N° 931
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 février 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi visant à sauvegarder et pérenniser les emplois industriels en empêchant les licenciements boursiers,
Par M. Benjamin LUCAS-LUNDY,
Député.
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Voir le numéro : 769.
SOMMAIRE
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Pages
« Dans la lutte contre le chômage, on a tout essayé » déclarait François Mitterrand le 14 juillet 1993. C’est à cette tentation de la résignation face à la difficulté à combattre efficacement le phénomène que la proposition de loi tente de s’attaquer.
En effet, ses auteurs considèrent que des leviers puissants existent pour endiguer les vagues de licenciements qui s’abattent sur notre pays et menacent sa cohésion sociale, la vitalité de nombre de ses territoires et même sa souveraineté industrielle à l’heure de l’accélération de la compétition économique mondiale.
Il convient pour ce faire de remettre en question deux orientations politiques, économiques et sociales majeures de la dernière décennie, qui ont privilégié, au nom de la compétitivité, une logique de court terme au détriment de la préservation durable de l’emploi.
D’une part, le versement sans contreparties aux grandes entreprises des aides publiques et des allégements de cotisations patronales sur les rémunérations les plus basses. Le remboursement de ces aides par les entreprises qui licencient alors qu’elles sont en bonne santé économique pourrait marquer une première étape vers un meilleur usage des deniers publics et un meilleur impact de ces dispositifs sur l’emploi notamment.
D’autre part, la facilitation des licenciements par les réformes successives du droit du travail (« loi El Khomri » de 2016, « ordonnances Pénicaud » de 2017, réformes de l’assurance chômage...). Ces différentes régressions ont contribué à affaiblir les salariés et leur capacité à éviter les licenciements massifs.
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Depuis plusieurs mois, la France fait face à une recrudescence des défaillances d’entreprises et des suppressions d’emplois. Auchan, Casino, Michelin, Nexity, Sanofi, pour ne citer qu’eux, autant de groupes à l’origine de plans sociaux et de fermetures d’établissements, comme bien d’autres sociétés, petites ou grandes, françaises ou étrangères. Un coup d’œil à l’actualité, qui charrie régulièrement son lot de mauvaises nouvelles de la sorte, suffit à se faire une idée de l’ampleur de la tendance actuelle.
Un examen des données chiffrées également. On recensait ainsi, sur les trois premiers trimestres de l’année 2024, autant de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) validés ou homologués par l’autorité administrative que sur l’ensemble de l’année 2023. Et déjà sensiblement plus de ruptures de contrat de travail.
plans de sauvegarde de l’emploi validés et/ou homologués
par l’autorité administrative
|
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
Nombre de plans de sauvegarde de l’emploi |
506 |
612 |
608 |
300 |
401 |
565 |
Nombre de ruptures de contrat de travail dans le cadre des procédures validées et/ou homologuées |
38 827 |
56 379 |
63 311 |
23 125 |
36 498 |
55 084 |
Source : commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, sur la base des données publiées par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (https://dares.travail-emploi.gouv.fr/donnees/les-dispositifs-publics-daccompagnement-des-restructurations) et des données transmises par la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle.
Hélas, il semble que la tendance doive se poursuivre cette année.
Or, nul ne l’ignore, les licenciements pour motif économique causent d’importants dégâts, pour les femmes et les hommes qui en sont les victimes directes et qui se trouvent plongés dans l’incertitude au mieux, la précarité au pire, pour les territoires, qui en font les frais à différents égards, entre progression du chômage, disparition des compétences et baisse de l’attractivité, et pour la collectivité tout entière, ne serait-ce que d’un point de vue financier. On se souvient, exemples parmi d’autres, des défis posés par la fermeture des hauts-fourneaux d’ArcelorMittal à Florange ou de l’usine PSA Peugeot Citroën d’Aulnay‑sous‑Bois il y a une dizaine d’années.
Désastreuses aux plans économique, social, humain, ces conséquences sont d’autant plus regrettables, pour ne pas dire intolérables, lorsqu’elles sont le résultat d’initiatives prises par des structures qui font des bénéfices et distribuent des dividendes à leurs actionnaires. Ces pratiques ne sont‑elles pas tout bonnement une menace pour le pacte social et même la cohésion nationale ?
Face à cela, il faut une action forte et résolue des pouvoirs publics qui, malheureusement, ne paraît pas devoir venir dans un futur proche. C’est pourquoi le groupe Écologiste et Social a fait le choix d’inscrire la proposition de loi visant à sauvegarder et pérenniser les emplois industriels en empêchant les licenciements boursiers à l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée nationale, sur le fondement de l’avant‑dernier alinéa de l’article 48 de la Constitution.
À l’évidence, ce texte, dont les syndicats de salariés soutiennent les orientations, ne contient qu’une esquisse de réponse au problème. Ses auteurs en sont conscients. Il n’en a pas moins pour vertu de mettre à l’honneur, dans le débat public, fût-ce pour un temps limité, un sujet qui mérite toute l’attention de la représentation nationale et d’offrir des solutions concrètes pour que soient renforcées les exigences pesant sur les sociétés qui se séparent de leurs salariés, quelquefois pour une question de rentabilité financière essentiellement.
Tel est l’objet de chacun de ses quatre articles d’origine.
Avec l’article 1er, les entreprises qui emploient deux cent cinquante salariés et plus, plutôt que mille selon la législation en vigueur, seraient soumises aux dispositions relatives à la recherche d’un repreneur applicables en cas de fermeture d’un établissement qui conduirait à la mise en œuvre d’un PSE.
Par ailleurs, dans l’hypothèse où le plan ne résulterait pas d’un accord collectif mais d’un document élaboré par l’employeur, le comité social et économique se verrait confier le soin, avec l’article 2, d’approuver le document avant qu’il ne soit transmis à l’administration, et pas simplement de suggérer sa modification, de sorte que la parole des représentants du personnel soit davantage prise en considération dans le processus.
Avec l’article 3, le montant de la contribution que les entreprises qui procèdent à un licenciement collectif sont tenues de verser au titre de l’obligation de revitalisation du bassin ou des bassins d’emploi affectés par le projet serait porté à quatre fois, plutôt que deux, la valeur mensuelle du salaire minimum interprofessionnel de croissance par emploi supprimé.
Grâce à l’article 4, les entreprises qui établiraient un PSE seraient astreintes au remboursement des sommes qu’elles auraient perçues, au cours des trois exercices précédents, au titre de la réduction générale des cotisations et contributions patronales et du crédit d’impôt pour certaines dépenses de recherche.
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La commission des affaires sociales, réunie le 12 février 2025, a adopté les articles 1er, 3 et 4 dans le sens souhaité par le rapporteur.
Elle a, en revanche, rejeté l’article 2 après que son dispositif a été inopportunément vidé de sa substance par l’adoption d’un amendement soutenu par le « bloc central » et le Rassemblement National.
Enfin, elle a introduit dans le texte les articles 5 et 6, aux termes desquels le Gouvernement serait chargé de remettre au Parlement deux rapports portant :
– pour le premier, sur l’incidence des dispositions de la loi sur l’investissement des entreprises et l’emploi en France ;
– pour le second, sur l’encadrement juridique des licenciements économiques dans les États membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques.
Article 1er
Appliquer les dispositions relatives à la recherche d’un repreneur dans l’hypothèse d’une fermeture d’établissement aux entreprises
employant au moins deux cent cinquante salariés
Adopté par la commission avec modifications
L’article 1er soumet les entreprises employant au moins deux cent cinquante salariés, plutôt que mille à ce jour, aux dispositions relatives à la recherche d’un repreneur applicables en cas de fermeture d’un établissement qui aurait pour conséquence la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi emportant un projet de licenciement collectif.
L’entreprise comptant au moins mille salariés qui envisage la fermeture d’un établissement ([1]) qui aurait pour conséquence la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) ([2]) emportant un projet de licenciement collectif est soumise à un certain nombre d’obligations issues de la loi du 29 mars 2014 ([3]), dite « loi Florange », et définies dans le code du travail ([4]).
La fermeture d’établissement au sens de l’article R. 1233‑15
du code du travail (deuxième et dernier alinéas)
« Constitue une fermeture au sens de l’article L. 1233‑57‑9 la cessation complète d’activité d’un établissement lorsqu’elle a pour conséquence la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi emportant un projet de licenciement collectif au niveau de l’établissement ou de l’entreprise.
« Constitue également une fermeture d’établissement la fusion de plusieurs établissements en dehors de la zone d’emploi où ils étaient implantés ou le transfert d’un établissement en dehors de sa zone d’emploi, lorsqu’ils ont pour conséquence la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi emportant un projet de licenciement collectif. »
● Aux termes des articles L. 1233‑57‑9 et L. 1233‑57‑10, l’employeur est tenu, en premier lieu, d’en informer le comité social et économique (CSE) ([5]) et d’adresser aux représentants du personnel tous les renseignements utiles sur le projet de fermeture, en faisant notamment état :
– des raisons économiques, financières ou techniques dudit projet ;
– des actions qu’il envisage d’engager pour trouver un repreneur ;
– des possibilités pour les salariés de déposer une offre de reprise, des différents modèles de reprise susceptibles d’être retenus ainsi que du droit reconnu aux représentants du personnel de recourir à un expert.
En deuxième lieu, l’employeur est tenu de notifier sans délai tout projet de cette nature à l’autorité administrative – en l’espèce, la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités territorialement compétente ([6]) – et de lui communiquer, entre autres, les informations fournies au CSE, en vertu de l’article L. 1233‑57‑12 ([7]).
En troisième et dernier lieu, il lui revient d’avertir de l’initiative le maire de la commune intéressée, l’autorité administrative étant chargée, de son côté, d’aviser les élus concernés ([8]).
● La loi impose par ailleurs à l’employeur, une fois le CSE instruit, la recherche d’un repreneur. À cet effet, et dans le détail, elle le charge de l’accomplissement des tâches énumérées à l’article L. 1233‑57‑14 :
– informer, par tout moyen approprié, des repreneurs potentiels de son intention de céder l’établissement ;
– élaborer un document de présentation de l’établissement destiné aux mêmes repreneurs ;
– s’il y a lieu, engager l’exécution du bilan environnemental mentionné à l’article L. 623‑1 du code de commerce ([9]) ;
– donner accès à toutes informations nécessaires aux entreprises candidates à la reprise de l’établissement, à l’exception des informations dont la communication serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la société ou mettrait en péril la poursuite de l’ensemble de son activité ;
– examiner les offres de reprise reçues ;
– apporter une réponse motivée à chacune de ces offres ([10]).
Dans ce processus, le CSE joue un rôle dont la teneur varie suivant les situations.
S’il doit être informé des offres de reprise formalisées, au plus tard huit jours après leur réception ([11]), il peut, à la lecture de l’article L. 1233‑57‑15, émettre un avis ([12]), participer à la recherche d’un repreneur et formuler des propositions. Lorsqu’il participe à la recherche d’un repreneur, il accède, à sa demande, aux informations transmises aux entreprises candidates ([13]) et dispose de la faculté de recourir à l’assistance d’un expert de son choix.
Le détail des missions de l’expert susceptible
d’assister le comité social et économique
En application de l’article L. 1233‑57‑17 du code du travail, l’expert, rémunéré par l’entreprise, a pour mission :
– d’analyser le processus de recherche d’un repreneur, sa méthodologie et son champ ;
– d’apprécier les informations mises à la disposition des repreneurs potentiels ;
– d’étudier les offres de reprise ;
– d’apporter son concours à la recherche d’un repreneur par le comité social et économique et à l’élaboration de projets de reprise.
En tout état de cause, le CSE est nécessairement consulté par l’employeur sur toute offre de reprise à laquelle le second entend donner suite et doit, dans ce cas de figure, émettre un avis, conformément à l’article L. 1233‑57‑19.
En l’absence d’offre de reprise ou dans l’hypothèse où l’employeur n’aurait souhaité donner suite à aucune des offres formulées, celui-ci réunit le CSE, est-il indiqué à l’article L. 1233‑57‑20, aux fins de lui présenter un rapport, au demeurant communiqué à l’autorité administrative, faisant mention :
– des actions engagées pour rechercher un repreneur ;
– des offres de reprise reçues et de leurs caractéristiques ;
– des motifs l’ayant conduit, le cas échéant, à refuser la cession de l’établissement.
En l’espèce, le comité n’est guère consulté à proprement parler et ne formule donc pas d’avis ([14]).
● La méconnaissance par l’entreprise de ses obligations consistant dans l’information du CSE et la recherche d’un repreneur, dès lors qu’est envisagée la fermeture d’un établissement dans les conditions présentées ci-dessus, peut conduire l’autorité administrative à refuser la validation de l’accord ou l’homologation du document produit par l’employeur servant de support à un PSE ([15]).
L’article 1er modifie le premier alinéa de l’article L. 1233‑57‑9 du code du travail pour soumettre aux dispositions relatives à la recherche d’un repreneur, réservées pour l’heure aux entreprises qui comptent au moins mille salariés ([16]), les entreprises qui en comptent au moins deux cent cinquante.
Ce changement de la règle de droit trouve sa justification dans le fait que les PSE sont très majoritairement mis en œuvre dans des sociétés de moins de mille salariés, auxquelles il paraît légitime d’imposer un effort supplémentaire lorsqu’elles procèdent à des licenciements collectifs, eu égard aux conséquences que ceux-ci emportent non seulement pour les individus qui en font l’expérience mais aussi pour les territoires qui en sont le théâtre.
répartition du nombre de plans de sauvegarde de l’emploi
mis en œuvre en 2024 en fonction de la taille de l’entreprise
Nombre de salariés |
Nombre de plans de sauvegarde de l’emploi |
Part dans le total des plans de sauvegarde de l’emploi (en %) |
50 à 249 |
355 |
62,8 |
250 à 999 |
150 |
26,5 |
Plus de 1 000 |
60 |
10,6 |
Total |
565 |
100 |
Source : délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle.
Sur proposition du rapporteur, la commission a adopté un amendement tendant à ajuster la rédaction du texte de sorte que soient prévenus les effets de bord indésirables qui auraient pu naître de l’application du dispositif initialement proposé et, plus concrètement, que ne soient pas demain exonérées de l’obligation de recherche d’un repreneur des entreprises qui y sont aujourd’hui soumises.
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Article 2
Confier au comité social et économique le soin d’approuver le document élaboré par l’employeur aux fins de mise en œuvre
d’un plan de sauvegarde de l’emploi
Rejeté par la commission
L’article 2 charge le comité social et économique d’approuver le document élaboré par l’employeur, à défaut de conclusion d’un accord collectif, aux fins de mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi.
Dans certaines situations, la loi impose à l’entreprise employant au moins cinquante salariés qui envisage un licenciement collectif pour motif économique ([17]) l’établissement et la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) ([18]), dans les conditions prévues au chapitre III du titre III du livre II de la première partie du code du travail.
C’est le cas :
– lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, en application de l’article L. 1233‑61 ;
– lorsqu’il a été procédé, pendant trois mois consécutifs, au licenciement pour motif économique de plus de dix salariés au total, sans que soit atteint le seuil de dix salariés dans une même période de trente jours, pour tout nouveau licenciement envisagé au cours des trois mois suivants, en application de l’article L. 1233‑26 ;
– lorsqu’il a été procédé, au cours d’une année civile, au licenciement pour motif économique de plus de dix-huit salariés au total, sans qu’un PSE ait dû être présenté, pour tout nouveau licenciement envisagé au cours des trois premiers mois de l’année civile suivante, en application de l’article L. 1233‑27 ;
– lorsque dix salariés au moins dont le licenciement est envisagé ont refusé la modification d’un élément essentiel de leur contrat de travail, proposée par l’employeur pour un motif économique, en application de l’article L. 1233‑25.
Deux obligations complémentaires à la charge des employeurs
qui procèdent à des licenciements pour motif économique
Dans les entreprises d’au moins mille salariés, l’employeur est tenu de proposer à chaque salarié dont il envisage de prononcer le licenciement pour motif économique un congé de reclassement, qui a pour objet de lui permettre de bénéficier d’actions de formation et des prestations d’une cellule d’accompagnement des démarches de recherche d’emploi (1).
Dans les entreprises de moins de mille salariés, l’employeur est tenu de proposer à chaque salarié dont il envisage de prononcer le licenciement pour motif économique le bénéfice du contrat de sécurisation professionnelle, qui a pour objet l’organisation et le déroulement d’un parcours de retour à l’emploi, le cas échéant au moyen d’une reconversion ou d’une création ou reprise d’entreprise (2).
(1) Voir les articles L. 1233‑71 à L. 1233‑76 du code du travail.
(2) Voir les articles L. 1233‑65 à L. 1233‑70 du code du travail.
Le plan revêt un double objet, ainsi qu’il est indiqué à l’article L. 1233‑61 : éviter les licenciements ou en limiter le nombre, d’une part, faciliter le reclassement des collaborateurs, notamment ceux qui sont âgés ou confrontés à des difficultés de réinsertion professionnelle marquées, dont le licenciement ne pourrait être évité, d’autre part. Pour cela, est‑il précisé à l’article L. 1233‑62, il doit contenir des mesures particulières, telles que :
– des actions en vue du reclassement interne – sur le territoire national – des salariés sur des emplois relevant de la même catégorie d’emplois que ceux qu’ils occupent ou équivalents à ceux-ci ou, sous réserve de leur accord exprès, sur des emplois de catégorie inférieure ;
– des actions destinées à favoriser la reprise de tout ou partie des activités en vue d’éviter la fermeture d’un ou de plusieurs établissements ;
– des créations d’activités nouvelles par l’entreprise ;
– des actions favorisant le reclassement externe à l’entreprise des salariés, notamment par le soutien à la réactivation du bassin d’emploi ;
– des actions de soutien à la création d’activités nouvelles ou à la reprise d’activités existantes par les salariés ;
– des actions de formation, de validation des acquis de l’expérience ou de reconversion de nature à faciliter le reclassement interne ou externe des salariés sur des emplois équivalents ;
– des mesures de réduction ou d’aménagement du temps de travail et des mesures de réduction du volume des heures supplémentaires effectuées de manière régulière lorsque l’organisation du travail est établie sur la base d’une durée collective manifestement supérieure à trente-cinq heures par semaine ou 1 600 heures par an et que sa réduction pourrait préserver tout ou partie des emplois dont la suppression est envisagée.
Cette liste n’est pas exhaustive. D’autres dispositifs peuvent être déployés, comme les aides à la mobilité ou les primes pour départ volontaire. Cela étant, le PSE n’est valable que s’il comporte des mesures qui ont pour objet le reclassement effectif des individus ([19]).
Le plan détermine, par ailleurs, les modalités de suivi de la mise en œuvre des mesures de reclassement. Ce suivi, auquel l’autorité administrative est associée, fait l’objet d’une consultation régulière et détaillée du comité social et économique (CSE) ([20]).
Le PSE peut être élaboré suivant deux méthodes distinctes.
● En premier lieu, en vertu de l’article L. 1233‑24‑1, il peut avoir pour support un accord collectif, signé par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur d’organisations reconnues représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au CSE, quel que soit le nombre de votants, ou par le conseil d’entreprise ([21]).
L’accord porte sur le contenu du PSE (c’est-à-dire sur les mesures précédemment mentionnées et les modalités de suivi de leur mise en œuvre) mais peut aussi aborder d’autres points, l’information et la consultation du CSE, la pondération et le périmètre d’application des critères d’ordre des licenciements, le calendrier selon lequel ils seront effectués, le nombre de suppressions d’emploi et les catégories professionnelles concernées, pour l’essentiel ([22]).
Il ne peut cependant déroger à certaines règles, énumérées à l’article L. 1233‑24‑3, touchant à l’obligation d’effort de formation, d’adaptation et de reclassement qui incombe à l’employeur, à l’information et à la consultation du CSE ou encore à la communication aux représentants du personnel des renseignements sur le projet de licenciement collectif.
L’accord est transmis pour validation à l’autorité administrative – en l’espèce, la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités territorialement compétente ([23]) –, destinataire au préalable de l’ensemble des informations communiquées aux représentants du personnel ([24]), qui s’assure de sa conformité aux prescriptions légales ([25]), de la régularité de la procédure d’information et de consultation du CSE, de la présence dans le PSE des mesures prévues à l’article L. 1233‑62 et du respect par l’employeur des tâches qu’il lui appartient d’accomplir dans l’hypothèse où la fermeture d’un établissement suppose la recherche d’un repreneur ([26]) ([27]).
● En second lieu, en vertu de l’article L. 1233‑24‑4, le plan peut avoir pour support, à défaut d’accord collectif, que la négociation n’ait pas eu lieu ou qu’elle se soit soldée par un échec, un document élaboré par l’employeur, qui ne peut déroger aux dispositions légales ou aux stipulations conventionnelles en vigueur.
Ce document est transmis pour homologation à la même autorité administrative, qui procède, dans cette situation, à un contrôle plus poussé ([28]). Elle apprécie non seulement la conformité de son contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles sur le licenciement économique, la régularité de la procédure d’information et de consultation du CSE, le respect par l’employeur des tâches évoquées ci-dessus mais aussi la validité du PSE en tant que telle, sur la base de plusieurs critères :
– les moyens dont disposent l’entreprise, l’unité économique et sociale et le groupe ;
– les mesures d’accompagnement prévues au regard de l’importance du projet de licenciement, lesquelles doivent être précises, concrètes et suffisantes pour répondre aux objectifs de maintien dans l’emploi et de reclassement des travailleurs ;
– les efforts de formation et d’adaptation déployés.
● Il peut arriver qu’un PSE ait pour support à la fois un accord collectif et un document produit par l’employeur (il s’agit, selon la terminologie usuellement retenue, d’un PSE mixte). Le contrôle de l’autorité administrative obéit alors au régime propre à la validation et au régime propre à l’homologation.
*
Aux termes de l’article L. 1233‑57‑4, la décision de validation ou d’homologation est notifiée à l’employeur dans un délai de quinze jours pour la première et vingt et un jours pour la seconde à compter de la réception du dossier complet. Elle est notifiée, dans des délais identiques, au CSE et, s’il y a lieu, aux organisations syndicales représentatives signataires de l’accord. Elle est également portée à la connaissance des travailleurs ([29]).
Si la validation ou l’homologation est refusée par l’autorité administrative, ce qui n’intervient que très rarement ([30]), l’employeur est libre de présenter une nouvelle demande après y avoir apporté les modifications nécessaires et consulté le CSE ([31]).
L’article L. 1233‑28 impose à l’employeur qui envisage de procéder à un licenciement collectif pour motif économique d’au moins dix salariés dans une même période de trente jours la réunion et la consultation du CSE.
● Lorsque l’entreprise emploie au moins cinquante salariés, ce qui suppose l’élaboration d’un PSE, cette réunion et cette consultation portent sur deux éléments, est-il précisé au I de l’article L. 1233‑30 :
– d’une part, l’opération projetée et ses modalités d’application, soit le projet de restructuration et de compression des effectifs ([32]) ;
– d’autre part, le projet de licenciement collectif, soit le nombre de suppressions d’emploi, les catégories professionnelles concernées, les critères d’ordre et le calendrier prévisionnel des licenciements, les mesures sociales d’accompagnement prévues par le PSE et, s’il y a lieu, les conséquences des licenciements projetés en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail. Ces éléments ne sont toutefois pas soumis à la consultation du comité dès lors qu’un accord collectif a été conclu ([33]).
L’employeur adresse au CSE tous renseignements utiles ayant trait au second projet ainsi que le PSE ([34]).
L’information du comité social et économique
sur le projet de licenciement collectif
Aux termes de l’article L. 1233‑31 du code du travail, l’employeur adresse aux représentants du personnel, avec la convocation à la première réunion, tous renseignements utiles sur le projet de licenciement collectif.
Dans le détail, il indique :
– la ou les raisons économiques, financières ou techniques du projet ;
– le nombre de licenciements envisagé ;
– les catégories professionnelles concernées et les critères proposés pour l’ordre des licenciements ;
– le nombre de salariés, permanents ou non, employés dans l’établissement ;
– le calendrier prévisionnel des licenciements ;
– les mesures de nature économique envisagées ;
– le cas échéant, les conséquences de la réorganisation en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail.
● Pour remplir au mieux la mission que la loi lui confie, le comité peut solliciter une expertise susceptible de toucher aux domaines économique et comptable, à la santé, à la sécurité ou aux effets potentiels du projet sur les conditions de travail ([35]).
Il peut requérir de l’autorité administrative qu’elle enjoigne à l’employeur de fournir les éléments d’information relatifs à la procédure en cours ou de se conformer à une règle de procédure dictée par les textes législatifs, les conventions collectives ou un accord collectif ([36]).
Du reste, il est destinataire tant des observations ou propositions que la même autorité peut faire à l’employeur au sujet du déroulement de la procédure ou des mesures sociales prévues par le PSE que des réponses qui y sont apportées ([37]).
● Le comité, qui tient au minimum deux réunions espacées de quinze jours a minima ([38]), rend ses deux avis dans un délai qui dépend du nombre de licenciements envisagé et qui, à compter de la date de sa première réunion, ne peut être supérieur à :
– deux mois lorsque ce nombre est inférieur à cent ;
– trois mois lorsque ce nombre est au moins égal à cent et inférieur à deux cent cinquante ;
– quatre mois lorsque ce nombre est au moins égal à deux cent cinquante ([39]).
Il peut formuler des propositions de modification du projet de restructuration et des suggestions relatives aux mesures sociales imaginées, que l’employeur étudie et auxquelles il apporte une réponse motivée, conformément à l’article L. 1233‑33.
Précisions sur le contenu des avis du comité social et économique au regard
du mode d’élaboration du plan de sauvegarde de l’emploi
Les prérogatives du comité social et économique (CSE) varient en fonction du mode d’élaboration du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). En effet, ses avis portent sur des objets différents selon que le plan repose sur un accord collectif ou un document établi unilatéralement par l’employeur.
Dans le premier cas de figure, le CSE est consulté sur le contenu de l’accord avant sa signature mais il ne peut pas faire de propositions en vue de le modifier. Il est également consulté sur le projet de restructuration et de compression des effectifs.
Dans le second cas de figure, le CSE rend un avis sur le projet de restructuration et de compression des effectifs ainsi qu’un avis sur le projet de licenciement. Tous les points du PSE sont soumis à son appréciation, en amont de la finalisation du document.
Dans le cas de figure où le PSE est issu à la fois d’un accord collectif et d’un document établi unilatéralement par l’employeur, les règles d’information et de consultation propres à chaque mode d’élaboration s’appliquent, les unes pour la partie négociée, les autres pour la partie décidée par l’employeur.
● Comme il est dit plus haut, le CSE est avisé par l’autorité administrative de la décision de validation de l’accord ou d’homologation du document élaboré par l’employeur et, en cas de refus de validation ou d’homologation du projet initial, il est consulté sur le projet modifié.
En l’état du droit, l’employeur peut transmettre à l’autorité administrative, aux fins d’homologation, le document élaboré par lui pour mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) quand bien même son contenu s’avérerait insatisfaisant aux yeux des représentants du personnel.
Les auteurs du présent texte estiment que cette anomalie mérite d’être corrigée et que le comité social et économique (CSE) doit être doté de prérogatives étendues dès lors que le plan ne procède pas d’un accord collectif majoritaire, soit dans la moitié des cas ([40]). Il leur apparaît légitime, en effet, que lui soit reconnue la faculté de contraindre l’entreprise à réformer son projet si les actions prévues pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre, d’un côté, faciliter le reclassement des salariés, d’un autre côté, sont jugées insuffisantes pour atteindre ces objectifs.
Aussi l’article L. 1233‑24‑4 du code du travail, que modifie l’article 2, confierait désormais au CSE le soin d’approuver le document élaboré par l’employeur quand la législation actuelle ne l’autorise qu’à suggérer qu’y soient opérés des ajustements.
Sur proposition de M. Jean-René Cazeneuve et plusieurs de ses collègues du groupe Ensemble pour la République, la commission a d’abord adopté, contre l’avis du rapporteur, un amendement qui, au-delà de ses imperfections formelles, n’avait d’autre but que de vider le dispositif de la quasi-totalité de sa substance.
Elle a ensuite adopté un amendement présenté par le rapporteur pour que soit effectuée dans le code du travail une coordination rendue nécessaire par la modification faite initialement à l’article L. 1233‑24‑4.
Enfin, elle a rejeté l’article 2, avec le soutien des députés siégeant sur les bancs des groupes membres du Nouveau Front Populaire, qui ont préféré cette solution à celle qui aurait consisté à cautionner la dénaturation du texte.
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* *
Article 3
Augmenter le montant de la contribution due par les entreprises d’au moins mille salariés au titre de l’obligation de revitalisation des bassins
d’emploi affectés par les licenciements collectifs
Adopté par la commission sans modification
L’article 3 porte à quatre fois la valeur mensuelle du salaire minimum de croissance par emploi supprimé le montant de la contribution que les entreprises d’au moins mille salariés qui procèdent à un licenciement collectif doivent verser au titre de l’obligation de revitalisation du bassin ou des bassins d’emploi affectés par ledit licenciement.
Aux termes de l’article L. 1233‑84 du code du travail, l’entreprise comptant au moins mille salariés qui, sans faire l’objet d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire, procède à un licenciement collectif affectant, par son ampleur, l’équilibre du bassin ou des bassins d’emploi dans lesquels elle est implantée est tenue de « contribuer à la création d’activités et au développement des emplois et d’atténuer les effets du licenciement envisagé sur les autres entreprises » ([41]).
● Dans l’hypothèse où l’autorité administrative – en l’espèce, le préfet de département ([42]) – juge nécessaire que l’entreprise soit soumise à l’obligation de revitalisation du bassin ou des bassins d’emploi au regard du nombre et des caractéristiques des emplois susceptibles d’être supprimés, des restructurations et suppressions d’emploi intervenues au cours des vingt-quatre derniers mois ou encore des caractéristiques socio-économiques de la zone géographique ([43]), les deux parties concluent une convention ([44]), sur le fondement de l’article L. 1233‑85 du même code, qui détermine, le cas échéant sur la base d’une étude d’impact social et territorial prescrite par la première, la nature et les modalités de financement et de mise en œuvre des actions incombant à la seconde ([45]). Ces dernières sont arrêtées après consultation des collectivités territoriales intéressées, des organismes consulaires et des partenaires sociaux membres de la commission paritaire interprofessionnelle régionale ([46]).
Il est tenu compte, dans la convention, des actions d’ordre similaire éventuellement engagées par anticipation dans un accord collectif relatif à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ou prévues dans un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), entre autres ([47]).
La loi admet qu’un accord collectif ([48]) tienne lieu de convention, sous réserve que son contenu réponde à certaines exigences ([49]) ([50]).
Précisions sur le contenu de la convention conclue entre l’entreprise
et l’autorité administrative (convention de revitalisation)
(article D. 1233-40 du code du travail)
« La convention mentionnée aux articles L. 1233‑85 et L. 1237‑19‑10 comporte notamment :
« 1° Les limites géographiques du ou des bassins d’emploi affectés par le licenciement collectif ou par la rupture conventionnelle collective et concernés par les mesures qu’elle prévoit ;
« 2° Les mesures permettant la création d’activités, le développement des emplois et l’atténuation des effets du licenciement envisagé ou de la rupture conventionnelle collective sur les autres entreprises dans le ou les bassins d’emploi concernés, ainsi que, pour chacune d’entre elles, les modalités et les échéances de mise en œuvre et le budget prévisionnel et, le cas échéant, le ou les noms et raisons sociales des organismes, établissements ou sociétés chargés pour le compte de l’entreprise de les mettre en œuvre et les financements qui leur sont affectés ;
« 3° La durée d’application de la convention qui ne peut dépasser trois ans, sauf circonstances particulières ;
« 4° Le montant de la contribution de l’entreprise par emploi supprimé et le nombre d’emplois supprimés au sens de l’article D. 1233‑43 ;
« 5° Les modalités de suivi et d’évaluation des mesures mises en œuvre. »
Exemples de mesures prévues par les conventions de revitalisation
Les conventions de revitalisation sont le support de plusieurs types de mesures, telles que :
– les actions en faveur de la reconversion d’un site ;
– les aides à l’emploi et au développement d’activités économiques ;
– le développement des compétences et la valorisation des ressources humaines ;
– le soutien à l’insertion professionnelle des personnes éloignées de l’emploi ;
– l’appui à l’innovation, au transfert de savoir-faire et à la mise en réseau des acteurs économiques locaux.
Source : https://travail-emploi.gouv.fr/lobligation-de-revitalisation-des-territoires.
● L’entreprise verse une contribution dont le montant ne peut être inférieur à deux fois la valeur mensuelle du salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic) par emploi supprimé, précise l’article L. 1233‑86 du code du travail. Toutefois, l’autorité administrative peut fixer un montant inférieur lorsque l’entreprise est dans l’incapacité de supporter une telle charge financière ([51]).
En l’absence de convention ou d’accord collectif, elle verse au Trésor public une contribution égale au double du premier montant susmentionné (ce qui correspond à quatre fois la valeur du Smic par emploi supprimé) ([52]).
Précisions sur les modalités de calcul de la contribution
financière due par l’entreprise
(premier alinéa de l’article D. 1233-43 du code du travail)
« Pour le calcul de la contribution instituée à l’article L. 1233-84, le nombre d’emplois supprimés est égal au nombre de salariés dont le licenciement est envisagé, duquel est déduit le nombre de salariés dont le reclassement, dans l’entreprise ou dans le groupe auquel elle appartient, est acquis sur le ou les bassins d’emploi affectés par le licenciement collectif, à l’issue de la procédure de consultation des représentants du personnel prévue aux articles L. 1233-8 et L. 1233-9, en cas de licenciement de moins de dix salariés dans une même période de trente jours, et L. 1233-28 à L. 1233-30, en cas de licenciement de dix salariés ou plus dans une même période de trente jours. »
L’article 3 revêt un objet simple : faire en sorte que soit accentué l’effort des entreprises qui procèdent à des licenciements collectifs en faveur de la revitalisation des bassins d’emplois affectés par les transformations de tous ordres qui en résultent, suivant une logique réparatrice.
À cette fin, il fait évoluer la rédaction du premier alinéa de l’article L. 1233‑86 du code du travail pour porter le montant de la contribution financière due par les sociétés d’au moins mille salariés dans les conditions présentées ci-dessus, volontiers supérieur au montant plancher en pratique ([53]), à quatre – plutôt que deux – fois la valeur mensuelle du Smic par emploi supprimé au minimum.
Ce montant pourra être diminué sur décision du préfet de département si l’entreprise ne peut faire face à la dépense, ainsi que le droit le prévoit déjà.
En revanche, il sera doublé, et donc porté à huit fois la valeur mensuelle du Smic par emploi supprimé, dès lors que l’entreprise n’aura signé aucune convention avec l’autorité administrative ou conclu d’accord collectif en tenant lieu, conformément aux prescriptions (non modifiées) du second alinéa du même article.
*
* *
Adopté par la commission avec modifications
L’article 4 impose à l’entreprise qui mettrait en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi le remboursement des sommes perçues au cours des trois exercices précédents :
– au titre de la réduction générale des cotisations et contributions patronales mentionnée à l’article L. 241‑13 du code de la sécurité sociale, pour chaque salarié licencié ;
– au titre du crédit d’impôt pour certaines dépenses de recherche, prévu à l’article 244 quater B du code général des impôts.
La question de la restitution des aides publiques octroyées à des entreprises qui procèdent à des licenciements est régulièrement posée dans notre pays.
En règle générale, l’octroi de ce type d’aides n’est conditionné ni à l’interdiction de licencier à proprement parler, ni à l’obligation de rembourser les montants reçus dans l’hypothèse où des emplois seraient supprimés.
Il y a, en effet, peu d’exemples de dispositifs organisant une telle restitution.
Un mécanisme de la sorte fut institué, dans le contexte de la crise sanitaire provoquée par l’épidémie de covid‑19, par le décret n° 2020‑926 du 28 juillet 2020 ([54]), dont l’article 2 confiait à l’autorité administrative ([55]) le soin de demander à l’employeur le remboursement des sommes perçues pour chaque salarié placé en activité partielle dont le licenciement pour motif économique aurait été prononcé pendant la durée du déploiement de la mesure. Il était précisé, cependant, que le remboursement ne serait pas nécessairement exigé s’il s’avérait incompatible avec la situation économique et financière de la structure et même qu’il ne le serait pas s’il s’avérait que les perspectives d’activité s’étaient dégradées avec le temps ([56]).
Un mécanisme pérenne inspiré d’une logique proche existe dans le code du travail, à l’article L. 1233‑57‑21. Il consiste dans la possibilité, pour l’autorité administrative ([57]), de réclamer à une entreprise d’au moins mille salariés, qui envisagerait la fermeture d’un établissement et qui n’aurait pas accompli les efforts nécessaires dans le processus de recherche d’un repreneur ([58]), la restitution des aides pécuniaires « en matière d’installation, de développement économique, de recherche ou d’emploi » attribuées par une personne publique, au titre de l’établissement concerné par la fermeture, durant les deux années précédant la réunion du comité social et économique sur le projet de licenciement collectif ([59]) ([60]).
Introduit dans notre droit, sous sa forme initiale, par la loi du 29 mars 2014, dite « loi Florange » ([61]), ce mécanisme, dont le champ d’application évoluerait si l’article 1er de la proposition de loi entrait en vigueur, ne suffit pas à garantir une véritable justice dans le cas où une société soutenue financièrement par la collectivité déciderait de se séparer d’une partie de ses collaborateurs.
Il y a donc lieu d’aller plus loin.
● Il n’est pas normal que l’octroi d’aides publiques, qui peuvent atteindre des montants élevés, ne soit pas davantage conditionné lorsque l’on sait les conséquences désastreuses qu’emportent, à la fois pour les salariés mais aussi pour les territoires, les licenciements collectifs pour motif économique.
Ce constat, qui n’est pas nouveau, est assez largement partagé. La mission d’information conduite à l’Assemblée nationale sur le sujet il y a quelques années le faisait, à titre d’illustration, en ces termes : « Il est immoral que l’usine de Bridgestone ait fermé après avoir reçu de l’État 1,80 M€ au titre du CICE [crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi] et 620 000 € d’aides régionales consacrées à la modernisation du site de Béthune et à la formation mais aucune législation ne lui imposait de rembourser de telles aides. Aucune règle n’obligeait non plus Delphi à rembourser son crédit d’impôt recherche après la fermeture en 2015 de son site de Périgny car ce crédit d’impôt n’est pas soumis à un engagement de conserver l’outil de travail en France. » ([62])
Plus récemment, Michelin et Auchan, également bénéficiaires de subsides publics, annonçaient la fermeture, pour le premier, de deux sites de production, et, pour le second, d’une dizaine de magasins, si bien que la question de l’utilisation des deniers publics s’était de nouveau trouvée sous le feu de l’actualité et les appels à une plus grande transparence en la matière réitérés par beaucoup.
Ces exemples ne sont pas isolés, comme l’ont justement rappelé les personnes entendues par le rapporteur, et la timidité de la réaction des pouvoirs publics n’est pas acceptable au vu des enjeux.
● L’article 4 constitue une ébauche de réponse au problème. Ainsi, en vertu du nouvel article L. 1233‑64‑1 du code du travail, inséré dans la sous‑section 1 de la section 6 du chapitre III du titre III du livre II de sa première partie, l’entreprise comptant au moins cinquante salariés qui mettrait en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), ce qu’imposent les textes lorsqu’un projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours ([63]), serait tenue de rembourser les sommes perçues au cours des trois exercices précédents :
– au titre de la réduction générale des cotisations et contributions patronales mentionnée à l’article L. 241‑13 du code de la sécurité sociale ([64]), pour chaque salarié licencié ;
application du dispositif de réduction générale des cotisations
et contributions patronales prévu à l’article L. 241‑13
du code de la sécurité sociale
|
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
Effectifs exonérés (en millions) |
12,49 |
12,27 |
12,51 |
12,55 |
12,83 |
Employeurs déclarants (en million) |
1,87 |
1,86 |
1,93 |
1,86 |
1,89 |
Coût (en millions d’euros) |
20 817 |
26 188 (dont 17 640 sur le champ Robss) |
29 619 (dont 20 530 sur le champ Robss) |
35 467 (dont 24 255 sur le champ Robss) |
39 548 (dont 26 842 sur le champ Robss) |
Note : Robss : régimes obligatoires de base de la sécurité sociale.
Source : annexe 2 au projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale de l’année 2023, Présentation et évaluation des mesures d’exonération de cotisations, p. 62.
– au titre du crédit d’impôt pour certaines dépenses de recherche, prévu à l’article 244 quater B du code général des impôts.
Entreprises déclarantes et bénéficiaires du crédit d’impôt recherche, dépenses et créances afférentes selon le type
de dépenses déclarées en 2021
Type de dépenses déclarées |
Nombre de déclarants |
Dépenses déclarées (en millions d’euros) |
% des dépenses |
Nombre de bénéficiaires |
Créance (en millions d’euros) |
% de créance |
Recherche |
19 236 |
23 652 |
92,5 |
16 341 |
6 859 |
94,6 |
Innovation |
10 333 |
1 783 |
7,0 |
10 062 |
359 |
5,0 |
Collection |
777 |
141 |
0,6 |
756 |
29 |
0,4 |
Ensemble |
28 810 (*) |
25 577 |
100 |
23 069 (*) |
7 247 |
100 |
(*) Hors doubles comptes pour le nombre de déclarants et de bénéficiaires : le total est obtenu par la somme des lignes « Recherche », « Innovation uniquement », « Collection uniquement », à laquelle sont ajoutés le nombre d’entreprises ne déclarant que des dépenses d’innovation et de collection et le nombre d’entreprises qui ne déclarent pas de dépenses.
Source : annexe au projet de loi de finances pour 2025, Rapport sur les politiques nationales de recherche et de formations supérieures, p. 79.
Distribution des dépenses et de la créance afférentes au crédit d’impôt recherche par catégorie d’entreprise bénéficiaire en 2021
Catégorie de l’entreprise bénéficiaire |
Nombre d’entreprises bénéficiaires |
% des entreprises |
Dépenses déclarées (en millions d’euros) |
% des dépenses |
Créance (en millions d’euros) |
% de créance |
Créance moyenne (en milliers d’euros) |
Taux moyen (en %) |
PME |
13 665 |
84 |
7 052 |
30 |
2 120 |
31 |
155 |
30 |
ETI |
2 211 |
14 |
6 098 |
26 |
1 831 |
27 |
828 |
30 |
GE |
465 |
3 |
10 501 |
44 |
2 908 |
42 |
6 254 |
28 |
Total général |
16 341 |
100 |
23 652 |
100 |
6 859 |
100 |
420 |
29 |
Note : PME : petites et moyennes entreprises ; ETI : entreprises de taille intermédiaire ; GE : grandes entreprises.
Source : annexe au projet de loi de finances pour 2025, Rapport sur les politiques nationales de recherche et de formations supérieures, pp. 79-80.
Bien qu’il soit difficile de connaître avec exactitude le montant des aides publiques accordées chaque année aux entreprises, il n’est guère contestable que la dépense, dont le principe n’est pas mis en cause ici, revêt un coût élevé pour les finances publiques. Par conséquent, il est légitime que les exigences pesant sur les structures qui en bénéficient soient renforcées, ce que les syndicats de salariés appellent de leurs vœux.
Sur proposition du rapporteur, la commission a adopté trois amendements destinés à améliorer le dispositif, sur la forme et sur le fond, tendant :
– pour le premier, à clarifier sa rédaction ;
– pour le deuxième, à exclure de son champ d’application les entreprises qui seraient en redressement ou en liquidation judiciaire ;
– pour le troisième, à garantir qu’il ne produirait ses effets que pour les entreprises qui mettraient en œuvre un PSE à compter de l’entrée en vigueur de la loi.
*
* *
Introduit par la commission
L’article 5 charge le Gouvernement de remettre au Parlement, six mois après la promulgation de la loi, un rapport sur l’incidence de ses dispositions sur l’investissement des entreprises et l’emploi en France.
Issu d’un amendement de M. Jean-René Cazeneuve et plusieurs de ses collègues du groupe Ensemble pour la République, adopté par la commission contre l’avis du rapporteur, l’article 5 charge le Gouvernement de remettre au Parlement, six mois après la promulgation de la loi, un rapport sur l’incidence de ses dispositions sur l’investissement des entreprises et l’emploi en France.
Il va de soi que les politiques publiques en général et les réformes législatives en particulier doivent être régulièrement évaluées. Pour autant, imposer au Gouvernement de procéder à l’évaluation de la loi dans la foulée de son adoption aurait peu de sens tant le recul manquerait pour qu’un travail utile et exploitable puisse être produit.
Il serait donc opportun de laisser au pouvoir exécutif plus de temps pour remplir sa mission.
*
* *
Introduit par la commission
L’article 6 charge le Gouvernement de remettre au Parlement, six mois après la promulgation de la loi, un rapport sur l’encadrement juridique des licenciements économiques dans les États membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques.
Issu d’un amendement de M. Jean-René Cazeneuve et plusieurs de ses collègues du groupe Ensemble pour la République, l’article 6 charge le Gouvernement de remettre au Parlement, six mois après la promulgation de la loi, un rapport sur l’encadrement juridique des licenciements économiques dans les États membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques aux fins « d’évaluer la compétitivité et l’attractivité du modèle français ».
Bien que le délai laissé au pouvoir exécutif pour s’exécuter soit un peu court, le rapporteur a accueilli favorablement l’initiative et appelé la commission à lui faire une place dans le texte.
Lors de sa première réunion du mercredi 12 février 2025, la commission examine la proposition de loi visant à sauvegarder et pérenniser les emplois industriels en empêchant les licenciements boursiers (n° 769) (M. Benjamin Lucas Lundy, rapporteur) ([65]).
M. le président Frédéric Valletoux. Mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui les deux propositions de loi dont le groupe Écologiste et Social a proposé l’inscription à l’ordre du jour des séances qui lui seront réservées le jeudi 20 février prochain.
Nous commençons par la proposition de loi visant à sauvegarder et pérenniser les emplois industriels en empêchant les licenciements boursiers.
M. Benjamin Lucas-Lundy, rapporteur. J’irai droit au but : je ne pense pas, comme l’affirmait le président Mitterrand en 1993, que, « dans la lutte contre le chômage, on a tout essayé ». Si, comme l’affirmait plus tard Lionel Jospin, l’État ne peut pas tout – « Il ne faut pas attendre tout de l’État et du Gouvernement » –, je crois qu’il peut beaucoup ! Mon engagement à gauche est intimement lié au refus de la fatalité et de la résignation, inspiré par Blum, qui considérait le moment clef comme celui où l’on cesse de dire : « Bah ! C’est l’ordre des choses, il en a toujours été ainsi. »
Au nom du groupe Écologiste et Social, que je remercie pour sa confiance et dont je salue la présidente, j’ai l’honneur de vous présenter un texte de combat – au sens démocratique du terme – et de refus de l’impuissance, qui en appelle d’autres et qui s’inscrit dans l’histoire de notre République sociale, répondant à une actualité brûlante.
L’année 2025 s’annonce comme celle des records de plans sociaux. Allons-nous la laisser filer en nous lamentant, ou jouerons-nous pleinement notre rôle de législateurs et de défenseurs de notre industrie et des emplois ?
Les licenciements boursiers dictés par des logiques de profit, malgré la rentabilité des sites concernés et leur importance sur leurs territoires, sont le symbole d’une économie déséquilibrée, où l’enrichissement de quelques-uns à court terme l’emporte sur l’avenir de tous. Les pratiques consistant à supprimer des emplois dans des entreprises pourtant rentables n’ont pour but que d’augmenter la valeur des actions ou de maximiser les dividendes. Elles ne répondent ni à des nécessités économiques, ni à des impératifs de compétitivité, mais à une logique purement spéculative. Il s’agit d’un contresens économique, d’une faute sociale et – j’ose le dire – morale.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2023, près de 70 % des bénéfices des entreprises du CAC40 ont été redistribués aux actionnaires, tandis que les investissements productifs et la hausse des salaires restaient marginalisés. Dans le même temps, des milliers de salariés ont été sacrifiés sur l’autel de la rentabilité financière. Les conséquences de ces choix sont multiples et désastreuses.
La première des répercussions est une perte d’attractivité pour le pays et nos territoires. Des compétences, des savoir-faire et une productivité accumulés au fil des années sont balayés pour répondre à des impératifs financiers à court terme. Ce cercle vicieux freine l’innovation, réduit les capacités industrielles de notre pays et nous prive d’atouts stratégiques face à la concurrence internationale.
La deuxième conséquence est un impact social et territorial insupportable. Un licenciement n’est pas qu’un chiffre, mais une tragédie humaine : des familles sont plongées dans l’incertitude et des salariés démunis face à des perspectives de reconversion souvent insuffisantes. Ces suppressions d’emplois frappent de plein fouet nos territoires, notamment les bassins industriels, qui subissent une double peine : la montée du chômage et l’effondrement de l’activité économique locale. Les licenciements boursiers créent des déserts économiques où les solidarités s’effritent et où le sentiment d’abandon nourrit une crise de confiance envers nos institutions et tout notre édifice démocratique.
Le troisième corollaire est un détournement inacceptable des aides publiques. Nombre de ces entreprises ont bénéficié de subventions, d’exonérations fiscales ou d’autres formes d’aides publiques – crédit d’impôt recherche (CIR), crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) – pour maintenir leur activité ou financer des investissements. Ces aides, issues de l’effort collectif des citoyens, sont souvent détournées de leur objectif initial pour servir des stratégies financières opaques. C’est une injustice criante, qui mine la légitimité même de l’action publique et exacerbe les inégalités.
La quatrième conséquence est la menace pour la souveraineté économique de la France. En laissant nos industries se désagréger sous la pression des marchés financiers, nous mettons en danger notre indépendance stratégique. Qu’il s’agisse de secteurs clefs comme l’énergie, la métallurgie ou la pharmacie, la France ne peut se permettre de perdre ses capacités industrielles au profit de délocalisations ou de restructurations destructrices.
Face à ces constats, il est urgent d’agir. Combattre les licenciements boursiers, ce n’est pas seulement répondre à une urgence sociale, c’est réaffirmer une ambition économique, visant à protéger les emplois d’aujourd’hui tout en préparant ceux de demain. Depuis plusieurs mois, notre pays est à nouveau confronté à une vague massive de plans de licenciements, qui se succèdent à un rythme effréné, détruisant et menaçant des milliers d’emplois partout en France.
Les données chiffrées publiées par le ministère du travail sont révélatrices des difficultés du moment : au bout des trois premiers trimestres de 2024, on recensait déjà autant de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) validés ou homologués par l’autorité administrative que sur l’ensemble de l’année 2023 ; entre ces deux années, le nombre de PSE mis en œuvre a augmenté de 40 % et le nombre de ruptures de contrats de travail qui en a résulté de 50 %. C’est un désastre.
À titre d’exemple, en novembre dernier, le distributeur Auchan a annoncé la suppression de 2 389 postes, le groupe Michelin la fermeture de deux sites de production, menaçant 1 254 salariés, et Valeo a dévoilé son plan de restructuration, qui prévoit la suppression de 868 postes en France. Au total, selon la CGT, près de deux cent cinquante plans de licenciements seraient en préparation, menaçant près de 300 000 emplois en France.
Ces licenciements sont qualifiés de « boursiers » en ce qu’ils n’obéissent pas à un impératif économique mais visent, pour les entreprises, à accroître toujours plus leur rentabilité financière. Ainsi, le groupe Michelin a dégagé un bénéfice net de 2,6 milliards d’euros en 2023 et versé 1,4 milliard d’euros de dividendes en 2024, considérant les salariés comme de simples coûts à réduire.
Les défaillances d’entreprises sont en nette hausse dans les petites et moyennes entreprises de plus de cinquante salariés – plus de 47 % selon les données publiées par Altares – et la majorité des PSE ont lieu dans les entreprises de moins de 1 000 salariés. Pourtant, elles ne sont pas soumises à l’obligation de recherche d’un repreneur en cas de fermeture de site.
C’est pourquoi cette proposition de loi étend à toutes les entreprises de plus de deux cent cinquante salariés l’obligation, introduite par la loi du 29 mars 2014, la loi « Florange », de rechercher un repreneur pour les entreprises envisageant la fermeture d’un de leurs établissements, avec pour conséquence un projet de licenciement collectif se traduisant par la mise en œuvre d’un PSE. Une telle obligation contraint les directions d’entreprises à informer et consulter le comité social et économique (CSE) sur les offres éventuelles de reprise et sur les projets de fermeture.
Face à la multiplication des plans de licenciements collectifs, il est par ailleurs nécessaire de renforcer le dialogue social, en donnant plus de poids à la voix des représentants du personnel. Alors qu’un employeur procédant à un PSE n’est actuellement tenu de consulter le CSE de l’entreprise qu’à titre informatif, il n’est plus acceptable qu’un PSE dont les contreparties sociales ne seraient pas satisfaisantes ou dont les alternatives, en particulier sur la recherche d’un repreneur dans le cadre de la loi « Florange », n’auraient pas été suffisamment explorées, puisse être effectué contre l’avis des salariés et de leurs représentants.
Pour y remédier, la proposition de loi introduit un droit nouveau pour les représentants des salariés, en conférant au CSE un droit de veto suspensif lors de l’engagement d’un PSE par l’employeur. Il a vocation à donner plus de temps à l’entreprise pour revoir sa copie et chercher des alternatives à la fermeture d’un site industriel, lorsque les représentants des salariés estiment que des alternatives au plan de licenciement peuvent être trouvées ou que le contenu du PSE est insuffisant pour les salariés.
Alors que les aides publiques aux entreprises représentent aujourd’hui près de 200 milliards d’euros par an et que leur versement n’est pas conditionné à un strict usage d’investissement et de maintien de l’emploi sur le territoire national, ce texte prévoit que les groupes procédant à des PSE restituent, pour les trois derniers exercices, les exonérations de cotisations sociales perçues au titre des emplois concernés par le licenciement collectif, ainsi que le CIR dont ils ont bénéficié.
Enfin, dans la mesure où les plans de licenciements collectifs ont des conséquences particulièrement néfastes pour les territoires, cette proposition de loi prévoit d’augmenter le coût plancher des mesures de revitalisation pour les bassins d’emplois qui subissent des PSE. Alors que les conventions de revitalisation mobilisent souvent des montants plus importants que le seuil minimum prévu par le code du travail, le rehaussement du coût minimum des obligations de revitalisation vise à mettre davantage à contribution les grandes entreprises qui procèdent à des PSE, dans une logique de licencieur-payeur.
Notre histoire républicaine et sociale est intimement liée à notre histoire industrielle. Avec les révolutions industrielles sont venus, par les luttes collectives, d’immenses progrès sociaux et démocratiques. Le sens de notre histoire sociale est clair : subordonner l’ordre économique à l’intérêt général. Ainsi, nous avons pu construire une grande nation industrielle et un État social protecteur. Tant de conquêtes arrachées de haute lutte, d’emplois indispensables ont été et sont menacés par la recherche effrénée du profit à outrance, la mondialisation dérégulée, les logiques purement financières, l’abdication du politique devant la main invisible du marché.
Le désastre des suppressions d’emplois industriels en France constitue un terrible renversement des principes qui ont guidé notre pacte républicain. Chaque usine qui ferme malgré des bilans financiers positifs, chaque territoire abandonné à la désindustrialisation est une négation des luttes passées et une atteinte au contrat social qui unit notre pays. L’avenir est hypothéqué et le déclin gagne du terrain. Notre pays ne peut accepter un tel déclassement.
Avec ce texte, nous entendons redonner à la puissance publique les moyens de réguler et d’orienter l’économie, et redonner aux citoyens, aux élus et aux représentants des salariés la capacité d’intervenir pour défendre l’emploi et préserver nos territoires.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Gaëtan Dussausaye (RN). D’une manière générale, cette proposition de loi nous invite à réfléchir à la manière de responsabiliser les entreprises qui déclenchent un PSE. La discussion sur les amendements me permettra d’expliciter la position du groupe Rassemblement National sur les quatre articles du texte. Aussi, je m’exprimerai plus particulièrement sur l’article 1er, visant à étendre la loi « Florange » aux entreprises de plus de deux cent cinquante salariés, contre mille salariés actuellement : nous le soutiendrons dans sa rédaction actuelle. Nous considérons en effet que ce critère est le bon, puisque les entreprises de plus de deux cent cinquante salariés peuvent être confrontées aux deux phénomènes que sont la financiarisation et l’internationalisation des échanges : sous couvert de rechercher toujours du profit, l’emploi des Français devient la variable d’ajustement des ambitions de ces entreprises.
J’ai toutefois le sentiment que le groupe Écologiste et Social, à l’origine de ce texte, cherche, comme une grosse partie de la classe de gauche, à se racheter une bonne conscience. Vous avez évoqué, monsieur le rapporteur, un désastre industriel. Si certains licenciements collectifs sont effectivement abusifs et motivés par de bas instincts de recherche de profit, au mépris de la vitalité des territoires et des emplois français, d’autres sont aussi dus à un climat économique devenu irrespirable et épouvantable pour les entreprises françaises, particulièrement pour les industries.
La responsabilité en incombe à votre groupe, qui s’est livré pendant des années à du lobbying antinucléaire – s’attaquant ainsi à un atout français qui nous fournit une énergie peu chère et décarbonée – et qui a fait de la France un enfer énergétique. Au Parlement européen, avec Mme von der Leyen et les amis d’Emmanuel Macron, vous avez soutenu le pacte vert, qui a fait de la décroissance industrielle la règle de toute législation. Le rôle de notre groupe est de dire la vérité et de vous aider à faire une meilleure loi au service des ouvriers français.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Je pensais naïvement que la gauche sociale-libérale-démocrate s’était réconciliée avec l’entreprise. Cette proposition de loi a un côté vintage qui nous ramène quarante ans en arrière : les licenciements boursiers sont de retour et l’entreprise serait l’ennemie, comme si elle ne créait pas de valeur et d’emploi, ni ne participait à l’attractivité de notre pays. Vous voulez la brider, l’imposer et l’exporter.
Depuis sept ans, nous avons fait exactement le contraire. Nous avons aidé les entreprises, en baissant l’impôt sur les sociétés et les impôts de production, en soutenant le CIR et dans le cadre du plan de relance France 2030 en matière d’innovation. Cela a payé. Le chômage a reculé, pour atteindre 7,3 % de la population active. La France est de nouveau compétitive, même si la censure, que vous avez votée, ne nous a pas aidés. Depuis 2016, nous comptons 500 usines de plus sur notre territoire.
Le groupe Ensemble pour la République s’opposera donc vivement à ce texte, qui alourdit les procédures, rigidifie le marché du travail et envoie un signal extrêmement négatif aux investisseurs. Il est actuellement très difficile de licencier et cela est normal, mais n’envoyons pas des signaux qui nuiraient à la réindustrialisation de notre pays et à son attractivité. Les entreprises cherchent toutes à se développer et ne licencient pas pour se faire plaisir.
M. Emmanuel Fernandes (LFI-NFP). Contrairement à ce qui vient d’être dit, depuis septembre 2024, les plans sociaux se succèdent à un rythme effréné et le pays est entré dans une période de choc économique et social sans précédent. En fin d’année, le groupe Michelin a annoncé la fermeture des sites de Cholet et Vannes, concernant plus de 1 200 salariés. De son côté, Auchan a indiqué licencier près de 2 400 salariés en France. Ces annonces s’ajoutent à celles de Sanofi, de General Electric, de Valeo, de Saunier Duval, de Vencorex, d’ArcelorMittal, de MA France, de Stellantis, de Renault, d’Alpine, de Novares, de Carrefour, de Casino, d’Air Liquide, de La Fonderie de Bretagne et de dizaines d’autres sites.
Selon la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, le nombre de demandeurs d’emploi pour cause de licenciement économique a fortement augmenté – de 27,1 % en 2024 et de près de 15 % au seul deuxième trimestre 2024. L’Observatoire français des conjonctures économiques prévoit quant à lui que 143 000 emplois seront détruits en 2025 en France, le cabinet Altares estimant même ce chiffre à 300 000. L’industrie est particulièrement touchée, avec des secteurs stratégiques pour la souveraineté nationale et la bifurcation écologique – médicament, automobile, rénovation énergétique, énergies renouvelables, chimie.
Pourtant, le Gouvernement considère que ces plans de licenciement sont des phénomènes inéluctables, sur lesquels il n’y aurait aucune prise ni responsabilité. Cela revient à oublier que la désindustrialisation du pays, qui malheureusement s’accélère, est une conséquence directe de l’échec total de la politique macroniste menée depuis 2017. Cette politique de l’offre néolibérale consiste à distribuer des crédits d’impôts, des exonérations de cotisations et des aides diverses sans contrepartie, principalement aux plus riches et aux grandes multinationales, dont les bénéfices servent de plus en plus à rémunérer les actionnaires et de moins en moins à verser des salaires ou à réaliser des investissements productifs.
Avec près de 100 milliards d’euros versés en 2024, la France est championne d’Europe des dividendes et des rachats d’actions ; cette somme a doublé en dix ans. Il est inacceptable que des licenciements dits économiques aient lieu dans des entreprises qui accumulent depuis des années de l’argent public. Cette proposition de loi propose des pistes pour y remédier.
M. Arthur Delaporte (SOC). « On a conjuré des décennies de désindustrialisation, on a mis fin à cette période. » Ces mots sont ceux d’Emmanuel Macron, en mai 2023. Déjà à l’époque, il vivait dans une réalité parallèle. Depuis 2017, la désindustrialisation s’accélère dans notre pays, alors même que la politique industrielle – votre politique industrielle –, caractérisée par des aides aux entreprises sans contrepartie, ne produit pas d’effets notables.
Dans le Calvados ou dans le Gers, comme partout, on ne peut qu’être sous le choc de cette hémorragie industrielle – fermetures d’usines, suppression d’emplois. Dans ma circonscription, en juillet 2024, le groupe Bosch a annoncé la fermeture de son usine de Mondeville, pourtant élue meilleure usine de France en 2018. Prévue pour juin 2026, elle entraînera la suppression de 413 emplois, alors que le site est extrêmement rentable. On pourrait citer d’autres cas, comme celui de Sanofi, qui, avec un chiffre d’affaires de 40 milliards d’euros, réalise des profits importants en France : le groupe a décidé de céder un certain nombre de sites liés à la production du Doliprane, menaçant des emplois dans mon département, autour de Lisieux. Selon la CGT, 180 plans de licenciements boursiers ont été recensés entre septembre 2023 et septembre 2024, menaçant 47 272 emplois.
Les cas d’Auchan et de Michelin, qui ferme deux sites de production malgré 1,5 milliard d’euros de dividendes, ont déjà été évoqués. Force est de constater le décalage avec les milliards préalablement injectés : ces licenciements boursiers ne sont pas tolérables. Cela n’est pas vintage, même François Hollande en avait fait un engagement de campagne.
M. Fabien Di Filippo (DR). Ce texte nous éloigne des réalités du pays. L’approche de l’économie et de l’entreprise de nos collègues du groupe Écologiste et Social est toujours aussi négative. J’ai été surpris par le propos introductif du rapporteur, qui a présenté les décisions de création d’emplois, d’embauche ou de localisation des activités comme des décisions politiques ou administratives liées au bon vouloir des acteurs, comme si elles ne dépendaient d’aucun facteur de compétitivité et pouvaient s’affranchir de toutes les réalités du marché économique mondial.
Je reviens tout d’abord sur la volonté de punir les entreprises qui toucheraient des crédits d’impôts, toujours de manière de manière indue. Le CICE est à cet égard très parlant : il est reproché aux entreprises d’avoir touché 25 milliards d’euros sans avoir créé d’emplois – une honte. J’en rappellerai simplement le contexte d’origine. L’arrivée de François Hollande au pouvoir, en 2012, s’est traduite par un matraquage fiscal sans précédent, provoquant des sueurs froides à ceux qui, chaque matin, regardaient les comptes de résultat. Les prélèvements supplémentaires sur l’activité économique se sont élevés à 50 milliards d’euros. Le CICE a été mis en place dans la foulée, pour adoucir cette bombe fiscale. Cela est typique du mal français : on crée des impôts et des taxes à un niveau extrêmement élevé, dont les effets sont ensuite atténués avec des dispositifs qui génèrent de la complexité et que la gauche utilise pour jeter l’opprobre sur les entreprises. Vous vous plaignez d’un mal dont vous chérissez les causes !
J’en viens au texte. L’article 1er contraint les directions d’entreprise à informer et consulter le CSE sur des projets de fermeture. Une fois de plus, vous créez un dispositif qui alimente les effets de seuil. Notre pays compte déjà un nombre anormalement élevé d’entreprises de 49 ou de 249 salariés qui brident leur croissance parce que vous les punissez. L’article 2 est pour sa part complètement contre-productif. Quant aux articles 3 et 4, ils sont des véritables repoussoirs à la création d’activités et à leur implantation en France.
M. Damien Girard (EcoS). La semaine dernière, une centaine d’ouvriers du Morbihan ont assisté à l’audition du PDG de Renault à l’Assemblée nationale. En effet, leur usine – La Fonderie de Bretagne – est menacée. Pourtant, ce site a tout pour réussir – des équipements modernes, des compétences reconnues, des capacités de production solides –, mais Renault refuse de lui garantir deux ans de commandes, pour s’adapter, innover, trouver un avenir durable. Il ne s’agit pas d’un cas isolé – les usines Michelin à Vannes et à Cholet, La Fonderie de Bretagne, la liste est immense. Le scénario est toujours le même : des aides publiques, massives, puis une fermeture brutale, sans contrôle ni contrepartie.
Le but du texte de notre collègue Benjamin Lucas-Lundy est de corriger ce scandale et je le remercie de poser cette question d’intérêt général. Créer des marges de manœuvre pour les CSE, donner du temps pour encourager une vraie recherche de repreneurs, contrôler enfin l’usage des aides publiques : ces mesures ne sont pas idéologiques, mais des protections essentielles. La Cour des comptes et l’Inspection générale des finances réclament elles‑mêmes davantage de contrôle des aides publiques aux entreprises.
Si ces mesures étaient déjà en place, l’hiver social que traverse notre industrie serait moins rude. La menace du remboursement d’aides publiques et l’augmentation du coût plancher des mesures de revitalisation sont des outils forts, permettant à l’État de donner une cohérence territoriale et stratégique à sa politique industrielle. Avec ce texte, nous pouvons reconstruire une industrie qui ne se plie pas aux logiques financières de court terme mais investit sur l’avenir, qui ne délocalise pas après avoir encaissé l’argent public mais s’ancre sur nos territoires. Vous l’aurez compris, les élus du groupe Écologiste et Social voteront et défendront ce texte.
M. Philippe Vigier (Dem). Tout d’abord, le titre de la proposition de loi me semble mal choisi, car les licenciements boursiers ne sont pas seuls en cause. Par ailleurs, je me tourne vers la gauche de gouvernement, qui, avec Lionel Jospin, disait que l’on ne peut pas tout mais que l’on peut beaucoup. Il est bizarre que le représentant de l’État au conseil d’administration de Renault, à la main du Gouvernement, n’ait à l’époque pas bougé : je vous invite à revisiter le passé. Troisièmement, mon territoire rural a malheureusement connu 2 000 licenciements : j’y ai accompagné les PSE.
Le texte comporte-t-il des mesures qui vont dans le bon sens ? Je suis favorable à l’une d’entre elles, qui consiste à baisser le seuil de mille à deux cent cinquante salariés, mais j’ai beaucoup à dire sur le reste. Vous proposez de doubler les indemnités, mais qui en décide actuellement ? Le préfet fixe le montant de la contribution réclamée à l’entreprise au titre de l’obligation de revitalisation, pouvant aller jusqu’à quatre smic par emploi supprimé. J’ai fait bouger les curseurs pour que ce montant soit deux fois supérieur au niveau légal. Votre proposition de loi n’apportera donc rien.
De plus, vous ne dites pas un mot sur le vrai sujet, celui de l’accompagnement des salariés. Connaissez-vous le montant des honoraires pratiqués par les cabinets de revitalisation ? Je vous invite à prendre connaissance du taux de retour à l’emploi, au cœur du problème. Quant aux mesures sur le remboursement des exonérations sociales et des crédits d’impôts, elles ne fonctionneront pas.
Nous pouvons nous réjouir d’un taux de chômage historiquement faible : reconnaissez-nous au moins le mérite de cet effet positif, malgré les difficultés actuelles. J’ai en effet connu l’époque – en 2017 – où l’on nous a dit : « Si la courbe du chômage baisse, je me présente à l’élection présidentielle ; si elle ne baisse pas, je renonce. »
M. François Gernigon (HOR). Cette proposition de loi prétend répondre aux licenciements boursiers, un concept militant dépourvu de définition juridique. Ce terme traduit une vision punitive de l’entreprise, au détriment d’une politique ambitieuse pour l’emploi et la réindustrialisation. Licencier n’est jamais un acte de complaisance. Aucune entreprise ne prend de telles décisions à la légère. Il s’agit souvent du dernier recours pour faire face à des difficultés économiques, dans un contexte de concurrence accrue.
Plutôt que de traiter les causes profondes de la désindustrialisation, ce texte opte pour la sanction : veto syndical sur les plans sociaux, extension démesurée de l’obligation de recherche de repreneurs et hausse des contributions des entreprises. Prenons l’exemple de l’article sur le veto du CSE : il institue un pouvoir de blocage asymétrique et constitue une atteinte à la liberté d’entreprendre. Ce rôle revient à l’administration, qui est déjà chargée de contrôler la légalité et le bien-fondé des plans de sauvegarde de l’entreprise. Quant à l’extension de l’obligation de recherche d’un repreneur aux entreprises de deux cent cinquante salariés, elle risque de fragiliser les entreprises de taille intermédiaire (ETI), pourtant essentielles pour l’innovation et l’emploi dans nos territoires. Assimiler ces entreprises aux multinationales est une erreur qui pourrait ralentir leur développement, alors qu’elles doivent rester les moteurs de notre économie.
En adoptant ce texte, la France enverrait un signal négatif aux investisseurs et compromettrait sa compétitivité. À l’heure où nos voisins facilitent l’investissement, notre priorité devrait être de créer un cadre stable et incitatif pour accompagner les entreprises dans leur évolution et de soutenir durablement l’emploi. Le groupe Horizons & Indépendants votera contre ce texte. Nous croyons en un État qui encourage et accompagne, plutôt qu’il ne contraigne. C’est ainsi que nous favoriserons la réindustrialisation et le dynamisme économique de notre pays.
M. Paul-André Colombani (LIOT). La désindustrialisation massive est un fléau que nous peinons à combattre. Elle se traduit par une baisse d’attractivité immense pour nos territoires et par des pertes de compétences durables. Elle se manifeste par un appauvrissement et une augmentation du chômage, avec des conséquences immenses sur les familles concernées par les licenciements et sur les territoires entiers. Ce phénomène est malheureusement alimenté par des licenciements qui interrogent et sont difficilement compréhensibles sur le plan économique, lorsqu’ils sont réalisés par des groupes qui se portent bien financièrement, et qui, dans le même temps, parviennent à reverser des dividendes considérables à leurs actionnaires. Ces licenciements dits boursiers sont d’autant moins acceptables lorsque les entreprises ont bénéficié d’aides publiques importantes. Il faut donc exiger davantage de contreparties de la part des entreprises qui ne jouent pas le jeu de l’emploi.
En ce sens, notre groupe partage les objectifs de cette proposition de loi mais s’interroge sur sa capacité à les atteindre. La présente proposition de loi a le mérite de rappeler un certain nombre d’angles morts de la loi « Florange ». Nous avons besoin de faire le bilan de cette loi. Au-delà de la taille de l’entreprise, plusieurs lacunes méritent d’être corrigées. Il faut étudier l’opportunité d’inclure les entreprises placées en redressement ou en liquidation judiciaire, de revoir le délai de recherche d’un repreneur, trop serré. Notre groupe partage la volonté de renforcer le dialogue social, particulièrement dans des moments difficiles et de crise. Toutefois, des mesures visant à encadrer le veto du CSE permettraient d’éviter des situations de blocage.
M. Yannick Monnet (GDR). Nous soutiendrons cette proposition de loi, qui comporte des dispositions très intéressantes. Toutefois nous considérons que, contrairement à ce qu’indique son titre, elle ne parviendra pas à empêcher les licenciements boursiers – expression qui n’a pas quarante ans puisqu’elle a été forgée en 2001 par Alain Bocquet.
Ces licenciements procèdent des assouplissements successifs qu’ont connus les licenciements économiques. Au fil des réformes du droit du travail, le motif économique a perdu en précision tandis que ses conditions de mise en œuvre ont gagné en souplesse. La dérégulation de l’économie a provoqué une dérégulation du marché du travail : les entreprises ont été incitées à recourir à des licenciements massifs pour limiter leurs risques de pertes de parts de marché par rapport à leurs concurrents et à considérer les salariés comme de simples coûts à réduire, à externaliser ou à délocaliser.
Étendre aux entreprises d’au moins deux cent cinquante salariés l’obligation de réunir et d’informer le CSE en cas de PSE, poser le principe selon lequel le PSE doit être validé par le CSE même en cas d’échec de l’accord collectif, augmenter la contribution des entreprises et leur demander le remboursement des aides publiques qu’elles ont perçues sont autant de dispositions susceptibles de redonner un peu de pouvoir aux organisations syndicales et de responsabiliser davantage les employeurs ; toutefois, elles n’éviteront pas qu’un PSE soit déclenché, particulièrement dans le cas des licenciements dits boursiers.
Ce qui est en jeu, c’est la définition même du motif économique telle qu’elle est donnée par l’article L. 1233‑3 du code du travail. Le fait qu’une entreprise puisse élaborer un projet de licenciement de manière préventive, même en l’absence de difficultés économiques, du moment qu’il est justifié par une « réorganisation nécessaire à sa sauvegarde et à sa compétitivité », revient à considérer que la suppression des emplois d’aujourd’hui est légitime dès lors qu’elle assure la sauvegarde des emplois de demain. En conséquence, seule une redéfinition plus restrictive du motif économique autorisant un licenciement pourrait contrecarrer les licenciements dits boursiers.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des autres députés.
M. Thibault Bazin (DR). Monsieur le rapporteur, je ne comprends pas le titre de votre proposition de loi. Il s’agirait de « sauvegarder et pérenniser les emplois industriels en empêchant les licenciements boursiers » ; or il n’est nullement question d’entreprises cotées en Bourse dans les articles qu’elle comporte. Du reste, l’immense majorité des emplois industriels dans nos territoires relèvent d’entreprises n’ayant pas d’actionnaires.
Autant je partage votre objectif de sauvegarder et pérenniser les emplois industriels, autant je m’interroge sur les dispositions que vous envisagez pour l’atteindre. Quel lien faites‑vous entre compétitivité et emploi ? Votre programme économique et environnemental nous pousse à nous interroger. Les surtranspositions normatives n’ont‑elles pas tué certains emplois industriels ? Au vu de certaines de vos propositions, on peut se demander si vous souhaitez vraiment qu’il y ait des usines, donc des emplois industriels, dans la France de demain.
Mme Sylvie Bonnet (DR). Nous partageons votre constat sur la désindustrialisation de la France : le nombre des emplois industriels est passé de 5,7 millions en 1974 à 3,3 millions en 2023. Dans tous nos territoires, il y a des fermetures d’usines, des délocalisations, des pertes d’emplois, des familles frappées par le chômage et, quelle que soit notre sensibilité politique, nous sommes souvent mobilisés pour aider à trouver un repreneur et sauver le maximum d’emplois. Toutefois nous ne voterons pour cette proposition de loi : les limitations qu’elle impose dissuaderaient d’investir en France et aggraveraient le chômage au lieu de créer et sauver des emplois.
M. François Ruffin (EcoS). Le 2 octobre dernier, la direction française du groupe américain Watts Water Technologies annonçait sa décision unilatérale de fermer son site de la Somme, qui emploie 98 salariés et 25 intérimaires dans un village de 543 habitants, Hautvillers-Ouville. Pourtant le carnet de commandes de cette usine est plein, et le groupe, avec 340 millions d’euros de bénéfices et 49 millions de dividendes, vient de réaliser, selon la presse, une année record.
Face cette situation, l’État est impuissant. Il faudrait parler de « non‑pouvoirs publics », réduits à jouer un rôle de pleureuse et à améliorer voire seulement accompagner des plans de reclassement. Depuis quarante ans que cette histoire dure, on n’entend parler que de formation et de revitalisation.
Il faudrait que le motif économique invoqué par les entreprises soit contrôlé en amont par les administrations. Quand il est apprécié a posteriori parce que son caractère réel et sérieux est contesté devant la justice par les salariés, il est trop tard car la décision intervient des années après. Même si un dédommagement aura été obtenu, l’usine aura été fermée, le matériel envoyé en Bulgarie et les emplois auront été supprimés.
Je suis favorable à la proposition de loi de mon collègue et camarade Benjamin Lucas et à la mise en place d’un contrôle réel du motif économique des licenciements.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). On connaît le mythe fondateur de la Macronie : facilitez les licenciements et l’embauche se fera magiquement. En réalité, comme nous le voyons depuis une décennie, plus les licenciements sont facilités, plus ils sont nombreux. En témoigne le bilan d’Emmanuel Macron.
Mme Annie Vidal (EPR). C’est faux !
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). C’est vrai, les données de France Travail le montrent. Il y avait 6,1 millions demandeurs d’emplois inscrits quand il a été nommé ministre de l’économie, il y en a 6,3 millions aujourd’hui, soit 200 000 chômeurs en plus. Pendant cette même décennie, les États-Unis ont racheté 1 570 entreprises françaises. Si c’est votre définition de la réussite, voilà qui donne encore plus envie de vous mettre dehors ! J’aimerais que certaines et certains d’entre vous se rendent aux piquets de grève devant les sites de Thales ou Airbus pour expliquer que tout va bien en France. L’industrie de notre pays est démantelée et nous voterons avec enthousiasme cette proposition de loi de nos collègues qui offre des solutions face à la nécessité de bloquer les licenciements boursiers.
M. le rapporteur. Les remarques de plusieurs d’entre vous sur le titre me vont droit au cœur car elles traduisent une préoccupation pour l’esthétique de ma proposition de loi. Si j’ai choisi les termes de « licenciements boursiers », c’est que des entreprises rattachées à des groupes cotés en Bourse procèdent de manière massive à des licenciements dans des logiques purement spéculatives. C’est une réalité qui s’impose à tous. Les nombreux exemples qui ont été cités le montrent.
Je répondrai aux orateurs dans le désordre, sans prétendre à l’exhaustivité.
Monsieur Monnet, je suis le premier à considérer que ce texte n’est qu’un point de départ pour faire plus et mieux. C’est la raison pour laquelle, avec nos collègues du Nouveau Front populaire, nous devons consacrer toute notre énergie à accéder rapidement aux responsabilités pour faire œuvre utile pour le pays, l’intérêt général et nos entreprises.
Je veux dire à notre collègue du Rassemblement national qu’il s’est trompé de client. Je n’ai pas besoin de me racheter une bonne conscience car, même si j’étais très jeune, j’ai fait partie de ceux qui, à gauche, ont refusé le traité constitutionnel européen en 2005, notamment parce qu’il traduisait une obsession pour la concurrence dite libre et non faussée et pour la dérégulation ainsi qu’une acceptation de la mondialisation libérale. J’ai combattu, à la place qui était la mienne, certaines dérives du quinquennat de François Hollande comme les cadeaux aux grandes entreprises sans contrepartie. Et je sais que ces critiques sont partagées par certains collègues socialistes qui se sont livrés à un inventaire de la politique de l’offre qui a commencé à être appliquée à cette époque-là. Monsieur Dussausaye, entre 2005 et 2015, votre parti politique était quant à lui enfermé dans un programme ultralibéral : la dérégulation de l’économie, c’est vous qui la défendiez et nous qui la combattions. C’est donc plutôt vous qui aurez intérêt à vous racheter une bonne conscience.
Dans vos propos, cher Jean-René Cazeneuve, il y a à boire et à manger. Vous affirmez, de façon caricaturale et un peu facile, que nous n’aimons pas l’entreprise. C’est totalement absurde, c’est comme si je vous disais « vous n’aimez pas la pluie » ou « vous n’aimez pas le soleil ». J’adore les entreprises parce que j’adore les salariés, qui contribuent à créer de la valeur, à donner de la force industrielle et économique à notre pays et à nous en rendre fiers.
M. Didier Le Gac (EPR). Vous n’aimez pas les patrons.
M. le rapporteur. J’aime aussi les patrons monsieur Le Gac, quand ils créent des emplois, quand, au sein de leurs entreprises, ils partagent les richesses et explorent de nouvelles formes de gouvernance et quand ils sont vertueux d’un point de vue environnemental et social. J’aime nos entreprises quand elles investissent, qu’elles font vivre des territoires, qu’elles se développent. J’aime La Fonderie de Bretagne, citée par mon collègue Damien Girard, et son modèle vertueux qui montre que nous sommes capables d’être une grande nation en matière de production automobile. Si je ne vous connaissais pas, cher Jean-René Cazeneuve, je pourrais voir dans vos déclarations une forme d’insensibilité au sort des salariés déjà frappés et de ceux qui subiront la destruction de milliers d’emplois.
Vous reprochez à ma proposition de loi d’avoir un côté vintage. Je l’assume car de manière générale, je suis assez nostalgique, notamment de l’époque où l’État – pardon pour ce gros mot – assumait sa volonté de protéger les emplois et l’industrie. En ces temps de retour des impérialismes et de montée des guerres commerciales, il est extrêmement moderne de croire dans l’État stratège et dans les leviers qu’il peut actionner avec les collectivités locales pour influer sur la politique économique, sur la politique industrielle au nom de l’intérêt général et de notre souveraineté. D’un point de vue politique, je suis aussi nostalgique de l’époque où la distinction entre la gauche et la droite était claire. Et ce matin, nous voyons bien qu’il y a, d’un côté, une gauche et, de l’autre, une droite. Je ne vous ferai pas reproche, monsieur Cazeneuve, d’incarner ce que celle-ci a toujours été, notamment lorsque vous défendez, en toute transparence et je vous en remercie, le bilan d’Emmanuel Macron, rien que le bilan d’Emmanuel Macron, tout le bilan d’Emmanuel Macron.
J’estime qu’il faut mettre fin au laxisme fiscal à l’égard des grands groupes et à la débauche d’argent public en leur faveur alors même qu’ils licencient tout en faisant des bénéfices. Je rejoins mon collègue Clouet. Je ne crois pas que faciliter les licenciements favorise la création d’emplois, pas plus que faciliter les divorces ne favorise les mariages. Il est parfois bon de se sentir liés sur le long terme – je me suis marié récemment.
Je passerai rapidement sur l’idée exprimée par certains selon laquelle nous voudrions punir les entreprises. Pardon, mais je ne considère pas comme une sanction le fait de leur demander de rembourser les aides qu’elles ont perçues lorsqu’elles procèdent à des licenciements tout en faisant des bénéfices. Je ne suis pas opposé aux aides aux entreprises car, je le répète, j’estime important qu’un État stratège accompagne l’industrie dans ses mutations. L’argent public doit servir à préserver nos industries et nos emplois et à soutenir notre économie. Simplement, pour reprendre la formule d’un penseur bien connu : « Tu casses, tu répares » ; donc : « Tu licencies, tu payes et tu rembourses l’argent qui t’a été versé. »
À l’heure où – et je parle sous le contrôle de Jean-René Cazeneuve, qui a exercé l’éminente fonction de rapporteur général de la commission des finances – l’argent public se fait rare, d’autant que vous ne voulez pas aller chercher des recettes supplémentaires, et où les déficits publics ont atteint les niveaux que nous connaissons, compte tenu de l’état lamentable dont lequel vous avez laissé les finances publiques, il me semble qu’il est juste d’exiger qu’un bon usage des deniers publics soit fait. Quand une entreprise n’a pas rempli le contrat moral qu’elle a passé avec la nation, quand elle n’a pas été à la hauteur de l’effort consenti par les contribuables, qu’elle rembourse l’argent public me semble la moindre des choses.
Monsieur Di Filippo, je vous ai entendu pas plus tard que la semaine dernière, au sein de cette même commission des affaires sociales, affirmer au sujet des allocataires de minima sociaux et des bénéficiaires de prestations sociales qu’à des droits devaient correspondre des devoirs. C’est cette philosophie-là que je vous propose d’appliquer ici : aux droits qu’ont les entreprises de prétendre à cet argent public pour développer leurs activités, doivent correspondre des devoirs, notamment celui d’en faire un bon usage.
Enfin, monsieur Bazin, je ne crois pas qu’un membre du groupe Écologiste et Social ait jamais été à Matignon ou à l’Élysée et je trouve curieux de nous faire le reproche, à nous, du désastre industriel de ce pays, vous qui, avec vos amis, n’avez été capables ni de protéger les emplois industriels ni de penser aux mutations à venir. À l’heure du péril climatique, ce sont ces changements qu’il faut engager si nous voulons avoir une industrie puissante. Votre déni face aux évolutions du monde et votre obsession pour les normes environnementales me paraissent problématiques. Si nous nous contentons de cette attitude, nous irons droit dans le mur et nous ne pourrons pas avoir une industrie performante.
Article 1er : Appliquer les dispositions relatives à la recherche d’un repreneur dans l’hypothèse d’une fermeture d’établissement aux entreprises employant au moins deux cent cinquante salariés
Amendement AS3 de M. Yannick Monnet
M. Yannick Monnet (GDR). Cet amendement vise à remplacer les mots « licenciement collectif » par les mots « réduction d’effectifs ». Cela permettra d’enclencher le dispositif prévu dans la loi « Florange » en cas d’accords de rupture conventionnelle collective également.
Je dois dire que je suis un peu déçu par la nature de notre discussion, et j’aimerais qu’on arrête avec les caricatures. Nous pouvons avoir des points de désaccord mais nous ne saurions nous exonérer de la nécessité de mener un débat sur la politique de l’emploi et sur la politique d’industrialisation de la France. Le besoin s’en fait sentir et la proposition de loi arrive à point nommé. Alors que trois cents plans de licenciement sont prévus, nous venons de discuter, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale de 80 milliards d’euros d’exonérations pour les entreprises. Il est indispensable de se poser la question de savoir si une entreprise ayant une bonne viabilité économique peut licencier. Que chacun assume ses positions. Nous, à gauche, nous refusons qu’une entreprise se portant bien licencie, surtout lorsqu’elle a perçu des aides publiques.
M. le rapporteur. Votre proposition, cher collègue, si je la comprends, suscite des réserves de ma part. Cette possibilité échappe au champ d’application du texte et n’a pas été abordée lors de nos travaux préparatoires. La solution que vous proposez constituerait un changement significatif sur le plan juridique et je considère qu’elle devrait faire l’objet d’une discussion avec les partenaires sociaux, largement associés à l’élaboration de cette proposition de loi.
Sur la nécessité de faire évoluer la loi « Florange », en revanche, je vous rejoins. L’amendement AS1 du groupe Écologiste et Social propose qu’une réflexion soit entamée sur cette question et j’inviterai les membres de la commission à lui réserver un accueil favorable.
En soumettant les entreprises de plus de deux cent cinquante salariés à l’obligation de rechercher un repreneur, l’article 1er apporte déjà un changement important qui nous paraît justifié dans la mesure où la grande majorité des plans de sauvegarde de l’emploi, 89 % pour être précis, sont mis en œuvre dans des structures de moins de mille salariés. Il me paraît donc pertinent de nous en tenir là.
Par ailleurs, il n’est pas évident que les mots « réduction d’effectifs », qui ne figurent pas dans la partie législative du code du travail, soient suffisamment précis pour traduire l’intention qui sous-tend votre amendement.
Je vous invite à le retirer ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. Yannick Monnet (GDR). Lors de la préparation de notre proposition de loi visant à encadrer le recours au licenciement économique et à interdire les licenciements dits boursiers, déposée en décembre dernier, nous avons rencontré les organisations syndicales et les amendements que nous proposons sont aussi le fruit des discussions que nous avons eues avec elles. Je ne retirerai donc pas cet amendement AS3.
M. Arthur Delaporte (SOC). On peut comprendre cette volonté de mener une réflexion à la fois sur le seuil et sur le périmètre.
M. Lucas-Lundy, que j’affectionne, semble dire que les socialistes ont fait n’importe quoi jusqu’en 2017 ; mais rappelons que l’article 1er de sa proposition de loi vise à modifier la loi « Florange », avancée permise par les socialistes à un moment où lui-même appartenait au Parti socialiste.
M. Philippe Vigier (Dem). En effet, monsieur Monnet, cet enjeu mérite des débats un peu plus sereins, apaisés et respectueux, d’autant qu’à l’exception des Insoumis, toutes les forces politiques présentes ont été au pouvoir ces vingt dernières années.
Il me semble pertinent de prendre en compte la réduction d’effectifs. Un plan de licenciements collectifs peut être déclenché pour moins de neuf salariés, et certaines entreprises, j’ai pu le constater, procèdent par paquets de huit, ce qui tend à masquer la réalité des choses. Je serai donc favorable à cet amendement.
Enfin, je trouve qu’on ne parle pas suffisamment du délit d’entrave. Les élus sont prévenus après tout le monde alors que, s’ils étaient informés plus tôt, ils pourraient s’attacher à trouver des pistes.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Nous estimons qu’une réflexion doit être menée sur ce qu’évoque notre collègue Monnet. Les mots tendent à perdre leur sens dans le domaine du droit social et il importe de chercher à appliquer des dispositifs adaptés aux situations réelles. Les plans de licenciements sont désignés sous les termes de « plans sociaux » alors même qu’ils n’ont rien de social et qu’ils répondent à une démarche bien planifiée. Les ruptures conventionnelles collectives, elles, viennent se substituer dans certains cas aux licenciements collectifs. Les gens sont alors jetés comme des Kleenex sans que les employeurs fassent l’objet d’obligations de reclassement. Il faut trouver une solution collective pour mettre fin à ces pratiques, en particulier dans les grands groupes.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS21 de M. Benjamin Lucas-Lundy
M. le rapporteur. Monsieur Delaporte, je n’ai pas dit que tout ce que nous avons fait lorsque nous étions au pouvoir était à jeter. En tant que président des Jeunes socialistes, j’ai même soutenu certaines dispositions, notamment la loi « Florange ». Simplement, je considère qu’un devoir d’inventaire s’impose à la gauche, attachée qu’elle est à la démocratie.
L’amendement AS21 tend à éviter les effets de bord indésirables. La rédaction actuelle exclurait en effet de l’assujettissement à l’obligation de rechercher un repreneur en cas de fermeture d’un établissement des entreprises qui y sont aujourd’hui soumises.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’amendement AS4 de Mme Karine Lebon tombe.
La commission adopte l’article 1er modifié.
Après l’article 1er
Amendement AS5 de M. Emmanuel Fernandes
M. Emmanuel Fernandes (LFI-NFP). Cet amendement reprend des éléments de la proposition de loi visant à mettre fin aux licenciements économiques abusifs dans les grandes entreprises déposée en décembre 2024 par notre présidente de groupe, Mathilde Panot. La France subit un plan social national de grande envergure à travers un nombre très élevé de défaillances d’entreprises : 66 420 en 2024, soit 16,8 % de plus qu’en 2023, année où les aides publiques aux entreprises ont atteint 203,2 milliards d’euros. Les femmes et les hommes qui travaillent, qui produisent les richesses ne sauraient être considérés comme des variables d’ajustement, comme des éléments accessoires. Il est d’autant plus insupportable que des vies soient sacrifiées sur l’autel de la maximisation des marges et des profits, que des familles entières soient brisées, lorsqu’il s’agit d’entreprises qui gavent leurs actionnaires tout en touchant de l’argent public.
Nous proposons que le licenciement pour motif économique soit considéré comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse quand l’entreprise qui y procède a distribué des dividendes, des actions gratuites ou stock-options, a réalisé un résultat net positif ou bien bénéficié d’allégements généraux de cotisations sociales ou du CIR.
M. le rapporteur. Vous savez qu’il revient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux d’un licenciement pour motif économique. En réservant une place particulière dans la loi à certains cas limitativement énumérés, nous nous exposerions au risque d’interprétations a contrario. Une fois la réforme passée, quelle valeur et quelle validité auraient les motifs dépourvus de base légale ? Mieux vaut laisser au juge son pouvoir d’appréciation au cas par cas plutôt que de figer les choses dans la loi, ce qui pourrait pénaliser excessivement les entreprises et leurs salariés.
Par ailleurs, l’article 4 de la proposition de loi introduit dans le code du travail un article destiné à organiser le remboursement par les entreprises mettant en œuvre un PSE des sommes perçues au titre de la réduction générale de cotisations et contributions patronales et du crédit d’impôt recherche.
Il serait paradoxal, et pour le moins difficilement intelligible, que soient inscrits dans le même texte deux dispositifs incompatibles : le licenciement décidé par une entreprise ayant bénéficié d’aides publiques serait selon l’article 4 admis, dès lors que les sommes reçues seraient remboursées, tandis qu’aux termes de l’article additionnel que vous proposez, il serait considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement pour que nous puissions, d’ici à l’examen en séance, le retravailler ensemble.
L’amendement est retiré.
Amendement AS1 de M. Damien Girard
M. Damien Girard (EcoS). Nous proposons que le Gouvernement remette un rapport au Parlement pour évaluer l’intérêt, d’une part, d’une révision des modalités d’information et de consultation du CSE dans le cadre d’un projet d’un licenciement collectif, et, d’autre part, des dispositions encadrant la recherche d’un repreneur dans l’hypothèse d’une fermeture d’établissement.
Le délai de deux à quatre mois laissé par la loi « Florange » aux entreprises soumises à l’obligation de rechercher un repreneur est souvent trop court. La plupart du temps, la recherche du repreneur est menée en même temps qu’est négocié le PSE, ce qui réduit les chances de succès. Ce sujet complexe mérite réflexion. Il faut savoir où placer le curseur.
M. le rapporteur. Selon les organisations syndicales, le délai dans lequel s’effectue la recherche d’un repreneur lorsque l’entreprise envisage la fermeture d’un établissement apparaît trop bref au regard de la complexité et de la lourdeur du processus. S’il n’y a sans doute pas de solution miracle en la matière, il n’en reste pas moins pertinent de réfléchir aux améliorations à apporter à la législation pour que la recherche d’un repreneur trouve, plus souvent qu’aujourd’hui, un dénouement positif.
Il me semble bon, par ailleurs, que soit conduite une réflexion sur le rôle et les prérogatives du CSE à l’occasion de la mise en œuvre d’un projet de licenciement collectif et que soient envisagées des évolutions susceptibles de donner plus de poids aux représentants du personnel lorsque l’entreprise établit et met en œuvre un PSE.
Avis favorable.
M. François Ruffin (EcoS). Je voterai pour cet amendement mais j’aimerais revenir sur vos propos, monsieur le rapporteur. Vous affirmez qu’il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux d’un licenciement pour motif économique : je ne suis pas d’accord. Le jugement intervient trop tard : il n’y a plus qu’à passer la serpillière.
Prenons des exemples. Le groupe Continental a détruit l’usine de Compiègne en 2009 mais le jugement n’a eu lieu que six ans plus tard, en 2015. Pour absence de justification économique des licenciements et défaut de reclassement, il a été condamné à verser aux anciens salariés 11 millions d’euros d’indemnités mais cela n’a rien changé au fait qu’ils ont perdu leur emploi et que treize d’entre eux se sont suicidés. Toujours dans notre région, monsieur le rapporteur, l’usine Whirlpool d’Amiens a fermé en 2017 : 279 salariés ont porté plainte et le tribunal administratif d’Amiens a reconnu l’absence de motif économique du licenciement. Citons encore les usines Molex à Toulouse, Michelin à Joué-lès-Tours, Plysorol à Lisieux, Matra à Romorantin : la justice, là encore, a reconnu l’absence de motif économique mais les usines ont fermé, les emplois n’existent plus et les familles vont très mal.
M. Philippe Vigier (Dem). Autant mon opposition à ce texte est frontale car j’estime qu’il risque de rigidifier les procédures, autant j’estime que cet amendement ne va pas assez loin en se contentant de demander un rapport. Quatre mois pour retrouver un repreneur, c’est trop court. On ne parle jamais du fait que les collectivités se retrouvent face à des bâtiments vides pendant des années. Cela a été le cas dans ma circonscription après la fermeture de l’usine de fils de suture du groupe Ethicon, qui a préféré délocaliser son activité au Brésil : que faire de salles blanches pendant trois ans ? Si nous voulons vraiment aider les entreprises à trouver un repreneur, il faut allonger les délais qui leur sont laissés.
M. Damien Girard (EcoS). Les échanges que nous avons eus avec les organisations syndicales montrent que déterminer la bonne durée n’a rien d’évident. Nous suggérons donc de prendre le temps pour trouver le délai pertinent : comment être efficaces sans rigidifier le processus ?
Mme Cyrielle Chatelain (EcoS). Monsieur Vigier, comme vous, j’estime qu’un délai de quatre mois est insuffisant. En Isère, si un repreneur n’est pas trouvé et si l’État n’intervient pas pour nationaliser temporairement l’entreprise, ce sont 120 hectares d’une plateforme industrielle potentiellement pollués au mercure qui risquent d’être laissés à l’abandon. Il faut adopter cet amendement et dans le même mouvement voter les dispositions qui permettent au CSE de se donner le temps de trouver un repreneur.
M. le rapporteur. Monsieur Ruffin, j’ai le souci de garantir la constitutionnalité du texte : je suis favorable à une révision de la Constitution mais je m’adapte aux contraintes.
Comme vous, je constate la lenteur de la justice ; il faut lui consacrer davantage de moyens pour ne pas attendre aussi longtemps des décisions aux conséquences déterminantes pour les emplois, l’industrie et les salariés concernés. Parce que je crois nécessaire d’y investir massivement, je soutiens la motion de censure que nous examinerons cet après-midi.
La commission rejette l’amendement.
Article 2 : Confier au comité social et économique le soin d’approuver le document élaboré par l’employeur aux fins de mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi
Amendement de suppression AS6 de M. Gaëtan Dussausaye
M. Gaëtan Dussausaye (RN). L’article 2 tend à donner un droit de veto au CSE. Cela risque de retarder le déploiement du PSE alors que l’attente est difficile pour les employés. Il y a déjà des concertations ; tout ne se fait pas à la va-vite : la plupart des chefs d’entreprise font ce travail, même lorsque la loi ne le leur impose pas. De plus, les autorités administratives et l’État prennent part aux discussions. Le présent amendement vise donc à supprimer l’article 2.
M. le rapporteur. L’article 2 tend à donner du pouvoir aux salariés, à octroyer du temps au collectif pour créer un rapport de force et négocier. Je sais que le Rassemblement national n’a pas coutume de se tenir aux côtés des salariés dans les luttes sociales : celles-ci nécessitent du temps. Il faut se donner les moyens d’inverser le cours des choses. Le dispositif est perfectible mais il est indispensable, notamment pour protéger nos emplois. Nous l’avons élaboré avec les organisations syndicales : je sais que ces dernières vous posent un problème mais moi, je crois au dialogue social.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Nous sommes défavorables au texte mais nous n’avons pas déposé d’amendements de suppression afin que le débat ait lieu.
Je condamne la duplicité du groupe Rassemblement National : de même que ses membres sont favorables à la censure le matin mais s’y opposent l’après-midi, ils soutiennent les entreprises le matin mais plus l’après-midi. Ainsi, ils viennent de voter l’article 1er, qui « tape » sur les entreprises de deux cent cinquante à mille salariés.
Je ne comprends pas pourquoi on stigmatise en permanence les grandes entreprises : par définition, ce sont elles qui ont le plus embauché – vous devriez les féliciter et les remercier. Notre pays se porterait beaucoup mieux s’il comptait plus de grandes entreprises et d’ETI.
Nous ne soutenons pas cet amendement.
M. François Ruffin (EcoS). Les membres du Rassemblement national dévoilent leur politique économique. L’article 2 tend à donner davantage de pouvoir au CSE afin d’augmenter le poids des salariés face à celui de l’argent lorsqu’il s’agit de supprimer des postes.
L’entreprise Watts est située dans la circonscription de Matthias Renault, membre du groupe Rassemblement National. Douée des pleins pouvoirs, la finance a décidé du jour au lendemain de la supprimer en six mois, tandis que les salariés et les syndicats, l’État même, sont condamnés à l’impuissance.
Certes, pour la plupart des chefs d’entreprise, licencier est un crève-cœur ; mais lorsque les actionnaires voient dans un tableau Excel qu’ils y gagneront 1 % de marge de manœuvre, ils le font. C’est ce qui se passe chez Watts. En demandant la suppression de l’article, donc en refusant le rééquilibrage des pouvoirs, vous choisissez de laisser les pleins pouvoirs à la finance.
M. Emmanuel Fernandes (LFI-NFP). Le Rassemblement national n’aime la démocratie nulle part, pas davantage dans l’entreprise qu’ailleurs. Dans ma circonscription du Bas-Rhin, le dispositif prévu à l’article 2 aurait pu sauver l’entreprise Clestra, qui compte 125 salariés. Il fallait choisir entre deux repreneurs. Celui qui a été retenu, contre l’avis du CSE, était véreux : il s’est contenté de récupérer les brevets. Un an plus tard, le site a fermé, entraînant la suppression de 125 emplois et mettant à la poubelle 110 années de savoir-faire.
Les employés de l’usine Novares de votre circonscription, monsieur Dussausaye, ont débrayé par solidarité avec ceux du site d’Ostwald, proche de ma circonscription : celui-ci va fermer, parce que le groupe automobile Stellantis a décidé de passer ses commandes dans les pays de l’Est, laissant encore plus de 120 salariés sur le carreau. Vous devriez aller plus souvent dans les entreprises de votre circonscription pour mieux percevoir ce que peut apporter la démocratie sociale.
M. Fabien Di Filippo (DR). Les masques tombent : le rapporteur a employé les termes « rapport de force » et « lutte », dont la grande violence révèle sa conception de l’entreprise. De tels discours enferment les gens dans une logique d’affrontement, alors que le droit du travail français protège largement les salariés. Le présent article a été rédigé avec de très mauvaises intentions ; comme le reste du texte, il mérite d’être supprimé. Nous voterons cet amendement.
Mme Cyrielle Chatelain (EcoS). Quand une usine annonce un plan de licenciements qui concerne 100, 200, parfois 600 personnes, les salariés et les syndicats entrent en lutte – le terme est approprié. Le rôle de la loi consiste à rééquilibrer le rapport de force entre l’employeur qui décide de licencier, parfois brutalement et sans autre fondement que de servir des intérêts de court terme, et les salariés, qui se battent pour préserver leur emploi, nos compétences et l’industrie installée en France. Ne pas comprendre cela, c’est ne pas comprendre ce qui se passe lorsqu’un PSE est établi. Le présent article est essentiel aussi parce qu’il permettrait aux syndicats et aux salariés d’obtenir, grâce à l’analyse des propositions de reprise, des informations indispensables pour gagner le combat pour une juste rémunération ou pour sauvegarder l’emploi. Pour y parvenir, le temps est précieux.
M. Arthur Delaporte (SOC). Le présent amendement vise à supprimer l’un des dispositifs intéressants du texte. Des améliorations sont possibles, mais il faut se demander dans quelle mesure le CSE peut s’opposer à une cession brutale ou à un plan de licenciements massif ; or cela revient à poser la question du pouvoir dont disposent les représentants des salariés. J’ai évoqué l’usine Bosch de Mondeville. On propose au CSE deux repreneurs, mais aucun n’est sérieux : il faut soit laisser du temps, soit leur donner la capacité de s’opposer au plus vorace des deux. En effet, l’offre la plus intéressante pour la direction est aussi parfois la plus préjudiciable à long terme pour le site. L’intérêt des salariés est primordial.
M. Philippe Vigier (Dem). Il s’agit de définir les conditions d’une possible reprise ; or le veto suspensif ajouterait des difficultés et risquerait de provoquer un blocage. Une fois de plus, je regrette que ce texte aborde les questions de manière dogmatique. En cas de PSE, tout le monde se réunit autour de la table : la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets), la préfecture et les collectivités, qui sont sollicitées d’une façon ou d’une autre. Donc les salariés sont accompagnés. En retardant la décision, vous fragilisez encore les outils et les locaux qui les abritent, diminuant les chances de reprise.
M. Damien Girard (EcoS). Selon l’exposé sommaire de l’amendement, « plutôt que de multiplier les freins, il faut donner aux entreprises plus de flexibilité pour s’adapter aux défis économiques et protéger durablement les emplois ». Les masques tombent : ce n’est rien d’autre que le discours du libéralisme pur sucre à l’œuvre depuis des années ; on en mesure aujourd’hui les effets, notamment sur l’emploi. Les salariés, en particulier leurs représentants élus pour siéger au CSE, sont les meilleurs experts de l’entreprise. Tous ceux qui les ont rencontrés, qui ont travaillé dans les entreprises et été représentants syndicaux le savent bien. Ce sont eux qui défendent le mieux la pérennité de l’entreprise, car il y va de leurs emplois. Il ne faut pas supprimer l’article.
M. Christophe Naegelen (LIOT). Nous sommes plutôt favorables au texte même s’il faut encore l’améliorer ; toutefois je ne soutiens pas l’article 2. M. le rapporteur l’a dit lui‑même : il faut avant tout discuter, or il est question non de discussion, mais d’un droit de veto sec. La Dreets est présente dans les concertations ; puisqu’elle ne défend pas d’intérêt propre, elle est la plus objective : il serait beaucoup plus pertinent d’élargir ses pouvoirs. Il faut arrêter de penser que les entreprises décident de gaieté de cœur de licencier ou de recourir à un plan de sauvegarde de l’emploi.
Si le présent amendement n’était pas adopté, je soutiendrais l’amendement AS18 qui prévoit que le veto ne pourrait s’appliquer que pendant quinze jours.
M. Thomas Ménagé (RN). Les membres du Nouveau Front populaire (NFP) et du bloc central tiennent sur le Rassemblement national des propos caricaturaux et pleins de morgue. Le projet de Marine Le Pen et de Jordan Bardella défend la liberté d’entreprendre tout en protégeant les salariés. Les Français s’expriment dans les urnes. En 2022, 2 % des ouvriers ont voté pour le candidat Jadot, contre 42 % pour Marine Le Pen : ils voient qui les défend. Aux élections européennes de 2024, 34 % des chefs d’entreprise ont voté pour le Rassemblement national, contre 17 % pour la liste du groupe Ensemble pour la République. En effet, monsieur Cazeneuve, vous ne défendez pas les entreprises : vous alourdissez les normes et les charges – votre projet de budget le montre. Le bloc central et le NFP sont alliés pour tuer l’économie et les emplois. Les Français qui travaillent et qui se lèvent tôt ont bien compris que seul le Rassemblement national les protège.
M. le rapporteur. Je ne comprends pas que l’article 2, banalement social-démocrate, suscite un tel émoi. Il tend à favoriser le dialogue social et le compromis. Vous dites qu’un chef d’entreprise ne licencie pas de gaîté de cœur ; mais ce n’est pas non plus de gaieté de cœur que les salariés bloqueront un PSE. Leur donner un droit de veto ne vise qu’à laisser du temps pour revoir la copie et trouver les meilleures solutions. Bossuet écrivait que Dieu se rit des hommes qui déplorent des effets dont ils chérissent les causes : les membres du Rassemblement national soutiennent la flexibilité, puis ils versent des larmes de crocodile sur la désindustrialisation et la casse des emplois – on ne peut pas à la fois être néolibéral et prétendre défendre les salariés et lutter contre les licenciements massifs.
Monsieur Di Filippo, un droit de veto qui permet la négociation n’est pas violent. Quant à la lutte sociale, elle est consacrée dans la Constitution, qui prévoit le droit de grève – le général de Gaulle n’était pas adhérent du NFP. Ce qui est violent, brutal, ce sont les décisions économiques absurdes qui vont dévaster trois cents familles liées à La Fonderie de Bretagne.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS18 de M. Jean-René Cazeneuve, sous-amendements AS29 et AS28 de M. Arthur Delaporte
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). L’amendement AS18 tend à dévitaliser l’article 2. En dix ans, le nombre de PSE a été divisé par deux : quand on déploie une politique pro‑business, qu’on donne aux entreprises les moyens d’investir, le chômage baisse, comme le nombre de PSE. Le processus est très protecteur, c’est tant mieux, mais il ne faudrait pas le rigidifier encore. Les délais sont longs : avec les obligations d’information et de consultation et le processus de validation, un PSE peut prendre plus d’un an. Pour l’entreprise, le coût, qui comprend les indemnités de licenciement, le reclassement obligatoire et un accompagnement social, est colossal. C’est normal, mais on ne peut pas dire que les entreprises y recourent pour satisfaire leurs actionnaires : il faut qu’elles y soient contraintes.
M. Arthur Delaporte (SOC). L’adoption de l’amendement AS18 rendrait le dispositif inapplicable : il prévoit que, pour suspendre le plan de sauvegarde, le CSE doit le rejeter unanimement, mais l’unanimité est difficile à obtenir. Le sous-amendement AS29 vise donc à supprimer le terme « unanimement », pour qu’une simple majorité suffise. Le sous‑amendement AS28 vise à porter à deux mois au lieu de quinze jours la durée maximale du droit de veto suspensif : s’il s’agit de trouver un repreneur, c’est trop peu. Sans possibilité d’application, l’amendement est bidon. J’ai déposé ces sous-amendements en urgence ; si l’amendement était adopté, il faudrait améliorer leur rédaction en vue de l’examen en séance publique.
M. le rapporteur. Sans émettre un avis favorable sur un amendement qui vise à dévitaliser le texte, je vais essayer de trouver une position commune. Vous voulez éviter que le rejet du PSE aboutisse à un blocage. De notre côté, nous travaillons à élaborer une solution équilibrée, à même de protéger les salariés sans empêcher l’employeur de licencier pour motif économique.
Votre amendement restreint presque entièrement la portée du dispositif et sa forme soulève plusieurs difficultés. Je vous propose de le retirer au profit de l’amendement AS22, que je défendrai dans un instant, et de travailler avec M. Delaporte et moi à la rédaction d’une solution équilibrée d’ici à l’examen en séance publique.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). À vous lire et à vous entendre, monsieur Cazeneuve, les bras me tombent. Vous êtes bien placé pour savoir que les PSE ne protègent pas les salariés : l’an passé, dans votre propre circonscription, à Auch, la clinique de Gascogne a été liquidée ; le plan a duré dix jours. Les salariés ont été payés avec des semaines de retard. Il y a eu zéro écoute, aucune discussion, et la clef a été mise sous la porte en quelques semaines. Non seulement vous nous dites que cela n’existe pas, mais vous voulez le rendre possible pour tous les salariés du pays. Vous voulez requérir l’unanimité du CSE pour suspendre le PSE : il suffirait d’une personne pour liquider tout le travail collectif – je ne suis pas d’accord !
M. François Ruffin (EcoS). On ne peut pas dire qu’un plan social protège les salariés. Quand la nouvelle tombe, c’est un couperet : il semble aux salariés que la vie s’arrête. Pendant des décennies, ils se sont consacrés à leur entreprise ; ils y sont arrivés tôt le matin, parfois ils lui ont donné leurs week-ends, et on leur dit stop, pour des raisons souvent injustifiées – non des contraintes économiques mais la possibilité de faire plus de profits. Que cela vous plaise ou non, un seul camp dispose des pleins pouvoirs ; en face, le camp du travail est écrasé. Un droit de veto aurait pour effet de pouvoir retarder la décision, donc de mettre la pression sur les dirigeants de l’entreprise, afin qu’ils cherchent une solution de reprise réelle. En effet, bien souvent, ils veulent que le marché ne soit pas récupéré.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Il y a une erreur d’interprétation : l’unanimité du CSE permettrait d’adopter le PSE.
S’agissant de la clinique de Gascogne, l’établissement a été placé en redressement judiciaire en 2022 et la liquidation a eu lieu plus d’un an après – cela ne s’est pas fait en quinze jours. Pendant de nombreuses années, il avait bénéficié d’un plan d’accompagnement de l’État et de l’agence régionale de santé, que j’avais soutenu parce que le territoire avait besoin de cette offre médicale. Cette clinique privée a fermé car elle n’était pas rentable, malgré l’aide de l’État : vous nous reprochez souvent le soutien de l’État au privé mais, quand il ne lui a plus été possible de continuer à l’aider, nous nous sommes retrouvés dans la situation que je viens de dire. Les entreprises ne recourent au PSE qu’en dernière solution.
M. le rapporteur. Les sous-amendements tendent à dévitaliser l’amendement, qui lui-même dévitaliserait la proposition de loi.
Monsieur Cazeneuve, pour obtenir l’unanimité, il faudrait que l’employeur vote le veto – cela n’arrivera jamais. Si nous adoptions votre amendement, la disposition n’aurait plus de sens.
Heureusement qu’un PSE prend du temps : on ne peut pas supprimer des emplois, abîmer des territoires et détruire des vies sans délai. L’article tend à donner du temps au dialogue social, du temps aux salariés pour se retourner – je l’assume. Quand on apprend qu’on va perdre son emploi, qu’on rentre chez soi en se demandant comment on va nourrir sa famille, on prend un coup sur la tête : il faut du temps pour s’organiser. Toutes les entreprises n’ont pas d’organisation syndicale à même d’assumer la confrontation. Tout ce qui permet de laisser du temps, y compris pour trouver des repreneurs, est bon. Cela permet aussi à la puissance publique de jouer son rôle et aux élus d’avoir leur mot à dire et d’accompagner ces mutations, dont les effets sur les territoires et sur la vie de nos concitoyens sont considérables.
La commission rejette successivement les sous-amendements et adopte l’amendement.
En conséquence, l’amendement AS22 de M. Benjamin Lucas-Lundy tombe.
La commission adopte l’amendement AS23, de coordination, de M. Benjamin Lucas-Lundy.
Amendement AS11 de M. Emmanuel Fernandes
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Le premier budget de l’État n’est pas celui de l’éducation : c’est celui des aides accordées aux entreprises ; or cet argent est souvent jeté par les fenêtres. Auchan, qui appartient aux Mulliez, huitième fortune de France, a reçu en 2020 500 millions d’euros de CICE, a reversé 1 milliard aux actionnaires et a enchaîné avec un plan de licenciement. Michelin a perçu 65 millions d’aides et versé 1,4 milliard de dividendes avant de décider d’un plan de licenciements. On donne de l’argent à des entreprises pour qu’elles créent de l’emploi mais, loin d’en créer, elles en suppriment.
Le présent amendement tend à permettre au CSE de saisir le conseil de prud’hommes pour obtenir justice. J’ajoute que la véritable justice adviendra à l’Assemblée nationale, grâce à nous, lorsque nous exigerons que la perception d’aides publiques implique l’interdiction de verser de l’argent aux actionnaires ou de licencier des employés.
M. le rapporteur. Avis favorable.
Mme Élise Leboucher (LFI-NFP). Je soutiens l’amendement.
Dans ma circonscription, NTN Transmissions a annoncé la suppression de 127 postes. Or la responsable ressources humaines de la filière roumaine fait partie du conseil d’administration situé en Sarthe, alors que l’activité pourrait être délocalisée en Roumanie. Parallèlement, on prévoit que le rendement du dividende augmenterait, jusqu’à atteindre 20 % en 2027. En quoi le sacrifice des salariés français sous la pression des actionnaires représente‑t‑il une chance, monsieur Cazeneuve ? Pourquoi les salariés devraient-ils remercier les grands groupes ?
M. Michel Lauzzana (EPR). Lors de son audition au Sénat, le président-directeur général de Michelin a expliqué qu’il voulait bien augmenter les salaires mais que les activités industrielles du groupe en France n’étaient pas rentables : les bénéfices reposent seulement sur l’ingénierie, tandis que l’activité industrielle s’en va car nous sommes deux fois plus chers que l’Asie, par exemple. Les licenciements vont s’accélérer parce que les entreprises ne pourront pas tenir. Michelin a toujours été socialement engagé, mais nous avons mis des boulets aux pieds de nos industries – et nous allons continuer.
M. François Ruffin (EcoS). Je voterai cet amendement centriste du groupe des Insoumis. Nous avons débattu de savoir si le contrôle devait intervenir en amont des licenciements ou s’il fallait attendre la décision du juge, laquelle peut prendre des années. En prévoyant une procédure en référé, on laisse le juge décider tout en accélérant la procédure, mais en gelant les licenciements.
Les membres du groupe Rassemblement National ont contribué à vider la proposition de loi en votant avec les macronistes. Dans leur programme, les termes « syndicat », « CSE », « intérim », « stage », « CDD », « précarité » et « autoentrepreneur » n’apparaissent nulle part ; rien ne concerne la protection des salariés : tout comme le bloc central, ils font le choix du libéralisme économique.
M. Yannick Monnet (GDR). Quels boulets avons-nous mis aux pieds des entreprises ? Parlez-vous du financement de la sécurité sociale, de l’école, des hôpitaux ? Faire cotiser sur la richesse produite, c’est un système de solidarité. On peut être contre, mais moi je n’ai pas envie de vivre comme en Chine.
M. Gaëtan Dussausaye (RN). Je comprends le malaise de M. Ruffin sur ce sujet. Alors qu’une alternance était possible pour mener une autre politique, soucieuse du bien-être des ouvriers, de l’emploi en France et de l’industrie, vous avez choisi à plusieurs reprises de soutenir Emmanuel Macron – celui qui a dépossédé la France de tous ses atouts.
Ce fut le cas en 2017 : alors que l’une de ses propositions était de faire voter une loi travail « XXL », vous l’avez soutenu entre les deux tours. En 2024 vous avez été bien content que les macronistes vous renvoient l’ascenseur, puisqu’ils ont retiré leurs candidats pour sauver vos sièges.
Pour notre part, nous sommes toujours constants et toujours du côté des ouvriers.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle rejette l’article 2.
La réunion est suspendue de onze heures quinze à onze heures trente.
Article 3 : Augmenter le montant de la contribution due par les entreprises d’au moins mille salariés au titre de l’obligation de revitalisation des bassins d’emploi affectés par les licenciements collectifs
Amendement AS8 de M. Gaëtan Dussausaye
M. Gaëtan Dussausaye (RN). Cet amendement vise à concentrer l’effet de l’augmentation de la contribution financière de revitalisation sur les entreprises procédant à des délocalisations, plutôt que de pénaliser indistinctement toutes les entreprises françaises.
En séance, notre groupe déposera des amendements demandant des rapports sur le dispositif proposé à l’article 3, et notamment sur les conventions conclues dans le cadre de la revitalisation des bassins d’emploi.
M. le rapporteur. Avis défavorable.
Cela reviendrait à exclure de l’application de la mesure des entreprises qui, sans procéder à des délocalisations, font des bénéfices et ferment des établissements dans une logique purement boursière – ce que beaucoup de nos compatriotes n’acceptent pas, à juste titre.
Nous ne vous avons pas attendu pour combattre les délocalisations, mais tous les licenciements abusifs ne résultent pas de ces dernières.
M. Arthur Delaporte (SOC). En l’occurrence nous parlons de licenciements boursiers destinés à générer du cash, sans forcément qu’ils soient associés à une délocalisation.
Cet amendement vise tout simplement à préserver les entreprises qui s’engraissent sur le dos des travailleurs
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS13 de M. Emmanuel Fernandes
Mme Sandrine Nosbé (LFI-NFP). L’amendement prévoit que, lors de la cessation d’activité, l’exploitant d’un site industriel présente un plan de conversion du site, après avis conforme des organisations syndicales de salariés du site et du représentant de l’État dans le département.
La responsabilité des exploitants doit être élargie et un plan de reconversion écologique, économique et industrielle doit être proposé.
Contre l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’article 3 non modifié.
Article 4 : Imposer aux entreprises qui mettent en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi le remboursement de deux types d’aides publiques
Amendements AS17 de M. Jean-René Cazeneuve et AS10 de M. Gaëtan Dussausaye (discussion commune)
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Cet amendement a pour objet de ne pas pénaliser les entreprises qui réussissent et à limiter les abus flagrants.
On ne peut pas revenir sur les aides accordées aux entreprises. Contrairement à ce que l’on entend constamment, le versement de ces aides suppose des contreparties. Un crédit d’impôt ne peut être accordé que si l’on a engagé des dépenses. Une entreprise ne peut pas bénéficier du CIR si elle ne dispose pas d’un laboratoire de recherche et d’une équipe de chercheurs. Il en est de même pour le CICE, voté par la gauche.
On ne peut pas dire qu’il s’agit d’un cadeau aux entreprises – à moins de considérer que l’on en fait un si les prélèvements n’atteignent pas 100 %.
Même si l’on prend en compte les allégements qui sont accordés aux entreprises françaises, les prélèvements obligatoires qui pèsent sur elles atteignent un niveau record en Europe. C’est cela qui crée du chômage et vous aggraverez la situation en édictant des contraintes supplémentaires.
M. Gaëtan Dussausaye (RN). Mon amendement vise à s’assurer que cet article concernera seulement des entreprises qui font des bénéfices. Il s’agit de ne pas pénaliser celles qui font déjà face à des difficultés financières.
M. le rapporteur. Sur le modèle de ce qui est prévu pour l’obligation de contribuer financièrement à la revitalisation du bassin d’emploi affecté par un projet de licenciement collectif, mon amendement AS25 – dont nous discuterons plus loin – propose d’exclure du dispositif les entreprises qui, au moment de la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi, seraient en redressement ou en liquidation judiciaire.
Je suis donc favorable à un meilleur encadrement du dispositif proposé, mais son champ d’application ne doit pas être exagérément restreint car la mesure serait vidée d’une partie trop importante de sa substance.
On peut revenir sur les aides aux entreprises, monsieur Cazeneuve, car ces mesures peuvent faire l’objet d’un débat démocratique.
Sans remettre en cause le bien-fondé d’un accompagnement financier des entreprises par la puissance publique, il est légitime de veiller au bon usage des deniers publics – singulièrement lorsque le contexte nous invite à réduire le déficit public.
Avis défavorable.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). J’ai parfois le sentiment que les macronistes font du stand-up. Notre collègue Cazeneuve vient en effet de dire que le CIR ne bénéficie pas à des entreprises qui licencient des chercheurs.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Ce n’est pas ce que j’ai dit !
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Pourtant, j’ai une liste des entreprises qui l’ont fait : Sanofi – 3 500 emplois supprimés dans la R & D entre 2014 et 2023 –, Galderma – 539 emplois –, Ynsect – 38 –, Vencorex – 60 –, Dow Chemical – 130 –, Renault Trucks – 485 –, Michelin – 1 250 –, Valeo – 694 –, Dumarey – 248 –, Forvia – 110 – et Novares – 122.
J’invite M. Dussausaye à s’intéresser davantage à cette dernière entreprise, car elle est aussi implantée dans sa circonscription. Vous avez au moins un point commun avec la Macronie : vous ne savez pas quelles sont les entreprises qui bénéficient du CIR. C’est la raison pour laquelle vous faites n’importe quoi avec l’argent public. Ce crédit d’impôt doit être accordé sous une condition stricte : pas de licenciement de chercheurs.
M. François Ruffin (EcoS). Quand on a 1 000 milliards d’euros de déficit public et que l’on verse 200 milliards d’aides publiques aux entreprises, il est temps de revoir la philosophie qui nous guide.
Je dis depuis la mise en place du CICE que ce dernier devrait être accompagné par la règle des « trois C » : contreparties, ciblage et conditions. On ne peut pas jeter l’argent public par les fenêtres. Un contrôle sérieux est exercé sur la moindre association qui reçoit une subvention, mais ce n’est pas le cas pour les entreprises.
Cela fait quarante ans qu’on a choisi de ne plus protéger notre marché par des barrières douanières. Sans protections aux frontières de l’Union européenne ou de la France, l’industrie est cuite. C’est la raison majeure pour laquelle Michelin est à la peine face aux pneus asiatiques.
M. Arthur Delaporte (SOC). En l’espace de dix ans, Sanofi a réduit de 6 000 à 3 800 le nombre de ses chercheurs en France. Comme on lui verse 150 millions d’euros par an au titre du CIR, le coût par chercheur est d’à peu près 40 000 euros. Le CIR n’est pas assorti de véritables conditions, monsieur Cazeneuve, puisque les montants versés à Sanofi n’ont pas évolué en fonction du nombre de chercheurs employés.
Votre amendement propose de réserver l’application du dispositif aux entreprises ayant dégagé une marge opérationnelle courante à 80 % en France sur les trois derniers exercices fiscaux. C’est évidemment une vaste fumisterie, puisque ce taux est en moyenne de 13 % pour les entreprises du SBF120 – il est de 14 % pour Michelin et de 20 % pour Sanofi.
M. Yannick Monnet (GDR). Monsieur Cazeneuve, vous avez été rapporteur général de la commission des finances et, selon vous, il ne faut mettre aucune condition à la distribution de l’argent public. Je comprends mieux pourquoi notre déficit est abyssal...
Nous proposons de fixer des conditions précisément pour éviter d’avoir à en venir à demander des remboursements à des entreprises car elles ne respectent rien. Quand on donne de l’argent public, on exige des contreparties. C’est simplement une question de bonne gestion des deniers publics.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Je dis simplement que les aides versées aux entreprises sont par définition soumises à des conditions. Si vous n’avez aucune activité de recherche en France, vous ne pouvez pas bénéficier du CIR. Et si vous en faites deux fois plus, vous avez deux fois plus de CIR.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). C’est faux !
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). C’est mathématique : le CIR est un pourcentage de vos investissements en matière de recherche.
Une entreprise qui réfléchit à un plan de licenciement est une entreprise qui va mal. En lui demandant de payer plus et de rembourser des aides, vous êtes certain de la conduire au dépôt de bilan. Tel n’est pas l’objectif des PSE, qui visent à accompagner les salariés.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). L’ancien rapporteur général de la commission des finances n’exige aucune contrepartie lorsqu’une aide est accordée aux entreprises, mais tel n’est pas le cas lorsqu’il s’agit de verser des allocations chômage ou le revenu de solidarité active. Vous êtes extrêmement rigoureux pour le moindre euro d’argent public accordé aux petites gens, mais pas lorsqu’il s’agit de donner 500 millions d’euros au groupe Auchan, qui fait ensuite un plan de licenciement alors qu’il verse 1 milliard à ses actionnaires – dont la famille Mulliez, huitième fortune de France.
Vous ne pouvez pas dire que vous ne vous êtes pas fait entuber dans cette affaire.
M. Nicolas Turquois (Dem). Il y a des mots que l’on n’emploie pas dans notre instance !
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Il en va de même pour Michelin.
Ce que vous dites sur la recherche est faux, car par principe on ne sait pas combien rapportera un euro qui y est investi. C’est pourquoi il vaudrait mieux investir dans la recherche fondamentale, dont vous avez malheureusement baissé les budgets.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS9 de M. Gaëtan Dussausaye
M. Gaëtan Dussausaye (RN). Cet amendement vise à supprimer l’obligation de rembourser les exonérations de cotisations sociales patronales pour les entreprises procédant à un PSE.
Nous pouvons vous rejoindre sur l’obligation de rembourser le CIR, car on peut rechercher les responsabilités des entreprises qui ont bénéficié des largesses de l’État. Mais avec les cotisations patronales, on parle du coût du travail et d’une mesure qui permet de faciliter les embauches.
M. le rapporteur. Vous versez des larmes de crocodile sur les emplois industriels qui disparaissent et vous dénoncez les grandes entreprises qui abusent de l’argent public. Mais en fin de compte il est évident que vous cherchez à vider le texte de sa substance et à empêcher de récupérer un argent qui serait fort utile pour relancer notre industrie et soutenir les salariés.
Avis défavorable.
M. Gaëtan Dussausaye (RN). Il y a une grande différence entre nous : la constance. Le CICE a été créé par François Hollande alors que vous étiez membre du Parti socialiste. Vous essayez de défaire ce que votre famille politique a fait.
M. François Ruffin (EcoS). Si l’entreprise se porte mal, on comprend bien qu’elle n’aura pas à rembourser les cotisations sociales et le CIR.
En revanche, quand une entreprise licencie alors qu’elle fait des bénéfices et qu’elle verse des dividendes à ses actionnaires, l’État doit reprendre tout ce qu’il a donné. Goodyear, Whirlpool et Continental se portaient très bien quand il a été décidé de supprimer leurs usines à Amiens et à Compiègne. Dans ces cas-là, le Rassemblement national est-il du côté des firmes multinationales ou bien du côté des salariés ? Votre réponse constante, ce matin, est que vous êtes du côté des multinationales – ce qui correspond d’ailleurs à votre programme, qui ne se préoccupe jamais du bien-être des salariés.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Notre groupe votera contre cet amendement, qui favorise les grands groupes financiarisés qui licencient à gogo.
L’exposé sommaire laisse entendre qu’il y aurait trop de cotisations patronales et qu’il ne faudrait donc pas les rembourser. En fait, vous êtes d’accord avec le principe du remboursement à condition que les sommes concernées soient ridicules. Vous voulez un dispositif qui nous laisse complètement désarmés face aux multinationales.
Le remboursement des exonérations de cotisations sociales permettra d’alimenter des caisses de la sécurité sociale. On sait que vous ne l’aimez pas car elle a été créée en 1945, mais elle est utile pour protéger les populations les plus vulnérables – par exemple pour les employés d’Inteva Products qui ont perdu leur emploi dans votre circonscription.
Ceux qui nous écoutent savent qu’ils paieront le prix de vos tentatives de vider de nouveau les caisses de la protection sociale.
M. Christophe Naegelen (LIOT). Ce débat est passionnant : doit-on demander aux entreprises qui ont perçu des aides de les rembourser dès lors qu’elles suppriment des emplois ?
On peut tout de même s’interroger sur la rédaction de l’article, notamment en ce qui concerne la période de trois ans. Il n’est pas correct de demander de tout rembourser à une entreprise qui connaît des difficultés soudaines alors qu’elle s’était bien comportée pendant les deux années précédentes. Il faudrait donc retravailler ce dispositif.
M. Philippe Vigier (Dem). Une entreprise qui connaît un ralentissement brutal de son activité est projetée dans le vide. Elle est contrainte de s’adapter pour améliorer la compétitivité. Dans ma circonscription, une entreprise a ainsi perdu la moitié de son chiffre d’affaires cette année. Dans ce cas, il est impossible de récupérer les aides dont elle a bénéficié les années précédentes – sauf à aggraver encore la situation et à aboutir à des faillites en cascade. Cet amendement cherche à limiter les dégâts de la proposition, mais il n’est pas applicable.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS24 de M. Benjamin Lucas-Lundy.
Amendement AS25 de M. Benjamin Lucas-Lundy
M. le rapporteur. Cet amendement propose d’exclure du dispositif les entreprises qui, au moment de la mise en œuvre d’un PSE, seraient en redressement ou en liquidation judiciaire et pour lesquelles le remboursement des aides perçues poserait nécessairement d’importantes difficultés.
La commission adopte l’amendement.
Amendement AS26 de M. Benjamin Lucas-Lundy
M. le rapporteur. L’amendement contribue à la sécurité juridique du dispositif en prévoyant qu’il ne s’applique qu’aux entreprises qui mettraient en œuvre un PSE à compter de la date de l’entrée en vigueur de la loi.
La commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’article 4 modifié.
Après l’article 4
Amendement AS16 de M. Emmanuel Taché de la Pagerie
M. Guillaume Florquin (RN). Cet amendement vise à obliger les sociétés ayant bénéficié du CIR à rembourser le montant octroyé lors des trois précédents exercices fiscaux en cas de délocalisation. Elles perdraient également le droit de demander ce crédit d’impôt lors des trois prochains exercices.
M. le rapporteur. Avis défavorable.
M. Thomas Ménagé (RN). Le rapporteur pourrait-il nous éclairer davantage sur les raisons de son avis sur cet amendement de bon sens ?
Ce que nous proposons correspond pourtant à son intention. Nous voulons que les impôts de Français soient mieux utilisés et exigeons des entreprises qui délocalisent et créent du chômage qu’elles remboursent les sommes perçues au titre du CIR au cours des trois années précédentes.
M. le rapporteur. Votre amendement soulève une double difficulté.
Le dispositif s’insère mal au sein du II de l’article 199 ter B du code général des impôts, qui dresse la liste des entreprises pouvant demander le remboursement immédiat de la créance correspondant à l’excédent de crédit d’impôt dont elles sont susceptibles de disposer.
Surtout, le dispositif est difficilement compatible avec celui de l’article 4 de la proposition, que vous laissez subsister et qui exige de toutes les entreprises le remboursement du CIR, qu’elles procèdent ou non à des délocalisations.
Je vous invite à travailler plus sérieusement vos amendements.
La commission rejette l’amendement.
Article 5 (nouveau) : Rapport au Parlement sur l’incidence de la loi sur l’investissement des entreprises et l’emploi en France
Article 6 (nouveau) : Rapport au Parlement sur l’encadrement juridique des licenciements économiques dans les États membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques
Amendements AS19 et AS20 de M. Jean-René Cazeneuve
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). L’amendement AS19 est une demande de rapport sur les effets de l’extension des obligations de revitalisation et de recherche de repreneur, tandis que l’amendement suivant, AS20, en demande un sur ceux des dispositifs de régulation des licenciements économiques au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques. Nous estimons en effet que cette proposition aura des effets très négatifs sur l’emploi et elle aurait mérité une étude d’impact.
En outre, toutes les entreprises seront pénalisées si elles ont recours à un PSE, qu’elles se portent bien ou pas. Encore une fois, ce n’est pas par plaisir que l’on a recours à un tel plan. Depuis 2017, cinq cents nouvelles normes sociales et fiscales ont été imposées aux entreprises. Arrêtons de tirer sur ces dernières et gardons-nous de la tentation d’un retour à l’économie administrée dans ce qui serait une sorte de stalinisme économique. Laissons vivre les entreprises.
On entre d’autant plus volontiers dans une salle de cinéma qu’il y a une issue de secours. Pour venir en France, les acteurs économiques veulent savoir s’ils auront la possibilité d’ajuster leurs investissements et leurs effectifs si malheureusement la conjoncture économique change. Sans issue de secours, il n’y aura pas d’investissements dans notre pays.
M. le rapporteur. Avis favorable à l’amendement AS20 et défavorable à l’amendement AS19.
Comme toujours, vous ressortez le discours sur la norme qui ne permet pas de libérer les énergies. Cela fait trente ou quarante ans qu’on en soupe et nous avons vu dans quel état se trouvent notre économie et notre industrie. Je ne vous savais pas anarchiste, monsieur Cazeneuve, car la norme, c’est ce qui nous permet de vivre en société et nous protège. Les normes environnementales protègent notre santé, le climat la biodiversité. Les normes sociales protègent le contrat social et le pacte républicain. Quant à la norme démocratique, c’est la Constitution – et vous n’allez tout de même pas nous inviter à ne pas respecter les institutions.
L’Assemblée est elle-même une institution pétrie de normes. Et heureusement d’ailleurs, sinon ce serait, passez-moi l’expression, le foutoir. Je suis attaché à la norme, à la norme juste. La fonction du législateur est d’ailleurs de débattre pour fabriquer la norme.
Alors que ce texte traite du dialogue social, vous avez parlé de stalinisme, monsieur Cazeneuve.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). J’ai dit « stalinisme économique ».
M. le rapporteur. Soit.
J’hésite même à défendre cette proposition tant je la trouve modérée, sociale-démocrate, insistant sur le dialogue social et la concertation avec les organisations syndicales.
J’ai sérieusement cru pouvoir faire œuvre de compromis, parce qu’il est nécessaire que nous répondions à une situation urgente de plans de licenciements massifs. Aucun de nous ne peut accepter que le législateur se déclare impuissant face à la vague de plans sociaux qui arrive.
Même si je n’aime pas cette expression, nous avons formulé des propositions de bon sens, avec le remboursement des aides publiques et un bon usage des deniers publics. Aux droits doivent correspondre des devoirs – c’est bien votre propre rhétorique. Si vous êtes attachés à la démocratie sociale, vous devriez être d’accord avec nous lorsque nous permettons au CSE de gagner du temps et de construire un dialogue social.
Plutôt que de stalinisme économique, il s’agit de s’inspirer de Roosevelt ou de Lionel Jospin. Je m’étonne de voir qu’une famille politique qui s’est construite sur la notion de « en même temps » ne saisisse pas la main que nous lui tendons avec ce texte.
Mme Élise Leboucher (LFI-NFP). Je vais vous surprendre, monsieur Cazeneuve, mais je suis d’accord avec vous : les entreprises ne licencient pas par plaisir. Mais elles le font pour le profit.
M. François Ruffin (EcoS). Aucune entreprise ne licencie par plaisir. Des chefs d’entreprise le font dans la douleur, d’autres avec précaution ; et pour certains la seule chose qui compte ce sont les profits.
Cette proposition fait écho à la situation de ma région depuis quarante ans. J’ai cité de nombreux exemples d’entreprises qui ont fermé. Je peux ajouter Honeywell, Magneti Marelli, Flodor, Parisot Sièges de France, Abélia Décors : toutes ces entreprises se portaient bien, comme Goodyear, Whirlpool et Continental. Mais des décisions extrêmement violentes ont été prises à l’égard des salariés et des ouvriers.
Pourquoi l’a-t-on fait ? Pourquoi est-on dans un gouffre économique et politique en Picardie ? Parce que depuis quarante ans, on n’a pas cherché à se protéger. Les gens peuvent accepter des élites, à condition qu’elles les protègent. Or nous avons eu tout l’inverse : les élites les ont livrés aux vents mauvais de la mondialisation et ne les ont pas défendus.
Mme Cyrielle Chatelain (EcoS). Ce débat a permis de faire un tour de France assez inquiétant des plans de licenciement en cours partout. Des centaines de milliers d’emplois sont en cause.
L’Assemblée va-t-elle donner aux personnes concernées des outils supplémentaires pour préserver l’emploi – et au-delà des territoires entiers affectés par les PSE.
En Isère, si Vencorex ferme son usine et si Arkema réduit ses activités, de nombreuses communes et familles seront touchées, ce qui pourrait aboutir en fin de compte à la perte de 5 500 emplois et à des friches industrielles. Tout un territoire sera meurtri.
Il faut être solidaire des luttes en cours et montrer que la loi est là pour protéger et accompagner.
M. Fabien Di Filippo (DR). Les propos et le texte du rapporteur ne sont pas de bon sens mais très idéologiques.
Vous essayez de cacher aux gens c’est qu’une entreprise. Elle peut vivre plusieurs siècles, mais aucune n’est éternelle. Toutes ont besoin à certains moments de se transformer. Si on ne comprend pas cette réalité économique et qu’on croit pouvoir figer les choses administrativement, on suit des modèles économiques qui plongent un pays entier dans la pauvreté.
Je suis favorable à l’amendement qui prévoit d’examiner nos véritables problèmes de compétitivité. Interrogez-vous sur ce point qui est au cœur de tout si vous voulez un maximum d’embauches et un minimum de licenciements.
Mme Joëlle Mélin (RN). Le rapport demandé par l’amendement sera bien utile. En effet, de 2019 à 2022 j’ai pu assister aux discussions sur tous les dossiers du green deal au Parlement européen. À cause des Verts, l’Union européenne a édicté une quantité de normes hallucinante. Ces dingueries ont condamné à la faillite les filières de l’hydrogène, des moteurs thermiques et des batteries, mais aussi le secteur agroalimentaire en raison de la réforme de la politique agricole commune et de la stratégie « De la ferme à la fourchette ».
Toutes ces décisions ont été précipitées. Cinq ans après, nous payons les pots cassés avec la désindustrialisation et les faillites. Alors ne venez pas nous parler de normes ! C’est vous qui les avez pondues et il faudra que vous en payiez le prix.
M. Philippe Vigier (Dem). Même s’il existe quelques comportements délictueux, il n’est pas acceptable de dire que tous les patrons licencient avec bonheur – et je remercie donc François Ruffin pour les mots qu’il a prononcés.
La création de valeur passe par les entreprises et par leur compétitivité. Il nous revient de la favoriser.
La véritable question est de savoir comment l’on utilise l’argent public mis à disposition des préfets dans le cadre des conventions de revitalisation des territoires. Ce qui intéresse le salarié qui va être licencié, ce n’est pas que le CSE ait un droit de veto suspensif, mais bien de savoir comment il va être accompagné et pendant combien de temps.
Il ne sert à rien de verser des larmes de crocodile en disant que la situation est dramatique. Ce qui importe c’est ce que l’on fait pour atténuer la peine des licenciés. Sur ce point, votre texte est vide, monsieur Lucas-Lundy.
Mme Annie Vidal (EPR). Chez moi aussi, il y a eu des plans sociaux, responsables de 350 licenciements ; et ce texte n’y aurait rien changé.
À ma demande, le préfet a réuni un comité de pilotage chargé, dans un premier temps, d’accompagner les salariés, en évaluant leurs compétences et en leur proposant, le cas échéant, une formation pour répondre aux besoins du territoire. Pour ceux qui sont proches de la retraite et désireux de partir, nous avons négocié avec les entreprises des conditions favorables à leur départ. La seconde phase, axée sur la revitalisation des friches industrielles pour attirer de nouvelles entreprises, a été l’occasion d’aborder des sujets comme l’accès à la santé et au logement, ou encore les infrastructures routières. Cette démarche pragmatique s’est révélée efficace : votre texte n’aurait rien apporté de plus.
M. Yannick Monnet (GDR). Monsieur Di Filippo, défendre un système libéral où l’argent public est donné à des grands groupes sans aucune contrepartie est une position tout aussi idéologique que la nôtre. La compétitivité que vous prônez est prétexte au dumping social : les salariés sont la variable d’ajustement des grands groupes pour assurer leurs bénéfices et le versement de dividendes aux actionnaires.
Toutes les aides qu’on leur verse seraient bien plus utiles si elles étaient destinées à soutenir toutes les petites entreprises de nos territoires, qui peinent et ferment. Elles forment le tissu économique du pays et, pourtant, elles n’y ont pas droit !
M. Louis Boyard (LFI-NFP). La gare de Villeneuve-Triage, située au cœur de l’Île‑de‑France, à proximité d’un aéroport, de la Seine et d’infrastructures ferroviaires, était le plus grand centre de triage d’Europe avant la consécration du tout-routier et la déconstruction du fret. N’en déplaise au Rassemblement national, peut-être que s’il y avait eu des normes pour protéger le fret, ce site n’aurait pas été désindustrialisé et ma circonscription ne connaîtrait pas un taux de chômage deux fois supérieur à la moyenne.
Le problème, c’est que les entreprises qui perçoivent des aides publiques ne les investissent pas dans l’économie réelle ; pire, elles donnent cet argent à des actionnaires qui délocalisent leur activité grâce à des traités de libre-échange, auxquels vous êtes également favorables. J’ai entendu que les patrons ne licenciaient pas de gaieté de cœur : en réalité, ils n’en ont rien à faire ! Pour eux, ce n’est qu’un choix pragmatique guidé par un tableur : voilà l’idéologie de la loi du marché que vous défendez, monsieur Di Filippo.
Aujourd’hui, nous n’avons plus ni ligne économique, ni ligne politique : vous avez tout laissé aux patrons, voyez le résultat !
M. Arthur Delaporte (SOC). Entre le stalinisme et l’ultralibéralisme, il existe ce qu’on appelle le socialisme : c’est l’esprit qui anime ce texte. Ces amendements, qui nient les effets de la désindustrialisation et ses causes profondes, reflètent parfaitement votre philosophie très libérale, et nous voterons donc contre. Lutter contre la désindustrialisation ne signifie pas empêcher la libre entreprise, mais simplement donner à l’État les moyens de réguler et de garantir la protection des travailleurs.
Nous avons tous, dans nos départements, des exemples de désindustrialisation. Dans ma circonscription, elle a frappé la Société métallurgique de Normandie dans les années 1990, puis Moulinex, dont la belle aventure industrielle s’est achevée dans les années 2000 ; aujourd’hui, c’est l’automobile qui est menacée. Il faut donner aux salariés les moyens de conserver leur emploi et de préserver durablement l’outil industriel, et donc voter pour cette proposition de loi.
La commission adopte les amendements.
Titre
Amendement rédactionnel AS27 de M. Benjamin Lucas-Lundy
M. le rapporteur. Vous avez beaucoup reproché aux Écologistes de proposer de nouvelles normes en matière environnementale et sociale au détriment de l’industrie. Cette accusation infondée me peine beaucoup : ce ne sont pas le trumpisme et le protectionnisme aux frontières qui résoudront les problèmes de notre industrie : ce sont des échanges justes, encadrés par des normes environnementales et sociales, et des investissements massifs dans la transition écologique, dans le cadre du pacte vert pour l’Europe – le green deal –, que nous l’aiderons à relever les grands défis de demain.
Ce texte n’est qu’une première étape. Nous l’avons construit avec les organisations syndicales, à partir des luttes des salariés, qui nous ont dit combien ils avaient besoin d’être soutenus et accompagnés par la puissance publique. Le législateur doit envoyer un signal clair : face au chômage, nous n’avons pas encore tout essayé. Face aux plans sociaux, amenés à se multiplier, l’Assemblée nationale prend ses responsabilités et agit.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
*
* *
En conséquence, la commission des affaires sociales demande à l’Assemblée nationale d’adopter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.
– Texte adopté par la commission : https://assnat.fr/aD5KiI
–Texte comparatif : https://assnat.fr/yCKxAR
ANNEXE N°1 :
LISTE DES PERSONNES entendues PAR Le RAPPORTEUR
(Par ordre chronologique)
Table ronde réunissant les organisations syndicales de salariés
– Confédération française démocratique du travail (CFDT) – M. Fabien Guimbretière, secrétaire national, responsable de l’évolution des règles du dialogue social et de la politique industrielle, et M. Éric Mignon, secrétaire confédéral, service emploi, sécurisation des parcours professionnels
– Confédération générale du travail (CGT) – Mme Virginie Neumayer, membre de la commission exécutive confédérale
– Force ouvrière (FO) – Mme Patricia Drevon, secrétaire confédérale en charge de l’organisation, et M. Hervé Quillet, secrétaire général de la fédération de la chimie
– Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC) – M. Nicolas Blanc, secrétaire national en charge du secteur Transition économique
– Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) – M. Éric Sekkai, secrétaire général de la fédération Chimie mines textile énergie, en charge de l’industrie
Ministère du travail, de la santé, des solidarités et des famille – Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) – Mme Rachel Becuwe, cheffe de service, adjointe au délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle, et Mme Stéphanie Le Blanc, sous-directrice en charge des mutations économiques et de la sécurisation de l’emploi
Mme Nadine Levratto, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), chargée d’enseignements à l’Université Paris Nanterre et à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
ANNEXE N°2 :
liste des Contributions reçues par le rapporteur
Mouvement des entreprises de France (Medef)
Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME)
ANNEXE N°3 :
textes susceptibles d’Être abrogÉs ou modifiÉs À l’occasion de l’examen de la proposition de loi
Proposition de loi |
Dispositions en vigueur modifiées |
|
Article |
Codes et lois |
Numéro d’article |
1er |
Code du travail |
L. 1233‑57‑9 |
2 |
Code du travail |
L. 1233‑24‑4 |
3 |
Code du travail |
L. 1233‑86 |
4 |
Code du travail |
L. 1233‑64‑1 [nouveau] |
([1]) Aux termes de l’article R. 1233-15 du code du travail, est un établissement « une entité économique assujettie à l’obligation de constituer un comité social et économique d’établissement ».
([2]) Voir infra, le commentaire de l’article 2.
([3]) Loi n° 2014-384 du 29 mars 2014 visant à reconquérir l’économie réelle.
([4]) Sont incluses dans le champ d’application du dispositif les entreprises relevant de l’article L. 1233-71 du code du travail, à savoir les entreprises ou les établissements d’au moins mille salariés, les entreprises appartenant à des groupes d’au moins mille salariés et les entreprises ou groupes d’entreprises de dimension communautaire d’au moins mille salariés.
([5]) Au plus tard à l’ouverture de la procédure d’information et de consultation du comité social et économique, prévue à l’article L. 1233-30 du code du travail, sur un projet de licenciement collectif.
([6]) Article R. 1233-15-1 du code du travail.
([7]) L’employeur adresse également à l’autorité administrative le procès-verbal de la réunion du comité social et économique mentionnée à l’article L. 1233-57-9 du code du travail ainsi que tout renseignement relatif à la convocation, l’ordre du jour et la tenue de cette réunion.
([8]) Article L. 1233-57-13 du code du travail.
([9]) Le bilan doit établir un diagnostic précis des pollutions dues à l’activité de l’établissement et présenter les solutions de dépollution envisageables ainsi que leur coût.
([10]) Dans les délais prévus à l’article L. 1233-30 du code du travail.
([11]) Les informations qui lui sont communiquées à ce titre sont réputées confidentielles.
([12]) Dans les délais prévus à l’article L. 1233-30 du code du travail.
([13]) Article L. 1233-57-16 du code du travail.
([14]) Voir notamment l’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles, 4e chambre, 5 juillet 2022, n° 22VE00783.
([15]) Articles L. 1233-57-2 et L. 1233-57-3 du code du travail.
([16]) Pour plus de précisions sur le champ d’application du dispositif, voir l’article L. 1233‑71 du code du travail.
([17]) Les motifs pour lesquels il peut être procédé à un licenciement économique sont présentés à l’article L. 1233‑3 du code du travail.
([18]) Cette obligation s’applique que l’entreprise soit dotée ou non d’un comité social et économique.
([19]) Voir notamment l’arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, 11 octobre 2006, 04-47.950, publié au bulletin.
([20]) Article L. 1233-63 du code du travail.
([21]) Dans les conditions prévues à l’article L. 2321‑9 du code du travail.
([22]) Article L. 1233-24-2 du code du travail.
([23]) Article D. 1233-14 du code du travail.
([24]) Article L. 1233-48 du code du travail.
([25]) Soit aux articles L. 1233-24-1 à L. 1233-24-3 du code du travail.
([26]) Voir supra, le commentaire de l’article 1er.
([27]) Article L. 1233-57-2 du code du travail.
([28]) Article L. 1233-57-3 du code du travail.
([29]) Dans les conditions prévues au dernier alinéa de l’article L. 1233‑57‑4 du code du travail.
([30]) En 2024, les accords collectifs ont fait l’objet d’un refus de validation dans 1 % des cas et les documents élaborés unilatéralement par les employeurs ont fait l’objet d’un refus d’homologation dans 0,3 % des cas, d’après les données transmises par la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle.
([31]) Article L. 1233‑57‑7 du code du travail.
([32]) Voir aussi l’article L. 2312-39 du code du travail.
([33]) En application de l’article L. 1233‑24‑1 du code du travail.
([34]) Articles L. 1233‑31 et L. 1233‑32 du code du travail.
([35]) Articles L. 1233‑34 à L. 1233‑35‑1 du code du travail.
([36]) Articles L. 1233‑57‑5 et D. 1233‑12 du code du travail.
([37]) Article L. 1233-57-6 du code du travail.
([38]) I de l’article L. 1233-30 du code du travail.
([39]) Il est précisé, au II de l’article L. 1233‑30 du code du travail, que le comité social et économique est réputé avoir été consulté dans l’hypothèse où il ne rend pas d’avis dans le délai imparti.
([40]) En 2022, sur les trois cents plans de sauvegarde de l’emploi mis en œuvre, 51 % résultaient de l’homologation d’un document établi unilatéralement par l’employeur et 48 % résultaient de la validation d’un accord majoritaire conclu par l’entreprise et les organisations syndicales (source : direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, Les dispositifs publics accompagnant les ruptures collectives de contrat de travail en 2022, Résultats, n° 48, août 2024, p. 1). Ces proportions sont demeurées stables en 2023 et 2024, d’après la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle.
([41]) Sont incluses dans le champ d’application du dispositif les entreprises relevant de l’article L. 1233-71 du code du travail, à savoir les entreprises ou les établissements d’au moins mille salariés, les entreprises appartenant à des groupes d’au moins mille salariés et les entreprises ou groupes d’entreprises de dimension communautaire d’au moins mille salariés.
([42]) Article D. 1233-37 du code du travail.
([43]) I de l’article D. 1233-38 du code du travail.
([44]) Dans un délai de six mois à compter de la notification à l’autorité administrative du projet de licenciement d’au moins dix salariés dans une période de trente jours.
([45]) En vertu de l’article L. 1233-90-1 du code du travail, lorsque les suppressions d’emplois concernent au moins trois départements, une convention-cadre nationale de revitalisation est conclue entre le ministre chargé de l’emploi et l’entreprise. Cette convention donne lieu à une ou plusieurs conventions locales, qui se conforment au contenu de la convention-cadre nationale, conclues entre le ou les préfets de département et l’entreprise.
([46]) Article L. 1233-88 du code du travail.
([47]) Voir aussi l’article D. 1233-41 du code du travail.
([48]) Il peut s’agir d’un accord de groupe, d’entreprise ou d’établissement.
([49]) L’accord collectif doit prévoir des actions en faveur de la création d’activités et du développement des emplois ainsi que de l’atténuation des effets du licenciement envisagé sur les autres entreprises dans le bassin ou les bassins d’emploi d’une part, des engagements financiers de la part de l’entreprise au moins égaux au montant de la contribution dont elle doit s’acquitter en application de l’article L. 1233-86 du code du travail d’autre part.
([50]) Voir aussi l’article D. 1233-39 du code du travail.
([51]) Voir aussi l’article D. 1233-43 du code du travail.
([52]) Voir aussi l’article D. 1233-44 du code du travail.
([53]) En 2024, le montant moyen de la contribution financière s’établissait à 3,1 fois la valeur mensuelle du salaire minimum interprofessionnel de croissance par emploi supprimé (dans les conventions-cadres nationales de revitalisation), d’après les données transmises par la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle.
([54]) Décret n° 2020‑926 du 28 juillet 2020 relatif au dispositif spécifique d’activité partielle en cas de réduction d’activité durable.
([55]) En l’espèce, le préfet de département.
([56]) Article 1er du décret n° 2020‑1188 du 29 septembre 2020 relatif à l’activité partielle et au dispositif spécifique d’activité partielle en cas de réduction d’activité durable.
([57]) En l’espèce, le préfet de département.
([58]) Voir supra, le commentaire de l’article 1er.
([59]) Il s’agit de la réunion prévue au I de l’article L. 1233-30 du code du travail.
([60]) Voir aussi l’article R. 1233-15-2 du code du travail.
([61]) Loi n° 2014-384 du 29 mars 2014 visant à reconquérir l’économie réelle.
([62]) Rapport d’information (n° 4040, XVe législature) fait par la mission d’information commune sur la conditionnalité des aides publiques aux entreprises, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 mars 2021, pp. 108-109.
([63]) Voir supra, le commentaire de l’article 2.
([64]) Le dispositif consiste en une diminution du montant des charges patronales afférentes aux salaires inférieurs à 1,6 fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance.