______
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 mars 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de la Résolution n° 259 portant modification de l’article 1er de l’Accord portant création de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement afin de permettre l’élargissement limité et progressif du champ d’action géographique de la Banque à l’Afrique subsaharienne et à l’Irak,
(Procédure accélérée)
PAR M. Vincent LEDOUX,
Député
——
EN ANNEXE
LE TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Voir les numéros :
Assemblée nationale : 1110.
Sénat : 232, 405, 406 et T.A. 74 (2024‑2025).
SOMMAIRE
___
Pages
A. De la fin de la guerre froide au conflit en ukraine, le mandat de la berd conserve son actualité
1. Une institution financière détenant un mandat politique
2. La guerre en Ukraine a donné un nouveau souffle à la BERD
3. L’activité globale de la BERD connaît une forte croissance
1. Des capitaux appartenant aux États et à certaines institutions européennes
2. Une organisation opérationnelle et décentralisée
C. Des modalités d’intervention nombreuses et diversifiées
2. L’articulation avec les partenaires de l’aide au développement
A. Une redéfinition des modalités d’intervention de la BERD engagée depuis 2006
1. Des besoins en diminution en Europe, à l’exception de l’Ukraine ()
2. Une extension géographique cohérente avec les objectifs poursuivis par la BERD
1. La procédure de modification des statuts de la BERD
2. Un nouvel élargissement « limité et progressif »
a. Le respect du mandat originel de la BERD
c. La coopération avec les autres partenaires du développement
3. Un élargissement soutenu par la France pour des raisons stratégiques
ANNEXE 1 : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
ANNEXE 2 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR Le RAPPORTEUR
Créée par l’accord du 29 mai 1990 à Paris et fondée en 1991, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) avait initialement vocation à accompagner les pays de l’ex-bloc soviétique vers l’économie de marché et la démocratie. De nombreux pays de la région ont achevé cette transition, ce qui aurait pu mettre fin à cette institution. Toutefois, son expertise, notamment dans le secteur privé, sa rentabilité et la spécificité de son mandat politique ont incité ses actionnaires à étendre son périmètre d’intervention à l’Asie puis au bassin méditerranéen à la suite des « printemps arabes ». En 2024, ses investissements ont atteint le niveau record de 17 milliards d’euros, soit deux fois plus qu’en 2018.
La résolution n° 259 du Conseil des gouverneurs, soumise à la ratification du Parlement car elle touche aux principes de cette institution, continue de repousser les frontières de la BERD en l’autorisant à intervenir en Irak – ce que la rédaction actuelle de l’article 1er de l’accord du 29 mai 1990 permettait déjà – ainsi que dans six pays d’Afrique subsaharienne : le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Kenya, le Nigéria et le Sénégal. Ce nouvel élargissement pose néanmoins certaines questions car il doit concilier le mandat originel de la banque avec de nouveaux objectifs stratégiques.
La résolution précise qu’elle n’entraînera ni une augmentation des besoins en capital – une souscription de 4 milliards d’euros étant déjà en cours pour le soutien à l’Ukraine – ni la remise en cause des opérations actuelles, notamment dans les pays en conflit. La mise en place des projets se fera progressivement et représentera des montants faibles à l’échelle des capacités de la BERD : de l’ordre de 400 à 500 millions d’euros sur sept ans.
Cet élargissement ne devrait pas non plus venir concurrencer inutilement les différentes institutions multilatérales (Banque mondiale, Banque africaine de développement) ou bilatérales comme l’Agence française de développement (AFD), déjà présentes sur le continent africain. La BERD se montre attachée à coordonner ses efforts avec les leurs et à apporter ce qui fait sa spécificité : le soutien au secteur privé et financier et à la transition énergétique et la conditionnalité de son soutien à des exigences démocratiques.
La France et l’Europe soutiennent cette stratégie, susceptible de freiner l’avancée de la Russie et de la Chine dans la région, d’apporter de nouveaux marchés à leurs entreprises et de stabiliser une région dans laquelle elles font face au recul de leur influence. Dans un contexte de désengagement des États-Unis dans les organisations multilatérales, il apparaît donc nécessaire que la France, qui compte parmi les derniers à ne pas avoir procédé à la ratification de la résolution, permette l’entrée en vigueur de cet élargissement.
I. La BERD : une institution financière originale créée pour la transition économique et démocratique de l’ex-bloc soviétique
A. De la fin de la guerre froide au conflit en ukraine, le mandat de la berd conserve son actualité
1. Une institution financière détenant un mandat politique
La BERD a été créée par un accord signé à Paris le 29 mai 1990. Ses objectifs initiaux, fixés aux articles 1er et 2 de cet accord, étaient de favoriser la transition des pays de l’ancien bloc soviétique vers des économies de marché ouvertes et des institutions démocratiques.
La BERD se distingue des autres banques de développement par son mandat politique, qui conditionne son intervention au respect des principes de la démocratie pluraliste. Ses statuts imposent en effet que ses financements soient exclusivement destinés aux pays s’engageant à les appliquer.
Les activités de la BERD peuvent donc varier selon l’évolution politique des pays dans lesquels elle intervient (dits « pays d’opérations »). Elles sont par exemple limitées en Ouzbékistan et au Turkménistan, dont les régimes autoritaires ne remplissent pas suffisamment ces critères. Elles ont également été progressivement suspendues en Russie et en Biélorussie, en application d’une clause spécifique prévue par l’article 8 de l’accord du 29 mai 1990. À l’inverse, elles se sont beaucoup développées en Égypte où en Turquie, où le dialogue politique s’est montré plus fructueux.
Outre la transition démocratique et le développement de l’économie de marché, les statuts de la BERD fixent divers objectifs auxquels doivent répondre les projets qui lui sont soumis : durabilité environnementale et sociale ; égalité femmes hommes ; prévention du harcèlement, des abus et de l’exploitation sexuels ; transparence, intégrité et conformité.
Enfin, elle applique un principe dit « d’additionnalité » consistant à intervenir exclusivement sur des projets ne pouvant bénéficier par ailleurs de sources de financement commerciales.
2. La guerre en Ukraine a donné un nouveau souffle à la BERD
La BERD avait été conçue en 1991 comme une « sunset bank », ayant vocation à disparaître une fois les objectifs fixés par ses statuts atteints. Bien que les besoins de certains pays européens soient en diminution du fait de l’achèvement de leur transition vers l’économie de marché et la démocratie, la guerre en Ukraine a démontré que cette mission originelle pouvait encore être d’actualité.
Le continent européen demeure le premier continent d’intervention avec 59,5 % des investissements mais les nouvelles régions couvertes par la BERD ont bénéficié de manière croissante de ses investissements (environ 40,5 % en 2023 contre 18 % en 2013). Cette répartition est stable depuis 2018. Elles profitent notamment du redéploiement des investissements retirés à la Russie depuis le début du conflit avec l’Ukraine ([1]), mais aussi de la rentabilité de la BERD qui réinjecte annuellement son résultat dans son capital.
Répartition des investissements de la BERD (2013-2023)
La principale zone d’intervention de la BERD en Europe est l’Ukraine, qui est le deuxième pays d’opérations derrière la Turquie, malgré les difficultés liées au conflit. Depuis sa création, la BERD a investi 22 milliards d’euros dans ce pays, notamment pour financer le sarcophage de la centrale nucléaire de Tchernobyl, qui demeure le plus gros projet achevé par la Banque. À ce jour, 6 milliards d’euros financent des projets en cours dans ce pays, ce qui représente un effort de 2 à 3 milliards d’euros par an. Pour assurer leur pilotage, des équipes de la BERD se relaient entre la Pologne et Kiev afin de mener à bien leur mission dans des conditions extrêmement difficiles.
En 2023, la France a soutenu l’idée d’une souscription supplémentaire de 4 milliards d’euros pour soutenir les efforts de reconstruction en Ukraine pendant et, surtout, après le conflit. C’est la première fois depuis près de trente ans que les pays membres sont invités augmenter le capital de la BERD. Pour la France, cela représente une contribution de 343,6 millions d’euros versée en cinq versements égaux de 68,7 millions d’euros sur la période 2025-2028. Ces montants, retracés dans le compte d’affectation spéciale « participations financières de l’État », ont été inscrits dans la loi de finances initiale pour 2025.
3. L’activité globale de la BERD connaît une forte croissance
La BERD opère désormais dans trente-neuf pays ([2]), bien au-delà de son périmètre initial. À quatre reprises déjà, elle a étendu son champ d’intervention à de nouveaux pays : la Mongolie en 2006, la Turquie – qui est aujourd’hui le premier pays d’opérations – en 2009, l’Égypte, la Jordanie, le Maroc, la Tunisie et le Kosovo en 2012, Chypre en 2014, la Grèce en 2015, le Liban et les territoires palestiniens en 2017.
En 2024, elle a investi près de 17 milliards d’euros, soit presque deux fois plus qu’en 2018. La BERD a financé un nombre record de 584 projets au total, dont 76 % ont été destinés au secteur privé et 58 % pour le financement de l’économie verte. Sous réserve de l’adoption du nouveau cadre quinquennal de stratégie capitalistique, ce volume d’investissements devrait continuer de croître jusqu’en 2030.
Investissements annuels par région, en millions d’euros
|
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
Europe de l’Est |
1 567 |
2 058 |
1 933 |
1 693 |
2 405 |
2 135 |
3 440 |
Europe Centrale |
1 267 |
1 467 |
1 412 |
1 266 |
2 350 |
2 435 |
2 797 |
Europe du Sud-Est |
1 749 |
1 705 |
1 760 |
1 839 |
2 099 |
2 405 |
2 571 |
Turquie |
1 001 |
1 002 |
1 675 |
2 002 |
1 634 |
2 480 |
2 634 |
Bassin Méditerranéen |
1 985 |
1 847 |
2 131 |
1 510 |
2 404 |
1 935 |
2 417 |
Asie Centrale |
1 067 |
1 376 |
1 150 |
1 298 |
1 490 |
1 220 |
2 259 |
Chypre et Grèce |
910 |
637 |
934 |
838 |
687 |
519 |
466 |
Russie |
|
|
|
|
|
|
|
Total |
9 547 |
10 092 |
10 995 |
10 446 |
13 071 |
13 129 |
16 583 |
Source : réponses au questionnaire du rapporteur.
B. Une institution européenne qui rassemble des capitaux du monde entier et opère de manière décentralisée
1. Des capitaux appartenant aux États et à certaines institutions européennes
Comme son champ d’intervention, l’actionnariat de la BERD est mondial. Depuis son origine, elle compte parmi ses membres des pays d’Amérique du Nord (États-Unis, Canada, Mexique), d’Afrique (Maroc) et d’Asie (Japon, Corée du Sud) ([3]). Au total, elle regroupe aujourd’hui soixante-dix-sept actionnaires dont l’Union européenne et la Banque européenne d’investissement.
Les pays de l’Union européenne détiennent plus de la moitié du capital, tout comme ceux du G7. La France, l’Allemagne et l’Italie détiennent chacune 8,2 % du capital. Les États-Unis (9,7 % du capital), le Royaume-Uni (9,3 %) et le Japon (9,3 %) sont les trois autres principaux actionnaires.
Liste des pays membres de la BERD
Pays |
Année d’adhésion |
Capital |
Part (en %) |
États-Unis d’Amérique |
1991 |
3 001,48 |
9,63 % |
Japon |
1991 |
2 900,11 |
9,31 % |
Royaume-Uni |
1991 |
2 900,11 |
9,31 % |
France |
1991 |
2 556,51 |
8,20 % |
Allemagne |
1991 |
2 556,51 |
8,20 % |
Italie |
1991 |
2 556,51 |
8,20 % |
Russie *** |
1992 |
1 200,58 |
3,85 % |
Canada |
1991 |
1 157,64 |
3,71 % |
Banque européenne d’investissement |
1991 |
1 021,46 |
3,28 % |
Espagne |
1991 |
1 020,49 |
3,27 % |
Union européenne |
1991 |
900,44 |
2,89 % |
Pays-Bas |
1991 |
844,39 |
2,71 % |
Autriche |
1991 |
776,29 |
2,49 % |
Belgique |
1991 |
684,32 |
2,20 % |
Suède |
1991 |
684,32 |
2,20 % |
Suisse |
1991 |
684,32 |
2,20 % |
Pologne ** |
1991 |
435,81 |
1,40 % |
Turquie * |
1991 |
391,53 |
1,26 % |
Finlande |
1991 |
375,18 |
1,20 % |
Norvège |
1991 |
375,18 |
1,20 % |
Danemark |
1991 |
360,17 |
1,16 % |
République de Corée |
1991 |
340,48 |
1,09 % |
Australie |
1991 |
300,14 |
0,96 % |
République tchèque ** |
1993 |
290,53 |
0,93 % |
Ukraine * |
1992 |
240,11 |
0,77 % |
Bulgarie * |
1991 |
237,11 |
0,76 % |
Hongrie ** |
1991 |
237,11 |
0,76 % |
Grèce * |
1991 |
195,08 |
0,63 % |
Israël |
1991 |
195,08 |
0,63 % |
Roumanie * |
1991 |
163,43 |
0,52 % |
Slovaquie* |
1993 |
145,28 |
0,47 % |
Serbie * |
2001 |
140,31 |
0,45 % |
Portugal |
1991 |
126,05 |
0,40 % |
Croatie * |
1993 |
124,12 |
0,40 % |
Irlande |
1991 |
102,14 |
0,33 % |
Slovénie * |
1992 |
71,41 |
0,23 % |
Kazakhstan * |
1992 |
69,02 |
0,22 % |
Biélorussie *** |
1992 |
60,02 |
0,19 % |
Luxembourg |
1991 |
60,02 |
0,19 % |
Pays |
Année d’adhésion |
Capital |
Part (en %) |
Bosnie-Herzégovine * |
1996 |
50,71 |
0,16 % |
Mexique |
1991 |
45,01 |
0,14 % |
Ouzbékistan * |
1992 |
44,12 |
0,14 % |
Géorgie * |
1992 |
34,04 |
0,11 % |
Lituanie ** |
1992 |
34,04 |
0,11 % |
Égypte * |
1991 |
30,87 |
0,10 % |
Albanie * |
1991 |
30,01 |
0,10 % |
Azerbaïdjan * |
1992 |
30,01 |
0,10 % |
Chypre * |
1991 |
30,01 |
0,10 % |
Estonie ** |
1992 |
30,01 |
0,10 % |
Islande |
1991 |
30,01 |
0,10 % |
Lettonie ** |
1992 |
30,01 |
0,10 % |
Moldavie * |
1992 |
30,01 |
0,10 % |
Chine |
2016 |
29,00 |
0,09 % |
Maroc * |
1991 |
27,95 |
0,09 % |
Kirghizstan * |
1992 |
21,01 |
0,07 % |
Tadjikistan * |
1992 |
21,01 |
0,07 % |
Macédoine du Nord * |
1993 |
19,98 |
0,06 % |
Arménie * |
1992 |
14,99 |
0,05 % |
Jordanie * |
2011 |
11,18 |
0,04 % |
Nouvelle-Zélande |
1991 |
10,50 |
0,03 % |
Inde |
2018 |
9,86 |
0,03 % |
Liban * |
2017 |
9,86 |
0,03 % |
Libye |
2019 |
9,86 |
0,03 % |
Tunisie * |
2011 |
9,86 |
0,03 % |
Liechtenstein |
1991 |
5,99 |
0,02 % |
Monténégro * |
2006 |
5,99 |
0,02 % |
Kosovo * |
2012 |
5,80 |
0,02 % |
Nigeria **** |
2025 |
5,22 |
0,02 % |
Mongolie * |
2000 |
2,99 |
0,01 % |
Malte |
1991 |
2,10 |
0,01 % |
Turkménistan * |
1992 |
2,10 |
0,01 % |
Algérie |
2021 |
2,03 |
0,01 % |
Bénin **** |
2024 |
2,03 |
0,01 % |
Côte d’Ivoire **** |
2024 |
2,03 |
0,01 % |
Irak **** |
2023 |
2,03 |
0,01 % |
Saint-Marin |
2019 |
2,03 |
0,01 % |
Émirats arabes unis |
2021 |
2,03 |
0,01 % |
TOTAL |
|
31 167,08 |
100,00 % |
* Pays bénéficiaire.
** Pays bénéficiant d’un soutien direct réduit car ayant atteint un niveau de développement suffisant.
*** Pays suspendu.
**** Pays concernés par le projet de loi en discussion.
Source : site de la BERD.
Tous les pays souhaitant bénéficier des opérations de la BERD doivent d’abord entrer à son capital puis en faire la demande expresse. La moitié des pays membres – trente-huit sur soixante-quinze – sont ainsi des pays d’opérations.
Du fait des récentes et nombreuses entrées au capital ([4]), les parts des principaux actionnaires de la BERD se sont légèrement diluées au cours des dernières années. Cela devrait être corrigé par la répartition de la nouvelle souscription prévue pour financer la reconstruction de l’Ukraine.
Les opérations de la BERD présentent un haut niveau de rentabilité. Aussi, si un tiers du capital correspond à la mise initiale des États, le reste est le fruit du cumul des résultats annuels car la BERD ne distribue pas de dividendes à ses membres.
Seule une fraction de ce résultat – 1,2 % soit 157 millions d’euros en 2024 – est orientée vers le « fonds spécial des actionnaires » (shareholder special fund) de la BERD qui a vocation à financer des dons en compléments de ses financements. La France, qui dispose de ses propres outils d’aide au développement, ne fait pas partie des pays donateurs de la BERD. En 2023, ce fonds a réalisé des subventions à hauteur de 671 millions d’euros.
2. Une organisation opérationnelle et décentralisée
Chaque État désigne un gouverneur – son ministre des finances ([5]) – et un administrateur. Le Conseil des gouverneurs, détient l’autorité générale et arrête annuellement les grandes orientations qui doivent s’inscrire dans le « cadre stratégique et capitalistique » quinquennal. La gestion courante est déléguée au conseil d’administration qui est chargé d’approuver les stratégies et les opérations par pays, secteurs et thématiques.
En tant qu’actionnaire majeur de la BERD, la France dispose d’un des vingt-trois sièges au conseil d’administration. Seuls les plus gros contributeurs bénéficient d’un siège en propre, les autres devant se partager un poste d’administrateur avec plusieurs pays ([6]). S’agissant de la France, l’administrateur est désigné pour trois ans par le ministre des finances sur proposition du directeur général du Trésor. Au quotidien, l’administrateur échange avec le service des affaires multilatérales et du développement de la direction générale du Trésor et, sur les sujets interministériels, avec le ministère de l’Europe et des affaires étrangères ou le ministère en charge de la transition énergétique.
Pour la période 2024-2025, la Slovénie assure la présidence du Conseil des gouverneurs et l’Islande et la Turquie ses vice-présidences. Depuis 2020, la Française Odile Renaud-Basso, ancienne directrice du Trésor, préside l’institution dont le siège est situé à Londres.
La BERD décline ensuite sa stratégie sur le terrain à travers ses bureaux régionaux qui résident dans chacun des pays d’opérations. Chaque bureau est dirigé par un directeur de pays ou régional, placé sous l’autorité du vice-président ou du directeur général de la région. Ils rassemblent des agents de la BERD, qui ont un statut de fonctionnaires internationaux leur apportant certaines immunités, et des agents locaux sous contrat. Au total, tous contrats confondus, la Banque employait, fin 2024, 2 859 personnes.
Cette forte présence sur le terrain permet un dialogue constant avec les acteurs locaux pour adapter les interventions aux particularités de chaque environnement. Ces bureaux sont essentiels pour l’identification et la supervision de projets, le renforcement des relations avec les entreprises et le développement des marchés financiers locaux.
C. Des modalités d’intervention nombreuses et diversifiées
1. Le recours à divers instruments financiers pour accompagner des projets de développement publics et privés
La BERD se caractérise par la place importante qu’occupe le soutien au secteur privé – et particulièrement au tissu des petites et moyennes entreprises (PME) – parmi ses opérations. Elle se distingue également par sa spécialisation dans certains secteurs : transition énergétique, infrastructures (transport, énergie, télécommunications), marchés bancaire et financier.
Pour lever des fonds et financer ses opérations, la BERD émet des obligations sur les marchés financiers internationaux. Grâce à des notations de crédit solides (AAA), elle parvient à proposer son aide à des taux très compétitifs, notamment face à la concurrence chinoise ou russe. Elle recourt à divers instruments financiers : prêts à long terme ou en devise ([7]), prises de participation en capital et garanties.
Répartition des investissements annuels par type d’opération
en millions d’euros
|
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
Prêt |
7 939 |
8 545 |
9 233 |
8 573 |
10 477 |
10 405 |
12 834 |
Investissement en capital |
848 |
522 |
466 |
591 |
829 |
711 |
979 |
Garantie |
760 |
1 025 |
1 296 |
1 283 |
1 765 |
2 012 |
2 770 |
Total |
9 547 |
10 092 |
10 995 |
10 447 |
13 071 |
13 128 |
16 583 |
Source : réponses au questionnaire du rapporteur.
La BERD ne finance jamais l’intégralité des projets. Sa participation peut aller jusqu’à 35 % du coût total de ceux-ci ou des besoins en capital.
Leur sélection repose sur plusieurs étapes, garantissant leur pertinence et viabilité des projets. En amont, les promoteurs soumettent leurs propositions, qui sont évaluées par les bureaux régionaux en fonction de leur capacité à favoriser la transition économique, l’initiative privée et l’esprit d’entreprise. Ensuite, ils sont soumis à une évaluation de leur impact environnemental et social et de leur cohérence avec le mandat de la BERD.
Une fois le financement accordé, la mise en œuvre peut être assurée par les promoteurs eux-mêmes ou, dans certains cas, par des partenaires spécialisés tels que des organisations non gouvernementales (ONG) ou des agences de développement locales. La BERD les accompagne par la mise à disposition de son expertise.
La BERD évalue en continu l’impact de ses investissements grâce à un département indépendant. Ces contrôles s’appuient sur les critères du comité d’aide au développement de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE).
Exemples de projets soutenus par la BERD
● Ukraine : renforcement des infrastructures et soutien aux vétérans
La BERD soutient la modernisation des infrastructures ferroviaires en direction de l’Union européenne avec un programme de financement de 200 millions d’euros. Il s’agit d’assurer la continuité des services essentiels pour les citoyens et les entreprises et d’acquérir du matériel roulant adapté aux défis logistiques du conflit.
Elle participe également activement à la réinsertion professionnelle des vétérans de guerre dans le marché du travail en soutenant des entreprises.
● Turquie et Maroc : soutien après des catastrophes naturelles
À la suite des séismes connus par la Turquie en 2023, la BERD a mis en place un plan d’intervention pour un total de 1,5 milliard d’euros, pour les entreprises et les particuliers affectés par la catastrophe, ainsi que pour les entreprises impliquées dans la reconstruction.
Par ailleurs, en partenariat avec la Banque européenne d’investissement et l’Union européenne, la BERD a lancé un programme d’urgence de 250 millions d’euros pour soutenir les populations et les entreprises marocaines touchées par les catastrophes naturelles en 2023. Ce programme prévoit des prêts pour les PME, un soutien en liquidités aux infrastructures et aux municipalités, ainsi que des subventions pour la reconstruction.
● L’Asie Centrale : promotion de l’égalité des chances et transition verte
En Asie centrale, la BERD a octroyé un prêt de 32 millions d’euros au principal micro-prêteur du Kazakhstan, pour soutenir l’entrepreneuriat féminin. 10 % des crédits distribués par KazMicroFinance LLC seront alloués à des projets visant à améliorer l’efficacité énergétique et à promouvoir les énergies renouvelables.
2. L’articulation avec les partenaires de l’aide au développement
L’article 2 de l’accord du 29 mai 1990 précise que : « dans l’exercice des fonctions mentionnées au paragraphe 1 du présent article, la Banque travaille en étroite coopération avec tous ses membres et, de la façon qui lui paraîtra appropriée dans le respect des dispositions du présent accord, avec le Fonds monétaire international, la Banque internationale pour la reconstruction et le développement, la Société financière internationale, l’Agence multilatérale de garantie des investissements et l’Organisation de coopération et de développement économiques ; elle coopère avec l’Organisation des Nations unies, ses institutions spécialisées et tout autre organisme connexe, ainsi qu’avec toute entité, publique ou privée, qui serait concernée par le développement économique et l’investissement dans les pays d’Europe centrale et orientale. ».
Pour financer les projets qu’elle sélectionne, la BERD s’associe généralement à d’autres institutions multilatérales ou bilatérales de manière à partager le risque financier associé. Afin d’éviter d’alourdir les procédures et les coûts administratifs, l’une des institutions est désignée pour piloter le projet au nom des autres, sous réserve qu’elle obéisse à des règles de fonctionnement similaires.
Dans certains pays comme l’Égypte ou la Macédoine du Nord, cette coordination a été élaborée au niveau national dans le cadre de « plateformes pays » rassemblant l’ensemble des intervenants. Cela permet un partage des opérations entre les institutions selon leurs spécialités et un dialogue simplifié avec les autorités politiques.
Les organisations d’aide au développement nationales peuvent bénéficier d’une association avec la BERD. En mars 2025, la filiale du groupe AFD dédiée au secteur privé, Proparco, a ainsi adhéré au programme de facilitation du commerce pour l’Ukraine créé par la BERD, aux côtés de l’institution britannique de financement du développement (British International Investment) ([8]).
II. le nouvel élargissement du champ d’intervention géographique de la BERD, soutenu par la France, vise à concilier son ambition originelle avec de nouveaux objectifs stratégiques
A. Une redéfinition des modalités d’intervention de la BERD engagée depuis 2006
1. Des besoins en diminution en Europe, à l’exception de l’Ukraine ([9])
Certains pays européens de l’ancien bloc soviétique ne répondent plus toujours aux critères de la BERD dès lors qu’ils bénéficient d’un bon accès aux marchés financiers, que leur économie s’est définitivement convertie au marché et qu’ils ont achevé des transitions démocratiques qui leur ont permis d’intégrer l’Union européenne.
Plusieurs pays ont ainsi entamé une sortie graduée des politiques d’aide fournies par la BERD. C’est le cas de la République tchèque, de la Pologne, de la Hongrie, de la Lituanie, de l’Estonie et de la Lettonie. La République tchèque est le seul pays membre à avoir pu se dispenser entièrement du soutien de la BERD. Elle a cessé d’être un pays d’opérations en 2007 mais elle l’est redevenue en 2021, suite à la sollicitation du gouvernement tchèque pour bénéficier d’un soutien dans le cadre de la reprise après la pandémie de coronavirus.
Le recul de l’intervention de la BERD dans les pays européens n’est toutefois pas négligeable au regard de sa solidité financière car ces investissements présentent des niveaux élevés de rentabilité – c’est notamment le cas des opérations menées en Grèce depuis 2015 qui permettent de financer des projets supplémentaires.
2. Une extension géographique cohérente avec les objectifs poursuivis par la BERD
La BERD a rapidement cherché de nouveaux débouchés en dehors de son périmètre d’intervention originel. Il s’agissait de diversifier son activité, pour anticiper la sortie progressive de certains pays une fois leur transition vers l’économie de marché et la démocratie achevée.
Elle a également pu constater que la spécificité de son intervention – tournée vers le secteur privé et conditionnée à des efforts de bonne gouvernance – pouvait répondre aux besoins d’autres États confrontés à des défis similaires à ceux des pays de l’Est dans les années 1990.
La BERD a donc fait évoluer ses statuts pour étendre son champ d’intervention en Mongolie (2006) et dans « la partie méridionale et orientale du Bassin méditerranéen » (2012) à la suite des « printemps arabes ». Elle intervient ainsi en Égypte, en Jordanie, au Maroc et en Tunisie, depuis 2012, et au Liban, depuis 2017.
Cette extension géographique s’est aussi traduite par l’entrée au capital de nombreux pays, qui n’ont pas tous émis le souhait de devenir des pays d’opérations. Alors que seuls quatorze pays étaient entrés au capital de la BERD entre 1993 et 2018 (soit 0,56 pays par an), elle a connu un regain d’attractivité avec huit nouveaux membres entre 2019 et 2025 (soit 1,14 pays par an).
Liste des adhésions à la BERD à partir de 1993
Pays |
Année d’adhésion |
République tchèque ** |
1993 |
Slovaquie * |
1993 |
Croatie * |
1993 |
Macédoine du Nord * |
1993 |
Bosnie-Herzégovine * |
1996 |
Mongolie * |
2000 |
Serbie * |
2001 |
Monténégro * |
2006 |
Jordanie * |
2011 |
Tunisie * |
2011 |
Kosovo * |
2012 |
Chine |
2016 |
Liban * |
2017 |
Inde |
2018 |
Libye |
2019 |
Saint-Marin |
2019 |
Algérie |
2021 |
Émirats arabes unis |
2021 |
Irak *** |
2023 |
Bénin *** |
2024 |
Côte d’Ivoire *** |
2024 |
Nigeria *** |
2025 |
* Pays bénéficiaire.
** Pays bénéficiant d’un soutien direct réduit car ayant atteint un niveau de développement suffisant.
*** Pays concerné par le projet de loi en discussion.
Source : site de la BERD.
Ces adhésions récentes sont cohérentes avec l’extension du périmètre d’intervention de la BERD en Asie (Mongolie, Inde, Chine), dans le bassin méditerranéen (Jordanie, Tunisie, Liban, Libye, Algérie, Émirats arabes unis, Irak) ou, plus récemment, en Afrique subsaharienne (Bénin, Côte d’Ivoire, Nigeria).
Cette tendance devrait se poursuivre avec le nouvel élargissement prévu par la résolution soumise à ratification par le projet de loi en discussion puisque trois des pays identifiés (Kenya, Ghana, Sénégal) n’ont pas encore rejoint le capital de la BERD, ce qui est un préalable à leur désignation comme pays d’opérations.
Cette extension a eu pour effet de redéfinir la carte des interventions de la BERD. Avec 5,5 milliards d’euros, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient bénéficient d’environ 16 % de l’ensemble des prêts accordés ([10]).
Répartition géographique des prêts de la BERD en 2023
Source : La finance pour tous d’après les données de la BERD.
B. L’intervention de la BERD dans certains pays d’Afrique subsaharienne et en Irak concilie son mandat économique et politique avec d’autres objectifs stratégiques
1. La procédure de modification des statuts de la BERD
L’article 56 de l’accord du 29 mai 1990 prévoit que tout amendement à celui-ci doit être approuvé par le Conseil des gouverneurs avant d’être soumis à un vote de l’ensemble des actionnaires de la Banque. Pour entrer en vigueur L’amendement doit être approuvé par les trois-quarts au moins des membres (soit cinquante-sept pays) disposant des quatre-cinquièmes au moins du nombre total des voix (soit 80 % du capital).
Adoptée lors du Conseil des gouverneurs de 18 mai 2023, la résolution n° 259 est désormais en cours de ratification par les actionnaires. À la date du dépôt du projet de loi, quarante et un actionnaires représentant 63,8 % du capital y ont procédé ([11]).
En France, et conformément à la jurisprudence combinée du Conseil constitutionnel ([12]) et du Conseil d’État ([13]), la ratification de cet amendement requiert une procédure d’autorisation parlementaire. Notre pays figure, avec l’Italie et le Canada, parmi les derniers principaux actionnaires à ne pas avoir procédé à cette ratification.
Une fois l’amendement approuvé, le Conseil des gouverneurs sera à nouveau sollicité pour approuver le passage de ces pays au statut de pays d’opérations.
2. Un nouvel élargissement « limité et progressif »
La résolution n° 259 prévoit la « modification de l’article 1er de l’Accord portant création de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement afin de permettre l’élargissement limité et progressif du champ d’action géographique de la Banque à l’Afrique subsaharienne et à l’Irak ».
L’Irak ne figure pas nommément dans l’article 1er modifié car la résolution précise qu’il est « incorporé dans la partie méridionale et orientale du bassin méditerranéen aux fins de l’Accord, et en conséquence le terme « partie méridionale et orientale du Bassin méditerranéen » tel qu’énoncé à l’article 1er de l’Accord s’entend de la région comprenant les pays qui donnent sur la Méditerranée, ainsi que la Jordanie et l’Irak, qui sont étroitement intégrés à cette région ».
Article 1er modifié par la résolution n° 259
« L’objet de la Banque est, en contribuant au progrès et à la reconstruction économiques des pays d’Europe centrale et orientale qui s’engagent à respecter et mettre en pratique les principes de la démocratie pluraliste, du pluralisme et de l’économie de marché, de favoriser la transition de leurs économies vers des économies de marché, et d’y promouvoir l’initiative privée et l’esprit d’entreprise. Aux mêmes conditions, l’objet de la Banque peut également être mis en œuvre (i) en Mongolie ; (ii) dans les pays membres de la partie méridionale et orientale du Bassin méditerranéen ; et (iii) dans un nombre limité de pays membres d’Afrique subsaharienne ; dans chaque cas au titre des points (ii) et (iii) comme la Banque en décidera sur vote affirmatif des deux tiers au moins du nombre des gouverneurs, représentant au moins les trois quarts du nombre total des voix attribuées aux Membres. En conséquence, toute référence dans le présent Accord et dans ses annexes aux « pays d’Europe centrale et orientale », à un ou plusieurs « pays bénéficiaires » ou aux « pays membres bénéficiaires » s’applique également à la Mongolie ainsi qu’aux pays de la partie méridionale et orientale du Bassin méditerranéen et d’Afrique subsaharienne qui répondent aux conditions énoncées ci-dessus. »
La résolution n° 259apporte par ailleurs plusieurs précisions répondant aux inquiétudes de certains membres.
a. Le respect du mandat originel de la BERD
La résolution du Conseil des gouverneurs souligne « la pertinence et l’applicabilité du mandat, du modèle opérationnel, de la priorité accordée au secteur privé et des compétences de la Banque en Afrique subsaharienne et en Irak ».
La BERD a ainsi retenu des critères stricts de sélection des six pays africains entrant dans son périmètre d’intervention. Ils consistent à :
– être attaché aux principes de la démocratie multipartite, du pluralisme et de l’économie de marché et les appliquer ;
– avoir un rapport et des liens particuliers avec les pays d’opérations actuels de la Banque ;
– présenter une situation économique et politique propice au déploiement du mandat et du modèle opérationnel de la BERD.
Six pays ont été retenus : le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Kenya, le Nigéria et le Sénégal.
b. Le maintien du soutien aux projets en cours, en particulier en Ukraine, et la préservation de la solidité financière de la BERD
La résolution n° 259 souligne également « que soutenir l’Ukraine et d’autres pays d’opérations touchés par la guerre contre l’Ukraine demeure la priorité la plus urgente de la Banque » et que cette « expansion limitée et progressive vers de nouveaux pays d’opérations ne doit pas remettre en cause l’aptitude de la Banque à appuyer ses pays d’opérations actuels ».
Elle insiste également sur le fait que cette « expansion […] ne doit pas […] compromettre sa note de crédit AAA, conduire à une demande de contributions supplémentaires au capital, ni amener la Banque à s’écarter de son mandat en faveur de la transition et des principes opérationnels d’additionnalité et de saine gestion bancaire qui sont les siens ».
Pour cette raison, l’élargissement est gradué tant en nombre de pays couverts – limité à six ([14]) – qu’en nombre de projets. Au total, les investissements prévus sont chiffrés entre 400 et 500 millions d’euros sur sept ans, soit environ 60 millions d’euros par an. Viendra s’ajouter le recrutement d’environ cent cinquante nouveaux agents dans ces pays. C’est peu en proportion du volume total d’opérations qui est aujourd’hui de près de 17 milliards d’euros.
c. La coopération avec les autres partenaires du développement
La résolution du Conseil des gouverneurs insiste « sur l’importance d’une complémentarité et d’une collaboration entre les partenaires du développement déjà présents en Afrique subsaharienne et en Irak », conformément à ce que prévoit déjà l’article 2 de l’accord du 29 mai 1990.
En effet, la BERD sera amenée à intervenir dans des pays qui bénéficient déjà de diverses modalités d’aide au développement, portées par différents acteurs : Banque mondiale, Banque africaine de développement, Fonds monétaire international, agences de développement bilatérales, etc.
La BERD présente toutefois certaines spécificités qui justifient son intervention aux côtés d’autres institutions, notamment sa capacité à soutenir le secteur privé, y compris les PME. Elle devrait pouvoir s’associer régulièrement à l’AFD et à sa filiale consacrée au secteur privé, Proparco.
Par ailleurs, il existe déjà des procédures de coordination entre acteurs du développement et il est même rare qu’une banque de développement finance seule un projet ([15]). En mai 2021, la BERD et la Banque africaine de développement (BAD) ont ainsi déjà signé un protocole d’accord à Paris, visant à dynamiser la mobilisation de nouvelles sources de financement. Ce partenariat met l’accent sur la lutte contre le changement climatique, le développement d’infrastructures vertes et résilientes, et le renforcement des marchés de capitaux en Afrique.
3. Un élargissement soutenu par la France pour des raisons stratégiques
La France a soutenu l’extension du périmètre géographique d’intervention de la BERD dès les années 2010, en faveur de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient puis, plus récemment, de l’Afrique subsaharienne.
La France a aussi joué un rôle de médiateur entre les partisans et les opposants à cette résolution, encourageant à la fois l’augmentation du soutien à l’Ukraine, via la nouvelle souscription, et l’élargissement à ces nouveaux pays.
Outre le devoir de solidarité envers des pays avec lesquels l’Europe entretient des relations historiques étroites, cet élargissement répond à plusieurs enjeux stratégiques, au moment où les États-Unis procèdent à la revue de l’ensemble de leurs participations dans des organisations multilatérales.
La résolution souligne « l’importance de l’Afrique subsaharienne et de l’Irak pour la réalisation des priorités de la communauté internationale sur les plans géopolitique et du développement, les liens croissants de nombre de pays d’Afrique subsaharienne et de l’Irak avec les pays d’opérations actuels de la BERD ». Elle reconnaît également que « la guerre contre l’Ukraine a renforcé l’intérêt parallèle de continuer à répondre aux objectifs des actionnaires en Afrique subsaharienne et en Irak ».
La France peut y trouver un intérêt économique. En effet, le soutien de la BERD à des projets dans ces régions peut s’avérer bénéfique aux entreprises françaises qui y sont bien implantées. Par exemple, en 2019, le groupe Électricité de France (EDF) a achevé la construction du parc solaire de Benban en Égypte grâce à des fonds conjoints de la BERD et de la Banque mondiale.
Par ailleurs, plusieurs pays membres de la BERD sont présents, tant par son intermédiaire que celui de leurs organisations d’aide au développement, dans ces pays et pourront bénéficier des projets ouverts grâce aux financements de la Banque.
La BERD peut également présenter un atout géostratégique dans des pays qui sont la cible de la Russie ou la Chine. Ces deux dernières interviennent pour financer des projets sans contrepartie en matière de démocratie, ni stratégie de développement de long terme. La compétitivité des taux pouvant être proposés par la BERD peut lui permettre de nouer des liens avec les pays concernés tout en obtenant des avancées en matière politique, sociale ou environnementale.
Ainsi, l’intervention de la BERD pourrait atténuer le recul de la présence européenne et française en Afrique subsaharienne et participer à la stabilité politique et économique des États de la région, notamment par le soutien à l’emploi des jeunes qui y est un défi majeur.
Si la participation à des institutions multilatérales semble diluer les moyens consacrés par la France au développement et affaiblir l’identification de ses interventions, elle apparaît en réalité comme un levier d’action complémentaire indispensable car elle peut, par son poids dans l’institution, orienter certaines de ces positions, en fonction de ses intérêts diplomatique ou économique. Par exemple, elle plaide en faveur d’un changement de doctrine de la BERD concernant le nucléaire pour que celle-ci puisse prochainement soutenir des projets dans cette filière, en complément du soutien aux énergies renouvelables.
Le mercredi 26 mars 2025, à 11 heures, la commission examine le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de la Résolution n° 259 du Conseil des gouverneurs de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) portant modification de l’article 1er de l’accord portant création de la BERD afin de permettre l’élargissement limité et progressif du champ d’action géographique de la Banque à l’Afrique subsaharienne et à l’Irak, adoptée le 18 mai 2023.
M. Alain David, président. La BERD est une institution financière internationale créée en 1991, essentiellement pour accompagner, après la chute du bloc communiste, les pays d’Europe centrale et orientale puis les anciennes républiques soviétiques devenues indépendantes dans leur transition vers l’économie de marché. Elle a ainsi été l’un des principaux soutiens aux pays d’Europe centrale et orientale avant leur adhésion à l’Union européenne. Son siège est situé à Londres et son actionnariat est composé de soixante-quinze pays, ainsi que de l’Union européenne et de la Banque européenne d’investissement (BEI).
Lors de l’assemblée annuelle de mai 2023, le conseil des gouverneurs de la BERD a approuvé la résolution n° 259 visant à élargir, de manière limitée et progressive, son champ d’action géographique à l’Afrique subsaharienne et à l’Irak. Cette orientation s’inscrit dans le cadre stratégique et capitalistique 2021-2025 de l’institution.
Le projet de loi qui nous est soumis vise à entériner cette évolution afin d’en faire bénéficier un certain nombre de pays auxquels la France est particulièrement liée : ont été identifiés comme potentiels futurs pays d’opérations le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Kenya, le Nigéria, le Sénégal et l’Irak. Le Sénat a adopté ce projet de loi le 12 mars dernier et nous sommes invités à en faire de même rapidement.
M. Vincent Ledoux, rapporteur. La BERD avait initialement vocation à accompagner les pays de l’ex-bloc communiste dans leur transition vers l’économie de marché et la démocratie. La spécificité de cette banque de développement est de disposer d’un mandat politique ambitieux qui lui impose de conditionner son aide au respect de certains principes.
De nombreux pays de la région ont achevé leur transition et sont en train de sortir du périmètre d’intervention de la BERD. Seule la République tchèque en est totalement sortie en 2007, avant d’y revenir temporairement en 2021 pour surmonter les effets de la pandémie du Covid 19.
La diminution des besoins aurait pu aboutir à la disparition de cette institution qui était conçue à l’origine comme une sunset bank ayant vocation à s’éteindre lorsque sa mission serait achevée. Son expertise dans le secteur privé notamment, sa rentabilité et l’actualité de son mandat politique – tourné vers la démocratie, la transition énergétique et l’égalité femmes-hommes – ont plutôt incité ses actionnaires à étendre son périmètre d’intervention. Ils l’ont fait par vagues successives, d’abord en Asie – Mongolie, Turquie – à partir de 2006, puis dans le bassin méditerranéen – Égypte, Maroc, Tunisie, Jordanie – à partir de 2012, pour répondre notamment aux besoins des pays ayant connu les « printemps arabes ».
Les régions extra-européennes bénéficient de 40 % des investissements de la BERD, une part stable depuis 2018. L’activité de la Banque a par ailleurs retrouvé une actualité particulière avec le conflit en Ukraine, son deuxième pays d’intervention en dépit de la situation. Des projets sont en cours, pour 6 milliards d’euros, dans les transports – ligne de train reliant le front à la frontière de l’Union européenne –, les télécommunications, ou encore pour soutenir les entreprises dans l’emploi des vétérans de guerre.
Pour devenir un « pays d’opérations », les États doivent d’abord entrer au capital de la BERD, pour un ticket d’entrée moyen d’environ 2 millions d’euros. La moitié de ses membres – trente-neuf sur soixante-dix-sept – sont bénéficiaires des investissements. En tant que banque, son activité principale consiste à prêter, à garantir des prêts et à investir en capital pour les projets publics ou privés qu’elle accompagne ensuite grâce à son expertise et à sa présence sur le terrain. Au total, elle compte plus de 2 800 agents déployés dans le monde entier. De manière marginale, pour environ 5 % du total de ses investissements, la BERD procède à des dons. La France ne fait pas partie des pays qui les financent car elle dispose par ailleurs de ses propres moyens d’intervention.
En 2024, les investissements de la BERD ont atteint le niveau record de près de 17 milliards d’euros, soit deux fois plus qu’en 2018 ; 76 % de ces investissements ont été destinés au secteur privé et 58 % ont financé l’économie verte. La Banque ne verse pas de dividendes à ses actionnaires, si bien que son capital est aujourd’hui aux deux tiers le fruit des résultats annuels cumulés et qu’elle n’a pas besoin de demander à ses membres de la refinancer régulièrement.
La France fait partie des principaux actionnaires avec 8,2 % du capital, ce qui lui assure l’une des vingt-trois places du conseil d’administration. L’Italie et l’Allemagne détiennent une part identique. Les États-Unis, dans l’attente de l’actualisation de leur position dans les organisations multilatérales, qui fait l’objet d’une revue d’ensemble, sont le premier actionnaire avec 9,6 % du capital, suivis du Royaume-Uni et du Japon, avec 9,3 %.
Le texte soumis au Parlement vise à ratifier la résolution n° 259 du 18 mai 2023 du conseil des gouverneurs de la BERD, l’organe de décision rassemblant les ministres des finances ou leurs représentants. Pour que la résolution entre en vigueur, il faut que 75 % des membres représentant 80 % du capital la ratifient. La France est, avec l’Italie, le dernier gros contributeur à ne pas l’avoir fait. La résolution propose, comme cela a été fait en 2006 pour l’Asie et en 2012 pour le bassin méditerranéen, d’étendre le périmètre dans lequel la BERD peut intervenir à l’Irak et à l’Afrique subsaharienne. Les auditions que nous avons menées, notamment celle de l’administrateur de la France à la BERD et de la direction générale du Trésor, nous ont permis de mieux saisir les enjeux de cet élargissement, d’ailleurs soutenu par notre pays.
Il s’agit de parvenir à concilier l’objectif initial de la BERD – le soutien au développement de l’Europe de l’Est – avec de nouveaux objectifs stratégiques. Pour rassurer tout le monde, j’insiste sur le fait que cet élargissement sera très progressif et peu coûteux à l’échelle des moyens de la BERD. Il n’exige pas d’augmentation du capital, car seulement 400 à 500 millions d’euros d’investissements sont prévus sur sept ans. Le nombre de pays d’Afrique subsaharienne concernés est également limité à six. Ils ont été retenus sur des critères stricts en matière économique et politique : le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Kenya, le Nigéria et le Sénégal. En ce qui concerne l’Irak, il est mentionné dans la résolution mais est déjà couvert par l’article 1er de l’accord fondateur de la BERD tel qu’il a été modifié en 2012.
Cela ne pénalisera donc pas les projets en cours ni l’intervention en Ukraine, d’autant qu’une augmentation du capital de 4 milliards, la première en trente ans, est prévue pour financer la reconstruction de ce pays. Pour la France, qui a soutenu cette souscription, cela représente 343 millions d’euros versés sur cinq ans, soit 68 millions par an.
L’élargissement ne devrait pas non plus venir concurrencer inutilement les différentes institutions multilatérales – Banque mondiale, Banque africaine de développement – ou bilatérales – Agence française de développement (AFD) –, déjà présentes sur le continent africain. La BERD se montre attachée à coordonner ses efforts avec ses homologues et à apporter ce qui fait sa spécificité : un soutien au secteur privé et financier et à la transition énergétique, conditionné à des exigences démocratiques. Les acteurs du développement ont l’habitude de coopérer. Il est même rare qu’ils financent des projets seuls afin d’en partager les risques. Dans certains pays, des plateformes de coordination – dites « plateformes pays » – ont même été créées pour simplifier le financement et le pilotage des projets avec les autorités locales. Cette coordination pourrait bénéficier à l’AFD et à sa filière dédiée au secteur privé, Proparco, très active dans ces régions.
La France et l’Europe ont soutenu cette stratégie pour plusieurs raisons. Dans un contexte de désengagement des États-Unis au sein des organisations multilatérales, elle est susceptible de freiner l’avancée de la Russie et de la Chine en Afrique subsaharienne, en apportant de nouveaux financements à des coûts très avantageux. Cela peut permettre à la France, qui rencontre des difficultés avec certains gouvernements de la région, de maintenir sa présence en faveur du secteur privé de ces pays et de leur développement. Les financements de la BERD vont également ouvrir de nouveaux marchés dans le domaine de l’énergie ou des transports dont des entreprises françaises, déjà implantées dans ces régions, pourront bénéficier. En Égypte, par exemple, Électricité de France (EDF) a construit un immense parc solaire, grâce à des financements de la BERD et de la Banque mondiale.
Pour toutes ces raisons, il semble utile de ratifier cette résolution. La BERD ne répond pas à elle seule, bien sûr, à toutes les difficultés posées par la situation internationale actuelle, mais elle peut offrir à la France un levier d’action diplomatique complémentaire.
M. Alain David, président. La parole est aux orateurs des groupes.
Mme Clémentine Autain (EcoS). À première vue, l’idée de soutenir les projets de pays qui en ont besoin est séduisante, surtout au moment où les États‑Unis opèrent un dangereux recul dans leur aide internationale. J’aurai toutefois deux préventions. Tout d’abord, les pays concernés réclament bien souvent l’annulation d’une partie de leur dette. Ces prêts sont-ils alors le bon modèle ? Par ailleurs, si nous sommes évidemment favorables aux critères démocratiques, ne faudrait-il pas aussi s’entendre sur ceux relatifs à l’économie de marché ? L’aide publique au développement encourage à adopter les normes néolibérales d’un capitalisme mondialisé et s’est un peu dévoyée. Quelles garanties avons-nous que les projets soutenus servent les intérêts des habitants et non ceux de multinationales qui viendraient faire leurs petites affaires ?
M. Vincent Ledoux, rapporteur. Le recul des États-Unis dans l’aide publique au développement est en effet inquiétant.
Pour ce qui est de l’endettement, n’oublions pas que les prêts sont fléchés principalement vers le secteur privé des petites et moyennes entreprises, sans exclure quelques collectivités territoriales et organisations étatiques. Par exemple, en Ukraine, la BERD va soutenir le retour à l’emploi des vétérans et la reconstruction des voies ferrées. Les acteurs de la BERD ont été actifs pendant tout le conflit. La BERD assure également l’accompagnement des acteurs qu’elle finance, comme un banquier qui conseille son client.
Pour accéder au capital et être pays d’opérations, les membres de la BERD sont soumis à une évaluation de leur situation politique et économique. En outre, les projets doivent remplir des critères précis. Ainsi 58 % des financements sont consacrés à l’économie verte. Enfin, les institutions qui interviennent sur le terrain du développement se coalisent pour améliorer l’efficacité de leur action.
M. Stéphane Hablot (SOC). Tout a été dit par Clémentine Autain sur cette banque européenne qui s’engage à soutenir la reconstruction et le développement. On ne peut qu’être favorable à cet accord, qui offre l’opportunité de relever des défis majeurs. Les pays d’Afrique subsaharienne concernés par l’accord traversent des crises climatiques et subissent de plein fouet des inégalités économiques. Nous croyons dans un investissement solide, durable et équitable pour bâtir des infrastructures, développer des énergies renouvelables, donner aux économies émergentes les moyens de se déployer. La BERD a relevé des défis dans de nombreux pays, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord, et son action s’accompagne d’une exigence de respect des principes démocratiques.
Le rapport indique que les États aidés doivent adhérer aux valeurs du multipartisme et du pluralisme, aux principes de la démocratie. Nous avons constaté que la BERD avait soutenu l’Ukraine et coupé les ponts avec la Russie. Comment rappeler la Turquie à l’ordre ? Erdoğan n’est pas vraiment l’incarnation de la démocratie. Il faut savoir rappeler à l’ordre ses partenaires. Restons vigilants, ayons confiance dans les rendez-vous d’aujourd’hui pour accompagner, évaluer et faire durer les projets au service des pays, de leur population, de leur développement, dans le respect des principes démocratiques.
M. Vincent Ledoux, rapporteur. Vous avez raison de rappeler que la vigilance doit être permanente ; je pense qu’elle l’est. La BERD est un espace de discussion entre des pays qui auraient du mal à se parler dans un autre cadre. À chaque fois, les modalités de soutien sont revues, puisque certains pays partent, d’autres cessent d’être aidés, comme la Russie. Des pays sont au capital sans être pays d’opérations – c’est le cas de l’Algérie. S’agissant des pays d’Afrique subsaharienne, les discussions que nous pourrons avoir avec eux, en concurrence avec la Russie ou la Chine, qui s’embarrassent peu d’exigences démocratiques, seront aussi l’occasion de faire modestement bouger les lignes. La BERD doit rester un espace de dialogue, un espace de vigilance ; elle n’est pas un espace de complaisance.
Mme Maud Petit (Dem). Comme vous l’avez rappelé dans votre rapport, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement a été créée en 1991. L’ambition initiale de cette institution financière internationale était de financer des projets favorisant la croissance économique, le développement du secteur privé et la modernisation des infrastructures des pays d’Europe centrale et orientale, après la chute du bloc soviétique. Une fois ces objectifs atteints, la BERD avait vocation à disparaître. D’ailleurs, certains pays de l’ancien bloc soviétique ne bénéficient plus aujourd’hui de ses investissements.
Mais l’expertise, la rentabilité et la spécificité du mandat politique de la BERD ont conduit les actionnaires à vouloir en étendre le périmètre d’intervention. C’est ainsi que son champ d’action a été élargi à l’Asie centrale, au bassin méditerranéen en lien avec le printemps arabe, à la Mongolie, à l’Afrique du Nord et à la Turquie. Si le continent européen reste la première zone d’intervention de la BERD, avec 59,5 % de ses investissements, c’est en grande partie dû au conflit entre la Russie et l’Ukraine. Depuis le début de la guerre, en février 2022, la BERD apporte son soutien à l’Ukraine, en investissant dans des projets à hauteur de 6 milliards d’euros. Elle avait déjà investi 22 milliards d’euros dans ce pays, notamment pour financer le sarcophage de la centrale nucléaire de Tchernobyl, son plus gros projet achevé.
Si les investissements vers des projets européens restent majoritaires, les autres sont en pleine croissance. Ils ne représentaient que 18 % en 2013 et atteignaient 40,5 % en 2023. La BERD aspire à investir vers de nouveaux territoires. C’est le sens du projet de loi, en faveur duquel le groupe Les Démocrates votera.
Rappelons cependant que le mandat politique de la BERD spécifie que son intervention est conditionnée au respect des principes de la démocratie pluraliste, de l’égalité femmes-hommes, d’intégrité et de transparence ou de lutte contre les abus et l’exploitation sexuelle. Quel chemin la BERD a-t-elle engagé pour obtenir des garanties vis-à-vis de certains pays sur ces questions et principes ?
M. Vincent Ledoux, rapporteur. Vous avez raison de souligner que la vigilance demeure de mise, notamment à l’égard des nouveaux entrants. En discutant avec les administrateurs français de la BERD, j’ai compris que la discussion était permanente. Il existe des clauses de revoyure. L’évaluation des projets est d’ailleurs menée par une société externe. Les équipes s’interrogent en permanence, sur le terrain comme à Londres, pour réajuster le tir. Nous avons des garanties.
M. Guillaume Bigot (RN). Notre groupe a trois réserves. La première tient au périmètre géographique. Dès 2006, la BERD s’est détournée de sa vocation initiale en étendant ses activités à la Mongolie, à l’Afrique du Nord, aux pays du Proche-Orient et désormais à six pays d’Afrique subsaharienne et à l’Irak. Or, comme vous l’avez rappelé, cette institution a été créée en 1991 pour financer le décollage du secteur privé et favoriser la transition démocratique des pays européens de l’ex-bloc soviétique. Elle a été conçue de manière chrono-historico-dégradable pour disparaître une fois sa mission accomplie. Aussi, nous voilà maintenant face à une sorte de bureaucratie internationale, un machin, comme disait le général de Gaulle, qui se cherche des raisons de perdurer, alors même que la Banque mondiale, la Banque africaine de développement et de multiples fonds bilatéraux financent déjà des projets analogues.
Deuxième réserve : les textes qui fixent le cadre de la BERD et son esprit. L’article 1er de son statut dispose qu’elle soutient des États « qui s’engagent à respecter et mettent en pratique les principes de la démocratie pluraliste ». Si l’élargissement est entériné, on comptera désormais parmi les pays bénéficiaires des fonds de la BERD des démocraties aussi exemplaires que le Nigéria ou l’Irak, dans lesquelles on tire à l’arme lourde sur ceux qui contestent le résultat souvent trafiqué des urnes. On peut également s’interroger sur le respect de la transparence dans la vie des affaires ou de l’égalité hommes-femmes dans ces pays.
Surtout, le texte de la résolution justifie cet élargissement en évoquant « la réalisation des priorités de la communauté internationale sur les plans géopolitiques et du développement », une probable référence à l’évangile des objectifs de développement durable (ODD). Or la planète s’est totalement transformée, et pas nécessairement pour le meilleur. À cette heure, peut-on encore dire, quand on voit ce qu’est devenue la Chine, que financer le secteur privé c’est favoriser la démocratie ? Que procéder de manière émiettée, par le biais des organisations internationales multilatérales, c’est forcément favoriser les intérêts de la France et ceux des populations qui reçoivent ces aides ?
M. Vincent Ledoux, rapporteur. Comme Mme Autain, j’aurai un peu de mal à vous convaincre sur le cadre d’intervention – et je n’ai pas cette ambition. Vous avez parlé de « machin ». Après m’être également demandé pourquoi la durée de vie de la Banque avait été prolongée, je me suis rendu compte que c’était utile. Les périmètres d’intervention spécifiques de la BERD ne se recoupent pas avec ceux des autres outils bancaires. C’est une banque mondiale multilatérale, dont la vocation première est de garder le contact avec le secteur privé.
Par ailleurs, la bancarisation de la société africaine et le passage d’une société économique informelle à formelle est un pas vers l’autonomisation des populations – un pas de colombe mais un pas tout de même. Certains projets financent des microbanques qui permettent aux femmes de trouver les moyens de leur émancipation. J’ai le sentiment que ce n’est pas un « machin » de plus, mais un outil complémentaire dans notre stratégie d’aide au développement.
S’agissant des intérêts français, cela nous permet de nous positionner dans des champs géographiques nouveaux et d’apporter une réponse complémentaire de celle de l’AFD.
Mme Amélia Lakrafi (EPR). Je souhaite exprimer tout l’intérêt que j’ai eu à la lecture de ce rapport particulièrement éclairant sur un sujet si peu connu du grand public et des parlementaires. Peu de nos concitoyens, hormis les passionnés de la construction européenne, connaissent l’existence et l’impact de la BERD, qui a pourtant été un acteur majeur de l’élargissement de l’Union européenne aux pays de l’ancien bloc soviétique, en les accompagnant dans leur transition économique et sociale. Votre rapport illustre parfaitement l’importance de cette institution, tout en montrant comment ses missions et son périmètre géographique ont évolué, du Caucase à la Mongolie en passant par le bassin méditerranéen. Elle est désormais active dans trente-neuf pays.
Dès lors, l’argument d’une spécialisation géographique ne peut justifier un refus d’élargir son champ d’action à l’Irak et à six pays d’Afrique subsaharienne, surtout lorsque l’on sait que la BERD a déjà su diversifier ses activités avec beaucoup de succès. Intégrer ces nouveaux pays, sans négliger le dossier crucial de l’Ukraine, bien évidemment, est non seulement cohérent mais stratégique. C’est un signal fort à envoyer, notamment aux pays africains où notre influence est de plus en plus disputée. Le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Bénin, tout comme le Ghana, le Kenya et le Nigéria sont au cœur de notre nouvelle stratégie africaine. En renforçant la présence européenne et française dans ces régions, nous consolidons notre position face à une concurrence accrue et hostile. Cette évolution est aussi un levier de stabilité régionale, pour rééquilibrer l’action de l’Union européenne, un outil complémentaire à l’AFD et à l’Union européenne et un message cohérent avec la stratégie de la Team Europe. Le groupe EPR soutient pleinement cette résolution essentielle pour l’avenir de notre influence, qu’elle soit économique ou politique.
M. Vincent Ledoux, rapporteur. Votre intervention me permet de redire combien il est important que nous, commissaires aux affaires étrangères, puissions-nous emparer de sujets qui sont relativement peu évoqués. Alors que j’ai été rapporteur du budget des affaires étrangères pendant cinq ans à la commission des finances, jamais je n’avais rencontré la BERD – sans doute parce que la contribution de la France à la BERD relève d’un compte d’affectation spéciale. Nous pourrions entendre sa présidente, qui est française, en audition voire créer une mission particulière sur ce sujet très intéressant. Cela permettrait de répondre aux questions que nous nous posons à juste titre.
Il faut accompagner le développement de l’Afrique, d’autant que, dans ce nouveau contexte international, nous sommes en concurrence sur des segments où nous étions auparavant dominants. Nous passons d’une situation plutôt avantageuse à une situation dans laquelle il faut se différencier. La BERD peut être un outil pour nos chefs d’entreprise, ainsi que pour ceux qui ont besoin d’entrer dans l’économie formelle et dans la bancarisation mondiale, soit autant de critères d’amélioration vers une démocratie participative. Dans l’imperfection du monde, c’est une petite goutte de progrès.
M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Merci, monsieur le rapporteur, pour ce très bon travail. Je veux d’abord redire l’attachement de mon groupe au principe de l’aide au développement, dans un contexte où il est très sévèrement attaqué. Les décisions prises par Donald Trump pour faire s’effondrer l’USAID auront des conséquences absolument terribles. En Ukraine, c’est l’assistance aux médias indépendants qui a été interrompue ; au Cameroun, les programmes de vaccination contre le VIH et un certain nombre de maladies ; en République démocratique du Congo ou au Népal, les initiatives de lutte contre la malnutrition. En France, nous avons réduit de manière très significative les crédits consacrés à l’aide au développement et des polémiques sont relayées dans l’espace médiatique pour s’attaquer à son principe même.
S’il faut défendre l’aide publique au développement, je ne suis pas sûr que ce type d’outil offre la bonne réponse. La BERD, qui a été créée dans le contexte particulier de l’effondrement de l’URSS, l’a été selon une idéologie très marquée de soutien au secteur privé plutôt qu’à des modèles reposant davantage sur les services publics ou d’autres types d’économies. Ce n’est pas non plus un outil totalement européen, puisque les Américains en sont le principal actionnaire. Quant à être une forme d’instrument géopolitique qui permettrait de contrer l’influence d’autres pays, autant cela ne me dérange pas que la France puisse affirmer son indépendance, faire rayonner son savoir-faire et promouvoir son propre modèle d’aide au développement, autant qu’elle le fasse main dans la main avec certaines grandes puissances pour en contrer d’autres ne me paraît pas relever d’un agenda franco-français.
Enfin, nous ne sommes pas certains que l’endettement et le modèle bancaire soient la seule réponse aux problématiques d’aide au développement. Certains pays africains, qui sont déjà endettés à plus de 50 %, ne pourront pas aller de l’avant avec toujours davantage de prêts. Rappelez-vous ce que les politiques et les réformes d’ajustement structurel dans les années 1980-1990 ont fait comme dégâts dans ces pays.
Pour toutes ces raisons, mon groupe ne sera pas favorable à cette extension.
M. Vincent Ledoux, rapporteur. Nous aurons du mal à nous convaincre l’un l’autre en trois minutes des avantages ou des limites du modèle économique de la BERD. À mon avis, l’aide publique au développement ne peut pas être une variable d’ajustement budgétaire ; elle doit se maintenir à son niveau, surtout dans le contexte actuel.
Effectivement, il y a un biais : celui du soutien au secteur privé, notamment aux petites, très petites et microentreprises. Mais, après les séismes, la BERD a beaucoup aidé la Turquie et le Maroc pour accompagner les secteurs engagés dans la reconstruction et plusieurs municipalités.
M. Nicolas Forissier (DR). Notre groupe votera pour le projet de résolution. J’ai été assez surpris que l’on puisse être choqué que la BERD se tourne vers le secteur privé. Ce n’est pas le diable ! Ces financements, ces partenariats me paraissent relever de l’ordre naturel de la vie économique mondiale.
M. Alain David, président. La parole est aux orateurs individuels.
M. Stéphane Rambaud (RN). Le projet de rapport propose d’étendre le champ d’action de la BERD à l’Afrique subsaharienne et à l’Irak, au nom d’une énième stratégie de développement. À quoi sert-il de multiplier les promesses d’influence dans des pays qui n’en demandent pas ? Pourquoi s’obstiner à vouloir imposer un modèle que personne ne réclame ? Est-ce vraiment là le rôle de la France de financer sur le dos des contribuables des opérations d’influence coûteuses dans des territoires où la démocratie ne s’impose pas d’en haut et où nous n’avons ni mandat ni légitimité ? Il est temps que la France rompe avec cette logique d’alignement systématique, qu’elle retrouve une voix singulière, indépendante, respectueuse des peuples, soucieuse de la paix et fidèle à ses seuls intérêts véritables, ceux de la nation. Quand le gouvernement décidera-t-il enfin de consacrer les efforts de la France à la France ?
M. Michel Guiniot (RN). Inaugurée en avril 1991 à Londres à l’issue d’un débat initié par le président François Mitterrand en octobre 1989, la BERD avait originellement pour but de soutenir la transition vers l’économie de marché des pays de l’Est et de les aider à panser les plaies du communisme. Désormais, elle est active dans près de quarante pays en Europe centrale, en Asie centrale et en Méditerranée méridionale et orientale, notamment en Cisjordanie et à Gaza.
La France dispose de 2,5 milliards au capital de cette banque depuis sa création. Cette année, pour la première fois, elle a consenti à une augmentation de son capital à hauteur de 343 millions, sans que le Parlement n’ait donné son aval en raison d’un recours au 49.3.
En quoi la BERD procure-t-elle des services que notre aide publique au développement n’est pas en mesure de fournir en dépit de son habituel financement stratosphérique ? Pourquoi l’Italie et le Canada refusent-ils l’extension du mandat géographique de la BERD ?
M. Frédéric Petit (Dem). Une augmentation de capital n’est pas une dépense de fonctionnement. Elle induit une participation accrue.
Par ailleurs, il est contradictoire de déplorer simultanément le recours au secteur privé et l’endettement des États. L’endettement des banques œuvrant au développement de la petite entreprise ou de l’entreprenariat défavorisé dans certains pays ne pèse pas sur les États. Il est résorbé par le fruit de l’activité qu’il a permis de créer.
M. Jean-Louis Roumégas (EcoS). Je voterai pour la résolution, même s’il est permis de se demander si, en Afrique subsaharienne, la BERD est l’outil adéquat, compte tenu de l’incapacité de l’AFD à répondre aux attentes des populations et du coût géopolitique subséquent pour la France.
L’évolution proposée doit être analysée à la lumière du désengagement américain et du passage d’un ordre mondial fondé sur la coopération à un autre fondé sur la compétition. L’Europe doit à tout prix y jouer un rôle de puissance, en défendant ses valeurs qui sont contraires à cette vision du monde, quand bien même certains, en France, y souscrivent.
Dans ce contexte, il importe de développer les outils dont nous disposons. Il faudra faire davantage, notamment en rétablissant l’aide par la subvention et une véritable coopération ; la BERD n’en est pas moins un outil utile. En somme, on nous demande de choisir entre le rayonnement de la France et le rabougrissement national.
M. Vincent Ledoux, rapporteur. M. Roumégas a prononcé les mots exacts : compétition et coopération. Dans le monde où nous vivons, il faut concilier les deux. Cela vaut réponse à M. Rambaud : pour ma part, je préfère les ponts et les passerelles aux murs. Prôner le recroquevillement de la France pour laisser le champ libre aux grands empires est une erreur, d’autant que près de 60 % des investissements de la BERD sont réalisés en Europe et il ne semble pas opportun, par les temps qui courent, de les remettre en cause.
Monsieur Guiniot, indépendamment du recours au 49.3, l’inscription de la souscription de la France au capital de la BERD dans un compte d’affectation spéciale n’offre pas une bonne visibilité. Je plaide pour un renforcement du dialogue de notre commission avec la BERD. Concernant le Canada et l’Italie, la consultation de leur représentation nationale respectives est en cours, comme elle l’est chez nous au demeurant.
M. Roumégas a rappelé à raison que la BERD est un outil parmi d’autres, tous complémentaires entre eux. Le modèle d’organisation et de gouvernance qu’elle a adopté me semble cohérent. Ces outils évoluent au fil de l’eau. Dans le contexte que nous connaissons, assurer la diversité des sources de financement semble souhaitable. Cela permet de garder le contact avec les pays concernés et de continuer à faire pression en faveur de l’exigence démocratique qui est la nôtre. Certes, ce système n’est pas parfait et tous les pays qui en bénéficient ne sont pas au standard démocratique universel, mais y sommes-nous nous-mêmes, si tant est qu’il existe ? Le tout est d’y tendre.
*
Article unique (autorisation de l’approbation de la résolution n° 259 portant modification de l’article 1er de l’accord portant création de la BERD afin de permettre l’élargissement limité et progressif du champ d’action géographique de la Banque à l’Afrique subsaharienne et à l’Irak, adoptée le 18 mai 2023)
La commission adopte l’article unique non modifié.
L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.
ANNEXE 1 : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Article unique
Est autorisée l’approbation de la Résolution n° 259 portant modification de l’article 1er de l’Accord portant création de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement afin de permettre l’élargissement limité et progressif du champ d’action géographique de la Banque à l’Afrique subsaharienne et à l’Irak, adoptée le 18 mai 2023, et dont le texte est annexé à la présente loi ([16]).
ANNEXE 2 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR Le RAPPORTEUR
Ministère de l’Europe et des affaires étrangères
– M. Guillaume Mounier, chef de la mission des accords et traités ;
– M. Xavier Thiery, chef du pôle politique européenne de développement à la direction générale de la mondialisation ;
– M. Hugues Duthilleul, rédacteur au Pôle politique européenne de développement.
Ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique
– M. Antoine Bergerot, chef du bureau du Financement multilatéral du développement et du climat.
Banque européenne de reconstruction et de développement
– M. Yann Pouëzat, administrateur pour la France ;
– M. Clément Seitz, administrateur suppléant pour la France.
([1]) Les investissements de la BERD en Russie représentaient, en 2013, encore 25 % du volume total.
([2]) Trente-huit de ses pays membres ainsi que dans les territoires palestiniens où elle soutient exclusivement le secteur privé.
([3]) Il ne s’agit pas d’une exception. La France est elle-même actionnaire minoritaire des banques asiatique, africaine et interaméricaine de développement.
([4]) Voir II. A. 1.
([5]) Le ministre des finances peut être suppléé par le directeur général du Trésor ou un de ses représentants.
([6]) Article 26 de l’accord du 29 mai 1990.
([7]) Les prêts de la BERD sont généralement accordés en euros et en dollars américains, offrant ainsi aux emprunteurs la possibilité de couvrir leurs besoins financiers tout en minimisant leur exposition au risque de change.
([8]) https://www.proparco.fr/fr/actualites/proparco-rejoint-le-programme-de-facilitation-des-echanges-de-la-berd-pour-lukraine
([9]) Voir I.A.2.
([10]) Voir également le tableau en I.A.3.
([11]) Albanie, Algérie, Arménie, Autriche, Bénin, BEI, Bulgarie, Commission européenne, Croatie, Chypre, République tchèque, Danemark, Estonie, États-Unis, Finlande, Géorgie, Allemagne, Hongrie, Islande, Japon, Jordanie, Corée du Sud, Kosovo, République kirghize, Liechtenstein, Malte, Monténégro, Maroc, Pays-Bas, Macédoine du Nord, Norvège, Pologne, Roumanie, Serbie, République slovaque, Slovénie, Espagne, Suède, Tunisie, Émirats arabes unis, Royaume-Uni.
([12]) Conseil constitutionnel, décision n° 92-308 DC du 9 avril 1992.
([13]) Conseil d’État, assemblée générale, avis du 31 octobre 1991, n° 350848.
([14]) À partir de 2026, de nouvelles demandes pourront être soumises au Conseil des gouverneurs, sous réserve que moins de six pays d’Afrique subsaharienne soient devenus pays d’opérations.
([15]) Voir I.C.2.
([16]) Le texte figure en annexe du projet de loi n° 1110.