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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 mars 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE LOI
visant à lutter contre la disparition des terres agricoles et à renforcer la régulation des prix du foncier agricole (n° 805)
PAR M. Peio DUFAU
Député
——
Voir le numéro : 805.
Dans son rapport de novembre 2023, intitulé Plus de 20 000 hectares de terres agricoles abandonnés chaque année, un angle mort des politiques publiques ([1]), le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) dresse un constat préoccupant pour le futur de l’agriculture en France. Parmi les principales causes de cet abandon, la « captation » du foncier agricole par des usagers non agricoles est en progression, qu’il s’agisse du développement des usages de loisirs (cheval, jardinage…) ou d’achats spéculatifs qui laissent délibérément les terres en friche, pour plus de liberté ou en vue de leur artificialisation.
Si la tendance n’est pas récente, l’épidémie de covid-19 et les mesures de confinement ont renforcé l’attrait des habitants de grandes métropoles pour les territoires ruraux. En quête d’une maison à la campagne pour les vacances ou d’une retraite au calme, leur capacité d’investissement déséquilibre le marché déjà fragile des terrains agricoles et rend encore plus difficile l’accès à la propriété des agriculteurs.
Le marché foncier agricole français est pourtant l’un des mieux régulés d’Europe, grâce à l’action concomitante de trois outils :
– le contrôle des mutations de propriété du foncier rural, que sont chargées d’exercer les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) créées en 1960 ;
– le contrôle de l’usage du foncier rural, qu’il revient à l’administration d’exercer au regard des objectifs fixés par les schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles, dont le contenu est déterminé par l’article L. 312‑1 du code rural et de la pêche maritime (CRPM). Ce « contrôle des structures » peut intervenir en complément du contrôle des mutations de propriété ou être exercé de façon autonome, lorsque l’opération donne lieu à une prise à bail et non à un transfert de propriété ;
– le statut du fermage et du métayage, qui garantit une protection aux agriculteurs preneurs à bail et favorise la continuité de l’activité d’exploitation sur les terres agricoles.
Ces outils sont toutefois loin d’être infaillibles, à l’instar du contrôle des ventes par les Safer qui souffre de plusieurs limites et fait l’objet de contournements fréquents : lorsque le propriétaire refuse de scinder ses biens, le droit de préemption de la Safer se révèle inopérant pour prévenir la spéculation sur le prix du foncier et la disparition de terres agricoles au profit d’autres usages.
Le cas de la commune d’Arbonne, au Pays basque, illustre les dérives contre lesquelles entend lutter la présente proposition de loi : un lot comprenant une maison à rénover, une dépendance quasiment en ruine et quinze hectares de terres agricoles aurait trouvé acquéreur pour 3,2 millions d’euros, alors que le prix des terrains avait été estimé à huit cent mille euros par les autorités compétentes. L’occupation de cent jours, portée et soutenue par le monde agricole, les élus locaux et la population, avait conduit au retrait de l’acheteur, mais surtout mis en lumière l’incapacité de la Safer à réguler cette dérive.
Ce qui existe au Pays basque reflète un phénomène plus général : en 2024, un hectare de terres agricoles s’est vendu 170 000 euros à côté de Deauville, du fait de la proximité d’une maison de maître. D’autres exemples ont pu être portés à la connaissance de votre rapporteur tout au long des auditions, soulignant l’urgence et l’intérêt à agir vite.
La disparition progressive du foncier agricole est un processus insidieux, en grande partie ignoré. Il s’agit bien d’« un angle mort des politiques publiques » comme l’indique le titre du rapport du CGAAER précité. Également appelée « consommation masquée », cette disparition des terres agricoles représente au Pays basque près de deux cents hectares chaque année, soit l’équivalent de quatre exploitations agricoles en moyenne. En région Provence – Alpes – Côte-d’Azur, c’est presque l’équivalent de 78 exploitations.
Si rien n’est fait, le phénomène va s’accélérer avec le renouvellement des exploitants agricoles, dont la moitié est proche de la retraite.
Alors que le projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture érige au rang d’« intérêt général majeur », la protection, la valorisation et le développement de l’agriculture, il devient urgent de proposer des solutions permettant de lutter véritablement contre ces dérives et la disparition de ces terres nourricières.
Le texte qui vous est présenté sert cet objectif. Issu de travaux réalisés initialement par Vincent Bru (Modem), qui a précédé votre rapporteur en qualité de député de la sixième circonscription des Pyrénées-Atlantiques, il est le fruit d’un travail transpartisan, associant largement les représentants du monde agricole. Les différents articles qui le composent veillent à renforcer le contrôle des mutations de propriété en vue de favoriser la transparence de ce marché et de lutter contre les cas de fraudes :
– l’articulation des articles 1er et 3 bis de la proposition de loi permet de consolider le droit de préemption des Safer et de renforcer l’obligation d’information à laquelle sont soumis les vendeurs ;
– l’article 2 étend le droit de préemption sur les bâtiments ayant eu un usage agricole au cours des vingt dernières années aux communes limitrophes des communes littorales et aux autres communes situées en « zone tendue ». En l’état actuel du droit, dans ces délais, ce droit de préemption ne trouve à s’appliquer que dans les communes littorales ;
– l’article 3 instaure un droit de visite de la Safer pour les biens qu’elle souhaiterait préempter ;
– l’article 4 assure la recevabilité du texte au regard de l’article 40 de la Constitution.
Si la présente proposition de loi n’a pas vocation à résoudre tous les problèmes existants, ni à se substituer au projet d’une grande loi sur le foncier agricole, appelée à l’unisson par les élus ruraux et les représentants du monde agricole, elle constitue une réponse pragmatique et utile à certaines limites observées du fonctionnement des Safer. Elle permettra de renforcer l’efficacité de leurs outils de lutte contre la disparition et le détournement de certaines terres agricoles ainsi que contre la spéculation foncière.
Article adopté avec modifications
Cet article permet aux sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural de demander aux vendeurs une notification distinguant les terrains agricoles (ou ayant une vocation agricole) des autres biens immobiliers afin d’améliorer l’exercice de leurs missions et notamment l’application de leur droit de préemption.
La commission a adopté deux amendements qui renforcent l’obligation d’information définie à l’article L. 141‑1‑1 du code rural et de la pêche maritime en matière de démembrement de propriété, d’une part, et au regard du droit de préemption partielle, d’autre part.
Créées par la loi d’orientation agricole du 5 août 1960 ([2]), les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) ont, dès l’origine, eu pour objet principal l’installation des exploitations agricoles et la maîtrise du marché foncier rural. Progressivement, leurs missions, aujourd’hui définies par l’article L. 141-1 du code rural et de la pêche maritime (CRPM), ont été étendues à la préservation de l’environnement.
Ces sociétés qui peuvent acquérir, à titre amiable, des biens à vocation agricole disposent aussi de prérogatives de puissance publique et peuvent notamment exercer un droit de préemption, prévu par les articles L. 143-1 et suivants du CRPM. Ce droit de préemption peut s’exercer en cas d’aliénation à titre onéreux de biens immobiliers à utilisation agricole, de terrains à vocation agricole, de bâtiments d’habitation faisant partie d’une exploitation agricole, ou même d’autres bâtiments ayant eu un usage agricole sous certaines conditions (cf. commentaire article 2).
Les Safer peuvent également, dans certains cas, exercer leur droit de préemption en cas de cession à titre onéreux de l’usufruit ou de la nue-propriété des biens soumis à préemption.
Le droit de préemption est conféré à chaque Safer par décret pris sur proposition du ministre chargé de l’agriculture. Ce décret détermine les zones au sein desquelles le droit de préemption peut être exercé.
Afin de permettre aux Safer d’exercer leurs missions, l’article 141-1-1 du CRPM prévoit qu’elles doivent être préalablement informées par le notaire ou, dans le cas d’une cession de parts de sociétés, par le cédant, de toute vente ou donation portant sur des biens ruraux situés dans leur ressort. Cette obligation d’information vaut également pour les cessions d’usufruit ou de nue-propriété.
Malgré la possibilité offerte aux Safer de ne préempter que partiellement certains biens qui leur sont soumis (A), l’encadrement strict des modalités d’application de ce droit le rend inefficace pour prévenir la hausse spéculative du prix de certains terrains agricoles et le détournement de ces terrains au profit d’autres activités (B).
Pour garantir l’intérêt et l’efficacité de leur droit de préemption, les Safer, disposent depuis 2014 ([3]) d’un droit de préemption partielle, défini par les articles L. 143-1-1 et L. 143‑1‑2 du code rural et de la pêche maritime.
À travers ce dispositif, le législateur avait souhaité éviter que les Safer se retrouvent dans l’incapacité de préempter certaines parcelles de terres agricoles rendues financièrement inaccessibles par la présence de bâtiments d’habitation particulièrement onéreux dans le lot. Les maisons d’habitation peuvent en effet représenter l’essentiel du prix de vente d’un bien, notamment dans certaines régions où le prix de l’immobilier est tiré par une pression foncière particulière, alors même que l’intérêt de ces maisons pour les exploitants agricoles candidats à l’acquisition est limité, voire nul.
Limitées par ailleurs dans la liste des biens qu’elles pouvaient préempter, les Safer étaient contraintes de renoncer à toute acquisition éventuelle de « biens mixtes » en l’absence de cette procédure dite de « préemption partielle ».
Conformément à l’article L. 143‑1‑1 précité, les Safer sont aujourd’hui autorisées à n’exercer leur droit de préemption que « sur une partie des biens aliénés lorsque l’aliénation porte simultanément sur des terrains à usage agricole ou à vocation agricole et sur une ou plusieurs des catégories de biens suivantes :
« 1° Des bâtiments à usage agricole et les biens mobiliers qui leur sont attachés ;
« 2° Des bâtiments [ayant eu un usage agricole dans les conditions définies à l’article L. 143‑1] ;
« 3° Des biens pour lesquels elle ne bénéficie pas d'un droit de préemption.
« Ce droit de préemption peut ne s’exercer que sur les terrains à usage ou à vocation agricole et les biens mobiliers qui leur sont attachés, ou sur ces terrains et l’une des catégories de biens mentionnées aux 1° et 2° ou sur ces deux catégories ».
L’article R. 143-4 du même code permet de distinguer deux cas de figure en fonction de la nature des informations transmises par le notaire ou le cédant :
– si la notification de vente comporte une ventilation du prix pour chaque catégorie de biens, la Safer peut décider de préempter seulement les terrains à usage agricole ou à vocation agricole, les biens mobiliers qui leur sont associés, les bâtiments à usage agricole ou les bâtiments d’habitation d’une exploitation agricole. Si le prix ou les conditions d’aliénation des biens préemptables sont jugés exagérés, la Safer peut utiliser la procédure de révision du prix prévue à l'article L. 143-10 ;
– si la notification de vente comporte un montant unique pour l’ensemble des biens, la Safer peut décider de préempter de manière partielle. Dans ce cas, elle fait une offre de prix pour les terrains à usage agricole ou à vocation agricole, les biens mobiliers qui leur sont associés, les bâtiments à usage agricole ou les bâtiments d’habitation de l’exploitation agricole.
Dans les faits, ce droit de préemption permet aussi un contrôle sur les transactions foncières dans les zones rurales, afin de préserver le caractère agricole et rural de ces territoires et d’éviter une urbanisation excessive ou les détournements d’usage. Cela contribue également à soutenir l’aménagement équilibré des espaces ruraux.
Outre la possibilité qui lui est systématiquement laissée de renoncer à la cession, deux garanties sont offertes au vendeur confronté à la demande de préemption partielle présentée par la Safer :
– il peut exiger de la Safer l’acquisition de l’ensemble des biens mis en vente ;
– il peut demander, s’il accepte la préemption partielle, une juste indemnité pour les biens non préemptés. Les textes prévoient également que le juge chargé de fixer le prix de vente, s’il est saisi, doit prendre en compte l’éventuelle moins‐value liée à leur dissociation du reste des biens préemptés.
En parallèle, le législateur a assoupli les conditions auxquelles la Safer pouvait rétrocéder des bâtiments qu’elle aurait acquis à l’issue d’une préemption partielle, en lui permettant de déroger aux conditions prévues dans le cas général.
La rétrocession est la vente par la Safer des biens qu’elle a acquis par la voie amiable ou par préemption. Cette obligation a été introduite dès l’origine du droit de préemption. Dans le cas général, il résulte du paragraphe III de l’article L. 141‑1 du code rural et de la pêche maritime (CRPM) que le choix du rétrocessionnaire doit s’opérer au regard des missions de la Safer, mentionnées au paragraphe I du même article. La procédure à suivre dans le choix de l’attributaire est détaillée aux articles R. 142-3 et suivants du même code.
De surcroît, en vertu de l’article L. 143-3 du même code, la Safer doit, à peine de nullité, justifier sa décision de préempter par référence explicite et motivée à l’un ou à plusieurs des neuf objectifs définis à l’article L. 143-2, parmi lesquels figurent par exemple « l’installation, la réinstallation ou le maintien des agriculteurs » ou « la consolidation d’exploitations afin de permettre à celles-ci d’atteindre une dimension économique viable au regard des critères du schéma directeur régional des exploitations agricoles (…) ». Dans sa décision du 9 octobre 2014, le Conseil constitutionnel a toutefois émis une réserve d’interprétation en considérant que les objectifs fixés par l’article L. 143‑2 ne pouvaient déroger à la mission principale fixée au paragraphe I de l’article L. 141‑1 précité ([4]).
La Safer est également tenue de motiver et publier la décision de rétrocession des biens acquis conformément aux objectifs définis. La rétrocession doit intervenir dans un délai de cinq ans, hors des cas de prorogation et d’exception prévus en application des articles L. 142-4 et suivants du même code.
En cas de préemption partielle, la Safer est tenue de rétrocéder prioritairement à l’acquéreur évincé, en application de l’article L. 143-1-2 du CRPM. En cas de désintérêt de cet acquéreur, la Safer doit se tourner vers les éventuels autres candidats à l’acquisition, ou chercher à remplir les objectifs prévus par l’article L. 143-3. En cas d’impossibilité, il lui est enfin permis de rétrocéder pour un usage autre que ceux prévus par ce dernier article.
Une telle solution garantit l’exercice du droit de propriété du vendeur tout en respectant l’objectif d’utilité agricole de la préemption. Elle ne déroge aux règles de rétrocession que pour préserver la liberté du vendeur.
Par rapport au constat fait par le législateur en 2014 – à savoir que les Safer rencontrent des difficultés à rétrocéder les biens acquis dans le respect des finalités de l’article L. 143-2 du code rural et de la pêche maritime, lorsque les bâtiments d’habitation ont une valeur élevée et ne présentent pas d’intérêt pour les exploitants agricoles – la situation ne s’est pas améliorée dans certaines régions, en raison de la hausse des prix du foncier.
Les difficultés sont même exacerbées dans la plupart des régions littorales, où l’attrait pour des terrains ruraux, réputés au calme des grandes villes, s’est intensifié à l’issue de la pandémie de la covid-19 et des mesures de confinement. Dans de telles situations, le droit de préemption partielle des Safer est inutilisable et inefficace, dès lors que le vendeur refuse de dissocier la vente de ses biens. À l’image de plusieurs exemples sur le territoire national, comme à Arbonne au Pays basque, les prix des biens proposés par les propriétaires, dès lors qu’ils comportent une maison d’habitation, peuvent atteindre trois ou quatre fois les prix des seules terres agricoles estimés par les Safer.
Face à ces situations, lorsqu’il est lui demandé de préempter l’ensemble des biens ou d’indemniser la moins-value des biens non préemptés, la Safer se retrouve, dans les faits, dans l’incapacité d’agir en raison de son incapacité à trouver un repreneur ou à former un projet aux prix demandés.
D’après une étude réalisée par la Fédération nationale des Safer dans cinq Safer régionales ([5]), lorsqu’une Safer exerce son droit de préemption partielle, le vendeur exige l’achat au global de ses biens dans plus de 82 % des cas. En raison, principalement, d’un défaut de moyens ou de projets pour le bâti d’habitation, la Safer doit renoncer dans 60 % de ces dossiers.
Il convient par ailleurs de relever que la procédure de préemption en révision de prix, prévue à l’article L. 143-10 du code rural et de la pêche maritime, ne constitue pas non plus une solution adaptée : d’une part, elle ne trouve pas à s’appliquer sur certains biens immobiliers ayant eu un usage agricole (cf. commentaire de l’article 2) ni sur les biens immobiliers pour lesquels la Safer ne bénéficie pas d’un droit de préemption ; d’autre part, la valeur très élevée des « biens mixtes » provient essentiellement de la présence d’une maison d’habitation, sans qu’il n’y ait eu nécessairement d’exagération de ce prix.
En conséquence, certains biens comportant parfois plusieurs hectares de terres agricoles (ou ayant une vocation agricole) sont vendus à des propriétaires qui n’ont aucune intention de les exploiter, sans que la Safer n’ait les moyens pour intervenir.
La présente proposition de loi défendue par votre rapporteur doit permettre de lutter contre cette spéculation foncière qui s’exerce dans l’espace rural.
En modifiant l’article L. 141‑1‑1 du code rural et de la pêche maritime, l’article 1er de la présente proposition de loi vise à renforcer les obligations d’information qui incombent aux vendeurs en vue d’améliorer les conditions d’exercice des missions des Safer.
Plus précisément, cet article permet aux Safer d’obtenir, lors de la vente de biens pour lesquels elles bénéficient d’un droit de préemption, un acte de cession qui sépare les terrains à usage ou à vocation agricole des bâtiments d’habitation, afin de lui permettre de ne préempter que les seuls terrains à usage ou à vocation agricole.
Cette disposition aurait pour objet d’éviter que l’accomplissement, par les Safer, de leurs missions d’intérêt général et l’exercice de leur droit de préemption puissent être tenus en échec par la cession indivisible, du fait de la volonté du vendeur, de terres à vocation agricole et de bâtiments d’habitation ou autre, dans la mesure où ces derniers justifient la demande d’un prix inadapté dans un contexte d’exploitation agricole. Elle permet en outre aux Safer de préempter à moindre coût et de rétrocéder plus aisément les biens préemptés.
À l’occasion de l’examen, devant l’Assemblée nationale, du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, en 2014, le Gouvernement avait sollicité l’avis du Conseil d’État pour évaluer la constitutionnalité d’un dispositif relativement proche. Ce dispositif prévoyait de dissocier la vente de terrains et de bâtiments (ou de biens) non soumis à préemption, en cas de vente simultanée, afin de pouvoir ne préempter que les biens présentant un intérêt direct pour l’exploitation agricole.
En réponse, le Conseil d’État ([6]) avait émis un avis réservé sur le dispositif présenté tout en ouvrant la voie à l’instauration d’un droit de préemption partielle spécifique, jugé davantage respectueux du droit de propriété du vendeur, et qui correspond à l’essentiel des dispositions en vigueur aujourd’hui.
Considérant les limites précédemment évoquées de ce droit de préemption partielle, et compte tenu de l’évolution de la situation du foncier agricole dans un contexte de forte spéculation dans certaines régions, votre rapporteur défend qu’une modification des modalités d’application de ce droit de préemption est légitime et nécessaire au regard de l’intérêt général.
Selon une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel reconnaît en effet qu’il est « loisible au législateur d’apporter aux conditions d’exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi qu’à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle, qui découlent de son article 4, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi » ([7]).
Pour éviter cette « atteinte disproportionnée », l’article 1er prévoit que la cession relative au bâtiment d’habitation puisse comporter en sus une parcelle d’une superficie proportionnelle à la taille de ces bâtiments. Votre rapporteur n’exclut pas de pouvoir améliorer cette formulation, au regard notamment des propositions recueillies à l’occasion de ses auditions. Il pourrait par exemple apparaître opportun de prévoir la cession du bâtiment en lien avec celle d’un « jardin d’agrément », défini de manière jurisprudentielle ([8]), ou de « dépendances indispensables et immédiates » telles que définies à l’article L. 123‑2 du code rural et de la pêche maritime.
La dissociation de la vente n’interviendrait, en outre, que dans la mesure où la Safer qui la demande serait en mesure d’exercer son droit de préemption. Le vendeur, quant à lui, garderait sa liberté de renoncer à la cession si cette dissociation ne lui convenait pas.
La commission a adopté cet article, modifié par plusieurs amendements.
L’amendement CE4, présenté par notre collègue Claudia Rouaux et plusieurs de ses collègues et adopté avec un avis favorable de votre rapporteur, renforce l’obligation d’information en matière de démembrement de propriété.
La séparation de l’usufruit et de la nue-propriété tend en effet à devenir un moyen commun de contournement du droit de préemption des Safer, qui ne peuvent se porter acquéreur de la nue-propriété que dans des conditions très strictes, énoncées au septième alinéa de l’article L. 143‑1 du code rural et de la pêche maritime. Or, il est très difficile aux Safer de prouver l’intention de fraude, en raison du manque d’informations dont elles disposent sur les projets de vente. L’amendement vise donc à garantir aux Safer l’obtention d’informations supplémentaires relatives aux démembrements de propriété afin de mieux les évaluer. Une telle garantie renforce la transparence du marché du foncier et permet de limiter les situations de contournement.
L’amendement CE12 de votre rapporteur, adopté par la commission, vise à sécuriser juridiquement le dispositif proposé, mais aussi à préciser sa portée, en vue de son articulation avec l’amendement CE13 qui renforce la procédure de préemption en révision des prix (cf. commentaire de l’article 3 bis).
Conformément au premier alinéa de l’article R. 143-4 du code rural et de la pêche maritime, la Safer use de son droit de préemption dans les conditions du droit de préemption simple (article R. 143‑6) si le notaire ou le cédant a joint une déclaration d’intention d’aliéner (DIA) qui précise la valeur des biens à vendre, en distinguant les biens préemptables par la Safer de ceux qui ne le sont pas. Bien que cette procédure réglementaire mériterait d’être définie au niveau législatif, elle justifie d’inciter les propriétaires à distinguer la valeur des biens dès l’étape de la DIA. Pour ce faire, l’amendement offre aux propriétaires la possibilité de joindre aux bâtiments non agricoles des terrains d’agrément définis comme « les terrains qui en constituent des dépendances indispensables et immédiates, sans que la surface de ces derniers terrains puisse être disproportionnée par rapport à la superficie de ces bâtiments ».
Dans ces conditions, le propriétaire reste libre de choisir de vendre en plusieurs lots ou non. Cependant, les biens qui resteraient vendus avec un prix global pourront désormais voir leur prix soumis à la procédure de révision de prix de l’article L. 143-10 du code rural et de la pêche maritime, tel que complété par l’amendement CE13.
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Article adopté sans modification
Cet article permet d’élargir le champ du droit de préemption des sociétés d’aménagement et d’établissement rural, défini à l’article L. 143-1 du code rural et de la pêche maritime, aux communes limitrophes des communes littorales et aux communes en « zone tendue ». Sur arrêté préfectoral, pourraient également être concernées d’autres communes au sein du même département.
L’article L. 143-1 du code rural et de la pêche maritime (CRPM) énumère les biens pour lesquels les Safer disposent d’un droit de préemption, dès lors que les autres conditions relatives à l’exercice à ce droit de préemption sont remplies
(à l’instar de l’autorisation administrative, dans les conditions prévues à l’article L. 143‑7 du même code). Il s’agit essentiellement :
– des biens immobiliers à usage agricole et de biens mobiliers qui leur sont attachés ;
– des terrains nus à vocation agricole. Le législateur a tenu à préciser que « sont considérés comme à vocation agricole, pour l’application du présent article, les terrains situés soit dans une zone agricole protégée créée en application de l’article L. 112-2 [du même code], soit à l’intérieur d’un périmètre délimité en application de l’article L. 113-16 du code de l’urbanisme, soit dans une zone agricole ou une zone naturelle et forestière délimitée par un document d'urbanisme. En l’absence d’un document d’urbanisme, sont également regardés comme terrains à vocation agricole les terrains situés dans les secteurs ou parties non encore urbanisés des communes, à l’exclusion des bois et forêts » ;
– des bâtiments d’habitation faisant partie d'une exploitation agricole.
Ce même article énumère ensuite les conditions dans lesquelles d’autres bâtiments peuvent faire l’objet du droit de préemption. Ces conditions varient selon les caractéristiques des communes ou l’historique des usages de ces bâtiments.
En application du deuxième alinéa de ce même article L. 143‑1, les Safer peuvent aussi préempter :
– des bâtiments situés dans les zones ou espaces agricoles ou à usage agricole qui ont été utilisés pour l’exercice d’une activité agricole au cours des cinq dernières années qui ont précédé l’aliénation, pour leur rendre un usage agricole. L’article L. 143-10 du code rural et de la pêche maritime, relatif à la procédure de préemption en révision de prix, n’est toutefois pas applicable lorsque les bâtiments concernés ont fait l'objet d'un changement de destination ;
– aux mêmes conditions, des bâtiments situés dans les communes et parties de communes de montagne ([9]).
Signe de la volonté du législateur d’étendre le droit de manière différenciée en fonction des particularités de certaines communes et de certains bâtiments, il est également prévu que peuvent être préemptés dans les communes ou parties de communes littorales ([10]) mentionnées aux troisième et quatrième alinéas de l’article L. 143‑1 :
– des bâtiments utilisés pour l’exploitation de cultures marines exigeant la proximité immédiate de l’eau ([11]), au cours des vingt années qui ont précédé l’aliénation, pour affecter ces bâtiments à l’exploitation de cultures marines, dès lors que ces bâtiments sont situés dans les zones ou espaces agricoles ou à vocation agricole. De même que dans les cas cités précédemment, la procédure en révision de prix de l’article L. 143‑10 ne trouve pas à s’appliquer lorsque les bâtiments concernés ont fait l’objet d’un changement de destination, sauf si ce changement de destination a été effectué au cours des vingt années qui ont précédé l’aliénation et en violation des règles d'urbanisme applicables ;
– des bâtiments situés dans les zones ou espaces agricoles ou à vocation agricole qui ont été utilisés pour l’exercice d'une activité agricole au cours des vingt années qui ont précédé l’aliénation, pour rendre à ces bâtiments un usage agricole. De même, la procédure en révision de prix n’est pas applicable aux bâtiments ayant changé de destination, sauf si ce changement de destination a été effectué au cours des vingt années qui ont précédé l'aliénation et en violation des règles d'urbanisme applicables.
Dès lors qu’aucun intérêt légitime ne semblait justifier cette différence de traitement, l’article 2 de la présente proposition de loi met tout d’abord en cohérence les conditions selon lesquelles la procédure de préemption en révision de prix, prévue par l’article L. 143-10 du code rural et de la pêche maritime, trouve à s’appliquer. En effet, aucune exception n’est faite à sa non-application aux bâtiments mentionnés au deuxième alinéa de l’article L. 143‑10, alors qu’une exception est prévue pour les bâtiments mentionnés aux troisième et quatrième alinéas de ce même article.
Dès lors, le 1° de l’article 2 introduit la possibilité d’appliquer cette procédure de révision de prix aux bâtiments mentionnés au deuxième alinéa de l’article L. 143‑1, dès lors que ces bâtiments ont perdu leur usage agricole depuis moins de cinq ans et en violation de la réglementation du code de l’urbanisme.
Les 2° et 3° de l’article 2 prévoient, quant à eux, d’étendre le droit de préemption sur les bâtiments mentionnés aux troisième et quatrième alinéas de l’article L. 143‑1 aux communes limitrophes des communes littorales, étant donné qu’elles sont également l’objet d’une forte spéculation sur les prix du foncier. De plus et pour les mêmes raisons, le droit de préemption sur ces bâtiments est également élargi aux communes situées en « zone tendue » et où est instituée la taxe particulière sur les logements vacants définie à l’article 232 du code général des impôts.
Enfin, le 4° du même article 2 prévoit que le représentant de l’État soit en mesure de décider par arrêté la liste des autres communes du département concerné au sein desquelles il juge opportun d’étendre le droit de préemption sur les bâtiments partageant les critères de ceux mentionnés au quatrième alinéa de l’article L. 143‑1.
La commission a adopté cet article sans modification, tout en relevant que l’article 40 de la Constitution faisait obstacle aux principales initiatives visant à modifier cet article.
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Article adopté sans modification
Cet article permet aux sociétés d’aménagement rural et d’établissement foncier de visiter un bien avant d’exercer leur droit de préemption.
En l’état, le code rural et de pêche maritime ne permet pas à la Safer de demander une visite du bien avant de préempter. Afin de fonder sa décision pour préempter un bien et demander, le cas échéant, la révision du prix de cession, la Safer dispose des informations transmises par le notaire du propriétaire cédant lors de la notification de la vente. Or cette source d’information unique ne semble pas suffisante pour apprécier avec pertinence l’opportunité d’intervention de la Safer.
L’article L. 141-1-1 du code rural et de la pêche maritime (CRPM) dispose que, pour l’exercice de leurs missions, les Safer sont préalablement informées par le notaire de toute cession entre vifs conclue à titre onéreux ou gratuit portant sur des biens ou droit mobiliers ou immobiliers relevant de leur compétence. Autrement dit, la Safer est informée de l’ensemble des cessions intervenant dans son ressort. Introduite par la loi d’avenir pour l’agriculture du 13 octobre 2014, cette obligation préalable d’information permet à la Safer d’assurer la transparence du marché foncier rural, conformément aux objectifs qui lui sont dévolus à l’article L. 141-1 du CRPM, en accédant à une connaissance générale des prix du marché. Elle lui permet également, en disposant d’informations pour toute cession sur laquelle elle est susceptible d’exercer son droit de préemption, d’évaluer l’opportunité d’une telle préemption en vue de ses autres missions mentionnées au même article. À ces fins, l’article R. 141-2-1 du CRPM précise les mentions obligatoires de la déclaration d’intention d’aliéner, à savoir des éléments caractéristiques du bien tels que son prix et sa nature et les modalités de l’aliénation projetée. À compter de la date de la réception de la déclaration d’intention d’aliéner, la Safer dispose de deux mois pour décider, avec l’accord des commissaires du Gouvernement, de préempter le bien.
La décision de la Safer de préempter un bien repose donc essentiellement sur les informations transmises dans le cadre de cette déclaration d’intention d’aliéner. De même, c’est sur ce fondement qu’elle peut demander une révision du prix « lorsqu’elle estime que le prix et les conditions d’aliénation sont exagérés, notamment en fonction des prix pratiqués dans la région pour des immeubles du même ordre », en application de l’article L. 143‑10 du CRPM.
La bonne appréciation de la cession revêt un double enjeu pour les Safer. D’une part, en vertu de l’article L. 141-1 du CRPM, toute acquisition de la Safer, à l’amiable ou par voie de préemption, est réalisée dans le but de rétrocéder les biens concernés. La rétrocession des biens préemptés n’est pas seulement un objectif, mais une obligation qui pèse sur la Safer (cf. commentaire de l’article 1er). En particulier, l’exigence de motivation de la décision de préemption, sous peine de nullité, fixée à l’article L. 141‑3 du même code nécessite une connaissance approfondie du bien à préempter. Sans cela, il serait difficile pour la Safer de justifier sa décision au regard des objectifs qu’elle poursuit.
L’article R. 141-2-1 du code rural et de la pêche maritime prévoit que la Safer peut demander au notaire des éléments d’information complémentaire uniquement dans le cas des transmissions de droits sociaux. Pour les autres cessions portées à sa connaissance, en revanche, elle dispose uniquement des informations reçues lors de la notification de la vente par le notaire : elle ne peut pas demander au propriétaire la transmission d’un élément qui lui paraît essentiel dans l’appréciation de la nature et du prix du bien. Si l’obligation préalable d’information généralisée a représenté, à son introduction, un progrès notable dans l’accès à l’information des Safer, elle s’avère parfois insuffisante pour leur permettre d’apprécier la nature ainsi que la valeur réelle des biens et, éventuellement, de détecter des tentatives de fraude. Pour pallier ces difficultés, il ressort des auditions réalisées que, dans les faits, les Safer recourent parfois à la visite du bien, sous réserve de l’accord du propriétaire.
À ce titre, il convient de relever les différences de fonctionnement entre le droit de préemption des Safer et le droit de préemption urbain, principal régime de préemption en matière d’urbanisme. En effet, depuis 2014, l’article L. 213-2 du code de l’urbanisme dispose que le titulaire du droit de préemption urbain peut demander la communication de documents complémentaires ainsi qu’une visite du bien au cours des deux mois d’examen de la déclaration d’intention d’aliéner.
Plusieurs modalités fixées par le législateur et par voie réglementaire viennent néanmoins limiter le coût administratif de ces deux nouveaux droits. D’une part, le recours à ces droits n’est pas systématique : ils ne sont mobilisés par le préempteur que lorsque celui-ci estime que cela est nécessaire ; les transactions qui ne nécessitent pas un examen approfondi font donc uniquement l’objet de la transmission d’informations au moment de la notification de la vente. D’autre part et bien que le délai d’examen de la demande de préemption par l’administration soit prorogé au moment de la demande de documents supplémentaires ou d’une visite du bien, des limites sont posées par le législateur pour prévenir les abus. Afin d’éviter des demandes ayant pour seul objet de proroger le délai d’examen, la demande de communication de documents complémentaires par le titulaire du droit de préemption est encadrée. Celui-ci doit ainsi se limiter à une demande unique de communication des documents. Les documents pouvant être demandés sont par ailleurs limitativement énumérés par l’article R. 213-7 du code de l’urbanisme.
Concernant le droit de visite, les articles D. 213-13-1 et suivants du code de l’urbanisme prévoient que le propriétaire dispose de huit jours à compter de la date de réception de la demande de visite pour accepter ou refuser la visite. En l’absence de réponse dans ce délai, le refus est tacite et le délai recommence à courir.
Ainsi, en matière d’urbanisme, un équilibre a été trouvé pour concilier la nécessité, pour l’administration, de disposer d’informations précises, et l’efficacité de la procédure, qui ne doit pas faire peser une charge excessive sur le vendeur ou les professionnels notaires qui l’accompagnent. Enfin, il convient de noter que le propriétaire peut refuser la demande de visite du titulaire du droit de préemption urbain.
En introduisant un droit de visite préalable à la décision de préemption, la proposition de loi confère aux Safer un outil supplémentaire d’instruction mobilisable lorsqu’elles le jugent nécessaire, et ce afin qu’elles puissent apprécier au mieux l’opportunité de se porter acquéreurs.
Cette possibilité de recours à la visite pourrait s’inspirer plus largement de ce qui est prévu et pratiqué en droit de préemption urbain, en empruntant à ce régime la flexibilité requise pour assurer une efficacité dans l’examen des décisions d’intention d’aliéner.
La disposition prévue à l’article 3 de la proposition de loi doit permettre à la Safer de « demander à visiter les biens en vente dans des conditions fixées par décret ». Cette disposition répond au constat partagé par de nombreux acteurs auditionnés que la visite du bien peut se révéler déterminante dans le choix de préempter un bien et l’appréciation de la valeur de celui-ci. Par exemple, une personne auditionnée a mentionné l’hypothèse d’une présence d’indésirables tels que l’amiante ou de termites ; le délai de deux mois auquel est soumise la Safer pour instruire les dossiers ne permettant pas de réaliser des diagnostics sur la présence ou non de ces vices, la visite du bien peut permettre, dans une certaine mesure, de les détecter. Plus généralement et comme pour tout potentiel acquéreur, la visite permettrait à la Safer une appréciation plus fine de la valeur du bien.
Par ailleurs, votre rapporteur n’exclut pas la possibilité de solliciter le recours aux commissaires du Gouvernement pour réaliser la visite du bien avec la Safer.
En 2023, les Safer ont exercé moins de quatre mille préemptions. L’exercice de la préemption ne concerne donc que 1 % des quatre cent mille informations de vente transmises par les notaires sur cette même année. En introduisant un droit de visite facultatif lors de toute cession notifiée à la Safer, la proposition de loi exempte la grande majorité des acquisitions d’une étape procédurale supplémentaire. En effet, la Safer ne mobilisera son droit de visite que pour les cas complexes et sensibles, lorsque cela lui sera nécessaire pour prévenir une cession déséquilibrée et, le cas échéant, une procédure judiciaire.
Ainsi, si les modalités de mise en œuvre du droit de visite de la Safer seront fixées par décret, votre rapporteur soutient un meilleur encadrement de ce droit au niveau de la loi, sur le modèle de ce qui est prévu pour le droit de préemption urbain.
La commission a adopté cet article sans modification.
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Article créé par la commission
Cet article permet aux sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural de proposer une révision du prix de l’ensemble des biens dont le propriétaire exige qu’elle se porte acquéreur dans le cadre d’une préemption partielle, si elle estime que ces prix sont exagérés.
Ce nouvel article 3 bis, issu de l’adoption par la commission d’un amendement CE13 de votre rapporteur, permet d’étendre le droit de révision des prix reconnu à la société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) à tous les biens, y compris ceux sur lesquels la Safer ne bénéficie pas d’un droit de préemption, dès lors que le propriétaire refuse de les dissocier.
En l’état actuel du droit, la Safer ne peut demander une révision des prix, telle que définie à l’article L. 143-10 du code rural et de la pêche maritime (CRPM), que sur les biens qu’elle peut préempter et dans la mesure où elle estime que les prix proposés sont exagérés.
Cependant, en vertu de l’article L. 143-1-1 du CRPM qui définit le droit de préemption partielle, « lorsque la société d’aménagement foncier et d’établissement rural fait part au vendeur de son intention de ne préempter qu’une partie des biens mis en vente, le propriétaire peut exiger qu’elle se porte acquéreur de l’ensemble des biens aliénés ».
Or, cette garantie offerte par le législateur au propriétaire, qui reste libre de vendre son bien sans le diviser, peut conduire à l’échec de l’exercice des missions de la Safer, dans la mesure où celle-ci peut ne pas disposer des moyens financiers suffisants pour préempter les biens non agricoles au prix fixé par le propriétaire.
Afin de lutter efficacement contre la spéculation sur le prix du foncier et éviter l’accaparement de terres agricoles par de riches investisseurs qui en détourneraient l’usage, ce nouvel article permet aux Safer de procéder à une révision des prix jugés exagérés, en relation avec les commissaires du Gouvernement, dès lors que le propriétaire fait usage de son droit d’exiger que tous ses biens soient cédés concomitamment et au prix global qu’il a fixé. En cas de désaccord sur le prix proposé par la Safer et les commissaires du Gouvernement, le tribunal judiciaire est compétent pour fixer ce prix.
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Article adopté par la commission sans modification
L’article 4 gage financièrement les dispositions de la proposition de loi, afin qu’elle puisse être recevable en application de l’article 40 de la Constitution
La commission des affaires économiques a examiné la proposition de loi visant à lutter contre la disparition des terres agricoles et à renforcer la régulation des prix du foncier agricole (n° 805) (M. Peio Dufau, rapporteur).
Mme la présidente Aurélie Trouvé. En matière de souveraineté alimentaire, se posent immédiatement les questions du renouvellement des générations et de l’installation de nouveaux agriculteurs. Il est regrettable que le foncier agricole nécessaire dans cette perspective soit un « angle mort » de la loi d’orientation agricole (LOA) ; je me réjouis donc que nous puissions enfin nous pencher sur ce sujet.
Les deux tiers des exploitants atteindront l’âge de la retraite dans les dix prochaines années et la pression foncière est considérable, en particulier dans certaines régions littorales et touristiques, les prix du foncier ne faisant qu’augmenter. Les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) jouent un rôle très important pour réguler le foncier, même si, malheureusement, leur action ne permet pas toujours d’endiguer la spéculation foncière et l’accaparement des terres agricoles pour d’autres usages, ce qui est précisément l’objet de la proposition de loi que nous examinons ce matin.
Ce texte transpartisan est inscrit en quatrième position à l’ordre du jour du mardi 11 mars prochain, après-midi et soir, et des jours suivants si besoin. Deux amendements ayant été déclarés irrecevables au titre de l’article 45 de la Constitution et trois au titre de l’article 40, notre commission est aujourd’hui saisie de sept amendements.
M. Peio Dufau, rapporteur. Cette proposition de loi trouve sa source à Arbonne au Pays basque, où une maison à rénover, une dépendance quasiment en ruine et quinze hectares de terres agricoles devaient être vendus, en 2021, pour la modique somme de 3,2 millions d’euros, alors que le prix global était estimé par les domaines à huit cent mille euros. Une occupation de cent jours soutenue de manière transpartisane par le monde agricole, les élus locaux et la population a entraîné le retrait de l’acheteur, mais aussi, et surtout, mis en lumière l’incapacité de la Safer à réguler cette dérive. Notre ancien collègue Vincent Bru, député Modem qui m’a précédé dans la sixième circonscription des Pyrénées-Atlantiques, a alors rédigé une première proposition de loi, qui n’est toutefois pas parvenue au stade de l’examen en commission. En accord avec lui, j’ai repris le flambeau avec mon équipe, afin de trouver une solution législative aussi simple et efficace que possible.
La situation au Pays basque reflète un phénomène général. Ainsi, tout récemment, près de Deauville, un hectare de terre agricole proche d’une maison de maître s’est vendu 170 000 euros. Notre travail nous a prouvé l’ampleur du problème et l’urgence à agir. La terre, le foncier agricole, vit une crise qui n’est que très peu évoquée : celle de sa disparition progressive. Si l’artificialisation des sols est un phénomène reconnu et encadré par des mesures spécifiques, un processus plus insidieux reste en grande partie ignoré : la « consommation masquée », phénomène par lequel des terres échappent à l’activité agricole car elles sont vendues liées à un bâtiment, souvent une grande bâtisse, et deviennent, par un contournement de la régulation assurée par les Safer, des jardins d’agrément, des lieux de villégiature. Au Pays basque, deux cents hectares – soit l’équivalent de quatre exploitations agricoles en superficie – disparaissent chaque année et près de quatre cents hectares dans la Drôme. En région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), c’est l’équivalent de soixante-dix-huit exploitations par an qui disparaît. Dans l’Hexagone, vingt-sept mille hectares ont été perdus en 2023, soit deux fois et demie la superficie de Paris. Si rien n’est fait, le phénomène va s’accélérer avec le renouvellement des exploitants agricoles, dont plus de la moitié approche de la retraite.
Alors que nous avons collectivement affirmé ici l’importance que revêt la construction de notre souveraineté et de notre sécurité alimentaires, nous ne pouvons pas nous permettre d’abandonner ces terres qui doivent pouvoir contribuer à l’alimentation de tous. Devant l’urgence de la situation, nous avons engagé un travail transpartisan, auquel l’ensemble des acteurs du monde agricole a été associé, afin d’arriver rapidement à cette proposition de loi qui fait l’objet d’un large consensus.
Le texte est composé de quatre articles et nous allons étudier quelques amendements qui visent à l’améliorer, à la suite d’un travail de concertation mené durant les douze auditions de ces dernières semaines.
L’article 1er et un article additionnel proposé par voie d’amendement inciteront d’abord à une ventilation du prix séparant le foncier agricole et le bâtiment non agricole entouré d’un jardin d’agrément, dont je vous proposerai d’assouplir la définition, afin de répondre aux remarques des acteurs auditionnés, notamment des propriétaires ruraux. Il s’agit par ailleurs de renforcer le mécanisme de révision de prix dans le cadre des préemptions partielles.
L’article 2 prévoit la possibilité d’étendre à vingt ans la vocation agricole des bâtiments dans les zones en tension, au lieu de cinq ans actuellement, pour aligner cette durée sur celle qui s’applique dans les communes littorales. Sur cette question, qui a été évoquée lors des auditions, nous allons ouvrir la discussion afin de préparer, en vue de la séance, un amendement qui permettrait une détermination du zonage plus simple et plus efficace, collant au mieux aux territoires.
L’article 3 vise à faciliter les visites de biens par les Safer. Bien que des visites aient déjà lieu, parfois, leur systématisation facilitera les discussions en amont et les règlements amiables.
Enfin, nous étudierons les solutions proposées par notre collègue Claudia Rouaux pour remédier au problème, abordé durant toutes les auditions, du recours au démembrement de propriété afin de contourner la préemption des Safer.
Les derniers mois et, plus largement, les dernières années nous ont permis de mesurer le désarroi et la colère du monde agricole. Si nous avons été unanimes ici à condamner le Mercosur et à essayer de trouver des solutions pour que les agriculteurs puissent vivre dignement de leur activité, nous n’avons pas progressé en ce qui concerne leur outil de travail primordial, qui reste toujours le même et avec lequel ils entretiennent un lien viscéral : la terre.
Ce texte n’a pas vocation à résoudre tous les problèmes ni à remplacer une grande loi sur le foncier agricole, qui est nécessaire, mais c’est une brique urgente dans la construction d’un ensemble visant à assurer la préservation de notre agriculture. Les agriculteurs comptent unanimement sur nous pour préserver la terre destinée à leur activité. Dans la bataille pour nos agriculteurs, chaque acteur compte.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je connais bien le cas d’Arbonne, pour y être allée soutenir les agriculteurs et les habitants qui se mobilisaient contre le détournement d’usage des terres agricoles que vous avez évoqué, monsieur le rapporteur. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Géraldine Grangier (RN). Nous sommes face à un enjeu crucial : la protection de notre foncier agricole. En 2023, la France a perdu plus de treize mille hectares de terres agricoles sous l’effet de l’expansion urbaine, soit plus que la superficie de Paris. Par ailleurs, entre quinze mille et vingt mille hectares ont été détournés de leur usage agricole par des non‑agriculteurs qui les transforment en terrains d’agrément. Cette double pression fragilise notre souveraineté alimentaire et compromet l’installation de jeunes agriculteurs, déjà confrontés à de nombreuses difficultés. L’accaparement du foncier par des investisseurs non‑agriculteurs, souvent étrangers, le développement des champs photovoltaïques et la flambée des prix rendent l’accès à la terre agricole de plus en plus difficile.
L’accès au foncier est une nécessité pour le développement de notre agriculture et l’installation de nouveaux exploitants. Les Safer ont vocation à préserver la disponibilité du foncier agricole et à favoriser l’installation des jeunes agriculteurs : le droit de préemption dont elles disposent doit viser exclusivement ces objectifs. Malgré cette prérogative, la régulation du foncier présente encore d’importantes failles et les Safer ne parviennent pas à préempter efficacement les terres menacées de détournement.
Cette proposition de loi vise renforcer les moyens d’action des Safer sur trois points clés. D’abord, elle consolide leur droit de préemption partielle, en distinguant clairement les terres agricoles des bâtiments d’habitation, afin d’éviter que certaines ventes ne leur échappent. Ensuite, elle étend ce droit aux communes limitrophes des zones tendues et littorales, où la pression foncière est la plus forte. Enfin, elle instaure un droit de visite avant l’exercice de la préemption, afin de permettre une meilleure évaluation des biens mis sur le marché et une plus grande transparence des transactions.
Nous tenons cependant à vous alerter quant aux dérives des Safer et à l’absence de contrôle exercé sur leurs activités. En 2014, un rapport de la Cour des comptes avait déjà relevé certaines de ces dérives, notamment des opérations de substitution au bénéfice de grands exploitants ou d’agriculteurs étrangers, qui sont de nationalité suisse dans ma circonscription. Le Rassemblement national a donné l’alerte sur l’absence de contrôle des pouvoirs publics et le risque de dérives dans la gestion du foncier. Il est impératif d’accompagner l’extension du dispositif actuel de garanties solides afin d’éviter tout favoritisme ou détournement des prérogatives des Safer.
Malgré cette réserve, le texte a pour but de rendre plus opérants les moyens existants des Safer pour atteindre un objectif essentiel à notre souveraineté agricole : garantir l’accès à la terre et assurer une transmission juste des exploitations. Il est temps d’agir pour protéger nos agriculteurs et nos terres nourricières. Nous voterons donc pour cette proposition de loi.
M. Peio Dufau, rapporteur. Merci de votre soutien. S’agissant des dérives potentielles des Safer et s’il n’y a pas de problèmes de cet ordre au Pays basque, où le mécanisme actuel fait l’objet d’un consensus et où les différents acteurs travaillent très bien ensemble, les auditions ont montré que cela pouvait arriver dans certains départements. La proposition de loi n’a évidemment pas pour objet d’examiner le fonctionnement des Safer au cas par cas, département par département, mais cette préoccupation partagée nécessitera certainement, le moment venu, un travail spécifique.
M. Antoine Armand (EPR). Nous nous attaquons à trois des contournements les plus fréquents des mécanismes de régulation par les Safer mis en place et renforcés au fil des années. Le premier est la rétention du foncier, consistant à garder un bien plus de cinq ans pour lui faire perdre, si l’on peut dire, son usage agricole. Le deuxième contournement est le démembrement de propriété puisque, dans le droit actuel, la Safer ne peut pas préempter la nue-propriété. Le troisième contournement, relatif à la préemption partielle, consiste à imposer à la Safer d’acquérir l’ensemble du bien – et non pas seulement le foncier agricole – ce qui, dans des zones très tendues comme dans mon département de Haute-Savoie, peut évidemment avoir un impact important sur les prix et donc dissuader ou empêcher de facto la préemption, par la contrainte financière. La proposition de loi vise précisément à remédier à ces situations et je vous remercie, monsieur le rapporteur, d’avoir précisé la réécriture que vous imaginez pour assurer notamment la constitutionnalité de l’article 1er.
L’article 2 présente quelques points potentiellement problématiques. De fait, le code rural prévoit que les Safer peuvent préempter des bâtiments qui n’ont plus d’usage agricole depuis moins de cinq ans lorsqu’ils sont situés en zone agricole ou en zone de montagne. La loi du 20 mai 2019 pour la protection foncière des activités agricoles et des cultures marines en zone littorale, dite loi « Pahun », a permis de porter ce délai à vingt ans dans les zones littorales. L’article 2 propose d’étendre le délai de vingt ans aux communes situées en zone tendue et de permettre aux préfets d’autoriser la préemption dans toutes les communes situées dans les départements comportant des zones tendues : cinquante-neuf des quatre-vingt-seize départements hexagonaux, soit les deux tiers du territoire, seraient alors directement concernés, selon les décisions des préfets. Une réécriture semble s’imposer : des communes qui ne sont pas situées en zone tendue seraient potentiellement concernées par le délai de vingt ans, alors que d’autres, qui le mériteraient manifestement, ne pourraient pas se voir appliquer la mesure ; nous pouvons donc améliorer le dispositif.
Enfin, la loi d'orientation agricole a permis de sortir les bâtiments à usage agricole du champ d’application du « Zéro artificialisation nette » (ZAN). Mais une dérive est possible, car on pourrait, à des fins de spéculation, acheter un bien agricole et le transformer en habitation sans satisfaire aux obligations du ZAN, ce qui irait exactement à l’inverse de ce que vous proposez.
Au-delà de ces quelques remarques mineures, le groupe EPR soutiendra cette proposition de loi transpartisane et utile.
M. Peio Dufau, rapporteur. Nous débattrons ensemble de la rédaction la plus appropriée pour l’article 2. En revanche, l’article 40 de la Constitution ne nous permet pas d’élargir le droit de préemption par amendement et il faudrait donc que ce soit le Gouvernement qui le fasse en notre nom. Cher collègue, si vous connaissez des gens au Gouvernement, cela pourrait faciliter les choses ! (Sourires.)
Mme Mathilde Hignet (LFI-NFP). Merci, monsieur le rapporteur, de nous permettre de débattre du foncier agricole, ce que nous n’avons malheureusement pas pu faire à l’occasion de l’examen du projet de loi d’orientation agricole, dont l’objectif affiché était pourtant le renouvellement des générations dans l’agriculture. L’accès au foncier est l’un des principaux freins à l’installation : nombreux sont ceux qui renoncent à leur projet faute de trouver une solution.
Le problème du foncier est notamment lié à celui des petites retraites agricoles, car certains cédants sont contraints de miser sur la vente de leur ferme pour s’assurer une retraite digne – et donc potentiellement de vendre rapidement au plus offrant, au détriment de l’installation d’un nouvel agriculteur. En concurrence avec l’urbanisation et la volonté d’agrandissement des exploitations existantes, une personne qui souhaite s’installer en agriculture ne fait pas le poids financièrement. C’est particulièrement vrai des « Non issus du milieu agricole » (Nima), qui représentent aujourd’hui 60 % des candidats à l’installation et doivent acheter des terres.
En 2023, le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux observait que, sur les dix dernières années, l’agriculture avait perdu annuellement, en moyenne, soixante mille hectares, dont un tiers est artificialisé, un tiers converti en usage forestier et un tiers abandonné. Il est pourtant indispensable de préserver les terres agricoles afin de garantir notre souveraineté alimentaire. Les Safer jouent, à cet égard, un rôle essentiel, car elles sont chargées de garantir la protection des espaces agricoles, naturels et forestiers et de favoriser l’installation d’exploitations agricoles
Le groupe LFI soutient cette proposition de loi qui vise à lever certains freins. Ce n’est cependant qu’un début, car le texte ne suffira pas à corriger les nombreux dysfonctionnements constatés dans l’attribution du foncier agricole – je pense, par exemple, à la répartition dont a fait l’objet une ferme du Maine-et-Loire, dont 87 % des terres ont été attribuées à l’agrandissement alors que trois porteurs de projet souhaitaient s’y installer. Cet exemple n’est pas une exception, car deux tiers des terres libérées par les agriculteurs partant en retraite vont à l’agrandissement d’exploitations existantes.
Le mode de financement des Safer, qui repose presque exclusivement sur les plus-values tirées des transactions immobilières, peut conduire à privilégier les opérations les plus avantageuses. En outre, le mode de gouvernance actuel est loin de garantir la démocratie et la transparence. La situation s’est améliorée depuis que la Cour des comptes a souligné, en 2014, des problèmes de transparence dans l’attribution des terres agricoles, mais elle est encore loin d’être satisfaisante. D’ici à 2030, cinq millions d’hectares devraient changer de mains, soit un cinquième de la surface agricole utile. Si cette proposition de loi est la bienvenue, elle ne doit pas faire oublier l’urgence d’une véritable loi foncière pour préserver, répartir et traiter en priorité l’accès au foncier agricole.
M. Peio Dufau, rapporteur. Merci de votre soutien. Le financement des Safer, qui a souvent été évoqué lors des auditions, n’est pas l’objet de la proposition de loi, mais le fait que les Safer se rémunèrent au pourcentage peut, même si ce n’est pas général, mener à des dérives.
Cette proposition de loi est la première brique d’un ensemble nécessaire en matière de foncier agricole. Le problème de la consommation masquée est une urgence et il faut réussir à valider cette première mesure. Une loi plus importante est nécessaire, mais elle ne sera peut-être pas d’initiative parlementaire. Comme l’ont fait apparaître les auditions, un consensus devra aussi se faire plus largement sur le foncier agricole.
M. Inaki Echaniz (SOC). Il nous est enfin possible de débattre de mesures concrètes pour la préservation et la régulation du foncier agricole, premier outil de travail pour nos agriculteurs. Alors qu’aucune grande loi foncière n’a vu le jour, malgré les engagements du Président de la République, je suis heureux de voir émerger des solutions parlementaires pour répondre aux préoccupations du monde paysan. Parmi les sujets d’inquiétude légitime, le foncier occupe une place centrale : en 2023, treize mille hectares d’espaces agricoles et naturels ont été perdus au profit de l’urbanisation et 20 % de la surface agricole française va changer de mains d’ici à 2030.
Le texte que nous examinons est le fruit d’un travail transpartisan et d’une collaboration étroite avec les acteurs du terrain. Je tiens à saluer l’investissement dont fait preuve depuis plusieurs mois mon collègue Peio Dufau sur ce sujet particulièrement important chez nous, dans les Pyrénées-Atlantiques et au Pays basque, où la pression immobilière et l’envolée des prix menacent la souveraineté alimentaire de tout un territoire en privant nos agriculteurs de terres. Dans le rétro-littoral, des terrains de quinze hectares sont mis en vente pour plusieurs millions d’euros au mépris de nos outils de régulation, trop facilement contournés ou simplement inadaptés pour répondre à certaines situations. Il fallait agir et cette proposition de loi répond à des problèmes que nous retrouvons dans de nombreux territoires, au-delà des Pyrénées-Atlantiques et du Pays basque.
Les articles de ce texte, équilibrés et efficaces, permettront de renforcer les moyens des Safer en consolidant leur droit de préemption partielle, par une possibilité d’action en matière de révision de prix, pour sauver les terres agricoles de la spéculation. Avec cette mesure, c’en sera fini des ventes de trois hectares à un million d’euros. Le texte élargit le champ d’action aux communes touchées par une pression sans précédent sur le foncier, comme c’est le cas dans le rétro-littoral. Il propose également de donner aux Safer un droit de visite préalable à la préemption d’un bien afin de pouvoir obtenir des informations plus précises sur sa nature.
Je rappelle enfin que le Conseil constitutionnel juge que des limitations peuvent être apportées au principe de liberté d’entreprendre et au droit de propriété si elles sont justifiées par l’intérêt général. Or la préservation du foncier agricole est un solide motif d’intérêt général. En ces temps troubles, le renforcement de notre souveraineté alimentaire n’a jamais été plus d’actualité. Le groupe Socialistes et apparentés est donc heureux de porter cette proposition de loi.
M. Peio Dufau, rapporteur. La loi d'orientation agricole a précisé, très opportunément, l’intérêt général majeur que revêt l’agriculture. Face à cet enjeu important, il faut des réponses adaptées. La présente proposition de loi est la première de ces réponses et j’espère que les autres suivront rapidement.
M. Julien Dive (DR). Monsieur le rapporteur, j’ai cosigné cette proposition de loi lorsque vous me l’avez proposé, voilà quelques mois. Dans un contexte marqué par le départ en retraite de nombreux agriculteurs dans les prochaines années et par l’accélération des successions et des transmissions d’exploitation, la loi d’orientation et d’avenir agricole, qui entendait traiter de l’installation des jeunes agriculteurs, a laissé subsister quelques angles morts, parmi lesquels la question du foncier agricole, dont elle n’abordait que quelques éléments épars (comme l’adaptation du ZAN pour les bâtiments agricoles).
La question du foncier doit être traitée dans un texte d’ampleur, qui pourrait par exemple provenir du Gouvernement, mais il est essentiel d’apporter dès maintenant quelques réponses, comme tend à le faire cette proposition de loi. Les 54 % de surface agricole utile (SAU) que compte notre pays doivent fournir des denrées alimentaires saines et accessibles pour nos populations – et même au-delà, car la France doit être capable d’exporter. Un tiers de cette SAU est en herbe et les deux autres tiers sont composés de terres arables. L’adaptation de la loi foncière doit permettre de tenir compte des spécificités territoriales – il existe ainsi des zones de grandes cultures, très productives du fait de la qualité des terres, et des zones intermédiaires.
Monsieur le rapporteur, je salue la courtoisie que vous avez eue tout à l’heure de citer votre prédécesseur, issu d’un autre groupe politique, et de rappeler que le travail sur cette question était collectif. Partant d’un cas précis observé dans votre département, sur un territoire non seulement agricole – comptant des zones de polyculture et d’élevage, ainsi que des zones intermédiaires et peu productives –, mais aussi touristique, vous évoquez les conditions qui favorisent le contournement des textes adoptés dans ce domaine, comme la loi Pahun et la loi du 23 décembre 2021 portant mesures d'urgence pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires, dite loi « Sempastous ». Vous soulignez ainsi qu’il faut aller plus loin, notamment en matière de délai.
Sur ce point, j’émets la même réserve que notre collègue Antoine Armand. Sans être opposé à l’idée de permettre aux Safer de préempter des biens ayant eu un usage agricole au cours des vingt dernières années, j’alerte à mon tour sur l’extension de ce délai à d’autres territoires : la situation qui existe indéniablement dans votre département ne se retrouve pas partout en France.
Enfin, faisons attention à ce que les Safer, dont nous nous apprêtons à renforcer le rôle, ne conduisent pas des actions de nature spéculative sur certaines transmissions.
M. Peio Dufau, rapporteur. J’ai en effet mentionné mon prédécesseur Vincent Bru, car ce travail a d’abord été mené au Pays basque de façon transpartisane. Vous êtes plusieurs à avoir accepté de cosigner la proposition de loi en faisant fi des différences politiques, ce dont je vous remercie : je crois que les Français attendent de nous que nous soyons capables de travailler ensemble pour adopter les mesures que le bon sens impose et j’assume cette ouverture.
Comme je l’ai indiqué dans mon propos introductif, je suis bien conscient que la rédaction actuelle de l’article 2 ne convient pas. Nous en rediscuterons, de façon à trouver la formulation la plus consensuelle possible.
M. Boris Tavernier (EcoS). Protéger les terres agricoles pour protéger la capacité nourricière de notre pays : voilà un objectif qui devrait tous nous réunir. Sans terres agricoles, il n’y a ni souveraineté alimentaire ni droit à l’alimentation. Je remercie donc le rapporteur et tous les collègues qui soutiennent ce texte.
La proposition de loi vise à renforcer les moyens d’action des Safer pour lutter contre la consommation masquée de foncier agricole, c’est-à-dire la pratique consistant à acheter des terres agricoles pour des usages tels que le loisir, le stockage ou la spéculation, voire tout simplement pour s’assurer de ne pas avoir de voisins. Ce phénomène, qui s’accroît depuis la période de la covid-19, a touché plus de dix-sept mille hectares en 2022.
Heureusement, en France, grâce à leur droit de préemption, les Safer œuvrent au contrôle du foncier agricole. Pour assurer leur mission, elles doivent être dotées d’outils actualisés. Le texte va dans ce sens, en consolidant le droit de préemption partielle des Safer grâce à la distinction entre terrains agricoles et bâtiments d’habitation, en étendant le dispositif aux communes proches des littoraux et des zones tendues et en octroyant aux Safer un droit de visite avant préemption.
La protection du foncier agricole est d’une importance majeure pour garantir la pérennité de l’agriculture, la préservation de l’environnement, la vitalité de nos campagnes et le maintien des emplois ruraux. Pour nos paysages, pour nos paysans, pour notre souveraineté alimentaire, pour le droit à l’alimentation, les terres agricoles doivent être protégées : comme le rappellent les Safer elles-mêmes, chaque hectare compte !
Notre groupe votera donc cette proposition de loi transpartisane. Nous espérons un même soutien pour d’autres outils de protection des terres agricoles, notamment le ZAN, et un même engouement transpartisan pour la lutte contre des projets trop peu utiles et inadaptés à notre temps (nouvelles autoroutes, centres commerciaux, plateformes logistiques…), qui artificialisent les terres agricoles par centaines d’hectares. On ne protège pas les agriculteurs en s’attaquant à leurs terres : préservons-les ensemble.
M. Peio Dufau, rapporteur. Merci de votre soutien, que j’apprécie pleinement.
M. Pascal Lecamp (Dem). Le rapporteur l’a bien rappelé : la disparition des terres agricoles est parfois un dommage collatéral du difficile renouvellement des générations, de la spéculation qui peut inciter à modifier l’usage des terres ou encore de l’inflation foncière et immobilière. Les Safer ont été créées, dès 1960, pour jouer un rôle d’interface entre public et privé et assurer la régulation foncière, au service de l’intérêt général. L’expérience quotidienne montre toutefois qu’elles sont parfois impuissantes – ici, à empêcher la vente en bloc d’une ferme de plus de deux hectares (ce fut le cas dans mon département de la Vienne en 2022) ; là, à procéder à une préemption coûteuse.
Si nous voulons atteindre l’objectif de maintenir quatre cent mille exploitations en France à l’horizon 2035, que nous nous sommes fixé dans la loi d'orientation agricole, nous devrons certes développer davantage le portage foncier, auquel je suis très attaché, mais aussi donner aux Safer les moyens d’agir en leur permettant de préempter et de stocker du foncier à destination des nouvelles générations d’agriculteurs. Il est vrai que ce renforcement des prérogatives des Safer devra s’accompagner d’une réflexion sur leur gouvernance, mais tant qu’elles restent l’outil de référence de la régulation foncière, permettons-leur d’agir – sinon, il faut inventer autre chose.
La proposition de loi, que j’ai cosignée, s’attache à traiter certains des blocages observés sur le terrain. Elle présente un caractère non partisan, qui est souvent le signe du bon sens – du « bon sens basque », puisqu’elle est en quelque sorte l’héritière du texte déposé par notre ancien collègue démocrate, lui-même basque, Vincent Bru. Elle se nourrit des retours du terrain, où les impuissances publique et privée ont créé des frustrations et donné lieu à des occasions manquées, à des ventes de terres qui ne seront plus cultivées de sitôt. Je plaide notamment pour que le prochain projet de loi de finances traite la question des plus-values latentes qui sont découvertes au moment de vendre une ferme et qui empêchent souvent de diviser les exploitations, donc de permettre à des jeunes de s’installer.
Vous l’aurez compris, mon groupe soutiendra ce texte et les amendements susceptibles de renforcer l’arsenal des Safer, dans le respect du droit de propriété.
M. Peio Dufau, rapporteur. Merci de votre soutien. Nous allons avancer ensemble.
M. Thierry Benoit (HOR). Par ce texte, que j’ai cosigné, vous invitez les députés à se pencher sur une question cruciale pour l’agriculture et l’avenir des agriculteurs : le foncier.
Le sujet a fait l’objet d’une importante réflexion dans les années soixante, qui s’est concrétisée, à travers les lois d’orientation d’Edgar Pisani de 1960 et 1962, par la création des Safer. Votre proposition de loi, qui, par nature, ne saurait embrasser l’ensemble du problème, a le mérite de mettre en lumière un enjeu qui suscite depuis soixante ans les convoitises d’acteurs qui ne sont pas tous intéressés par l’avenir de l’agriculture : la France compte quelque 28 millions d’hectares de surface agricole utile et notre rôle est de préserver ce trésor.
J’ai déposé un amendement en vue de mettre fin à la concurrence observée dans certains territoires entre les Safer et d’autres instances : lorsque des syndicats de production d’eau potable définissent des périmètres de protection, lorsque des intercommunalités soutiennent l’installation d’agriculteurs porteurs de projets alternatifs ou encore lorsque les départements créent des espaces naturels sensibles, les Safer, qui sont l’outil des agriculteurs, se trouvent dépossédées de leur droit de préemption : je souhaite donc que ces différents acteurs concluent un conventionnement avec les Safer.
M. Peio Dufau, rapporteur. Nous aurons l’occasion d’évoquer cette question, qui a été mentionnée au cours des auditions.
Depuis les lois Pisani que vous avez citées, sont intervenues la loi d’avenir du 13 octobre 2014, la loi du 20 mars 2017 adoptée à l’initiative de notre collègue Dominique Potier et la loi Sempastous de 2021, ce qui montre bien que des ajustements sont périodiquement nécessaires. Il en faudra d’autres et le présent texte s’inscrit dans cette logique.
M. David Taupiac (LIOT). La pression sur les terres agricoles est de plus en plus forte. L’urbanisation galopante, la construction de nouvelles infrastructures et l’étalement urbain grignotent chaque année des milliers d’hectares de terres fertiles. S’y ajoutent la spéculation et la concentration foncières qui fragilisent l’accès des agriculteurs, notamment des jeunes générations, à la terre. Pour garantir notre souveraineté alimentaire, nous devons préserver le foncier agricole. Cela requiert des décisions radicales qu’aucun des derniers gouvernements n’a voulu prendre. Voilà des années qu’on annonce une grande loi foncière, sans aucune suite concrète – aucune piste de réforme n’est même avancée.
Je remercie donc notre collègue Peio Dufau de s’être emparé de cette question. Le texte, sans être révolutionnaire, prévoit des ajustements nécessaires et attendus pour préserver les terres là où elles sont le plus en danger. Les Safer sont insuffisamment armées pour exercer leur rôle dans les territoires en tension où, faute d’un droit de préemption suffisamment opérationnel, elles peinent à garantir que les terres restent dédiées à leur vocation agricole.
Le droit de préemption partielle, notamment, fonctionne mal, puisque le propriétaire peut toujours exiger que la Safer acquière l’ensemble des biens ciblés. Là où le prix des maisons explose – dans les zones touristiques, notamment –, cette exigence conduit bien souvent la Safer à renoncer à son droit. Des terres autrefois agricoles échappent ainsi à leur vocation initiale. Vous proposez de remédier à ce problème en octroyant aux Safer la possibilité de dissocier une maison d’habitation et son jardin des terrains agricoles. Des interrogations existent quant à la constitutionnalité d’une telle mesure, mais je suis convaincu que la situation critique actuelle nous incitera à trouver, au cours de la navette parlementaire, les compromis et les garanties nécessaires.
Nous sommes favorables à l’article 2, qui permettra de faciliter le changement de destination des bâtiments en vue de réinstallations là où la pression immobilière s’accroît.
Quant au droit de visite, nous y voyons une mesure de bon sens qui permettra à une Safer d’obtenir une évaluation plus juste des biens mis sur le marché et de renforcer ainsi son expertise et sa capacité à réguler les prix.
Pour toutes ces raisons, nous sommes favorables à cette proposition de loi.
M. Peio Dufau, rapporteur. Merci de votre soutien. J’ai déposé un amendement à l’article 1er de la proposition de loi, afin de mieux répondre aux demandes exprimées lors des auditions. En rendant la mesure moins abrupte, nous devrions garantir son caractère constitutionnel.
M. André Chassaigne (GDR). Je tiens à réaffirmer notre attachement aux Safer. Même si tout n’est pas parfait, de grands progrès ont été réalisés depuis quelques années pour améliorer la transparence. Dans mon département, en tout cas, la politique conduite par la Safer fait l’objet de très peu de contestations.
Je regrette l’absence de grande loi foncière – elle est comme l’Arlésienne : on en parle toujours, mais on ne la voit jamais arriver ! Faute de « grands soirs », nous devons nous contenter de petits matins… (Sourires.) Ce qui nous est proposé aujourd’hui est ainsi une sorte de grignotage par lequel nous essayons, petit à petit, de faire avancer les choses, en attendant cette grande loi qui viendra peut-être un jour.
Il y a beaucoup à faire. Les plus anciens d’entre nous se souviennent du texte qui avait été adopté pour permettre la préemption de cabanes d’ostréiculteurs dont certains entendaient se saisir, notamment dans le bassin d’Arcachon. On vit désormais la même chose dans les alpages : des « bobos » annuellement bucoliques achètent un buron ou une jasserie et y invitent leurs copains qui, urinant devant le bâtiment le soir, découvrent qu’il y a des étoiles dans le ciel, pendant que des bergers, à côté, vivent sous des tôles ! (Sourires.) Nous devons tenir compte des besoins de ces oubliés des temps modernes que sont les travailleurs saisonniers : il faudra bien, un jour, préempter des bâtiments de montagne pour pouvoir y accueillir des travailleurs qui exercent leur activité dans des conditions très difficiles.
Bien évidemment, nous voterons ce texte que nous avons cosigné et qui constituera une étape – beaucoup d’autres devront suivre.
M. Peio Dufau, rapporteur. Votre message est bien passé. Nous rencontrons le même problème d’hébergement dans les zones littorales, où l’activité économique et touristique pâtit de l’attractivité des territoires : certains restaurants doivent fermer trois jours par semaine l’été, faute de main-d’œuvre, car on ne peut pas loger des saisonniers payés au Smic dans des appartements loués 1 500 ou 2 000 euros la semaine sur Airbnb. Nous sommes ainsi confrontés à la surattractivité et à l’accaparement de biens qui devraient être utilisés pour faire vivre les territoires et non pour servir de lieux de villégiature. On n’empêchera jamais les gens d’acheter, mais il faut trouver des outils pour lutter contre un phénomène qui impose, en effet, de travailler non seulement sur les terres agricoles mais aussi sur le logement. Nous avons commencé à réfléchir à cette question et j’espère qu’elle reviendra bientôt à l’Assemblée.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. J’ai eu l’honneur de diriger une thèse qui fait état de quelque huit cent mille salariés agricoles employés chaque année, soit bien davantage que les estimations de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère chargé du travail.
Je constate en tout cas que, malgré quelques limites, chacun s’accorde à saluer le rôle essentiel joué par les Safer, que nous devons encore renforcer.
Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Dominique Potier (SOC). Après la loi visant à réguler les meublés de tourisme, adoptée il y a quelques mois de façon transpartisane grâce à l’investissement de notre collègue Inaki Echaniz, le Pays basque est à nouveau à l’honneur avec notre collègue Peio Dufau, qui prend le relais pour traiter d’une question proche : celle du partage de la valeur et de la nécessité de permettre à chacun d’avoir une place au soleil.
L’honnêteté m’oblige à dire, toutefois, qu’il est plus facile d’attaquer les riches « bobos » qui accaparent des terres pour leurs loisirs que de garantir la justice au sein de la profession agricole. Le texte ne traite que d’une petite partie du sujet : même si l’enjeu est très important, notamment dans les zones à fort impact touristique – j’avoue que nous sommes un peu moins concernés dans le Grand Est –, il ne doit pas occulter cette grande question qu’est le partage du foncier au sein de la profession agricole. Nous nous battons depuis dix ans pour l’inscrire à l’ordre du jour de notre Assemblée.
Alors que la loi d'orientation agricole devait traiter du renouvellement des générations, le vide abyssal de ce texte à propos de la question foncière montre bien l’hypocrisie totale de la démarche. Madame la présidente, la création de la mission d’information sur le foncier que nous demandons depuis l’examen de ce texte est-elle à l’ordre du jour de la commission ?
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Cette proposition de nouvelle mission sera sans nul doute discutée lors du prochain bureau de la commission.
M. Peio Dufau, rapporteur. Chacun s’accorde à dire que l’agriculture ne subsistera qu’à condition de partager les terres et d’installer de nouveaux exploitants. C’est un enjeu essentiel, a fortiori au vu de la démographie agricole, y compris dans les zones en tension, où le prix du foncier est très élevé. Des dispositifs d’aide existent. Ce sujet ne sera pas traité dans le cadre du présent texte, mais il est effectivement majeur.
M. Jean-Pierre Vigier (DR). La perte de terres agricoles, alimentée par l’urbanisation et la spéculation foncière, est un défi majeur pour notre souveraineté alimentaire et pour l’équilibre environnemental. Cette proposition de loi qui vise à renforcer les pouvoirs des Safer constitue une avancée essentielle pour protéger les terres contre les dérives spéculatives.
Je tiens à souligner les spécificités des zones de montagne, où l’agriculture joue un rôle crucial dans la gestion des paysages et la préservation de la biodiversité. Le texte étend le droit de préemption des Safer à ces zones sensibles, tout en introduisant un droit de visite afin de permettre une meilleure évaluation des terres. C’est une bonne chose. Cependant, comment s’assurer que les Safer disposent des outils et des financements nécessaires pour agir efficacement dans ces zones, où les défis liés à l’isolement et aux coûts d’intervention sont particulièrement marqués ?
M. Peio Dufau, rapporteur. Nous construisons une boîte à outils qui devrait faciliter les préemptions partielles.
Le financement est un autre sujet. Au Pays basque, territoire que je connais le mieux, une convention a été passée entre la communauté d’agglomération et la Safer, qui travaillent main dans la main avec l’établissement public foncier pour trouver des solutions. En effet, les prix de l’immobilier et du foncier ont atteint des sommets et forcé tous les acteurs à se mettre autour de la table. Je me présente devant vous avec la volonté de travailler de façon transpartisane, comme nous le faisons là-bas. Nous sommes parfois limités par la législation – d’où la nécessité de la modifier pour mieux répondre aux besoins concrets – mais, en réunissant toutes les parties concernées, on peut agir.
M. François Ruffin (EcoS). Il y a quelques années, on disait au sujet des terres agricoles que l’équivalent d’un département français était bétonné tous les dix ans. Plus récemment, un rapport a indiqué que c’était finalement tous les sept ans. Le rythme serait désormais de 26 mètres carrés par seconde ! En Picardie, dans ce qui était le grenier à blé de la France, d’immenses hangars et de grands pôles logistiques viennent manger des dizaines d’hectares.
J’ai fait partie de la mission d’information sur le foncier agricole conduite par notre collègue Dominique Potier. La promesse d’une loi permettant de soustraire le foncier agricole au marché n’a jamais été suivie d’effets. Si nous subissons peu, en Picardie, l’achat de terrains d’agrément et la surattractivité, nous ne connaissons que trop bien l’accaparement et la spéculation. Vos auditions ont-elles permis de mettre en évidence des moyens qui permettraient de mieux réguler le foncier et d’éviter que les banques, les fonds de pension et les grandes entreprises ne s’en saisissent ?
M. Peio Dufau, rapporteur. C’est le travail de la Safer, qui doit permettre d’attribuer les terres aux agriculteurs. Tout le monde n’en a peut-être pas conscience, mais le milieu financier veut s’emparer du foncier agricole, parce qu’il sait que l’alimentation sera un des enjeux majeurs de demain. Si nous ne posons pas dès maintenant des verrous pour empêcher la financiarisation du foncier et son accaparement par des grands groupes et des fonds de pension, nous allons au-devant de graves problèmes. Il nous faut absolument trouver des solutions. Ce texte, qui n’est qu’une brique de l’édifice, doit s’inscrire dans une prise de conscience globale : pour l’instant, nous « collons des rustines », mais il faudra construire une digue pour contrer les velléités de certains. La France n’est d’ailleurs pas la seule concernée : la Chine achète de plus en plus de terres en Afrique et les terres européennes suscitent également des convoitises. Nous devons nous préparer à un enjeu qui est majeur.
M. Jean-Luc Bourgeaux (DR). Les collectivités, particulièrement les départements, achètent chaque année des terres, le plus souvent dans des espaces classés, proches des rivages. Malheureusement, ces terres ne sont généralement plus exploitées ensuite, alors qu’elles sont parfois très fertiles. Ce problème peut concerner des dizaines, voire des centaines d’hectares par opération.
M. Peio Dufau, rapporteur. Pour avoir été adjoint à l’urbanisme dans une commune côtière, je vous rejoins sur ce point : les communes ou les départements qui achètent du foncier doivent prévoir des baux permettant le maintien de l’activité agricole. Une prise de conscience est nécessaire : chacun doit mesurer le caractère crucial du foncier agricole. Même si des terres sont préemptées par un autre acteur qu’une Safer, leur vocation agricole doit être préservée.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. En Allemagne, où aucun équivalent des Safer n’assure une régulation du foncier, on voit bien les conséquences en matière de prix des terres et de difficultés de transmission – elles sont autrement plus fortes. Cela montre le rôle essentiel des Safer : nous devons préserver cette spécificité française.
La question de l’artificialisation des terres a été évoquée par un certain nombre d’acteurs qu’une délégation de notre commission a rencontrés durant le Salon de l’agriculture. Je pense notamment, dans le domaine viticole, à la Confédération nationale des appellations d’origine contrôlées. Au-delà de cette proposition de loi très importante, nous devrons poursuivre le travail sur le foncier agricole.
Article 1er (art. L. 141-1-1 du code rural et de la pêche maritime) : Possibilité accordée aux sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural de recevoir des vendeurs une notification séparant les biens à usage ou vocation agricole des autres biens
Amendement CE4 de Mme Claudia Rouaux
Mme Claudia Rouaux (SOC). Les ventes en démembrement de propriété se sont multipliées. En 2022, le marché des biens démembrés a atteint un niveau record, en surface et en valeur : 270 ventes d’usufruit et 980 cessions de nue-propriété ont été notifiées aux Safer, représentant, respectivement, des surfaces de 2 350 hectares (ha) et de 11 440 ha et des valeurs de 44 millions d’euros (M€) et de 183 M€. Les Safer ne disposent pas du temps et des leviers nécessaires pour mettre en évidence le caractère frauduleux de certains recours à ce montage juridique. Or, la charge de la preuve, difficile à rapporter, pèse exclusivement sur elles. Les ventes en nue-propriété entravent leur mission d’intérêt général, qui consiste notamment à promouvoir l’installation des agriculteurs et à lutter contre la spéculation foncière.
L’amendement CE4 vise à mettre à la disposition des Safer des informations supplémentaires au sujet des opérations en démembrement de propriété. Cela permettra de vérifier la sincérité et l’exactitude des informations ainsi que la réalité juridique et économique des opérations et, partant, de limiter le contournement du droit de préemption.
J’ai également déposé un amendement CE5 qui renverse la charge de la preuve en cas de contentieux sur des cessions d’usufruit ou de nue-propriété. Il reviendrait au cédant et au cessionnaire de démontrer l’absence d’intention frauduleuse visant à contourner le droit de préemption de la Safer, laquelle est souvent dans l’incapacité de réunir des informations et des preuves suffisantes. Il s’agit de permettre à l’établissement public de mieux exercer son rôle de régulateur.
Un troisième amendement, qui visait à autoriser l’exercice du droit de préemption lorsque la durée de l’usufruit restant à courir ne dépasse pas neuf ans – au lieu de deux ans actuellement –, a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution. Une durée de deux ans est trop courte pour que la Safer puisse exercer son droit de préemption.
M. Peio Dufau, rapporteur. Il est indispensable de fournir aux Safer des compléments d’information. Tous les acteurs que nous avons auditionnés ont mentionné le démembrement du droit de propriété parmi les outils de contournement du droit de préemption. Les notaires n’ont pas fait exception – ils ont par ailleurs affirmé n’être pour rien dans la situation, ce dont on peut douter dans certaines zones géographiques comme la mienne. Renforcer l’information permettra aux Safer de mieux caractériser le contournement de la règle. Notre ancien collègue Vincent Bru avait travaillé sur ce sujet, comme notre collègue Claudia Rouaux et moi-même. Je suis très favorable à l’amendement CE4.
De même, je soutiens la proposition de notre collègue Claudia Rouaux de faire passer de deux à neuf ans le délai concernant les ventes en nue-propriété. Les règles de recevabilité financière nous empêchant d’adopter un amendement en ce sens, nous allons essayer de faire reprendre cette disposition par le Gouvernement – j’espère que vous serez tous d’accord pour appuyer une telle demande.
M. Dominique Potier (SOC). Nous avions identifié dès 2014 le problème du démembrement de propriété, qui était abondamment employé pour contourner les droits des Safer. À l’époque, nous avions opté pour une durée de deux ans, de crainte d’une censure du Conseil constitutionnel. J’avais déposé un amendement en ce sens au nom du groupe Socialiste, républicain et citoyen, et nous avions obtenu l’accord du ministre Stéphane Le Foll.
Les faits et l’évolution du droit nous laissent espérer que d’autres dispositions pourraient être adoptées. Un amendement avait ainsi été introduit dans le dernier projet de loi d’orientation agricole ; la ministre Annie Genevard, à l’instar des Républicains, s’y était montrée sensible, mais les dispositions en question ont été édulcorées au Sénat et n’ont plus de portée normative. L’amendement de notre collègue est donc particulièrement heureux.
Si le démembrement de propriété est revenu « à la mode », c’est en partie parce que la loi Sempastous a institué un contrôle sur les sociétés. Le démembrement est un outil employé partout en France par certains organismes agricoles et des cabinets d’avocats qui s’efforcent, en permanence, de contourner la loi – cela s’apparente à un sport. Tant que nous n’aurons pas réglé les questions de la définition de l’actif, de la régulation de l’ensemble des marchés agricoles – y compris ceux des prestations de services et de la propriété – et de la réorganisation des autorités compétentes en la matière, nous n’aboutirons pas. Les pas que nous accomplissons aujourd’hui sont néanmoins précieux pour lutter contre l’accaparement des terres.
M. Peio Dufau, rapporteur. Il est effectivement nécessaire, je l’ai dit, de renforcer l’information. Tous les acteurs le demandent.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CE12 de M. Peio Dufau
M. Peio Dufau, rapporteur. Il s’agit de rendre plus acceptable l’article 1er sans en changer l’objectif ni en réduire l’ambition, en précisant et en sécurisant juridiquement sa rédaction. Le droit de préemption partielle des Safer s’applique dans les mêmes conditions que le droit de préemption simple lorsque la déclaration d’intention d’aliéner comporte des valeurs distinctes pour chaque catégorie de biens, préemptables ou non. Il convient de généraliser le recours à la ventilation des prix car elle favorise la transparence et permet de lutter plus efficacement contre la spéculation.
Pour préserver les droits et les libertés des propriétaires, il est proposé que les biens non agricoles concernés puissent inclure des bâtiments et les terrains d’agrément qui leur sont attachés, dans la mesure où ces terrains sont indispensables et proportionnés à la surface du bâti. Fixer une surface précise paraîtrait, en revanche, une contrainte excessive. Le vendeur pourra, s’il le souhaite, prendre l’initiative du redécoupage. Ces modifications visent à éviter de porter atteinte à la sacro-sainte propriété privée.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’article 1er modifié.
Après l’article 1er
Amendement CE5 de Mme Claudia Rouaux
M. Peio Dufau, rapporteur. L’inversion de la charge de la preuve, déjà évoquée tout à l’heure, devrait permettre aux Safer de lutter plus efficacement contre le contournement des règles. Elles seront aidées en cela par l’information renforcée que nous avons décidé de mettre à leur disposition. Avis favorable.
M. Antoine Armand (EPR). L’amendement prévoit que le cédant et le cessionnaire doivent démontrer l’absence d’intention frauduleuse. Or, il est assez difficile, en droit, de démontrer une absence d’intention. Je ne sais pas comment cette mesure sera déclinée réglementairement ni, surtout, comment le juge appréciera les faits. Quelles preuves permettront de démontrer qu’il n’y a pas eu de volonté de contourner la règle ? Notre droit repose, au contraire, sur la mise en évidence d’une intention, au moyen de preuves ou d’un faisceau d’indices. Si je partage l’objectif de l’amendement, il me semble que sa rédaction pourrait se révéler inconstitutionnelle ou du moins, en pratique, très problématique pour le juge.
M. Dominique Potier (SOC). Il faut en effet tenir compte de l’argument de notre collègue Antoine Armand : l’amendement recèle peut-être une fragilité. Cela étant, je voudrais rappeler le contexte. Dans 90 % des cas, la nue-propriété est cédée. Il arrive ainsi qu’un propriétaire exploitant la transfère à un tiers qui poursuit l’exploitation des terres dans le cadre d’une prestation de services alors que, en l’absence de démembrement, l’opération aurait fait l’objet d’une préemption de la Safer. Démontrer une intention frauduleuse consisterait, par exemple, à mettre en évidence l’absence d’intérêt pour l’exploitation des terres dans le temps. Les organisations agricoles souhaitent unanimement consolider le dispositif. Je propose que l’on travaille à remédier à la fragilité identifiée par notre collègue.
Mme Claudia Rouaux (SOC). On nous a fait part de cette réserve. La Safer ne peut intervenir que si l’usufruit restant à courir au jour de la vente n’excède pas deux ans. Elle n’a absolument pas la capacité et l’ingénierie nécessaires pour démontrer la volonté de contourner le droit de préemption. L’amendement a d’abord un objectif de dissuasion, en faisant en sorte que l’acquéreur ne dispose pas forcément du bien à la suite de la vente. L’inversion de la charge de la preuve se développe beaucoup en droit européen, mais aussi dans notre droit – je pourrais vous fournir quelques exemples. Il faut tenter d’appliquer cette mesure, me semble-t-il, car aujourd’hui les Safer sont réduites à constater, impuissantes, l’explosion des ventes en nue-propriété.
M. Peio Dufau, rapporteur. Nous pouvons voter l’amendement tel quel, mais il est également possible de continuer à y travailler. Je laisse notre collègue Claudia Rouaux exprimer sa préférence.
M. Julien Dive (DR). Comme notre collègue Antoine Armand l’a montré au moyen d’arguments très pertinents, l’amendement sera difficilement applicable. Personne ne remet en cause l’objectif mais il faut s’assurer du caractère opérationnel de la disposition. La méthode la plus adaptée, d’un point de vue légistique, me semble être de retirer l’amendement et d’améliorer sa rédaction en vue de la séance.
Mme Claudia Rouaux (SOC). Je vais retirer l’amendement afin que l’on y travaille d’ici à la séance. Nous nous sommes longuement penchés sur la question avec des juristes, notamment ceux des Safer. Nous ne voyons pas comment nous pourrions soutenir ces dernières sans inverser la charge de la preuve.
L’amendement est retiré.
Article 2 (art. L. 143-1 du code rural et de la pêche maritime) : Élargissement du champ du droit de préemption des sociétés d’aménagement et d’établissement rural dans les communes limitrophes des communes littorales et les communes en « zone tendue »
Amendement CE9 de Mme Géraldine Grangier
Mme Géraldine Grangier (RN). Cet amendement vise à renforcer le contrôle de la cession de terres agricoles en cas d’implication d’investisseurs étrangers. Notre foncier est de plus en plus convoité par des acteurs extérieurs qui spéculent sur les terres ou les exploitent – chez moi, l’exploitation est parfois assurée par des ressortissants suisses. Nous proposons de soumettre toute transaction de ce type à une obligation de signalement et à un examen préalable par les autorités compétentes. Cela permettrait à la Safer d’exercer son droit de préemption et, ainsi, de garantir que nos terres restent accessibles aux agriculteurs français, en particulier aux jeunes qui veulent s’installer. Nous nous prémunirions, ce faisant, contre une concurrence étrangère déloyale.
M. Peio Dufau, rapporteur. On peut s’interroger sur la conformité de cette disposition à la Constitution et au droit de l’Union européenne dans la mesure où elle créerait, sans discernement, une discrimination envers tous les étrangers. Avis défavorable.
M. Patrice Martin (RN). Je soutiens cette proposition pour avoir connu ce genre de problème dans ma circonscription, où un agriculteur étranger, belge ou hollandais, a proposé de reprendre une exploitation d’une taille importante au prix de trente mille euros l’hectare. La Safer a exercé son droit de préemption, ce qui a permis à cinq jeunes agriculteurs de s’installer sur ces terres vendues à moindre prix.
M. Peio Dufau, rapporteur. Nous sommes précisément en train de renforcer le droit de préemption des Safer, ce qui évitera que des terres soient vendues à des exploitants ou à des fonds de pension étrangers.
La commission rejette l’amendement.
M. Peio Dufau, rapporteur. Je souhaite apporter une précision avant que nous ne passions au vote sur l’article.
Pour en avoir discuté avec les personnes auditionnées ainsi qu’avec plusieurs d’entre vous, il me paraît nécessaire d’améliorer la rédaction de l’article 2 en ce qui concerne le zonage et le passage de cinq à vingt ans de la durée prise en compte pour l’exercice d’une activité agricole. Nous avons souhaité confier au préfet le pouvoir de désigner les communes concernées, mais cette solution ne semble pas être la plus appropriée. On pourrait en revanche envisager de conférer cette prérogative aux communes. En tout état de cause, il sera nécessaire de déposer un amendement de réécriture en séance. J’aimerais recueillir vos points de vue afin que nous procédions à cet ajustement ensemble.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je rappelle qu’il n’y a pas d’explications de vote en commission. Je vous cède néanmoins la parole, monsieur Armand, parce que vous aviez déposé un amendement avant de le retirer.
M. Antoine Armand (EPR). J’avais en effet déposé un amendement, jugé irrecevable par le président de la commission des finances, afin d’étendre le droit de préemption des Safer aux biens qui ont connu un usage agricole au cours des vingt ans précédant la cession. Il a été considéré que cette disposition créerait une charge pour les finances publiques, ce qui est discutable, pour ne pas dire inexact, car non seulement les décisions se prennent au cas par cas mais le délai n’a, a priori, aucun impact sur le prix.
Les dispositions que nous sommes sur le point de voter me paraissent problématiques. L’article 2 pourrait permettre de porter la durée prise en compte en matière de vocation agricole des bâtiments à vingt ans dans cinquante-neuf départements : pourquoi pas ? Mais la question est de savoir si cette prérogative doit être confiée aux préfets ou si, étant donné que les deux tiers du territoire sont concernés, elle doit relever de la loi. Le préfet pourra permettre de passer à vingt ans dans une zone qui n’est pas en tension et, a contrario, ne pas l’autoriser dans un département en tension comme le mien, la Haute-Savoie, sans avoir à fournir d’explications. En l’état, la rédaction complexifiera la procédure et sera peu opérante.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je précise simplement, pour éviter toute confusion, que c’est votre amendement déposé après l’article 2 qui a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution. Vous avez, en revanche, retiré celui portant sur l’article 2.
M. Peio Dufau, rapporteur. Je vous propose d’adopter cet article dans sa rédaction actuelle et de travailler ensemble, d’ici à la semaine prochaine, sur la meilleure solution possible. Nous avons bien cerné la problématique et nous sommes d’accord sur le principe, mais il nous reste à améliorer la mise en œuvre.
La commission adopte l’article 2 non modifié.
Après l’article 2
Amendement CE13 de M. Peio Dufau
M. Peio Dufau, rapporteur. Cet amendement vise à permettre à la Safer de réviser le prix total du bien, dans le cas où il n’a pas été ventilé par le vendeur, en s’appuyant notamment sur les commissaires du Gouvernement, comme elle le fait lorsqu’elle peut préempter avec révision du prix. En cas de refus par le vendeur, il appartiendra au tribunal de trancher.
Si la Safer doit acheter la totalité des biens, ce sera à un prix fondé sur des critères objectifs visant à prévenir la spéculation et l’aggravation de la pression sur le foncier agricole. Si le propriétaire préfère ventiler le prix dès le départ, afin d’éviter une révision à la baisse pour les biens non préemptables, il pourra tirer profit de la faculté que nous lui offrons à l’article 1er.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CE7 de M. Thierry Benoit
M. Thierry Benoit (HOR). Je propose d’accorder aux Safer un droit de préemption prioritaire par rapport à celui des collectivités publiques et des établissements publics avec lesquels elles sont parfois en concurrence. Les syndicats des eaux, les établissements publics de coopération intercommunale ou les départements pourraient travailler dans le cadre d’un conventionnement avec les Safer à la création d’espaces naturels sensibles, de périmètres de protection de l’eau potable, de projets agricoles alternatifs, etc. Toutefois, ce sont les Safer, dont c’est le métier – et donc, plus largement, la profession agricole – qui auraient la main.
M. Peio Dufau, rapporteur. L’enjeu principal est la coordination des acteurs : la multiplication des outils de préemption peut en effet entraîner une certaine concurrence. Il est indispensable que les différentes parties prenantes se mettent autour de la table pour éviter les incohérences et les oppositions en menant une réflexion globale. Néanmoins, je ne suis pas très favorable à cet amendement, car il sort quelque peu du cadre de la proposition de loi.
M. Antoine Armand (EPR). Au nom du groupe Ensemble pour la République, je soutiens cet amendement qui vise à remédier au problème aigu de la fragmentation et de la juxtaposition des droits de préemption. Ces difficultés apparaissent notamment à propos des espaces naturels sensibles et de la ressource en eau. Il est important de débattre de cette question en commission et, plus largement peut-être, en séance publique. Cet amendement permettrait de renforcer la clarté et l’efficacité de la préemption.
M. Dominique Potier (SOC). Je partage tout à fait l’objectif de notre collègue Thierry Benoit. La proposition de loi de notre collègue Pascal Lecamp sur la régulation de l’agrivoltaïsme, que nous avons été nombreux à cosigner, contient une disposition inspirée par la même philosophie, qui confère le droit de préemption aux établissements publics de coopération intercommunale faisant le choix d’exercer une compétence en matière de production d’énergies renouvelables. En matière de captage, je serais partisan d’aller jusqu’à l’expropriation, compte tenu des enjeux qui s’attachent à la protection de l’eau. Une certaine confusion règne quant au fait de savoir qui, de la collectivité ou de la Safer, détient le droit de préemption.
Dans mon département, nous avons obtenu des résultats extraordinaires grâce à des conventions conclues entre les collectivités locales et la Safer, qui ont permis de réaménager les coteaux viticoles.
Cela étant, vous proposez une forme de régulation qui mérite un minimum d’examen. Il serait souhaitable que nous prenions le temps, d’ici à la séance, de vérifier que cette disposition n’enfreint pas, sur des points fondamentaux, les droits des collectivités en matière d’urbanisme et ne confère pas un pouvoir excessif à l’un ou l’autre des acteurs. La prudence imposerait, de notre point de vue, de retirer l’amendement pour le retravailler.
M. Thierry Benoit (HOR). Je propose qu’à l’instar de ce qui est fait lors de la construction d’une grande infrastructure ferroviaire, routière ou aéroportuaire, on confie le soin à la Safer, par convention, de constituer des réserves foncières, d’effectuer de l’aménagement foncier et de réorganiser les espaces. Dans le cadre de l’instauration d’un périmètre de protection ou d’un espace naturel sensible, par exemple, il serait souhaitable de charger la Safer, par conventionnement, de ces missions. La proposition de loi offre l’occasion d’avancer dans ce sens.
Je vais néanmoins retirer l’amendement afin que nous puissions peaufiner la rédaction d’ici à la séance. Je souhaite, monsieur le rapporteur, que nous travaillions, avec quelques députés, sur une proposition susceptible de recueillir un consensus. Je tiens à ce que vous nous aidiez à prendre en compte cette problématique.
M. Peio Dufau, rapporteur. Je suis d’accord pour y travailler ensemble – c’est la voie que nous empruntons.
L’amendement est retiré.
Article 3 (art. L. 143-8 du code rural et de la pêche maritime) : Renforcement du droit des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural de procéder à la visite des biens qu’elles souhaitent préempter
Amendement CE10 de Mme Géraldine Grangier
Mme Géraldine Grangier (RN). Cet amendement précise les objectifs auxquels doit répondre la visite effectuée par une Safer avant d’exercer son droit de préemption. Il s’agira de vérifier la vocation agricole de la terre, d’identifier d’éventuelles conversions illégales, d’empêcher des manœuvres frauduleuses visant à favoriser l’acquisition par des investisseurs étrangers et de renforcer la transparence et la régulation du foncier agricole au bénéfice des agriculteurs français. Nous doterons ainsi les Safer d’un outil efficace destiné à protéger notre patrimoine agricole et à garantir que nos terres restent entre les mains de ceux qui les cultivent.
J’anticipe votre réaction, monsieur le rapporteur : comme mon amendement comporte le mot « étranger », vous considérerez qu’il est discriminatoire. Or, nous ne sommes pas confrontés aux mêmes réalités : sur votre littoral, vous voulez préserver vos terres agricoles face aux investisseurs immobiliers ; dans ma circonscription, située en zone frontalière, nous sommes menacés par des exploitants étrangers, suisses en l’occurrence, auxquels va la priorité. Je ne pense pas, dans ces conditions, que nos agriculteurs trouveront l’amendement discriminatoire.
M. Peio Dufau, rapporteur. Ce sont les informations données qui permettront d’atteindre votre objectif et non la visite du bien. On fait celle-ci avec le vendeur, ce qui ne permet pas, en soi, d’en savoir plus sur d’éventuels acheteurs, étrangers ou non. Avis défavorable.
M. Julien Dive (DR). Cet amendement aurait peu d’effets. Certes, on observe dans les zones frontalières une forme d’accaparement des terres agricoles mais cela ne passe pas par les acquisitions. En France, il y a plus de quatre millions de propriétaires agricoles pour cinq cent mille agriculteurs, dont bon nombre sont locataires. Le problème porte sur la sous-location des terres – pratique qui, du reste, est interdite. Dans les Hauts-de-France, des producteurs belges viennent ainsi sous-louer des terres – 2 000 euros par hectare (€/ha), contre 1 500 €/ha il y a quelques années – à des agriculteurs français aux abois, pour cultiver des pommes de terre issues de plants belges qui sont acheminées, une fois récoltées, en Belgique, où elles sont transformées en produits alimentaires vendus ensuite dans notre pays. Ces pratiques de sous-location s’observent dans différentes parties du territoire mais, malheureusement, la proposition de loi ne répond pas à cet enjeu.
M. Pascal Lecamp (Dem). Le travail effectué par les Safer depuis leur création en 1960, le bail rural et, peut-être, la complexité de la gestion du foncier agricole ont contribué à rendre nos terres parmi les moins chères d’Europe. Nous vivons dans un monde global et la distinction entre Français et étrangers me gêne. Je citerai un exemple concret : dans ma circonscription, un agriculteur belge rebuté par les prix atteints dans son pays est venu acheter des terres agricoles dans une zone difficile à cultiver où peu de jeunes s’installent et il s’est établi avec sa femme médecin, qui exerce dans une maison de santé.
M. Peio Dufau, rapporteur. Le problème des sous-locations se pose en effet, mais c’est sur les ventes que porte cette proposition de loi.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’article 3 non modifié.
Article 4 : Gage financier
La commission adopte l’article 4 non modifié.
Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
Liste des personnes auditionnÉes
Par ordre chronologique
Table ronde syndicats agricoles :
Coordination rurale *
M. Alexandre Berraud, juriste
Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef) *
M. Pierre Thomas, co-président
Jeunes agriculteurs *
M. Maxime Buizard-Blondeaux, membre de bureau
Mme Mathilde Roby, responsable du service économique
Table ronde associations environnementales :
Terre de liens *
M. Tanguy Martin, médiateur foncier Pays de la Loire, chargé de plaidoyer national
AGTER
M. Robert Levesque, journaliste et écrivain
Lurzaindia
Mme Maryse Cachenaut, présidente
Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) *
M. Bertrand Lapalus, président de la commission gestion des territoires
M. Romain Rousselot, chargé de mission politiques foncières et SNPR
M. Hugo Bernard, chargé de mission affaires publiques
Conseil supérieur du notariat (CSN) *
Mme Sandrine Besson, responsable du département droit rural et fiscalité agricole chez CrCridon Lyon
M. François Devos, directeur des affaires juridiques, directeur de l’Institut des études juridiques (IEJ) du CSN
M. Guillaume Lorisson, notaire associé, président de la section droit rural et environnement de l’IEJ du CSN
Mme Camille Stoclin-Mille, directrice des affaires publiques du CSN
Fédération nationale de la propriété privée rurale (FNPPR)
M. Bruno Keller, président
Établissement public foncier local (EPFL) du Pays basque
M. André Portier, directeur
Association française de droit rural (AFDR)
Me François Robbe, président de l’AFDR et Avocat à la Cour
Mme Christine Lebel, vice-présidente de l’AFDR et Maître de conférences HDR à l’Université de Franche-Comté
M. Jean-Baptiste Millard, vice-président de l’AFDR et délégué général chez Agridées
Direction nationale d’interventions domaniales (DNID)
M. Alain Caumeil, directeur
Tribunal judiciaire d’Aurillac
Mme Quitterie Lasserre, vice-présidente en charge des contentieux de la protection, présidente du tribunal paritaire des baux ruraux du département
Table ronde avec les services du ministère de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt
M. Aurélien De Le Noue, conseiller économie
Mme Eugénie Nots Orio, cheffe de service, adjointe au directeur des affaires juridiques
M. Arnaud Dunand, sous-directeur de la performance environnementale et de la valorisation des territoires
Mme Marie-Luce Campistron, adjointe au sous-directeur de la performance environnementale et de la valorisation des territoires
Table ronde avec les associations d’élus :
Association des Maires de France (AMF)
Mme Véronique Pouzadoux, vice-présidente de l’AMF, maire de Gannat, présidente de la communauté de communes Saint-Pourçain Sioule Limagne
Association des maires ruraux de France (AMRF)
M. Sébastien Gouttebel, vice-président, président de l’association des maires ruraux du Puy-de-Dôme et maire de Murol
M. Maxime Machurat, chargé de mission urbanisme et habitat
Table ronde avec :
La Fédération Nationale des Safer (FNSafer)
M. Emmanuel Hyest, président, M. Michael Rivier, directeur juridique
M. Nicolas Agresti, directeur des études
Mme Sabine Agofroy, chargée de relations publiques et internationales
La Chambre d’agriculture France (APCA) *
M. François Beaupere, 2ème vice-président de Chambre agriculture France et président sortant de la Chambre régionale d'agriculture Pays de la Loire
M. Mickaël Didat, juriste en urbanisme
M. Alix David, chargée de mission Affaires publiques
M. Louis Minet, stagiaire Affaires publiques
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire des représentants d’intérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui vise à fournir une information aux citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les responsables publics lorsque sont prises des décisions publiques.
([1]) J.-M. Durand, H. Lejeune et G. Rey, Plus de 20 000 ha de terres agricoles abandonnés chaque année, un angle mort des politiques foncières : prospective relative aux terres agricoles délaissées à l’horizon 2050, rapport n° 21131, novembre 2023.
([2]) Loi n° 60-808 du 5 août 1960 d’orientation agricole.
([3]) Loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, art. 29.
([4]) Conseil constitutionnel, décision n° 2014-701 DC du 9 octobre 2014 (considérant 21)
([5]) Étude transmise dans le cadre des auditions et datée de novembre 2023
([6]) CE, avis n° 388705 du 20 mai 2014, publié dans son rapport d’activité 2015, page 372.
([7]) Voir par exemple CC, décision n° 2014-701 DC du 9 octobre 2014
([8]) Voir par exemple CE, 8 mai 1964, n° 60960
([9]) Ces communes sont définies par les articles 3 et 4 de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne.
([10]) Ces communes sont définies à l’article L. 321-2 du code de l’environnement.
([11]) En référence à l’article L. 121-17 du code de l'urbanisme