

 à l’automne dernier, la fondation proposait de recentraliser le RSA, que « les départements ont de plus en plus de mal à assurer », puis de « mettre en place une allocation sociale unique gérée automatiquement, au niveau de l’État, par les services fiscaux en fonction des besoins des foyers et un guichet unique de détection et d’examen des situations familiales au niveau des communes », étant précisé que « dans le cas des ménages imposables, [le] montant [de l’aide] sera[it] déduit via un droit à crédit d’impôt », ce qui entraînerait une économie de 5 à 8 milliards d’euros sur les frais de gestion ([51]).

 Dans la position singulière qui est la sienne, député de l’opposition sous les XVe et XVIe législatures puis membre d’un groupe responsable, cherchant à prémunir le pays du blocage mais ne renonçant pas à une attitude vigilante depuis le début de la XVIIe législature, le rapporteur ne peut que constater que le versement social unique constituait également une promesse, malheureusement non tenue à ce jour, de campagne de M. Emmanuel Macron avant son élection à la Présidence de la République en 2017.

Le candidat souhaitait ainsi, à compter de 2019 ou 2020, lutter contre les non-recours, simplifier le paysage administratif et réaliser des économies, notamment via la fusion de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), de la prime d’activité, des aides personnelles au logement, de l’allocation de solidarité pour les personnes âgées (Aspa), de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) et de l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI).

 Jugeant le système « illisible, coûteux et inefficient au regard des sommes engagées », l’Institut Montaigne proposait l’année suivante de « s’appuyer sur les technologies numériques pour faciliter le calcul et le versement de l’ensemble des prestations sociales » pour « instaurer, à terme, un objectif de recours de 100 % » et « encourager la fusion de l’ensemble des minima sociaux et des prestations au sein d’une allocation unique de sécurité sociale, ajustable en temps réel en fonction de l’évolution de la situation de la personne [...], mettant ainsi fin aux inégalités et asymétries d’informations qui peuvent subsister entre citoyens » ([52]).

 Dans l’objectif que le rapporteur fait pleinement sien de « lutter contre les dérives de l’assistanat et sanctionner les abus », le pacte législatif d’urgence publié au début de la XVIIe législature par le groupe auquel il est rattaché préconisait d’instaurer une aide sociale unique plafonnée à 70 % du Smic, ce qui soulagerait les comptes publics d’environ 7 milliards d’euros ([53]).

Par voie de presse, M. Michel Barnier, alors Premier ministre, avait fait part de son souhait d’engager en 2025 la réflexion sur un tel chantier, sans préciser son champ, mais en disant l’importance que le travail paie plus que le cumul d’aides.

Très attaché à l’honnêteté intellectuelle et à la présentation des points de vue dans leur nuance, le rapporteur comprend que des réserves aient pu être exprimées, par exemple : « Le problème, c’est qu’une fusion des prestations sociales comporte des risques pour les bénéficiaires. “Les bases de calcul des ressources et les règles d’attribution des aides ne sont pas les mêmes d’une allocation à l’autre, reprend Timothée Duverger. Or, si vous fusionnez, vous harmonisez les modalités.” Et cette harmonisation, si elle ne s’accompagne pas de la volonté d’aligner vers le haut les allocations, pourrait porter préjudice à certains bénéficiaires. » ([54])

Nouveau chef du Gouvernement, M. François Bayrou a abordé la question après la déclaration qu’il a faite devant l’Assemblée nationale en application de l’article 50‑1 de la Constitution :

– « M. Laurent Wauquiez – Vous connaissez notre volonté de créer une aide sociale unique – car nous sommes convaincus qu’il faut conserver le social pour ceux qui en ont vraiment besoin, revenir sur l’assistanat et revaloriser le travail. Nous souhaitons que soient fusionnées les quelque trente aides existantes pour créer une aide sociale unique plafonnée à 70 % du Smic, ce qui ferait gagner en clarté et surtout en justice. »

– « M. François Bayrou, Premier ministre – Vous avez soulevé la question de l’aide sociale unique. Je l’ai beaucoup défendue, mais votre proposition me pose un problème : sa limitation à 70 % du Smic. Si une jeune femme perçoit l’aide sociale à l’hébergement, l’allocation pour adulte handicapé (cette dernière d’environ 1 015 euros par mois) et les allocations familiales (elle a deux enfants) –, il est impossible de lui verser en tout et pour tout 70 % du Smic, soit environ 960 euros, pour la bonne raison que son revenu serait largement diminué. »

– « M. Thibault Bazin – On a exclu le handicap [...] de cette aide ! »

– « M. François Bayrou, Premier ministre – Alors ce n’est plus une allocation unique ! Si je suis d’accord avec vous sur le principe, c’est parce que cette allocation permettrait d’y voir clair dans l’aide apportée, d’en finir avec un certain nombre de désordres et de labyrinthes ; mais, encore une fois, un montant représentant 70 % du Smic serait profondément injuste pour des situations sociales auxquelles je ne peux accepter que l’on porte atteinte. » ([55])

● Le rapporteur ne prétend pas épuiser le débat : la proposition de loi qu’il défend suggère de commencer en ne plafonnant que le cumul du RSA et des aides au logement, que versent les caisses de la branche famille, et en demandant la remise d’un rapport par le Gouvernement, non pour que sa lecture fournisse un énième motif de procrastination, mais tout simplement parce qu’il importe d’avoir des chiffres actualisés en comparaison avec les études mentionnées supra, déjà anciennes.

  1.   La position de la commission

Suivant l’avis du rapporteur, la commission a adopté cet article, après avoir :

 suivant l’avis du rapporteur, rejeté deux amendements de suppression (n° AS2 de M. Hadrien Clouet et plusieurs de ses collègues du groupe La France insoumise  Nouveau Front Populaire ; n° AS3 de M. Yannick Monnet et une de ses collègues du groupe Gauche démocrate et républicaine) ;

 contre l’avis du rapporteur, adopté un amendement supprimant les alinéas 2 et 8, donc le plafonnement du RSA et des aides au logement, ainsi que la demande de rapport (n° AS1 de Mme Océane Godard et plusieurs de ses collègues du groupe Socialistes et apparentés).

*

*     *

Introduit par la commission

Cet article demande un rapport au Gouvernment sur la mise en place de la solidarité à la source et notamment sur les premiers résultats de deux expérimentations en cours.

● Suivant l’avis du rapporteur, la commission a adopté un amendement portant article additionnel après l’article 1er (n° AS5 de Mme Christine Le Nabour et plusieurs de ses collègues du groupe Ensemble pour la République) demandant, sous un délai de six mois, la remise par le Gouvernement d’un rapport au Parlement sur la mise en œuvre de la solidarité à la source et du montant net social, faisant notamment un bilan d’étape sur les expérimentations engagées en octobre 2024.

Les expressions de « solidarité à la source » et de « net social » relèvent de l’usage politique et médiatique. Il conviendrait de parler du versement contemporain de prestations sociales sans déclaration de la part de leurs bénéficiaires dans le premier cas et de calcul des droits par les organismes de sécurité sociale sur la base des ressources mentionnées à l’article L. 842‑4 du code de la sécurité sociale, nettes du montant des cotisations et contributions sociales, dans le second.

● Comme l’indiquent communément la DSS et la DGCS dans leurs réponses écrites au questionnaire du rapporteur, ces administrations « sont actuellement mobilisés sur [...] la mise en place d’un pré-remplissage automatique des déclarations trimestrielles de ressources des bénéficiaires du revenu de solidarité active et de la prime d’activité », lequel « fait l’objet d’une expérimentation dans cinq caisses d’allocations familiales (Alpes-Maritimes, Aube, Hérault, Pyrénées-Atlantiques et Vendée) », une généralisation étant envisagée aussi bien au régime général que dans le réseau de la Mutualité sociale agricole (MSA) le 1er mars 2025, étant précisé que « les bénéficiaires ont la possibilité de corriger les ressources pré-affichées lorsqu’ils les estiment erronées ».

D’après la contribution des directions concernées, « une deuxième étape vers un système de prestation plus unifié pourrait inclure, en sus du RSA et de la prime d’activité, les aides au logement », même si « un tel chantier nécessiterait plusieurs années [...] en ce qu’il nécessite d’abord de constituer une base-ressource unifiée », avec une refonte des barèmes en quatre étages : un socle pour le RSA, un volet dit d’intéressement pour la prime d’activité, ainsi que sa bonification, et un supplément correspondant aux aides au logement.

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*     *

Adopté par la commission sans modification

Cet article compense la charge pour la sécurité sociale qu’augmente le II de l’article 1er aux fins de permettre le dépôt de la proposition de loi.

Si le plafonnement du montant du revenu de solidarité active (RSA) et des aides au logement prévu par le I de l’article 1er de la proposition de loi est économe pour les finances publiques et si la demande de rapport formulée par le III du même article est sans effet normatif, le rétablissement de l’universalité des allocations familiales dans les conditions en vigueur avant 2015 que suggère le II dudit article est de nature à augmenter la charge supportée par les organismes de sécurité sociale.

L’article 2 prévoit de la compenser par la majoration, à due concurrence, de l’accise sur les produits du tabac prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

La commission a adopté cet article sans modification.

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*     *


La commission a modifié l’intitulé du titre de la proposition de loi.

Après que le rapporteur s’en est remis à sa sagesse, la commission a adopté un amendement (n° AS4 de Mme Christine Le Nabour et plusieurs de ses collègues du groupe Ensemble pour la République) remplaçant l’intitulé du titre du texte par « proposition de loi par visant à plafonner le cumul de prestations sociales et à rétablir le caractère universel des allocations familiales dès le premier enfant ».

Le rapporteur se bornera à constater que cela prend mieux en compte le II de l’article 1er qui en subsiste, même si la mention d’un cumul de prestations n’a pas été ôtée alors qu’il ne figure plus dans le même article.


– 1 –

   Travaux de la commission

Lors de sa première réunion du mercredi 29 janvier 2025, la commission a examiné la proposition de loi visant à plafonner le cumul de prestations sociales en vue de créer une aide sociale unique et à soutenir les familles qui travaillent (n° 765) (M. Thibault Bazin, rapporteur) ([56]).

M. Thibault Bazin, rapporteur. Cette proposition de loi vise à mieux valoriser le travail et à mieux soutenir les familles, une de nos priorités pour la France. Le soutien résolu aux familles fait partie des convictions de notre groupe : c’est d’elles que dépend l’épanouissement de la société ainsi que – toutes choses égales par ailleurs, pour des individus qui y sont aptes – le souhait qu’exercer un emploi soit toujours plus intéressant sur le plan financier que le cumul des aides.

Or il existe des situations où travailler rapporte moins ; ce n’est pas acceptable socialement. C’est une question de justice. Nous voulons donc créer un écart, à situation familiale identique, entre la personne qui travaille et celle qui ne travaille pas, entre la famille dont les parents travaillent et celle dont les parents ne travaillent pas. Une personne seule peut aujourd’hui être incitée à ne pas travailler par des effets de seuil, ou à ne travailler qu’à temps partiel, refusant ainsi de passer à temps plein ou d’effectuer des heures supplémentaires. Ces trappes à inactivité, que j’aborde notamment dans le rapport s’agissant du revenu de solidarité active (RSA) et de la prime d’activité, sont inquiétantes.

Mais nous pouvons les corriger. C’est dans cet esprit que le groupe Droite Républicaine propose le plafonnement du cumul des aides sociales, l’idée étant de les fusionner, à terme, dans une aide sociale unique. Cette réforme simplifierait grandement les procédures administratives ; elle constituerait une source d’économies importantes pour les finances publiques, alors que notre déficit devrait atteindre, au mieux, 5,4 % du PIB en 2025 ; elle faciliterait la lutte contre les fraudes – là encore, c’est une question de justice sociale.

Évoquons plus précisément chacun des trois axes de l’article 1er de la proposition de loi – l’article 2 étant son gage.

En premier lieu, nous suggérons que le montant total perçu par une personne seule ou par son ménage au titre du RSA et des aides personnelles au logement (APL) n’excède pas 70 % du smic net, soit 998,41 euros par mois, ce qui pour ces seules deux aides – dont je rappelle qu’elles sont des compléments – nous paraît une somme qui demeure importante. Je précise que l’allocation aux adultes handicapés (AAH), l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI), l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH), l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) et l’allocation forfaitaire versée en cas de décès d’un enfant sont exclues du plafonnement.

L’exécutif pourrait déterminer par décret un ajustement de ce plafond en fonction de la composition du ménage. Nous n’avons pas souhaité figer cette modulation dans la proposition de loi, comme l’avaient fait notre ancien rapporteur général mais aussi plusieurs collègues du groupe Horizons lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), avec une référence au quotient familial. C’est une évidence cruelle pour des parlementaires : même quand il part d’une bonne intention, un barème qui manque de souplesse n’est ni profitable aux allocataires, ni praticable pour l’administration.

Certes, le dispositif implique un chantier administratif ambitieux et une coordination entre l’État, les départements et les caisses de sécurité sociale. Les consultations que nous avons menées nous indiquent que ce ne serait pas impossible, même s’il conviendrait de procéder par étapes. Loin de nous décourager, cette complexité ne fait que confirmer l’urgence d’un système plus simple, avec des critères harmonisés. Une fois terminé l’effort sur soi que demande tout changement, l’administration se félicitera d’avoir redonné à ses agents et à ses usagers une pleine confiance dans le service public et la solidarité nationale.

Je remarque d’ailleurs que la direction de la sécurité sociale et la direction générale de la cohésion sociale sont mobilisées pour appliquer la solidarité à la source, c’est-à-dire pour mettre en place un préremplissage automatique des déclarations trimestrielles de ressources des bénéficiaires du RSA et de la prime d’activité. C’est encore loin du résultat que nous souhaitons, mais cela montre que lorsque la volonté est là, il est possible d’agréger ces données et de simplifier.

Il faut, je le disais, procéder par étapes ; de ce point de vue, les déclarations ici même de la ministre du travail, Mme Astrid Panosyan-Bouvet, vont dans le bon sens.

En deuxième lieu, nous revenons sur la néfaste réforme de 2015 qui a modulé les allocations familiales selon les ressources du ménage ou de la personne qui a la charge des enfants. Nous proposons de rétablir le caractère universel de la politique familiale, qui était au cœur du pacte social et républicain réaffirmé au sortir de la seconde guerre mondiale. C’est essentiel dans un moment où nous entendons beaucoup parler du Conseil national de la Résistance et où nous allons fêter les quatre-vingts ans de la sécurité sociale. Accueillir la vie, élever des enfants ne doit pas diminuer le niveau de vie du foyer qui fait ce choix, à situation professionnelle identique.

Nous allons même plus loin en attribuant des allocations familiales dès le premier enfant, sans condition de ressources. C’était aussi une suggestion de nombre de nos collègues ces derniers mois. Ce serait un message très puissant à l’heure où la France connaît une baisse inédite de la natalité : l’indicateur conjoncturel de fécondité est de 1,6 enfant par femme, alors que le désir d’enfant est de 2,3 enfants, comme le révèle une étude récente de l’Union nationale des associations familiales (Unaf). Il faut donc améliorer notre politique familiale pour mieux soutenir celles qui le souhaitent. Il y a urgence.

En troisième et dernier lieu, la proposition de loi formule un appel au Gouvernement en demandant un rapport sur les prestations non contributives, c’est-à-dire dont le montant ne dépend pas de celui des cotisations ou contributions acquittées, en vue de l’instauration d’une aide sociale unique. C’est d’ailleurs là une réflexion largement partagée ; je pense notamment aux travaux de Christophe Sirugue, bien connu sur les bancs socialistes. Une telle aide permettrait des économies en gestion sans priver aucun bénéficiaire de ses droits.

Mieux valoriser le travail, mieux soutenir les familles : voilà les deux objectifs de cette proposition de loi. Ils devraient nous réunir, car ils sont au fondement des mécanismes de solidarité intergénérationnelle de notre système de sécurité sociale. Ainsi soufflerait l’esprit du Conseil national de la Résistance. Il y va de l’avenir de notre modèle de protection sociale, fondé sur le taux d’activité et le renouvellement des générations.

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Gaëtan Dussausaye (RN). Cette proposition de loi pose, en quelques lignes seulement – cela manque peut-être un peu de sérieux –, les questions de notre modèle de protection sociale, donc de notre conception de la solidarité nationale, et de la valeur du travail. Je crois que nous avons tous en tête la réponse à la question de savoir si le travail paye suffisamment dans notre pays.

Elle passe à côté d’un élément essentiel : notre responsabilité. Les politiques ont-ils tout fait pour éviter de faire naître ce sentiment largement partagé qu’en effet, certaines personnes gagnent plus à rester chez elles plutôt qu’à reprendre le travail ? Au cours des vingt ou trente dernières années, des vagues de désindustrialisation et de délocalisation ont créé un véritable désert d’emploi dans des territoires entiers – je pense en particulier à la vallée du Rabodeau, dans ma circonscription. Les politiques en sont responsables, tout comme de la multiplication des réformes – notamment celle des retraites – qui précipitent et maintiennent nos concitoyens dans la pauvreté. Vous savez que 28 % des bénéficiaires du RSA ont aujourd’hui plus de 50 ans.

Il faut poser la question des salaires. Baisser de moitié les pensions sociales d’un tel ne doublera pas les revenus du travailleur d’à côté. Une vraie réflexion sur les rémunérations dans notre pays est donc nécessaire.

Cette proposition de loi devrait donc achever un débat, et pas le commencer. Si vous voulez rétablir de la justice sociale, nous vous invitons plutôt à réfléchir avec nous à une véritable lutte volontaire contre les fraudes et surtout à l’inscription de la priorité nationale. Avant de demander des efforts aux Français, faites payer ceux qui n’ont pas cotisé un seul centime dans notre pays.

Mme Christine Le Nabour (EPR). Votre intention de simplifier l’accès aux droits et de renforcer l’incitation au travail est louable. Cette proposition de loi pose néanmoins plusieurs problèmes.

Plusieurs rapports consacrés à notre État-providence ont souligné la complexité de notre système de protection sociale et montré que le taux de non-recours au droit dépasse parfois 30 %. Tous ont préconisé une simplification, une harmonisation des bases ressources, un plus grand partage de données entre les organismes gestionnaires et un accompagnement renforcé des bénéficiaires des prestations.

Vous considérez que les bénéficiaires des prestations auraient un revenu disponible plus important que celui de personnes qui travaillent. Les dernières données publiées par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) démontrent le contraire.

Si votre proposition de loi était votée, un couple sans emploi avec deux enfants pourrait perdre près de la moitié de ses ressources. Cela risquerait de creuser les inégalités et d’accentuer la pauvreté.

Vous militez pour une aide sociale unique. Fabrice Lenglart, directeur de la Drees et rapporteur général à la réforme du revenu universel d’activité, préconise plutôt le versement social unique, qui est l’objectif, à terme, du chantier de la solidarité à la source.

Depuis juillet 2023, dans un souci de simplification, le revenu social net est inscrit sur les bulletins de paie : il permet aux caisses d’allocations familiales et à la Mutualité sociale agricole de préremplir les déclarations trimestrielles des revenus, vous l’avez dit. Des mesures ont été prises pour permettre les échanges de données entre organismes gestionnaires et des expérimentations Territoires zéro non-recours ont été lancées.

Vous considérez que la réduction des aides favoriserait le retour à l’emploi. L’accompagnement rénové des allocataires du RSA montre que c’est bien un soutien plus intensif et personnalisé qui est efficace, puisque 54 % des bénéficiaires du RSA retrouvent un emploi dans les douze mois.

Vous voulez rétablir l’universalité des allocations familiales dès le premier enfant. Le surcoût serait de 3 milliards d’euros par an, ce qui est difficilement conciliable avec l’objectif de réduction du déficit public.

Si nous partageons l’objectif de simplification, le groupe Ensemble pour la République votera contre ce texte, tout en restant attentif à l’évolution du chantier de la solidarité à la source et à toutes les mesures qui permettront de moderniser notre système de protection sociale et de faire en sorte que le travail paye toujours plus que l’inactivité.

Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Avec ce texte, vous prétendez soutenir les familles qui travaillent. À l’heure où les chiffres du chômage sont au plus haut depuis dix ans, où se multiplient les plans sociaux et les défaillances de petites entreprises, c’est un drôle de tri entre les familles, comme si ces pères et mères de famille jetés hors de l’emploi, avec parfois pour seul filet de secours le RSA, ne méritaient pas votre considération.

C’est surtout d’une hypocrisie sans nom : où est le soutien aux familles travailleuses ? Le cœur de votre proposition de loi, c’est le plafonnement des prestations sociales à 70 % du Smic – sans bien sûr jamais augmenter le Smic. Votre texte ne vise pas tant à soutenir les familles qui travaillent qu’à plomber les plus précaires, les plus éloignés de l’emploi, ce qui exposera davantage ces familles à la pauvreté monétaire, entraînant des conséquences en chaîne sur les enfants : mal-logement, carences et déséquilibres alimentaires, difficultés d’accès à l’éducation, à l’art et à la culture, difficultés psychologiques aussi.

Vous flattez en fait un imaginaire fallacieux : des familles auraient la belle vie en cumulant les allocations. Or les allocations familiales versées aux ménages sont intégralement prises en compte dans les assiettes des ressources du RSA et de la prime d’activité, ce qui réduit d’autant leur montant. La hausse du montant forfaitaire du RSA liée à la présence d’un enfant supplémentaire ne se répercute qu’en partie, voire pas du tout, sur le montant réellement versé. Vous continuez à crier à la fraude sociale, mais vous passez sous silence les 3 milliards d’euros d’économies dues aux 36 % de non-recours au RSA, somme deux fois plus importante que celle de la prétendue fraude estimée.

Certes, vous proposez d’instaurer l’allocation familiale universelle dès le premier enfant. Nous aurions pu voter cette mesure, voyez-vous, si vous n’aviez pas pris soin de retirer d’une main ce que vous donnez de l’autre : avec votre plafond, cette allocation n’a d’universel que le nom, et ne profitera pas aux familles les plus précaires.

Votre texte est censé aider les familles qui travaillent, mais ne propose rien pour que leur travail paye mieux, et rien non plus pour aider les mères isolées à se maintenir dans l’emploi. Puisque vous dites vous soucier des familles qui travaillent, j’espère, monsieur le rapporteur, que votre mission d’information sur les congés parentaux – que vous avez tenu à distinguer de celle de la délégation aux droits des femmes consacrée à la parentalité – n’occultera pas cette question essentielle de l’égalité professionnelle et de la conciliation de la maternité et de l’emploi.

Mme Océane Godard (SOC). Cette proposition de loi s’appuie sur un mythe : l’assistanat. Les travaux des économistes Guillaume Allègre et Muriel Pucci comme les données de la Drees démontrent pourtant que ce mythe ne tient pas face aux faits : le travail est toujours plus rémunérateur que les aides sociales – que certains appellent l’« assistanat ».

Les mots comptent pour fabriquer un imaginaire collectif : je vous propose donc de parler de solidarité et de fraternité – notre devise nationale. Les aides sociales sont des droits et non des privilèges. Non, on ne gagne pas plus avec des aides sociales qu’avec le Smic, c’est un fait. Il ne faut pas stigmatiser celles et ceux qui ont moins, car celles et ceux qui ont davantage aujourd’hui, pourront, demain, avoir moins et bénéficier à leur tour de la solidarité nationale.

Vous utilisez ce sujet pour cliver à des fins politiciennes sans tenir compte des réalités du marché de l’emploi et de sa structuration. Regardez par exemple les dernières déclarations préalables à l’embauche sur le site de France Travail : 10 % de contrats à durée indéterminée, 40 % de contrats à durée déterminée, 50 % de contrats en intérim. Nombre de femmes et d’hommes en recherche d’emploi sont enfermés dans le chômage, ou vont de contrat court en contrat court, de temps partiel en temps partiel. Plafonner le cumul des aides sociales n’est pas la solution. Il faudrait plutôt accompagner le rebond sur le marché de l’emploi en donnant des moyens aux intermédiaires de l’emploi dans les territoires. Il faudrait aussi repenser l’organisation et les conditions de travail en France, et imaginer d’autres sécurisations professionnelles.

Nous voyons un point positif dans ce texte : l’ouverture des allocations familiales dès le premier enfant. Cette mesure répond à une revendication ancienne des familles monoparentales et des collectifs familiaux. Elle nécessite toutefois un financement clair et pérenne, ce que l’on ne trouve pas dans la proposition de loi.

Le groupe Socialistes et apparentés votera contre ce texte.

Mme Sylvie Bonnet (DR). Notre système de protection sociale est menacé par la dérive incontrôlée des dépenses, par les fraudes massives, mais aussi par le millefeuille administratif où s’accumulent des dizaines de prestations sociales non contributives, chacune versée en fonction de seuils et selon des modes de calcul différents.

En 2021, une étude du Conseil d’État dénombrait une trentaine d’aides soumises à des conditions de ressources, pour un coût de 120 milliards d’euros par an. À ce constat s’ajoute l’insupportable injustice que constitue la multiplication des situations où travailler rapporte moins que le cumul des aides. Aujourd’hui, un couple sans emploi avec trois enfants peut toucher 1 900 euros d’aides sociales défiscalisées par mois : 800 euros de RSA, 400 euros d’APL, 400 euros d’allocations familiales et près de 300 euros de complément familial, soit davantage que le salaire médian. À l’enjeu de simplification et de lutte contre la fraude s’ajoute donc un impératif de justice sociale pour la France qui travaille.

C’est dans cet esprit que le groupe Droite Républicaine propose le plafonnement du cumul des aides sociales, le projet étant de les fusionner à terme dans une aide sociale unique. Afin que le retour au travail soit toujours mieux récompensé, la proposition de loi prévoit de fixer ce plafonnement à 70 % du Smic. Selon la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (Fondation Ifrap), cela permettrait une économie de 12 à 34 milliards d’euros pour les finances publiques.

Bien évidemment, les prestations contributives, c’est-à-dire celles versées en contrepartie de cotisations, qui relèvent d’un régime assurantiel, ne sont pas concernées. D’autres prestations, dont la spécificité est pleinement justifiée, devraient être exclues du plafonnement : je pense à l’AAH, à l’ASI, à l’AEEH, à l’Aspa ou encore à l’allocation forfaitaire versée en cas de décès de l’enfant.

Le groupe Droite Républicaine soutiendra toujours les mesures visant à faire primer le travail sur l’assistanat. Nous voterons bien évidemment pour cette proposition de loi.

M. Benjamin Lucas-Lundy (EcoS). Nous sommes une fois de plus ce matin confrontés aux vieilles lunes de la droite française : faire des pauvres les responsables de leur pauvreté, s’attaquer aux pauvres plutôt qu’à la pauvreté. Vous prétendez briser les tabous mais vous ne vous attaquez pas au vrai tabou qu’est le non-recours : des milliers de familles sont privées d’aides et d’allocations qui leur permettraient de survivre parce qu’elles en ignorent l’existence et qu’elles n’ont pas la capacité d’accéder à leurs droits. Nous en avons malheureusement pris l’habitude.

Nous perdons du temps. Mais vous avez, monsieur le rapporteur – avec l’honnêteté et la sincérité qui vous caractérisent, on peut vous reconnaître cela –, dévoilé le fond de votre proposition. Vous voulez faire des économies sur le dos des plus précaires, de ceux que vous qualifiez sans cesse d’assistés, parlant ici de justice sociale – c’est bien la première fois – mais la méprisant partout ailleurs, quand nous voulons remettre de la progression et de la justice dans l’impôt, faire contribuer les plus grandes fortunes et les très grandes entreprises à la réduction des déficits et au financement des solidarités essentielles.

Si par malheur ce texte était adopté, il uniformiserait, au détriment des besoins spécifiques de chaque situation, faisant des personnes en situation de précarité un magma dans lequel on ne distingue ni la complexité des situations, ni les raisons pour lesquelles des personnes et des familles sont accompagnées. Vous allez faire payer aux plus pauvres le coût de l’austérité que vous voulez imposer au pays. Vous allez stigmatiser les familles les plus précaires. Vous allez affaiblir la solidarité redistributive.

Cette proposition de loi ne peut pas nous satisfaire. Si vous voulez briser les tabous, discutons plutôt du revenu universel d’existence !

M. Nicolas Turquois (Dem). Cette proposition de loi soulève la question intéressante de la différenciation entre ressources issues de la solidarité et ressources issues du travail. Il est important que le travail rapporte plus que l’inactivité. Je vais faire attention aux mots que j’utilise : il est vrai que le sentiment est largement partagé dans notre pays que le travail ne rapporte pas assez par rapport à l’inactivité.

Elle pose aussi la question de la politique familiale. L’enjeu pour les familles n’est plus aujourd’hui d’avoir trois enfants, mais d’avoir le premier. La proposition d’universalité des allocations familiales est donc intéressante.

Enfin, nous devrons, je crois, aller vers l’allocation sociale unique, source de clarté pour nos concitoyens et de simplicité pour nos administrations.

Toutefois, le seuil de 70 % semble arbitraire et mériterait d’être expertisé. Vous évoquez même clairement dans votre proposition de loi « un multiple de 70 % » : je ne comprends pas cette formulation.

Le financement de l’universalité des allocations familiales a un surcoût majeur que nos finances publiques ne peuvent pas se permettre à l’heure actuelle. Nous pouvons appeler cette évolution de nos vœux, mais elle n’est pas possible actuellement.

La mise en place de cette allocation sociale unique nécessite un travail en profondeur avec nos administrations : cela nous semble prioritaire. Nous irions ainsi dans le sens que vous défendez.

Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). Le groupe Horizons & Indépendants salue l’objectif de simplification et de rationalisation des prestations sociales. Le plafonnement des prestations à 70 % du Smic net va dans le sens des propositions que nous avions défendues lors de l’examen du PLFSS 2025. Nous regrettons que ce plafonnement ne prenne pas en compte un plus grand nombre d’allocations, ce qui serait plus efficace et valoriserait mieux le travail.

Une mission d’information consacrée à l’allocation sociale unique vient de se former ; elle sera menée par Sandrine Runel et moi-même. Ces travaux seront cruciaux pour repenser en profondeur notre système social ; il faut en attendre les conclusions avant de légiférer.

Nous estimons nous aussi qu’il faut soutenir la natalité, mais nous sommes réservés quant au retour de l’universalité des allocations familiales dès le premier enfant sans condition de ressources. Cela coûterait 3 milliards d’euros. Dans le contexte budgétaire actuel, nous devons agir avec responsabilité et prudence, car nous devons garantir la pérennité de notre système de solidarité.

Nous déposerons des amendements en séance, notamment sur le volet des allocations familiales ; sous réserve de leur adoption, nous pourrons voter ce texte. Notre groupe reste engagé pour une politique sociale plus juste et plus efficace au service de toutes les familles françaises.

M. Stéphane Viry (LIOT). L’idée de plafonner le cumul du RSA et des trois types d’aide au logement pour aboutir, à terme, à une allocation sociale unique est pertinente. C’est une question présente dans les débats politiques depuis plusieurs années : les socialistes suggéraient, en 2019, de créer un revenu de base en cumulant RSA, prime pour l’emploi et APL. Emmanuel Macron a également évoqué la création d’un revenu universel d’activité. L’idée me paraît donc mûre.

Certains de nos concitoyens ont le sentiment que travailler ne suffit plus pour vivre dignement, que le travail ne paye plus assez. D’autres considèrent que pour favoriser la reprise d’activité, il faut un écart significatif entre Smic et minima sociaux. Notre système a été conçu pour que jamais il ne soit plus intéressant de ne pas travailler que de travailler. L’incitation au travail doit rester au cœur de notre pacte social et de notre modèle républicain. Nous soutenons donc l’idée de convoquer une grande conférence sur les salaires. Nous devons, plus généralement, inciter les hommes et les femmes de ce pays à trouver un emploi en levant des freins périphériques que peuvent être le logement, la mobilité, la santé. C’est de cette façon que nous permettrons à nos concitoyens de retrouver une place dans la société par le travail et à diminuer le coût de la solidarité nécessaire pour aider celles et ceux qui sont en grande difficulté.

M. Yannick Monnet (GDR). Il y a cinq ans, les candidats du centre et de la droite à l’élection présidentielle se disaient favorables à l’instauration d’une aide sociale unique fusionnant plusieurs prestations sociales. L’objectif affiché était celui de simplifier le versement des aides et de combattre le non-recours. Aujourd’hui, la droite ne veut plus combattre le non-recours, mais faire en sorte, dit-elle, que le travail paye plus que l’addition des allocations.

Sortons des propos du café du commerce. Selon les chiffres de la Drees, une personne ne percevant pas de revenu d’activité a, quelle que soit sa situation familiale, un niveau de vie inférieur à celui d’une personne travaillant au Smic à mi-temps. Ainsi, une personne seule sans revenu d’activité percevant le RSA et les allocations logement gagne 48 % de moins qu’une personne employée au Smic.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui n’instaure pas une allocation sociale unique. Mais elle réduirait considérablement le niveau de vie des bénéficiaires en plafonnant à 70 % du Smic le cumul du RSA et des aides au logement. Pire, en renvoyant à un décret les conditions de modulation de ce plafond en fonction de la configuration des ménages, l’article 1er entretient volontairement le flou sur les niveaux de prestations que pourront percevoir les bénéficiaires.

Aucune précision n’est apportée sur l’articulation de ce plafonnement avec la nouvelle réforme du RSA, mise en œuvre à compter du 1er janvier 2025. Si cette proposition de loi devait être adoptée et s’ajouter à l’actuelle réforme, cela signifierait que les bénéficiaires seraient obligés de travailler quinze heures hebdomadaires tout en percevant moins de prestations.

N’oublions pas que 75 % des ménages bénéficiant du RSA sont déjà en dessous du seuil de pauvreté : cette mesure ne ferait donc qu’aggraver les conditions de vie déjà très fragiles des populations, tout en les stigmatisant davantage. Si vous voulez que le travail paye, il faut augmenter les salaires !

M. Olivier Fayssat (UDR). De nombreux aspects de cette proposition de loi sont séduisants, notamment l’idée d’aller vers une aide unique afin d’inciter chacun au travail. L’exclusion des aides liées au handicap, qui constituent plutôt des indemnités destinées à faire face à des dépenses spécifiques, est pertinente.

En revanche, je regrette que ce plafond de 70 % ne tienne pas compte de la composition familiale. Un plafond forfaitaire n’affectera pas de la même façon une famille d’un, deux, trois ou quatre enfants.

Ne faudrait-il pas explorer la piste de l’imposition des aides ? L’imposition de deux foyers aux revenus équivalents ne sera pas du tout la même selon que ces revenus proviennent uniquement du travail ou pour moitié d’aides, par exemple, puisque celles-ci ne sont pas imposables. C’est une rupture d’égalité.

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions des autres députés.

Mme Stéphanie Rist (EPR). Nous avons deux points d’accord, monsieur le rapporteur. D’abord, il est indispensable que les personnes qui travaillent gagnent plus que celles qui ne travaillent pas ; c’est la base, comme certains l’ont dit, de notre pacte social. Ensuite, nous devons aller vers une aide unique : le chantier de l’aide sociale à la source est lancé.

Nous avons mené une réforme courageuse du RSA en généralisant les heures travaillées. Elle a été expérimentée dans mon département et elle fonctionne. Voilà une réforme efficace, contrairement, je crois, à votre proposition qui vise d’une part à plafonner le RSA et les aides au logement, et d’autre part à redonner des allocations familiales à des familles qui n’en ont d’ailleurs pas toujours besoin.

Il faut plutôt travailler sur la désmicardisation, sur l’augmentation des salaires situés juste au-dessus du Smic. C’est de cette façon que l’écart apparaîtra de plus en plus important.

Je ne voterai pas cette proposition de loi.

M. Philippe Vigier (Dem). Ce texte a le mérite d’aborder une question qui est sur toutes les lèvres. Il serait bon que la transparence soit faite sur les différentes aides que reçoivent les ménages. Les organismes concernés doivent être connectés les uns aux autres.

Le travail doit payer, c’est une évidence. La mission qui a été lancée sur l’allocation sociale unique permettra de tordre le cou aux idées reçues et de faire le point sur cette question. Elle devra aussi se pencher sur le fait qu’il y a des hommes et des femmes qui ne bénéficient pas de certaines aides auxquelles ils auraient pourtant droit : la solidarité doit marcher sur deux jambes. Nous prêterons une grande attention à ses conclusions.

Votre démarche est intéressante, mais un plafonnement tel qu’il est prévu ne paraît pas adapté. Tout le monde était très dubitatif lorsque l’impôt à la source a été mis en place ; plus personne ne le conteste aujourd’hui. Il en ira de même bientôt pour l’aide sociale unique. Cela permettra d’affirmer que la valeur travail est une véritable valeur régalienne.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Quelles sont précisément les prestations sociales visées ? L’AAH, par exemple, est-elle concernée ?

M. Arnaud Simion (SOC). La forme est subtile et lisse, mais votre proposition est démagogique. Elle alimente le mythe de l’assistanat. Vous répétez comme un mantra qu’il serait plus profitable d’être allocataire de prestations sociales que de travailler.

Je vous renvoie tout simplement aux travaux d’une lauréate du prix Nobel d’économie, Esther Duflo, qui balaie le mythe selon lequel les aides rendraient paresseux. Aucune recherche n’a mis en évidence l’effet désincitatif des aides sociales sur le travail. C’est là une vérité scientifique et humaine : personne ne fait de l’obtention d’un minimum social un projet de vie.

Puisque la pédagogie repose sur la répétition, je redis qu’une personne seule, locataire, sans enfants, sans revenu d’activité, perçoit un RSA de 559 euros, complété par 292 euros d’APL. Son revenu est donc de 851 euros, c’est-à-dire sous le seuil de pauvreté. Si cette même personne travaille à temps plein au Smic, elle gagne alors 1 425 euros net par mois, et elle bénéficie de la prime d’activité de 258 euros. Elle dispose donc de 1 683 euros net par mois, soit deux fois plus qu’avec le RSA et les APL. CQFD.

M. le rapporteur. Monsieur Isaac-Sibille, nous avons établi une liste précise des allocations exclues du plafonnement. Il s’agit des aides suivantes : l’AAH, l’ASI, l’AEEH, l’Aspa et l’allocation forfaitaire versée en cas de décès d’un enfant. Ce sont le RSA et les APL qui sont concernés.

Pour les familles, la mise sous conditions de ressources des allocations familiales est une double peine : si les deux parents se mettent à travailler, ils peuvent perdre le bénéfice de certaines aides. Ce sont bien les effets conjugués de différentes mesures qui doivent être mieux mesurés.

Monsieur Fayssat, le texte prévoit, à l’alinéa 2, un ajustement du plafond en fonction de la configuration du ménage.

Philippe Vigier a dit qu’il faut rendre la solidarité effective. J’y suis très attentif. Nous avons d’ailleurs un revenu dit de solidarité active. Il faut créer un cercle vertueux. On entend partout parler de la valeur travail, dites-vous. Il ne faut pas, me semble-t-il, rester sourds à ce que nous entendons dans nos permanences et réunions publiques à ce sujet.

J’ai été sensible aux propos tenus par Océane Godard. J’entends moi aussi, dans ma permanence, des personnes déplorer qu’elles aient perdu une allocation après avoir pris un emploi, ou regretter d’avoir accepté un temps plein ou des heures supplémentaires. Dans certaines situations, les effets de seuil sont manifestes ; d’autres mettent en lumière les effets de la conjugaison de dispositifs aux règles et aux temporalités distinctes. On m’oppose les données de la Drees, certes incontestables, mais je vise certaines situations et non toutes les situations.

S’agissant de l’ouverture des allocations familiales dès le premier enfant et de son financement, il se trouve que la branche famille est l’une des branches de la sécurité sociale qui ne sont pas en déficit. La diminution du nombre de naissances – de l’ordre de 100 000 en dix ans – assure à ces recettes une dynamique positive. Nous avons donc les moyens d’investir 2 à 3 milliards d’euros au profit d’un système de sécurité sociale qui représente 630 milliards.

Benjamin Lucas-Lundy a abordé le sujet essentiel du non-recours aux aides sociales. À cet égard, le dispositif Territoires zéro chômeur de longue durée est intéressant. Christine Le Nabour et, dans une circonscription voisine de la mienne, Dominique Potier se sont investis dans sa mise en œuvre. Tous ici, dans nos permanences, nous accompagnons de nombreuses personnes vers les aides sociales. On ne saurait siéger à la commission des affaires sociales sans se préoccuper du non-recours aux aides sociales, qui est indissociable de la question de la pauvreté, à laquelle, contrairement à ce que certains font croire, je suis très sensible.

De l’accompagnement, il en faut aussi en matière d’insertion professionnelle. Des progrès ont été réalisés en la matière, et je salue les travailleurs du secteur. Nous n’en devons pas moins nous pencher sur la question des travailleurs pauvres et sur le sentiment d’injustice sociale qu’ils peuvent éprouver, dans certaines situations, en raison d’effets de seuil que nous ne pouvons pas négliger.

Stéphanie Rist a rappelé que le travail doit payer plus que l’inactivité et s’est montrée plutôt favorable à l’aide sociale unique. Je constate qu’il existe un chemin possible vers cette unification. S’agissant de la généralisation de l’expérimentation prévue par la loi sur le plein emploi, nous y avons toujours été favorables alors même que nous étions dans l’opposition lors de son examen.

Les aides sociales sont un tout qu’il faut mettre en cohérence. Plusieurs orateurs ont comparé une personne rémunérée au Smic et une personne qui ne travaille pas. D’après plusieurs études récentes, il existe des trappes à inactivité autour du seuil de 23 heures par semaine : passer à 25 heures fait perdre le bénéfice d’une part de la prime d’activité.

Stéphanie Rist a eu raison d’inscrire la question dans le contexte plus large du plein emploi et de rappeler l’importance de la valeur travail et des contreparties, ainsi que les clauses imaginées à cet effet. Il s’agit d’une différence fondamentale avec le Rassemblement national qui, par la voix de Gaëtan Dussausaye, a tenté d’éluder le débat soulevé par notre proposition de loi. Vous êtes contre l’idée de contreparties au RSA, notamment sous la forme d’une activité de quinze à vingt heures par semaine. Je vous sens gêné aux entournures ! Vous nous reprochez de manquer de sérieux et de fuir nos responsabilités. J’ai toujours vécu en Lorraine, mais je ne suis pas si vieux que l’on puisse m’imputer la responsabilité de la désindustrialisation, qui au demeurant n’est pas le sujet du texte qui vous est proposé, sur lequel je suggère que nous nous concentrions.

Sarah Legrain m’alerte sur la prise en compte des mères de famille et sur la conciliation des vies familiale et professionnelle. Ce sujet me préoccupe depuis longtemps – mes interventions sur les réformes des retraites de 2020 et de 2023 en témoignent. Les mères de trois enfants ou plus ont un taux d’emploi inférieur de moitié à celui des autres. Leur insertion professionnelle est un problème, comme l’est la conciliation de leur vie personnelle et professionnelle, avec des effets potentiels sur le montant de leurs retraites. Je souhaite mener le combat de l’harmonisation des droits conjugaux et familiaux. Il faudra des moyens mais, compte tenu du déficit de notre système de protection sociale, il faudra aussi des réformes de structure.

Notre proposition de loi a été caricaturée. Je me suis efforcé de montrer qu’elle a vocation à être améliorée. Ce qui nous importe, c’est de créer un écart entre travail et inactivité. Le cas d’une famille avec deux enfants a été évoqué ; nous laissons de côté les allocations familiales pour ne pas précariser les familles avec enfants. L’universalité des allocations familiales, dont l’attribution n’est pas indexée sur les revenus, est pour nous fondamentale.

Stéphane Viry connaît bien l’expérimentation en cours dans le bassin d’Épinal et a rappelé à raison qu’un important travail reste à faire en matière d’harmonisation des assiettes et des temporalités applicables aux diverses aides sociales. Plusieurs voix, de sensibilités très diverses, l’appellent de leurs vœux depuis plusieurs années.

L’essentiel, encore une fois, est de créer un écart. Comment faire ? Nous proposons une solution, recourant au décret et de portée modeste. Il faut procéder par étapes. Si nous ne commençons pas par réformer les règles et les assiettes, l’aide sociale unique ne verra pas le jour. Parfois promise dans les campagnes électorales, sa mise en œuvre exigera plusieurs années, donc du pragmatisme.

Nathalie Colin-Oesterlé a soulevé à raison la question de l’assiette de l’aide sociale unique. Je ne l’écarte pas, mais je tiens compte de la nécessité, rappelée par les uns et les autres, de traiter à part le handicap et les familles avec enfants. Nous devons travailler non seulement sur l’assiette sociale, mais aussi sur l’assiette fiscale. Pour certaines personnes, se mettre à travailler, c’est non seulement perdre le bénéfice des allocations familiales, des aides au logement et parfois de la prime d’activité, mais aussi être imposé en raison d’un rabot opéré sur le quotient familial et sur la prestation d’accueil du jeune enfant – ce dernier fait perdre 180 euros par an à deux personnes rémunérées au Smic. Il faut regarder de près la question de l’assiette – la mission d’information en cours devrait nous y aider et je me réjouis que plusieurs sensibilités politiques soient décidées à avancer ensemble à ce sujet ; quant à nous, nous avons opté pour une proposition de loi car c’est l’une de nos priorités.

S’agissant du coût de 3 milliards d’euros de l’ouverture des allocations familiales dès le premier enfant, il s’agit en réalité d’un investissement dans la branche famille. Faut-il investir dans la branche famille ou dans la branche autonomie ? Sous la pression du déficit de la sécurité sociale, la politique du rabot est souvent préférée aux grands choix politiques pour l’avenir, ce qui nous rend aveugles au fait que l’absence de renouvellement des générations met en danger non seulement la branche vieillesse, mais aussi toutes les politiques publiques. Plus d’enfants demain, ce sont plus de cotisants après-demain. C’est ainsi que nous pourrons relever les défis dont notre commission est saisie.

Yannick Monnet s’est exprimé au nom d’un courant politique qui, avec le mien, a créé la sécurité sociale il y a quatre‑vingts ans. Notre ancien collègue Pierre Dharréville, qui était de son groupe, évoquait souvent Ambroise Croizat et les fondements de notre protection sociale. Le manque de précision que M. Monnet nous reproche tient au fait que nous avons l’humilité de penser qu’il faut être attentif à éviter les victimes collatérales et aux effets de seuil.

Il ne faut pas sous-estimer la complexité et la diversité du système. C’est pourquoi nous proposons de suivre un chemin – j’ai conscience qu’il n’existe pas à ce jour de majorité pour ce faire – consistant à ne pas tout arrêter tout de suite. Il serait irresponsable de créer d’emblée l’aide sociale unique. Il faut procéder par étapes, en commençant par dresser un état des lieux des divers dispositifs.

Nicolas Turquois a évoqué l’enjeu du premier enfant. Si certaines familles ne veulent pas d’enfant, celles qui en désirent nous disent s’inquiéter pour l’avenir et douter d’avoir les moyens d’en assumer la charge. L’étude de l’Unaf précitée montre que les inquiétudes portent d’abord sur le logement, le transport et le pouvoir d’achat dans le reste-à-vivre.

Vous avez rappelé le travail en profondeur avec les administrations qu’exige l’aide sociale unique, tout en convenant que les citoyens et l’administration seront gagnants, ce dont nous sommes, au groupe Droite Républicaine, profondément convaincus. S’agissant de la définition du seuil, elle appelle une analyse approfondie. Vous relevez à juste titre une erreur s’agissant de la notion de multiple ; je défendrai un amendement visant à la corriger.

Comme l’a rappelé Sylvie Bonnet au nom de notre groupe, nous voulons qu’il y ait dans notre pays non davantage de pauvres, mais moins, et ce grâce au travail, dans un système gagnant-gagnant. Nous croyons à l’ascenseur social. Ceux qui choisissent de faire des efforts et de travailler doivent être récompensés et ne pas y perdre. À l’heure actuelle, les effets de seuil créent un problème de vases communicants.

Telle est la philosophie qui nous guide. Je ne souhaite pas qu’elle donne lieu à des caricatures. Arnaud Simion a évoqué des cas concrets, qui ne sont pas visés. Nous visons les cas où les gens sont perdants. Les gouvernements qui se sont succédé nous ont d’abord opposé un « Circulez, il n’y a rien à voir ! » avant de convenir que, dans certaines situations, reprendre le travail induit une baisse de revenu pendant plusieurs mois. Ces situations existent ; elles méritent examen. Voilà ce que nous proposons, en espérant que nous avancerons d’ici l’examen du texte en séance tout en encourageant les autres initiatives.

Article 1er : Plafonnement du montant total du revenu de solidarité active et des aides personnelles au logement perçues par une personne ou un ménage à hauteur d’un multiple de 70 % du salaire minimum de croissance, attribution des allocations familiales à partir du premier enfant à charge, suppression de la modulation de leur montant en fonction des ressources et demande de rapport en vue de l’instauration d’une aide sociale unique

Amendements de suppression AS2 de M. Hadrien Clouet et AS3 de M. Yannick Monnet

M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Ce texte est odieux. Vous vous levez le matin, vos enfants vous demandent « Qu’est-ce que tu vas faire aujourd’hui à l’Assemblée nationale ? » et vous leur répondez « Je vais m’assurer que tes petits camarades de classe ne peuvent pas se soigner ou aller à la cantine » ! Pendant ce temps-là, Laurent Wauquiez fait des dîners à 1 100 euros par tête : voilà la droite française !

Tout le monde doit comprendre que votre texte repose sur un principe : faire en sorte qu’aucune famille ne touche plus de 990 euros en prestation sociale. Des parents isolés, seuls avec leur petit, il y en a des millions dans notre pays ! À ces familles, vous allez retirer 200 euros et les faire basculer sous le seuil de pauvreté ! Et pourquoi ? Parce qu’ils ont une allocation pour survivre ! Et pourquoi ? Parce que vous avez réformé l’assurance chômage pour en exclure notamment les personnes qui ont eu un contrat de travail pendant cinq mois ou cinq mois et demi ! Et pourquoi ? Pour obliger les gens à rester dans des emplois sous‑payés ! Et pourquoi ? Pour pouvoir chouiner ensuite que le travail ne paye pas assez alors que vous avez baissé les salaires !

Vous recevez, dites-vous, des gens qui expliquent perdre une allocation en travaillant. Votre solution, au lieu de leur expliquer leurs droits, de leur permettre d’y accéder et de faire en sorte que cette situation n’existe pas – parce qu’elle peut ne jamais exister – consiste à leur retirer leur allocation pour les empêcher de retrouver du boulot ! Plus de malheur n’a jamais engendré autre chose que plus de malheur. Ne pas le comprendre, c’est ne rien comprendre à l’humanité.

M. Yannick Monnet (GDR). Le rapporteur a évoqué la création de la sécurité sociale il y a quatre‑vingts ans, par la droite et les communistes – et d’autres. Savez-vous pourquoi nous avons pu faire la sécurité sociale il y a quatre‑vingts ans ? Parce que la droite avait la volonté de protéger les plus faibles. Telle était sa vocation.

Votre texte fait le contraire. Il vise, pour soutenir les familles qui travaillent, à « plafonner le cumul des allocations sociales uniques ». Il procède d’une volonté délibérée de pointer du doigt ceux qui sont fragiles.

Ce qui est terrible, c’est le discours qui l’accompagne, et que répète à l’envi le président de votre groupe, Laurent Wauquiez. Vous dites aux travailleurs pauvres que les responsables de leur situation sont ceux qui touchent les prestations sociales. En répétant cela à longueur de journée, vous vous attaquez aux plus faibles. La droite d’aujourd’hui n’est vraiment plus la même qu’il y a quatre‑vingts ans, celle avec laquelle nous avons fait la sécurité sociale.

De tels arguments relèvent de la même logique intellectuelle que celle consistant à dire que, si c’est le bazar, c’est à cause de l’immigration. Dans les deux cas, il s’agit de pointer du doigt les plus faibles pour en faire la cause des difficultés sans jamais montrer ceux qui se gavent. Votre positionnement est irresponsable et fracture notre société.

M. le rapporteur. Tout ce qui est excessif est insignifiant. M. Monnet dit que je suis irresponsable, M. Clouet que je ne comprends rien à l’humanité. Je n’ai pas la prétention de tout connaître. Au demeurant, la proposition de loi que je défends est celle d’un ancien collègue qui ne siège plus au Parlement. Nous avons adopté une approche collective. Nul n’a le monopole du cœur.

S’agissant des travailleurs pauvres, ce qui nous anime, c’est faire en sorte que le salaire net se rapproche du salaire brut. C’est un combat que nous menons depuis longtemps. Nous voulons réduire le nombre de pauvres et de situations de vulnérabilité, dont nous sommes témoins dans nos territoires et auxquelles nous ne sommes pas insensibles.

Ce que je souhaite, c’est qu’il n’y ait pas d’injustice. Quand une personne vient à ma permanence pour regretter d’avoir augmenté son temps de travail car elle a perdu tel et tel revenu, que puis-je lui répondre ?

L’exposé sommaire de l’amendement AS2 indique que la mesure proposée « cible délibérément les allocataires en couple ou ayant des enfants à charge ». C’est faux. Le texte repose sur la notion de foyer fiscal, qu’au demeurant l’introduction du rapport s’attache à définir et à distinguer de celle de ménage.

On y lit aussi que la mesure « attaque directement des personnes qui, quelle que soit la configuration de leur ménage, vivent avec un niveau de vie systématiquement inférieur au seuil de pauvreté ». Là encore, c’est faux. L’article 1er tient compte de la configuration du ménage. Nous avons tenu compte des réponses des administrations et fait en sorte que certaines catégories de personnes, telles que les bénéficiaires du RSA, soient exclues du périmètre du texte. Leur allocation restera inchangée. Il faut affiner l’approche situation par situation et être très précis.

Avis défavorable.

M. Arthur Delaporte (SOC). Deux principes guident votre pensée. Le premier est la démagogie. Aucun rapport, le vôtre en particulier, ne démontre que l’on gagne plus en touchant les aides sociales qu’en travaillant. Le second, c’est le vide. Vous n’avez indiqué ni le nombre de personnes concernées par votre texte ni son effet sur les revenus des ménages. Qu’il soit dangereux ou qu’il ne concerne presque personne, il faut nous en dire plus.

Nous ne voterons pas les amendements de suppression car nous souhaitons défendre l’amendement AS1 visant à supprimer la mesure injuste et scandaleuse consistant à plafonner les aides sociales à 70 % du Smic. Nous préservons ainsi la possibilité d’augmenter ce plafond et d’ouvrir pour de bon l’accès aux allocations familiales dès le premier enfant.

M. Fabien Di Filippo (DR). Par-delà les caricatures déplacées des auteurs des amendements et de l’anathème purement idéologique jeté sur notre proposition de loi, leur position m’inspire trois observations.

Premièrement, vous n’avez aucunement la volonté que les personnes en situation de précarité percevant des aides sociales reprennent un travail. Vous considérez qu’il vaut mieux rester chez soi et toucher les aides qu’avoir un travail. Philosophiquement, notre opposition est totale. Il est toujours préférable d’avoir un travail, même si ce n’est pas celui de nos rêves, même s’il n’est pas payé exactement comme on le voudrait, parce qu’il faut toujours démarrer pour évoluer dans une carrière. J’y insiste : le travail est toujours préférable à l’inactivité et aux aides sociales.

Deuxièmement, vous n’avez pas la volonté de rééquilibrer notre système social et de faire en sorte que ceux qui travaillent gagnent plus en réduisant l’écart entre salaire brut et salaire net grâce au moindre financement de nos besoins sociaux.

Troisièmement, vous ne voyez aucun problème, dès lors que votre générosité la main sur le cœur est totalement à crédit, à laisser la facture aux générations futures. Avant d’accuser notre rapporteur d’irresponsabilité, certains feraient mieux de balayer devant leur porte.

M. Nicolas Turquois (Dem). Chacun est libre de déposer des amendements visant à supprimer un article. La façon de les présenter n’est pas anodine. Les propos tenus par nos collègues ne me semblent pas acceptables, à tout le moins pas souhaitables.

Le rapport entre le travail et l’inactivité est un vrai sujet. Certaines personnes ont incontestablement besoin de la solidarité collective, mais rester sourd à la remise en cause de notre modèle social par certains de nos concitoyens auxquels échappe l’objet de certains mécanismes de solidarité, c’est passer à côté du sujet. Lorsqu’Ambroise Croizat a créé la sécurité sociale, presque tout le monde était en activité au profit d’une faible part de la population bénéficiant de la solidarité. Le parti communiste lui-même défendait la valeur travail. Nous ne voterons pas les amendements.

M. Hendrik Davi (EcoS). Je soutiens les amendements. La suppression de l’article 1er me semble légitime. Le plafonnement du cumul de prestations sociales n’est pas une solution car il aboutira à leur diminution.

Monsieur Di Filippo, nous préférons comme vous que les gens travaillent. Ce qui nous distingue, c’est que nous souhaitons qu’ils puissent en vivre dignement, donc que sa rémunération soit suffisante.

Monsieur le rapporteur, je veux bien admettre que vous êtes de bonne foi, mais il y a une réalité qui vous échappe – ne criez pas à ce mot – : la lutte des classes. Si vous diminuez les prestations sociales, les salaires diminueront, en dépit de l’existence du Smic. Les travailleurs peu qualifiés sont souvent employés à temps partiel, ce qui explique que leurs salaires n’excèdent pas le montant des prestations sociales. Là réside le problème.

Si vous diminuez les prestations sociales, vous trouverez toujours des employeurs pour essayer de diminuer les salaires. La seule solution, si vous voulez réellement que les gens retournent au travail, est d’augmenter le Smic tout en réduisant le travail morcelé et à temps partiel. Ce n’est qu’en faisant l’effort de rémunérer correctement les salariés que nous pourrons résoudre le problème, pas en diminuant les prestations sociales. Efforcez-vous de le comprendre ! Les gens veulent travailler, à condition d’être bien payés. Vous ne pouvez pas inciter des gens qui gagnent 900 euros par mois à travailler pour 950 euros par mois, car cela ne permet pas de vivre !

M. Gaëtan Dussausaye (RN). Sur les amendements, nous nous abstiendrons. Nous considérons que la question mérite d’être posée, mais qu’elle doit l’être après d’autres et non avant.

Ce texte s’inscrit dans le cadre de la niche parlementaire du groupe Droite Républicaine. Vous auriez pu lui en préférer d’autres, mais vous avez préféré vous faire les porte‑parole, par le biais d’un texte de quinze lignes, d’un coup de communication de Laurent Wauquiez, qui fait du macronisme 2.0 consistant à faire payer tout le monde et les Français d’abord, faute d’avoir eu le courage de mener les véritables réformes qui s’imposaient.

Si vous aviez opté pour une proposition de loi visant à créer et pérenniser des emplois, à revaloriser les salaires, à baisser le coût de la vie et surtout à donner la priorité à la solidarité nationale en évitant de l’universaliser avec le reste du monde, nous aurions pu ensuite aborder la question de l’aide sociale unique. Vous avez préféré évacuer ces sujets et choisir la facilité, dans une logique complètement macroniste.

S’agissant des travailleurs pauvres, qui ne gagnent pas assez parce que le coût de la vie est beaucoup trop haut, parce qu’on ne les aide pas et parce que le travail ne paie plus suffisamment, je les entends souvent, comme tout le monde, exprimer un profond sentiment d’injustice en constatant que certaines personnes gagnent autant qu’eux ou à peine moins parce que travailler ne permet pas de mieux gagner sa vie.

Certains amis ont repris le boulot après être devenus parents. Entre les frais de garde et de transport, ils ne gagnent qu’une cinquantaine d’euros de plus qu’auparavant. Ils n’en disent pas moins ne jamais vouloir se trouver en situation d’assistanat, car travailler et disposer d’une raison sociale est une dignité. Personne n’envie la situation dans laquelle se trouvent les personnes que la présente proposition de loi vise à faire payer une fois de plus.

Mme Christine Le Nabour (EPR). Je laisse aux orateurs ayant défendu les amendements leurs propos caricaturaux. Je salue, même si je ne suis pas d’accord avec le texte, l’inscription de l’aide sociale unique à notre ordre du jour. Il faut faire en sorte d’éviter les effets de seuil qui attachent à la reprise du travail la perte d’avantages.

Ce sujet est complexe. Je sais de quoi je parle : j’y travaille depuis 2018. J’ai rédigé deux rapports d’information. Les conditions de ressources et les échéances de réexamen varient d’une prestation sociale à l’autre. À défaut d’harmonisation des bases ressources, nous n’avancerons pas.

Il faut laisser le temps au temps. Le chantier de la solidarité à la source est en cours ; j’aimerais qu’il s’active un peu plus. J’aimerais aussi que le rapport de Fabrice Lenglart sur le revenu universel d’activité, qui comporte de nombreuses préconisations, soit publié par le Gouvernement.

Votre proposition de loi n’est pas efficace. L’écart de revenus entre inactivité et travail est faible si l’on additionne plusieurs aides, dont la plupart sont exclues, à raison, du champ d’application de votre texte. Si l’on cumule le RSA et la prime d’activité, l’écart est fort. Les travaux de la Drees le démontrent.

Dans la mesure où les données sont sur la table – outre mes rapports, je citerai les travaux de Gisèle Biémouret, de Julien Damon et de Christophe Sirugue –, je préconise, plutôt qu’une mission d’information, la création d’un groupe de travail. À l’allocation sociale unique gommant les spécificités des aides, je préfère le versement social unique respectant la liberté de chacun d’accepter ou de refuser les prestations, selon la logique de l’opt-out.

Mme Annie Vidal (EPR). Nous avons tous chevillé au corps, quelles que soient nos valeurs politiques respectives, l’intérêt collectif, même si nous ne l’abordons pas de la même façon. On ne peut pas laisser dire au sein de la commission des affaires sociales que nous œuvrons à empêcher les enfants de déjeuner à la cantine et de se soigner. De tels propos sont inacceptables. Ils ne font pas honneur au mandat et à la mission qui sont les nôtres. Ils alimentent la défiance des Français envers la politique, par-delà les partis qui l’animent, ainsi que le désintérêt pour la chose publique et le suffrage. De tels propos caricaturaux sont blessants et parfaitement inutiles.

M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Nous avons entendu des propos étonnants. Selon certains, plafonner à 70 % du Smic le cumul du RSA et des APL n’entraînerait pas de perte de revenu. Je rappelle qu’un ménage comprend une ou plusieurs unités de consommation. Pour un parent seul avec un enfant, la perte est de 220 euros ; elle est de 440 euros avec deux enfants et de 760 euros avec trois enfants. Pour un couple, elle est de 166 euros en l’absence d’enfant, de 380 euros avec un enfant et de 902 euros avec deux enfants. Les tableaux sont en accès libre sur le site de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf).

Notre collègue Vidal vient de dire qu’il est inadmissible de dire qu’appauvrir des enfants n’est pas sans conséquence.

Mme Annie Vidal (EPR). Ce n’est pas ce que j’ai dit.

M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Que l’on soit pour ou contre, on ne peut pas dire que retirer 200 euros à un ménage est sans conséquence sur ses conditions de vie, sauf à dire que les enfants mangeront de l’air et boiront l’eau du robinet. Retirer de l’argent à un ménage, c’est le contraindre à des arbitrages financiers sous tension.

Par ailleurs, je répète qu’il est impossible de gagner plus grâce aux prestations sociales qu’en étant payé au Smic. En revanche, nous connaissons des personnes qui ne savent pas que la prime d’activité existe pour améliorer leurs conditions de vie. Dans ce cas, c’est le boulot des parlementaires de les aiguiller pour en bénéficier.

Enfin, contrairement à ce que M. Turquois a affirmé, il n’y avait pas beaucoup plus d’actifs en 1945 qu’aujourd’hui, étant donné que moins de la moitié des femmes étaient sur le marché du travail. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles, lors de leur création, les allocations familiales ont été fixées sur la base du salaire d’un ouvrier qualifié de la métallurgie. L’idée de la sécurité sociale est de reconnaître comme un travail le fait d’être parent et de verser un salaire sous la forme d’une allocation familiale.

J’entends que vous souhaitez des territoires zéro chômeur ; en Haute-Garonne, nous avons obtenu des territoires zéro député DR et vu les textes que vous proposez, cela va continuer !

M. Stéphane Viry (LIOT). Premièrement, on ne peut pas faire grief au groupe DR d’avoir inscrit cette proposition de loi dans sa niche parlementaire. Il est hors de propos de considérer qu’il existe de bons et de mauvais textes : chaque groupe a la liberté de proposer les réformes qu’il juge opportunes pour notre pays et son redressement.

Ensuite, eu égard au respect que nous nous devons, certains propos me semblent excessifs. Sur un sujet comme celui-ci, un clivage gauche-droite assez classique prend forme, les uns et les autres ayant des convictions différentes en ce qui concerne le corps social et la manière de le faire évoluer. Adopter ces amendements de suppression reviendrait à confisquer le débat, à considérer que nous n’avons pas le droit d’aborder cette question.

Cela me rappelle l’examen difficile de la réforme du RSA, lorsqu’il a été proposé de conditionner son versement, selon une logique de droits et de devoirs et une exigence de réciprocité. À l’époque, fidèle à sa tradition, la gauche avait voté contre ; le Rassemblement national aussi. Il devrait en aller de même avec ce texte, mais je répète qu’il ne me semble pas souhaitable d’écarter cet article 1er, au motif que ce sujet n’aurait pas lieu d’être.

La question est simple : voulons-nous établir un écart lisible et significatif entre le Smic et les minima sociaux ?

La commission rejette les amendements.

Amendement AS1 de Mme Océane Godard

Mme Océane Godard (SOC). Nos oppositions ne me surprennent pas, mais je suis très gênée par votre conception, à droite, des trajectoires de vie : comme si quelqu’un était défini par sa condition sociale, son territoire, son travail, son éventuel statut de demandeur d’emploi. Pour qu’il y ait moins de pauvres, comme vous le souhaitez, monsieur le rapporteur, il faudrait commencer par mener une politique qui réduise les inégalités. Pourquoi pas, alors, proposer aussi de plafonner les salaires ? Il faudrait également commencer par ne pas stigmatiser celles et ceux qui ont moins et considérer que ceux qui ont plus pourraient, demain, avoir moins et nécessiter des aides sociales. C’est ça, la vie ; c’est fluctuant ! Mais je ne le retrouve pas dans votre discours, ni dans vos propositions.

En tant que psychologue du travail, j’ai accompagné des centaines de femmes et d’hommes en recherche d’emploi et vivant des situations dramatiques. Parmi eux, il y avait des gens très qualifiés, qui occupaient des fonctions importantes dans leur ancienne entreprise. Or notre rôle consiste, par nos politiques, à soutenir leur rebond. On peut tous connaître une rupture dans sa vie et dans sa trajectoire professionnelle. Jamais – j’insiste sur le mot – je n’ai entendu quelqu’un me dire qu’il ne voulait pas bosser et qu’il préférait passer sa vie dans son canapé. Je n’ai jamais rencontré une personne qui avait envie d’être pauvre et de galérer. Et vous ? Ayons un peu de lucidité sur ce sujet !

Par cet amendement, nous proposons de supprimer l’alinéa relatif au plafonnement des prestations sociales.

M. le rapporteur. Vous me reprochez du déterminisme : au contraire, je crois à l’ascenseur social et au mérite. Ne me faites donc pas dire ce que je n’ai pas dit, par exemple que des personnes rêveraient d’être pauvres et de rester dans leur canapé. Veuillez ne pas me prêter de mauvaises intentions.

S’agissant de l’amendement, je salue la cohérence de votre groupe, qui s’oppose au rétablissement de l’universalité des allocations familiales. C’est vous, et notamment Olivier Véran qui était alors membre du groupe socialiste, qui avez introduit des conditions de ressources. Ainsi que l’a exposé la Cour des comptes dans sa dernière évaluation, cela a eu une incidence négative sur le pouvoir d’achat de certaines familles. Des parents qui touchent un revenu modeste ont perdu le bénéfice de certaines prestations. Tout à l’heure, j’ai pris l’exemple de la prestation d’accueil du jeune enfant : elle n’est pas ciblée par la proposition de loi, car elle est moins structurelle, mais elle illustre bien la situation.

Par cohérence avec notre volonté ancienne de rétablir l’universalité des allocations familiales, je serai donc défavorable à cet amendement.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, les amendements AS6, AS7 et AS8 de M. Thibault Bazin tombent.

La commission adopte l’article 1er modifié.

Après l’article 1er

Amendement AS5 de Mme Christine Le Nabour

Mme Christine Le Nabour (EPR). Je l’ai dit, nous travaillons sur la question des prestations depuis très longtemps. Plusieurs mesures ont été votées précédemment et suivent leur parcours. Je pense notamment au dispositif Territoires zéro non-recours, issu d’un de mes amendements et que je suis de très près. Nous avons besoin d’en savoir plus sur l’efficacité de cette démarche, qui se déroule dans trente-neuf territoires et selon des modalités différentes. De la même manière, nous attendons le rapport de Fabrice Lenglart, qui doit nous éclairer sur le chantier de la solidarité à la source. Par cet amendement, je propose la remise d’un rapport sur l’ensemble des dispositifs et expérimentations liés aux aides sociales.

M. le rapporteur. Tous les dispositifs évoqués par cet amendement sont intéressants et je ne vois pas de concurrence entre la réflexion sur l’allocation sociale unique et le versement social unique.

Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Article 2 : Gage de recevabilité financière

La commission adopte l’article non modifié.

Titre

Amendement AS4 de Mme Christine Le Nabour

M. le rapporteur. Le titre ici proposé ne correspond plus au contenu du texte, aussi faudra-t-il le modifier en vue de l’examen du texte en séance. Mais dans la mesure où cela n’a pas de portée normative, je m’en remets à la sagesse de la commission.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

*

*     *

En conséquence, la commission des affaires sociales demande à l’Assemblée nationale d’adopter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 Texte adopté par la commission : https://assnat.fr/1u2UDm

–Texte comparatif : https://assnat.fr/nDjVkq

 

 


– 1 –

   Annexe n° 1 :
Liste des contributionS ÉcriteS adressÉES au rapporteur

– Direction de la sécurité sociale : M. Vincent Malapert, chef du bureau des prestations familiales et des aides au logement

– Direction générale de la cohésion sociale : Mme Laura Briant, cheffe du bureau des minima sociaux

– Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature : M. Sébastien Dorlhiac, adjoint au sous-directeur du financement et de l’économie du logement et de l’aménagement

– Départements de France : M. Brice Lacourieux, conseiller parlementaire


– 1 –

   Annexe n° 2 :
Textes susceptibles d’Être abrogÉs ou modifiÉs
À l’occasion de l’examen de la proposition de loi

Projet de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro d’article

1er

Code de l’action sociale
et des familles

L. 111-1

1er

Code de la sécurité sociale

L. 521-1 et L. 755-12

 


([1]) Insee, En 2024, la fécondité continue de diminuer et l’espérance de vie se stabilise, janvier 2025.

([2]) Maxime Sbaihi, Les balançoires vides – Le piège de la dénatalité (L’Observatoire), janvier 2025.

([3]) Ibid.

([4]) Conférence de presse de M. Emmanuel Macron, Président de la République, janvier 2024.

([5]) L’expérimentation, fondée sur le décret n° 2024-693 du 5 juillet 2024 portant expérimentation des déclarations préremplies de ressources pour l’attribution du revenu de solidarité active et de la prime d’activité, est décrite dans le commentaire de l’article 1er bis.

([6]) Insee, France – portrait social, novembre 2024.

([7]) Prise sur le fondement de l’habilitation votée au 8° de l’article 1er de la loi n° 99-1071 du 16 décembre 1999 et ratifiée par l’article 87 de la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale.

([8]) Ayant reçu une valeur législative sur le fondement de l’article 1er de la loi n° 58-346 du 3 avril 1958 relative aux conditions d’application de certains codes.

([9]) Articles L. 113-1 et L. 231-1 du code de l’action sociale et des familles.

([10]) Prise sur le fondement de l’habilitation votée au 6° du II de l’article 30 de la loi n° 2010‑1487 du 7 décembre 2010 relative au Département de Mayotte ; ratifiée par le 2° du III de l’article 30 de la loi n° 2012‑1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer.

([11]) Titre IV du livre VIII du code de la sécurité sociale, résultant, pour l’essentiel, du I de l’article 57 de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi et, subsidiairement, du I de l’article 99 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, de l’article 87 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, de l’article 172 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 et de l’article 265 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019.

([12]) Prise sur le fondement de l’habilitation votée au III de l’article 184 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, abrogé par le 2° du V de l’article 80 de la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 ; ratifiée par le VI du même article 80.

([13]) Cour des comptes, Le revenu de solidarité active, janvier 2022.

([14]) Annexe n° 38 de M. Emmanuel Mandon, rapporteur spécial, au rapport n° 468 de M. Charles de Courson, rapporteur général, sur le projet de loi de finances pour 2025, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 10 octobre 2024 ; annexe n° 26 de Mme Isabelle Briquet et M. Stéphane Sautarel, rapporteurs spéciaux, au rapport n° 144 de M. Jean-François Husson, rapporteur général, sur le projet de loi de finances pour 2025, enregistré à la présidence du Sénat le 21 novembre 2024.

([15]) Annexe n° 43 de Mme Perrine Goulet, rapporteure spéciale, au rapport n° 468, précité, de M. Charles de Courson, rapporteur général ; annexe n° 30 de MM. Arnaud Bazin et Pierre Barros, rapporteurs spéciaux, au rapport n° 144, précité, de M. Jean-François Husson, rapporteur général.

([16]) L’inflation peut être mesurée par l’IPC, dans lequel seule la part des dépenses de protection sociale et d’éducation à la charge du consommateur compte et le poids de l’énergie est plus lourd, ou par l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH), lequel permet d’apprécier les exigences en matière de stabilité des prix à l’échelle européenne mais pondère la part respective des différentes catégories de dépense des ménages suivant un panier assez fictif. L’Insee et les directions du budget (DB) et de la sécurité sociale (DSS) retiennent souvent le premier indicateur ; la Banque de France privilégie le second.

([17]) Le quatrième alinéa de l’article 41 ter de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l’investissement locatif, l’accession à la propriété des logements sociaux et le développement de l’offre foncière fait entrer dans cette catégorie les sociétés d’économie mixte (SEM), les sociétés immobilières à participation majoritaire de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), les collectivités publiques, les sociétés filiales directes et indirectes d’Action logement (cf. article L. 313-20 du code de la construction et de l’habitation) et le collecteur agréé par le ministre chargé du logement aux fins de collecter la participation des employeurs à l’effort de construction, à savoir la société Action logement elle-même.

([18]) Chapitre III du titre V du livre III du code de la construction et de l’habitation.

([19]) Section 3 du chapitre Ier du titre II du livre III du code de la construction et de l’habitation.

([20]) Articles 1er à 5 du décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent pris pour l’application de l’article 187 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains.

([21]) Article L. 442-2-1 du code de la construction et de l’habitation.

D’après les informations transmises au rapporteur par la DGALN, le mécanisme de la RLS est appliqué dans le parc locatif ordinaire pour certains ménages bénéficiaires de l’aide personnalisée au logement, sous conditions de ressources. Dans ce cas, le bailleur social est tenu de minorer sa quittance d’un montant forfaitaire (dépendant de la zone du logement et de la composition familiale du ménage). En parallèle, l’aide versée est abattue d’un montant correspondant à 98 % de ce forfait, assurant un effet quasi neutre, légèrement favorable, pour les ménages concernés.

([22]) Le rapporteur prendra la liberté, observée dans nombre de textes officiels, de ne pas toujours citer l’adjectif « interprofessionnel » ou le complément d’attribution « de croissance ».

([23]) Conseil d’État, sect., 23 avril 1982, Ville de Toulouse (req. n° 36851), concl. D. Labetoulle, pub. au Recueil.

([24]) Article 1er du décret n° 2013‑123 du 7 février 2013 relatif aux modalités de revalorisation du salaire minimum de croissance.

([25]) Article R. 3231-2 du code du travail.

([26]) Article R. 3231-2-1 du code du travail.

([27]) Article R. 3231-2 du code du travail.

([28]) Premier alinéa de l’article L. 3231-8 du code du travail et article L. 3231-10 du même code.

([29]) Dares, Revalorisation du Smic – repli du nombre de bénéficiaires, à un niveau toujours élevé, novembre 2024.

([30]) Article L. 1521-1 du code du travail.

([31]) Article D. 3231-3 du code du travail.

([32]) Article L. 3423-2 du code du travail.

([33]) Dares, Études et résultats (n° 1313), octobre 2024.

([34]) Tome II du rapport n° 487 de M. Yannick Neuder, rapporteur général, sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 25 octobre 2024.

([35]) MM. Antoine Bozio et Étienne Wasmer, Les politiques d’exonérations de cotisations sociales : une inflexion nécessaire, octobre 2024.

([36]) Troisième alinéa de l’article R. 111-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction antérieure puis ultérieure à l’entrée en vigueur des articles 1er et 2 du décret n° 2024-361 du 19 avril 2024 relatif à la condition de stabilité de la résidence pour le bénéfice des prestations familiales.

([37]) Drees, Minima sociaux et prestations sociales – ménages aux revenus modestes et redistribution, octobre 2024.

([38]) Cour des comptes, « L’évolution des dépenses de prestations familiales et d’assurance retraite », in Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, octobre 2020.

([39]) Cour des comptes, « Les aides aux familles nombreuses : des dépenses stabilisées, une cohérence à améliorer », in Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, mai 2024.

([40]) Ibid.

([41]) Amendements n° 314 de Mme Marie‑Françoise Clergeau et n° 812 de M. Bruno Le Roux, adoptés pendant l’examen en première lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 lors de la troisième séance du 24 octobre 2014 (scrutin public n° 944 ; dix-huit voix pour, onze voix contre et trois abstentions).

([42]) Cf. commentaire de l’article 26 (devenu 37) dans le rapport n° 316 de M. Olivier Véran, rapporteur général, sur le PLFSS pour 2018, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 18 octobre 2017.

([43]) Demi-part qui excède une part pour les personnes célibataires, divorcées ou séparées, n’élevant pas seules leur enfant ou leurs enfants ou ne vivant pas seules et ayant recueilli une personne invalide ; une part pour les personnes veuves avec ou sans enfant à charge, célibataires, divorcées ou séparées vivant seules, n’ayant pas d’enfant à charge mais des personnes invalides à charge ; deux parts pour les couples mariés ou pacsés.

([44]) Volume 1 du tome II du rapport n° 468 de M. Charles de Courson, rapporteur général, sur le projet de loi de finances pour 2025, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 19 octobre 2024.

([45]) Ibid.

([46]) Insee, Enquête sur les revenus fiscaux et sociaux – revenu, niveau de vie et pauvreté en 2022, novembre 2024.

([47]) De nombreux exemples dépassant le champ du présent rapport sont repris dans l’étude précitée de la Drees.

([48]) Décret du 30 octobre 2015 chargeant un député d’une mission temporaire.

([49]) M. Christophe Sirugue, Repenser les minima sociaux – vers une couverture socle commune, avril 2016.

([50]) Ifrap, Pour une allocation sociale unique, mars 2016.

([51]) Ifrap, Allocation sociale unique – le projet que pourrait adopter le Gouvernement, octobre 2024.

([52]) Institut Montaigne, Protection sociale – une mise à jour vitale, mars 2018.

([53]) Conférence de presse de MM. Laurent Wauquiez, président du groupe Droite Républicaine à l’Assemblée nationale, et Bruno Retailleau, alors président du groupe Les Républicains au Sénat, juillet 2024.

([54]) Mme Audrey Fisné-Koch, « L’allocation sociale unique, ou quand Michel Barnier recycle une fausse bonne idée », in Alternatives économiques, octobre 2024.

([55]) Compte rendu de la première séance publique du 14 janvier 2025.

([56]) https://assnat.fr/B0vHyP