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N° 991

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 février 2025.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LA PROPOSITION de loi visant à renforcer l’effectivité des droits voisins de la presse,

 

 

 

 

Par M. Erwan BALANANT,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

 

Voir le numéro : 824.

 


SOMMAIRE

___

Pages

Avant-propos

I. Le modèle économique du secteur de la presse est fragilisé par la révolution numérique

II. La présente proposition de loi répond également à un enjeu démocratique de premier ordre

commentaire des articles

Article 1er Effectivité des droits voisins des éditeurs et des agences de presse

Article 1er bis (nouveau) Partage de la rémunération due au titre du droit voisin avec les journalistes et les autres auteurs

Article 2 Renforcement du caractère dissuasif de sanctions prévues par le code de la propriété intellectuelle

Article 3 Gage financier

TRAVAUX DE LA COMMISSION

ANNEXE  1 : Liste des personnes ENTENDUEs par le rapporteur

Annexe  2 : textes susceptibles d’être abrogés ou modifiés à l’occasion de l’examen de la proposition de loi

 


   Avant-propos

Le 23 juillet 2019, l’Assemblée nationale adoptait définitivement, en deuxième lecture, la proposition de loi du sénateur David Assouline tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse ([1]). Ce droit voisin avait été instauré par l’article 15 de la directive 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché numérique ([2]). Grâce à une initiative parlementaire, la France devenait ainsi le premier État membre de l’Union européenne à transposer cette disposition, seulement trois mois après la publication de la directive. La France, fidèle à sa tradition protectrice du droit d’auteur, s’était saisie de cette question dès le début des années 2010 ([3]), contribuant au lancement par la Commission européenne, en 2016, d’une consultation publique sur le rôle des éditeurs dans la chaîne de valeur et leur capacité à être rémunérés pour l’utilisation en ligne de leurs contenus.

Cette proposition de loi poursuivait un objectif simple : mettre fin au pillage, par les grandes plateformes numériques, de la valeur créée par les publications des éditeurs et des agences de presse. Comme le relevait M. Laurent Garcia, rapporteur d’une mission d’information sur la mise en œuvre du droit voisin des éditeurs et des agences de presse, « l’exploitation gratuite des publications de presse est à l’origine de revenus exponentiels pour les plateformes numériques, via, notamment, leurs revenus publicitaires » ([4]). En prévoyant une rémunération des éditeurs et des agences de presse pour la reproduction et la communication au public de leurs publications de presse sous une forme numérique, le législateur a entendu imposer aux plateformes numériques un partage de la valeur créée par les contenus de presse, dans un contexte de fragilisation du modèle économique du secteur de la presse et de captation toujours plus massive des recettes publicitaires par quelques grandes entreprises du numérique. Ce faisant, il poursuivait un double objectif : économique, en permettant à la presse de percevoir une juste part de rémunération pour la valeur créée par la publication de ses contenus en ligne, et démocratique. En effet, le secteur de la presse doit avoir les moyens d’investir dans la production d’une information fiable et de qualité, qui plus est dans un contexte de prolifération massive des fausses informations dans l’espace numérique.

À ce jour, la volonté du législateur n’a pas été atteinte. Si des accords de rémunération ont été signés par les éditeurs avec certaines plateformes (Google, Meta) au titre de la reproduction et de la communication au public des publications de presse, les éditeurs peinent à obtenir les éléments d’information nécessaires à la détermination du montant d’une juste rémunération, quand les plateformes ne refusent pas purement et simplement d’entrer en négociations. En septembre 2019, Google avait unilatéralement décidé de ne plus afficher les extraits d’articles, les photographies, les infographies et les vidéos au sein de ses différents services, sauf à ce que les éditeurs lui en donnent l’autorisation à titre gratuit. Saisie, en novembre 2019, par le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM), l’Alliance de la presse d’information générale (Apig) et l’Agence France-Presse (AFP), l’Autorité de la concurrence avait considéré que le comportement de Google était susceptible de constituer un abus de position dominante et portait une atteinte grave et immédiate au secteur de la presse ([5]). Ce n’est qu’au prix de quatre décisions de l’Autorité de la concurrence et après le prononcé de sanctions pécuniaires considérables (750 millions d’euros) à l’encontre de la société californienne, que les éditeurs ont pu obtenir la signature d’accords. Google, après s’être vue infligée une première sanction pécuniaire de 500 millions d’euros en 2021 ([6]), avait souscrit six engagements en 2022 ([7]). En mars 2024, constatant que la société avait méconnu quatre de ces engagements, l’Autorité de la concurrence avait infligé à Google une nouvelle sanction pécuniaire de 250 millions d’euros ([8]).

L’intervention de l’Autorité de la concurrence a permis la conclusion de plusieurs accords entre, d’une part, les éditeurs et les agences de presse et, d’autre part, Google. Le 28 janvier 2025, la Société des droits voisins de la presse (DVP) ([9]) a annoncé la prolongation de son précédent accord avec Google, conclu en octobre 2023. Selon DVP, 233 publications de presse recevront des droits voisins de la part de Google au titre de cet accord, en contrepartie de l’utilisation des contenus protégés au travers de Google Search, Google Discover et Google Actualités. M. Jean-Marie Cavada, président de l’organisme de gestion collective des droits des éditeurs et des agences de presse, a mis en avant « l’amélioration de la méthode de calcul des revenus et la bonification de rémunération accordée aux éditeurs de presse qui réalisent le plus d’investissements humains, matériels et financiers » ([10]). Un accord-cadre a également été signé, en 2022, entre Google et l’Apig, couvrant 300 publications. Cet accord a été renouvelé en janvier 2025. Si le rapporteur n’a pas accès au montant des accords – protégés par le secret des affaires –, il semble bien établi que ces montants sont largement en deçà des espérances des éditeurs.

Des accords ont également été conclus avec Meta. En juin 2024, DVP a ainsi annoncé la signature d’un accord avec le groupe. Pour sa part, l’Apig a conclu un accord en octobre 2021, qui a expiré le 31 janvier 2025, sans qu’un nouvel accord ait pu être signé à ce stade. Les négociations sont rendues plus difficiles par l’évolution du modèle économique de Meta, qui a annoncé en décembre 2023 la fin de l’onglet d’actualités de Facebook (Facebook News) pour la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Meta souhaite recentrer ses services sur les contenus sociaux et de divertissement, ce qui ne peut qu’affecter à la baisse l’assiette de rémunération des droits voisins perçus par les éditeurs et les agences de presse. Le groupe de travail n° 1 « Espace informationnel et innovation technologique » des États généraux de l’information l’a fort justement relevé, en se référant dans son rapport à des statistiques de l’agence Reuters, qui mettent en évidence une diminution de la fréquentation des sites de médias en provenance de Facebook : « Facebook assume la diminution drastique (ou complète, comme au Canada) des contenus issus des sites d’information. Depuis des années, Meta a modifié ses algorithmes pour alléger le poids des contenus issus de médias sur le fil d’actualité pour favoriser le contenu issu des amis Facebook, mais aussi des pages partageant du divertissement ou des groupes. Selon les chiffres de Reuters, la fréquentation des sites de médias en provenance de Facebook a chuté de 35 % sur un an au mois de juillet et de 74 % par rapport à 2020. »

Aucun accord n’a été conclu avec d’autres plateformes, telles que X et Linkedin (cf. infra). Cette situation est inacceptable à plus d’un titre. Si l’Autorité de la concurrence a pu se saisir du dossier des droits voisins, dans le cas de Google, et que la justice a d’ores et déjà rendu un certain nombre de décisions favorables aux éditeurs de presse, le législateur ne peut rester inactif face aux attitudes dilatoires de géants du numérique qui se livrent à un pillage en règle de la valeur créée par le travail des journalistes.

La loi doit être précisée, afin de contraindre les plateformes à la transparence dans l’évaluation de l’assiette du droit voisin et mettre un terme à l’asymétrie de l’information entre les parties en présence, indispensable préalable à une négociation de bonne foi.

 

 

Tel est l’objet de la présente proposition de loi, très attendue par les professionnels du secteur et qui se nourrit notamment des travaux de M. Laurent Esquenet-Goxes, de Mme Violette Spillebout, de la sénatrice Sylvie Robert et, de façon plus large, des constats et propositions des États généraux de l’information ([11]).

I.   Le modèle économique du secteur de la presse est fragilisé par la révolution numérique

Le versement par les plateformes numériques d’une juste rémunération au titre de la reproduction et de la communication au public en ligne des publications de presse est désormais une question de vie ou de mort pour le secteur de la presse, qui fait face à un « risque d’effondrement de l’information », comme l’a souligné le comité de pilotage des États généraux de l’information. De fait, le chiffre d’affaires du secteur de la presse est en diminution constante depuis – a minima – le début des années 2000. Entre 2000 et 2022, le chiffre d’affaires global de la presse est passé de 10,6 milliards d’euros à 5,8 milliards d’euros (en euros courants), soit une diminution de 45 % ([12]). Cette diminution, ou plutôt cet effondrement, résulte d’une chute des deux types de ressources principales du secteur, à savoir les recettes des ventes (ventes au numéro et à l’abonnement) et les recettes de publicité (publicité commerciale et annonces) ([13]). Les premières ont chuté de 48,2 % entre 2002 et 2022. Les secondes, pour leur part, ont diminué de 70,2 % en euros constants sur la même période. Si les recettes publicitaires numériques des éditeurs de presse sont en augmentation ([14]), elles ne compensent pas pour autant la baisse des recettes publicitaires du papier.

La chute des recettes publicitaires du secteur de la presse résulte en grande partie du règne sans partage de quelques grandes entreprises du numérique sur le marché publicitaire numérique, comme l’ont mis en évidence l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) et la direction générale des médias et des industries culturelles (Dgmic) dans une étude conjointe publiée en janvier 2024 ([15]). Si le marché de la publicité numérique est en croissance ([16]), ce sont bien les acteurs numériques qui captent l’essentiel de la ressource, leur position de force étant appelée à se renforcer à l’avenir. En 2024, les bénéfices d’Alphabet Inc., maison mère de Google, se sont élevés à 101,1 milliards de dollars ! Selon l’Arcom et la Dgmic, les recettes publicitaires des médias « historiques » (presse, télévision, radio, cinéma, affichage), estimées à 7,3 milliards d’euros en 2022, devraient s’établir à 6,4 milliards d’euros en 2020, soit une perte de 13 %. Les acteurs numériques, qui captaient déjà 25 % des recettes nettes en 2012, en captaient 52 % en 2022. Cette part devrait atteindre 65 % à l’horizon 2030.

Or les plateformes numériques tirent profit de l’utilisation des contenus de presse, qui contribuent à l’attractivité de leurs services et donc à leurs revenus publicitaires. C’est ce qu’a expressément relevé l’Autorité de la concurrence, dans le cas de Google. En 2020, l’Autorité considérait ainsi qu’« il existe pour Google un intérêt économique certain et des revenus indirects qui sont tirés de la reprise et de l’affichage de contenus protégés. Ce type d’affichage est en effet attractif pour les utilisateurs, en ce qu’il améliore la qualité et l’expérience de visionnage de la page de recherche. Des déclarations de Microsoft en audition témoignent de cet avantage lié à l’affichage de contenus émanant des éditeurs et agences de presse (cote 2 398). Un moteur de recherche a dès lors intérêt à développer ce type d’affichage pour attirer ou conserver des utilisateurs sur ses services. L’attractivité de ces contenus peut jouer tant dans le déclenchement d’une recherche (qui peut être motivé par un contenu d’actualité, puis dériver sur un autre type de recherche) que dans le temps passé sur le moteur de recherche et les données personnelles qui en dérivent. Microsoft explique aussi que cet affichage est de nature à maintenir l’utilisateur dans l’environnement du moteur de recherche et, le cas échéant, le rediriger vers un lien sponsorisé générant des revenus pour le moteur de recherche. Ces déclarations n’ont pas été remises en cause par Google au cours de l’instruction. » ([17])

C’est pour tenir compte de cette répartition inégale de la valeur que le législateur a décidé que « la rémunération due au titre des droits voisins pour la reproduction et la communication au public des publications de presse sous une forme numérique est assise sur les recettes de l’exploitation de toute nature, directes ou indirectes » ([18]), tout en permettant aux plateformes d’évaluer forfaitairement la rémunération due dans les cas prévus par l’article L. 131-4 du code de la propriété intellectuelle, notamment lorsque « la base de calcul de la participation proportionnelle ne peut être pratiquement déterminée ». Le rapporteur y reviendra.

La valeur économique des publications de presse est d’autant plus grande que les Français prennent l’habitude de s’informer via internet et les réseaux sociaux. En mars 2024, une étude de l’Arcom ([19]) faisait apparaître que 49 % des Français s’informent quotidiennement via les moteurs de recherche (65 % au moins une fois par semaine) et que 47 % s’informent quotidiennement sur les réseaux sociaux (56 % au moins une fois par semaine).

La présente proposition de loi entend donc parachever l’œuvre du législateur de l’Union européenne et du législateur national, en renforçant l’effectivité du droit voisin des éditeurs et des agences de presse.

Par ailleurs, ce texte prend résolument en compte les enjeux d’avenir du secteur de la presse. La production de l’information a un coût ([20]), élevé, et les plateformes ne sauraient exploiter cette activité d’intérêt général sans la rémunérer. La rémunération à laquelle ont droit les éditeurs et les agences de presse au titre de la reproduction et la mise à disposition en ligne de leurs publications, comme celle qui devra impérativement leur être versée au titre de l’utilisation de leurs contenus aux fins d’entraînement des outils d’intelligence artificielle, constituent les recettes de demain du secteur. Ces revenus ont vocation à se substituer, au moins partiellement, aux recettes de vente et aux recettes publicitaires, en voie d’assèchement.

S’agissant de l’intelligence artificielle, le rapporteur se réjouit de la conclusion d’un accord pluriannuel entre le journal Le Monde et la société OpenAI, bien qu’il convienne que l’ensemble des éditeurs et des agences de presse puissent bénéficier d’une rémunération équitable au titre de l’utilisation de leurs contenus par des outils d’intelligence artificielle. À cet égard, quelle meilleure méthode que la négociation collective à travers un organisme de gestion collective, à même de faire respecter les droits de tous, en particulier des petits éditeurs ? Cette observation vaut également pour la négociation de la rémunération au titre des droits voisins des éditeurs et des agences de presse, DVP ne réunissant pas encore l’ensemble des ayants droit.

II.   La présente proposition de loi répond également à un enjeu démocratique de premier ordre

Comme le rapporteur l’a souligné, le secteur de la presse traverse une crise existentielle. Si le législateur n’y prend pas garde, les conditions d’accès des citoyens à une information fiable pourraient disparaître. Interrogeons-nous un instant : sommes-nous prêts à mettre entre les mains des algorithmes des Gafam la libre circulation des idées, le pluralisme de l’information et l’égal accès de tous les citoyens à une information libre, fiable et indépendante ? Ou, au contraire, préférons-nous nous appuyer sur le travail des journalistes, qui apportent une contribution essentielle au caractère démocratique de l’espace public ?

La liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias, principes protégés par la Constitution

Le pluralisme des quotidiens d’information politique et générale a été consacré par le Conseil constitutionnel comme objectif de valeur constitutionnelle en 1984, dans la mesure où « la libre communication des pensées et des opinions, garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ne serait pas effective si le public auquel s’adressent ces quotidiens n’était pas à même de disposer d’un nombre suffisant de publications de tendances et de caractères différents » (1).

Dans une décision de 1986, le Conseil constitutionnel a ensuite consacré un objectif de valeur constitutionnelle de pluralisme des courants d’expression socioculturels, considérant que « le respect de ce pluralisme est une des conditions de la démocratie » (2). Dans la même décision, le Conseil constitutionnel a qualifié l’honnêteté de l’information d’« impératif », indissociable du pluralisme.

L’indépendance des médias a également été consacrée comme un objectif de valeur constitutionnelle en 2009 après que le constituant a décidé de confier au législateur le soin de fixer les règles concernant « la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias » (3).

(1)    Décision n° 84-181 DC du 11 octobre 1984.

(2)    Décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986.

(3)    Deuxième alinéa de l’article 34 de la Constitution, dans sa rédaction résultant de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République.

La nécessité de soutenir le secteur de la presse était d’ailleurs expressément mentionnée dans la directive 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché numérique : « Une presse libre et pluraliste est indispensable pour garantir un journalisme de qualité et l’accès des citoyens à l’information. Elle apporte une contribution fondamentale au débat public et au bon fonctionnement d’une société démocratique. La large disponibilité de publications de presse en ligne a fait émerger de nouveaux services en ligne, tels que les agrégateurs d’informations ou les services de veille médiatique, pour lesquels la réutilisation de publications de presse constitue une partie importante de leurs modèles économiques et une source de revenus. Les éditeurs de publications de presse sont confrontés à des difficultés pour l’octroi de licences relatives à l’utilisation en ligne de leurs publications aux fournisseurs de ces types de services, ce qui complique l’amortissement de leurs investissements […] La contribution organisationnelle et financière des éditeurs dans la production de publications de presse doit être reconnue et davantage encouragée pour assurer la pérennité du secteur de l’édition et, partant, promouvoir la disponibilité d’informations fiables. » ([21])

Cependant, garantir l’effectivité des droits voisins ne suffira pas à préserver un espace public libre, démocratique et pluraliste. Pour ce faire, il faudra empêcher les plateformes de réduire, via leurs algorithmes, la visibilité des contenus des médias, cette problématique n’ayant pas été traitée dans le cadre de l’élaboration du règlement européen sur les services numériques (RSN) ([22]), comme l’a justement relevé dans son rapport le groupe de travail n° 1 des États généraux de l’information, considérant que la marginalisation croissante des contenus des médias « entraîne une fragilisation de leur modèle économique mais interroge aussi le pluralisme et la qualité du débat démocratique et collectif, dans un contexte d’usage croissant des services numériques pour accéder à l’information et l’éditorialisation des contenus par ces plateformes ». Une proposition de ce groupe de travail a retenu l’attention du rapporteur. De même que l’ensemble des titres de presse ont le droit d’être distribués sur l’ensemble des points de vente, en vertu de la loi « Bichet » ([23]), il conviendrait de renforcer les obligations spécifiques des très grandes plateformes numériques en leur imposant une distribution obligatoire des contenus d’information édités par les médias d’information. Au-delà d’une obligation de ne pas discriminer ces contenus par rapport à des contenus de divertissement, pourrait être instaurée une obligation de les recommander. La qualification « information politique et générale » (IPG) par la commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP), voire le simple certificat CPPAP, pourrait être un critère d’identification de ces contenus. L’instauration d’une telle obligation aurait toute sa place dans le RSN, dont la révision pourrait être débattue par les institutions européennes dès 2026.

 

 

 

 

   commentaire des articles

Adopté par la Commission avec modifications

Le présent article vise à assurer le respect, par les services de communication au public en ligne, des droits voisins des éditeurs et des agences de presse prévus par les articles L. 218-1 et L. 218-5 du code de la propriété intellectuelle.

La commission a adopté un amendement de rédaction globale du présent article. La supervision par l’Autorité de la concurrence des négociations entre les plateformes et les éditeurs de presse a été abandonnée, ainsi que la détermination par décret des informations devant être transmises aux éditeurs.

Dans sa rédaction résultant des travaux de la commission, c’est l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), dotée d’un pouvoir d’injonction et de sanction, qui sera chargée de veiller au respect par les plateformes de leurs obligations.

  1.   Les droits voisins des éditeurs et des agences de presse : un dispositif mal respecté
    1.   Le législateur a entendu garantir une juste rémunération des éditeurs et des agences de presse au titre de l’utilisation en ligne de leurs contenus

Les droits voisins des éditeurs et des agences de presse ont été créés par la loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse, qui a transposé l’article 15 de la directive 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché numérique ([24]). Ce nouveau droit patrimonial est codifié aux articles L. 218-1 à L. 218-5 du code de la propriété intellectuelle. Il prévoit un mécanisme de partage avec les éditeurs et les agences de presse de la valeur captée par les plateformes via la reproduction et la communication au public de leurs contenus protégés. La France a également souhaité, lors du processus de transposition de la directive, que les journalistes professionnels ou assimilés, ainsi que les autres auteurs des œuvres présentes dans les publications de presse, reçoivent une part appropriée et équitable de la rémunération versée par les plateformes aux éditeurs et aux agences de presse. Ces dispositions peinent à s’appliquer, du fait d’un déséquilibre dans le rapport de force entre les plateformes et les éditeurs et agences de presse et de l’impossibilité pour les pouvoirs publics d’intervenir pour contraindre les plateformes à respecter leurs obligations. Le présent article vise à remédier à ces difficultés.

  1.   La reproduction et la communication au public des publications de presse sous une forme numérique doit être autorisée par les éditeurs et agences de presse

L’article L. 218-2 du code de la propriété intellectuelle (CPI) prévoit que l’autorisation de l’éditeur de presse ou de l’agence de presse est requise avant toute reproduction ou communication au public totale ou partielle de ses publications de presse sous une forme numérique par un service de communication au public en ligne. En application de l’article L. 218-3 du même code, ces droits peuvent être cédés ou faire l’objet d’une licence. Il est également précisé que les ayants droit peuvent confier la gestion de leurs droits à un ou plusieurs organismes de gestion collective.

La publication de presse est définie au I de l’article L. 218-1 du CPI, qui reprend strictement la définition de l’article 2 de la directive du 17 avril 2019 précitée. Il s’agit d’une « collection composée principalement d’œuvres littéraires de nature journalistique, qui peut également comprendre d’autres œuvres ou objets protégés, notamment des photographies ou des vidéogrammes, et qui constitue une unité au sein d’une publication périodique ou régulièrement actualisée portant un titre unique, dans le but de fournir au public des informations sur l’actualité ou d’autres sujets publiées, sur tout support, à l’initiative, sous la responsabilité éditoriale et sous le contrôle des éditeurs de presse ou d’une agence de presse ». 

Il est donc explicite que l’ensemble des publications de presse sont titulaires de droits voisins, et non pas seulement la presse « IPG ». Ainsi, les publications de la presse professionnelle relèvent bien de la définition de l’article L. 218-1 du CPI. En revanche, conformément à l’article 2 de la directive, les périodiques qui sont publiés à des fins scientifiques ou universitaires, tels que les revues scientifiques, n’entrent pas dans le champ de cette définition.

La protection des droits prévus par l’article L. 218-2 du CPI fait l’objet de plusieurs exceptions, mentionnées à l’article 15 de la directive :

– les droits ne s’appliquent pas aux utilisations, à titre privé ou non commercial, de publications de presse faites par des utilisateurs individuels ;

– la protection ne s’applique pas aux actes d’hyperlien ;

– les droits ne s’appliquent pas en ce qui concerne l’utilisation de mots isolés ou de très courts extraits d’une publication de presse.

Ces deux dernières exceptions ont été transposées à l’article L.  211-3-1 du CPI.


Article L. 211-3-1 du code de la propriété intellectuelle

Les bénéficiaires des droits ouverts à l’article L. 218-2 ne peuvent interdire :

1° Les actes d’hyperlien ;

2° L’utilisation de mots isolés ou de très courts extraits d’une publication de presse. Cette exception ne peut affecter l’efficacité des droits ouverts au même article L. 218-2. Cette efficacité est notamment affectée lorsque l’utilisation de très courts extraits se substitue à la publication de presse elle-même ou dispense le lecteur de s’y référer.

  1.   La rémunération due au titre des droits voisins : calcul de l’assiette et négociations entre éditeurs et plateformes
    1.   Les plateformes ne peuvent plus utiliser les contenus de presse protégés gratuitement

L’article L. 218-4 du CPI dispose que « la rémunération due au titre des droits voisins pour la reproduction et la communication au public des publications de presse sous une forme numérique est assise sur les recettes de l’exploitation de toute nature, directes ou indirectes ou, à défaut, évaluée forfaitairement, notamment dans les cas prévus à l’article L. 131-4 ».

Le rapporteur n’est pas en mesure d’estimer la valeur économique que constituent les publications de presse pour les plateformes, puisqu’il n’a pas pu consulter les accords de rémunération. Tout au plus peut-il affirmer que plusieurs dizaines de millions d’euros sont en jeu. Les méthodes de calcul des recettes de l’exploitation des publications de presse ne sont pas unifiées et sont particulièrement complexes. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les décisions de l’Autorité de la concurrence concernant Google (cf. infra).

Le législateur a prévu que la fixation du montant de la rémunération due aux éditeurs et aux agences de presse doit prendre en compte les éléments suivants :

– les investissements humains, matériels et financiers réalisés par les éditeurs et les agences de presse ;

– la contribution des publications de presse à l’information politique et générale ;

– l’importance de l’utilisation des publications de presse par les services de communication au public en ligne.

La loi ne précise pas comment les plateformes doivent mettre en œuvre ces trois critères de rémunération dans la répartition de la rémunération globale entre les éditeurs de presse. Dans la décision précitée de l’Autorité de la concurrence du 15 mars 2024, il est précisé que Google a pris en compte la taille de l’audience des éditeurs de presse, et a accordé un surcroît de rémunération aux publications de presse certifiées « IPG », ainsi qu’à celles relevant de l’article 39 bis A du code général des impôts ([25]).

En elle-même, la rémunération des éditeurs et des agences de presse au titre des droits voisins ne semble pas être une obligation. L’Autorité de la concurrence l’a souligné à plusieurs reprises, notamment dans sa décision d’avril 2020. Elle rappelle ainsi que « le dispositif mis en place par les injonctions n’implique nullement de placer Google en situation d’obligation d’achat de tout contenu, mais se limite à permettre un partage équitable des revenus générés par des contenus que Google reprend déjà depuis le lancement de son moteur de recherche en 1998, et uniquement avec les éditeurs et agences de presse dont les demandes sont conformes aux critères fixés par la loi sur les droits voisins. Par ailleurs, les mesures conservatoires n’excluent pas que certains contenus puissent être fournis gratuitement à Google par les éditeurs et agences de presse. Cela pourrait se produire lorsque l’éditeur ou l’agence de presse souhaite accorder à Google une licence gratuite, ou lorsque les critères fixés par la loi n° 2019-775 ne justifient pas le versement d’une rémunération. » ([26])

Dans sa dernière décision de mars 2024, l’Autorité a considéré, s’agissant du premier engagement contracté par Google en 2022, à savoir la négociation de bonne foi avec les parties qui en feraient la demande, que cet engagement « impose que les négociations aboutissent effectivement à une proposition de rémunération de la part de Google, laquelle peut être nulle » ([27]).

Le versement d’une rémunération au titre des droits voisins doit être distingué de l’entrée en négociations d’un service de communication au public en ligne avec un éditeur ou une agence de presse qui en ferait la demande. En effet, les services de communication au public en ligne, s’ils sont tenus de transmettre aux éditeurs et aux agences de presse les éléments d’information permettant d’évaluer la rémunération due au titre des droits voisins, ne sont pas contraints d’utiliser ces contenus, s’ils ne souhaitent pas les rémunérer. À ce titre, le président du tribunal judiciaire de Paris, dans une ordonnance de référé rendue le 23 mai 2024, a observé que « si l’attribution de droits voisins aux éditeurs et agences de presse ne constitue pas un droit à rémunération garanti, en ce sens que ces droits n’ont pas pour objet de contraindre les sociétés de services de communication en ligne à accepter de payer la licence demandée par le titulaire de ces droits, elle exige néanmoins que ce dernier puisse être en mesure de demander une juste rémunération au titre de la reproduction de ses contenus protégés, et implique une négociation préalable entre les parties dans le cadre de laquelle la société de service de communication en ligne est tenue, en application de l'article L. 218-4 du code de la propriété intellectuelle, de fournir tous les éléments d’information relatifs aux utilisations des publications de presse par ses usagers ainsi que tous les autres éléments d’information nécessaires à une évaluation transparente de la rémunération telle que prévue à cet article. » Dans la même décision, il est indiqué que « le mécanisme des articles L. 218-1 à L. 218-4 du code de la propriété intellectuelle n’a pas pour effet de rendre les exploitants de services de communication au public en ligne débiteurs de plein droit d’une obligation de payer la rémunération qu’elles définissent ».

La possibilité pour une législation nationale de prévoir une obligation de rémunération au titre des droits voisins sera examinée par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), dans le cadre d’une décision préjudicielle qui devrait être rendue avant la fin de l’année 2025 (cf. infra).

En revanche, il résulte de l’article L. 218-4 du CPI une obligation, pour les services de communication au public en ligne, « de fournir aux éditeurs et aux agences de presse tous les éléments d’information relatifs aux utilisations des publications de presse par leurs usagers ainsi que tous les autres éléments d’information nécessaires à une évaluation transparente de la rémunération mentionnée au premier alinéa du présent article et de sa répartition ».

  1.   L’obligation de transmettre aux éditeurs et aux agences de presse les éléments d’information nécessaires à l’évaluation transparente de la rémunération due au titre des droits voisins

Le législateur a fait le choix de ne pas définir précisément dans la loi les éléments d’information devant être transmis aux éditeurs et aux agences de presse par les plateformes, en raison de la difficulté technique considérable qu’aurait représenté une telle définition. En effet, ces données varient d’une plateforme à l’autre et il apparaît évident que les graver dans le marbre de la loi présenterait le risque de « passer à côté » des évolutions à venir des services des plateformes. Par ailleurs, une plateforme de réseau social comme Facebook peut difficilement être comparée à une entreprise dont le principal service consiste à offrir un service de moteur de recherche en ligne.

Dès lors, la loi prévoit simplement que ces éléments doivent permettre d’évaluer de façon transparente la rémunération due au titre des droits voisins.

La transmission de ces éléments est donc un acte déterminant, indispensable à l’estimation, par les éditeurs et les agences de presse, de la valeur économique créée par leurs publications de presse au profit des plateformes.

Quels sont ces éléments d’information ? La lecture des décisions de l’Autorité de la concurrence permet d’en déterminer un certain nombre. En 2022, l’Autorité de la concurrence a constaté que, malgré les mesures conservatoires prononcées en avril 2020, qui s’articulaient autour d’une obligation principale de négocier de bonne foi, en vue de formuler une proposition financière portant sur l’affichage de contenus protégés sur les services de Google, la société avait fait échec aux négociations. Pour y remédier, Google a proposé une série de six engagements, acceptés et rendus obligatoires par l’Autorité. Le premier engagement consistait à négocier de bonne foi avec les agences et éditeurs de presse qui en feraient la demande, au titre de la rémunération due pour toute reprise de contenus protégés sur ses services, conformément à l’article L. 218-4 du CPI, et selon des critères transparents, objectifs et non discriminatoires.

En 2024, dans ses observations sur la mise en œuvre par Google du premier engagement, l’Autorité rappelle ainsi que pour calculer le montant de la rémunération globale due aux éditeurs, Google prend en compte quatre catégories de rémunération :

– la rémunération en lien avec l’affichage de contenus protégés dans Google Search ;

– la rémunération en lien avec l’affichage de contenus protégés dans Google Discover ;

– la rémunération en lien avec l’affichage de contenus protégés dans Google Actualités ;

– la rémunération en lien avec les « autres revenus indirects », qui correspondent selon Google à « tout revenu indirect perçu par Google résultant de l’attractivité apportée à ses services par l’affichage de contenus protégés ».

La rémunération due par Google, dont le calcul doit respecter des critères de transparence, d’objectivité et de non-discrimination, s’appuie principalement, s’agissant des revenus directs, sur les revenus publicitaires liés à l’affichage de contenus protégés sur Google Search.

Le périmètre des informations devant être transmises aux éditeurs et aux agences de presse au titre de l’article L. 218-4 du CPI peut être délimité par le juge. Ainsi, lors d’une audience du 4 mars 2024, des éditeurs de presse ([28]) ont demandé au juge des référés du tribunal judiciaire de Paris d’ordonner aux sociétés Twitter France et Twitter International Unlimited Company, de leur communiquer, sous astreinte, les éléments d’information devant leur permettre d’estimer la rémunération due par cette plateforme au titre des droits voisins. À l’appui de leur demande de communication, fondée sur l’article 145 du code de procédure civile ([29]), les éditeurs de presse ont exposé que leur motif légitime était « constitué par la nécessité de déterminer avec le plus de précision possible le quantum de leur créance par une évaluation transparente de leur rémunération ». Leur donnant raison, le juge des référés a ordonné, le 23 mai 2024, à la société Twitter International Unlimited Company, de communiquer ces éléments aux éditeurs.

Les éléments devant être transmis par X aux éditeurs de presse, aux termes de l’ordonnance du président du tribunal judiciaire de Paris du 23 mai 2024

– le nombre d’impressions et le taux de clics sur impression en France sur Twitter/X des publications définies à l’article L. 218-1 du code de la propriété intellectuelle leur appartenant en ce compris les textes, photos et vidéos intégrées, par mois, depuis le 24 octobre 2019 : en nombre absolu, en pourcentage du nombre total d’impressions en France d’éditeurs de presse certifiés par la CPPAP, en pourcentage du nombre total d’impressions sur Twitter/X en France ;

– la part estimée des requêtes en lien avec des publications définies à l’article L. 218-1 du code de la propriété intellectuelle en ce compris les textes, photos et vidéos intégrées sur le nombre total de requêtes sur Twitter/X en France ;

– les revenus publicitaires générés en France sur Twitter/X associés aux impressions en France de l’ensemble des publications définies à l’article L. 218-1 du code de la propriété intellectuelle leur appartenant en ce compris les textes, photos et vidéos intégrées depuis le 24 octobre 2019 ;

– les revenus publicitaires générés en France sur Twitter/X associés aux impressions en France de l’ensemble des publications définies à l’article L. 218-1 du code de la propriété intellectuelle leur appartenant en ce compris les textes, photos et vidéos intégrées des éditeurs de presse certifiés par la CPPAP depuis le 24 octobre 2019 ;

– les revenus publicitaires générés en France sur Twitter/X depuis le 24 octobre 2019 par des recherches qui suivent celles ayant conduit à l’affichage des publications définies à l’article L. 218-1 du code de la propriété intellectuelle leur appartenant en ce compris les textes, photos et vidéos intégrées dans le cadre d’une même visite d’utilisateur (de manière récursive pour six recherches ultérieures, sous réserve qu’il y ait un tel nombre de recherches ultérieures) ;

– la liste des types de données collectées en France depuis le 24 octobre 2019 par Twitter/X, les hypothèses dans lesquelles ces données sont collectées et l’utilisation de ces données par Twitter/X lorsque les contenus protégés des publications identifiées dans leurs écritures sont affichés sur les produits et services de Twitter/X ;

– une description du fonctionnement des algorithmes de Twitter/X qui conduisent à afficher en France les publications définies à l’article L. 218-1 du code de la propriété intellectuelle leur appartenant en ce compris les textes, photos et vidéos intégrées des publications identifiées dans leurs écritures en réponse à une requête sur Twitter/X.

  1.   L’asymÉtrie du rapport de force entre les plateformes et le secteur de la presse
    1.   Le faible nombre d’accords conclus résulte du refus de certaines plateformes, s’estimant non redevables des droits voisins, d’engager des négociations sur la base d’informations fiables et objectives

Comme rappelé dans l’avant-propos du présent rapport, seuls Google et Meta ont signé des accords de rémunération avec les éditeurs et les agences de presse. Un représentant de Google a affirmé au rapporteur que la société avait conclu plus de 500 accords avec près de 280 éditeurs de presse.

Aucun accord n’a été conclu avec d’autres plateformes, notamment X et Linkedin, qui estiment ne pas être redevables des droits voisins et refusent de transmettre aux éditeurs et aux agences de presse les éléments d’information prévus par la loi, qui permettraient une évaluation transparente de la rémunération qui leur est due. De ce fait, elles contraignent les éditeurs à engager des procédures judiciaires longues et coûteuses.

S’agissant de X, le rapporteur a mentionné l’ordonnance de référé rendue le 23 mai 2024 par le tribunal judiciaire de Paris. Lors de l’audience, les avocats de la plateforme ont invoqué le principe d’interprétation conforme du droit de l’Union européenne, considérant que la directive devait « être lue comme excluant les utilisations individuelles à des fins privées, à l’exemple d’autres législations européennes ». De fait, le deuxième alinéa du paragraphe 1 de la directive 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché numérique prévoit que les droits voisins « ne s’appliquent pas aux utilisations, à titre privé ou non commercial, de publications de presse faites par des utilisateurs individuels ». C’est sur ce fondement de cette disposition que X estime être hors du champ d’application de la directive et, partant, refuse d’entrer en négociations avec les éditeurs et les agences de presse. Ce sont les mêmes arguments qui ont été avancés par Mme Claire Dilé, responsable des affaires publiques de Twitter France, dans le cadre d’une table ronde organisée par le rapporteur. Selon elle, X est une simple plateforme d’échange de conversations et d’informations ; ce sont les éditeurs de presse qui partagent les contenus, non la plateforme. De plus, il ne faudrait pas accorder trop d’importance aux algorithmes, du fait de la capacité supposée de l’utilisateur à les paramétrer.

Cependant, le juge des référés a considéré que « l’objectif de ne pas porter atteinte au droit d’auteur des utilisateurs individuels de ces prestataires n’existe que dans la mesure où il n’empêche pas la réalisation » du résultat recherché par l’article 15 de la directive, à savoir « l’établissement d’un droit voisin effectif garantissant la protection juridique des investissements des éditeurs de publications de presse pour l’utilisation en ligne de leurs publications par les fournisseurs de services de la société de l’information ». Relevant que X tirait « un intérêt économique certain de cet affichage de publications de presse, en raison des revenus publicitaires qu’il perçoit grâce aux annonces qui s’affichent avec elles », le juge des référés n’a pas contesté que des publications de presse étaient partagées par des « tweets » – désormais des « posts » –, « par des utilisateurs particuliers, institutionnels ou commerciaux, dont les demanderesses elles-mêmes, et que ce fonctionnement diffère de celui d’autres services débattus au cas présent, comme celui des sociétés Google ou Meta ». Pour autant, il a souligné que « la loi de transposition ne retient pas d’analyse différenciée selon l’activité du service de communication au public en ligne mais rend, au contraire, les exploitants de ces services débiteurs d’une obligation de communiquer les éléments relatifs aux utilisations des publications de presse par leurs usagers, en cette seule qualité, résultant de critères objectifs ». En effet, le troisième alinéa de l’article L. 218-4 du CPI ne distingue pas les services de communication au public en ligne selon leur objet, notamment selon leur activité de fourniture de moteur de recherche ou de services de réseaux sociaux. Si certaines utilisations des publications de presse ne relèvent pas des droits voisins, le juge des référés a rappelé que le considérant 58 de la directive ([30]) rappelait que l’efficacité des droits voisins ne devait pas être compromise par ces exceptions, en concluant que « la loi de transposition, en ne prévoyant pas d’analyse concrète du service de communication au public en ligne, a donc assuré un niveau de protection plus élevé que l’harmonisation prévue par la directive et réalisé l’objectif d’établissement d’un droit voisin effectif garantissant la protection juridique des investissements des éditeurs de publications de presse ».

Le 12 novembre 2024, les neuf éditeurs de presse qui avaient saisi le juge des référés ont assigné X devant le tribunal judiciaire de Paris, afin d’obtenir de la plateforme le versement de la rémunération qui leur est due au titre de l’article L. 218-4 du CPI. Les éditeurs ont dénoncé l’attitude de Twitter International Unlimited Company, qui ne s’est pas conformé à l’ordonnance du 23 mai 2024, « démontrant sa volonté invariable de se soustraire à ses obligations légales ». Cette action en paiement s’est avérée nécessaire, du fait du refus persistant de la plateforme d’entrer en négociations avec les éditeurs, en dépit de démarches multiples et de plusieurs relances.

S’agissant du réseau social Linkedin, plusieurs procédures judiciaires ont été engagées, notamment par des éditeurs de l’Alliance de la presse d’information politique et générale (Apig). M. Pierre Louette, président de l’Apig et président-directeur général du Groupe Les Échos-Le Parisien, a souligné que Linkedin utilisait des contenus de presse « sans autorisation et sans rémunération depuis cinq ans » et que le groupe Microsoft, propriétaire de Linkedin, avait toujours refusé « de transmettre les données essentielles pour évaluer l’utilisation des contenus de presse sur son site et négocier le montant des droits voisins » ([31]). En novembre 2024, une action en contrefaçon a été engagée par l’Apig devant le tribunal judiciaire de Paris, à l’encontre de Microsoft. En janvier 2025, l’Apig a engagé une procédure judiciaire contre Linkedin devant le même tribunal, afin que le réseau social respecte « son obligation de transmission des données prévues par la loi, indispensable à l’ouverture d’une négociation de bonne foi » ([32]).

En elle-même, l’ordonnance de référé du 23 mai 2024 ne peut suffire à trancher la question soulevée par X, cette plateforme ayant été rejointe par Meta, qui estime également que l’article 15 de la directive ne s’applique pas aux plateformes de médias sociaux. Une décision préjudicielle de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) permettra de trancher cette question en droit. En effet, le 12 décembre 2023, le tribunal administratif régional du Latium (en Italie) a posé une question préjudicielle à la CJUE ([33]), dans le cadre d’un litige opposant le groupe Meta à l’Aurorità per le Garanzie nelle Communicazioni (Agcom), le régulateur italien des télécommunications et de l’audiovisuel, équivalent de l’Arcom. L’une des questions examinées par la CJUE porte précisément sur le champ d’application de la directive. L’article 43 bis de la loi italienne n° 633 du 22 avril 1941 sur la protection du droit d’auteur et des droits voisins, qui résulte de la transposition de l’article 15 de la directive, s’applique aux fournisseurs de services de la société de l’information, sans distinguer entre leurs activités. Ce champ d’application est donc proche de celui retenu par la législation française, qui se réfère aux services de communication au public en ligne. Selon Meta, l’article 15 de la directive s’appliquerait aux agrégateurs de contenus ou aux services de veille mais pas aux fournisseurs de services de réseaux sociaux. Selon les arguments développés par l’avocat du groupe Meta lors d’une audience de plaidoiries devant la grande chambre de la CJUE, Facebook, plateforme où les utilisateurs publient leur propre contenu, n’entrerait pas dans le champ d’application de la directive. À l’inverse, la Commission européenne, la Fédération italienne des éditeurs de journaux, les gouvernements français et italiens, ont estimé que l’article 15 de la directive était pleinement applicable à Meta, dans la mesure où Facebook joue un rôle actif dans la diffusion des contenus, via les algorithmes de la plateforme, qui orientent l’attention et les choix des utilisateurs, et du fait du profit tiré par Meta de l’utilisation de contenus de presse, à travers les recettes publicitaires. En outre, les publications de presse sur Facebook rendent la plateforme attractive et génèrent ainsi des revenus indirects. Facebook étant activement impliqué dans la diffusion et la mise en avant des contenus, la plateforme ne pourrait être présentée comme un simple hébergeur.

Si le rapporteur, à titre personnel, partage pleinement les arguments des éditeurs italiens et des gouvernements français et italien, il ne lui appartient naturellement pas de trancher en droit et ne peut qu’espérer que la Cour de Luxembourg donne raison aux défenseurs de l’effectivité des droits voisins des éditeurs de presse. En effet, l’exclusion des réseaux sociaux du champ d’application de l’article 15 de la directive reviendrait selon lui à priver cette disposition de tout effet utile. Par ailleurs, le rapporteur rappelle que les États membres, lors de la transposition des directives, bénéficient d’une marge d’appréciation sur la forme et les moyens à mettre en œuvre, comme l’a fréquemment rappelé la CJUE ([34]). Les conclusions de l’avocat général de la CJUE seront rendues le 12 juin 2025. La décision devrait intervenir en fin d’année.

  1.   L’absence de mécanisme de médiation en cas de refus d’entrée en négociations ou d’échec des négociations, ainsi que l’absence de sanctions, ne permettent pas la pleine effectivité de la loi du 24 juillet 2019

Le problème principal dans la mise en œuvre des droits voisins des éditeurs et des agences de presse réside dans l’asymétrie du rapport de force avec les plateformes. Comme l’a relevé la sénatrice Sylvie Robert dans son rapport sur la proposition de loi visant à renforcer l’indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes, « l’application des droits voisins souffre de l’absence de mécanisme de médiation réellement efficace et "d’arbitre en dernier ressort" en cas d’échec des négociations. Cela a pu conduire à une multiplication des contentieux, alors même que les éditeurs et les grandes plateformes ne disposent à l’évidence pas des mêmes moyens financiers pour soutenir des procédures longues et coûteuses. L’Autorité de la concurrence a mis en place un complexe système de médiation, confié à un cabinet d’avocats privé, qui est chargé de rendre des arbitrages dans les nombreux cas litigieux. Ce mécanisme est cependant loin de faire l’unanimité dans la profession. » ([35])

En l’espèce, Mme Robert fait référence au cabinet Accuracy, mandaté par l’Autorité de la concurrence pour s’assurer de la mise en œuvre des engagements de Google. Mme Lauriane Lepine, rapporteure générale adjointe de l’Autorité de la concurrence, a confirmé au cours de son audition que le mandataire était rémunéré par Google, ce qui ne constitue pas un conflit d’intérêts, le mandataire étant en principe indépendant et agréé par l’Autorité de la concurrence. Cependant, il a été indiqué au rapporteur qu’il apparaissait parfois nécessaire de rappeler à Google que le mandataire ne travaillait pas pour lui…

Dans la décision de l’Autorité de la concurrence du 21 juin 2022, il est indiqué que « l’Apig critique le dispositif prévu par la proposition d’engagements de Google du 9 décembre 2021, la désignation du mandataire étant, selon elle, "essentiellement à la main de Google". L’APIG souligne également une trop grande proximité entre Google et le mandataire, caractérisée par des échanges directs et un accès privilégié de Google aux rapports du mandataire. Cette proximité serait de nature à créer une situation de conflit d’intérêts et à créer une asymétrie par rapport aux éditeurs. Dans le même sens, le ministre de l’économie relève que Google aura accès aux conclusions de l’expert avant son envoi à l’Autorité, alors que les parties négociantes n’auront accès, au mieux, qu’à une version non confidentielle des conclusions et constatations de l’expert. Cette différence apparaît non justifiée et de nature à déséquilibrer les relations entre Google et les parties négociantes. » ([36])

Des critiques similaires à l’encontre du système de médiation mis en place par l’Autorité de la concurrence ont été exprimées lors des auditions organisées par le rapporteur.

Le rapporteur est convaincu de la nécessité de ne pas laisser les éditeurs seuls face aux plateformes dans la revendication et la négociation de leurs droits voisins. Au vu de la haute technicité de ces dossiers, qui réside notamment dans la difficulté à estimer l’assiette des droits voisins, le recours à un tiers de confiance indépendant des plateformes serait plus que bienvenu. Certes, les éditeurs peuvent saisir la justice pour réclamer les données commerciales nécessaires au calcul de la rémunération due, ou engager une action en contrefaçon ou en paiement (cf. supra). Cependant, ces procédures sont longues et coûteuses et la justice ne dispose pas nécessairement des moyens nécessaires au traitement de dossiers aussi complexes. L’Autorité de la concurrence, dans sa contribution écrite aux travaux du rapporteur, a rappelé que l’évaluation de la rémunération due au titre des droits voisins ne pouvait s’effectuer qu’au regard d’appréciations poussées en droit de la propriété intellectuelle, qu’elle n’était pas en mesure de réaliser. En termes de ressources, l’Autorité ne serait pas non plus en mesure d’assumer cette tâche, qui impliquerait la constitution d’une équipe de spécialistes dédiée (en droit de la propriété intellectuelle mais également en science des données et en analyse financière).

Deux groupes de travail des États généraux de l’information ont proposé de recourir à l’arbitrage d’une autorité indépendante. Le groupe de travail n° 3 « Avenir des médias d’information et du journalisme » a ainsi réclamé l’instauration « d’une autorité d’arbitrage, en cas de désaccord persistant, évitant la lourdeur procédurale et les délais d’une action au contentieux ». Pour sa part, le groupe de travail n° 5 « L’État et la régulation » s’est dit « favorable à la création d’une procédure de médiation en cas d’absence de conclusion d’un accord dans un délai d’un an à compter de l’ouverture de négociations. […] Compte tenu de la technicité du sujet, il paraît opportun de recourir aux services d’un prestataire qui soit en capacité d’effectuer cette médiation, nommé sous l’égide de l’Autorité de la concurrence et le ministère de la Culture et rémunéré par un financement de manière à assurer l’indépendance du médiateur par rapport aux deux parties. Son rôle serait de s’assurer que l’éditeur a reçu les infor­mations nécessaires, mais également de réclamer les données qui apparaîtraient manquantes dans le cadre de la négociation. Au regard du risque de capture qui peut exister en cas de financement par les parties, une possibilité serait de le rémunérer par un fonds dédié, qui soit par exemple alimenté par les recettes des amendes imposées par l’Arcom. »

Enfin, le rapporteur estime que l’absence de sanctions applicables aux plateformes, en cas de refus de transmettre les informations mentionnées à l’article L. 218-4 du CPI, ne permet pas une pleine effectivité des droits voisins. Si l’Autorité de la concurrence a pu intervenir, dans le cas de Google, pour répondre à des préoccupations de concurrence, aucune sanction ne peut être appliquée à l’encontre d’autres sociétés comme X ou Microsoft.

  1.   La question de la rémunération des agences de presse

Dans l’avant-propos du présent rapport, le rapporteur est revenu sur les difficultés économiques des éditeurs de presse. La situation des agences de presse est tout aussi préoccupante. Selon les informations communiquées au rapporteur par Mme Florence Braka, directrice générale de la Fédération française des agences de presse (FFAP) ([37]), le nombre d’agences de presse en France est passé, entre 2013 et 2023, de 254 à 195. Leur chiffre d’affaires, qui s’établit à 600 millions d’euros en 2023, a diminué de 30 % sur la même période.

Comme l’a rappelé M. Laurent Garcia dans son rapport d’information de 2022 sur l’application du droit voisin au bénéfice des agences, des éditeurs et professionnels du secteur de la presse, le législateur français a consacré l’inclusion des publications des agences de presse dans le périmètre du droit voisin, ce qui est d’ailleurs conforme à la directive ([38]).

Mme Braka a indiqué au rapporteur qu’un accord, concernant 58 agences, avait été conclu entre la FFAP et Google en janvier 2023, avec rétroactivité au 24 octobre 2019. Environ 55 agences, dont l’AFP, ont adhéré à DVP. Les agences ont confié leurs droits à DVP, sauf en ce qui concerne les négociations avec Google, conduites par la FFAP. L’accord de janvier 2023 a expiré en décembre 2024. Selon Mme Braka, les négociations ont repris et concernent désormais 73 agences.

Deux types de contenus (dépêches, photographies, vidéographies, infographies) doivent être distingués : les contenus dits B to C, c’est-à-dire les productions des agences de presse à destination directe des utilisateurs, et les contenus dits B to B, c’est-à-dire les contenus produits par les agences et intégrés aux publications des éditeurs.

Initialement, Google contestait l’éligibilité des agences de presse à percevoir une rémunération au titre des droits voisins. Selon Google, le droit voisin s’attache aux publications de presse, notion devant être comprise comme liée à l’acte de publication.

Cette question a été tranchée par la cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 8 octobre 2020 ([39]) : « La cour ajoute que la loi de 2019 vise les éditeurs et agences de presse de sorte qu’il est vain de prétendre, comme le fait Google, que l’AFP ne peut directement revendiquer des droits voisins, ce d’autant qu’une grande majorité des contenus de l’AFP reproduits par le moteur de recherche correspond à des images. »

S’agissant de l’argument de Google selon lequel une agence de presse est fondée uniquement à revendiquer le bénéfice des droits voisins pour les contenus qu’elle diffuse auprès du public, et non pour les contenus qu’elle produit pour être intégrés aux publications des éditeurs de presse et que Google ne saurait payer deux fois pour le même contenu, l’Autorité s’est prononcée dans la décision n° 21‑D-17 en indiquant que tant l’éditeur que l’agence de presse devaient percevoir une rémunération au titre de leur contribution à l’élaboration du contenu protégé.

Extrait de la décision n° 21-D-17 du 12 juillet 2021 relative au respect des injonctions prononcées à l’encontre de Google dans la décision n° 20-MC-01 du 9 avril 2020

§407 : « D’une part, l’existence de plusieurs ayants droit sur un contenu de presse n’implique pas que ces derniers soient rémunérés pour la même chose, mais qu’une rémunération propre leur soit accordée au titre de leur contribution respective, même si toutes ces contributions sont rassemblées au sein d’une même œuvre journalistique » ;

§ 408 : « Le rapport du 13 février 2018 de Madame le Conseiller d’État, Laurence Franceschini, indiquait sur ce point, avant l’adoption de la Loi, qu’un droit voisin reconnu aux agences de presse aurait une légitimité à pouvoir s’exercer sur leurs contenus propres, et que la justification du droit voisin de l’agence de presse existe donc :

– lorsque les productions qu’elle développe à l’attention des organes de presse (contenus « B to B »), sont reprises à l’identique par l’éditeur. C’est particulièrement vrai pour les photographies et les vidéographies produites par les agences de presse, et pour les dépêches AFP reprises intégralement au sein de publications de presse (qui comprennent usuellement la mention « dépêche AFP ») ;

– pour l’ensemble des productions qu’elle développe à l’attention des utilisateurs (contenus « B to C »). Ce rapport indique que, s’agissant des autres productions des agences (article rédigé à partir d’une dépêche d’agence, par exemple), c’est le seul éditeur de presse qui doit disposer du droit voisin sur le texte de l’article et que c’est au contrat passé par l’agence avec les publications de presse, dans l’hypothèse où un droit voisin sera bien alloué à ces dernières, de prendre en compte cette utilisation nouvelle de l’information.) […] »

§414 : « D’autre part, l’argument de Google, selon lequel la circonstance que les contenus produits par les agences de presse et cédés sous licence aux éditeurs de presse puissent se retrouver en ligne sans autorisation de l’agence relèverait d’une problématique contractuelle entre les agences et les éditeurs n’est pas recevable au cas d’espèce. En effet, d’une part, l’appréciation du respect de l’Injonction doit être réalisée au regard des termes de la Loi et de la Décision. D’autre part, et au surplus, l’AFP a expressément averti Google du caractère illégal de tout accord de licence conclu entre Google et des éditeurs qui reprendraient des contenus de l’AFP sans son autorisation préalable. » […]

La méthodologie retenue par Google s’agissant de la rémunération des agences de presse est très complexe. Dans sa décision n° 24-D-03 du 15 mars 2024, l’Autorité de la concurrence, qui décrit cette méthodologie aux paragraphes 95 à 102 ([40]), a qualifié celle-ci de « particulièrement opaque, ainsi que cela ressort des constats du Mandataire dans son Rapport Trimestriel n° 4. Il est en effet difficile de comprendre précisément la méthode suivie par Google, et en particulier de déterminer si le revenu de base auquel est appliqué le "ratio" déterminé en fonction du nombre de journalistes d’une agence, est le revenu total payé aux éditeurs de presse en France pour l’utilisation de leurs Contenus protégés ou bien une fraction seulement de ce revenu et, le cas échéant, sur quel horizon temporel. »

Selon la FFAP, Google indique qu’il est impossible d’identifier, dans les publications de presse des éditeurs, les contenus provenant des agences de presse, renvoyant les agences vers les éditeurs. Le rapporteur rejoint sa collègue sénatrice Sylvie Robert, qui a estimé dans son rapport précité qu’il convenait de « mieux déterminer les modalités de cette rémunération, par exemple en identifiant dans la publication de presse les éléments provenant du travail des agences ». Selon elle, des solutions techniques pourraient être développées par les Gafam. Le rapporteur la rejoint pleinement et observe qu’au vu des décisions précitées de la cour d’appel de Paris et de l’Autorité de la concurrence, il est parfaitement clair que les agences de presse doivent recevoir une rémunération pour l’utilisation de leurs contenus protégés.

Dans sa rédaction initiale, l’article 7 de la proposition de loi de Mme Sylvie Robert proposait une nouvelle rédaction de la définition des publications de presse : « On entend par publication de presse au sens du présent chapitre toute production journalistique, notamment rédactionnelle, photographique, sonore ou vidéographique, collectée, traitée et mise en forme à l’initiative, sous la responsabilité éditoriale et sous le contrôle d’un éditeur de presse ou d’une agence de presse, dans le but de fournir au public des informations sur l’actualité ou d’autres sujets » ([41]). Selon la FFAP, une telle rédaction permettrait de sécuriser la possibilité pour les agences de presse d’obtenir une rémunération des plateformes au titre du droit voisin. Si l’Autorité de la concurrence, comme mentionné supra, a retenu une définition large des publications de presse, afin de donner une portée effective au droit voisin des agences, il apparaît cependant très risqué de modifier la définition codifiée à l’article L. 218-1 du CPI. En effet, cette définition reprend celle de l’article 2 de la directive 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché numérique. Il s’agit de dispositions précises et inconditionnelles, ou de dispositions d’harmonisation maximale, qui ne laissent pas de marges d’appréciation nationale ([42]). Élargir cette définition ferait courir à la France un important risque de contentieux. C’est pour cette raison que les sénateurs, lors de la séance du 17 octobre 2024, ont décidé de supprimer l’extension de la définition de la publication de presse ([43]).

  1.   les dispositions de la proposition de loi
    1.   L’interdiction de limiter les modalités d’affichage des publications de presse pendant la durée des négociations

Le présent article de la proposition de loi apporte plusieurs modifications à l’article L. 218-4 du CPI. La première (alinéas 2 et 3) consiste à interdire aux services de communication au public en ligne, pendant la durée des négociations relatives à la rémunération due au titre du droit voisin, de restreindre les paramètres et les modalités d’affichage des publications de presse concernés.

Cette disposition tient compte des décisions de l’Autorité de la concurrence rendues entre 2020 et 2024 relatives aux pratiques de Google. Le troisième engagement de Google, rendu obligatoire par l’Autorité de la concurrence dans sa décision n° 22-D-13 du 21 juin 2022, porte sur le maintien, pendant la période des négociations, et le cas échéant la période de détermination de la rémunération par un tribunal arbitral, des modalités d’affichage des contenus protégés, selon les paramètres retenus par les éditeurs concernés, mises en place à la date de la demande d’entrée en négociations.

Cet engagement découle d’une injonction prononcée par l’Autorité de la concurrence, dans sa décision n° 20-MC-01 du 9 avril 2020. Le maintien des modalités d’affichage pendant la période des négociations vise à empêcher une plateforme de faire pression sur un éditeur de presse pour obtenir une minoration de la rémunération due au titre du droit voisin. En effet, suite à l’entrée en vigueur de la loi du 24 juillet 2019, Google avait instauré une nouvelle politique d’affichage des contenus de presse, contraignant les éditeurs de presse à autoriser la société à afficher leurs contenus protégés sans percevoir de rémunération. L’Autorité avait relevé que « les éditeurs n’ayant pas autorisé Google à afficher des contenus protégés, pour leur part, ont subi des pertes de trafic significatives » ([44]). Selon l’Autorité, il était ainsi nécessaire, « afin de garantir l’effectivité du processus de négociation », d’enjoindre à Google de maintenir, pendant la période de négociation, l’affichage des contenus protégé dans ses services.

À noter que Google avait souhaité procéder, en novembre 2024, à un test de marché consistant à ne plus afficher dans les résultats de recherche, sur Google Search, Google Actualités et Google Discover, les contenus des éditeurs de presse. Seul 1 % des utilisateurs de neuf pays européens n’auraient plus eu accès à ces contenus. Dans sa contribution écrite adressée au rapporteur, Google a indiqué que l’échantillon de test avait été sélectionné de manière aléatoire parmi les utilisateurs de Belgique, de Croatie, du Danemark, de Grèce, d’Italie, de Pologne, des Pays-Bas et d’Espagne. La France devait également être concernée par ce test mais le président du tribunal de commerce de Paris, saisi par le SEPM, a ordonné à Google, sur le fondement de l’article 875 du code de procédure civile et sous astreinte, de ne pas y procéder dans l’attente de la décision du juge des référés. Selon les informations communiquées au rapporteur par Google, la décision du juge des référés devrait être rendue le 20 février 2025. La société américaine a expliqué que ce test, qui a débuté le 14 novembre 2024 et a pris fin le 4 février 2025, visait à mieux définir les revenus indirects qui doivent être pris en compte dans la rémunération due au titre des droits voisins (cf. supra) et de ce fait aider Google à comprendre la valeur économique générée par l’affichage des contenus de presse dans ses services.

Le présent article propose d’élargir l’injonction prononcée par l’Autorité de la concurrence en avril 2020 à l’ensemble des plateformes pendant la durée des négociations.

L’interdiction de la limitation de la visibilité des publications de presse pendant la durée des négociations a été instaurée par l’Italie dans sa transposition de l’article 15 de la directive ([45]). Selon le rapporteur, cette disposition est nécessaire à la conduite de négociations de bonne foi entre les éditeurs et les plateformes et, partant, poursuit pleinement le résultat recherché par la directive, à savoir l’établissement d’un droit voisin effectif. À cet égard, une telle mesure ne méconnaîtrait donc pas les règles d’harmonisation prévues par la directive.

Ce point de vue n’est pas partagé par Google, qui a considéré dans sa contribution écrite précitée qu’une telle mesure d’interdiction reviendrait à créer une prohibition générale ou permanente de modification de la présentation des contenus de presse sur les services des plateformes. Toutefois, le rapporteur observe que les plateformes ne pourraient pas modifier l’affichage des contenus de presse des seuls éditeurs ou agences parties à la négociation, et ce pendant la durée des négociations uniquement. Il s’agirait d’interdire aux plateformes de limiter la visibilité des publications de presse ; autrement dit, des mesures visant à améliorer l’ergonomie des résultats de recherche seraient possibles, dans la mesure où elles ne restreindraient pas cette visibilité.

Certains éditeurs ont réclamé d’étendre l’interdiction de limiter la visibilité des publications de presse à la durée des accords de négociation. Le rapporteur n’est pas en mesure de se prononcer sur la conformité d’une telle mesure à l’article 15 de la directive. Une telle interdiction pourrait s’avérer appropriée pour ne pas priver la directive d’effet utile. En effet, une plateforme qui déciderait de limiter, via ses algorithmes, la visibilité des contenus de presse, ferait dans le même temps diminuer la valeur économique desdits contenus, et donc l’assiette des droits voisins. Dans l’avant-propos du présent rapport, le rapporteur est revenu sur la marginalisation croissante des contenus de presse sur les services de Meta, qui n’a d’ailleurs pas été niée par M. Anton’Maria Battesti, directeur des affaires publiques de Meta France. M. Battesti a ainsi indiqué que Meta entendait favoriser les interactions entre ses utilisateurs et que Facebook News avait été supprimée pour que le réseau social se recentre sur « le divertissement ». En l’état du droit, une plateforme de réseau social n’a-t-elle pas le droit de faire évoluer librement son modèle ? Ainsi, interdire aux plateformes de limiter la visibilité des contenus de presse au-delà de la période des négociations pourrait porter une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprise, garantie par l’article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Dès lors, le rapporteur ne peut que demander à nouveau l’instauration, à l’échelle européenne, d’une obligation de non-discrimination algorithmique et de promotion des contenus de presse, pour préserver tant l’assiette des droits voisins qu’un espace public libre et démocratique. Pour le dire plus trivialement, les vidéos de chatons, aussi appréciables soient-elles, ne devraient pas primer sur les contenus informatifs de qualité.

Enfin, le rapporteur souligne que la CJUE se prononcera, dans le cadre de la décision préjudicielle qu’elle rendra au cours de l’année 2025 (cf. supra), sur la conformité à l’article 15 de la directive de l’interdiction italienne de « ne pas limiter la visibilité des contenus de l’éditeur dans les résultats de recherche en attendant la fin des négociations ».

  1.   La détermination par décret des éléments devant être transmis par les plateformes

La deuxième modification (alinéas 4 à 7) apportée par le présent article à l’article L. 218-4 du CPI vise à ce qu’un décret, pris après consultation des éditeurs, agences de presse et services de communication au public en ligne concernés, détermine la liste des éléments d’information que les services de communication au public en ligne doivent fournir aux éditeurs et aux agences de presse.

Une telle mesure conduirait à mettre fin à l’asymétrie d’informations et de permettre aux éditeurs et aux agences de presse de mieux connaître l’assiette de la rémunération qui leur est due au titre du droit voisin.

Afin de garantir une transmission effective par les plateformes des informations qui seront déterminées par le pouvoir réglementaire, le présent article prévoit que le refus, exprès ou tacite, d’un service de communication au public en ligne de transmettre les éléments d’informations déterminés par décret, ou la transmission partielle de ces éléments, est puni d’une amende ne pouvant excéder 2 % de son chiffre d’affaires mondial. Serait considéré comme un refus tacite le fait pour un service de communication au public en ligne de ne pas délivrer les éléments d’information dans un délai de six mois à compter de la première demande formulée par un éditeur ou une agence de presse.

  1.   La désignation de l’Autorité de la concurrence comme autorité d’arbitrage

Enfin, le présent article propose (alinéa 8) de charger l’Autorité de la concurrence d’une mission de médiation et d’arbitrage en cas d’échec des négociations. Il prévoit qu’à défaut d’accord entre un service de communication au public et un éditeur ou une agence de presse dans un délai d’un an à compter d’une demande d’entrée en négociations, chacune des parties peut saisir l’Autorité de la concurrence, laquelle devra rechercher avec les parties une solution de compromis afin de parvenir à un accord. En cas de désaccord persistant, l’Autorité de la concurrence pourra fixer unilatéralement les modalités de rémunération.

  1.   la position du rapporteur
    1.   Sur la transmission des éléments d’information prévus par le code de la propriété intellectuelle
      1.   L’intervention du pouvoir réglementaire ne paraît pas la voie la plus à même d’atteindre l’objectif de transparence et de fiabilité poursuivi par le législateur

Au cours de ses travaux, le rapporteur a été amené à faire évoluer sa position. Si le principe d’une détermination par décret de la liste des éléments devant être transmis par les plateformes aux éditeurs et aux agences de presse peut sembler séduisant, en ce qu’il empêcherait les plateformes de transmettre des informations parcellaires ou limitées, une analyse plus poussée met en évidence plusieurs écueils.

En premier lieu, il apparaît que les éditeurs de presse peuvent déterminer eux-mêmes les informations nécessaires au calcul de la rémunération qui leur est due au titre du droit voisin. L’ordonnance de référé du président du tribunal judiciaire de Paris rendue le 23 mai 2024 (cf. supra) l’illustre bien : les éditeurs de presse requérants ont réclamé un certain nombre d’éléments d’information, limitativement énumérés, et la justice a ordonné à Twitter leur transmission sous astreinte.

Deuxièmement, le rapporteur a entendu les arguments de M. Benoît Cœuré et de Mme Lauriane Lepine, respectivement président et rapporteure générale adjointe de l’Autorité de la concurrence. Selon eux, s’il pourrait être utile de disposer d’un tronc commun d’informations ou d’une liste minimale, nécessaire à toute négociation, en s’inspirant notamment des informations que Google s’était engagé à transmettre aux éditeurs, il ne faudrait pas aboutir à figer une liste exhaustive qui limiterait la possibilité pour les éditeurs et agences d’obtenir davantage d’informations en fonction du modèle économique de chaque plateforme. Par ailleurs, M. Cœuré et Mme Lepine ont rappelé que les éditeurs et les agences de presse pouvaient adresser des demandes d’informations complémentaires à Google sur le fondement de l’article L. 218-4 du CPI.

Dans sa contribution écrite aux travaux du rapporteur, la Société des droits voisins de la presse a formulé des observations similaires, jugeant indispensable de tenir compte de la diversité des redevables et de l’évolutivité des services numériques.

Il convient donc d’écarter cette solution.

  1.   Confier à une autorité indépendante la mission de veiller au respect par les plateformes de leur obligation de transmission des informations

La seconde option paraît plus réaliste et mieux à même d’atteindre le résultat recherché par le législateur, à savoir la transmission par les plateformes d’informations fiables, exhaustives et pertinentes. Sans donner compétence au pouvoir réglementaire de définir la liste des informations devant être transmises par les plateformes, le législateur pourrait confier à une autorité indépendante la mission de veiller au respect par les plateformes de leur obligation de transparence.

C’est cette voie qu’a choisie l’Italie. Le paragraphe 12 de l’article 43 bis de la loi italienne n° 633 du 22 avril 1941 sur la protection du droit d’auteur et des droits voisins prévoit que les fournisseurs de services de la société de l’information sont tenus de mettre à disposition, à la demande des éditeurs de presse ou de l’Aurorità per le Garanzie nelle Communicazioni (Agcom), « les données nécessaires pour déterminer le montant de la compensation équitable » ([46]). Le même paragraphe prévoit que l’Agcom veille au respect de cette obligation. En cas de défaut de transmission des données réclamées dans un délai de trente jours, l’Agcom peut infliger au service de communication au public en ligne concerné une sanction administrative pouvant s’élever jusqu’à 1 % du chiffre d’affaires réalisé au cours du dernier exercice.

Le rapporteur propose de s’inspirer du mécanisme italien en inscrivant dans le CPI que :

– les services de communication au public en ligne veillent à l’exhaustivité, à la fiabilité et à l’objectivité des éléments d’information qu’ils fournissent aux éditeurs et aux agences de presse, ceux-ci pouvant leur adresser des demandes d’informations complémentaires ;

– en l’absence de transmission dans un délai de trente jours des éléments d’information ou des informations complémentaires, ou si ces éléments ne répondent pas aux exigences d’exhaustivité, de fiabilité et d’objectivité, les éditeurs de presse ou les agences de presse concernés peuvent saisir l’Arcom, laquelle peut mettre en demeure le service de communication au public en ligne concerné, dans le délai qu’elle fixe, de se conformer à ses obligations. Au vu de la technicité des enjeux, il conviendra de préciser que l’Arcom, sans préjudice de sa possibilité de recourir à l’expertise du pôle d’expertise de la régulation numérique (Peren), déjà prévue par la loi, pourra s’adjoindre les services et les compétences techniques extérieurs qui lui seront nécessaires ;

– lorsque le service de communication au public en ligne ne se conforme pas à la mise en demeure qui lui est adressée, l’Arcom peut, dans les conditions prévues à l’article 42-7 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, prononcer à son encontre une sanction pécuniaire, dont le montant prend en considération la gravité des manquements ainsi que, le cas échéant, leur caractère réitéré, sans pouvoir excéder 1 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent. Il ne paraît pas possible de prévoir une sanction supérieure, compte tenu du paragraphe 3 de l’article 52 du règlement sur les services numériques (RSN) ([47])

Le dispositif proposé par le rapporteur, qui instaure la supervision par une autorité administrative indépendante du respect des obligations des plateformes, ainsi que la possibilité pour cette autorité de prononcer des sanctions pécuniaires, semble de nature à assurer l’effectivité de l’objectif de l’article 15 de la directive 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché numérique.

La possibilité pour un État membre d’obliger les services de communication au public en ligne à transmettre aux éditeurs de presse et à une autorité administrative indépendante les informations nécessaires à la détermination du montant de la rémunération due au titre du droit voisin fera partie des questions que la CJUE devra trancher en réponse à la question préjudicielle transmise par le tribunal administratif régional du Latium (cf. infra).

  1.   Sur la création d’une autorité d’arbitrage en cas d’échec des négociations

La création d’une autorité de médiation ou d’arbitrage, chargée de contrôler ou de superviser les négociations entre les plateformes et les éditeurs de presse, ne va pas de soi.

Les éditeurs et les agences de presse peuvent recourir à la justice pour faire respecter leurs droits patrimoniaux, c’est-à-dire, d’une part, pour réclamer la transmission des éléments d’information relatifs aux utilisations de leurs publications de presse en ligne et les éléments d’informations nécessaires à une évaluation transparente de la rémunération due au titre des droits voisins et, d’autre part, pour engager une action en paiement en cas d’utilisation de leurs publications par les plateformes sans rémunération. M. Benoît Cœuré et Mme Lauriane Lepine ont observé à juste titre que plusieurs éditeurs de presse avaient engagé des actions devant le tribunal judiciaire et le tribunal de commerce de Paris, notant que « ces contentieux pourraient jouer un rôle clé en offrant aux éditeurs et agences de presse un levier supplémentaire pour encadrer l’évaluation, la négociation et le paiement des droits voisins dus par les plateformes concernées ». Les représentants de la direction générale des médias et des industries culturelles (Dgmic) entendus par le rapporteur ont également évoqué la voie judiciaire comme une solution possible.

Au vu de la complexité et de la technicité de la problématique des droits voisins (cf. supra), une autorité d’arbitrage pourrait constituer, pour les éditeurs et les agences de presse, un allié précieux dans la revendication de leurs droits.

  1.   L’Autorité de la concurrence n’a pas vocation à superviser les négociations relatives aux droits voisins

L’intervention de l’Autorité de la concurrence a été cruciale pour permettre aux éditeurs et aux agences de presse d’engager avec Google des négociations de bonne foi, sur la base d’informations transparentes, objectives et fiables.

Cependant, il convient de souligner que l’Autorité de la concurrence, dans le cas de Google, n’a pu agir qu’au seul titre de son mandat de répression des pratiques anticoncurrentielles. Comme l’a rappelé l’Autorité dans sa contribution écrite aux travaux du rapporteur, dans le cas de Google, les pratiques de la société ont pu être qualifiées de manière opportune au regard du droit de la concurrence, en raison de sa position dominante sur le marché des services de recherche généraliste (Google Search).

La position dominante de Google sur le marché de la recherche en ligne – extrait de la décision de l’Autorité de la concurrence n° 20-MC-01 du 9 avril 2020

160. Les saisissants soutiennent que Google détient une position dominante sur le marché de la recherche en ligne. Selon le Sepm, qui reprend des éléments retenus par l’Autorité dans sa décision n° 19-MC-01, « Google détient une part de marché extrêmement élevée sur le marché des moteurs de recherche générale. Google Search représente en effet plus de 90% des requêtes des internautes en France (plus de 93 % en octobre 2019) » (cote 28). L’Apig relève aussi que « [Or,] la même source que celle utilisée par la Commission pour établir la position dominante dans le cadre de la décision Google Shopping indique qu’en septembre 2019, Google détenait 93,41% des parts du marché de la recherche en ligne en France. Son premier concurrent, Bing, ne détenait que 2,94% des parts de ce marché […]. La part de marché de Google est donc en augmentation. » (19/0079M cote 29). Enfin, selon l’AFP, « [En effet,] le géant des moteurs de recherche détenait, en octobre 2019, 93,34% de parts de marché sur le marché de la recherche en ligne, détenant une avance significative sur ses principaux concurrents, dont le premier Bing, détient uniquement 3,03% de parts de marché […]. Sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches, Google détenait plus de 70% des parts de marché […]. » (19/0081M cote 7). […]

162. Les éléments versés au dossier montrent que, quel que soit l’indicateur retenu pour apprécier sa part de marché, Google dispose d’une part très largement majoritaire du marché des services de recherche généraliste. En particulier, sa part de marché en nombre moyen mensuel de requêtes est de l’ordre de 90 % fin 2019 (contre environ 5 % pour son premier concurrent Microsoft, qui exploite le moteur de recherche Bing).[…]

172. En conclusion, à ce stade de l’instruction, Google apparaît susceptible de détenir une position dominante sur le marché français des services de recherche généraliste. À bien des égards, cette position dominante de Google est susceptible de revêtir l’aspect « extraordinaire », ou exceptionnel, relevé par la Commission dans l’affaire Microsoft, et plus récemment par l’Autorité dans sa décision n° 19-D-2647.

Ainsi, il s’agissait d’un cas spécifique et non d’une solution généralisable ou pérenne. L’Autorité ne dispose pas de compétence générale pour connaître de dossiers relatifs à la rémunération du droit voisin des éditeurs et agences de presse impliquant d’autres services de communication au public en ligne, tels que X ou Linkedin. S’agissant des autres plateformes, l’Autorité a considéré que, pour intervenir sur le fondement du droit de la concurrence, elle devrait engager une nouvelle instruction complète, avec ouverture d’une nouvelle procédure, afin d’analyser si les pratiques en cause sont qualifiables. Cela impliquerait la nécessaire démonstration d’une position dominante, de pratiques abusives, et, dans ce cadre, l’examen de nouvelles questions, telles que la définition du marché pertinent pour la plateforme concernée. Ainsi, les analyses menées dans le dossier Google ne pourraient être simplement répliquées, et une nouvelle instruction approfondie s’avérerait nécessaire, au cas par cas, avec les délais inhérents à une telle démarche, l’Autorité ayant rappelé que l’instruction d’un dossier antitrust pouvait durer plusieurs années. Enfin, l’Autorité a souligné qu’elle n’était pas un régulateur sectoriel et n’était pas équipée pour déterminer le niveau de rémunération des droits voisins, ni en termes de compétences ni en termes de ressources (cf. supra).

Ces constats rejoignent largement ceux des deux groupes de travail des États généraux de l’information mentionnés par le rapporteur. Le groupe de travail n° 3 « Avenir des médias d’information et du journalisme » a ainsi suggéré de missionner l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) comme tiers de confiance « pour faciliter les échanges entre les plateformes et éditeurs ». Le groupe de travail n° 5 « L’État et la régulation », quant à lui, a observé que l’Autorité de la concurrence n’apparaissait pas comme « l’institution adéquate » : « En effet, une telle procédure ne correspond pas au mandat confié à l’Autorité par le code de commerce, et il ne paraît pas souhaitable d’étendre ces prérogatives de cette manière dans un secteur particulier, que son contrôle du caractère concurrentiel d’une pratique, et notamment de celle des plateformes, ait pu la conduire à contrôler de fait le respect des droits voisins des éditeurs de presse. »

De nombreux interlocuteurs du rapporteur ont exprimé la même position.

Il convient donc de ne pas confier à l’Autorité de la concurrence la mission de supervision des négociations entre les éditeurs et les agences de presse et les plateformes.

  1.   L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) pourrait être désignée au vu de son expertise désormais solide en matière numérique

M. Laurent Garcia, dans son rapport d’information précité sur la mise en œuvre du droit voisin des éditeurs et des agences de presse, a recommandé de confier à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) un rôle d’arbitrage en cas d’échec des négociations, en la dotant pour ce faire d’un pouvoir d’injonction et de sanction, ainsi que du pouvoir de « fixer un taux de rémunération en proportion des revenus directs et indirects dont profite le redevable, des investissements consentis par le bénéficiaire et de la contribution de son contenu à l’information politique générale ».

D’autres pistes ont été évoquées par les interlocuteurs du rapporteur, notamment celle d’une extension des compétences de la CDADV.

Selon le rapporteur, le choix de l’Arcom paraît naturel au vu de l’expertise de cette institution en matière numérique. L’Arcom a été désignée, conformément à l’article 49 du règlement européen sur les services numériques (RSN), coordinateur pour les services numériques ([48]). L’Arcom connaît bien l’activité des plateformes numériques et est amenée à réguler leur activité dans plusieurs domaines. Ainsi, l’Arcom est notamment chargée de veiller au respect, par les plateformes, de leurs obligations en matière de lutte contre la manipulation de l’information ([49]) et de lutte contre les contenus haineux ([50]). Par ailleurs, l’Arcom veille déjà au respect des droits de propriété intellectuelle en ligne ([51]).

Le rapporteur observe également que l’Italie a fait un choix identique, en confiant la supervision des négociations entre les plateformes et les éditeurs à l’Agcom, dont les missions recoupent largement celles de l’Arcom ([52]).

L’extension proposée des missions de l’Arcom ne revient pas à confier à celle-ci une mission de régulation du secteur de la presse écrite, à laquelle le rapporteur ne serait pas favorable. Aujourd’hui, l’Arcom n’intervient dans le secteur de la presse écrite que de façon purement incidente, à travers son contrôle des concentrations pluri-médias ([53]).

Comme le rapporteur l’a exposé, il conviendra que l’Arcom puisse, en tant que de besoin, s’appuyer sur l’expertise du pôle d’expertise de la régulation numérique (Peren), conformément à l’article 58 A de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, et puisse s’adjoindre les services et les compétences techniques extérieurs qui lui seront nécessaires. À cet égard, l’Autorité de la concurrence a indiqué au rapporteur que, dans le cadre des engagements de Google, le mandataire, qui supervise les négociations avec la société américaine et est rémunéré par cette dernière, est composé d’une équipe de plus d’une dizaine de personnes, qui est amenée à faire régulièrement appel à différents experts de la sphère privée. Par exemple, pour l’éligibilité d’un domaine d’un éditeur, le mandataire peut recourir à l’expertise de trois cabinets d’avocats spécialisés en propriété intellectuelle.  

Il conviendra également que le Gouvernement et le Parlement veillent à doter l’Arcom des moyens nécessaires à l’exercice de cette nouvelle mission, le cas échéant en augmentant le plafond des autorisations d’emplois de l’Autorité ([54]).

  1.   la décision préjudicielle à venir de la CJUE doit inciter le Parlement à la prudence et à la patience

La CJUE aura plusieurs questions de droit à trancher dans le cadre de sa décision préjudicielle ([55]). Outre le champ des redevables du droit voisin, la Cour de Luxembourg devra se prononcer sur la conformité des dispositions italiennes à l’article 15 de la directive, dans la mesure où celles-ci :

– mettent à la charge des plateformes des obligations de rémunération (une « compensation équitable » dans le droit italien), en sus des droits exclusifs mentionnés à l’article 15 de la directive ;

– imposent aux plateformes d’entamer des négociations avec les éditeurs ;

– imposent aux plateformes de fournir aux éditeurs eux-mêmes et à l’Agcom les informations nécessaires à la détermination de la compensation équitable ;

– imposent de ne pas limiter la visibilité des contenus de l’éditeur dans les résultats de recherche en attendant la fin des négociations ;

– confèrent à l’Agcom un pouvoir de surveillance et de sanction, le pouvoir de définir les critères de référence aux fins de la détermination de la compensation équitable, le pouvoir de déterminer, en cas d’absence d’accord entre les parties, le montant exact de la compensation équitable.

Selon Meta, la transposition italienne de la directive violerait la liberté d’entreprise. Lors de l’audience de plaidoiries devant la grande chambre de la CJUE, qui s’est tenue le 10 février 2025, les avocats du gouvernement italien ont affirmé que les mesures nationales étaient nécessaires et proportionnées, dans la mesure où elles visent à garantir un équilibre dans la relation entre les éditeurs de presse et les services de communication au public en ligne. En particulier, les avocats du gouvernement italien, ainsi ceux des éditeurs italiens, ont souligné que l’avis de l’Agcom n’était pas contraignant, en ce que les éditeurs de presse comme les plateformes peuvent le contester devant la justice.

Le gouvernement français, par la voix de son avocate, a rejoint la position du gouvernement italien. Selon cette avocate, des mesures nationales visant à rééquilibrer les négociations en faveur des éditeurs de presse paraissent aptes à favoriser l’accomplissement des objectifs mentionnés au considérant 54 de la directive, c’est-à-dire la liberté et le pluralisme des médias. L’article 15 de la directive a imposé aux États membres une obligation de résultat – la protection des droits voisins – sans prescrire la manière de l’atteindre. Dès lors, il s’agit d’une disposition d’harmonisation minimale et il importerait de laisser aux États membres une marge de manœuvre suffisante pour assurer l’effectivité des droits voisins.

Si le rapporteur rejoint pleinement ces arguments, il est de son devoir d’appeler le Parlement à la prudence, dans l’attente de la décision préjudicielle de la CJUE. En effet, insérer dans le droit français, avant la décision de la Cour, des dispositions s’inspirant des mesures italiennes de transposition de l’article 15 de la directive, ferait peser sur la loi adoptée par le Parlement un important risque d’inconventionnalité. Il conviendrait donc d’attendre que la décision soit rendue avant de réviser les articles L. 218-1 à L. 218-5 du CPI. Selon le rapporteur, l’Assemblée nationale pourrait tout à fait adopter la présente proposition de loi en première lecture mais le Sénat ne devrait pas l’examiner avant que la décision de la CJUE soit rendue. Après la publication de la décision de la Cour, la navette parlementaire pourrait reprendre normalement, en tenant compte de la décision préjudicielle.

  1.   La position de la commission

La commission a adopté un amendement du rapporteur ([56]) de rédaction globale du présent article. Cet amendement procède à plusieurs modifications du chapitre VIII du titre unique du livre II du CPI.

En premier lieu, il confie à l’Arcom le soin de fixer les conditions d’application de l’article L. 218-4 du CPI, après consultation des services de communication au public en ligne, des éditeurs de presse et des agences de presse concernés. L’Arcom pourra déterminer les critères de détermination de la rémunération due au titre du droit voisin, en précisant les modalités de calcul des revenus indirects engendrés par l’exploitation des publications de presse, la façon dont les plateformes devront prendre en compte la contribution des publications de presse à l’information politique et générale, etc.

Deuxièmement, l’amendement insère, après l’article L. 218-4 du CPI, un article L. 218-4-1 qui décrit la façon dont les plateformes devront s’acquitter de leur obligation de transparence à l’égard des éditeurs et des agences de presse, suivant le mécanisme que le rapporteur a décrit ([57]).

Enfin, l’amendement insère un nouvel article L. 218-4-2 relatif à la supervision par l’Arcom des négociations entre les plateformes et les éditeurs et les agences de presse. Ce nouvel article prévoit que, pendant la durée des négociations, qui devront respecter les exigences de la bonne foi, les plateformes ne pourront pas limiter la visibilité et les modalités d’affichage des publications de presse des éditeurs ou des agences de presse concernés. Sans préjudice du droit des parties d’agir en justice, si, dans un délai de trois mois à compter de la date de demande de négociation, les parties ne sont pas parvenues à un accord sur le montant de la rémunération due au titre des droits voisins, l’une ou l’autre des parties pourra saisir l’Arcom. Celle-ci entendra leurs observations et étudiera leurs propositions. Dans un délai de deux mois, elle décidera laquelle des propositions est conforme à l’article L. 218‑4 du CPI ou, si aucune proposition n’a été formulée ou, le cas échéant, si aucune proposition n’est conforme aux conditions fixées par l’article L. 218‑4, l’Arcom pourra fixer le montant de la rémunération. Toutefois, l’une des parties pourra contester cette décision d’arbitrage devant le tribunal de commerce de Paris.

*

*     *

 

Introduit par la Commission

Le présent article apporte deux modifications à l’article L. 218-5 du CPI. Premièrement, il prévoit que la part appropriée et équitable de la rémunération, due au titre du droit voisin, à laquelle ont droit les journalistes professionnels et assimilés, ainsi que les autres auteurs des œuvres présentes dans les publications de presse, ne peut être inférieure à 25 %. Deuxièmement, il introduit dans le même article de code une obligation de communication aux journalistes professionnels et aux autres auteurs, par les éditeurs et les agences de presse, du montant des rémunérations versées par les plateformes au titre du droit voisin.

Le présent article résulte de l’adoption de deux amendements modifiant l’article L. 218-5 du CPI, lequel prévoit que les journalistes professionnels et les autres auteurs ont droit à une « part appropriée et équitable de la rémunération » due au titre du droit voisin.

  1.   L’état du droit : le partage de la rémunération due au titre du droit voisin avec les journalistes professionnels ou assimilés et les auteurs d’œuvres présentes dans les publications de presse

La loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 dite « Hadopi 1 » ([58]) a fixé le principe d’une cession automatique des droits des journalistes à l’éditeur de presse pour les diverses exploitations de leurs articles y compris en ligne. Pour autant la législation relative au droit voisin n’a pas mis de côté la situation des journalistes.

Conformément à l’article 15 de la directive, l’article L. 218-5 du CPI précise que les journalistes professionnels et les autres auteurs des œuvres présentes dans les publications de presse – c’est-à-dire essentiellement les photographes – « ont droit à une part appropriée et équitable de la rémunération » perçue par les éditeurs et les agences de presse au titre du droit voisin. La part de droit voisin accordée aux journalistes est indépendante et ne se substitue pas à la rémunération de droit d’auteur à laquelle ils peuvent prétendre en application de l’article L. 132-38 du CPI. Par ailleurs, il est précisé que « cette rémunération complémentaire n’a pas le caractère de salaire ».

Cette part ainsi que les modalités de sa répartition entre les auteurs sont fixées, selon les auteurs concernés, par un accord d’entreprise, un accord collectif ou un accord spécifique. En l’absence d’accord, l’une des parties à la négociation de l’accord d’entreprise ou de l’accord spécifique peut saisir une commission administrative – la commission droits d’auteur et droits voisins (CDADV) –, qui recherche avec les parties une solution de compromis afin de parvenir à un accord. En cas de désaccord persistant, la commission fixe la part appropriée de la rémunération ainsi que les modalités de sa répartition entre les auteurs concernés.

La CDADV, présidée par un représentant de l’État nommé parmi les membres de la Cour de cassation, du Conseil d’État ou de la Cour des comptes par arrêté du ministre chargé de la communication, est composée pour moitié de représentants des organisations professionnelles d’entreprises de presse et d’agences de presse représentatives et pour moitié de représentants des organisations représentatives des journalistes et autres auteurs. La composition, les modalités de saisine et le fonctionnement de la CDADV, ainsi que les voies de recours juridictionnel contre ses décisions et leurs modalités de publicité, ont été déterminés par un décret du 29 avril 2021 ([59]).

  1.   Peu d’accords ont été conclus entre les éditeurs de presse, les journalistes et les auteurs
    1.   Les journalistes professionnels : des négociations difficiles et compliquées par l’absence de transparence sur les rémunérations perçues au titre du droit voisin

Le rapporteur a organisé deux tables rondes à l’Assemblée nationale : l’une réunissant les syndicats de journalistes (Syndicat national des journalistes, Syndicat national des journalistes-CGT, CFFT-Journalistes, Syndicat général des journalistes-FO), l’autre réunissant des organisations représentatives des auteurs (Société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe, Société civile des auteurs multimédia, Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques, Union des photographes professionnels). Tous ont mis en avant leurs difficultés dans la négociation des accords prévus par l’article L. 218-5 du CPI, qui prévoit que les journalistes professionnels et assimilés, ainsi que les auteurs d’œuvres présentes dans les publications de presse, ont droit à une part appropriée et équitable de la rémunération due au titre du droit voisin.

D’après les syndicats de journalistes, une petite minorité de journalistes seulement a perçu des droits voisins. Selon le Syndicat général des journalistes-FO (SGJ-FO), « l’application de l’article L. 218-5 du CPI reste, cinq ans après son entrée en vigueur, totalement embryonnaire, au point qu’on pourrait y voir un véritable scandale démocratique. Le nombre d’éditeurs et d’agences de presse s’acquittant de cette obligation reste infime ».

Dans sa contribution écrite adressée au rapporteur, le Syndicat national des journalistes (SNJ) est revenu sur « le plus grand mal des délégués syndicaux à obtenir communication des licences ». N’y parvenant pas dans la majorité des cas, les journalistes seraient contraints de « négocier à l’aveugle », sans connaître avec précision les sommes perçues par les éditeurs au titre du droit voisin. Cette critique rejoint le constat dressé par M. Laurent Garcia, dans son rapport d’information précité, qui avait relayé des propos de M. Fabrice Fries, directeur général de l’AFP, pour qui « la difficulté est de concilier l’exigence de confidentialité sur les montants dans la négociation et le versement de cette rémunération aux journalistes ». M. Garcia, qui a proposé de rendre entièrement publics les accords de rémunération conclus entre les éditeurs et les plateformes, a estimé que cette transparence « devrait servir à la discussion avec les journalistes ». Sans le rejoindre sur la proposition de publier ces accords ([60]), le rapporteur rejoint M. Garcia et les syndicats de journalistes sur la nécessité, pour les journalistes professionnels, de connaître le montant des rémunérations versées au titre du droit voisin. C’est la condition d’une négociation de bonne foi. De la même façon que les éditeurs ont besoin d’informations transparentes et fiables pour estimer les revenus tirés par les plateformes de l’utilisation en ligne des publications de presse, les journalistes ont besoin de connaître le montant des rémunérations perçues par les éditeurs afin d’estimer la « part appropriée et équitable de la rémunération » qui leur est due. Selon le SNJ, leurs « demandes à l’égard des éditeurs sont exactement parallèles à celles des éditeurs à l’égard des Gafam ».

M. Garcia a également défendu la signature d’accords de branche plutôt que des accords individuels, « pour garantir une équité de traitement entre journalistes ».

Les négociations se sont engagées sur de mauvaises bases du fait de la volonté des éditeurs de presse de verser aux journalistes une rémunération forfaitaire, plutôt qu’une rémunération proportionnelle, laquelle ne devrait pas être plafonnée. Cependant, les décisions de la CDADV tendent progressivement à établir une jurisprudence en faveur de la rémunération proportionnelle, comme en témoignent les négociations menées entre les syndicats de journalistes et la direction du Monde, qui ont abouti à un accord en juin 2024, évitant le « piège de la rémunération forfaitaire » ([61]).

L’accord signé par les syndicats et la direction du Monde en juin 2024

La négociation entre les journalistes du Monde et la direction a débuté en 2021. Lors des premières réunions – il y en aurait eu au total plus d’une vingtaine – la direction du Monde proposait aux journalistes un forfait et non un pourcentage, ce que refusaient les syndicats, comme l’a rappelé au cours d’une table ronde organisée par le rapporteur Mme Anne Rodier, déléguée syndicale CFDT au Monde et membre de la CDADV, qui a joué un rôle de premier plan dans la négociation de l’accord. Les représentants des journalistes souhaitaient que l’accord prévoie le versement d’un pourcentage, à leurs yeux la seule façon possible de respecter l’esprit et la lettre de de l’article L. 218-5 du CPI, qui mentionne une « part » appropriée et équitable de la rémunération versée au titre du droit voisin. Début 2023, la direction du Monde a accepté le principe d’un pourcentage mais a souhaité le plafonner en valeur. Début 2024, la direction a finalement accepté de renoncer au plafonnement. Cette avancée a notamment été permise par deux décisions de la CDADV, l’une rendue en janvier 2023 et concernant le groupe Ebra, l’autre rendue en janvier 2024 et concernant le journal 20 Minutes. La CDADV avait alors défendu le principe d’un pourcentage et non d’une rémunération forfaitaire, fixant la part appropriée de rémunération à 18 %. Selon Mme Anne Rodier, les décisions de la CDADV ont eu un impact déterminant sur l’orientation des négociations au sein du Monde. L’accord signé en juin 2024 fixe la part de rémunération à 25 % (ce chiffre a été rendu public par les syndicats de journalistes).

Le cas de 20 Minutes illustre également bien les difficultés des journalistes dans leurs négociations avec les éditeurs. Selon la CFDT-Journalistes, la direction de la société proposait une part de rémunération fixée à 3 % seulement. Le 7 mars 2024, la CDADV a rendu sa décision, fixant ladite part à 18 %. Selon M. Xavier Regnier, journaliste, délégué syndical à 20 Minutes, la direction a depuis menacé les journalistes de ne plus payer les salaires. La société 20 Minutes a saisi la juridiction administrative, compétente, en application de l’article R. 312-11 du CPI, pour connaître des recours formés contre les décisions de la CDADV. Sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la société a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris de suspendre la décision de la CDADV, au motif que cette décision aurait « des conséquences graves et immédiates sur la situation économique de l’entreprise, déjà en difficultés ». Le juge des référés indique les sommes en jeu : suivant la décision de la CDADV, la société « devra s’acquitter de 18 % des sommes totales qu’elle perçoit au titre des droits voisins et ce de manière rétroactive pour l’année 2024, soit une somme de 828 250 euros pour son exercice 2024 puis 200 000 euros par an à compter de l’exercice 2025 ». Le juge des référés, considérant notamment que « la part fixée par la CDADV rapportée à son chiffre d’affaires [n’apparaissait] pas, en l’état de l’instruction, d’une ampleur telle qu’elle compromettrait le redressement économique de la société », a rejeté la requête de la société 20 Minutes ([62]).

Selon les représentants des syndicats de journalistes entendus par le rapporteur, la décision de la CDADV ([63]) n’a toujours pas été appliquée, une action au fond étant en cours devant la juridiction administrative.

Une autre difficulté tient au fait que l’article L. 218-5 du CPI ne mentionne pas de pourcentage minimal devant être retenu dans la détermination de la part appropriée de la rémunération due aux journalistes, contrairement à ce qui se passe dans d’autres États membres de l’Union européenne. Ainsi, l’Italie a décidé que la part de rémunération de droit voisin devant être reversée par les éditeurs aux journalistes est fixée de manière contractuelle et doit être comprise entre 2 % et 5 % du montant de cette rémunération. En Allemagne, les journalistes et auteurs doivent recevoir au moins un tiers du montant de la rémunération.

Enfin, on ne peut que regretter l’absence de conclusion d’accords collectifs, qui permettraient de mieux faire respecter les droits des journalistes.

  1.   Les négociations entre les éditeurs de presse et les autres auteurs

Dans un courrier commun adressé au rapporteur, la Société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe (Saif), la Société civile des auteurs multimédia (Scam), la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (Adagp) et l’Union des photographes professionnels (UPP), ainsi que trois syndicats de journalistes, ont considéré que les auteurs se trouvaient vis-à-vis des éditeurs dans une situation « extraordinairement déséquilibrée, au point que la loyauté de la négociation s’en trouve quasiment systématiquement compromise ».

Les représentants des trois organismes de gestion collective (Scam, Saif, Adagp) entendus par les rapporteurs ont confirmé que les auteurs n’avaient à ce jour perçu aucune part de la rémunération prévue à l’article L. 218-5 du CPI. Un accord serait en cours de négociation entre des éditeurs et la Scam, concernant une vingtaine d’auteurs. Au cours des échanges avec le rapporteur, le principe d’une rémunération forfaitaire a été rejeté et l’asymétrie d’informations entre les éditeurs et les auteurs a été dénoncée.

  1.   La position de la commission : Assurer un partage effectif de la rémunération versée au titre des droits voisins avec les journalistes et les auteurs

La commission a adopté un amendement de Mme Sophie Taillé-Polian et plusieurs de ses collègues ([64]), prévoyant que la part appropriée et équitable de la rémunération, due au titre du droit voisin, à laquelle ont droit les journalistes professionnels et assimilés, ainsi que les autres auteurs des œuvres présentes dans les publications de presse, ne peut être inférieure à 25 %. Cet amendement a été adopté contre l’avis du rapporteur, qui a jugé une telle mesure prématurée. En effet, le rapporteur aurait plutôt souhaité que le ministère de la culture organise une consultation réunissant les éditeurs de presse, les représentants des journalistes, les représentant des auteurs et les membres de la CDADV, afin d’étudier l’opportunité de fixer une part minimale de rémunération à laquelle auraient droit les journalistes et les auteurs. Pour rappel, en Allemagne, cette part ne peut être inférieure à 33 %. Dans sa contribution écrite adressée au rapporteur, le SNJ a estimé que la part globale des journalistes et des autres auteurs ne devrait pas être fixée en-dessous de 40 %. Le SGJ-FO, pour sa part, s’est prononcé en faveur d’une part fixée à 30 % pour les journalistes. Il semble que la CDADV, à travers ses décisions de 2024, soit en train de faire émerger une forme de jurisprudence. Ainsi, comme l’a déjà indiqué le rapporteur, dans le cas du groupe Ebra et du journal 20 Minutes, la CDADV a fixé la part de rémunération équitable à 18 %. Dans le cas du journal Sud Ouest, cette part a été fixée à 25 %. Faut-il inscrire dans la loi une part minimale de rémunération ou faut-il laisser la CDADV se prononcer en tenant compte de la situation économique des titres de presse ? À ce stade, le rapporteur n’est pas en mesure de se prononcer. C’est pour cela qu’il a donné un avis défavorable à l’amendement de sa collègue Sophie Taillé-Polian, tout en soutenant son objectif d’assurer un partage effectif de la rémunération due au titre du droit voisin avec les journalistes et les auteurs.

La commission a également adopté un amendement AC20 du rapporteur ([65]), répondant à la difficulté des journalistes et des auteurs à connaître le montant des accords de rémunération conclus entre les éditeurs et les agences de presse et les plateformes. Cette difficulté complique les négociations prévues par l’article L. 218-5 du CPI.

Afin d’y remédier, le rapporteur a proposé d’inscrire à l’article L. 218-5 du CPI une obligation de transparence des éditeurs et des agences de presse à l’égard des journalistes et des autres auteurs. Les éditeurs et les agences de presse seraient tenus de fournir aux organisations parties à la négociation, représentant les journalistes professionnels ou assimilés et les autres auteurs, les montants des rémunérations versées par les services de communication au public en ligne depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019. Afin de garantir l’effectivité de cette obligation, le rapporteur suggère deux pistes :

– les journalistes professionnels ou les autres auteurs pourraient saisir la CDADV, afin qu’elle ordonne à l’éditeur ou à l’agence de presse refusant de transmettre les montants des rémunérations, de respecter son obligation de transparence ;

– le non-respect par un éditeur ou une agence de presse de son obligation d’information des journalistes professionnels ou des auteurs entraînerait la suspension des aides à la presse, directes et indirectes, dont il bénéficie.

Les débats entre le Gouvernement, le Parlement, les éditeurs, les représentants des journalistes et les représentants des auteurs, doivent se poursuivre afin d’identifier la solution la mieux à même d’assurer le respect du droit des journalistes et des auteurs à percevoir une part appropriée et équitable de la rémunération due au titre du droit voisin.

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Supprimé par la Commission

Le présent article vise à renforcer le caractère dissuasif des sanctions prévues par les articles L. 335-4 à L. 335-4-2 du code de la propriété intellectuelle, en précisant qu’elles s’appliquent sans préjudice de la prohibition des pratiques anticoncurrentielles prévue par le titre II du livre IV du code de commerce.

  1.   L’état du droit

Les articles L. 335-4, L. 335-4-1 et L. 335-4-2 du CPI prévoient les peines applicables à certaines atteintes aux droits patrimoniaux, notamment le droit voisin des éditeurs et des agences de presse. Ainsi, le premier alinéa de l’article L. 335-4 du CPI punit de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende toute fixation, reproduction, communication ou mise à disposition du public, à titre onéreux ou gratuit, ou toute télédiffusion d’une prestation, d’un phonogramme, d’un vidéogramme, d’un programme ou d’une publication de presse, réalisée sans l’autorisation, lorsqu’elle est exigée, de l’artiste-interprète, du producteur de phonogrammes ou de vidéogrammes, de l’entreprise de communication audiovisuelle, de l’éditeur de presse ou de l’agence de presse. Le premier alinéa de l’article L. 335-4-1 du CPI punit de 3 750 euros d’amende le fait de porter atteinte sciemment, à des fins autres que la recherche, à une mesure technique efficace telle que définie à l’article L. 331-5 du CPI, afin d’altérer la protection d’une interprétation, d’un phonogramme, d’un vidéogramme, d’un programme ou d’une publication de presse par un décodage, un décryptage ou toute autre intervention personnelle destinée à contourner, neutraliser ou supprimer un mécanisme de protection ou de contrôle, lorsque cette atteinte est réalisée par d’autres moyens que l’utilisation d’une application technologique, d’un dispositif ou d’un composant existant.

Les articles L. 420-1 à L. 420-7 du code de commerce prohibent les pratiques concurrentielles et prévoient les sanctions applicables.

  1.   les dispositions de la proposition de loi

Le présent article prévoit de préciser, au sein des articles L. 335-4 à L. 335-4-2, que les sanctions prévues par ces articles sont sans préjudice des dispositions du titre II du livre IV du code de commerce prohibant les pratiques anticoncurrentielles.

  1.   La position de la commission

Au terme de ses travaux, il est apparu au rapporteur que le présent article était dépourvu de portée normative. Il a donc proposé aux membres de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de le supprimer. La commission, suivant son avis, a adopté un amendement de suppression ([66]).

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Article 3
Gage financier

Adopté par la Commission sans modification

Le présent article prévoit de compenser la charge résultant pour l’État de l’application de la proposition de loi.

Le présent article prévoit que la charge résultant, pour l’État, de l’application de la proposition de loi, est compensée par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.


   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Au cours de sa réunion du mardi 18 février 2025, la commission examine la proposition de loi visant à renforcer l’effectivité des droits voisins de la presse (n  824) ([67]).

Mme Céline Calvez, présidente. Nous examinons aujourd’hui la proposition de loi visant à renforcer l’effectivité des droits voisins de la presse, dont le rapporteur est M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il y a près de cinq ans, le Parlement adoptait définitivement la proposition de loi du sénateur David Assouline tendant à créer un droit voisin au profit des agences et des éditeurs de presse. La France, fidèle à sa tradition de protection du droit d’auteur, devenait ainsi le premier État membre de l’Union européenne à transposer l’article 15 de la directive 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, dite directive droit d’auteur.

Le but du législateur était simple : mettre fin au pillage – le mot n’est pas excessif – des publications de presse par les plateformes numériques, qui en tirent des revenus exponentiels, principalement par le biais des recettes publicitaires. Que ce soit sur Google, sur X ou sur Facebook, la présence des contenus de presse est décisive pour l’attractivité des services des géants du numérique, dits Gafam. Avant la loi de 2019, il n’existait aucun mécanisme de partage de la valeur entre ces derniers et les éditeurs et agences de presse, alors même que le modèle économique du secteur de la presse était en voie d’effondrement – il l’est toujours. En créant un droit voisin des éditeurs et des agences de presse, le législateur a imposé aux plateformes de rémunérer les éditeurs au titre de la reproduction et de la communication au public de leurs publications.

La loi prévoit que cette rémunération est assise sur les recettes d’exploitation de toute nature, directe ou indirecte, des publications de presse et doit prendre en compte les investissements réalisés par les éditeurs et les agences de presse, la contribution des publications à l’information politique et générale, ainsi que l’importance de l’utilisation des publications par les plateformes. Afin que les éditeurs puissent évaluer la rémunération qui leur est due, les plateformes doivent leur transmettre tous les éléments d’information relatifs aux utilisations de leurs publications par les usagers, et tous les autres éléments d’information nécessaires à une évaluation transparente de la rémunération. Enfin, la France a souhaité que les journalistes et les auteurs d’œuvres intégrées dans les publications de presse – essentiellement les photographes – aient droit à une part appropriée et équitable de la rémunération perçue par les éditeurs au titre du droit voisin.

Cinq ans après l’adoption de cette loi, force est de constater que la volonté du législateur n’est pas accomplie. Des accords ont été signés par Google, mais à quel prix ? Il aura fallu le courage de l’Autorité de la concurrence (ADLC), saisie par les éditeurs de presse, pour que Google accepte de négocier. En 2019, cette société avait menacé les éditeurs de déréférencer leurs contenus s’ils n’en autorisaient pas la reproduction gratuite, en totale contradiction avec l’esprit de la loi et de la directive européenne. Après quatre décisions de l’Autorité de la concurrence et 750 millions d’euros d’amende, Google a enfin consenti à appliquer la loi – et encore partiellement, puisque la dernière amende date de moins d’un an. Au reste, le montant des amendes ayant été directement réglées au Trésor public, conformément à la loi, la presse n’en a pas vu la couleur. Cette situation est pour le moins ubuesque : l’État s’est enrichi sur le dos d’un secteur en plein marasme économique depuis plus de vingt ans.

J’aurais souhaité proposer dès ce texte que le produit des amendes prononcées par l’ADLC soit affecté à la presse par le biais d’un compte spécial, mais la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) l’interdit ; seule une loi de finances d’initiative gouvernementale peut créer un compte spécial. Vous pourrez compter sur moi, et j’espère pouvoir compter sur vous, pour y revenir dans un prochain projet de loi de finances.

Meta a signé quelques accords mais les montants prévus sont faibles et vont diminuer, cette plateforme entendant se recentrer sur le divertissement – ce qui soulève un autre problème qu’il faudra traiter le moment venu, lors de la révision du règlement européen sur les services numériques. Les entreprises X et LinkedIn n’ont signé aucun accord, alors que les publications de presse sont massivement présentes sur leurs plateformes : elles estiment ne pas être soumises à la directive européenne, au motif que les contenus de presse seraient partagés par des utilisateurs individuels, et refusent tout simplement de négocier. En mai dernier, le tribunal judiciaire de Paris a ordonné à X de transmettre aux éditeurs de presse les informations nécessaires à l’estimation de leur rémunération ; traitant la justice avec autant de mépris que les éditeurs, cette entreprise n’a pas appliqué la décision.

Cette situation est un double scandale, économique et démocratique. Un scandale économique, d’abord, parce qu’au-delà d’une réaction d’orgueil du législateur, qui ne devrait en aucune circonstance se laisser piétiner, il y va de la survie économique du secteur de la presse, qui a cruellement besoin de ces ressources. Son chiffre d’affaires a été divisé par deux en l’espace de vingt ans, notamment en raison de l’érosion de ses recettes publicitaires, de plus en plus captées par les Gafam ; ils en détiennent déjà plus de la moitié. L’an dernier, Google a dégagé un chiffre d’affaires de plus de 350 milliards de dollars et un bénéfice de 101 milliards.

Un scandale démocratique, ensuite, parce que la préservation du modèle économique de la presse est la condition de l’accès des citoyens à une information fiable et indépendante. Sommes-nous prêts à confier aux Gafam la libre circulation des idées et le pluralisme, à l’heure où un Français sur deux s’informe quotidiennement sur les réseaux sociaux ? Il est indispensable de renforcer la loi pour aider les éditeurs de presse à obtenir les informations prévues et contraindre les plateformes à négocier de bonne foi et à payer une rémunération équitable.

Les auditions et les recherches que j’ai menées m’ont conduit à proposer une nouvelle rédaction de la proposition de loi, inspirée de la transposition italienne de l’article 15 de la directive européenne.

En premier lieu, je vous propose de renoncer à la définition par décret des éléments d’information que devront obligatoirement transmettre les plateformes, car elle risquerait de figer une liste qui ne tiendrait pas compte du modèle économique et de l’évolution des services des plateformes. La solution la plus souple consiste à laisser les éditeurs réclamer les informations qui leur paraissent pertinentes, comme ils l’ont d’ailleurs fait en saisissant la justice concernant X. En cas d’information incomplète ou de refus de toute transmission, les éditeurs pourraient saisir une autorité de médiation, qui mettrait en demeure la plateforme de respecter ses obligations sous peine d’amende. La désignation d’une autorité d’arbitrage me paraît indispensable pour rééquilibrer le rapport de force entre les éditeurs et les plateformes. Certes, les éditeurs peuvent saisir la justice mais les procédures sont longues et coûteuses et la presse manque à la fois de temps et d’argent, contrairement aux plateformes qui ne demandent qu’à jouer la montre.

La proposition de loi charge l’Autorité de la concurrence de veiller à la bonne transmission des informations et à la conduite des négociations de bonne foi, mais pour différentes raisons, je vous propose de confier cette mission à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Tout d’abord, l’Autorité de la concurrence n’a pas vocation à réguler un secteur spécifique ; dans le cas de Google, elle n’a pu intervenir que sur le fondement de son mandat de répression des pratiques anticoncurrentielles. En revanche, l’Arcom dispose d’une expertise numérique incontestable et régule déjà l’activité des plateformes ; elle a été désignée l’an dernier coordinateur pour les services numériques. Ensuite, elle remplit déjà des missions en matière de respect du droit d’auteur en ligne – sachant qu’il ne s’agit évidemment pas pour l’Arcom de réguler la presse, mais de jouer un rôle de médiateur. Enfin, il s’agit d’une autorité puissante qui pourra constituer un allié de taille pour les éditeurs.

Cependant, l’Arcom ne dispose pas à ce jour des moyens de mener à bien cette mission. Au sein du cabinet d’avocats désigné comme mandataire par l’ADLC, pas moins de dix personnes suivent le dossier des droits voisins. Nous devrons donc veiller à ce que l’Arcom soit dotée des effectifs nécessaires à l’accomplissement de cette nouvelle mission, étant entendu que les éditeurs pourront toujours ester en justice s’ils l’estiment nécessaire.

Ce dispositif, qui s’inspire de la législation italienne, prévoit qu’en l’absence d’accord dans un délai de trois mois, les parties pourront saisir l’Arcom, qui examinera les propositions de chacun et pourra déterminer elle-même une proposition de rémunération. Un tel système me paraît pouvoir garantir l’effectivité des droits voisins.

Cependant, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) instruit actuellement une question préjudicielle posée par un tribunal italien et devra se prononcer sur la conformité de la législation italienne à l’article 15 de la directive d’ici à la fin de l’année. Il s’agit notamment de savoir si un État membre peut imposer aux plateformes une obligation de rémunération et de transmission des informations nécessaires à l’évaluation de la rémunération, et s’il peut confier à une autorité administrative la supervision des négociations. Le 10 février, une audience de plaidoiries a eu lieu à Luxembourg, au cours de laquelle les gouvernements français et italien ont défendu l’instauration de mesures nationales visant à rééquilibrer les négociations en faveur des éditeurs de presse.

J’espère que la Cour donnera raison à l’Italie plutôt qu’à Meta, qui est à l’origine du litige, sans quoi nous nous trouverions démunis. Les arguments de la France et de l’Italie m’ont paru de bon sens, mais n’étant pas encore juge, je ne peux que recommander au Parlement d'attendre que la Cour ait rendu sa décision.

Mme Céline Calvez, présidente. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Arnaud Sanvert (RN). Depuis de nombreuses années, les grandes multinationales du numérique s’approprient sans vergogne le travail de nos éditeurs et journalistes, engrangeant grâce à eux des milliards de dollars sans leur reverser une rémunération juste. Pendant que ces entreprises, notamment américaines, prospèrent, la presse française subit un effondrement économique inédit.

Afin de rééquilibrer ce rapport de force, nous avons créé en 2019 des droits voisins, mais six ans plus tard, le constat est accablant : Google et consorts ont tout fait pour contourner la loi, refusant de négocier, exploitant des failles juridiques et ne divulguant leurs revenus qu’au compte-gouttes. Il a fallu des amendes records – les sanctions prononcées par l’Autorité de la concurrence ont atteint 750 millions d’euros – pour les contraindre à s’asseoir à la table des négociations.

Les accords passés demeurent très insuffisants et les plateformes du numérique continuent de capter la majeure partie de la valeur créée par l’information journalistique. L’opacité règne toujours sur la manière dont elles monétisent ces contenus. Les Gafam, notamment, se présentent comme de simples passerelles numériques alors qu’elles agissent comme de véritables gourous de l’information. Ces géants du numérique captent l’essentiel de la valeur créée par la presse française, qui peine à tirer profit de ses propres contenus et dont le chiffre d’affaires a chuté de 45 % en vingt ans. De même, ils détournent massivement les recettes publicitaires au point qu’ils captent déjà 52 % de ce marché et pourraient en absorber 65 % en 2030.

Grâce à cette proposition de loi, les plateformes ne pourront plus s’arroger gratuitement le travail des éditeurs et des journalistes en toute opacité. Elles devront rendre des comptes sur les revenus qu’elles génèrent grâce aux contenus de presse, ce qui mettra fin au monopole qu’elles exercent dans le plus grand secret. Celles qui tenteraient encore de contourner la loi s’exposeraient à des sanctions non plus symboliques, mais immédiates et dissuasives, prenant la forme d’amendes pouvant atteindre 2 % de leur chiffre d’affaires mondial, soit des centaines de millions d’euros. Enfin, elles ne pourront plus négocier à leur avantage ou faire traîner indéfiniment les discussions. L’Autorité de la concurrence pourra imposer une rémunération plus juste garantissant aux éditeurs ce qui leur revient de droit.

Ce combat n’est pas seulement économique, il constitue un enjeu de souveraineté culturelle et démocratique. Le groupe Rassemblement national votera sans hésitation cette proposition de loi, qui envoie un message clair : les règles ne seront plus édictées depuis la Silicon Valley, mais depuis la France.

Mme Violette Spillebout (EPR). Parce que la démocratie ne peut se nourrir que de débats libres et éclairés, une presse plurielle et de qualité est essentielle. Il est crucial d’assurer l’application des droits voisins pour protéger le travail des journalistes et garantir une information indépendante et accessible à tous. Depuis 2019, la France est pionnière en ce domaine.

L’objectif de la directive européenne du 17 avril 2019 était clair : rééquilibrer le partage de la valeur entre les plateformes numériques et la presse. Pourtant, force est de constater que son bilan est très contrasté. Malgré une reconnaissance légale, les éditeurs de presse continuent de faire face à de nombreuses difficultés dans l’application effective de ces droits ; malgré leur obligation, certaines plateformes, comme X et LinkedIn, n’ont toujours pas conclu d’accord avec eux. L’Autorité de la concurrence a dû intervenir à plusieurs reprises, notamment en 2021, en sanctionnant lourdement Google pour des abus de position dominante. Aujourd’hui encore, certaines plateformes refusent toute négociation, privant de nombreux médias d’une juste rémunération de leur travail. C’est inacceptable.

Cependant, des négociations positives démontrent que les droits voisins peuvent fonctionner. Ainsi, l’accord récemment signé entre Google et l’Alliance de la presse d’information générale (Apig) couvre plus de 300 publications. Il permet de mieux rémunérer les auteurs de la presse et de poser les bases d’un dialogue plus équilibré.

La présente proposition de loi a pour objectif de clarifier et de renforcer le cadre des négociations entre éditeurs de presse et plateformes numériques. Elle introduit un délai de plusieurs mois, dont nous pourrons débattre, pour transmettre les informations nécessaires à la bonne tenue de ces négociations, ainsi que des sanctions et une procédure de médiation. Elle avait été élaborée au cours de la précédente législature par notre ancien collègue Laurent Esquenet-Goxes, que je salue. Avec Jérémie Patrier-Leitus, nous en avions fait l’un des sujets de travail du groupe média et information de la majorité présidentielle, qui a rassemblé pendant huit mois une trentaine de députés autour du sujet des droits voisins. Je me réjouis d’ailleurs que ces travaux aient été intégrés aux réflexions sur la future loi issue des États généraux de l’information (EGI), que nous attendons tous.

Nous serons vigilants quant aux moyens alloués à l’Arcom pour mener à bien les négociations et quant aux montants des sanctions, qui doivent être cohérents avec ce qui est déjà prévu en matière de violation des droits voisins. En tout état de cause, le groupe Ensemble pour la République soutiendra cette proposition de loi.

Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Dans son programme, La France insoumise défend une application stricte du droit d’auteur et des droits voisins, avec l’indexation, sous le contrôle de l’Arcom, de la réutilisation des contenus édités par les médias français, qui doit concerner toutes les plateformes et moteurs de recherche.

Cette proposition de loi va dans le bon sens, notamment parce qu’elle pose la question de la rémunération dans le secteur de la presse, alors que le métier de journaliste se précarise. Néanmoins, elle établit le principe de la rémunération des éditeurs pour l’utilisation de leur contenu, mais sans délimiter le cadre des négociations dont le succès repose sur des échanges individuels. Il faut également veiller à ce que les journalistes soient rémunérés à la hauteur de leur travail ; or rien ne garantit que la part des recettes qui leur sera reversée par les agences et les éditeurs de presse sera appropriée et équitable, alors qu’ils sont eux-mêmes à l’origine de la création de valeur.

Plus largement, il nous faut prendre au sérieux le sentiment de toute-puissance des plateformes et de leurs propriétaires, dont Elon Musk est l’illustration la plus spectaculaire, et nous interroger sur la dépendance des médias à l’égard d’une petite poignée de plateformes dominée par les Gafam. Certaines d’entre elles bafouent la loi et ne respectent pas le principe même des droits voisins. L’Autorité de la concurrence a sanctionné Google pour l’absence de négociation de bonne foi sur la base de critères transparents, objectifs et non discriminants. Le réseau social X a également été attaqué en justice en novembre dernier par plusieurs groupes de presse, auxquels appartiennent Le Figaro, Le Monde, Télérama, Le Parisien ou Les Échos, parce qu’il utilisait leurs contenus sans payer. En janvier dernier, LinkedIn était à son tour assignée en justice pour la même raison.

Tous ces géants de la tech ont des points communs : se mettre au service de Donald Trump ; cibler les réglementations existantes en Europe ; enchaîner les procédures bâillons contre les médias ; démanteler les quelques garde-fous protégeant l’intégrité de l’information sur internet ; défendre le prétendu droit à la liberté d’expression, surtout quand il s’agit de propager toujours plus de fake news et de racisme tout en restreignant la liberté de la presse.

L’affaire Notre-Dame-de-Bétharram l’illustre : la démocratie a besoin du travail de journalistes d’investigation indépendants face au régime des fake news et de la contrevérité. À l’heure des saluts nazis décomplexés d’Elon Musk, et de la suppression de la modération des contenus par Mark Zuckerberg au profit de l’énergie masculine et au détriment de la diversité, nous avons de quoi être inquiets quant à l’avenir de ces plateformes, des médias et de l’information.

Ne devrions-nous pas craindre, de la part de ces milliardaires, un déréférencement pur et simple des contenus ne contribuant pas à leur quête idéologique réactionnaire ? De ce point de vue, l’obligation faite aux plateformes de rémunérer les sociétés éditrices leur donne aussi le pouvoir de sélectionner les informations pour lesquelles elles sont prêtes à payer.

Vous l’aurez compris, ce texte nous semble aller dans le bon sens, bien qu’il n’aborde qu’une part infime des enjeux de la défense du droit à l’information dans notre bras de fer avec les Gafam.

M. Emmanuel Grégoire (SOC). Cette proposition de loi est importante et va dans le bon sens, notamment parce qu’elle tend à corriger l’inefficacité de la loi de juillet 2019, qui avait ouvert un chantier important sur les droits voisins. Ce sujet est crucial, non seulement en raison de la chute des revenus publicitaires de plusieurs médias, qui met en péril leur viabilité économique, mais plus fondamentalement en matière de juste rémunération de la création de valeur.

La captation par certaines plateformes numériques d’une partie de cette valeur au gré de leur pouvoir d’agrégation de contenus ne saurait se faire au détriment de la création elle-même ; au reste, si les contenus finissent par disparaître, elles n’auront plus guère d’intérêt.

L’application de la loi de juillet 2019 est perfectible. Le mécanisme des droits voisins de la presse est essentiel pour permettre aux éditeurs et aux agences de presse d’être rémunérés par les plateformes numériques lorsqu’elles utilisent leurs contenus, mais aussi pour compenser la perte des revenus publicitaires.

Plusieurs failles ont déjà été évoquées : le manque de transparence et la rétention d’information de la part des plateformes ; l’insuffisance des données, parfois inexploitables, qui alimente le déséquilibre des rapports de force lors de négociations postérieures ; l’absence de sanctions suffisamment dissuasives – puisque certaines plateformes se sentent autorisées à s’en exonérer ; des manœuvres dilatoires visant à contourner le dispositif en retardant éternellement les discussions ou en limitant l’affichage des contenus de presse. De plus, la question de l’application des droits voisins aux contenus utilisés par l’intelligence artificielle (IA) reste en suspens ; nous devrons évidemment y répondre ultérieurement.

La proposition de loi comporte différentes dispositions favorables au renforcement de la transparence sur les sanctions et sur la médiation obligatoire. Je reste néanmoins convaincu que l’Arcep – Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse – est mieux qualifiée que l’Arcom.

Enfin, je me réjouis que l’amendement de la sénatrice Sylvie Robert à l’article 7 de sa propre proposition de loi sur le sujet ait été repris ; il vise à renforcer l’indépendance des médias en s’appuyant sur la jurisprudence du Conseil d’État.

En tout état de cause, le groupe Socialistes et apparentés soutient cette proposition de loi et apportera des ajustements par voie d’amendement.

Mme Virginie Duby-Muller (DR). Merci, monsieur le rapporteur, de nous donner l’occasion d’aborder les droits voisins, enjeu majeur pour l’avenir de la presse à l’ère du numérique sur lequel nous devons progresser rapidement tant les mutations sont profondes.

Une presse libre et indépendante est un élément constitutif de nos démocraties. Avec l’essor de la presse en ligne, les acteurs du secteur doivent inventer un nouveau modèle économique, sans pour autant devenir otages des plateformes de diffusion de contenus.

En 2019, une première pierre a été posée à l’édifice avec l’adoption de la loi de MM. Assouline, Kanner et Daunis, qui a introduit le concept de droit voisin en droit français afin de défendre les intérêts des éditeurs et des auteurs qui leur ont cédé leurs droits. Nous en voyons désormais les limites, puisqu’elle ne permet à l’État d’intervenir qu’en cas d’abus de position dominante ; elle a été impuissante à rééquilibrer les négociations entre les plateformes et les éditeurs et agences de presse.

Comme l’ont montré les auditions, la première demande des éditeurs de presse est celle d’une plus grande transparence de la part des plateformes au sujet du marché de la publicité. Malheureusement, ce problème existe depuis l’application de cette législation. Il y a trois ans, j’avais présenté avec notre ancien collègue Laurent Garcia un rapport parlementaire dans lequel nous montrions que les éditeurs et les agences de presse n’avaient pas les moyens d’établir une coopération saine avec les plateformes numériques du fait de l’opacité de leur fonctionnement – opacité qui perdure.

Si notre pays est pionnier en matière de droits voisins, il reste beaucoup à faire pour garantir une juste répartition de la valeur entre les acteurs du secteur de la presse et les plateformes numériques. Cette proposition de loi ambitieuse illustre notre engagement résolu, que nous défendons aussi au niveau européen en enjoignant à nos partenaires de nous soutenir.

Bien que certaines dispositions techniques nécessitent sans doute des ajustements, le groupe Droite républicaine soutiendra ce texte, demandé par les éditeurs et les agences de presse, ainsi que par les journalistes qu’ils emploient. La question de la protection des droits des éditeurs de presse se posera également dans le contexte de l’émergence de l’intelligence artificielle générative.

Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). Je tiens à saluer le travail transpartisan mené pendant la précédente législature par Laurent Esquenet-Goxes sur le sujet crucial des droits voisins, dont le groupe Les Démocrates s’est beaucoup inspiré pour présenter – je l’en remercie – cette proposition de loi.

Pour que la presse reste libre et pluraliste, il faut garantir son modèle économique, très fragilisé par l’évaporation des recettes publicitaires vers les plateformes. À ce problème, il faut apporter des solutions concrètes et rapides car sans modèle économique viable, les médias risquent de se raréfier, la pluralité de reculer et les citoyens et citoyennes de perdre leur accès à une information libre, indépendante et pluraliste.

Bien qu’indispensable, cette proposition loi ne résout toutefois pas les problèmes plus généraux auxquels font face la presse et les médias, en particulier la mainmise des Gafam – dont les patrons milliardaires se mettent à la politique en choisissant le plus mauvais côté de l’histoire, utilisant leurs plateformes pour soutenir les desseins de la présidence Trump, qui vire nettement au fascisme. Plus que jamais, nous devons intervenir pour éviter qu’ils captent l’intégralité des ressources indispensables à une presse libre ; à cet égard, ce texte va clairement dans le bon sens. Outre l’enjeu de la récupération de moyens financiers grâce à la transparence, il faut aussi inciter les éditeurs à jouer collectif pour que les plus gros d’entre eux ne tentent pas de se tailler la part du lion au détriment des plus petits, engagés en faveur du pluralisme et d’une presse libre et indépendante. Enfin, il faut lutter contre la précarisation accrue des journalistes, qui doivent eux aussi bénéficier des droits voisins.

Mme Sophie Mette (Dem). Le groupe Les Démocrates a choisi d’inscrire au programme de la journée qui lui est réservée la question des droits voisins dans la presse, un sujet qui nous est cher – notre ancien président de groupe Patrick Mignola et Laurent Garcia y avaient travaillé pendant la XVe législature, de même que Laurent Esquenet-Goxes plus récemment. Les droits voisins permettent aux éditeurs et aux agences de presse de se faire rémunérer lorsque leurs contenus sont réutilisés sur internet – c’est un droit élémentaire. Qui utilise ces contenus sans s’embarrasser de leur payer leur dû ? Ce sont les grandes entreprises américaines du numérique – les Gafam.

En 2019, l’Union européenne s’est élevée contre ces pratiques abusives en adoptant une directive, transposée en droit français la même année, qui visait à équilibrer les négociations entre les éditeurs et les agences de presse d’une part, et les plateformes numériques d’autre part, grâce à une nouvelle définition du partage de la valeur. Mais les années passent et ce droit n’est toujours pas pleinement effectif. Loin de nous résigner, nous devons nous rassembler par-delà les clivages politiques pour le défendre : il y va de la souveraineté de la France et de la place de l’Europe sur l’échiquier international.

Jusqu’ici, l’intention du législateur n’a pas été respectée. Les éditeurs et les agences de presse n’ont pas les moyens de coopérer sainement avec les plateformes numériques, dont le fonctionnement est opaque. Rares sont ceux qui ont été rémunérés en vertu des droits voisins.

Nous exigeons plus de transparence. L’enjeu est démocratique : il s’agit de permettre à la presse de faire correctement son travail ainsi que de garantir l’indépendance des médias, principe constitutionnel. Lors des auditions, les agences et les éditeurs de presse ont exprimé une attente unanime. La présente proposition de loi vise à réduire l’asymétrie d’information et à confier à l’Arcom un rôle déterminant, en donnant aux amendes un caractère dissuasif.

La France n’est pas seule à mener cette lutte : l’Italie a posé une question préjudicielle à la CJUE. Les éditeurs subissent des pertes financières lourdes : nous devons avancer au plus vite – la navette parlementaire y contribuera. Nous appelons chacun à se joindre à nous pour y parvenir.

M. Jérémie Patrier-Leitus (HOR). Nous sommes à un tournant de l’histoire : les Gafam deviennent le bras armé du gouvernement américain pour servir le projet politique de déréguler la presse, pilier de la démocratie. Dans ce contexte, la présente proposition de loi vise à garantir la fiabilité, l’indépendance et le pluralisme de l’information, nécessaires à la souveraineté mais mises à mal par les plateformes et la concentration des médias, qui fragilisent le modèle économique – et donc la viabilité – de la presse, socle de la démocratie.

Les droits voisins ne sont pas respectés car les plateformes ne jouent pas le jeu. Je salue le choix du groupe Les Démocrates d’inscrire ce texte déterminant à notre ordre du jour, en posant la première pierre de l’effectivité des droits voisins. Nous devons poursuivre votre travail ; je souhaite d’ailleurs que notre groupe dépose une proposition de loi dans le cadre des États généraux de l’information. À ceux que séduirait le projet politique du président américain, soutenu par les plateformes, je réponds qu’il défend la souveraineté américaine, non les intérêts de la France : nous devons protéger notre presse et nos médias et leur garantir un avenir.

M. Salvatore Castiglione (LIOT). Soutenir la presse face aux plateformes numériques exige de lui assurer la juste rémunération de l’exploitation de ses contenus. Si la législation relative aux droits voisins a constitué un progrès majeur, plusieurs lacunes limitent son efficacité. Elles avaient été anticipées à l’époque mais aucune solution satisfaisante n’avait alors été trouvée.

Il n’est pas normal que des éditeurs de presse doivent faire appel à la justice pour faire respecter leurs droits : la négociation doit être la règle. Nous soutiendrons donc la présente proposition de loi, qui tend à combler ces lacunes.

La négociation entre les éditeurs et les plateformes est déséquilibrée, ce qui pénalise surtout les petits journaux locaux et indépendants. De plus, les plateformes étrangères peuvent jouer sur les différences juridiques entre les pays et sur le manque de régulation globale pour éviter de rémunérer les éditeurs français. Le déséquilibre naît notamment du manque de transparence : les données qui permettraient d’évaluer plus justement les bénéfices liés à l’utilisation de contenus de la presse française ne sont pas transmises.

Le texte prévoit qu’un décret déterminera quels éléments d’information devront être fournis et instaure un délai maximal ; cela diminuera le déséquilibre. Reste à savoir quels éléments seront concernés et si la loi doit en fixer la liste. Le texte ne prévoit pas de mieux encadrer les explications, comme les liens hypertextes et les extraits courts, or cela éviterait les contournements.

L’absence de mécanismes structurés pour garantir une répartition équitable des revenus rend le système opaque, affaiblissant la capacité des éditeurs à se défendre collectivement. La loi prévoit que la rémunération doit être équitable mais, en l’absence de critères précis, il est difficile d’évaluer l’équité des accords signés entre les éditeurs et les plateformes.

En l’absence d’accord, le texte prévoit que l’Autorité de la concurrence déterminera les modalités de rémunération. Une telle disposition gagnerait à être mieux encadrée à l’aide de critères précis. Par ailleurs, la question se pose du choix de l’autorité. Ne faudrait-il pas plutôt élargir les missions de l’Arcom, comme cela a été proposé? Jusqu’ici, l’Autorité de la concurrence s’est fondée sur l’abus de position dominante pour condamner Google. Or le dossier des droits voisins ne se limite pas au respect du droit de la concurrence, ce qui nécessite l’intervention d’un acteur plus approprié.

Nous sommes convaincus qu’il faut réfléchir aux droits voisins dans le cadre d’une réforme globale visant à assurer l’avenir de nos médias.

Mme Soumya Bourouaha (GDR). Les Gafam vampirisent les contenus de la presse en ligne. Entre 2006 et 2019, le chiffre d’affaires de la presse a chuté de 11 à 6,2 milliards d’euros. La majeure partie de cette baisse s’explique par une perte de 57 % des revenus publicitaires, contre 22 % de ceux liés aux ventes. Pendant ce temps, les grandes plateformes récupèrent 75 % des revenus publicitaires en ligne. En 2022, un rapport d’information de l’Assemblée nationale soulignait que le nombre d’accords conclus en application des droits voisins était marginal ; l’intention du législateur n’a pas été respectée. Les faits récents confirment le constat : en 2024, une cinquantaine d’éditeurs de presse se sont regroupés afin d’attaquer Microsoft, qui refusait de fournir les informations nécessaires pour évaluer le montant des rémunérations ; devant le refus de LinkedIn d’ouvrir les négociations, Le Figaro a engagé sa propre procédure judiciaire au tribunal judiciaire de Paris. En renforçant les exigences de transparence et les pouvoirs de sanction de l’Arcom, le présent texte remédie aux défaillances du cadre normatif en vigueur.

Cependant, la notion de droits voisins soulève encore de nombreuses questions, notamment celle de ses effets sur le pluralisme de l’information. En effet, les petits éditeurs de presse n’ont pas les mêmes moyens financiers et ne pèsent pas le même poids que les éditeurs les plus reconnus pour négocier des conventions justes. Nous défendrons donc un amendement tendant à publier les accords que les services de communication au public en ligne auront conclus avec les éditeurs et agences de presse. Cela permettra de réformer les aides publiques à la presse afin que les petits éditeurs, souvent oubliés, soient davantage favorisés.

M. Erwan Balanant, rapporteur. À mon tour, je remercie Laurent Esquenet-Goxes ; Patrick Mignola, qui a repris le travail de David Assouline dans le cadre de la navette ; Laurent Garcia et Virginie Duby-Muller, dont l’excellent rapport nous a largement inspirés – ce qui montre combien l’évaluation des lois est essentielle.

La représentation nationale est unanime sur l’action à mener : c’est bon signe. Nous voulons faire respecter une décision souveraine des parlements européen et français. Nous avons créé les droits voisins, affirmant notre vision de la presse et notre conception de la répartition de la valeur qu’elle crée ; il faut les faire respecter. M. Patrier-Leitus l’a dit, le moment est particulier : le discours que le vice-président des États-Unis a prononcé à Munich vient heurter l’échafaudage que nous avons bâti.

Tous, nous voulons que les Gafam rendent des comptes. Il faut de la transparence pour s’assurer que le partage de la valeur est juste. Vous avez raison, Madame Spillebout, il faudra choisir entre des négociations collectives et individuelles ; leur réussite est la condition pour que la presse soit en mesure de faire vivre le pluralisme. Certaines négociations ont abouti, comme celle de l’Apig, mais, à l’instar de Mmes Taillé-Polian et Bourouaha, nous devons nous poser la question des petits.

Je défendrai, Madame Legrain, un amendement visant à ce que soit versée aux journalistes et aux auteurs une rémunération équitable.

La question de la promotion de la presse, qui nous renvoie à la loi Bichet, est centrale. Les plateformes pourraient être tentées de déréférencer certains textes. Elles ont déjà essayé de le faire : cela leur a valu des attaques, dont elles sont sortis perdantes. Un kiosque de rue a l’obligation de vendre tous les périodiques ; on pourrait y soumettre également les plateformes numériques, quoique cela dépasserait le cadre de la directive.

M. Grégoire soulève la question des attributions respectives de l’Arcep et de l’Arcom. On pourrait en effet douter de l’opportunité de placer la presse sous l’égide de l’Arcom, mais celle-ci est parfaitement outillée pour remplir cette mission. Depuis l’entrée en vigueur de la loi visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique (Sren) et la transposition du règlement relatif à un marché unique des services numériques (DSA), elle est le référent numérique. Tous les chiffres et les éléments factuels dont nous disposons sont issus d’études qu’elle a menées. Elle a les compétences et la force de frappe nécessaires. Attention cependant : il s’agit d’en faire non le régulateur de la presse, mais un outil de négociation avec les plateformes. Google n’a plié que parce que l’Autorité de la concurrence l’a condamné à une amende. Ces autorités sont puissantes mais elles ne pourront pas toujours se fonder sur l’interdiction des pratiques anticoncurrentielles.

Dans le domaine de l’IA, Madame Duby-Muller, nous ne nous ferons pas respecter si nous ne sommes pas respectés s’agissant des droits voisins. Je le répète, l’enjeu est démocratique.

Merci, Madame Mette, d’avoir souligné le travail accompli par les membres du groupe Modem.

Monsieur Patrier-Leitus, vous avez raison, le moment est grave : nous devons faire respecter le modèle démocratique européen. Le texte vise à y pourvoir.

Monsieur Castiglione, vous m’interrogez sur les liens hypertextes et les textes courts. Il ne faut pas aller plus loin que la directive, pour ne pas risquer d’ouvrir un contentieux qui serait favorable aux Gafam – nous sommes sur un chemin de crête. Ils jouent la montre en multipliant les mesures dilatoires, dans l’attente du moment où ils n’auront plus besoin de la presse.

Madame Bourouaha, je pense que les éditeurs et les agences de presse doivent faire bloc pour négocier et faire valoir leurs droits. Le dispositif que nous défendons va dans ce sens.

 

Article 1er : Effectivité des droits voisins des éditeurs et des agences de presse

Amendement AC22 de M. Erwan Balanant

Mme Céline Calvez, présidente. Je précise que cet amendement tend à réécrire l’article et que son adoption ferait tomber tous les autres.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je propose en effet un amendement de rédaction globale de l’article 1er, qui répond à la plupart de vos interrogations, mais je ne souhaite aucunement que le débat s’en trouve limité.

Premièrement, l’article ainsi rédigé prévoit que l’Arcom fixe les conditions d’application de l’article L. 218-4 du code de la propriété intellectuelle. Elle pourra ainsi définir les critères de rémunération des éditeurs et des agences de presse pour l’utilisation en ligne de leurs publications. Nous nous sommes inspirés du modèle italien. Je le répète, l’Arcom n’aura pas vocation à réguler le secteur de la presse ; elle aura un rôle de soutien et de médiation pour les négociations, voire de sanction le cas échéant.

Deuxièmement, il tend à insérer dans le code de la propriété intellectuelle un nouvel article relatif aux éléments d’information que les plateformes doivent fournir pour calculer l’assiette des droits voisins. Ces éléments devront être exhaustifs, fiables et objectifs. Les auditions l’ont montré : le fondement des négociations pose un vrai problème. Quels titres sont éligibles ? Sous prétexte de contester la recevabilité de certains textes, les plateformes gagnent du temps.

Toutes ces questions sont très techniques. Le texte précise donc que « [s]ans préjudice de sa possibilité de recourir à l’expertise du [pôle d’expertise de la régulation numérique (Peren), l’Arcom] pourra s’adjoindre les services et compétences techniques extérieurs qui lui sont nécessaires. »

Troisièmement, en cas d’échec des négociations, l’amendement tend à confier à l’Arcom une mission d’arbitrage. Les éditeurs de presse pourront continuer de recourir à la justice ; de même, l’Autorité de la concurrence pourra toujours se saisir de pratiques anticoncurrentielles.

Pourquoi l’Arcom plutôt que l’Arcep ? Devenue coordinateur pour les services numériques en France, l’Arcom dispose d’outils appropriés. Nous devrons toutefois nous engager à augmenter ses moyens. Par exemple, dans le contentieux qui oppose l’Autorité de la concurrence à Google, un cabinet d’avocats joue le rôle de médiateur ; payé par Google
– ce qui n’est pas sans poser problème –, il travaille pour l’ADLC et pas moins de dix personnes en son sein sont affectées au dossier des droits voisins.

Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). En tant que chef de file de la régulation numérique, l’Arcom est certainement le bon opérateur. Cependant, on lui confie de plus en plus de missions, essentielles, alors que le budget qui vient d’être adopté la place déjà dans de graves difficultés. Nous devons être cohérents.

Mme Violette Spillebout (EPR). Pour que les négociations se passent bien, il faut que les plateformes transmettent les informations adéquates aux éditeurs de presse, lesquels doivent pouvoir faire une proposition, puisque la rémunération n’est pas normalisée. J’ai déposé deux amendements. Le premier tend à restreindre le délai de transmission des informations courantes, facilement disponibles, en le passant de six à trois mois. Le second, à l’inverse, vise à porter à neuf mois ce délai pour les informations difficiles à extraire ou qui supposent une normalisation préalable.

Des séances de travail devront peut-être être organisées entre les plateformes, qui seront obligées de mieux respecter les négociations, et les pouvoirs publics, c’est-à-dire les services de l’Arcom nouvellement missionnés, pour normaliser le dispositif et prévoir des délais adaptés à la réalité.

Ensuite, il faut mieux définir les informations concernées et s’assurer que le dispositif inclura bien les éditeurs et les agences de presse dont les publications relèvent expressément du code de la propriété intellectuelle.

Nous parlons d’informations commerciales : la confidentialité des négociations est essentielle, en particulier pour les éditeurs de presse.

Enfin, je rejoins les propos de ma collègue Sophie Taillé-Polian sur l’Arcom. Nous n’avons pas été suffisamment entendus lors du débat budgétaire sur les moyens de cette autorité, compte tenu notamment des nouvelles exigences de surveillance sur les réseaux sociaux. Les missions de l’Arcom ne cessent de croître mais les moyens mis à sa disposition ne suivent pas la même progression. Il est pertinent d’ajouter les négociations des droits voisins à son portefeuille, mais cette décision impose une discussion sur sa dotation.

Au-delà d’une simple audition du nouveau président de l’Arcom, il conviendrait de tenir une séance de travail, peut-être à huis clos, sur la façon dont l’Arcom remplit les missions qui lui sont assignées, les moyens supplémentaires dont elle aurait besoin et la méthode qu’elle suivra pour agir efficacement. Sans ce travail de réflexion, notre discussion actuelle se trouverait en décalage par rapport aux besoins des éditeurs de presse pour assurer le pluralisme et se faire respecter dans le partage de la valeur.

Mme Béatrice Piron (HOR). J’ai déposé un amendement proche de celui de Mme Spillebout visant à préciser les éléments communiqués. Vous semble-t-il opportun de le redéposer en séance publique compte tenu de la nouvelle rédaction de l’article qui sera retenue ?

La sanction pour absence de transmission d’informations est nettement plus sévère que celle punissant la violation des droits : ne faudrait-il pas harmoniser les deux pénalités ?

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il est en effet nécessaire d’accroître les moyens de l’Arcom, celle-ci devant être puissante et crainte des acteurs. En 2023, nous avons augmenté son plafond des autorisations d’emplois de 370 ETP à 379 ETP, effort sans doute insuffisant quand on sait que le seul dossier Google mobilise 10 personnes au sein du mandataire désigné par l’Autorité de la concurrence. Ce sujet est à mettre en relation avec le montant des amendes : 750 millions d’euros, c’est un sixième du budget annuel de la justice. Les amendes sont lourdes et leur produit doit être en partie alloué à la progression des moyens de l’Arcom.

La proposition de loi de Laurent Esquenet-Goxes fixait à un an le délai de transmission des informations et des données : j’avais proposé dans la rédaction initiale de réduire ce délai, déjà court, à six mois, mais l’audition de l’Autorité de la concurrence a montré qu’il était possible de lancer la procédure de sanction en cas d’absence de transmission au bout de trente jours. Cette option, retenue par l’Italie, me semble la bonne. En effet, les plateformes ne cherchent qu’à gagner du temps, donc les délais longs les servent. Ensuite, une autre période de trois mois commence à courir à partir de la demande de négociation. Enfin, en cas de désaccord, l’Arcom tranche entre les propositions ou fixe directement le montant de la rémunération dans un délai de deux mois. Encore une fois, nous nous sommes inspirés du modèle italien, sur lequel une question préjudicielle a été posée. Les conclusions de l’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne seront rendues le 12 juin et la Cour devrait rendre sa décision d’ici la fin de l’année. La navette parlementaire pourra prendre en compte sa réponse.

Enfin, nous ne fixons pas les éléments à transmettre, car un éditeur de presse n’a pas besoin des mêmes données selon qu’il s’adresse à Google, X ou Meta. C’est l’Arcom qui agira, à la demande des éditeurs.

Mme Soumya Bourouaha (GDR). J’ai déposé un amendement visant à rendre public le contenu des accords conclus entre les services de communication au public en ligne et les éditeurs de presse au titre de la rémunération des droits voisins : la réécriture de l’article prend-elle en compte cette préoccupation ? Les accords sont actuellement confidentiels et je milite pour davantage de transparence. Aussi mon amendement prévoit-il de déroger au secret des affaires, lequel protège certaines informations sensibles des entreprises : sans cette disposition, les plateformes pourraient refuser de publier le contenu des accords en invoquant ce secret. Comment l’Arcom peut-elle empêcher cette dissimulation ?

Je partage l’avis de Sophie Taillé-Polian sur l’Arcom, à qui on confie sans cesse de nouvelles missions sans lui octroyer les moyens nécessaires à leur conduite.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Les accords de rémunération contiennent des données parfois sensibles sur un plan commercial et, à ce titre, délicates à publier. Que les Gafam, qui défendent ardemment le secret des affaires, mettent la même détermination à respecter le droit des auteurs.

J’ai changé d’avis après avoir écouté l’Autorité de la concurrence : elle s’est prononcée contre la publication du contenu des accords, car elle estime que le recours à un tiers indépendant et la connaissance de l’ensemble des accords sans communication des données aux marchés forment un dispositif plus conforme aux règles de la concurrence et davantage à même d’assurer la cohérence des montants proposés ainsi que l’absence de discrimination de la rémunération. La Société des droits voisins de la presse ne pense pas non plus que la publication du contenu des accords respecte le secret des affaires. Une certaine transparence peut être faite sur les éléments demandés, mais la négociation serait plus difficile et aurait moins de chance de succès si elle était rendue publique.

M. Emmanuel Grégoire (SOC). J’ai déposé un amendement AC17 qui visait à confier la mission de médiation à l’Arcep plutôt qu’à l’Arcom. Comme je semble être le seul à défendre cette option, j’en abandonne l’idée.

En revanche, l’amendement AC18 précise le régime de sanctions en cas de refus des services de communication au public en ligne de se conformer aux obligations de transmission des éléments prévus dans le décret. Comment l’amendement de réécriture prend-il en compte cet élément ?

M. Erwan Balanant, rapporteur. Le taux retenu est, comme en Italie, de 1 %, soit une amende de 3,5 milliards pour un chiffre d’affaires de 350 milliards. Afin de respecter le cadre conventionnel et le droit de l’Union européenne, il ne faut pas augmenter ce taux qui entraîne déjà des pénalités très élevées.

La commission adopte l’amendement et l'article 1er est ainsi rédigé.

En conséquence, les autres amendements tombent.

Après l’article 1er

Amendement AC7 de Mme Sophie Taillé-Polian

Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). Il vise à garantir un partage équitable de la rémunération perçue au titre des droits voisins de la presse entre éditeurs et journalistes. Il instaure un plancher de la rémunération de ces derniers, fixé à 25 % de la somme totale perçue par l’entreprise de presse.

La reconnaissance des droits voisins à la presse offre des perspectives nouvelles pour renforcer le modèle économique des médias, lesquels subissent la captation progressive de leurs revenus publicitaires par les plateformes numériques. L’affaissement des marges des médias est responsable d’une précarisation du métier de journaliste, qui s’observe partout et entraîne une dégradation de la qualité de l’information et de l’indépendance éditoriale.

Cette proposition de loi rééquilibre utilement le rapport de force entre les éditeurs de presse et les plateformes, mais elle ne doit pas faire l’impasse sur le partage de la valeur entre les salariés et les employeurs au sein des entreprises de presse. L’objectif est d’éviter que ne se reproduisent dans la négociation sociale les mêmes déséquilibres que le texte cherche à corriger dans les rapports entre les éditeurs et les grandes plateformes.

M. Erwan Balanant, rapporteur. J’ai déposé un amendement AC20 qui va dans le même sens que le vôtre. Vous fixez un plancher de la rémunération des journalistes à 25 % : cette idée m’a traversé l’esprit, mais pourquoi retenir un taux de 25 % plutôt que de 33 % comme en Allemagne ou de 2 % à 5 % comme en Italie ? En outre, la rémunération initiale varie selon les éditeurs et les agences de presse. Votre dispositif est trop automatique et il ne laisse pas de marge de manœuvre aux éditeurs de presse, lesquels pourraient décider de mieux rémunérer les journalistes ou de retenir un taux inférieur à 25 % si le journal traversait une passe difficile. En revanche, je propose d’imposer aux éditeurs et aux agences la transparence sur la redistribution aux journalistes de l’argent perçu grâce aux accords signés avec les plateformes.

Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Nous soutenons l’amendement de notre collègue Taillé-Polian, car nous ne pouvons pas nous contenter de la transparence, qui ne suffit pas à assurer le bon fonctionnement des négociations avec les plateformes et la juste rémunération des journalistes. Le seuil de 25 % garantit une rémunération indépendante de la santé de l’éditeur et n’empêche pas celui-ci de payer davantage les salariés s’il le souhaite.

Plus généralement, la question de l’indépendance de la production de l’information en France est liée à celle du temps et de la rémunération allouée aux journalistes. Le sujet du partage de la valeur est central.

Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). Le taux de 25 % correspond aux dernières décisions de la Commission paritaire chargée de statuer sur la rémunération des journalistes et autres auteurs au titre du droit d’auteur et du droit voisin des agences de presse et des éditeurs de presse (CDADV), amenée à trancher les désaccords.

Je souhaite que les négociations entre les éditeurs et les plateformes soient collectives : je répéterai ce vœu en séance publique, car il est anormal que certains perçoivent davantage que d’autres. Il faut fixer une règle claire et juste. La transparence recouvre également cette exigence.

Enfin, comme Sarah Legrain, il ne me semble pas acceptable que les journalistes paient les conséquences d’une mauvaise négociation de leurs éditeurs avec les plateformes ou d’une trop grande pression de celles-ci sur ceux-là. Les journalistes produisent de la valeur et doivent donc être justement rétribués pour pouvoir exercer leur métier dans de bonnes conditions, notamment d’indépendance, d’autant qu’ils ont subi une grande précarisation ces dernières années.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il ne faut pas confondre le droit voisin avec le droit d’auteur. Le premier bénéficie aux éditeurs et aux agences de presse, même si un partage de la valeur doit ensuite s’opérer.

Il faut laisser la CDADV faire son travail. Cet organisme paritaire a arrêté un taux de 25 % de rémunération après un conflit dans un journal et a fixé un taux de 18 % dans un autre. Il serait donc opportun de privilégier mon amendement, dont l’adoption constituerait déjà une belle avancée.

M. Emmanuel Grégoire (SOC). Votre amendement va dans le bon sens, mais le partage de la valeur est actuellement très déséquilibré au détriment des journalistes, qui sont les moins armés dans le rapport de force. Voilà pourquoi je soutiens l’amendement de Mme Taillé-Polian. Il faut protéger les journalistes, car, s’il n’y a pas d’agrégateurs de contenus sans éditeurs, il n’y a pas de publications sans journalistes.

La commission adopte l’amendement.

 

La réunion est suspendue de dix-huit heures dix à dix-huit heures vingt.

 

Amendement AC20 de M. Erwan Balanant

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’adoption de l’amendement AC7 ne fait pas tomber celui-ci, car les deux dispositifs ne sont pas incompatibles.

Je regrette tout de même que l’amendement AC7 ait été adopté, car il affaiblit la CDADV, or cette commission paritaire, chargée de régler les contentieux, joue un rôle important dans le dialogue social du secteur.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AC11 de M. Arnaud Sanvert

M. Arnaud Sanvert (RN). Il vise à demander au gouvernement de remettre au Parlement un rapport évaluant les effets potentiels des nouvelles obligations en matière de transmission d’informations et de sanctions en cas de non-respect des engagements de négociation.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Votre demande est satisfaite : le dispositif que nous avons instauré comprend les éléments d’information nécessaires à l’appréciation du respect de la loi. Je vous demande de retirer l’amendement.

L’amendement est retiré.

Article 2 : Renforcement du caractère dissuasif de sanctions prévues par le code de la propriété intellectuelle

Amendement de suppression AC19 de M. Erwan Balanant

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’article 2 n’ayant pas de portée normative, je vous propose de le supprimer.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 2 est supprimé.

Après l’article 2

Amendement AC12 de M. Arnaud Sanvert

M. Arnaud Sanvert (RN). L’article 2 précisait que les sanctions applicables aux infractions relatives aux droits voisins n’étaient pas exclusives de celles prévues par le droit de la concurrence. Nous souhaitons que le gouvernement remette au Parlement un rapport évaluant l’application effective des sanctions et leur impact sur les négociations des droits voisins.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Demande de retrait.

L’amendement est retiré.

Article 3 : Gage financier

La commission adopte l’article 3 non modifié.

Titre

Amendement AC21 de M. Erwan Balanant

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’amendement vise à apporter une précision rédactionnelle et à privilégier l’expression « droits voisins des éditeurs et des agences de presse » aux mots « droits voisins de la presse ».

La commission adopte l’amendement.

 

La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

*

*     *

En conséquence, la commission des Affaires culturelles et de l’éducation demande à l’Assemblée nationale d’adopter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 Texte adopté par la commission : https://assnat.fr/DkU9Lq

 Texte comparatif : https://assnat.fr/AooBn2

 


   ANNEXE  1 :
Liste des personnes ENTENDUEs par le rapporteur

(par ordre chronologique)

 

        Société des droits voisins de la presse (DVP)  M. Jean-Marie Cavada, président

      Table-ronde éditeurs de presse :

 Alliance de la presse d’information générale (Apig) – MM. Pierre Louette, président, Pierre Petillault, directeur général et Mme Léa Boccara, responsable du pôle juridique

 Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) – M. Laurent Mauriac, co-président, et Mme Marie Hédin-Christophe, vice-présidente

 Fédération nationale de la presse d’information spécialisée (FNPS) – MM. Jean-Christophe Raveau, président, éditeur de PYC Media, Laurent Berard-Quelin, vice-président, vice-président de DVP, éditeur de la Société générale de presse, et Mme Catherine Chagniot, directrice générale

 Groupement des éditeurs de contenus et services en ligne (Geste)  M Bertrand Gié, président, directeur du pôle news, et Mme Sandrine Cochard, administratrice, directrice de la rédaction du groupe Mind et secrétaire générale adjointe de DVP

 Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM)  Mmes Claire Léost, vice-présidente du syndicat des éditeurs de la presse magazine, présidente de Prisma, et Julie Lorimy, directrice générale

 Société des droits voisins de la presse (DVP)  M. Jean-Marie Cavada, président

        Table ronde de syndicats de journalistes :

 Syndicat national des journalistes (SNJ) – MM. Christian Dauriac, membre du comité national, et Claude Cecile, membre du bureau national

 Syndicat national des journalistes CGT (SNJ-CGT)  MM. Pablo Aiquel, journaliste, secrétaire général du SNJ-CGT, membre du comité directeur de la Fédération européenne des journalistes, et Xavier Regnier, journaliste, délégué syndical à 20 Minutes

 CFDT-Journalistes – Mme Anne Rodier déléguée syndicale CFDT au Monde et membre de la Commission droits d’auteurs et droits voisins (CDADV)

– Syndicat général des journalistes FO – M. Tristan Malle, secrétaire général

        Fédération française des agences de presse (FFAP)*  Mme Florence Braka, directrice générale et directrice du Syndicat des agences de presse audiovisuelles (Satev)

        Google* – Mmes Sarah Cledy, government affairs and public policy senior analyst, Faten Dubarry, director, news partnerships France, Middle East and Africa, et Amina Ben Cheikh, strategic partnerships manager

        Table ronde des plateformes numériques :

 X*  Mme Claire Dile, responsable affaires publiques de X France

 Meta France  M. Anton’Maria Battesti, directeur des affaires publiques Meta France, et Mme Aurore Denimal, responsable affaires publiques

        Autorité de la concurrence  M. Benoît Cœuré, président et Mmes Lauriane Lepine, rapporteure générale adjointe, et Laura Doumoulakis, conseillère aux affaires institutionnelles et européennes

        Table ronde de représentants des auteurs

 Société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe (Saif)  M. Olivier Brillanceau, directeur général

 Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (Adagp)* – Mme Justine Guinaud, juriste en charge des affaires publiques

 Société civile des auteurs multimédia (SCAM)  MM. Nicolas Mazars, directeur juridique et affaires institutionnelles, et Vianney Baudeu, conseiller affaires institutionnelles et européennes

 Union des photographes professionnels (UPP)  M. Matthieu Baudeau, président et président de la sécurité sociale des artistes auteurs

        Ministère de la culture  Direction générale des médias et des industries culturelles (Dgmic)  Mmes Marie de La Taille, sous-directrice de la presse écrite et des métiers de l’information, et Laure Chollet, cheffe du bureau du régime juridique de la presse, et M. Jean-Gabriel Minel, chargé de mission auprès de la directrice générale

        Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom)  M. Alban de Nervaux, directeur général

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

 

   Annexe n° 2 :
textes susceptibles d’être abrogés ou modifiés à l’occasion de l’examen de la proposition de loi

 

Proposition de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéros d’article

1er

Code de la propriété intellectuelle

L. 218‑4

1er

Code de la propriété intellectuelle

L. 218‑4-1 et L. 218‑4-2 [nouveaux]

1er bis

Code de la propriété intellectuelle

L. 218‑5

 


([1]) Loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse.

([2]) Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE.

([3]) Voir notamment le rapport de la mission de réflexion sur la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse de Mme Laurence Franceschini, au nom du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, publié en juillet 2016.

([4]) Rapport d’information n° 4902 (XVe législature) du 12 janvier 2022 de M. Laurent Garcia sur l’application du droit voisin au bénéfice des agences de presse, des éditeurs et professionnels du secteur de la presse : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/dv/l15b4902_rapport-information#

([5]) Décision n° 20-MC-01 du 9 avril 2020 relative à des demandes de mesures conservatoires présentées par le Syndicat des éditeurs de la presse magazine, l’Alliance de la presse d’information générale e.a. et l’Agence France-Presse.

([6]) Décision n° 21-D-17 du 12 juillet 2021 relative au respect des injonctions prononcées à l’encontre de Google dans la décision n° 20-MC-01 du 9 avril 2020.

([7]) Décision n° 22-D-13 du 21 juin 2022 relative à des pratiques mises en œuvre par Google dans le secteur de la presse.  

([8]) Décision n° 24-D-03 du 15 mars 2024 relative au respect des engagements figurant dans la décision de l’Autorité de la concurrence n° 22-D-13 du 21 juin 2022 relative à des pratiques mises en œuvre par Google dans le secteur de la presse.

([9]) DVP est un organisme de gestion collective qui réunit des éditeurs du Syndicat des éditeurs de la presse magazine (Sepm), de la Fédération nationale de la presse spécialisée (FNPS), du Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil), du Groupement des éditeurs de services en ligne (Geste), de la Fédération française des agences de presse (FFAP). Le répertoire des publications de presse représentées par DVP est consultable sur le site internet de l’organisme : https://www.dvpresse.fr/repertoire-des-membres/

([10]) https://www.dvpresse.fr/dvp-amp-google-un-accord-prolonge-au-benefice-des-editeurs-de-presse/

([11]) La restitution des États généraux de l’information a eu lieu le 12 septembre 2024. Les travaux du comité de pilotage et des groupes de travail ont fait l’objet d’un rapport : https://etats-generaux-information.fr/la-restitution

([12]) Source : direction générale des médias et des industries culturelles (Dgmic).

([13]) En 2022, selon les données de la Dgmic, le chiffre d’affaires de la presse payante tiré de la vente de produits presse est composé du produit des ventes à hauteur de 70,2 % et des recettes de publicité à hauteur de 29,8 %.

([14]) Les recettes des éditeurs de presse liées à la commercialisation d’espaces sur le numérique ont enregistré une croissance de 8 % à 9 % par an sur la période 2017-2023 (source : Dgmic et Arcom).  

([15]) https://www.arcom.fr/nos-ressources/etudes-et-donnees/etudes-bilans-et-rapports-de-larcom/evolution-du-marche-de-la-communication-et-impact-sur-le-financement-des-medias-par-la-publicite

([16]) Cette croissance annuelle moyenne est estimée à 2,3 % sur la période 2022-2030.

([17]) Paragraphe 210 de la décision n° 20-MC-01 du 9 avril 2020 relative à des demandes de mesures conservatoires présentées par le Syndicat des éditeurs de la presse magazine, l’Alliance de la presse d’information générale e.a. et l’Agence France-Presse.

([18]) Premier alinéa de l’article L. 218-4 du code de la propriété intellectuelle.

([19]) Arcom, Les Français et l’information, mars 2024 : https://www.arcom.fr/nos-ressources/etudes-et-donnees/etudes-bilans-et-rapports-de-larcom/les-francais-et-linformation

([20]) Le groupe de travail « Avenir des médias d’information et du journalisme » des États généraux de l’information a estimé le coût de production de l’information à 2,4 milliards d’euros en 2023.

([21]) Considérants 54 et 55.

([22]) Règlement (UE) 2022-2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000-31/CE (règlement sur les services numériques).

([23]) Loi n° 47-585 du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques.

([24]) Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE.

([25]) Cet article du code général des impôts permet aux entreprises de presse de bénéficier d’une réduction d’impôt en vue de faire face à certaines dépenses, telles que l’acquisition de matériels, de mobiliers, des dépenses d’investissement dans la transition numérique de la publication de presse, etc.

([26]) Paragraphes 301 et 302 de la décision n° 20-MC-01 du 9 avril 2020 relative à des demandes de mesures conservatoires présentées par le Syndicat des éditeurs de la presse magazine, l’Alliance de la presse d’information générale e.a. et l’Agence France-Presse.

([27]) Paragraphe 26 de la décision n° 24-D-03 du 15 mars 2024 relative au respect des engagements figurant dans la décision de l’Autorité de la concurrence n° 22-D-13 du 21 juin 2022 relative à des pratiques mises en œuvre par Google dans le secteur de la presse.

([28]) Les sociétés Société du Figaro, Les Échos, Le Parisien Libéré, Société éditrice du Monde, Le Nouvel Observateur, Télérama, Courrier international, Malesherbes Publications et Le Huffington Post.

([29]) Cet article dispose que « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».

([30]) « Les utilisations de publications de presse par des prestataires de services de la société de l’information peuvent consister en l’utilisation de publications ou d’articles intégraux, mais aussi en l’utilisation de parties de publications de presse. Ces utilisations de parties de publications ont également gagné en importance économique. Dans le même temps, il se peut que l’utilisation de mots isolés ou de très courts extraits de publications de presse par des prestataires de services de la société de l'information ne fragilise pas les investissements effectués par les éditeurs de publications de presse dans la production de contenus. Il est dès lors approprié de prévoir que l’utilisation de mots isolés ou de très courts extraits de publications de presse ne devrait pas entrer dans le champ des droits prévus dans la présente directive. Compte tenu de l’agrégation et de l’utilisation massives de publications de presse par les prestataires de services de la société de l’information, il importe que l’exclusion des très courts extraits soit interprétée de manière à ne pas affecter l’efficacité des droits prévus dans la présente directive. »

([31]) https://www.lemonde.fr/pixels/article/2025/01/29/le-reseau-social-linkedin-assigne-en-justice-par-plusieurs-titres-de-presse-francais-pour-non-respect-des-droits-voisins_6520899_4408996.html

([32]) https://www.alliancepresse.fr/actualite/droits-voisins-lalliance-de-la-presse-engage-des-poursuites-contre-linkedin/

([33]) Affaire C-797/23.

([34]) Voir notamment CJCE, 8 avril 1976, Royer, aff. 48/75 : les États membres peuvent « choisir, dans le cadre de la liberté qui leur est laissée par l’'article 189, les formes et les moyens les plus appropriés en vue d'assurer l’effet utile des directives, compte tenu de l'objet de celles-ci ». 

([35]) https://www.senat.fr/rap/l24-020/l24-0201.pdf

([36]) Paragraphe 155 de la décision n° 22-D-13 du 21 juin 2022 relative à des pratiques mises en œuvre par Google dans le secteur de la presse.

([37]) La FFAP compte environ 90 agences de presse, soit 80 % du chiffre d’affaires de la branche. Ces agences sont réparties au sein de trois syndicats : le Syndicat des agences de presse photographiques (Saphir), le Syndicat des agences de presse d’informations (Sapi) et le Syndicat des agences de presse audiovisuelles (Satev).  

([38]) Son considérant 55 précise que « par la notion d’éditeur de publications de presse, il convient d’entendre les prestataires de services, tels que les éditeurs de presse ou les agences de presse, lorsqu’ils publient des publications de presse au sens de la présente directive ».

([39]) N° 20/08071.

([40]) En particulier, Google indique que l’utilisation en France dans des publications de presse de « contenus B to B » protégés des agences de presse, est déjà prise en compte dans l’assiette de base servant à calculer les offres de rémunération de Google aux éditeurs de presse. Google considère en conséquence que la rémunération des agences ne peut correspondre qu’à une partie de la rémunération totale offerte pour l’utilisation des publications de presse des éditeurs de presse.

([41]) Voir le dossier législatif de la proposition de loi visant à renforcer l’indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes : https://www.senat.fr/leg/ppl23-741.html

([42]) Pour la distinction entre les directives d’harmonisation maximale et les directives d’harmonisation minimale, on peut se référer au rapport d’information n° 532 (XVe législature) des députés Alice Thourot et Jean-Luc Warsmann sur les moyens de lutter contre la surtransposition des directives européennes dans le droit français : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_lois/l15b0532_rapport-information.pdf

([43]) Voir l’amendement n° 2 rect. quinquies de M. Michel Laugier et plusieurs de ses collègues : https://www.senat.fr/amendements/2024-2025/21/Amdt_2.html

([44]) Paragraphe 100 de la décision n° 20-MC-01 du 9 avril 2020 relative à des demandes de mesures conservatoires présentées par le Syndicat des éditeurs de la presse magazine, l’Alliance de la presse d’information générale e.a. et l’Agence France-Presse.

([45]) Voir le paragraphe 9 de l’article 43 bis de la loi italienne n° 633 du 22 avril 1941 sur la protection du droit d’auteur et des droits voisins.

([46]) « 12. I prestatori di servizi della societa’ dell’informazione comprese le imprese di media monitoring e rassegne stampa, sono obbligati a mettere a disposizione, su richiesta della parte interessata, anche tramite gli organismi di gestione collettiva o entita’ di gestione indipendenti di cui al decreto legislativo 15 marzo 2017 n. 35, qualora mandatari, o dell’Autorita’ per le garanzie nelle comunicazioni, i dati necessari a determinare la misura dell'equo compenso. […] »

([47]) Le paragraphe 3 de l’article 52 du RSN prévoit que « Les États membres veillent à ce que le montant maximal de l’amende qui peut être imposée pour la fourniture d’informations inexactes, incomplètes ou trompeuses, l’absence de réponse ou la non-rectification d’informations inexactes, incomplètes ou trompeuses et le manquement à l’obligation de se soumettre à une inspection représente 1 % des revenus ou du chiffre d’affaires mondial annuels du fournisseur de services intermédiaires concerné ou de la personne concernée de l’exercice précédent. »

([48]) Article 7 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

([49]) Article 58 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

([50]) Article 62 de la même loi.

([51]) Voir la loi n° 2021-1382 relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique.

([52]) Voir la loi n° 249 du 31 juillet 1997.

([53]) Voir les articles 41-1 et 41-1-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

([54]) Ce plafond, exprimé en équivalents temps plein travaillé (ETPT), est passé de 370 ETPT en 2023 à 379 ETPT en 2024 (article 147 de la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025.

([55]) La demande de décision préjudicielle du tribunal administratif régional du Latium  a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne :

 https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:62023CN0797:FR:HTML

([56]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/amendements/0824/CION-CEDU/AC22

([57]) Voir les pages 33 et 34 du présent rapport.

([58]) Loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet.

([59]) Décret n° 2021-539 du 29 avril 2021 relatif à la commission prévue aux articles L. 132-44 et L. 218-5 du code de la propriété intellectuelle.

([60]) Les accords de rémunération contiennent des données commercialement sensibles, qu’il apparaît délicat de publier, tant au regard du secret des affaires que du droit de la concurrence. C’est notamment ce qu’ont estimé l’Autorité de la concurrence et la Société des droits voisins de la presse dans leur contribution écrite adressée au rapporteur.

([61]) Le rapporteur emprunte cette expression à son ancien collègue Laurent Garcia.

([62]) Tribunal administratif de Paris, 12 avril 2024, n° 2406897.

([63]) Selon le SNJ, la CDADV a rendu au total six décisions en matière de droits voisins, portant sur le groupe Ebra, 20 Minutes,Sud Ouest, La Charente libre, La Voix du Nord et Le Courrier picard.

([64]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/amendements/0824/CION-CEDU/AC7

([65]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/amendements/0824/CION-CEDU/AC20

([66]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/amendements/0824/CION-CEDU/AC19

([67]) https://assnat.fr/eFA3E0