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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 mai 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE, SUR LA PROPOSITION DE LOI, adoptée par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, relative à la raison impérative d’intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse (n° 1435).
PAR M. Jean TERLIER
Député
Voir les numéros :
Sénat : 452, 584, 585 et T.A. 121 (2024‑2025).
Assemblée nationale : 1435.
SOMMAIRE
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Pages
I. Présentation du projet de liaison autoroutière Castres-Toulouse
III. Un projet essentiel pour la région qui constitue un impératif d’intérêt public majeur
COMMENTAIRE de l’article unique
liste des personnes auditionnÉes
Le 27 février 2025, le tribunal administratif (TA) de Toulouse a annulé les autorisations environnementales de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse pour défaut de raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM), une nécessité pour obtenir une dérogation « espèces protégées ». Cette décision de justice est intervenue extrêmement tardivement : 80 % des travaux de l’A680, 54 % des volumes de terrassement et 70 % des ouvrages d’art de l’A69 sont déjà réalisés.
Les conséquences immédiates du jugement du TA de Toulouse sont dévastatrices : 1 300 emplois directs supprimés sur les chantiers – si la majorité dépend de grands groupes qui sont soumis aux obligations de reclassement, de nombreux sous-traitants et intérimaires ont été mis au chômage – des coûts d’immobilisation du personnel, du matériel et de sécurisation des sites de plusieurs dizaines de millions d’euros par mois ; des investissements privés annulés au profit d’autres bassins d’emplois, notamment Albi ou Toulouse ; des villages balafrés par des travaux inachevés qui coupent leurs habitants du reste du monde…
De plus, cette autoroute est une nécessité pour désenclaver le sud du Tarn, c’est-à-dire le bassin de Castres-Mazamet. Elle est essentielle pour maintenir la vitalité économique d’un territoire en déprise. Comme l’a observé M. Guy Bousquet, président de l’association Via 81, « l’A69 n’est pas une autoroute de loisir ; ce n’est ni l’autoroute pour aller au ski, ni l’autoroute pour aller à la Méditerranée. C’est une autoroute pour aller au travail. »
Enfin, toutes les personnes auditionnées par le rapporteur l’ont alerté sur la perte de confiance dans l’État et les institutions que génère cet arrêt au sein de la population du sud du Tarn.
Face à cette situation, le rapporteur, avec son collègue député du Tarn M. Philippe Bonnecarrère, et les sénateurs du département, M. Philippe Folliot et Mme Marie-Lise Housseau, a déposé une proposition de loi visant à valider par voie législative les autorisations environnementales en question en leur reconnaissant la RIIPM.
Les validations législatives sont un dispositif très encadré par la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui a fixé cinq critères pour en apprécier la conformité à la Constitution. Les auteurs et rapporteurs du texte ont veillé à respecter scrupuleusement ces critères, notamment afin de respecter l’indépendance de la justice, à laquelle le rapporteur rappelle qu’il est très attaché.
I. Présentation du projet de liaison autoroutière Castres-Toulouse
Le projet de liaison autoroutière Castres-Toulouse contient deux volets pour un total de 62 kilomètres en 2x2 voies :
– d’une part, l’A69 proprement dite, reliera la rocade de Castres à Verfeil le long de l’itinéraire de l’actuelle route nationale 126 (RN126). La maîtrise d’ouvrage et la concession ont été confiées en avril 2022 à la société Atosca ;
Source : préfecture du Tarn
– d’autre part, l’A680, déjà existante, reliant l’A68 (Albi-Toulouse) à la D20 à Verfeil (route départementale conduisant à la RN126 vers Castres), sera élargie à 2x2 voies avec bande d’arrêt d’urgence entre Castelmaurou et Verfeil. Un échangeur est construit à Verfeil pour assurer la jonction avec le nouveau tronçon de l’A69 et atteindre un total de 9,2 kilomètres. La maîtrise d’ouvrage a été confiée au concessionnaire historique, Autoroutes du Sud de la France (ASF).
Ce soutien politique unanime se retrouve également parmi les acteurs économiques. Aussi bien les organisations professionnelles du Tarn – mouvement des entreprises de France (Medef), union des entreprises de proximité (U2P), syndicat des transporteurs routiers du Tarn – que les chambres consulaires du département – chambre de commerce et d’industrie (CCI), chambre des métiers et de l’artisanat (CMA), chambre d’agriculture – se sont montrées très favorables au projet. 555 chefs d’entreprise du département ont, en outre, signé une tribune « Oui à l’A69 ». D’ailleurs, la CCI du Tarn et un certain nombre d’entreprises locales ont pris une participation minoritaire dans Atosca, concessionnaire de l’A69, en août 2023, signe de la volonté des acteurs économiques du territoire de voir le projet aboutir.
Lors de son audition, le représentant du conseil départemental a observé que le monde agricole ne s’est pas opposé au projet autoroutier : la qualité de la concertation et des compensations a permis un taux de contestation contentieuse de moins de 5 % des expropriations.
Non seulement les entreprises mais également les salariés sont favorables à l’autoroute : quatre des cinq organisations syndicales représentatives ont ainsi manifesté en faveur du projet.
C’est bien une écrasante majorité de la population du Tarn qui soutient le projet autoroutier : d’après un sondage de l’institut Odoxa, 75 % des habitants du sud du Tarn et 79 % des habitants du bassin Castres-Mazamet y sont favorables ([1]). Plus récemment, un sondage d’OpinionWay a montré que 64 % des Tarnais et 69 % des Castrais, sont favorables à une reprise des travaux à la suite de leur arrêt par le jugement du tribunal administratif (TA) de Toulouse.
Si le projet est né dans les années 1990, il ne s’est véritablement matérialisé que dans les années 2010. Il a respecté l’ensemble des procédures administratives préalables à sa réalisation. Une dizaine de décisions de justice ont confirmé successivement la légalité du projet ou son utilité publique, comme le montre l’encadré ci-dessous.
Historique du projet de liaison autoroutière Castres-Toulouse
1996 : Ouverture de l’autoroute A680 reliant l’A68 (Toulouse-Albi) à la RN126, dont l’élargissement en 2x2 voies est abandonné au profit d’une future autoroute A69.
2010 : Signature de la décision de mise en concession par le ministre de l’écologie Jean-Louis Borloo et ouverture d’une première enquête publique.
2013 : Engagement public du Président de la République M. François Hollande en faveur du projet : « cette infrastructure aurait dû être faite depuis des années ».
Décembre 2017 : Arrêté préfectoral déclarant d’utilité publique l’aménagement de l’A680 en 2x2 voies de Verfeil à Castelmaurou.
Juillet 2018 : Décret déclarant d’utilité publique la construction de l’A69 de Castres à Verfeil.
Décembre 2019 : Classement de l’A69 comme grand projet de priorité nationale par la loi d’orientation des mobilités. ([2])
Février 2021 : Lancement de la procédure d’appel d’offres pour les concessions par la ministre de la transition écologique.
Mars 2021 : Rejet par le Conseil d’État des recours formés à l’encontre de la déclaration d’utilité publique de 2018. ([3])
Avril 2022: Signature du contrat de concession de l’A69 avec Atosca pour 55 ans.
Septembre 2022 : Avis du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) sur le projet de liaison autoroutière.
Octobre 2022 : Avis de l’autorité environnementale sur l’évaluation environnementale.
De novembre 2022 à janvier 2023 : Enquête publique sur les demandes d’autorisation environnementale et avis favorable à l’unanimité de la commission.
Mars 2023 : Arrêtés de délivrance des autorisations environnementales et lancement du chantier.
Juin 2023 : Introduction de recours contre les autorisations environnementales.
Août 2023 : Rejet des référés suspensions contre les autorisations environnementales.
Juin 2024 : Introduction de recours contre le contrat de concession de l’A69.
Février 2025 : Annulation des deux autorisations environnementales par le tribunal administratif (TA) de Toulouse.
Mars 2025 : Appel de l’État contre les jugements du TA de Toulouse.
Mai 2025 : Adoption par le Sénat de la proposition de loi de validation des arrêtés portant autorisation environnementale.
Mai 2025 : Sursis à l’exécution des jugements du TA de Toulouse prononcé par la cour administrative d’appel (CAA) de Toulouse.
II. Le tribunal administratif de Toulouse a annulÉ trÈs tardivement les autorisations environnementales au titre des dérogations « espèces protégées »
Alors même que le Conseil d’État avait rejeté les recours contre la déclaration d’utilité publique du projet d’autoroute en 2021, le TA de Toulouse a annulé les autorisations environnementales en février 2025. Si ce jugement n’est pas définitif – l’État a interjeté appel auprès de la cour administrative d’appel (CAA) de Toulouse – ses conséquences sur le chantier, sur les entreprises, le territoire et les habitants sont majeures et déjà dévastatrices, comme l’a reconnu la CAA dans ses arrêts prononçant le sursis à l’exécution des jugements du TA de Toulouse ([4]).
Le TA de Toulouse, saisi en juin 2023 par une série d’associations de défense de l’environnement (France Nature Environnement Midi-Pyrénées, Agir pour l’environnement, les Amis de la Terre Midi-Pyrénées, l’association pour la taxation des transactions financières pour l’aide des citoyens du Tarn, le groupe national de surveillance des arbres, Nature en Occitanie, Union protection nature environnement du Tarn, Village action durable et la confédération paysanne), après avoir rejeté l’ensemble des demandes visant à suspendre le projet en référé-liberté et en référé-suspension, a finalement annulé les arrêtés portant autorisation environnementale de la liaison autoroutière Castres-Toulouse.
Dans deux jugements, l’un sur l’A69 ([5]) et l’autre sur l’A680 ([6]), la troisième chambre du TA de Toulouse a estimé que « le gain de temps permettra un gain de confort, facilitera l’accès du bassin (de Castres-Mazamet) à des équipements régionaux et participera du confortement du développement économique de ce territoire, avantages qui ne sauraient suffire à caractériser l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM), c’est-à-dire d’un intérêt d’une importance telle qu’il puisse être mis en balance avec l’objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvage ».
L’existence d’une RIIPM constitue une condition d’octroi d’une dérogation « espèces protégées » que le juge n’a, en l’espèce, pas estimée remplie et sans laquelle le projet ne peut voir le jour. Les travaux ayant démarré dès l’octroi de l’autorisation environnementale par le préfet, ils ont été immédiatement suspendus.
Les dérogations « espèces protégées »
La directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive « habitats », a instauré un régime de protection des espèces animales et végétales.
L’article L. 411-1 du code de l’environnement, qui transpose l’article 12 de la directive, interdit toute perturbation, destruction ou mise à mort intentionnelle de spécimens des espèces protégées identifiées en fonction de leur état de conservation, notamment en se fondant sur la liste rouge de l’union internationale pour la conservation de la nature (UICN), par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et, soit du ministre chargé de l’agriculture, soit, lorsqu’il s’agit d’espèces marines, du ministre chargé des pêches maritimes ([7]).
Si, après avoir pris en compte les mesures d’évitement et de réduction des atteintes à la protection des espèces protégées par un projet, un « risque suffisamment caractérisé » de destruction de spécimens ou de leurs habitats subsiste, ce projet doit obtenir une dérogation ([8]). En vertu de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, qui transpose l’article 16 de la directive « habitats », cette dérogation peut être accordée sous trois conditions cumulatives :
– aucune autre solution satisfaisante n’existe ;
– la dérogation ne doit pas nuire « au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle » ;
– la dérogation est justifiée par des considérations de santé ou de sécurité publique ou de nature sociale ou économique qui doivent constituer une « raison impérative d’intérêt public majeur » (RIIPM) ([9]).
Dans la plupart des cas, la dérogation espèces protégées, instruite par la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), est accordée par arrêté préfectoral. Pour les projets soumis à autorisation environnementale, celle-ci emporte la dérogation espèces protégées ([10]). Les autorisations environnementales annulées par le TA de Toulouse valaient ainsi à la fois autorisation des installations, ouvrages, travaux et activités (IOTA) au titre de la police de l’eau, enregistrement au titre de la police des installations classées, autorisation de défrichement au titre du code forestier, autorisation au titre du code du patrimoine et dérogation espèces protégés.
L’annulation d’une autorisation environnementale au motif d’une absence de RIIPM n’est pas rare : d’après une étude de la Dreal d’Occitanie portant sur les 125 dérogations espèces protégées qu’elle a accordées entre 2010 et 2020, 56 % ont été annulées et 79 % de ces annulations ont été motivées par une absence de RIIPM ([11]). En revanche, l’annulation, pour défaut de RIIPM, d’un projet aussi avancé et préalablement déclaré d’intérêt public, suscite une forte incompréhension et une colère parmi les élus, la population et les entreprises. Bien qu’une telle annulation ne soit pas inédite ([12]), elle est extrêmement rare à un stade aussi tardif et n’a jamais concerné de projets d’aménagement d’une telle ampleur, a indiqué la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) lors de son audition.
Si les notions d’utilité publique et de RIIPM sont distinctes, la seconde étant « une marche plus élevée à franchir » ([13]), il s’agit de notions voisines, partageant le même fondement, l’intérêt général, évalué à l’aune de critères socio-économiques. Le rapporteur regrette que leur appréciation par des juridictions différentes – respectivement le Conseil d’État et le TA de Toulouse – ait abouti à des solutions si différentes. Que le juge administratif ait pu annuler l’autorisation environnementale près de quatre ans après que le Conseil d’État a rejeté les recours formés contre la déclaration d’utilité publique et alors que les travaux étaient pratiquement achevés semble difficilement compréhensible.
Pour apprécier la RIIPM, le juge administratif analyse si « la réalisation d’un projet est d’une importance telle qu’il puisse être mis en balance avec l’objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvage poursuivi par la législation, justifiant ainsi qu’il y soit dérogé » ([14]) : c’est bien l’importance du projet qui est appréciée, indépendamment de ses effets sur les espèces protégées. Le TA de Toulouse s’est livré à une véritable appréciation de l’opportunité du projet de liaison autoroutière.
Si ce raisonnement n’est pas étonnant au vu de la jurisprudence précitée, il dénote un flou juridique et un manque de précision de la loi quant aux critères de reconnaissance de la RIIPM, dont le rapporteur appelle le législateur à se saisir. De plus, l’appréciation du TA de Toulouse sur l’opportunité du projet a surpris la doctrine par le revirement, « voire la contradiction du tout au tout » ([15]) avec le raisonnement et les conclusions aussi bien du Conseil d’État dans ses décisions validant la déclaration d’utilité publique du projet que du juge des référés du même TA de Toulouse dans son ordonnance d’août 2023, qui n’avait pas accédé aux requêtes visant à suspendre les autorisations environnementales ([16]).
En outre, si la RIIPM est une notion de droit de l’Union européenne (UE), sa formulation est une disposition « balai » ([17]), entendant laisser une grande liberté aux États membres dans la définition de ses critères. En effet, comme dispose l’article 3 de la directive habitats, « les mesures prises en vertu de la présente directive tiennent compte des exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que des particularités régionales et locales. »
La Commission européenne, dans sa communication relative à l’interprétation des dérogations espèces protégées, précise que la RIIPM doit répondre à un intérêt public – et non (exclusivement) privé – et que le caractère majeur implique que l’intérêt en cause soit de long terme ([18]). Ces deux conditions sont parfaitement remplies dans le cas d’un projet autoroutier.
La jurisprudence relative à la RIIPM est toutefois récente et peu fournie, au point que la Cour de justice de l’UE (CJUE) ne s’est jamais prononcée sur la RIIPM comme critère de dérogation « espèces protégées » ([19]) et que la jurisprudence du Conseil d’État n’a pas fixé de critères déterminants pour définir la RIIPM ([20]). Ainsi, d’importantes divergences d’interprétation subsistent entre les tribunaux quant à sa portée exacte. Les fondements légaux et jurisprudentiels du jugement du TA de Toulouse sont donc assez peu nombreux et le juge s’est prononcé sur des critères (de reconnaissance de la RIIPM) infralégislatifs.
Le législateur n’est pas tenu ni par les mêmes critères que l’administration puisqu’il a lui-même défini ces critères, ni par les mêmes critères que le juge, qui interprète les lois qu’il a adoptées, comme souligné lors de son audition par M. Bertrand Mathieu, professeur de droit et ancien président de l’association française de droit constitutionnel. Par ailleurs, il appartient au législateur de concilier la protection de l’environnement et le développement économique territorial. Les considérations d’intérêt général qu’il peut prendre en compte sont nécessairement plus larges que celles que l’administration ou le juge administratif retiennent. Le législateur est donc dans son rôle en reconnaissant au projet de liaison autoroutière Castres-Toulouse la raison impérative d’intérêt public majeur, notion par ailleurs législative, qu’il lui revient donc de définir, même si ce n’est pas de manière générale et personnelle.
L’État a interjeté appel de la décision du tribunal administratif devant la CAA de Toulouse. Dans l’attente, le projet a été suspendu, à l’exception des opérations de mise en sécurité du chantier.
Cet arrêt du chantier entraîne des conséquences fortement dommageables en raison de son stade particulièrement tardif.
Premièrement, compte tenu du calendrier prévisionnel de mise en service des concessions à la fin de l’année 2025, l’annulation des autorisations environnementales intervient alors que les travaux sont déjà largement avancés. Selon le concessionnaire Atosca, la quasi-totalité des travaux de déboisement a été réalisée, de même que 54 % des volumes de terrassement et 70 % des ouvrages d’art pour l’A69. Sur l’A680, les travaux sont réalisés à environ 80 % selon ASF.
L’arrêt des travaux engendre d’ores et déjà un coût considérable, aussi bien pour les finances publiques qu’en conséquences socio-économiques pour le territoire :
– démobilisation des entreprises concernées directement par le chantier : près de 5 millions d’euros directs car le seul chantier de l’A69 mobilisait pas moins de 350 machines (seules 25 sont encore sur place) et 67 contrats de sous-traitance. ASF a par ailleurs chiffré à 4 millions d’euros par mois les coûts d’immobilisation du matériel et du personnel pour le seul tronçon de l’A680 ;
– 1 300 emplois directs disparus (940 sur le chantier de l’A69 et 400 sur les travaux de l’A680). L’arrêt du chantier implique ainsi la rupture de centaines de contrats d’intérimaires ;
– sécurisation du chantier : 190 000 euros par jour pour l’A69, ASF n’ayant pas fourni d’information chiffrée concernant la sécurisation de l’A680 ;
– sécurisation des ouvrages en construction : près de 2 millions d’euros ;
– mesures environnementales : près de 50 000 euros par jour.
Ainsi, une interruption du chantier d’un an – soit la durée de jugement moyenne en appel – entraînerait un surcoût d’au moins 130 millions d’euros. En l’absence d’adoption de cette proposition de loi de validation et si la CAA de Toulouse n’accédait pas aux requêtes de l’État au fond, les coûts de sécurisation des chantiers s’élèveraient à près de 100 millions d’euros en attendant une décision potentielle du Conseil d’État si l’État se pourvoyait en cassation puis, éventuellement, jusqu’à 130 millions d’euros supplémentaires pour un hypothétique renvoi au fond à la CAA de Toulouse. La suspension du chantier, en l’absence d’adoption de la présente proposition de loi, pourrait ainsi coûter jusqu’à 400 millions d’euros, auxquels se grefferaient les coûts de remise en chantier, de réembauche des salariés, de remobilisation des machines, etc.
En outre, comme relevé par les élus auditionnés par le rapporteur, l’arrêt aussi tardif du projet a figé les travaux dans leur état – provisoire – au jour du jugement annulant les autorisations environnementales. Ce blocage entraîne d’autres blocages en cascade : gel de projets d’aménagements prévus par les collectivités territoriales pour profiter des opportunités offertes par l’autoroute ; blocage de villages, en particulier Saint-Germain-des-Prés, coupés en deux par des travaux inachevés qui obstruent l’accès à des habitations, et dont les commerces périclitent, etc.
De plus, au vu de leur avancée, les travaux ont déjà engendré des effets écologiques irréversibles ou difficilement réversibles sur les habitats naturels – qui, par ailleurs, n’abritent aucune espèce remarquable – la décision du tribunal administratif n’emportant pratiquement aucun bénéfice environnemental. Elle risque même d’être contre-productive car l’invalidation de l’autorisation environnementale pourrait compromettre la mise en œuvre des mesures de compensation environnementale. L’arrêt du chantier entraîne également des fragilités environnementales certaines, notamment en cas de pluies torrentielles, les aménagements de réduction des risques d’inondation n’ayant pas été finalisés.
Enfin, l’A680 existant déjà et étant empruntée par des automobilistes, cette partie du chantier est particulièrement sensible sur le plan de la sécurité.
Le 28 mai 2025, la CAA de Toulouse a prononcé le sursis à l’exécution des jugements du TA de Toulouse au motif que « le moyen tenant à l’existence d’une RIIPM pour la réalisation du projet de liaison autoroutière Castres-Toulouse est, en l’état de l’instruction, sérieux et de nature à justifier l’annulation des jugements (…) du tribunal administratif de Toulouse » ([21]).
III. Un projet essentiel pour la région qui constitue un impératif d’intérêt public majeur
Le bassin de vie de Castres-Mazamet (32 000 emplois et 82 000 habitants) est la seule agglomération située à moins de 100 kilomètres de Toulouse dont le temps de trajet pour la métropole est supérieur à une heure. Elle reste, de ce fait, à l’écart des grands équipements du pôle toulousain.
Castres est la plus grande agglomération de France sans autoroute (hors Bretagne) après Cherbourg-en-Cotentin. Elle ne dispose pas non plus de gare de trains à grande vitesse (TGV). Il faut depuis Castres 1 heure et 15 minutes pour rejoindre Toulouse via la RN126 lorsque les conditions de trafic sont fluides et jusqu’à 2 heures en heure de pointe.
Ces importantes durées entraînent également des conséquences en matière de sécurité civile et de gestion des secours. Le conseil départemental a notamment indiqué lors de son audition que le service départemental d’incendie et de secours (Sdis) du Tarn transporte environ 300 victimes chaque année vers les hôpitaux toulousains. Le gain de 23 à 29 minutes (hors heures de pointe) apporté par l’autoroute – sans compter les dépassements de vitesse – pourrait s’avérer vital dans de nombreuses situations. Plusieurs dizaines de vies dans la balance chaque année constituent indubitablement, en sus de tous les arguments économiques et budgétaires, une raison impérative d’intérêt public majeur. À ces interventions d’urgence s’ajoutent les quelque 70 000 à 75 000 personnes transportées chaque année depuis le sud du Tarn vers les hôpitaux toulousains par l’association des transports sanitaires d’urgence du Tarn (Atsu 81). Ces personnes, en situation de nécessité, supportent très mal ce trajet long et difficile : près de quatre heures aller‑retour dans la journée pour faire une séance de chimiothérapie par exemple. Il a ainsi été indiqué au rapporteur que de nombreuses personnes, face à l’épuisement lié à ces trajets, préféraient arrêter leurs soins.
Le TA de Toulouse, reconnaissant l’enclavement routier du bassin de Castres-Mazamet, le relativise en affirmant « qu’il bénéficie d’un aéroport national ainsi que d’une gare offrant un service de liaisons quotidiennes avec la métropole toulousaine ». Le rapporteur tient à rappeler la réalité de l’isolement du sud du Tarn. D’une part, la durée du trajet Castres-Toulouse en train express régional (TER) est d’1 heure et 10 minutes, soit un trajet aussi long que par la RN126. La liaison ferroviaire de Mazamet à Toulouse prend, elle, en moyenne 1 heure et 45 minutes. En plus de n’être empruntée que par des TER, cette liaison ferroviaire n’est pas adaptée au transport de marchandises compte tenu de ses limites capacitaires (la voie n’est pas doublée) et ne permet pas – sauf sur de rares portions – les croisements de trains. Comme l’a indiqué la région Occitanie lors de son audition, le doublement de la voie, étudié comme alternative à la construction de l’A69, est inenvisageable pour des raisons budgétaires, son coût s’élevant à plusieurs milliards d’euros.
D’autre part, l’aéroport de Castres-Mazamet a connu 1 100 mouvements commerciaux en 2024, soit deux allers-retours par jour, uniquement vers Paris‑Orly ; avec moins de 30 passagers en moyenne par vol ([22]) et à 65 % pour de l’aviation d’affaires. Il ne contribue donc que marginalement au désenclavement de Castres et aucunement pour des trajets du quotidien. Surtout, le maintien de cette ligne coût extrêmement cher : 1,4 million d’euros par an pour l’État et 1,2 million d’euros par an pour la région, le département et la communauté d’agglomération, soit 5 millions d’euros d’argent public par an. Or l’A69 permettra de relier plus rapidement le sud du Tarn à l’aéroport Toulouse-Blagnac et donc d’envisager la fin de la subvention de cet aéroport, comme l’a confié le maire de Castres lors de son audition.
Actuellement, l’axe routier Castres-Toulouse, la RN126, est une 2x1 voie bordée de platanes, sans séparateur central, ponctuée de nombreux ronds-points et traversées de bourgs. Elle est en outre fréquentée par de nombreux poids lourds (un toutes les sept secondes en moyenne) et les usagers ne bénéficient que de peu de créneaux de dépassement. 11 morts et 120 blessés, dont 65 hospitalisés, sont à déplorer de 2010 à 2020 sur cette route.
Bien qu’il reconnaisse qu’en moyenne, trois fois moins d’accidents sont recensés sur les autoroutes que sur le reste du réseau routier, le TA de Toulouse réfute l’argument de la sécurité publique pour reconnaître la RIIPM du projet, en l’absence de données précises permettant de constater un fort taux d’accidents.
En outre, d’après l’analyse du tribunal, du fait du « prix élevé » du péage de 16 euros aller-retour hors abonnement, l’autoroute devrait avoir une fréquentation anormalement faible et pourrait même conduire à une hausse de l’accidentalité sur la RN126 au motif que les poids lourds n’utiliseraient pas la liaison autoroutière. Là encore, le rapporteur tient à rappeler plusieurs éléments :
– premièrement, plusieurs maires de communes ([23]) traversées par la RN126 ont pris ou s’apprêtent à prendre des arrêtés contre les poids lourds, sauf desserte locale, et les camions n’auront donc pas d’autre option que d’utiliser l’autoroute ;
– deuxièmement, le prix du péage a fait l’objet d’un accord avec le concessionnaire afin de le réduire de 33 % entre Villeneuve-lès-Lavaur et Soual, ce qui devrait augmenter de 1 000 passagers par jour la fréquentation de l’A69 ;
– troisièmement, l’autoroute représente un gain extrêmement sensible pour les transporteurs routiers. Le président du syndicat des transporteurs routiers du Tarn a garanti au rapporteur lors de son audition que la rationalité économique conduirait les poids lourds à se reporter massivement vers l’autoroute. Premier argument, le temps de trajet moyen pour rallier Toulouse depuis Castres, supérieur d’une heure aller-retour par rapport à l’aller-retour depuis Albi, pèse sur la compétitivité des transporteurs du sud du Tarn : doivent être pris en compte les coûts directs (temps de conduite) mais aussi les coûts annexes de repas et d’hôtellerie des transporteurs pris en charge par leur employeur pour respecter la réglementation européenne sur les heures de conduite. Deuxième argument, emprunter l’autoroute permet d’économiser d’importants frais annexes comme le carburant ou l’usure des pneus et des disques ;
– quatrièmement, comme précisé par le président du Medef du Tarn lors de son audition, le coût aller-retour du péage (16 euros), même hors abonnement et même avant réduction de 33 %, est inférieur à la valorisation économique du gain de temps (40 minutes à une heure) réalisé sur le temps de travail du salarié ;
– quatrièmement, l’aller-retour en train Castres-Toulouse coûte 34,60 euros, soit plus du double du prix du péage de l’A69 hors abonnement. Le rapporteur trouve donc curieux le raisonnement du tribunal administratif consistant à rejeter l’A69 au double motif qu’elle serait trop chère tandis que le train constituerait une alternative, alors même que cette alternative est deux fois plus onéreuse pour ses usagers.
Ainsi, aucun argument tendant à rejeter la RIIPM au prétexte que les poids lourds se détourneraient de l’A69 ne résiste à une étude sérieuse des faits. D’après les analyses de la préfecture du Tarn, entre 85 % et 90 % du trafic de poids lourds devrait se reporter sur l’autoroute.
La dynamique démographique baissière du bassin de vie de Castres-Mazamet s’inscrit en contraste de celle d’agglomérations comparables, reliées à Toulouse par le réseau autoroutier, en particulier la communauté d’agglomération de l’Albigeois. La CCI du Tarn l’a étayé dans son étude socio-économique de mars 2025 intitulée « Évolution de Castres-Mazamet comparativement à 10 autres agglomérations reliées à la métropole toulousaine par un axe autoroutier ».
En effet, alors que la communauté d’agglomération de Castres-Mazamet était, parmi les onze agglomérations étudiées ([24]), la deuxième plus peuplée jusqu’en 1982, elle a perdu trois places, dépassée par Agen (en 1990), Albi (en 2009) et Montauban (en 2020). C’est même la seule agglomération à connaître une baisse démographique au cours de la période, ainsi qu’illustré dans le graphique ci‑dessous. Le TA de Toulouse, dans son jugement, balaie ces arguments au motif que la période 2014-2019 a vu une hausse de la population du bassin – alors pourtant que cette légère hausse est notamment due au gain d’attractivité lié à la perspective de l’autoroute et aux investissements des entreprises par anticipation. Surtout, une autoroute est un investissement de long terme (c’est d’ailleurs une des conditions pour que l’intérêt public soit majeur) et une telle vision étroite de l’évolution conjoncturelle de la démographie de Castres sur cinq ans ne rend pas fidèlement compte de la situation structurelle.
Tandis que la population de l’agglomération de Montauban a crû de 28 % entre 1990 et 2021, celle de Gaillac-Graulhet de 34 % et celle d’Albi de 16 %, l’agglomération de Castres-Mazamet a vu sa population chuter de 4,6 %.
L’étude susmentionnée de la CCI du Tarn dresse plusieurs constats :
– l’évolution des revenus des foyers fiscaux et la part des foyers fiscaux imposés montrent que les niveaux de revenus du bassin s’inscrivent dans les tendances générales mais se situent à des niveaux en deçà des moyennes française, régionale et tarnaise, témoignant de la pauvreté relative du bassin, dont le revenu médian est très bas, à 20 820 euros, soit 9 % de moins que celui du Grand Albigeois ;
– le bassin du sud du Tarn a connu une transformation économique marquée par un déclin industriel. La perte d’emplois industriels a conduit à une augmentation du chômage et à une précarisation de l’emploi, notamment au développement de l’intérim, qui nécessite des infrastructures de transport de qualité pour rejoindre des emplois parfois éloignés du domicile ;
– le taux de difficultés de recrutement est élevé, proche de 50 % ;
– malgré une augmentation du nombre de demandes d’emplois, le nombre d’emplois stagne dans le sud du Tarn (+1 % entre 2010 et 2021), alors qu’il est en augmentation dans les bassins d’emplois voisins : +14 % à Montauban, +7 % à Gaillac – Graulhet, +6 % à Albi.
La réorganisation du site du laboratoire américain Cepheid à Maurens-Scopont, ayant conduit à la suppression de 250 emplois, témoigne que les difficultés rencontrées par les entreprises locales pèsent fortement sur la survie économique et donc sociale du département. Le TA de Toulouse n’a pas retenu ces difficultés comme suffisantes pour constituer une raison impérative d’intérêt public majeur. Il s’est appuyé sur les données de l’institut national de la statistique et des études économiques (Insee) pour montrer que le sud du Tarn ne décroche pas véritablement économiquement par rapport aux agglomérations comparables de la région. Pourtant, d’après les données de France Travail, l’emploi est, depuis des années, moins dynamique dans le bassin de Castres-Mazamet que dans le reste du département : -0,6 % d’emploi en 2023 (contre -0,1 % pour l’ensemble du département), -0,6 % en 2022 (contre une stabilisation pour l’ensemble du département) et une reprise plus faible en sortie de crise sanitaire que dans le reste du Tarn en 2021 (+3,6 % contre +4,4 %).
L’analyse du TA de Toulouse n’aboutit pas à la conclusion que ce projet autoroutier est néfaste pour l’environnement mais qu’il est inutile de relier Castres à Toulouse par une autoroute. Ainsi, d’après cette analyse, Castres ne méritera jamais d’avoir une autoroute, à moins de devenir très sensiblement plus pauvre que ses voisines, soit après la catastrophe économique. Comme l’a observé lors de son audition M. Guy Bousquet, président de l’association Via 81, « on est en train d’opposer nos territoires ruraux à nos métropoles alors que Toulouse artificialise une A69 par an ». Cette décision conduit à un territoire à deux vitesses.
Par ailleurs, le jugement ne se fonde que sur des éléments passés ou, à la rigueur, présents. Or le développement économique doit être pensé en se projetant dans l’avenir. Une telle infrastructure n’est pas uniquement justifiée par le retard économique du territoire castrais mais par ce qu’elle lui apporterait et par le retard économique qu’elle éviterait. Là réside la RIIPM que reconnaît la présente proposition de loi. Cette vision est d’ailleurs partagée par la Commission européenne, qui indique que la reconnaissance de la RIIPM « n’exige pas la survenance de dommages comme préalable à l’adoption des mesures dérogatoires » ([25]).
Un éventuel abandon de la liaison autoroutière risque d’être fatal à l’économie locale. Alors que les entreprises locales ont déjà investi près de 90 millions d’euros en anticipant les retombées de l’autoroute et que les collectivités territoriales ont également participé à plus de 50 millions d’euros, les acteurs économiques auditionnés par le rapporteur lui ont tous fait part d’annulations d’investissements liées à l’arrêt du chantier. Le bassin du sud du Tarn ne se relèverait pas des pertes nettes liées à son abandon.
COMMENTAIRE de l’article unique
Adopté par la commission avec modifications
Cet article entend valider les arrêtés préfectoraux portant autorisation environnementale du projet de liaison autoroutière de Castres à Toulouse – portant, l’un, sur la construction d’une autoroute A69 entre Castres et Verfeil, l’autre, sur l’élargissement à 2x2 voies de l’autoroute A680 entre Castelmaurou et Verfeil – en tant qu’ils reconnaissent une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM). Ces arrêtés ont été annulés pour défaut de RIIPM par le TA de Toulouse le 27 février 2025.
La présente proposition de loi, composée d’un article unique, est une proposition de loi de validation.
Les lois de validation peuvent être définies comme « des lois qui ont pour objet soit de remettre rétroactivement en vigueur un acte juridique annulé ou déclaré illégal par un juge, soit de prévenir cette annulation ou déclaration d’illégalité en lui donnant rétroactivement une valeur légale, ou en changeant la ou les règles de droit qui lui servent de fondement et que le juge a pour mission d’appliquer. » ([26])
En l’espèce, la proposition de loi entend valider les deux actes administratifs annulés par le tribunal administratif de Toulouse :
– l’arrêté interdépartemental des préfets de la Haute-Garonne et du Tarn du 1er mars 2023 portant autorisation environnementale de l’autoroute A69 Verfeil-Castres ;
– l’arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 2 mars 2023 portant autorisation environnementale de mise à 2x2 voies de l’autoroute A680 entre Castelmaurou et Verfeil.
D’après M. Bertrand Mathieu, les lois de validation interviennent « pour éviter le désordre juridique qui résulterait de la sanction juridictionnelle de l’activité administrative, alors que l’administration se trouve dans l’impossibilité de résoudre elle-même les problèmes donnés » ([27]). C’est précisément le cas des conséquences du jugement du TA de Toulouse que seul le législateur – et non l’administration – pourrait éviter. En effet, conformément à la jurisprudence du Conseil d’État ([28]), l’économie générale du projet autoroutier étant remise en cause par le jugement, « l’illégalité retenue n’est pas susceptible d’être régularisée par une autorisation (environnementale) modificative (par l’administration) ».
Le rapporteur a, avec son collègue député du Tarn M. Philippe Bonnecarrère, déposé une proposition de loi à l’Assemblée nationale le 1er avril 2025. ([29]) Les sénateurs M. Philippe Folliot et Mme Marie-Lise Housseau ont déposé une proposition de loi identique le 18 mars 2025. Examinée le 7 mai 2025 en commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, celle-ci a été adoptée en séance le 15 mai 2025, puis transmise à l’Assemblée nationale. Le texte initial a seulement été modifié par l’amendement n° 4 du rapporteur, M. Franck Dhersin, qui a renforcé la sécurité juridique de la proposition de loi en ajoutant au début de l’article unique la formule d’usage dans les lois de validation ([30]) : « Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée ». En effet, d’après le commentaire du Conseil constitutionnel sur la décision sur la loi de programmation pour la cohésion sociale de 2005, « la validation doit (...) exclure expressément de son champ d’application les décisions de justice passées en force de chose jugée » ([31]).
Le rapporteur tient à rappeler que, s’il conteste la motivation du jugement du TA de Toulouse et qu’il en déplore les effets, il respecte cette décision et est fortement attaché à l’indépendance de la justice, y compris administrative. La présente proposition de loi constitue un dispositif conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui a d’ailleurs reconnu l’indépendance de la justice administrative à l’occasion de sa décision de principe du 22 juillet 1980 sur la validation d’actes administratifs ([32]).
De plus, le législateur ne se substitue pas au juge qui s’est prononcé sur l’appréciation de la RIIPM par l’administration. Or, la RIIPM étant une notion d’ordre législatif, le législateur soustrairait son appréciation à celle de l’administration – et non à celle du juge. Il ne remettrait nullement en cause le raisonnement du juge, qui porte sur une appréciation portée par l’administration. En reconnaissant la RIIPM à la liaison autoroutière Castres-Toulouse, le législateur opère une « conciliation entre la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social », sa mission au titre de l’article 6 de la Charte de l’environnement de 2004.
En principe, comme le prévoit l’article 2 du code civil, « la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ». Ce principe n’a toutefois qu’une valeur législative, le Conseil constitutionnel ne reconnaissant pas de principe de non-rétroactivité de la loi qui, « sauf en matière pénale, peut comporter des dispositions rétroactives » ([33]). Dans cette décision de principe du 22 juillet 1980, le Conseil constitutionnel a ainsi reconnu au législateur la faculté de valider rétroactivement des actes administratifs.
En outre, bien que la présente proposition de loi valide deux actes individuels, ce qui semble ressortir de la compétence du pouvoir réglementaire – la loi ayant en théorie un caractère général et impersonnel – elle est parfaitement conforme à la Constitution. En effet, « les actes individuels n’étant pas de nature réglementaire, (ils) n’entrent pas dans le champ d’application des articles 34 et 37 de la Constitution sur la répartition des compétences entre la loi et le règlement » ([34]). Par conséquent, si les décisions individuelles d’application de la loi ressortent de la compétence de l’exécutif au titre de sa fonction d’application des lois ([35]), le législateur est compétent pour prendre des décisions individuelles initiales – à l’exception de celles que la Constitution attribue spécifiquement au Président de la République et au Premier ministre ([36]). Partant, la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne fait pas obstacle à des validations législatives d’actes individuels, y compris de nomination : a même été jugée conforme à la Constitution une loi organique de validation de nomination de magistrats – plus précisément d’auditeurs de justice ([37]).
D’ailleurs cette faculté, dont le législateur use fréquemment, est expressément prévue à l’article L. 221-4 du code des relations entre le public et l’administration qui dispose que la loi peut donner un effet rétroactif à une décision administrative.
La faculté du législateur de valider des actes administratifs – ou privés – est toutefois encadrée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel car elle porte atteinte aux principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et de garantie des droits proclamés à l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC). La décision du 22 juillet 1980 fixait trois critères pour juger de la constitutionnalité des lois de validation : existence d’un motif d’intérêt général, non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère et respect des décisions de justice définitives. Après avoir évolué sous l’influence, notamment, de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), le Conseil constitutionnel a renforcé son contrôle des lois de validation et, dans une décision de principe de 2014 ([38]), dégagé cinq conditions pour en apprécier la conformité à la Constitution : respecter les décisions de justice ayant force de chose jugée, ne pas porter atteinte au principe de non‑rétroactivité des peines et sanctions, justifier l’atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification ou de cette validation par un « motif impérieux d’intérêt général », que l’acte faisant l’objet de la validation ne méconnaisse aucune disposition constitutionnelle et, enfin, strictement définir la portée de la validation.
Le Conseil constitutionnel n’a, en revanche, pas posé de critère relatif à la nature de l’acte validé ni aux motifs d’annulation par le juge en premier ressort (vices de forme, de procédure de l’acte validé ou de sa base juridique, illégalité interne de l’acte validé ou de sa base juridique).
Le rapporteur a tenu à détailler le respect par la proposition de loi de chacun des cinq critères dégagés par le Conseil constitutionnel.
En vertu de l’article 16 de la DDHC, le législateur ne peut censurer les décisions des juridictions et remettre en vigueur un acte qu’elles auraient annulé de manière définitive ([39]).
La loi pouvant modifier de manière rétroactive une règle de droit comme reconnu par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 22 juillet 1980, elle peut donc modifier les règles de droit sur la base desquelles ont été prises des décisions administratives faisant l’objet de recours contentieux ([40]) tant qu’aucune décision définitive (c’est-à-dire ayant force de chose jugée) n’a été rendue.
Les jugements rendus en premier ressort sont dotés dès leur prononcé de l’autorité de la chose jugée mais celle-ci est distincte de la force de chose jugée qu’ils n’obtiennent que pour autant qu’ils acquièrent un caractère définitif du fait soit de l’expiration du délai d’appel, soit du rejet de l’appel dont ils ont fait l’objet ([41]). Plus succinctement, le code de procédure civile énonce qu’« a force de chose jugée le jugement qui n’est susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution » ([42]).
La présente proposition de loi est donc conforme au premier critère fixé par le Conseil constitutionnel. Si elle souhaite revenir sur les conséquences d’un jugement du TA de Toulouse, celui-ci n’est pas définitif puisque l’État a interjeté appel.
La circonstance que la validation administrative d’un acte survienne à la suite d’une annulation de cet acte en premier ressort est donc sans effet sur sa constitutionnalité : le législateur ne fait que modifier le cadre juridique et la base légale sur le fondement de laquelle se prononcera la CAA en appel afin de conduire à un non-lieu à statuer ([43]) sur les moyens tirés de l’absence de RIIPM du projet de liaison autoroutière. Comme le rappelle le rapport du sénateur M. Franck Dhersin sur la présente proposition de loi, le Conseil constitutionnel s’est ainsi prononcé sur un cas similaire d’un article de loi visant « à valider des actes relatifs aux travaux de réalisation des tramways de Strasbourg prévus par la DUP du projet, alors que le tribunal administratif avait annulé l’arrêté déclarant le projet d’utilité publique. S’il a censuré la validation, cette censure ne s’est pas fondée sur le fait que la DUP avait été annulée en première instance par le juge administratif ni sur celui qu’une procédure juridictionnelle était en cours devant le juge d’appel, mais sur l’absence d’un intérêt général suffisant justifiant la disposition de validation législative. » L’État peut donc intervenir pour valider des actes législatifs ayant fait l’objet d’un recours à la date d’adoption de la loi « à la condition de ménager un juste équilibre entre l’atteinte portée (au droit de propriété et au droit au procès équitable) et les motifs impérieux d’intérêt général susceptibles de la justifier » ([44]).
En revanche, cette proposition de loi deviendrait inopérante si les autorisations environnementales avaient été annulées par la CAA de Toulouse et que cet arrêt faisait l’objet d’un pourvoi devant le Conseil d’État puisque « la décision d’une juridiction qui a statué en dernier ressort présente, même si elle peut faire l’objet ou est effectivement l’objet d’un pourvoi en cassation, le caractère d’une décision passée en force de chose jugée » ([45]).
La disposition de validation étant dénuée de lien avec la matière pénale ou répressive, cette exigence est remplie sans qu’il soit besoin de plus élaborer.
La décision du 22 juillet 1980 du Conseil constitutionnel exigeait simplement que la validation législative fût justifiée par une « raison d’intérêt général » suffisante.
À l’inverse, la CEDH a, dans un premier temps, considéré qu’une loi de validation violait le droit au procès équitable ([46]) en constituant une intervention décisive de l’État pour orienter en sa faveur l’issue – imminente – d’une instance à laquelle il est partie ([47]). Sa jurisprudence a rapidement évolué pour admettre les validations législatives reposant sur d’« impérieux motifs d’intérêt général » ([48]).
Cette exigence européenne plus élevée que les « raisons d’intérêt général suffisantes » a conduit la CEDH à condamner la France ([49]) du fait d’une loi de validation pourtant validée par le Conseil constitutionnel ([50]). De plus, le juge administratif connaissant de la conventionnalité de la loi de validation, et notamment de sa conformité à l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, la violation de cet article a pu ultérieurement conduire le Conseil d’État à écarter l’application d’une loi de validation, dont l’adoption a ainsi été privée d’effets ([51]).
Le Conseil constitutionnel a fini, dans sa décision du 14 février 2014 précitée, par effectuer un rapprochement sémantique avec la CEDH dont il a repris la terminologie de « motifs impérieux d’intérêt général », rendant pratiquement caduc le risque d’une non-application de la loi de validation par le juge administratif pour inconventionnalité.
La détermination du vocabulaire pertinent peut sembler accessoire mais est en réalité centrale dans l’appréciation de la constitutionnalité de la loi de validation, que le Conseil constitutionnel soumet à un contrôle de proportionnalité in concreto ([52]). En conséquence, comme le souligne le commentaire d’une question prioritaire de constitutionnalité de 2021 relative à une loi de validation ([53]), « la condition déterminante du respect des exigences de l’article 16 (de la DDHC) réside, le plus souvent, dans le caractère « impérieux » du motif d’intérêt général justifiant la rétroactivité ».
Le commentaire d’une décision sur une question prioritaire de constitutionnalité de 2019, reprenant une formulation constante depuis le commentaire sur la loi de programmation pour la cohésion sociale de 2005 ([54]), précise que « le Conseil constitutionnel reconnaît qu’un motif financier peut constituer, à lui seul, un « motif impérieux d’intérêt général ». Toutefois, il exige que les enjeux financiers soient suffisamment importants pour mettre en péril un intérêt public. Une simple convenance budgétaire ne remplit pas cette condition. » Le Conseil constitutionnel rejette ainsi la validation d’actes administratifs justifiée par un motif financier faible, afin d’éviter un contentieux qui risquerait de devenir foisonnant. Ce raisonnement est fondé sur le constat qu’au travers de validations fondées sur de faibles montants, faisant généralement suite à des contentieux fiscaux, « l’État cherche à récupérer des sommes que les jugements des tribunaux lui suppriment » ([55]). Ce n’est pas le cas de la présente proposition de loi puisque le désordre financier – majeur – auquel elle entend mettre fin résulte de la décision juridictionnelle et non de l’action de l’État.
Si le Conseil constitutionnel n’a pas déterminé de seuil précis à partir duquel les conséquences financières sont d’une ampleur telle qu’elles suffisent à fonder l’impériosité du motif d’intérêt général justifiant le recours à une loi de validation, sa jurisprudence semble fixer un point de basculement à quelques centaines de millions – à condition que le coût soit « établi » ([56]) – comme l’indique le tableau ci‑après :
Décision du Conseil constitutionnel |
Conséquences financières qu’entend prévenir la validation législative |
Motif impérieux d’intérêt général constitué par un motif financier seul |
Nature de l’acte validé |
Décision n° 2014-695 DC du 24 juillet 2014 |
10 à 17 milliards d’euros |
OUI |
Contrats et avenants aux contrats |
Décision n° 2019-776 QPC du 19 avril 2019 |
Entre quelques centaines de millions et quelques milliards d’euros |
OUI |
Conventions d’accès aux réseaux d’électricité |
Décision n° 2017-644 QPC du 21 juillet 2017 |
Entre 901 millions et 2 milliards d’euros |
OUI (un second motif d’intérêt général fondait, à titre subsidiaire, l’impériosité) |
Arrêtés préfectoraux |
Décision n° 97-393 DC du 18 décembre 1997 (considérants 19 à 25) |
457 millions d’euros (3 milliards de francs) |
OUI (raison suffisante d’intérêt général ; l’impériosité ne constituait pas alors une exigence constitutionnelle) |
Décrets |
Décision n° 2013-366 QPC du 14 février 2014 |
286 millions d’euros |
OUI (d’autres motifs d’intérêt général fondaient, à titre subsidiaire, l’impériosité) |
Délibérations de syndicats mixtes |
Décision n° 2003-486 DC du 11 décembre 2003 |
125 millions d’euros |
NON |
Actions de recouvrement de prélèvements sociaux |
Décision n° 97-393 DC du 18 décembre 1997 (considérants 47 à 52) |
101 millions d’euros (660 millions de francs) |
OUI (raison suffisante d’intérêt général ; l’impériosité ne constituait pas alors une exigence constitutionnelle) |
Arrêtés et circulaires ministériels |
Décision n° 2012-287 QPC du 15 janvier 2013 |
58 millions d’euros |
NON |
Rémunérations pour copie privée |
Décision n° 95-369 DC du 28 décembre 1995 |
18 millions d’euros (117 millions de francs) |
NON |
Titres de perception de redevances |
Au-delà du simple coût de la construction de la liaison autoroutière pour la puissance publique, le Conseil constitutionnel prend en compte « l’ampleur des conséquences financières qui résultent des solutions retenues par les jugements » ([57]) pour apprécier l’existence de motifs impérieux d’intérêt général, à l’image du juge administratif qui, en appel, prend en compte les « conséquences difficilement réparables » de l’exécution du jugement ([58]).
Aux dépenses publiques engagées pour la construction de la liaison autoroutière (environ 25 millions d’euros plus 20 millions d’euros d’investissement du conseil départemental du Tarn pour aménager le territoire autour de cette future infrastructure) s’ajoute le coût qu’entraînerait l’abandon du chantier :
– l’État serait tenu d’indemniser les concessionnaires à hauteur de leurs dépenses utiles ([59]), c’est-à-dire « les dépenses qu’ils ont engagées conformément au contrat dès lors qu’elles ont été utiles à l’autorité concédante, dont les frais liés au financement mis en place dans le cadre de l’exécution du contrat y compris les coûts pour les concessionnaires afférents aux instruments de financement et résultant de la fin anticipée du contrat » ([60]). Les dépenses utiles déjà engagées par les deux concessionnaires, Atosca et ASF, s’élèvent à près de 400 millions d’euros (300 millions d’euros pour l’A69 et 90 millions d’euros pour l’A680), d’après les réponses au questionnaire du rapporteur ;
– l’obligation de destruction des ouvrages, de renaturation et de restauration des espaces naturels et agricoles ajouterait une dépense d’au moins 250 millions d’euros – et potentiellement jusqu’à 500 millions d’euros – a indiqué le représentant de la DGITM lors de son audition.
Le coût direct de l’abandon du chantier s’élèverait ainsi, pour la puissance publique, au moins entre 600 et 700 millions d’euros mais potentiellement à plus d’un milliard d’euros, se plaçant, dans la jurisprudence rappelée ci-dessus, à un niveau suffisant pour fonder l’impériosité des motifs d’intérêt général. Avec l’entretien et la sécurisation du chantier à l’arrêt, jusqu’à 400 millions d’euros selon la durée de l’interruption, qui devront vraisemblablement être compensés par l’État, le coût total de l’abandon de la liaison autoroutière dépasserait le milliard d’euros pour les finances publiques. Cela sans compter les effets d’un abandon du projet sur l’activité économique ainsi que les investissements connexes réalisés par les collectivités territoriales riveraines (au moins 20 millions d’euros par le conseil départemental), ce qui conduirait en réalité à un coût nettement supérieur au milliard d’euros.
Par ailleurs, tant que le coût de l’abandon du projet de liaison autoroutière est établi, la circonstance qu’il ne soit pas déterminé avec une précision absolue est sans conséquences sur l’existence d’un motif impérieux d’intérêt général constitué par un motif financier à lui seul, comme en témoignent les exemples rappelés dans le tableau ci-dessus. En effet, « l’incertitude quant au montant exact du risque financier global est inhérente à l’existence de procédures juridictionnelles et à l’existence de procédures susceptibles d’être encore introduites » ([61]).
En plus du coût pour les finances publiques, le Conseil constitutionnel prend en compte dans son appréciation de l’impériosité du motif d’intérêt général le coût, aussi bien pour les entreprises concernées par les marchés sur lesquels portent les actes soumis à validation ainsi que les coûts pour les consommateurs ([62]). D’après l’évaluation économique et sociale du projet de liaison autoroutière jointe au dossier préalable à la déclaration d’enquête publique, la valeur actuelle nette socio-économique du projet pour les usagers (gains de temps et de confort desquels sont déduits les coûts d’entretien, de péage et de carburant) s’élève à 337 millions d’euros de 2010, soit 426 millions d’euros actuels. Le Medef, auditionné par le rapporteur, ajoute que les entreprises du sud du Tarn ont déjà investi 47 millions d’euros et engagé 40 millions d’euros supplémentaires par anticipation de la construction de l’autoroute, soit près de 90 millions d’euros d’investissements privés en pure perte si l’autoroute ne voyait pas le jour, sans compter les investissements qui se seraient faits grâce à l’autoroute, après l’achèvement de celle-ci. De plus, d’après des données parues dans la presse, le chiffre d’affaires prévisionnel pour le concessionnaire Atosca s’élèverait à 3,7 milliards d’euros en cinquante ans, autre perte que le Conseil constitutionnel devrait prendre en compte d’après sa jurisprudence Engie ([63]).
Comme évoqué plus haut, les coûts liés à l’arrêt du chantier s’élèveront au moins à 100 millions d’euros et pourraient monter à près de 300 millions d’euros en fonction des solutions des prochaines décisions de justice et de leur célérité.
Si le Conseil constitutionnel estimait que les enjeux financiers n’étaient pas suffisants pour constituer un motif impérieux d’intérêt général à eux seuls, il pourrait énumérer plusieurs arguments, dont l’un d’ordre financier, pour conclure que l’ensemble des motifs constituent un motif impérieux d’intérêt général justifiant la validation législative, comme il a été amené à le faire dans sa jurisprudence récente lorsque les enjeux financiers étaient inférieurs au milliard d’euros ([64]).
En l’espèce, les motifs justifiant la validation des autorisations environnementales – motifs de deux ordres, d’une part fondés sur la nécessité de construire l’autoroute, d’autre part fondés sur la nécessité de limiter les conséquences du jugement – sont nombreux, comme exposé plus haut :
– désenclavement d’un territoire très mal desservi par des infrastructures de transport ;
– développement économique grâce à la dynamisation des fournisseurs de la métropole toulousaine ;
– gain en attractivité pour les familles travaillant à Toulouse, notamment le personnel médical du centre hospitalier intercommunal Castres-Mazamet dont un quart vit à Toulouse et que l’hôpital peine à attirer et à conserver ;
– arrêt d’une gabegie financière consécutive à l’arrêt des travaux ;
– risque de multiplication d’un contentieux indemnitaire ([65]), etc.
Plus largement, le rapporteur souligne que ce projet de liaison autoroutière constitue un choix politique très structurant d’aménagement d’un territoire, en témoignent la mobilisation locale et nationale en faveur ou contre le projet, l’organisation d’une commission d’enquête parlementaire et la discussion de la présente proposition de loi. Or, selon ses propres termes, le Conseil constitutionnel ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement et la mise en balance d’arguments environnementaux, économiques, démographiques ou de sécurité publique relève du pouvoir d’appréciation du Parlement s’il estime que la réalisation de ce projet répond à d’impérieux motifs d’intérêt général. En effet, pour évaluer la réalité de motifs impérieux d’intérêt général, le Conseil constitutionnel examine si le projet est suffisamment important sans évaluer l’opportunité – nécessairement politique – du projet lui-même.
Cette condition signifie en particulier que, de même que la loi de validation elle-même, l’acte validé ne doit méconnaître, à son tour, aucun droit ou liberté constitutionnellement garanti ([66]), le Conseil constitutionnel substituant ici son appréciation de la constitutionnalité d’un acte réglementaire, individuel ou privé à celle du juge, administratif ou judiciaire.
En l’espèce, aucun des requérants ne soulevait, dans sa requête contre les autorisations environnementales devant le TA de Toulouse, de moyen relatif à la conformité des arrêtés préfectoraux à la Constitution, alors même que le contentieux environnemental introduit de plus en plus systématiquement des moyens relatifs à l’irrespect de la Charte de l’environnement. Celle-ci, pas plus que toute autre disposition constitutionnelle, n’est citée ni dans les visas, ni dans le dispositif du jugement. Cette quatrième condition semble donc remplie sans difficulté.
Dans sa décision relative à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 ([67]), le Conseil constitutionnel a ajouté une cinquième condition pour admettre la conformité à la Constitution d’une loi de validation, que la validation soit étroitement circonscrite. Cela implique trois obligations :
– le législateur doit « indiquer le motif précis d’illégalité dont il entendait purger l’acte contesté » ([68]). En l’espèce, la proposition de loi délimite strictement le motif de la validation : les arrêtés préfectoraux portant autorisation environnementale ne sont validés qu’« en tant qu’ils reconnaissent une raison impérative d’intérêt public majeur, au sens du c du 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, au projet de liaison autoroutière entre Castres et Toulouse » ;
– partant, la validation ne peut avoir pour conséquence « d’interdire tout contrôle juridictionnel de l’acte validé quelle que soit l’illégalité invoquée par les requérants ». Cette condition est également remplie par la présente proposition de loi, qui ne fait pas obstacle à ce que tout autre moyen que l’absence de RIIPM soit invoqué devant le juge ;
– enfin, la validation doit être « en adéquation avec l’objectif poursuivi » ([69]), ce qui est bien évidemment le cas de cette proposition de loi dont l’objectif est de permettre l’achèvement de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse, interrompu par le jugement du tribunal administratif.
Le rapporteur renvoie sur ce point aux arrêts de la CAA de Toulouse prononçant le sursis à l’exécution des jugements du TA, « en l’état de l’instruction, les autres moyens développés par les associations et personnes contestant les autorisations environnementales ne paraissaient pas sérieux et de nature à confirmer l’annulation des arrêtés préfectoraux prononcée par le tribunal ».
La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a adopté l’article unique de la proposition de loi, modifié par un amendement CD32 de M. Ian Boucard et Mme Josiane Corneloup. Cet amendement de rédaction globale de l’article unique entend mieux expliciter le respect des conditions de la constitutionnalité de la proposition de loi.
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Au cours de sa réunion du mercredi 21 mai 2025, après-midi, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a examiné la proposition de loi relative à la raison impérative d’intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse (M. Jean Terlier, rapporteur).
M. Jean Terlier, rapporteur. Je vous remercie de m’accueillir au sein de votre commission pour parler, une fois n’est pas coutume, d’autoroute – mais pas uniquement. Au fond, l’histoire des autoroutes A69 et A680, c’est l’histoire de l’aménagement d’un territoire rural, celui du sud du Tarn.
L’agglomération de Castres-Mazamet, qui compte un peu moins de 100 000 habitants, est la seule en France à n’être desservie ni par une autoroute, ni par un aéroport international, ni par le TGV. Du fait de son enclavement, ce territoire fait face à des problèmes importants : déprise démographique, manque d’attractivité, difficultés sans doute plus grandes qu’ailleurs à faire venir des médecins et des ingénieurs.
Guy Bousquet, président de l’association Via81, explique que ce n’est pas par coquetterie qu’il milite de longue date pour l’arrivée de l’autoroute, ni parce qu’elle permettrait d’aller à la mer ou au ski, mais parce qu’elle est nécessaire aux habitants pour se déplacer, travailler, se faire soigner et vivre normalement. Cela fait maintenant trente ans que les habitants cherchent à désenclaver leur territoire. Plusieurs solutions ont été envisagées, notamment la mise à deux fois deux voies de la route, qui serait restée gratuite. Malheureusement, le contrat de plan État-région (CPER) laissait penser que nous n’aurions pas d’autoroute avant 2060 et qu’il fallait trouver une autre solution. Un choix a été fait en 2010, dont nous avons tous la responsabilité : celui d’une concession autoroutière. Ce choix est celui des habitants du sud du Tarn. D’après un récent sondage, 75 % d’entre eux souhaitent le désenclavement de leur territoire grâce à l’arrivée de cette infrastructure.
Le choix des habitants a toujours été défendu et continue de l’être par l’ensemble des élus du territoire. Pascal Bugis, maire divers droite de Castres et président de l’agglomération Castres-Mazamet, l’a toujours soutenu dans ses programmes électoraux ; c’est aussi le cas du président socialiste du conseil départemental, Christophe Ramond. Je m’adresse à mes collègues socialistes, qui auront peut-être un doute au moment du vote : François Hollande avait soutenu la réalisation de cette infrastructure autoroutière à l’occasion d’une visite dans le Tarn. Il a été écouté et suivi par Carole Delga, la présidente de la région Occitanie, qui a tenu bon contre toutes les vicissitudes et abordé ce sujet avec beaucoup de réalisme ; je tiens à la remercier pour son soutien. Le maire de Toulouse et président de l’agglomération, Jean-Luc Moudenc, a compris, lui, ce qu’était le désenclavement des territoires ruraux. Il aurait pu, comme certains le feront certainement ici, se contenter du métro, du tramway et des bus qui permettent aux Toulousains de se déplacer ; mais il considère que l’on a aussi le droit de vivre, de travailler et de se déplacer dans les territoires ruraux de la périphérie. Je tiens à le remercier pour son choix, qui n’était pas facile dans sa position.
Le choix des habitants et des élus est aussi celui des forces vives. Plus de 900 chefs d’entreprise encouragent la réalisation de l’autoroute. Ils étaient nombreux parmi les milliers de personnes venues réaffirmer leur volonté que le chantier aboutisse lors des manifestations qui ont suivi la décision du tribunal administratif de Toulouse.
Le sud du Tarn est un territoire résilient. Le projet d’autoroute a été déclaré d’utilité publique en 2018 par Elisabeth Borne, alors ministre chargée des transports. En 2019, la loi d’orientation des mobilités (LOM) a consacré la participation de l’État à son financement. La déclaration d’utilité publique a été contestée, mais le Conseil d’État l’a validée dans une décision de mars 2021, considérant que l’évaluation socio-économique justifiait l’atteinte à la propriété et autorisant le début des travaux.
En 2023, les autorisations environnementales relatives à l’A69 et à l’A680 sont délivrées et les travaux débutent. Ces autorisations font l’objet de multiples contentieux de la part des opposants au projet : pas moins de onze procédures en référé ont demandé la suspension des travaux ou celle de l’abattage des arbres. À aucun moment le tribunal administratif de Toulouse n’a émis une quelconque réserve sur la validité des autorisations ni n’a ordonné la suspension du chantier. À onze reprises, le juge des référés a avancé des motivations claires et pertinentes pour soutenir la réalisation du chantier.
Mais en février 2025, le même tribunal a considéré que les autorisations environnementales n’étaient pas valables et que le chantier ne répondait pas à une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM). Cette décision a créé un émoi. Vous avez été nombreux à m’avoir fait part de votre incompréhension face à l’arrêt d’un chantier aussi avancé : près de 70 % du tronçon entre Castres et Verfeil, tronçon de l’A69 d’une longueur de 53 kilomètres ont été réalisés, et 80 % entre Verfeil et Castelmaurou – A680, d’une longueur de 9 kilomètres ; près de 400 millions d’euros ont été engagés sur les 550 millions envisagés.
Deux initiatives ont alors été prises. Tout d’abord, l’État a décidé d’interjeter appel de la décision du tribunal administratif et de saisir la cour administrative d’appel pour demander un sursis à exécution du jugement – c’est-à-dire, la possibilité de poursuivre les travaux, nonobstant la procédure d’appel au fond. Je vous rappelle que cette décision au fond devrait être rendue dans un délai de douze à quatorze mois. Or les deux concessionnaires nous ont indiqué que l’immobilisation et la sécurisation des deux chantiers de l’A69 et de l’A680 coûtent 10 millions d’euros d’argent public par mois. Le coût total devrait donc dépasser la centaine de millions d’euros. Vous sachant très soucieux de nos finances publiques, je vous invite à examiner le texte à l’aune de ces informations.
La seconde initiative est d’origine parlementaire. Les deux sénateurs du Tarn, Philippe Folliot et Marie-Lise Housseau, ont déposé une proposition de loi (PPL) de validation des autorisations environnementales, tandis que mon collègue Philippe Bonnecarrère et moi-même avons fait la même chose à l’Assemblée. Très largement adoptée par le Sénat le 15 mai dernier, la proposition sénatoriale qui nous réunit aujourd’hui sera examinée le 2 juin en séance publique, à l’occasion de la niche de mon groupe Ensemble pour la République, que je remercie. Cette PPL est importante non seulement pour les Tarnais, mais aussi pour tous ceux parmi vous qui s’intéressent aux projets de développement des territoires.
Les lois de validation sont assez courantes. Le Conseil constitutionnel a soumis leur conformité, dans une décision du 22 juillet 1980, au respect de cinq conditions. Le texte ne doit pas porter atteinte au principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions, il doit être strictement défini et ne méconnaître aucun principe à valeur constitutionnelle. La présente PPL remplit ces trois premières conditions.
Une loi de validation doit également respecter les décisions ayant force de la chose jugée et répondre à un motif impérieux d’intérêt général. Ces deux dernières conditions doivent, me semble-t-il, faire l’objet d’un examen par notre commission et en séance : je vous propose de vous démontrer qu’elles sont respectées et que la présente PPL est donc solide sur le plan constitutionnel.
D’abord, l’invalidation prononcée par le tribunal administratif de Toulouse fait l’objet d’un appel. Elle n’est donc pas définitive et n’a pas force de la chose jugée. La condition est parfaitement remplie.
Quant au motif impérieux d’intérêt général, il est apprécié à l’aune de plusieurs critères : les sommes déjà engagées, les conséquences désastreuses de l’arrêt des travaux et, au cas où la décision du tribunal administratif de Toulouse deviendrait définitive, l’obligation de remettre en état les terrains sur lesquels est construite l’infrastructure.
L’agglomération de Castres-Mazamet subit une déprise démographique : entre 1990 et 2021, elle a perdu 4 % de sa population quand l’agglomération d’Albi voyait la sienne croître de près de 20 % et celle de Montauban de près de 30 %. Le taux de pauvreté, qui atteint 20 %, est l’un des plus élevés d’Occitanie. En matière de taux d’activité, l’agglomération est dixième parmi les onze que compte la région. Le taux de chômage y est bien plus élevé que la moyenne nationale, à 15 %. Quant au nombre d’emplois, qui est en hausse de 7 % à Albi et de 14 % à Montauban, il ne progresse pas dans la communauté d’agglomération Castres-Mazamet.
J’en viens au gain attendu. Sur un trajet d’une heure et vingt minutes entre Castres et Toulouse, le gain de temps est estimé entre vingt-cinq et trente-cinq minutes, soit 25 %. C’est un gain substantiel qui favorisera l’attractivité du territoire ; pour les médecins qui font l’aller-retour tous les jours depuis Toulouse, c’est important.
On m’objectera qu’il existe une ligne de train – que, pour ma part, je ne cherche pas à opposer à la route. Mais le trajet entre Castres et Toulouse dure une heure et quarante minutes pour 35 euros aller-retour, un prix bien plus élevé que celui envisagé pour le péage.
La réalisation d’une infrastructure autoroutière améliorera aussi la sécurité. Au cours des dix dernières années, il y a eu 10 morts et 120 blessés, dont 65 hospitalisés, sur la route nationale. Or une autoroute est six fois moins accidentogène qu’une route nationale ou départementale. Les membres du service départemental d’incendie et de secours (Sdis), qui ont réalisé l’an dernier 300 interventions d’urgence environ pour conduire des blessés de Castres à Toulouse – à l’hôpital Purpan, notamment – expliquent qu’un gain de vingt-cinq minutes peut sauver des vies. La question de la sécurité est donc prégnante dans les critères d’appréciation de l’intérêt général.
Je me permets enfin de rappeler que 300 millions d’euros ont déjà été engagés par le concessionnaire, l’État et les collectivités territoriales. L’arrêt du chantier a coûté 10 millions au cours du seul mois de mars. Il me semble important d’évoquer également les 1 300 salariés qui se retrouvent sans emploi. Les conséquences financières majeures, chiffrées à plusieurs millions d’euros, contribuent à caractériser le motif impérieux d’intérêt général.
Encore une fois, on ne parle pas que d’une autoroute mais de l’aménagement d’un territoire rural, le sud du Tarn, dans l’intérêt de ses habitants.
M. David Taupiac (LIOT). C’est une semaine déterminante pour l’avenir de l’autoroute A69. Hier, le rapporteur public de la cour administrative d’appel de Toulouse a donné un avis favorable à la reprise des travaux. Aujourd’hui, la cour examine le recours déposé par l’État. Le Parlement n’est pas en reste puisque notre commission examine la proposition de loi de notre collègue sénateur Philippe Folliot visant à valider de manière rétroactive les autorisations environnementales délivrées pour l’A69 et l’A680.
Ce projet a fait l’objet d’une intense concertation. Le processus a commencé en 2007. Il a suscité des débats passionnés portant sur des enjeux environnementaux certes réels mais ignorant parfois la réalité des besoins d’un territoire très enclavé, le bassin castrais. J’entends les arguments de ceux qui voient dans l’autoroute un modèle dépassé mais je veux rappeler que ce projet répond à une attente forte de la population. L’Occitanie possède deux fois moins d’autoroutes que la région des Hauts-de-France, pour la même population. Cette carence a des conséquences très concrètes pour les habitants. L’économie du bassin castrais souffre et connaît un taux de chômage supérieur de près de 50 % à la moyenne nationale. L’enclavement n’est pas le seul responsable de cette situation mais il y contribue. La chambre de commerce et d’industrie du Tarn constate d’ailleurs les difficultés du territoire à attirer de nouvelles entreprises et à conserver le tissu économique existant.
Les travaux ont démarré. Le projet est en passe de se concrétiser et l’on peut s’interroger sur la pertinence de l’arrêt d’un chantier aussi avancé. Nos collègues sénateurs chiffrent le coût de l’interruption à 200 000 euros par jour, ce que d’autres contestent. Ce qui est incontestable, c’est qu’en cas d’interruption du projet, il faudra résilier le contrat de concession de la société Atosca et indemniser celle-ci ; sans parler de la remise en état du site, qui nécessiterait des travaux dont le coût est difficilement chiffrable à ce stade.
Il nous semble nécessaire de poursuivre ce projet bien engagé, nourri par une ample concertation et attendu localement. En France hexagonale, notre territoire du Sud-Ouest est l’un des plus enclavés et des plus éloignés de Paris. J’invite les élus à porter un regard bienveillant sur la création d’infrastructures, aujourd’hui autoroutière, demain de lignes ferroviaires à grande vitesse.
Mme Manon Bouquin (RN). Il y a peu, nous avons eu à examiner une proposition de loi visant à imposer un moratoire sur les projets autoroutiers, dont tout le monde a bien compris qu’elle ciblait l’A69 : il s’agit donc bien d’un sujet politique, contrairement à ce que dit l’extrême gauche qui, dans son nouvel argumentaire, hurle au contournement de la justice.
Nous remettons les choses à leur place. La décision démocratique issue des urnes exprime la souveraineté populaire devant laquelle toutes les institutions doivent s’incliner. Mais ceux qui clament aujourd’hui que le Parlement serait illégitime à voter une loi de validation pour autoriser le chantier de l’A69 ne veulent surtout pas se confronter à la réalité démocratique. Ils savent que leur obstruction traduit la faillite morale de leurs errements idéologiques et que le peuple n’est pas de leur côté lorsqu’ils s’opposent à l’aménagement du territoire pour, en réalité, l’abandonner et le vider de ses hommes, à la démétropolisation parce qu’ils veulent l’archipélisation urbaine du pays, qui conduit à artificialiser l’équivalent d’une A69 par an à Toulouse, et à la mobilité libre de nos concitoyens parce qu’ils haïssent la liberté.
Ils sont minoritaires, comme le prouve l’ampleur de la mobilisation populaire du 8 mars et comme le montrait déjà le consensus trouvé entre les collectivités sur la nécessité évidente de l’A69 pour désenclaver le sud du Tarn et désengorger la métropole de Toulouse. État, conseil régional, département, communes, entreprises, citoyens : tous soutiennent le chantier en paroles comme sur le plan budgétaire, et sont même prêts à s’engager davantage pour en assurer la réussite. Si cette unité est à saluer, elle n’excuse pas certains manquements et certaines inconsistances de la part des responsables politiques au pouvoir. Les auditions conduites par notre rapporteur ont certes démontré l’inexactitude de nombreux éléments mis en avant par le tribunal administratif de Toulouse pour ignorer la raison impérative d’intérêt public majeur du chantier, mais on peut difficilement contester l’argument du tribunal selon lequel ce projet autoroutier n’est défini comme prioritaire ni par la LOM de 2019, ni par le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) de la région Occitanie établi en 2022. Pire, le jugement pointe l’incohérence du projet avec la trame idéologique du Sraddet. J’encourage donc la présidente de région Carole Delga à profiter de la réactualisation prochaine de ce document pour y corriger la coûteuse omission de l’A69 et du désenclavement du sud du Tarn.
En attendant, le premier groupe de l’Assemblée nationale répondra bien présent pour repêcher le manque d’anticipation des macronistes et des socialistes, qui vont peut-être mesurer enfin l’ampleur du pouvoir de nuisance de leurs alliés électoraux contre l’intérêt général.
Mme Danielle Brulebois (EPR). Nous mesurons pleinement les interrogations que ce texte peut susciter, tant parmi nos concitoyens qu’au sein de notre assemblée. Il est légitime de s’interroger, mais cette proposition de loi respecte les décisions de justice ayant force de chose jugée et entre dans un cadre législatif validé par le Conseil constitutionnel depuis 1980. Le projet d’autoroute est exceptionnel et ancien, les premières esquisses remontant aux années 1990. Il répond à une double ambition : désenclaver le Tarn et renforcer la sécurité sur un axe routier dangereux.
Le projet bénéficie d’un soutien appuyé des élus et des acteurs économiques locaux. Et pour cause, le territoire de Castres-Mazamet est le seul bassin d’importance de la région qui soit situé à plus d’une heure d’un accès autoroutier ou d’une gare TGV. Cet isolement a des effets néfastes. Entre 1968 et 2021, l’agglomération de Castres-Mazamet a perdu des habitants, contrairement à toutes les agglomérations d’Occitanie connectées à une autoroute. Le taux de chômage y atteint 15 %, l’emploi y stagne, les entreprises peinent à recruter et même l’hôpital public rencontre des difficultés pour attirer des professionnels qualifiés.
Il est important de ne pas délaisser nos territoires ruraux. Depuis l’Antiquité, les voies de communication permettent la mobilité humaine, les échanges et la prospérité. Dans le département très rural du Jura, l’A39, une autoroute verte respectueuse de son environnement, a impulsé une forte dynamique d’activité économique et de création d’emplois ; le chômage s’y établit actuellement à 5 %.
L’abandon du chantier entraînerait un coût massif de 390 millions d’euros pour les finances publiques ; ce serait un énorme gâchis. Il faudrait indemniser le concessionnaire, démanteler les ouvrages partiellement construits et remettre les terrains en état. Ce serait une gabegie financière dont nos concitoyens ne comprendraient ni le coût, ni la logique. L’impact social de la suspension des travaux est déjà perceptible. Le chantier mobilisait 1 000 salariés, des centaines d’intérimaires et plus de 60 sous-traitants dont certains sont menacés de dépôt de bilan. Des projets d’entreprise et des investissements publics ont été suspendus.
Il y a enfin la perte de confiance, qui n’est pas un détail. Les élus, toutes tendances confondues, et les habitants du Tarn ne comprendraient pas que l’État recule après les expropriations qu’il a engagées et les promesses qu’il a faites. Ce serait un très mauvais signal pour tout futur projet.
Il ne s’agit pas de piétiner le droit de l’environnement ni de contourner les décisions de justice, mais de faire face à une situation exceptionnelle en respectant notre Constitution, en défendant l’intérêt général et en tenant parole vis-à-vis d’un territoire qui attend depuis trop longtemps – un territoire rural qui a besoin que nous lui donnions toutes ses chances, comme aux autres. Je vous invite à adopter cette proposition de loi.
Mme Anne Stambach-Terrenoir (LFI-NFP). Collègues, je vous demande de bien mesurer ce que l’on nous propose ici. Il s’agit d’écraser la décision du tribunal administratif de Toulouse, lequel a annulé l’autorisation environnementale de l’A69 en février dernier. Cette autoroute a été pensée dans les années 1990, à une autre époque sur le plan climatique. Désormais, chaque année qui passe est la plus chaude jamais enregistrée ; les événements extrêmes se multiplient, semant mort et destruction ; notre ressource en eau et notre souveraineté alimentaire sont menacées et nous vivons la sixième extinction des espèces. Il est de notre devoir, pour nos concitoyens et pour les générations qui nous suivent, de penser l’aménagement du territoire à l’aune de cette nouvelle réalité. Or l’A69 détruit de nombreux écosystèmes précieux et des terres agricoles fertiles pour gagner quelques minutes de trajet sur une route nationale qu’elle double littéralement.
Le chantier est arrêté, le béton n’est pas coulé, tout est encore possible. Il faut penser les alternatives et non passer une nouvelle fois en force. Dans ce dossier, la faute est du côté de l’État. À l’automne 2022, l’Autorité environnementale a qualifié le projet d’anachronique. Le Conseil national de protection de la nature (CNPN) a prévenu qu’il ne présentait pas d’intérêt public majeur et qu’il était en contradiction avec les engagements nationaux –autrement dit, qu’il ne serait pas légal. Tous les voyants étaient au rouge mais, au lieu de chercher des alternatives, l’État a choisi de passer en force et de lancer les travaux coûte que coûte, sans attendre le jugement relatif à l’autorisation environnementale car il savait que celui‑ci risquait d’être négatif – ce qui est arrivé. Seul l’État est responsable de ce fiasco et du gâchis financier, social et écologique lié au début des travaux.
Vous aimez dépeindre les opposants au projet comme des Parisiens bobos et déconnectés mais vous savez qu’ils ne le sont pas. L’opposition à l’A69 a pris une ampleur nationale, parce que les enjeux du projet dépassent le territoire concerné. Cependant, ceux qui ont mis leur vie dans la balance pour protéger leur environnement, ceux qui ont subi des menaces allant jusqu’à la tentative de meurtre, les agriculteurs désemparés par la destruction et le remembrement de leurs terres qu’ils travaillent depuis des générations, ceux qui sont soulagés de ne pas voir une usine à goudron s’installer près de leurs écoles, ce sont les gens du territoire. Et que leur dites-vous ? Qu’il faut contourner une décision de la justice française qui leur donne raison.
Sous Macron, le pouvoir exécutif piétine déjà régulièrement, à coups de 49.3, le pouvoir législatif que nous incarnons. Si le pouvoir législatif s’associe désormais à l’exécutif pour fouler aux pieds le pouvoir judiciaire, que reste-t-il de notre démocratie ? « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. » C’est l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
À l’automne dernier, alors que je défendais ici notre proposition de moratoire sur les projets autoroutiers, vous m’avez dit, monsieur Terlier, que je cherchais à contourner l’institution judiciaire et que je manifestais ainsi mon mépris de l’État de droit. Vous prétextiez alors la validité de la déclaration d’utilité publique car la justice ne s’était pas encore prononcée sur le fond. Maintenant que le tribunal administratif a parlé, vous voulez le faire taire. Alors je vous le demande : qui ici méprise l’État de droit ?
L’adoption de cette proposition de loi créerait un précédent majeur. J’en appelle à la raison de tous : rejetons-la !
M. Gérard Leseul (SOC). Le délai dont nous disposons pour examiner ce texte est réduit, alors que nous débattons en même temps de la proposition de loi relative à la fin de vie en séance publique : cette organisation ne permet pas un travail parlementaire de qualité.
Le 27 février 2025, le tribunal administratif de Toulouse a, tardivement, décidé d’annuler les autorisations environnementales nécessaires au projet de construction de l’autoroute A69 et d’élargissement de l’A680. En effet, les arguments présentés ne justifient pas de déroger aux dispositions relatives à la conservation de la faune et de la flore sauvages. On peut saluer ou regretter cette décision de justice. La présente proposition de loi vise à valider rétroactivement les arrêtés annulés pour défaut de raison impérative d’intérêt public majeur. Le Conseil constitutionnel prévoit que le législateur ne peut revenir sur une décision de justice définitive, sous peine de malmener la séparation des pouvoirs et le droit à un procès équitable. Tant qu’aucune décision définitive n’a été rendue, le législateur peut intervenir, à condition que l’objectif poursuivi soit sérieux et impérieux et que la validation soit strictement encadrée. Le Conseil constitutionnel en contrôle la proportionnalité ainsi que le respect de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
La directive européenne du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages dispose que seule une évaluation technique et objective reposant sur des données scientifiques peut motiver une dérogation. En consacrant l’existence d’une RIIPM par un acte législatif rétroactif et abstrait, le Parlement empêcherait tout contrôle effectif des motifs, exposant la France à une procédure en manquement devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
La jurisprudence constitutionnelle impose donc de proportionner la validation rétroactive à l’objectif poursuivi et de la limiter à des irrégularités précisément identifiées. Or le texte n’encadre pas le champ de la validation ni ne détermine la nature de l’irrégularité visée. Il ne satisfait donc pas à l’exigence constitutionnelle d’une portée limitée, claire et conforme à la garantie des droits.
Valider par la loi des actes contestés sans contrôle de proportionnalité ni encadrement précis ouvre la voie à d’autres validations ciblées et à une forme d’exception législative. Un tel contournement du contentieux environnemental minerait l’État de droit et créerait un précédent dangereux d’intervention du Parlement dans les affaires judiciaires en cours.
Pour toutes ces raisons, purement juridiques, nous ne soutiendrons pas ce texte.
M. Ian Boucard (DR). Notre débat, essentiel, ne concerne pas seulement les habitants de la région de Castres : il y va de la capacité de notre pays à réaliser des projets d’infrastructures majeurs. En effet, si les travaux ne reprenaient pas, nous ne ferions plus jamais rien en France. Certains, à l’extrême gauche, se réjouissent déjà de penser que des territoires pourraient rester enclavés indéfiniment mais ce serait une catastrophe pour beaucoup de régions.
Le projet date des années 1990 ; il est déjà dramatique que, en 2025, il n’ait pas encore abouti. De plus, la décision du tribunal administratif a interrompu un chantier plus qu’entamé : la première partie de la liaison est quasiment achevée, comme le déboisement de la seconde ; 1 300 salariés et plus de 65 sous-traitants sont sur le carreau, alors que l’État a déjà investi 390 millions d’euros sur les 550 millions prévus.
Le débat est intéressant ; il fait écho à celui que nous avons eu il y a quelques semaines sur la simplification de la vie économique. Je suis satisfait que nous examinions ce texte, afin d’avancer. Le rapporteur public de la cour administrative d’appel de Toulouse s’est prononcé aujourd’hui en faveur de la reprise du chantier, confortant vos arguments, monsieur le rapporteur.
L’intérêt public majeur de la liaison autoroutière est évident. Pour les habitants du sud du Tarn, en particulier de l’agglomération de Castres-Mazamet, qui vivent dans un territoire enclavé, elle est essentielle. En leur faisant gagner vingt-cinq minutes, elle rapprochera le sud du Tarn de l’agglomération de Toulouse, qui attire les entreprises et les habitants : cela permettra au département de reprendre son développement.
J’espère que l’autoroute reliant Castres à Toulouse sera achevée et que, par la suite, nous porterons une attention bienveillante à tous les territoires qui ont encore besoin d’infrastructures majeures. Je pense notamment au Cantal et à la Haute-Saône, qui n’ont pas ou quasiment pas d’autoroute : il leur est difficile d’attirer des enseignants et des médecins. Nous devons continuer à améliorer les infrastructures pour accompagner le développement des territoires.
Le groupe Droite républicaine votera en faveur la présente proposition de loi.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Plutôt que de l’A69, je vous parlerai de l’État de droit. « Il n’y a point encore de liberté, si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative, et de l’exécutrice », écrivait Montesquieu en 1748. En défendant la présente proposition de loi, qui tend à contourner le droit, le juge et les principes démocratiques, vous faites le choix, monsieur le rapporteur, d’occulter volontairement ce principe fondamental.
Le tribunal administratif de Toulouse, constatant l’absence de raison impérative d’intérêt public majeur, a annulé les autorisations environnementales. En effet, il ne s’agit non d’une condition secondaire, mais du fondement de la légalité des dérogations au régime de protection des espèces. Directement issue du droit européen, elle est inscrite dans le code de l’environnement et la Charte de l’environnement lui confère une valeur constitutionnelle.
Au lieu de laisser la justice suivre son cours, nous examinons un texte qui tend à imposer par la loi ce que le juge a suspendu par le droit. Nous sommes donc réunis non pour changer ou pour améliorer la législation, en combattant de manière démocratique pour défendre nos convictions, comme c’est notre rôle, mais pour légitimer une illégalité. Ce texte de validation rétroactive vise à éteindre un contentieux en cours en le vidant de sa substance : il porte atteinte à la séparation des pouvoirs que garantit l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le Conseil constitutionnel a déjà censuré de telles manœuvres lorsqu’elles visaient un objectif financier ou politique non impérieux, comme c’est le cas ici : les justifications concernent l’avancement du chantier, les indemnités éventuelles à verser au concessionnaire et la pression politique locale. Le texte ne répond pas à un motif d’intérêt général impérieux, il tend à valider un fait accompli. Cela reviendrait à demander la validation d’une maison construite sans permis ni titre de propriété du terrain.
Au-delà de la question juridique, la présente proposition de loi nous engage politiquement. Le signal envoyé à la société civile, aux citoyens mobilisés, aux scientifiques, aux juristes, est désastreux : l’État de droit commence par le respect de ses propres règles, issues du droit européen et déclinées à l’échelle nationale. Valider par une loi d’exception un projet autoroutier qui fait l’objet d’un contentieux ne sert en rien l’intérêt général. Solennellement, je vous invite à vous y opposer.
Mme Marina Ferrari (Dem). Cosigné par plus de cent sénateurs, le texte que nous examinons vise à valider deux autorisations environnementales que le tribunal administratif de Toulouse a annulées le 27 février. Elles concernent le projet autoroutier constitué de deux opérations : la construction en tracé neuf de l’A69 sur 53 kilomètres, pour relier Castres à Toulouse, et l’élargissement en 2 x 2 voies de l’A680 sur 20 kilomètres, entre Castelmaurou et Verfeil. Le projet a déjà fait l’objet de nombreuses décisions législatives, réglementaires et judiciaires favorables. Jusqu’au début de cette année, les onze contestations contentieuses auprès du juge des référés s’étaient soldées par un échec, prouvant que l’on peut attendre de ce projet des bénéfices socio-économiques majeurs et une amélioration essentielle de la sécurité routière dans le territoire de Castres-Mazamet. Avec plus de 100 000 habitants, c’est le seul bassin d’Occitanie de cette importance situé à plus d’une heure des réseaux autoroutiers et d’une gare TGV : l’autoroute y est donc très attendue.
Né dans les années 1990, le projet d’A69 a été déclaré d’utilité publique en 2017, ce que le Conseil d’État a confirmé en 2021 ; en 2023, il a reçu des autorisations environnementales pour raison impérative d’intérêt public majeur.
L’État ayant interjeté appel, la décision rendue le 27 février par le tribunal administratif de Toulouse n’est pas définitive. La cour administrative d’appel de Toulouse examine aujourd’hui même la demande de sursis à exécution – le rapporteur public s’est exprimé favorablement au sursis – et elle rendra sa décision d’ici au 28 mai ; elle se penchera ensuite sur le fond, d’ici à 2026.
Le chantier a été interrompu alors qu’il était déjà très avancé : 80 % des travaux de l’A680 et 70 % de ceux de l’A69 sont réalisés ; quant aux dépenses, 300 millions d’euros ont été engagés pour la construction de l’A69 et 90 millions pour le doublement de l’A680, soit respectivement quelque 75 % et 90 % du montant total prévu. C’est là un enjeu essentiel.
La situation est inédite ; pour y répondre, le texte vise à valider rétroactivement les deux autorisations environnementales. En effet, au-delà du coût de l’arrêt du chantier –indemnisation du concessionnaire, travaux de remise en état, destruction d’emplois –, l’invalidation du projet entraînerait l’abandon des obligations de compensations, ce qui aurait de lourdes conséquences sur l’environnement.
Cohérente avec les décisions politiques, locales et nationales, et avec les décisions juridiques définitives, toutes déjà prises, l’adoption du présent texte, qui participe d’une logique de simplification, clarifiera les procédures tout en respectant les dispositions constitutionnelles et le droit européen.
M. Vincent Thiébaut (HOR). La situation est ubuesque. Dans le territoire concerné, le projet est très attendu ; acteurs économiques, élus et habitants se sont prononcés en faveur du désenclavement. Certes, on peut s’interroger sur la pertinence de construire de nouvelles infrastructures autoroutières ; malheureusement, le ferroviaire, d’ailleurs également susceptible d’affecter l’environnement, n’offre pas toujours de solution, et on peut espérer que tous les véhicules seront bientôt totalement décarbonés.
Le chantier est achevé à 80 % ; l’État et les collectivités ont engagé des sommes significatives : les conséquences financières de l’abandon du projet seraient affolantes. Pire, l’impact sur le paysage et l’environnement est déjà majeur : il serait plus désastreux d’abandonner le projet que de le mener à bien, car toutes les compensations environnementales disparaîtraient.
Les membres du groupe Horizons déplorent que des projets de territoire, validés à tous les échelons par des élus locaux de tous les bords, fassent l’objet d’un débat national. Il appartient aux gens qui vivent dans ce territoire d’apprécier la pertinence de tels projets, et leur décision doit être respectée. Nous voterons donc en faveur de l’adoption du texte.
M. Jean Terlier, rapporteur. Je remercie M. Taupiac d’avoir souligné l’enclavement du Tarn.
Madame Bouquin, vous avez raison : les juges disent le droit, mais les parlementaires ont toute légitimité pour voter une loi de validation s’ils décident qu’un projet revêt un caractère d’intérêt général impérieux. N’en déplaise à ceux qui soutiennent que nous bafouerions l’État de droit en adoptant le texte, il n’en est rien : depuis sa décision du 22 juillet 1980, le Conseil constitutionnel a clairement défini les conditions d’une loi de validation – je les ai énumérées. Nous avons auditionné hier M. Bertrand Mathieu, constitutionnaliste ; il a confirmé que la procédure était classique. On peut certes considérer que le gain de vingt-cinq minutes et la sécurisation du trajet ne relèvent pas de l’intérêt général, mais c’est à nous d’en décider.
Vous avez également souligné à juste titre qu’on ne peut qualifier de déraisonnable l’artificialisation liée au projet, alors que la région toulousaine, située à moins de 50 kilomètres, consomme chaque année une surface foncière équivalente. La ruralité, comme les territoires urbains, a besoin de vitalité pour se développer : nous ne demandons rien d’autre que de pouvoir combattre à armes égales.
Vous avez eu raison de rappeler que la loi d’orientation des mobilités de 2019 donne au projet un caractère d’intérêt national, ce que la décision du tribunal administratif n’a pas pris en considération.
Vous nous avez reproché un manque d’anticipation. Pour invalider les autorisations environnementales, le tribunal administratif s’est appuyé sur la RIIPM, notion juridique qui existe depuis 2006 : outre que les macronistes n’y sont pas pour grand-chose, les autres députés auraient eu bien des occasions de réformer le dispositif – ils ne l’ont pas fait, ce sera peut-être l’objet d’une proposition de loi du Rassemblement national.
Madame Brulebois, la comparaison avec le Jura est pertinente : il ne s’agit pas seulement de l’A69, mais également du développement des territoires ruraux et de la légitimité des élus locaux, comme l’a souligné Vincent Thiébaut. C’est à ces derniers qu’il revient de déterminer ce qui est bon pour leur territoire et ce qui relève de l’intérêt général. C’est le sens de l’expression démocratique : certains crient à la censure mais, depuis 2006, le projet a été débattu à l’occasion de nombreuses élections départementales et régionales, que les pro-autoroute ont toutes gagnées, de même que j’ai été élu aux dernières législatives. Il ne faut pas oublier comment sont décidés les projets de cette nature.
Madame Stambach-Terrenoir, vous nous reprochez d’écraser la décision du tribunal administratif de Toulouse. Je respecte l’indépendance de la justice mais, d’une part, il s’agit d’une juridiction du premier degré de l’ordre administratif, d’autre part, elle n’est pas la seule à avoir statué sur le caractère d’intérêt général ou d’utilité publique du projet : cette dernière a notamment été reconnue par le Conseil d’État en mars 2021, sur le fondement des mêmes critères socio-économiques. Je le répète, il nous appartient d’invoquer la raison impérative d’intérêt public majeur, dans le cadre défini par le Conseil constitutionnel et sous son contrôle. Celui-ci interdit notamment de remettre en cause une décision ayant force de chose jugée ; cette condition est la bienvenue, mais il n’y a pas ici de décision définitive. Madame Arrighi, monsieur Leseul, notre mandat nous donne la légitimité de décider dans certains cas qu’il existe une raison impérative d’intérêt public majeur, sans aucunement remettre en cause les prérogatives du juge.
Vous avez évoqué les agriculteurs. Vous tombez mal : le chantier a touché une centaine d’exploitations, or trois dossiers seulement ont été soumis au juge des expropriations : 95 % des transactions se sont faites à l’amiable. Ces chiffres éclairent la représentation nationale sur le soutien du milieu agricole. En effet, le concessionnaire a consenti les moyens nécessaires pour trouver des solutions, avec les agriculteurs, la chambre d’agriculture et les syndicats agricoles. Je vous renvoie de nouveau aux auditions menées dans le cadre de la commission d’enquête sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69 : tous les agriculteurs ont soutenu le projet. Si les travaux étaient abandonnés, le concessionnaire ne pourrait pas donner aux agriculteurs les compensations prévues. De même, M. Thiébaut l’a souligné, les dommages à l’environnement ont déjà été causés – les arbres sont abattus, les zones humides supprimées. Si le chantier n’est pas mené à son terme, le concessionnaire ne sera plus contraint de renaturer ni de reboiser.
Madame Brulebois, madame Ferrari, vous avez raison : le projet ne concerne pas seulement le Tarn. Comme vous, j’appelle à l’union sacrée autour des élus locaux, ceux de la communauté d’agglomération de Castres-Mazamet ; ceux de la communauté de communes du Sor et de l’Agout – je salue Sylvain Fernandez, son président ; Christophe Ramond, président du conseil départemental ; Carole Delga, présidente de la région ; et Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse. Il leur appartient d’apprécier la légitimité du projet.
Monsieur Boucard, vous avez toujours soutenu l’A69, notamment à l’occasion de l’examen du projet de loi de simplification de la vie économique – je vous en remercie. Je suis d’accord avec vous : si nous ne terminons pas cette autoroute, ce seront le Lyon-Turin et la ligne à grande vitesse (LGV) entre Toulouse et Bordeaux qui seront demain remis en cause. Gardons cela à l’esprit et adoptons cette proposition de loi pour servir l’intérêt général : nous le devons à nos territoires, qui ont besoin de se développer.
Article unique : Validation législative des arrêtés préfectoraux portant autorisation environnementale des projets d’élargissement de l’A680 et de construction de l’A69
Amendements de suppression CD1 de Mme Christine Arrighi et CD10 de Mme Anne Stambach-Terrenoir
Mme Christine Arrighi (EcoS). L’amendement CD1 vise à supprimer l’article unique. Celui-ci ne prévoit ni une mesure technique ni une mesure d’aménagement du territoire. Le projet de territoire, souvent cité, n’a été établi qu’après la décision de construire une autoroute.
Le présent article tend à valider rétroactivement des autorisations environnementales annulées par la justice. Vous alléguez l’avancement du chantier mais le droit ne se plie pas au calendrier des pelleteuses. L’adoption du texte serait lourde de conséquences constitutionnelles : le législateur, court-circuitant la décision à venir, empiéterait sur le domaine du juge administratif, donc violerait la séparation des pouvoirs garantie par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Les requérants seraient privés de leur droit à un recours juridictionnel : le Parlement n’est pas un juge de cassation. En outre, l’adoption de cette proposition de loi affaiblirait la portée constitutionnelle de la Charte de l’environnement.
Nous ne pouvons pas légaliser une illégalité manifeste, au mépris des normes supérieures et de la fonction du juge, chargé d’appliquer le droit.
Mme Anne Stambach-Terrenoir (LFI-NFP). L’A69 est un projet absurde : il détruit près de 400 hectares de terres agricoles et naturelles, des zones humides et des espèces protégées simplement pour doublonner une route nationale gratuite, sans qu’on sache si cette nouvelle infrastructure sera bénéfique pour le territoire de Castres. C’est pour cela que le tribunal administratif l’a déclaré illégal.
Cette proposition de loi de validation, qui vise à contourner une décision de justice, méconnaît le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs. Pour autoriser sa promulgation, le Conseil constitutionnel vérifiera si elle présente un motif impérieux d’intérêt général. Or, selon Maxime Genévrier, urbaniste et chercheur à l’université d’Albi, l’autoroute va en réalité participer à dévitaliser Castres, qui deviendrait, plus encore qu’aujourd’hui, une ville suburbaine de la région toulousaine. C’est le phénomène de métropolisation.
Or ni les arrêtés préfectoraux autorisant l’A69, ni le rapport de M. Terlier ne parviennent à contester ce raisonnement. C’est bête à dire, mais une route permet de circuler dans les deux sens, et le pôle le plus attractif pour l’activité ne sera pas Castres, mais Toulouse. Dans son jugement, le tribunal administratif souligne également que le coût élevé du péage de la future liaison autoroutière sera de nature à en minorer significativement l’intérêt pour les opérateurs économiques. Comment pouvez-vous affirmer que cette autoroute répond à un motif impérieux d’intérêt général, alors que personne n’est capable de prouver de manière tangible qu’elle permettra un réel développement du bassin castrais ? Ça ne tient pas.
Par ailleurs, comme l’a démontré le jugement du tribunal administratif, Castres ne souffre pas d’enclavement économique. Au cours des dernières années, elle a connu une variation positive de sa population, avec un solde entrées-sorties et un taux d’activité bien supérieurs à ceux d’Albi, qui est pourtant reliée à Toulouse par une autoroute. À vous entendre, monsieur Terlier, on a l’impression que Castres est ravitaillée par les corbeaux. Mais elle a une gare, et même un aéroport.
Bref, l’A69 ne tient pas la route, et cette tentative de passage en force au mépris de la Constitution, n’y changera rien. Le gouvernement cherche en vain toutes les solutions pour forcer le passage parce qu’il sait que le projet est illégal et que rien ne justifie les atteintes à l’environnement qu’il va générer. Nous refusons que notre assemblée se retrouve entraînée dans ces basses manœuvres et appelons donc à la suppression de l’article.
M. Jean Terlier, rapporteur. Avis très défavorable.
Ne vous en déplaise, madame Arrighi, je suis respectueux de l’État de droit et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui autorise clairement les lois de validation sous certaines conditions. Je considère que celles-ci sont remplies, mais c’est tout l’objet du débat qui nous occupe. Tout comme le juge a le droit de qualifier la RIIPM, les parlementaires ont le droit de valider rétroactivement un acte administratif qui pose difficulté – c’est l’une de leurs prérogatives. Chacun est dans son rôle.
En l’espèce, les motifs impérieux d’intérêt général me semblent suffisamment caractérisés par les bénéfices socio-économiques du projet, qui permettra de désenclaver le bassin du sud du Tarn. Car les chiffres montrent qu’il l’est bel et bien, contrairement à ce qu’affirme Mme Stambach-Terrenoir : lors des auditions – peut-être auriez-vous dû y assister –, les chambres consulaires – notamment la chambre de commerce et d’industrie –, qui se sont appuyées sur la documentation de l’Insee, ont confirmé une déprise démographique de 4 % dans le bassin d’emploi de Castres-Mazamet au cours des dix dernières années. Dans le même temps, la population d’Albi a augmenté de 16 % et celle de Montauban de près de 30 %. C’est très révélateur : les deux agglomérations desservies par l’autoroute depuis Toulouse bénéficient pleinement de son attractivité et de son développement, alors que le sud du Tarn en est orphelin.
Selon Mme Stambach-Terrenoir, nous n’aurions pas le droit d’avoir une autoroute –et donc de nous développer – car nous avons une gare et un aéroport. De qui vous moquez-vous ? Pour aller à Toulouse depuis Castres en train, il faut une heure et quarante minutes et il n’y a que neuf allers-retours par jour. Les arrêts sont fréquents, alors que des villes comme Saint-Sulpice et Lavaur, où s’arrête le train, ne seront pas desservies par l’autoroute. Et ça coûte 34 euros : vous faites du prix du péage un élément fondamental, mais compte tenu des tarifs envisagés, sur lesquels le concessionnaire a consenti une baisse de 33 %, prendre le train coûtera trois fois plus cher que de prendre sa voiture. N’opposons pas le ferroviaire au routier, ils sont complémentaires. Quant à l’aéroport, il est ultrasubventionné – les collectivités territoriales et l’État le financent à hauteur de 5 millions d’euros chaque année parce que c’est une ligne d’aménagement du territoire – et n’assure que deux rotations par jour pour aller à Paris : on ne peut pas dire que les conditions de développement sont optimales.
Lors de sa venue dans le Tarn, Jean Castex avait déclaré : « Je suis venu réparer une injustice. » Aujourd’hui, nous ne demandons ni plus ni moins que de réparer une injustice territoriale – de pouvoir vivre décemment dans les territoires ruraux, en ayant accès aux mêmes chances, à des médecins, et d’avoir droit à un développement économique. Ce ne sera pas une autoroute pour aller au ski ou à la mer, mais pour aller travailler, se déplacer et vivre dignement dans un territoire actuellement enclavé. Ce sont autant d’éléments qui caractérisent les motifs impérieux d’intérêt général nécessaires pour emporter la conformité de cette proposition de loi de validation à la Constitution.
J’invoquerai aussi l’article 6 de la Charte de l’environnement. M. Bertrand Mathieu, constitutionnaliste, expliquait hier qu’il revenait aux parlementaires de déterminer l’intérêt général d’un territoire, après avoir mesuré les avantages du projet en termes de progrès social et de développement économique par rapport à son coût pour l’environnement. C’est exactement ce à quoi nous nous employons aujourd’hui.
M. Pierre Meurin (RN). Je vous propose de méditer un instant sur l’honnêteté intellectuelle, qui semble faire défaut à certains. « Quand on n’est pas content de la justice, il faut changer les lois ». Chers amis de la France insoumise, cette phrase vous semble peut-être antidémocratique et antirépublicaine, mais il se trouve que c’est Jean-Luc Mélenchon qui l’a prononcée.
La justice ne fait qu’appliquer les lois que nous, représentants de la Nation, écrivons. Et nous n’avons pas à nous empêcher de changer la loi au motif qu’il faudrait absolument respecter une décision de justice. De tout temps, il y a eu des revirements de jurisprudence liés à des évolutions législatives.
En réalité, vous voulez simplement que l’on arrête de construire des routes dans le pays, au nom de votre idéologie de bobos urbains, comme l’illustre votre amendement CD15, ou encore votre proposition d’instaurer un moratoire de dix ans sur la construction de toutes les routes en France pour « empêcher l’accroissement du trafic routier ». Mais dans les territoires enclavés, où on mettra des années à développer les transports en commun, cela ne fera que créer des bouchons pour les honnêtes gens.
Je vous invite donc à vous inspirer de Jean-Luc Mélenchon : quand on n’est pas content de la justice, il faut changer les lois. Faisons-le.
Mme Claire Lejeune (LFI-NFP). Chacun, en tant que parlementaire, a des objectifs politiques. Lorsqu’on n’est pas d’accord avec la manière dont le droit est écrit, on en débat et on change la loi – c’est la base du travail parlementaire. Puis, en son temps, la justice l’applique.
Mais là, vous cherchez à changer la loi alors que la justice est encore en train de délibérer et n’a pas définitivement tranché : cela n’a rien à voir, c’est de l’ingérence dans une procédure judiciaire. Nous ne sommes pas en train de faire notre devoir de parlementaires, mais de créer un état de fait, une situation juridique exceptionnelle. Dans un État de droit, ce sont bien la requête d’appel puis le pourvoi en cassation qui sont les outils légaux et légitimes pour contester un jugement, non une loi bricolée pour un cas particulier, dans le but de mettre la justice à votre service.
Votre perspective sur la légitimité du projet est tout à fait respectable, bien que je ne la partage pas. Mais on assiste aujourd’hui à une tentative politique de revenir sur une décision de justice : je vous invite à mesurer le précédent que vous êtes en train de créer. Il va inciter les industriels à construire le plus vite possible pour imposer un état de fait, lequel sera ensuite validé par les parlementaires si la justice a déclaré le projet illégal. C’est gravissime ! Je ne me sens pas du tout à ma place en examinant ce texte ; je suis très inquiète et même sidérée que vous puissiez penser que ce qui se passe aujourd’hui est normal.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Monsieur le rapporteur, j’étais déjà étonnée que vous n’ayez auditionné que des personnes qui pensent comme vous – vous vous êtes bien gardé d’entendre Arnaud Gossement, par exemple, qui aurait peut-être apporté un utile contrepoint aux propos de M. Mathieu. Je suis d’ailleurs stupéfaite du compte rendu que vous faites de l’intervention de ce dernier. Il ne vous a pas confirmé que le pied de nez que vous proposez de faire aux juges était une démarche classique sur le plan constitutionnel, il vous a simplement conseillé de ne pas irriter les juges en veillant à ne pas contester leur avis s’agissant de l’inexistence d’une raison impérative d’intérêt public majeur, et d’insister sur d’autres arguments.
C’est ce que vous avez fait tout à l’heure, mais je suis surprise de leur faiblesse. Au-delà des chiffres, on ne peut que constater l’imprécision qui préside à certaines de vos évaluations. S’agissant par exemple des perspectives de développement économique dans le bassin de Castres-Mazamet, est-il prudent d’opérer une corrélation aussi étroite entre la desserte par autoroute et l’évolution de la population et de l’emploi ? Vous savez bien que non. Les bassins d’Oyonnax et le Haut-Jura ne sont pas desservis par une autoroute. Cela ne les empêche pas d’héberger une bonne partie de la plasturgie et de la fabrication de jouets françaises, même si cette absence pose d’autres problèmes. Votre corrélation est carrément datée : vous parlez comme la délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (Datar) des années 1960, pas comme les développeurs territoriaux de 2025 !
Ensuite, vous parlez beaucoup de temps de déplacement, mais vous ne nous dites rien sur le nombre de véhicules qui empruntent l’infrastructure actuelle au quotidien. Ils sont certes un peu plus nombreux autour de Castres qu’au milieu de l’itinéraire, mais il n’y a en moyenne que 8 000, dont 10 % de poids lourds. Et cela justifierait la création d’une autoroute parallèlement à la route nationale existante ? Vous plaisantez ! Si vous aviez déployé ne serait-ce que la moitié de l’énergie que vous mettez depuis des années pour l’autoroute afin d’obtenir la mise à deux fois deux voies de la route nationale 126, nous n’en serions pas là. Vous dites que l’État n’a pas voulu, vous invoquez le contrat de plan État-région, mais, en réalité, vous tenez la barricade depuis des années. Pourquoi ne pas l’avoir fait pour obtenir la mise à deux fois deux voies ?
Mme Marina Ferrari (Dem). Permettez-moi de vous lire la décision du Conseil constitutionnel de 1980 qui fait jurisprudence et qui justifie la constitutionnalité de cette proposition de loi : « Considérant que ces principes de valeur constitutionnelle ne s’opposent pas à ce que, dans l’exercice de sa compétence et au besoin, sauf en matière pénale, par la voie de dispositions rétroactives, le législateur modifie les règles que le juge a mission d’appliquer ; qu’ainsi le fait que la loi soit soumise à l’examen du Conseil constitutionnel intervient dans une matière ayant donné lieu à des recours actuellement pendants n’est pas de nature à faire regarder cette loi comme non conforme à la Constitution ». Je crois que c’est très clair.
M. Benoît Biteau (EcoS). Je ne suis pas un spécialiste de la Constitution ni des décisions de justice. Je constate simplement qu’on parle beaucoup d’État de droit, mais qu’on est en train d’essayer de tordre le bras à la justice.
Pour emprunter souvent cette route, je n’ai pas du tout l’impression que le territoire castrais soit enclavé et qu’il serait impossible de rejoindre Toulouse depuis Castres. Personnellement, j’ai toujours réussi à faire ce parcours sans aucune difficulté. Parler d’enclavement me paraît un peu disproportionné.
Pour avoir été président d’un conservatoire d’espaces naturels, opérateur de mesures compensatoires pour de grands projets comme la ligne à grande vitesse (LGV) Sud Europe Atlantique et l’autoroute A10, je peux vous assurer que le principe de compensation ne fonctionne pas très bien : même si on cherche le plus sincèrement du monde à compenser et que l’on y consacre énormément d’argent, on n’arrive jamais à reconstruire ce qu’on a détruit. Considérant que la biodiversité est un partenaire incontournable pour préparer l’avenir, nous nous sommes efforcés de créer la séquence « éviter, réduire, compenser » (ERC). Or pour ce projet, l’évitement et la réduction ont été « oubliés » au profit de la seule compensation. Cela revient à négliger la dimension environnementale, et c’est probablement ce qui a motivé la décision de justice.
Je suis agriculteur. Depuis un an et demi, nous sommes tous là, la main sur le cœur, à dire qu’il faut aider les agriculteurs, lutter contre leurs difficultés d’accès au foncier, favoriser leur installation, les aider à ne pas disparaître et les accompagner vers des pratiques plus respectueuses de l’environnement, et là, vous voulez consommer du foncier agricole pour un projet autoroutier d’un autre temps.
M. Pierre Cazeneuve (EPR). Nous soutiendrons évidemment ce texte. La RIIPM, ce n’est pas Disneyland ! La dérogation au dispositif des espèces protégées n’est pas un blanc-seing pour agir en dehors de tout contrôle. Elle ne dispense pas de l’analyse des conséquences du projet sur le vivant et l’environnement : il reste nécessaire de prévoir des mesures de compensation et de garantir le maintien en état favorable des espèces protégées qui seraient affectées. Les considérations environnementales sont bien prises en compte, même si elles ont un peu moins de poids. Ce n’est en aucun cas un chèque en blanc qui autorise à tout raser sans aucune compensation.
M. Jean Terlier, rapporteur. Effectivement, la RIIPM ne dispense pas de déployer des mesures compensatoires, qui sont, en l’espèce, prévues dans le contrat de concession, conformément à l’avis du Conseil d’État – celui-ci n’a d’ailleurs pas nié les atteintes à l’environnement du projet. Entendu ce matin, le concessionnaire nous a confirmé avoir des obligations très strictes en la matière : il doit 44 hectares de mesures compensatoires, 55 hectares de renaturation de zones humides, 55 hectares de reboisement et 25 hectares de compensation agricole. L’effectivité des mesures compensatoires est contrôlée par les services de l’État pendant toute la durée du contrat de concession.
Monsieur Biteau, puisque vous faites régulièrement la route, arrêtez-vous un jour à Castres, je vous y accueillerai volontiers et vous ferai rencontrer des chefs d’entreprise et des habitants, qui vous diront combien il est risible de considérer que la route entre Castres et Toulouse est praticable et sûre. Au cours des dix dernières années, il y a eu 10 morts et plus de 150 blessés – dont 65 ont dû être hospitalisés – sur cette route très accidentogène. Vous pouvez m’accuser de ne pas être honnête, donc demandez aux services du Sdis, qui réalisent 300 interventions d’urgence par an. Ils vous diront que mettre seulement vingt-cinq minutes pour aller à l’hôpital Purpan de Toulouse peut permettre de sauver des vies.
Merci, madame Ferrari, d’avoir rappelé les termes de la décision du Conseil constitutionnel, qui confirme que nous agissons bien dans le cadre de nos prérogatives et que nous ne nous substituons pas à une décision de justice. Tant que la décision du tribunal administratif n’a pas la force de la chose jugée, le législateur a la possibilité d’autoriser rétroactivement un projet obéissant à des motifs impérieux d’intérêt général. C’est ce que nous faisons aujourd’hui.
Madame Voynet, mes chiffres sont très objectifs. Pas moins de 300 millions d’euros ont déjà été dépensés par le concessionnaire.
Mme Christine Arrighi (EcoS). C’est lui qui le dit !
M. Jean Terlier, rapporteur. Tout cela est contrôlé par les services du ministère chargé des transports, madame Arrighi ! Arrêtez d’être aussi suspicieuse alors que ces chiffres vous ont été confirmés dans le cadre de la commission d’enquête. Les sociétés ASF (autoroutes du sud de la France) et Atosca (Autoroute Toulouse Castres) le disent : la mise à l’arrêt du projet coûte 10 millions d’argent public chaque mois. On peut toujours balayer ces chiffres d’un revers de la main, mais ils me semblent constituer à eux seuls l’un des motifs impérieux d’intérêt général devant nous conduire à adopter cette proposition de loi de validation des autorisations environnementales de l’autoroute A69.
La commission rejette les amendements.
Amendement CD32 de M. Ian Boucard
M. Ian Boucard (DR). Cet amendement procède à une réécriture globale, complète et indivisible de la proposition de loi. Il articule trois dispositions interdépendantes : la validation des arrêtés concernés, la détermination législative du caractère de raison impérative d’intérêt public majeur sur laquelle reposent la validation et les garanties contentieuses indispensables à l’équilibre constitutionnel du dispositif.
L’objectif est de sécuriser la rédaction du texte pour empêcher l’arrêt du chantier de l’A69 et de l’A680 à quelques mois de son achèvement, en validant rétroactivement les deux autorisations environnementales annulées par le tribunal administratif de Toulouse le 27 février dernier, au motif qu’elles ne répondaient pas à une raison impérative d’intérêt public majeur.
La validation proposée répond à d’impérieux motifs d’intérêt général, eu égard au soutien clair dont bénéficie le projet d’A69 de la part des acteurs politiques et socio-économiques du territoire, mais aussi aux conséquences dommageables qu’entraînerait un arrêt définitif du chantier. Comme l’a rappelé le rapporteur à plusieurs reprises, 80 % des travaux ont été réalisés sur l’A680 et, s’agissant de l’A69, le déboisement est presque achevé et 54 % des volumes de terrassements et 70 % des ouvrages d’art sont déjà réalisés. En outre, plus de 70 % des dépenses ont déjà été engagées, soit 390 millions d’euros sur un coût prévisionnel total d’environ 550 millions. J’ajoute que l’arrêt du chantier nous coûte 10 millions d’euros chaque mois.
M. Jean Terlier, rapporteur. Je m’en remets à la sagesse de la commission. Je suis soucieux de trouver une majorité sur ce texte et le dispositif proposé par la Droite républicaine me semble pertinent, plus complet et plus robuste que le texte initial d’un point de vue constitutionnel.
Je répète à nouveau que 80 % des travaux de l’A680 et 70 % des terrassements de l’A69 sont déjà achevés. Ce sont les chiffres exacts.
Mme Anne Stambach-Terrenoir (LFI-NFP). La proposition de loi est contraire à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l’homme : cette nouvelle rédaction n’y changera rien.
Pour qu’une proposition de loi de validation soit entérinée par le Conseil constitutionnel, elle doit présenter un motif impérieux d’intérêt général : ce n’est pas le cas, puisque rien ne garantit que l’A69 sera réellement bénéfique pour le développement économique de Castres, comme nous l’avons démontré. En outre, selon une jurisprudence constante du Conseil, un motif purement financier n’est pas de nature à fonder une validation législative, sauf si les sommes perdues étaient très élevées et susceptibles de mettre en péril l’intérêt public : là non plus, ce n’est pas le cas. D’après le rapport de M. Terlier, l’arrêt du chantier coûterait au moins 600 millions d’euros. C’est un montant élevé, mais qui ne représente que 0,08 % des dépenses de l’État pour 2025. L’annulation du projet d’A69 ne mettra donc pas le pays en faillite. Enfin, toutes les lois de validation confirmées par le Conseil constitutionnel et qui mettaient en jeu des sommes semblables, citées en exemple dans le rapport, l’ont été parce qu’il existait d’autres motifs que financier. Ces comparaisons ne sont donc pas pertinentes.
Cette proposition de loi est aussi contraire à la Convention européenne des droits de l’homme, puisque son adoption mettrait fin au contentieux en cours sur le fond de l’autorisation environnementale et priverait donc les citoyens de leur droit à un procès équitable. Le but de ce texte est de bâillonner les défenseurs de l’environnement en les privant d’un droit sacré, celui de pouvoir contester toute décision ou projet s’ils s’estiment lésés. Toutes les juridictions suprêmes du droit français ont des jurisprudences constantes et largement fournies sur le sujet : le Conseil d’État et la Cour de cassation affirment ainsi que le droit à un procès équitable, garanti par la Convention, s’oppose à « l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice afin d’influer sur le dénouement judiciaire d’un litige ».
Comme vous le savez parfaitement, le motif impérieux d’intérêt général de cette proposition de loi n’existe pas. Nous voterons donc contre cet amendement.
Mme Manon Bouquin (RN). Nous soutiendrons cet amendement, qui caractérise plus précisément les fondements législatifs et réglementaires de la proposition de loi. Le dispositif nous paraît plus complet, plus robuste et davantage susceptible de répondre aux impératifs constitutionnels, sans altérer le résultat attendu du texte.
M. Benoît Biteau (EcoS). Je reviens sur la séquence ERC. Vous ne nous avez parlé que de compensation, monsieur le rapporteur : moi, je vous parle d’évitement et de réduction, les deux étant nécessaires pour éviter des conséquences trop lourdes pour l’environnement. Puisque vous semblez convaincu que les mesures compensatoires sont remarquables, j’espère que vous vérifierez bien, si vous parvenez à faire avancer ce projet autoroutier, qu’elles ont toutes été totalement déployées avant que la moindre roue ne touche l’autoroute !
M. Jean Terlier, rapporteur. Vous savez pertinemment que ce n’est pas comme cela que ça marche.
M. Benoît Biteau (EcoS). Cela devrait être le cas !
Et puisque vous avez joué sur la corde sensible des accidents, je vais faire quelque chose que je n’ai encore jamais fait dans ma vie politique : vous parler de ma petite sœur, que j’ai perdue dans un accident de voiture. Comme je le disais, je connais bien le trajet entre Castres et Toulouse : je ne vois pas ce qui empêcherait les secours de rejoindre l’hôpital de Castres ou celui de Toulouse en moins d’un quart d’heure sur l’infrastructure actuelle. Votre argument joue sur le pathos, c’est insupportable.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Monsieur le rapporteur, j’ai été stupéfaite de constater que vous n’avez pas souhaité vous déporter ou renoncer à être rapporteur dans un dossier où vous êtes intervenu en tant qu’avocat depuis plusieurs années et où des interactions sont possibles avec une entreprise privée qui pratique un lobbying très appuyé en faveur de l’autoroute. Je comprends mieux maintenant à quelle vitesse vous avez oublié…
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Madame Voynet, les attaques personnelles n’ont pas leur place en commission.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Les travaux de la commission d’enquête, qui ont duré près de cinq mois et auxquels a participé M. Terlier, ont contredit tous les chiffres avancés par celui-ci, comme on peut s’en assurer en consultant le site internet de l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, la société Atosca fait l’objet de quarante-deux rapports pour manquement administratif par rapport aux engagements pris dans ce contrat, que je tiens à votre disposition. Je tiens également à votre disposition celui qui est couvert par le secret des affaires, dont de nombreux éléments n’auraient pas été révélés sans la commission d’enquête. Nous vous en reparlerons ultérieurement. Les préfectures qui ont accordé les autorisations environnementales ont envoyé à la société Atosca quinze mises en demeure, dont la dernière, de quatre-vingts pages, date du 7 mai. Face à un tel bilan de quarante-deux rapports pour manquement et de quinze mises en demeure, on peut s’inquiéter pour les mesures compensatoires annoncées.
Auditionnée sous serment par la commission d’enquête, cette société, qui s’était engagée devant la représentation nationale à planter cinq arbres pour chaque arbre coupé, s’est rendu compte que sa communication était exagérée. Lorsque je l’ai confrontée à un contrat qui ne bénéficiait plus du secret des affaires, elle est revenue sur cette affirmation en reconnaissant qu’il n’y avait dans le contrat aucun engagement de sa part en ce sens. Du reste, elle ne sait même pas combien d’arbres ont été coupés, puisqu’elle ne les a pas comptés ni n’a noté les espèces et les surfaces.
Quant aux mesures de compensation prévues par le contrat, comment pourraient-elles être déployées alors que la société n’a pas la maîtrise foncière ? Tous les éléments avancés sont donc inexacts, sinon faux – nous en reparlerons ultérieurement. Ainsi, le temps gagné, qui a été initialement évalué à trente-cinq minutes, puis à vingt-cinq, est aujourd’hui présenté comme étant de quinze minutes, mais ce chiffre ne vaut que sur le bitume de l’autoroute ; or la route nationale compte plus de dix ou douze points d’entrée, tandis que l’autoroute n’en aura que trois ou quatre : on perd donc pour rejoindre l’autoroute le temps qu’on y gagne entre Castres et Toulouse. Qui plus est, l’aller-retour coûtera plus de 20 euros par jour, soit 100 euros par semaine et 400 euros par mois. Quant à la prétendue réduction de tarif de 33 %, elle ne s’appliquera que sur 9 kilomètres : cela ne figure pas dans les éléments du dossier de M. Terlier. J’évoquerai plus tard d’autres éléments et d’autres chiffres inexacts.
Mme Marina Ferrari (Dem). Monsieur Biteau, ce n’est pas du pathos que de rappeler les risques d’accident liés à un itinéraire, même si je regrette, cher collègue, le drame personnel que vous avez connu. Vous connaissez mieux que moi cet itinéraire : la RN126 est une route à 2×1 voies bordée d’arbres, sans séparateur central et, d’après l’historique que j’ai consulté, la plupart des accidents s’y sont produits à l’occasion de dépassements. Le risque de sécurité routière est avéré sur cet axe et il est de notre devoir de sécuriser les déplacements de nos concitoyens.
Vous avez ensuite évoqué les notions d’évitement et de réduction, auxquelles je souscris, mais je voudrais que l’on pense également aux populations riveraines de la RN126, où les milliers de poids lourds qui traversent quotidiennement de nombreux bourgs créent d’importantes nuisances, en particulier pour la qualité de l’air. Il s’agit donc d’éviter les bourgs et de réduire les effets néfastes, particulièrement sur la santé de nos concitoyens.
M. Pierre Cazeneuve (EPR). Madame Voynet, je tiens à exprimer mon soutien au rapporteur à la suite des propos que vous venez de tenir. Vos insinuations de conflit d’intérêts visant M. Terlier sont absolument scandaleuses. Les seuls intérêts qui guident notre collègue sont ceux des habitants de sa circonscription et, globalement, de tous les Français. Je ne vous permets donc pas de remettre en cause sa probité en l’accusant, en outre, de mensonge. J’espère que vous lui présenterez des excuses pour l’avoir accusé d’avoir été partie prenante et d’être guidé, dans le dépôt de cette proposition de loi, par des motivations financières ou autres.
Revenons à l’amendement. Madame Arrighi, je me suis contenté de rappeler qu’une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) n’était pas un blanc-seing pour faire n’importe quoi, mais l’une des trois conditions nécessaires pour bénéficier d’une dérogation à la protection des espèces, les autres conditions étant l’absence d’alternative suffisante et le maintien dans un état favorable des espèces concernées. Ce n’est que si l’autorité compétente considère que la perspective du maintien des espèces est favorable que la dérogation pourra être accordée. Je ne conteste pas le travail que vous avez effectué certainement avec le plus grand sérieux dans le cadre de votre commission d’enquête, mais il ne faut pas mettre en cause la neutralité de l’État dans la délivrance de l’autorisation environnementale une fois tranchée la question de la RIIPM, car des obligations s’imposent au concessionnaire et aux infrastructures, notamment des clauses environnementales. Je tenais à le préciser pour ne pas laisser penser que ce serait ensuite Disneyland. C’est ce que nous avons fait pour l’ensemble des projets d’énergie renouvelable, qui sont également réputés relever d’une RIIPM.
M. Vincent Thiébaut (HOR). Je tiens moi aussi à exprimer mon soutien au rapporteur. Je regrette les propos et les attaques personnelles que nous avons entendus. Cet état d’esprit n’a jamais été celui de cette commission, en tout cas depuis sept ans que j’y siège.
L’amendement me semble assurer une plus grande solidité juridique et constitutionnelle : nous y serons donc plutôt favorables. À défaut de bien connaître le territoire concerné par le projet, je peux au moins en citer deux autres qui ont initialement été très contestés. Celui du grand contournement ouest (GCO) de Strasbourg, qui datait de quarante ans, a amélioré la qualité de l’air et a permis à la ville de passer sous le seuil d’obligation de déploiement d’une zone à faibles émissions (ZFE), ce qui témoigne de la cohérence du projet. Plus près de Castres, en Ariège, département dont je suis originaire, l’ouverture d’une autoroute sur un axe très fréquenté par les camions a permis de se rendre à Toulouse avec plus de fluidité et de sécurité, comme le font régulièrement mes parents, qui habitent à Pamiers, pour consulter des médecins spécialistes qu’ils ne trouvent pas près de chez eux ni à Foix.
M. Ian Boucard (DR). Nous entendons tout et n’importe quoi. Pour ce qui est du tarif, il faut comparer le prix de l’aller-retour par l’autoroute, soit 20 euros, avec celui du voyage en train entre Castres et Toulouse, qui est, sur le site de la SNCF, de 10 euros pour l’aller le moins cher et de 17,30 euros en moyenne, soit 34 euros pour l’aller-retour : l’autoroute ne sera jamais plus chère, alors que le temps de trajet de gare à gare est d’une heure dix, contre vingt-cinq à trente-cinq minutes par l’A69. Vous dites que l’employeur paie la moitié du trajet en train, mais les Castrais qui vont se faire soigner à Toulouse n’y sont pas envoyés par leur employeur. Votre posture est totalement idéologique.
Vous dites que ce que nous sommes en train de faire contreviendrait aux droits de l’homme : vous parlez des droits de l’homme d’associations environnementales qui ne pourraient plus s’accrocher dans les arbres ? Je souhaite assurément que chacun puisse assouvir ses passions, notamment celle de s’accrocher dans les arbres, mais je voudrais qu’on s’intéresse aussi aux droits des Castrais et des habitants du sud du Tarn, qui ont voté depuis quarante ans, avec une constance remarquable, pour des gens qui soutenaient le projet d’A69. Dans le sud du Tarn et en Occitanie, l’ensemble des élus, du parti socialiste jusqu’à la droite et au Rassemblement national, soutiennent l’A69, mais ils n’auraient pas le droit de voir s’accomplir un projet qu’ils défendent devant leurs électeurs depuis une quarantaine d’années. Les Sud-Tarnais n’ont pas le droit d’avoir accès à l’autoroute – et celui qui vous le dit est un élu du territoire de Belfort, qui a la chance d’avoir une gare TGV et un aéroport à moins d’une heure. Il s’agit en effet d’un territoire industriel qui a pu se renouveler et diversifier son industrie et son économie grâce à Jean-Pierre Chevènement, qui a amené chez nous l’autoroute et la gare TGV, lesquelles permettent aujourd’hui d’attirer des entreprises. Je souhaite la même chance au Tarn, au Cantal et à la Haute-Saône, ainsi qu’à l’ensemble des territoires de notre pays.
Enfin, j’exprime, moi aussi, mon soutien à M. le rapporteur, car les engagements professionnels ou militants que nous avons eus avant notre vie politique ne nous interdisent pas de défendre ici des projets. Si ce n’était pas le cas, madame Voynet, puisque vous avez été – et êtes peut-être encore – adhérente des Amis de la Terre, vous ne pourriez pas intervenir ici, puisque les Amis de la Terre ont obtenu l’annulation du projet dont nous parlons aujourd’hui.
Mme Danielle Brulebois (EPR). Je trouve regrettable la tournure que prennent nos débats car, dans cette commission où je siège depuis sept ans, nous avons toujours été respectueux des opinions et des expressions de chacun et des différents groupes politiques, sans porter de jugements de valeur sur ce que pensent ou sur ce que sont nos collègues, quelles que soient nos divergences. Je trouve injustes et injustifiées les attaques personnelles visant M. Terlier.
Quant à l’amendement de M. Boucard, il est excellent, car il articule la validation des arrêtés et la détermination législative de la RIIPM avec l’intérêt général majeur que sert ce projet.
M. Jean Terlier, rapporteur. Madame Stambach-Terrenoir, selon vous, les coûts et les considérations financiers ne pourraient pas être retenus comme un motif d’intérêt général impérieux, mais ce n’est pas la position du Conseil constitutionnel : je vous renvoie à ce propos à des décisions du 18 décembre 1997 et du 14 février 2014, ainsi qu’à des décisions de 2021 citées dans mon rapport. Par ailleurs, si c’était l’un des motifs que j’invoquais pour la constitutionnalité de cette démarche, ce n’était pas le seul : il faut également tenir compte des nombreux critères socioéconomiques dont nous avons débattu depuis le début de notre réunion et qui me semblent justifier que l’on puisse retenir ce motif impérieux d’intérêt général.
Monsieur Biteau, ce n’est pas, comme vous le savez, lors de la mise en circulation de l’autoroute que l’on contrôle l’application des mesures compensatoires, mais pendant toute la durée du contrat de concession et sous le contrôle de l’administration, laquelle vérifie que les obligations du concessionnaire sont parfaitement respectées.
Pour remettre les choses à leur juste proportion, s’il y avait eu, pendant les longs mois où la commission d’enquête a travaillé sur la légalité du contrat de concession de l’autoroute A69, le moindre élément de nature à faire suspecter des irrégularités, la rapporteure Christine Arrighi en aurait saisi la justice.
Mme Christine Arrighi (EcoS). C’est ce que j’ai fait. J’ai fait un signalement au procureur.
M. Jean Terlier, rapporteur. Il ne me semble pas que les éléments examinés par la commission d’enquête aient permis de le faire et il est un peu délicat de jeter aujourd’hui l’anathème sur la probité d’un concessionnaire ou d’un contrat de concession et de mettre en cause la légalité de la procédure et l’indépendance du ministère chargé des transports. Les fonctionnaires concernés seront heureux d’apprendre que vous mettez en cause leur indépendance et leur probité.
Enfin, madame Voynet, je suis plutôt satisfait que vous ayez tenu ces propos car, quand on commence à faire des attaques personnelles, c’est qu’on n’a plus beaucoup d’arguments sur le fond. Je vous invite, ainsi que tous les collègues qui ont soutenu les propos par lesquels vous me reprochez des conflits d’intérêts, à avoir le courage de les répéter hors de l’enceinte de l’Assemblée nationale, car cela me permettra de déposer plainte contre vous en diffamation sans que vous soyez couverts par le mandat parlementaire. Nous pourrons alors en débattre devant les tribunaux et sous le contrôle d’un juge, puisque vous êtes si attachés à l’indépendance des magistrats.
Madame Voynet, la question du conflit d’intérêts a déjà été soulevée par La France insoumise et par Mme Arrighi pour m’empêcher de présider la commission d’enquête sur l’autoroute A69, mais les deux avis rendus en toute indépendance par notre déontologue ont conclu qu’il n’y avait pas de conflit d’intérêts.
La commission adopte l’amendement et l’article unique est ainsi rédigé.
En conséquence, les autres amendements tombent.
Après l’article unique
Amendement CD24 de Mme Lisa Belluco
Mme Christine Arrighi (EcoS). Cet amendement vise à ce que la RIIPM ne puisse pas être délivrée aux projets autoroutiers, qui ne présentent jamais un intérêt public majeur. Il a également pour objet, monsieur le rapporteur, d’éviter ce que vous êtes en train de faire ici, à savoir enjamber les décisions de justice, en empêchant que le juge puisse s’exprimer, et neutraliser le pouvoir d’amendement des parlementaires, en faisant tomber l’ensemble des amendements que nous aurions pu défendre. Nous avions envisagé cette stratégie, claire comme de l’eau de roche, mais nous n’imaginions pas que vous l’appliqueriez. Vous n’avez même pas le courage d’affronter nos arguments et recourez à une stratégie organisée avec le Rassemblement national, alors que vous avez été élu au titre du front républicain. Vous ne devriez pas être fier de ce que vous êtes en train de faire.
M. Jean Terlier, rapporteur. Avis défavorable. Je rappelle que nous avons déjà voté à plusieurs reprises et que nous avons toujours été majoritaires, comme en atteste le décompte établi par Mme la présidente, à savoir vingt-sept voix contre dix-sept. Je ne vois donc pas pourquoi vous avancez ces arguments.
Mme Anne Stambach-Terrenoir (LFI-NFP). On nous présente comme un progrès une soixantaine de projets qui, comme celui de l’A69, ont été pensés au siècle dernier, dans les années 1990. Le ministre Philippe Tabarot me répondait ainsi, à propos de l’A69, qu’il ne fallait pas que le droit de l’environnement soit un droit contre le progrès. C’est mal comprendre le droit de l’environnement, qui est aussi un droit de protection de la population. Aujourd’hui, le progrès doit être la prévention du changement climatique et l’adaptation à celui-ci. Le gouvernement lui-même propose un plan en ce sens. C’est là que se trouve la véritable urgence. Les inondations désastreuses survenues à Valence ou à La Réunion ont la même cause : outre le réchauffement climatique et l’augmentation des quantités de gaz à effet de serre, l’artificialisation des sols empêche la terre d’absorber l’eau qui tombe, comme on l’a vu dans des zones de travaux sur le tracé de l’A69, où certains endroits étaient régulièrement inondés alors qu’ils ne l’étaient jamais auparavant. Personne ne conteste qu’il faille aménager le territoire et réfléchir aux mobilités, mais il faut le faire à l’aune du changement climatique. C’est ce que nous devrions faire aujourd’hui, au lieu de piétiner la justice.
C’est d’autant plus vrai qu’une autoroute ne crée pas d’activité – c’est une idée héritée des années 1960 et 1970 –, elle la déplace. Dans le cas qui nous intéresse, c’est Toulouse qui emportera la mise et cela n’arrangera pas le bassin d’emploi de Castres. Lorsqu’on dit qu’il faut construire une autoroute pour des raisons de sécurité, de qui se moque-t-on ? Le réaménagement de la RN126 aurait été une bonne alternative à ce projet d’autoroute inutile, bonne pour la population, l’intérêt général et l’environnement. Au lieu de cela, aucune autre piste n’a été sérieusement étudiée, de l’aveu même de l’Autorité environnementale.
Mme Danielle Brulebois (EPR). Nous avons entendu un nouveau procès d’intention intenté à M. Terlier. Un amendement qui en fait tomber d’autres, c’est le quotidien de notre assemblée : plusieurs grappes de vingtaines d’amendements sont tombées lors de l’examen de la proposition de loi Duplomb, sans que personne ne pousse des cris d’orfraie ou fasse des procès d’intention à quiconque.
M. Nicolas Bonnet (EcoS). Depuis le début de notre débat, je n’ai guère entendu prononcer le mot « climat », que nous avons, en revanche, beaucoup entendu ce matin, où notre commission auditionnait le Haut Conseil pour le climat. Nous nous sommes interrogés sur ce qu’il fallait faire pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, sur la base des analyses factuelles des scientifiques – car c’est nous qui, défendant nos idées, sommes des idéologues. Le Haut Conseil pour le climat a déclaré très clairement qu’il fallait arrêter les nouveaux projets routiers et diminuer le trafic routier, en le décarbonant pour partie et en nous efforçant de pratiquer au maximum le report modal. Une autoroute accroîtra nécessairement les émissions de gaz à effet de serre, que ce soit lors de sa construction puis de sa mise en service : elle encouragera le trafic et la vitesse – plus on roule vite, plus on consomme, raison pour laquelle nous avons débattu voilà quelques années d’une éventuelle réduction de la vitesse maximale sur les routes et les autoroutes. En quoi la construction d’une infrastructure augmentant les émissions de gaz à effet de serre peut-elle être d’intérêt général ?
Monsieur Terlier, le site de la SNCF indique une durée de trajet variant entre une heure six minutes et une heure vingt, soit une heure treize en moyenne. Dire qu’elle est d’une heure quarante est un mensonge.
Monsieur Boucard, comment pouvez-vous comparer le prix du trajet sur autoroute avec celui du train ? Serait-il donc gratuit d’acheter une voiture et d’y mettre de l’essence ? Est-ce à dire que les seuls frais de déplacement que vous vous faites rembourser par l’Assemblée sont vos frais de péage ? Ne soyez pas ridicule ! Ce n’est pas ainsi que l’on calcule des prix.
Revenons à la raison et retrouvons-nous autour d’un point qui devrait faire consensus : réduire les émissions de gaz à effet de serre pour que les générations futures n’aient pas à souffrir de nos choix actuels.
M. Pierre Meurin (RN). Je me réjouis que l’adoption de l’amendement de M. Boucard nous évite une quinzaine de prises de parole répétitives.
L’amendement que nous examinons vise, comme d’habitude, à instaurer un moratoire sur la construction de routes. Vous parlez de protéger et de sécuriser, mais vous allez encore plus loin que d’habitude, car vous voulez interdire la construction de routes à chaussées séparées par un terre-plein central, donc l’élargissement de routes qui n’ont pas 2x2 voies. Au nom de votre idéologie, vous vous opposez clairement à la sécurité routière, car c’est sur ce type de routes secondaires que se posent des problèmes de sécurité.
C’est toujours la même chose : vous voulez tout fermer et tout arrêter. Madame Voynet, vous avez fermé Superphénix, ce qui nous a apporté du charbon allemand. Grâce à vous, nous avons beaucoup gagné en décarbonation ! Vous étiez opposée à la RIIPM lors du débat sur la loi relative au nucléaire, mais vous l’avez défendue à propos des éoliennes. Le peuple français jugera.
Mme Marina Ferrari (Dem). Nous devons en effet réfléchir à nos mobilités à l’aune du changement climatique. Toutefois, vous vous opposez, par posture idéologique, à toute nouvelle construction d’infrastructure, même ferroviaire. Votre opposition au projet Lyon-Turin en témoigne. Elle permettrait pourtant un report du fret routier.
Madame Voynet – ce n’est pas une attaque personnelle, car je sais que le contexte a pu changer –, vous avez déclaré en 2001 vouloir valoriser les « atouts » de Dole « qui dispose d’un aéroport, d’un canal, de deux autoroutes et d’un arrêt du TGV qui situe la ville à deux heures de Paris ». Certaines infrastructures sont en effet nécessaires au développement économique d’un territoire et au bien-être de la population. Malheureusement, certains territoires en sont encore dépourvus ; ils ont pourtant le droit, eux aussi, d’avoir des atouts.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CD15 de Mme Anne Stambach-Terrenoir
M. Sylvain Carrière (LFI-NFP). Ce débat est un non-sens au regard de la séparation des pouvoirs. Le tribunal, incarnation du pouvoir judiciaire, a annulé l’autorisation environnementale – à juste titre, après les alertes répétées de l’autorité environnementale et des associations. Il n’appartient ni au pouvoir législatif ni au pouvoir exécutif de valider l’autorisation environnementale au nom d’une raison impérative d’intérêt public majeur afin de poursuivre le chantier. Aucun élément nouveau n’est en effet survenu depuis la décision du tribunal administratif, après que l’autorité environnementale a qualifié le projet d’ anachronique, et voilà que vous voulez revenir dessus ; c’est inadmissible. Vous vous appuyez simplement sur des sondages orientés en faveur de l’autoroute, comme cela a été fait pour d’autres projets routiers inutiles. Dans l’Hérault, Vinci commande des sondages analogues en posant la question suivante : « Voulez-vous supprimer les embouteillages via un nouveau contournement routier ouest de Montpellier ? » Loin de supprimer les embouteillages, ces projets accentuent la dépendance à la voiture.
La voiture coûte 300 euros par mois à chaque Français. Elle dicte l’aménagement du territoire. Certes, elle garantit la liberté de mouvement, mais elle asservit toute la société à son usage. Quinze millions de personnes sont en situation de précarité mobilité – et ce n’est pas parce qu’elles ne vivent pas à proximité d’une autoroute.
Pourquoi ne pas avoir déposé une proposition de loi déclarant l’accès à la mobilité sur tous les territoires comme une raison impérative d’intérêt public majeur ? Vous auriez pu améliorer les mobilités du quotidien, mais vous préférez vous asservir aux intérêts privés d’un autoroutier qui facturera 6,50 euros, au minimum, pour un trajet qui est aujourd’hui gratuit, et pour un gain de temps de dix minutes seulement.
M. Jean Terlier, rapporteur. Défavorable. Je ne suis asservi à aucun intérêt privé : le seul intérêt qui me guide, c’est celui des habitants du sud du Tarn qui souhaitent, à plus de 75 %, que les travaux s’achèvent pour les désenclaver.
Le texte ne contrevient en rien à l’État de droit et respecte la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la conformité d’une loi de validation avec la Constitution. Il ne porte pas non plus atteinte à l’indépendance de la justice.
Je rappelle que 10 millions d’argent public sont partis en fumée au cours du seul mois de mars du fait de l’arrêt du chantier. S’il devait s’arrêter définitivement, ce serait plus de 500 millions.
Mme Christine Arrighi (EcoS). C’est faux !
M. Jean Terlier, rapporteur. Vous aurez beau dire que c’est faux, vous n’étayez ce jugement par aucun argument. Je vous renvoie à nos discussions et auditions antérieures, qui contiennent tous les éléments que je viens de vous répéter.
Mme Claire Lejeune (LFI-NFP). Nous ressentons un très fort malaise et la vivacité de nos débats est à la mesure de la gravité de ce que nous sommes en train de faire.
Nous représentons des circonscriptions mais, en tant que députés de la nation, nous devons tendre vers l’intérêt général. Nos conceptions en diffèrent. Nous y incluons en effet les enjeux climatiques et de biodiversité. Notre rôle est de mettre en débat les visions concurrentes de l’intérêt général afin que nos votes définissent une loi, que les tribunaux administratifs devront appliquer.
Vous agissez comme si, sur la base d’un sondage, vous déteniez le monopole de l’intérêt général, au nom duquel vous voulez annuler une décision de justice. Cela risque de créer un précédent très dangereux.
Nous discutons d’un projet d’autoroute mais vous le séparez de l’enjeu global de la mobilité. Nos arguments divergent, ce qui est respectable, mais ils doivent s’opposer dans le cadre d’un débat général sur les intérêts de la nation. Il faut prendre en compte les enjeux climatiques et l’ensemble du territoire. On ne peut pas faire des lois pour tel ou tel bout d’autoroute. Comment bâtir une stratégie environnementale et climatique dans ces conditions ?
Nous nous inquiétons également de la tendance de fond à l’affaiblissement des mesures compensatoires. Le projet de loi de simplification de la vie économique contient ainsi des mesures qui visent à les décaler dans le temps.
Monsieur Boucard, il n’y a pas d’opposition entre les droits humains et la préservation des arbres et de la biodiversité. Je vous rappelle que le droit à un environnement sain et durable est prévu par les Nations unies et par la Charte de l’environnement. Vous nous accusez de faire de l’idéologie, mais vous refusez, de manière simpliste et non scientifique, de relier l’humanité à la biodiversité.
M. Nicolas Bonnet (EcoS). Voici un amendement de bon sens. Nous sommes tous d’accord sur la nécessité de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, je n’ai pas entendu M. Terlier mentionner le fait que cette autoroute contribuera à leur augmentation. Je vous propose d’attendre 2100 pour voir si, d’ici là, nous avons réussi à les diminuer et si nous pouvons, dès lors, nous permettre de construire cette superbe autoroute.
En attendant, développons plutôt le train puisqu’il existe déjà une ligne. Madame Ferrari, je vous rassure : le groupe des écologistes est complètement favorable au train mais, vu que l’argent public n’est pas infini, il faut définir des priorités. Nous pensons qu’elles doivent porter sur les lignes qui maillent le territoire et sur les lignes du quotidien, les grands axes, les services express régionaux métropolitains, les lignes fermées qu’il faudrait rouvrir, plutôt que de doubler la voie Lyon-Turin, puisque je vous rappelle qu’il existe déjà une ligne sur ce trajet qui permet de transporter du fret. Il y va de la bonne gestion de l’argent public.
Mme Corinne Vignon (EPR). Madame Lejeune, une partie de cette autoroute – le segment Toulouse-Verfeil – passe dans ma circonscription et je ne ressens aucun malaise, à la différence sans doute des élus du Tarn, qui attendent le désenclavement de leur région, des créateurs d’entreprise, qui veulent s’y implanter, des jeunes actifs, qui veulent pouvoir bénéficier de prix de l’immobilier plus attractifs qu’à Toulouse, ou des grandes entreprises qui doivent faire face à une pénurie de profils qualifiés – dans les secteurs de la pharmacie, de la recherche-développement et de l’ingénierie par exemple. Moins les transports sont aisés et plus elles peinent à fidéliser les jeunes talents, d’où une hausse du turnover. Pour une entreprise internationale, l’absence d’autoroute est un désavantage territorial.
M. Vincent Thiébaut (HOR). Nous devons d’abord faire confiance aux élus locaux, quel que soit leur bord – y compris la présidente de la région qui, à ma connaissance, n’est pas proche du bloc central. Ils connaissent leur territoire dans tous ses aspects, sociaux, économiques, environnementaux et, avec la population locale, ils soutiennent ce projet.
La commission rejette l’amendement.
Titre
Amendements CD9 et CD8 de Mme Anne Stambach-Terrenoir, CD18 et CD2 de Mme Christine Arrighi, CD7 de Mme Anne Stambach-Terrenoir, CD3 et CD6 de Mme Christine Arrighi et CD31 de Mme Lisa Belluco (discussion commune)
Mme Anne Stambach-Terrenoir (LFI-NFP). Nous proposons que le titre, « proposition de loi visant à piétiner l’État de droit », redonne tout son sens au texte puisqu’il vise à écraser une décision de justice et donc à bafouer le principe de séparation des pouvoirs.
L’État savait que le projet n’était pas motivé par une raison impérative d’intérêt public majeur et n’a étudié les alternatives que de façon superficielle et biaisée, ainsi que l’a reconnu l’autorité environnementale. La justice a donc fait son travail en reconnaissant l’illégalité du projet, mais l’État est passé en force, d’abord en déposant un recours demandant la reprise des travaux avant la décision d’appel, ensuite avec cette proposition de loi, défendue par des parlementaires complices.
Ces manœuvres déshonorent notre mandat. Nous devons défendre l’État de droit. Ceux qui soutiennent cette proposition pensent livrer un combat contre les méchants écologistes qui empêcheraient ce que vous qualifiez de progrès, mais vous ne comprenez pas que le droit de l’environnement est constitutif de l’intérêt général. Ce faisant, vous vous attaquez frontalement à un pilier de notre démocratie : l’État de droit et la séparation des pouvoirs. C’est grave. Ce texte couvre de honte la représentation nationale.
M. Bérenger Cernon (LFI-NFP). Nous voulons par cet amendement dénoncer une atteinte grave à l’État de droit, qu’illustre le comportement de certains collègues dans cette salle. En réalité, c’est une interférence directe dans une procédure judiciaire en cours, ce qui constitue une violation manifeste du principe de séparation des pouvoirs. Au reste, le calendrier est éloquent : l’examen du texte coïncide avec celui du sursis à exécution devant la cour.
Le Conseil d’État l’a rappelé : seuls des motifs impérieux d’intérêt général peuvent justifier une telle ingérence. Or ici, il s’agit juste de sauver un projet inutile et destructeur. C’est un précédent dangereux qui ouvre la boîte de Pandore.
Je rappelle que le principe de séparation des pouvoirs est la condition même de la garantie des droits, comme l’atteste la lettre même de la Constitution et de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, que je vous cite…
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Je rappelle que vous disposez d’une minute pour défendre un amendement. J’ai déjà largement laissé le temps à tous de discuter et les groupes La France insoumise et Écologistes ont pu prendre deux à trois fois la parole pour chaque amendement, à la différence des autres groupes.
Pour ces amendements, vous pouvez faire une présentation groupée. Je vous laisserai alors le temps de parole que vous voulez. Si vous souhaitez les présenter un par un, je limite le temps de parole à une minute.
Mme Christine Arrighi (EcoS). L’amendement CD18, qui précise que la proposition de loi vise « à légaliser l’illégalité environnementale », permet de revenir sur la question des zones humides. Elles mettent des siècles à se constituer et il n’est pas certain qu’elles puissent se reconstituer par des mesures de compensation.
Je voulais également revenir sur la question de la souveraineté alimentaire. L’autoroute, qui coûtera 20 euros aller-retour par personne et par jour, doit être construite en doublement d’une voie ferrée qui doit être rénovée et d’une route nationale qui n’est pas surchargée…
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Le temps est écoulé. Je vous redonne la parole pour présenter l’amendement CD2.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Je poursuis. L’autoroute va contraindre des sociétés de transport par poids lourds, dont les marges sont très faibles, à payer plus de 60 euros pour un trajet qu’elles parcourent aujourd’hui gratuitement.
Si vous n’êtes pas sensibles à la question environnementale, intéressez-vous au moins à la question sociale. L’ouverture de l’autoroute entraînera le déclassement de la route nationale en route départementale, dont l’entretien sera à la seule charge du contribuable tarnais alors que les départements sont en très grande difficulté…
Mme la présidente Sandrine Le Feur. La parole est à Mme Sandrine Nosbé, pour défendre l’amendement CD7.
Mme Sandrine Nosbé (LFI-NFP). Cette proposition de loi vise, ni plus ni moins, à outrepasser la compétence du juge administratif et à interférer dans le dénouement d’un litige en cours. La décision du tribunal administratif de Toulouse, qui annule l’arrêté autorisant les concessionnaires à poursuivre les travaux, est très claire. Elle fonde cette annulation sur le caractère limité des apports de l’autoroute en termes économiques et sociaux et en gains…
Mme la présidente Sandrine Le Feur. La parole est à Mme Christine Arrighi pour défendre l’amendement CD3.
Mme Sandrine Nosbé (LFI-NFP). Je termine. Quel message envoyons-nous à la population ? (Exclamations.) Nous devrions montrer l’exemple, mais, en contournant la séparation des pouvoirs par une entourloupe parlementaire, nous risquons encore d’aggraver la défiance de nos concitoyens.
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Vous n’avez pas à reprendre le micro. Votre temps est écoulé.
Mme Sandrine Nosbé (LFI-NFP). Attendez ! C’est injuste !
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Non. J’ai largement laissé la parole à votre groupe. Nous en venons à l’amendement CD3.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Il vise à préciser que la proposition de loi vise à accélérer les chantiers, contourner la justice, enjamber le droit et promouvoir le tout-bitume.
Imaginons que la cour administrative d’appel confirme le jugement du tribunal administratif mais que, entre-temps, l’autoroute soit achevée. Cette infrastructure illégale serait alors rétroactivement validée, malgré la décision de la justice. Êtes-vous prêts à assumer une telle responsabilité ?
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Vous pouvez poursuivre avec la défense de l’amendement CD6.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Les chiffres fournis par le rapporteur pour justifier la poursuite du projet ont été contredits par le jugement du tribunal administratif qui, je le rappelle, a été rendu par un collège de magistrats.
Je voudrais revenir sur la question du coût. Il existe un coût d’exploitation, y compris environnemental, mais, le cas échéant, il peut exister un coût d’abandon du projet. M. Terlier reconnaît lui-même que le fait que le coût exact de l’abandon du projet de liaison autoroutière ne soit pas déterminé est sans conséquence sur l’existence d’un motif impérieux d’intérêt général. En clair, personne ne connaît le coût exact de l’abandon du projet.
M. Benoît Biteau (EcoS). Si on ne comprend pas que ce qui menace la souveraineté alimentaire, c’est l’effondrement de la biodiversité et le dérèglement climatique, alors on ne peut pas comprendre la quadruple peine imposée par ce projet aux agriculteurs.
Première peine : la consommation du foncier, avec 400 hectares mis sous le bitume. Deuxième peine : les mesures compensatoires ne permettent pas de préserver la biodiversité. Troisième peine : l’accélération du dérèglement climatique, ainsi que l’a démontré mon collègue Nicolas Bonnet. Quatrième peine : en dévastant des zones humides, on empêche les agriculteurs de recourir à des solutions basées sur la nature pour faire face aux sécheresses et aux inondations.
C’est pourquoi nous proposons que le titre précise que le texte menace notre souveraineté agricole et alimentaire en remplaçant 400 hectares de terres agricoles par une autoroute.
M. Jean Terlier, rapporteur. Je suis défavorable à l’ensemble de ces amendements qui visent à modifier le titre de la proposition de loi.
Vous ne pouvez pas dire, si vous avez suivi les travaux de la commission d’enquête, que les différentes solutions alternatives à la réalisation de l’autoroute n’ont pas été évoquées, alors qu’elles l’ont été dans le cadre du dossier d’enquête publique.
Mme Anne Stambach-Terrenoir (LFI-NFP). Pas sérieusement !
M. Jean Terlier, rapporteur. Madame, je ne vous ai pas interrompue. Je vous renvoie à la décision du Conseil d’État du 5 mars 2021 qui a considéré qu’il n’y avait pas de solution alternative soutenable et déclaré le projet d’utilité publique. Ne dites pas tout et n’importe quoi, en dépit de la décision du Conseil d’État !
En ce qui concerne l’atteinte à la séparation des pouvoirs, vous nous reprochez de piétiner la justice et de ne pas respecter son indépendance et, dans le même temps, vous expliquez que le Conseil constitutionnel autorise les lois de validation à certaines conditions ; c’est paradoxal ! Encore une fois, il autorise la validation d’actes législatifs si des motifs impérieux d’intérêt général sont établis. Cela fait partie de nos prérogatives et la séparation des pouvoirs est bien respectée.
S’agissant des zones humides, vous savez bien que la société concessionnaire a des obligations de résultat en matière environnementale, …
Mme Christine Arrighi (EcoS). Elle est poursuivie pour quarante-deux manquements administratifs !
M. Jean Terlier, rapporteur. …qui font l’objet de contrôles pendant toute la durée du contrat de concession.
Par ailleurs, je veux bien entendre tout et son contraire, madame Arrighi, mais le chiffre évoqué de 60 euros de péage aller-retour est faux.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Il a été confirmé par l’autorité de régulation des transports (ART) !
M. Jean Terlier, rapporteur. Faites confiance au ministère des transports, lorsqu’il explique que l’autoroute ne coûtera que 6,50 euros par trajet et que le prix du péage a été abaissé de 33 %, ...
Mme Christine Arrighi (EcoS). Sur 9 kilomètres seulement !
M. Jean Terlier, rapporteur. …grâce aux collectivités territoriales et à l’État qui ont remis 40 millions d’euros d’argent public. Relisez les déclarations du ministre des transports, prononcées sous serment, dans le cadre de la commission d’enquête dont vous étiez la rapporteure.
Enfin, en matière environnementale, je vous invite à adopter la proposition de loi de validation précisément pour que le chantier reprenne le plus rapidement possible et que le concessionnaire soit mis dans l’obligation de réparer les dommages d’ores et déjà causés à l’environnement, dans le cadre des mesures compensatoires.
S’agissant des mesures agricoles, écoutez les agriculteurs du Tarn, les représentants de la chambre d’agriculture et les représentants des principaux syndicats : ils sont tous favorables à l’autoroute A69 ! Il n’y a que 5 % de contentieux devant le juge de l’expropriation, ce qui prouve que ce projet recueille un assentiment très large.
Pour ce qui est des poids lourds – nous y reviendrons en séance –, l’autoroute permettra d’éviter la circulation de 12 000 camions dans les centres‑villes de Puylaurens et de Soual, comme l’a expliqué le syndicat national et départemental des transports. Ils rouleront à la même vitesse mais sur un trajet moins long, ce qui permettra de réduire leur consommation de carburant, ce qui est déjà positif. Je vous renvoie, là encore, aux auditions menées dans le cadre de la commission d’enquête.
Mme la présidente Sandrine Le Feur. La parole est à Mme Claire Lejeune. (Protestations sur plusieurs bancs.) Il est normal qu’il y ait des prises de parole après l’intervention du rapporteur.
Mme Claire Lejeune (LFI-NFP). On a encore le droit de s’exprimer, avec un minimum de respect de la part des collègues. Il était important pour nous de prendre la parole avec toute la latitude possible, car il n’est pas seulement question d’une vision divergente de l’aménagement du territoire et des mobilités. Nous avons abordé des sujets graves concernant l’État de droit et la séparation des pouvoirs et fait part de nos inquiétudes à entériner une politique du fait accompli, qui pourrait être de nature à encourager les industriels à avancer le plus possible dans leurs projets, puisque les parlementaires se saisissent ensuite des arguments liés à l’avancement des travaux et aux investissements réalisés pour justifier leur poursuite. Ces inquiétudes sont légitimes, en particulier de la part de la commission du développement durable.
Ensuite, la proposition de loi ne comportant qu’un article unique, nous en avons été réduits à déposer des amendements sur le titre. Cependant, vous voyez bien que le débat n’est pas épuisé, ce qui explique la vivacité de nos réactions lorsque la présidente a limité les explications à une minute – d’autant que certains collègues se permettent d’imiter la sonnerie une fois le temps écoulé. Franchement, ce n’est pas correct ! Nous n’avons pas consacré des heures et des heures à débattre d’un sujet qui transformera pourtant intégralement un territoire et soulève des questions importantes !
Ce matin même, notre commission a auditionné le Haut Conseil pour le climat, qui a avancé des arguments scientifiques sur la biodiversité ou le climat, que nous tentons de relayer. Beaucoup des collègues présents ce matin ont exprimé leur respect vis-à-vis des travaux du HCC. Que ces mêmes arguments fassent l’objet, cet après-midi, de moqueries me pousse à m’interroger. J’espère qu’il en sera autrement en séance, le 2 juin, parce que nos débats ne nous honorent pas collectivement !
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Je ne peux pas vous laisser dire que le débat n’a pas eu lieu. Je n’ai réduit le temps d’expression que sur les amendements portant sur le titre. J’ai reçu plusieurs demandes de prise de parole de votre groupe et je vais les accepter, puisque nous en arrivons à la fin de la discussion.
M. François-Xavier Ceccoli (DR). Je vous ai connus, chers collègues, moins soucieux du droit et plus enclins à critiquer des décisions de justice. Avant de donner des leçons, il faut balayer devant chez soi.
Tout le monde sait bien qu’une infrastructure autoroutière permet de désengorger les routes nationales adjacentes ; les gens pourront continuer de les emprunter, gratuitement, et dans des conditions de fluidité bien meilleure. Par conséquent, lorsque vous expliquez que l’autoroute entraînera des surcoûts, c’est faux. Elle permettra de limiter le trafic routier, qui est si pénible pour les riverains des secteurs traversés. Je comprends qu’on puisse être opposé à la construction d’infrastructures nouvelles de façon générale, mais on ne peut pas dire tout et n’importe quoi. De même, la sécurité routière érige les autoroutes comme étant des axes de circulation moins dangereux que les autres. À force de dire tout et son contraire, vous perdez toute crédibilité.
Mme Sandrine Nosbé (LFI-NFP). Ce qui m’inquiète, c’est le message que nous enverrions à la population en adoptant ce texte profondément antidémocratique. En tant que députés de la nation, nous devrions au contraire montrer l’exemple, respecter une décision de justice, respecter l’État de droit et attendre que le juge d’appel se prononce. Nous ne pouvons contourner le principe de séparation des pouvoirs par une manœuvre parlementaire qui ne trompe personne. Ce texte antidémocratique est susceptible d’être adopté grâce à une alliance de la droite et de l’extrême droite. (Exclamations sur les bancs du groupe Rassemblement national.) Il ne nous a pas échappé que l’écologie, le climat ou encore la santé ne sont pas des sujets pour vous, aux yeux de qui seul prime l’intérêt économique – circulez, il n’y a rien à voir ! La défiance des concitoyens vis-à-vis des politiques en sera renforcée et notre démocratie encore plus abîmée. J’insiste, car ce qui se passe ici est très grave : des députés écrasent une décision de justice pour faire prévaloir les intérêts économiques au détriment de l’intérêt général. Vous bafouez l’État de droit et ce n’est pas digne de notre rôle de députés.
M. Nicolas Bonnet (EcoS). J’ai du mal à choisir entre tous ces amendements qui visent à modifier le titre de la proposition de loi. Néanmoins, de grâce, choisissez-en un, car il sera toujours préférable à l’intitulé d’origine et permettra de nous éclairer sur le sens exact de ce texte. Nous avons consacré plus de deux heures à entendre des arguments qui témoignent d’une idéologie du siècle précédent : cette vision du développement de la société, qui remonte à cinquante ans, a conduit à toutes les dérives environnementales et climatiques que nous subissons actuellement. Or quelles leçons en avons-nous tiré ? Écoutez-vous les scientifiques qui analysent les défauts de notre modèle de développement actuel et nous incitent à agir différemment ? Ce n’est pas parce que nous avons commencé à pourrir l’environnement sur le trajet de l’A69 qu’il faut continuer ! Le chantier a déjà détruit des zones humides, des champs et des arbres qui permettaient de capter du CO2 et il a lui-même produit des émissions de dioxyde de carbone. Arrêtons dès maintenant ; sinon, nous ne ferons qu’empirer les choses.
Mme Anne Stambach-Terrenoir (LFI-NFP). Vous vous moquez de nous, monsieur le rapporteur, lorsque vous expliquez qu’il faut terminer les travaux pour obtenir les compensations écologiques. Les représentants du Muséum national d’histoire naturelle, que nous avons auditionnés, ont rappelé qu’un tiers seulement des compensations étaient réellement exécutées. De plus, le concessionnaire en question a déjà fait l’objet de quatorze mises en demeure par la préfecture – je parle bien de la préfecture et non de militants écologistes –, tant il ne respecte pas ses obligations en la matière.
En ce qui concerne la sécurité routière, il serait tout à fait possible de réaménager la route nationale et la construction d’une autoroute n’est pas nécessaire. D’ailleurs, la rapporteure publique a expliqué devant le tribunal administratif que le prix du péage, qui est de 20 euros aller-retour, pourrait entraîner le déport de la circulation vers la route nationale, qui sera réaménagée et comportera de nombreux ronds-points, induisant, en réalité, un risque d’accidents plus élevé. Par conséquent, au lieu de soulager le trafic sur la route nationale comme un collègue l’a évoqué, c’est l’inverse qui se produira !
Enfin, pour répondre au mythe du désenclavement, il suffit d’écouter les économistes des transports – comme Frédéric Héran – ou les urbanistes : ils expliquent que les autoroutes déplacent les activités et accentuent les effets de métropolisation. Ce projet ne permettra pas de créer davantage d’emplois, d’attractivité ni d’activité économique dans le bassin de Castres, qui sera encore plus dépendant de Toulouse. D’ailleurs, notre collègue Vignon a mis le doigt sur le vrai sujet, en parlant d’entreprises internationales : en réalité, c’est le groupe Pierre Fabre qui réclame cette autoroute depuis des années, au mépris des conséquences, et qui fait du chantage à l’emploi, alors qu’il n’a jamais eu besoin de cela pour asseoir son essor à l’étranger. Nous défendons non pas l’intérêt privé de quelques‑uns, mais l’intérêt général, qui passe par le respect du droit de l’environnement et du pouvoir judiciaire.
Mme Anne-Cécile Violland (HOR). Répéter des contrevérités et des approximations n’en fait pas une vérité. Par ailleurs, il n’est pas digne d’utiliser des attaques personnelles et graves, comme cela a été fait à l’encontre du rapporteur. Notre message est simple : il s’agit de respecter l’avis consensuel des élus d’un territoire, unis sur la nécessité d’un tel aménagement. Quelle légitimité peuvent bien avoir des pétitions et des oppositions venant de Français qui n’habitent pas le territoire et ne le connaissent pas, pour la plupart ?
Mme Anne Stambach-Terrenoir (LFI-NFP). J’y habite !
Mme Anne-Cécile Violland (HOR). Nous nous efforçons de légitimer un projet construit par un ensemble d’acteurs locaux, qui ont pris le temps d’évaluer le rapport bénéfices-coûts de cet aménagement. Faisons-leur confiance ! C’est pourquoi nous voterons contre ces amendements.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Nos deux heures de discussion sont parfaitement résumées dans le jugement rendu par le tribunal administratif de Toulouse le 27 février 2025. À moins de considérer que les magistrats de Toulouse sont à côté du droit, l’analyse très précise et documentée qu’ils ont faite du dossier, s’agissant des motifs d’ordre social, économique et de sécurité publique, a conclu au fait qu’il n’y a pas de raison impérative d’intérêt public majeur. Non seulement vous méconnaissez l’ensemble des éléments, expertisés et analysés, avancés par les magistrats, mais vous niez également les droits du justiciable à faire appel, ainsi, d’ailleurs, que ceux de l’État qui a lui-même fait appel. Qu’adviendra-t-il si la cour administrative d’appel, qui devrait se prononcer à la fin de l’année 2025 ou en 2026, décide que l’autoroute est illégale ? Combien cela lui coûtera-t-il de fermer l’autoroute ? Ferez-vous une nouvelle loi pour valider un projet dont l’illégalité aura été confirmée par la cour administrative d’appel ? Vous rendez-vous compte de ce que vous faites ? J’en appelle à votre responsabilité : s’il est normal de faire appel d’une décision de justice, il faut attendre que le jugement soit rendu en appel avant de prendre la moindre décision. Vous ne pouvez pas priver nos concitoyens d’exercer leur droit de faire appel ni rompre avec la séparation des pouvoirs pour valider, a posteriori, une autorisation environnementale qui n’aura pas été confirmée par la cour administrative d’appel. Votre responsabilité est très grande dans ce dossier, mais aussi pour tous ceux à venir – Éric Ciotti a déposé récemment une proposition de loi à cet égard, sur laquelle j’appelle votre attention.
M. Frédéric-Pierre Vos (RN). Il ne s’agit pas d’empiéter sur le pouvoir judiciaire, ne vous en déplaise, mais de valider, sur le plan législatif, un acte réglementaire. Cela existe depuis la IIIe République et je vous invite à consulter à ce sujet le recueil Lebon en bibliothèque ou à prendre rendez-vous avec un conseiller d’État qui vous le confirmera.
Ensuite, vous évoquez le bilan coûts-avantages : il a été examiné par le juge en deuxième instance. La validité de la déclaration d’utilité publique a été confirmée par le Conseil d’État. Le seul point en jeu concerne l’autorisation environnementale. Or la cour administrative d’appel, saisie par l’État, n’aura pas à se prononcer ; elle rendra un arrêt de non-lieu à statuer, en vertu précisément de la loi qui sera adoptée par le Parlement.
La commission rejette successivement les amendements.
Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
liste des personnes auditionnÉes
(par ordre chronologique)
Conseil départemental du Tarn
M. Daniel Vialelle, vice-président chargé des mobilités
Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités
M. Fabien Balderelli, sous-directeur des financements innovants et du contrôle des concessions autoroutières
Mme Charlotte Coupe, adjointe au chef de bureau de la dévolution
Audition conjointe
– Mouvement des entreprises de France (Medef) du Tarn *
M. Lilian Clerc, président
– Union des entreprises de proximité (U2P) du Tarn *
M. Yannick Bravo, secrétaire général
– Syndicat des transporteurs routiers du Tarn (Otre 81) *
M. Manuel Blazquez, président
ASF (Vinci Autoroutes) *
M. Vivien Isoard, directeur de la maîtrise d’ouvrage du réseau ASF Ouest
Mme Estelle Esparcieux, directrice de la gestion du contrat de concession
VIA 81
M. Guy Bousquet, président
M. Didier Philippou, président-directeur général du comptoir de promotion du verre, vice-président de la Communauté d’agglomération de Castres-Mazamet délégué au développement économique et au numérique
M. Mathurin Castan, co-dirigeant de l’entreprise Transports Internationaux du Tarn
M. Philippe Grifoll, agent immobilier
M. Michel Berthoumieux, porte-parole des syndicats de salariés (CFDT, CFTC, UNSA)
Communauté d’agglomération de Castres-Mazamet
M. Pascal Bugis, maire de Castres, président de la communauté d’agglomération de Castres-Mazamet
Audition conjointe
– Conseil régional d’Occitanie
M. Jean-Luc Gibelin, vice-président chargé des mobilités et des infrastructures de transports
– Communauté de communes Sor et Agout
M. Philippe Peres, vice-président, maire adjoint de Saïx
Audition conjointe
M. Pierre-André Durand, préfet de la région Occitanie, préfet de Haute-Garonne
M. Laurent Buchaillat, préfet du Tarn
M. Yasser Abdoulhoussen, directeur du projet A69
M. Bertrand Mathieu, professeur émérite de l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne
ATOSCA (groupe NGE) *
M. Thierry Bodard, président de NGE concessions
M. Martial Gerlinger, directeur général de la concession A69
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Chambre de commerce et d’industrie du Tarn *
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
([1]) Odoxa, 16 mars 2023, « Les habitants et l’A69 »
([2]) Rapport annexé à la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités
([3]) Conseil d’État, 5 mars 2021, Commune de Bonrepos Riquet, n° 424323
([4]) Cour administrative d’appel de Toulouse, 28 mai 2025, n° 25TL00597, n° 25TL00642 et n° 25TL00653
([5]) Tribunal administratif de Toulouse, 27 février 2025, France Nature Environnement Midi-Pyrénées et autres, n° 2303544, n° 2304976 et n° 2305322
([6]) Tribunal administratif de Toulouse, 27 février 2025, France Nature Environnement Midi-Pyrénées et autres, n° 2303830
([7]) Article R. 411-1 du code de l’environnement
([8]) Article L. 411-2-1 du code de l’environnement dans sa rédaction issue de l’article 23 de la loi n° 2025-391 du 30 avril 2025 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes
([9]) La RIIPM ne constitue que l’un des cinq motifs énumérés au 4° du I de l’article L. 411-2 justifiant la dérogation mais il s’agit du motif principal, issu de la directive « habitats ». Les quatre autres motifs sont 1) la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels, 2) la prévention des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété, 3) la recherche et l’éducation, le repeuplement et la réintroduction des espèces protégées, 4) la prise ou la détention d’un nombre limité et spécifié de certains spécimens.
([10]) 5° du I de l’article L. 181-2 du code de l’environnement
([11]) Dreal Occitanie, Morgane Massol, 25 février 2020, « Les dérogations aux interdictions relatives aux espèces protégées. Analyse du contentieux »
([12]) Voir par exemple : CAA de Bordeaux, 10 décembre 2019, département de la Dordogne, n° 19BX02327 ou CAA de Nancy, SCI Bergerie, 15 juin 2022, n° 19NC02857
([13]) Stéphane Hoynck, conclusions sous Conseil d’État, 24 juillet 2019, Société PCE, n° 414353
([14]) Conseil d’État, 28 décembre 2022, Société La Provençale, n° 425395
([15]) Baptiste Clerc, 5 mai 2025, « Trop vite, trop grand... trop tard ? », AJDA 2025 p. 827 (n° 16)
([16]) Tribunal administratif de Toulouse, ordonnance, 1er août 2023, France Nature Environnement Midi-Pyrénées, n° 2303973
([17]) Stéphane Hoynck, conclusions sous Conseil d’État, 24 juillet 2019, Société PCE, n° 414353
([18]) Communication de la Commission européenne, 10 octobre 2021, document d’orientation sur la protection stricte des espèces animales d’intérêt communautaire en vertu de la directive « Habitats », 2021/C 496/01
([19]) Si la CJUE a pu s’exprimer sur la notion de RIIPM (voir notamment : CJUE, 16 février 2012, C-182/10, Marie-Noël Solvay c. Région Wallonne), ce n’est qu’au titre de la dérogation à la protection des zones Natura 2000 prévue à l’article 6 de la directive « habitats » et non au sujet des dérogations espèces protégées
([20]) Baptiste Clerc, 2023, « L’autonomie de la notion de raison impérative d’intérêt public majeur », Université Toulouse Capitole
([21]) Cour administrative d’appel de Toulouse, 28 mai 2025, n° 25TL00597, n° 25TL00642 et n° 25TL00653
([22]) Données de l’union des aéroports français et francophones associés
([23]) Notamment les communes de Soual et Puylaurens
([24]) Les onze agglomérations étudiées sont : Toulouse, Agen, Albi, Montauban, Castres-Mazamet, Rodez, Carcassonne, Cahors, Auch, Pamiers et Foix
([25]) Communication de la Commission européenne, 10 octobre 2021, document d’orientation sur la protection stricte des espèces animales d’intérêt communautaire en vertu de la directive « habitats », 2021/C 496/01
([26]) Laurent Domingo et al., 2022, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, 20e édition
([27]) Bertrand Mathieu, 1987, Les « validations » législatives : pratique législative et jurisprudence constitutionnelle, Economica
([28]) Conseil d’État, 6 novembre 2024, Société Gourvillette énergies, n° 477317
([29]) Proposition de loi n° 1205 relative à la raison impérative d’intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse
([30]) Voir par exemple : article 233 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ; article 57 de la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne
([31]) Conseil constitutionnel, décision n° 2004-509 DC du 13 janvier 2005, Loi de programmation pour la cohésion sociale
([32]) Conseil constitutionnel, décision n° 80-119 DC du 22 juillet 1980, Loi portant validation d’actes administratifs
([33]) Conseil constitutionnel, décision n° 80-119 DC du 22 juillet 1980, Loi portant validation d’actes administratifs
([34]) Conseil constitutionnel, décision n° 79-104 DC du 23 mai 1979, loi modifiant les modes d’élection de l’Assemblée territoriale et du Conseil de gouvernement du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances et définissant les règles générales de l’aide technique et financière contractuelle de l’État
([35]) Article 21 de la Constitution
([36]) Articles 13 et 21 de la Constitution
([37]) Conseil constitutionnel, décision n° 83-159 DC du 19 juillet 1983, loi organique relative aux candidats admis au premier concours d’accès à l’École nationale de la Magistrature
([38]) Conseil constitutionnel, décision n° 2013-366 QPC du 14 février 2014, SELARL PJA, ès qualités de liquidateur de la société Maflow France
([39]) Conseil constitutionnel, décision n° 87-228 DC du 26 juin 1987, Loi organique relative à la situation des magistrats nommés à des fonctions du premier grade
([40]) Conseil constitutionnel, décision n° 78-97 DC du 27 juillet 1978, Loi portant réforme de la procédure pénale sur la police judiciaire et le jury d’assises
([41]) Conseil d’État, 15 mars 2000, Allais, n° 189042
([42]) Article 500 du code de procédure civile
([43]) Conseil d’État, 7 juillet 2004, Fédération des syndicats des autonomes PTT de Midi-Pyrénées, n° 220697
([44]) Conseil d’État, assemblée, 27 mai 2005, Provins, n° 277975
([45]) Conseil d’État, assemblée, 27 octobre 1995, Ministre du logement, n° 150703
([46]) Article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme
([47]) CEDH, 9 décembre 1994, Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, n° 13427/87
([48]) CEDH, 23 octobre 1997, National & Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et Yorkshire Building Society c. Royaume-Uni, n° 117/1996/736/933–935
([49]) CEDH, grande chambre, 28 octobre 1999, Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres c. France, n° 24846/94 et 34165/96 à 34173/96
([50]) Conseil constitutionnel, décision n° 93-332 DC du 13 janvier 1994, Loi relative à la santé publique et à la protection sociale
([51]) Conseil d’État, section, 10 novembre 2010, Commune de Palavas-les-Flots, n° 314449
([52]) Conseil constitutionnel, décision n° 96-375 DC du 9 avril 1996, Loi portant diverses dispositions d’ordre économique et financier
([53]) Conseil constitutionnel, décision n° 2021-955 QPC du 10 décembre 2021 Mme Martine B.
([54]) Conseil constitutionnel, commentaire sur la décision n° 2004-509 DC du 13 janvier 2005
([55]) Noëlle Lenoir, compte rendu de la séance du Conseil constitutionnel du 28 décembre 1995
([56]) Par exemple : Conseil constitutionnel, décision n° 2015-525 QPC du 2 mars 2016, Société civile immobilière PB 12
([57]) Conseil constitutionnel, décision n° 2014-695 DC du 24 juillet 2014, Loi relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public
([58]) Article R. 821-5 du code de justice administrative
([59]) Conseil d’État, section, 10 avril 2008, Société JC Decaux, n° 244950
([60]) Article 56 de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, codifié aux articles L. 3136-7 et L. 3136-8 du code de la commande publique
([61]) Conseil constitutionnel, décision n° 2014-695 DC du 24 juillet 2014, Loi relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public
([62]) Conseil constitutionnel, décision n° 2019-776 QPC du 19 avril 2019, Société Engie
([63]) Conseil constitutionnel, décision n° 2019-776 QPC du 19 avril 2019, Société Engie
([64]) Par exemple : décision n° 2017-644 QPC du 21 juillet 2017, Communauté de communes du pays roussillonnais ou décision n° 2013-366 QPC du 14 février 2014, SELARL PJA
([65]) Critère retenu par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 99-425 DC du 29 décembre 1999,loi de finances rectificative pour 1999
([66]) Conseil constitutionnel, décision n° 2012-263 QPC du 20 juillet 2012 Syndicat des industries de matériels audiovisuels électroniques
([67]) Conseil constitutionnel, décision n° 99-422 DC du 21 décembre 1999 Loi de financement de la sécurité sociale pour 2000
([68]) Conseil constitutionnel, décision n° 99-422 DC du 21 décembre 1999 Loi de financement de la sécurité sociale pour 2000
([69]) Conseil constitutionnel, décision n° 2014-695 DC du 24 juillet 2014, Loi relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public