N° 1472

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 mai 2025

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE
ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LA PROPOSITION DE LOI

visant à un meilleur encadrement du pacte Dutreil (n° 1341),

PAR M. Nicolas SANSU,

Député

——

 

 

 

 

 

 Voir le numéro : 1341.



SOMMAIRE

___

Pages

Avant-propos

COMMENTAIRE DES articles

Article 1er  (article 787 B du code général des impôts) Encadrement du pacte Dutreil

Article 2 (nouveau) Remise d’un rapport annuel sur l’application du pacte Dutreil

Travaux de la commission

Discussion générale

Examen des articles

Liste des personnes auditionnÉes par le rapporteur

 


 

   Avant-propos

En mai 2025, le journal Le Monde sonnait l’alerte et titrait que la France était redevenue une « société d’héritiers ». Cet aphorisme, partagé par de nombreux chercheurs, traduit un retour vers une société connaissant de hauts niveaux d’inégalités et dans laquelle le patrimoine hérité détermine principalement le statut social et les parcours de vie.

En dépit de son système de redistribution socio-fiscal, la France n’avait pas connu une telle situation depuis la première moitié du XXe siècle. L’héritage est progressivement redevenu le principal facteur de constitution du patrimoine et représente désormais 60 % du patrimoine total au niveau national. En outre, la concentration du patrimoine entre les mains des 1 % des fortunes les plus élevées atteint désormais 25 %, ce qui représente une hausse de 10 points en 10 ans ([1]).

Ce phénomène n’est pas susceptible de s’inverser sans intervention du législateur. Dès l’année 2017, France Stratégie anticipait une hausse significative des montants ayant vocation à être transmis chaque année et identifiait la fiscalité des successions comme un enjeu majeur pour la société française.

Conjuguée à une croissance économique morose, la hausse du flux successoral – bénéficiant, qui plus est, à une catégorie de population de plus en plus âgée – alimente la hausse des inégalités.

Or, de nombreux travaux, y compris ceux publiés par le rapporteur ([2]), démontrent que les foyers les plus fortunés bénéficient de mécanismes d’optimisation particulièrement favorables qui leur permettent de repousser presque indéfiniment le paiement de l’impôt. Ces avantages, favorisant une constitution dynamique du patrimoine, sont de surcroît combinés avec de multiples dispositifs dérogatoires permettant de bénéficier d’un taux de droits de mutation effectif extrêmement faible lors de la transmission.

Parmi ces dispositifs, le pacte Dutreil est particulièrement opaque et généreux. Cet avantage permet sous conditions de bénéficier d’une exonération partielle de droits de donation et de succession pour la transmission de titres d’une société. Créé au début des années 2000 pour favoriser la continuité de l’actionnariat des entreprises et limiter les cessions au profit de groupes étrangers, ce dispositif a été progressivement assoupli et se retrouve aujourd’hui au cœur de stratégies d’optimisation qui dépassent largement cet objectif.

En outre, les propositions formulées pour encadrer davantage le pacte Dutreil se sont toutes heurtées au manque de données disponibles sur ce dispositif. Le coût de cette dépense fiscale fait l’objet d’estimations remises en cause par les économistes : longtemps évalué de manière conventionnelle à 500 millions d’euros par an dans le cadre des documents annexés au projet de loi de finances, le pacte Dutreil aurait, selon le Conseil d’analyse économique ([3]), un coût bien supérieur qui serait compris entre 2 et 3 milliards d’euros. Si l’administration fiscale a réévalué cette estimation à 800 millions d’euros dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025 ([4]), ce chiffre reste vraisemblablement éloigné de la réalité.

Sans remettre en cause son objectif ni ses grands principes, le rapporteur estime nécessaire de renforcer l’encadrement du pacte Dutreil. L’article unique de la proposition de loi propose ainsi de créer une tranche d’exonération au taux de 50 %, pour la part de la valeur des titres transmis excédant 50 millions d’euros, d’étendre de quatre à huit ans la durée de l’engagement de conservation individuel, ainsi que d’exclure du champ de l’exonération les donations en réserve d’usufruit.


   COMMENTAIRE DES articles

Résumé du dispositif proposé

Le présent article apporte trois modifications à l’article 787 B du code général des impôts, qui prévoit une exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit applicable, sous certaines conditions, à la transmission de parts ou actions d’entreprises :

– il abaisse le taux de l’exonération de 75 % à 50 % pour la part de la valeur des titres transmis excédant 50 millions d’euros ;

– il allonge la durée d’engagement de conservation des titres de quatre à huit ans ;

– enfin, le présent article supprime la possibilité de bénéficier du pacte Dutreil pour les donations en démembrement de propriété.

Dernières modifications intervenues

L’article 23 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 a précisé le champ des activités éligibles au pacte Dutreil et a exclu les activités de gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier.

Principaux amendements adoptés par la commission des finances

La commission a adopté deux amendements identiques de MM. Mathieu Lefèvre (groupe Ensemble pour la République) et Jean-Paul Mattei (groupe Les Démocrates) de suppression du présent article.

  1.   l’État du droit
    1.   Une exonération partielle de droits de mutation pour la transmission de titres de certaines sociétés

Institué par la loi de finances pour 2000 ([5]), le pacte Dutreil permet de bénéficier d’une exonération partielle de droits de mutation pour les transmissions de parts ou actions de sociétés exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Cette exonération est accordée sous réserve de respecter des engagements relatifs à la stabilité de l’actionnariat et à la continuité des fonctions de direction.

Sa création est issue d’une vision largement partagée dans le champ politique au cours des années 1990 sur la nécessité d’aménager un dispositif visant à sécuriser l’actionnariat des entreprises et d’assurer leur pérennité à l’occasion de leur transmission.

Il s’agissait alors d’éviter que les héritiers d’un chef d’entreprise ne soient obligés, lors du décès de ce dernier, de prélever des sommes excessives sous forme de dividendes pour s’acquitter des droits de succession ou de céder l’entreprise à un tiers. À l’époque, cette crainte était en outre alimentée par le nombre croissant d’acquisition de petites et moyennes entreprises (PME) et d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) par des groupes étrangers susceptibles d’en restructurer l’activité, au détriment de l’emploi et du tissu industriel français.

Au départ limité aux seules successions, le pacte Dutreil a dans un second temps été étendu aux donations en pleine propriété en 2003 par la loi pour l’initiative économique, dite loi Dutreil ([6]).

Cet avantage fiscal est, depuis l’entrée en vigueur de cette même loi pour l’initiative économique, codifié aux articles 787 B et 787 C du code général des impôts (CGI) ([7]).

 Le taux de l’exonération, initialement fixé à 50 %, a été porté à 75 % par la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises ([8]). Cette même loi a en outre étendu le pacte Dutreil aux donations avec réserve d’usufruit (cf. infra).

L’avantage fiscal s’applique sous réserve du respect de trois conditions cumulatives :

– un engagement collectif de conservation des parts ou actions de deux ans minimum par l’ensemble des signataires du pacte. Cet engagement doit porter sur au moins 10 % des droits financiers et 20 % des droits de vote attachés aux titres émis par une société cotée ou, pour les sociétés non cotées, sur au moins 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote ([9]) ;

– un engagement individuel de conservation des parts ou actions de quatre ans à compter de l’expiration de l’engagement collectif ;

– l’obligation pour l’un des associés du pacte ou l’un des héritiers, donataires ou légataires d’exercer une fonction de direction au sein de la société durant la phase d’engagement collectif et pendant trois ans à compter de la transmission.

SchÉma rÉcapitulant les conditions requises dans le cadre d’un pacte dutreil

Source : rapport d’information n° 1678 de MM. Jean-Paul Mattei et Nicolas Sansu sur la fiscalité du patrimoine, septembre 2023.

Le dispositif s’applique aux titres de la société opérationnelle objet du pacte, mais également aux titres des sociétés dites interposées, dans la limite de deux niveaux d’interposition.

En raison de leur activité financière, les sociétés holdings sont par principe exclues du champ de l’exonération.

L’administration fiscale admet toutefois que les holdings dites animatrices peuvent en bénéficier, ce qui a été confirmé par les dispositions de la loi de finances pour 2024, qui s’inspirent elles-mêmes de la définition progressivement élaborée par la jurisprudence ([10]) : celles-ci prévoient expressément que sont éligibles à l’exonération les titres des sociétés qui ont « pour activité principale la participation active à la conduite de la politique de [leur] groupe constitué de sociétés contrôlées directement ou indirectement, exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, et auxquelles elle rend, le cas échéant et à titre purement interne, des services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers ». À l’inverse, sont exclues les activités de gestion du patrimoine propre de la société.

En pratique, la doctrine fiscale considère qu’une société satisfait à ce critère lorsque le chiffre d’affaires procuré par cette activité représente au moins 50 % du montant de son chiffre d’affaires total et que la valeur vénale de l’actif brut immobilisé et circulant affecté à cette activité représente au moins 50 % de la valeur vénale de son actif brut total.

La prise en compte des spécificités du foncier agricole

● Si les transmissions de titres d’exploitations agricoles sont pleinement éligibles au dispositif Dutreil, il n’en va pas de même du foncier, dans les cas, fréquents, de dissociation entre, d’une part, le foncier donné à bail, et d’autre part, l’exploitation agricole elle-même.

● L’article 793 du CGI prévoit une exonération partielle de DMTG pour :

– les biens donnés à bail à long terme, ou à bail cessible, dans les conditions prévues par le code rural et de la pêche maritime, pour les trois quarts de leur valeur ;

– les parts des groupements fonciers agricoles, à concurrence des trois quarts de la fraction de la valeur nette des biens donnés à bail à long terme ou à bail cessible.

● L’article 793 bis du CGI subordonne ces exonérations partielles à la condition que le bien reste la propriété du donataire, héritier ou légataire pendant cinq ans à compter de la date de la transmission à titre gratuit. Lorsque cette condition n’est pas respectée, les droits sont rappelés, majorés de l’intérêt de retard.

Le même article prévoit que lorsque la valeur des biens transmis excède un certain montant, l’exonération est ramenée, au-delà de cette limite, de 75 % à 50 %.

Ce seuil, initialement de 101 897 euros, a été porté à 300 000 euros par la loi de finances pour 2019 ([11]) puis 600 000 euros par la loi de finances pour 2025 ([12]).

En outre, cette limite pouvait être portée à 500 000 euros à la condition que le donataire, hériter ou légataire conserve le bien pendant une durée de cinq ans supplémentaire. Ce seuil a été porté à 20 millions d’euros par la loi de finances pour 2025, tandis que la durée d’engagement de conservation complémentaire a été portée de dix à treize ans ([13]).

● La loi de finances pour 2019 ([14]) a en outre assoupli les conditions requises pour bénéficier du pacte Dutreil. Cette dernière a notamment :

– mis fin de l’obligation de fournir annuellement une attestation permettant de contrôler le respect des engagements liés au pacte Dutreil au profit d’une transmission au début et à la fin du pacte ou, pendant sa durée, sur demande de l’administration ;

– ouvert de nouvelles possibilités de cession ou donation des titres soumis au pacte pendant la phase de l’engagement collectif de conservation, à condition que la cession soit opérée au profit d’un autre associé de cet engagement ;

– élargi les possibilités d’apport de titres à une société holding au cours de la phase d’engagement collectif et non plus uniquement au cours de la phase d’engagement individuel de conservation ;

– abaissé les seuils minimaux de détention du capital pour la souscription d’un engagement collectif de conservation ([15]) ;

– rendu possible de souscrire un engagement unilatéral de conservation des titres, ce qui permet d’ouvrir le pacte aux sociétés unipersonnelles. L’engagement peut donc être pris par une personne seule pour elle ou ses ayants cause à titre gratuit.

Au total, toutes les mesures prises ont visé à ouvrir les vannes du pacte Dutreil, ce qui permet, en plus des mécanismes de transmission familiale, d’en faire un objet d’optimisation fiscale d’autant plus efficace quand il est combiné avec d’autres dispositifs (démembrement par exemple) –comme l’ont noté tous les travaux des experts (cf. supra([16]).

  1.   une faible connaissance de l’usage du pacte dutreil et de ses effets

Les informations disponibles sur le pacte Dutreil sont lacunaires, à tel point qu’aucun consensus ne se dégage sur son coût réel. Comme indiqué ci-avant, l’estimation proposée par l’administration fiscale à l’occasion du projet de loi de finances n’a longtemps représenté qu’un « ordre de grandeur », dans la mesure où le nombre de bénéficiaires restait inconnu.

Le Conseil d’analyse économique a tenté de calculer ce coût à partir de données de la direction générale des finances publiques (DGFiP) en faisant l’hypothèse d’un montant total d’actifs transmis de 8 milliards d’euros en 2018 et 2019 – ce qui correspond à un coût annuel approchant les 2 ou 3 milliards d’euros. Dans cet ensemble la valeur moyenne d’actifs transmis par pacte serait d’environ 5 millions d’euros, mais les pactes d’une valeur supérieure à 60 millions d’euros représenteraient 40 % du total.

Compte tenu de la hausse régulière du nombre de pactes signés chaque année (qui atteignait près de 3 000 en 2022), le coût de ce dispositif est sans doute en constante augmentation.

Nombre de pactes dutreil signÉs par an

Source : Cour des comptes, Les droits de succession, septembre 2024.

En dehors de son coût, le pacte Dutreil n’a jamais fait l’objet d’une évaluation complète.

La littérature économique invite toutefois à être prudent sur la manière de dresser le bilan du pacte Dutreil. Plusieurs études, mentionnées par la Cour des comptes dans le cadre de ses travaux sur les droits de succession ([17]), suggèrent ainsi que la transmission familiale pourrait contrarier la restructuration d’une entreprise et rendre plus complexe le recrutement de managers compétents ([18]). Sur le plan empirique, une autre étude publiée en 2009 souligne la moindre performance économique des dirigeants familiaux entre 1997 et 2002, tant pour les entreprises de moins de 50 salariés que pour les entreprises de plus grande taille ([19]).

À l’inverse, d’autres études démontrent que des droits de succession élevés ([20]) ou des réglementations contraignantes peuvent limiter les opportunités d’investissement pour les entreprises familiales et freinent leur transmission.

La Cour des comptes ([21]), tout comme les rapporteurs de la mission d’information sur la fiscalité du patrimoine ([22]), suggèrent en outre que le volume considérable de pactes « Dutreil donations » pourrait constituer un indice de comportements d’optimisation fiscale.

  1.   Un dispositif au centre de stratÉgies d’optimisation

Au-delà de ses objectifs et de ses effets sur le tissu industriel national, le pacte Dutreil s’inscrit plus largement dans un ensemble de dispositifs fiscaux permettant aux plus fortunés de réduire leur impôt dans de fortes proportions. Ces derniers sont présentés de manière schématique ci-dessous.

Schéma résumant les principaux régimes favorables utilisés dans le cadre de stratégies d’optimisation fiscale

Source : commission des finances.

L’architecture du système fiscal et les mécanismes permettant d’assurer sa progressivité sont inadaptés pour appréhender correctement les hauts patrimoines. Comme l’a démontré l’Institut des politiques publiques ([23]), les foyers les plus aisés bénéficient, grâce aux entreprises qu’ils détiennent, d’un « revenu économique » qui n’est pas compris dans le revenu brut global et qui échappe donc en partie à l’impôt sur le revenu.

Contrairement à la majorité des ménages, dont le revenu global est principalement composé de revenus du travail – ou, le cas échéant, d’une part de revenus du capital mobilier imposés au prélèvement forfaitaire unique (PFU) ([24]) –, les ménages les plus fortunés logent leurs revenus au sein des sociétés qu’ils contrôlent : ces dernières accumulent par conséquent des bénéfices non distribués et seulement imposés à l’impôt sur les sociétés (dont le taux normal s’élève, depuis 2022, à 25 % ([25])). Cette composition différente des revenus des plus fortunés ouvre la voie à de multiples dispositifs dérogatoires qui, pris ensemble, ramènent leur taux d’imposition effectif à de très faibles niveaux.

En premier lieu, les ménages actionnaires ont la possibilité de faire remonter les bénéfices des sociétés qu’ils détiennent vers une holding en bénéficiant d’exonérations d’impôt partielles sur les dividendes ou les plus-values.

Le régime mère-fille et la « niche Copé »

Codifié aux articles 145 et 216 du CGI, le régime mère-fille correspond à une directive européenne régissant les produits de participation d’une société-mère dans une de ses filiales. Ce régime permet d’exonérer d’impôt sur les sociétés à hauteur de 95 % les produits nets de participations versées à la société mère lorsque celle-ci détient au moins 5 % des parts de la filiale.

La « niche Copé », prévue à l’article 219 du CGI, est un dispositif prenant la forme d’une exonération d’impôt sur les sociétés sur les plus-values en cas de vente de titres de participation détenus depuis plus de deux ans, en échange de la réintégration d’une quote-part de frais et charges de 12 %.

Les contribuables ont également la possibilité de reporter l’imposition des plus-values issues de la cession de titres d’entreprises qu’ils détiennent en apportant ces titres à une holding (dispositif connu sous le nom « d’apport-cession » ([26])). Il est ainsi possible de loger une grande partie de son patrimoine dans une société holding en repoussant indéfiniment l’imposition.

● Ces stratégies peuvent ensuite se combiner avec d’autres dispositifs permettant de limiter le montant des droits de succession ou de donation.

L’exonération partielle prévue dans le cadre du pacte Dutreil peut ainsi être cumulée avec un démembrement de propriété. Ce dernier désigne un principe de droit civil, appliqué par l’ensemble des États de droit continental, qui permet de diviser la pleine propriété d’un bien, mobilier ou immobilier, entre d’une part, la nue-propriété et d’autre part, l’usufruit : seul l’usufruitier détient alors le droit d’utiliser ce bien et de percevoir les revenus qu’il procure.

Les donations avec réserve d’usufruit permettent ainsi au donateur de s’assurer de la transmission d’un démembrement de propriété au donataire tout en en conservant la jouissance ou les revenus, ce qui présente des avantages par exemple lorsqu’un parent souhaite transmettre un bien immobilier mis en location tout en continuant à bénéficier du revenu tiré de ce bien.

Les donations assorties d’une réserve d’usufruit ouvrent droit à un avantage fiscal important puisque le montant des droits de mutation est établi à partir de la valeur de la nue-propriété, qui est considérée comme plus faible que la valeur de la pleine-propriété.

Lorsque l’usufruit est viager – c’est-à-dire qu’il s’éteint par le décès de l’usufruitier, le barème appliqué est construit pour ryefléter son espérance de vie.

BarÈme fiscal de l’usufruit et de la nue-propriÉtÉ

Âge de l’usufruitier

(moins de …)

Valeur de l’usufruit

Valeur de la nue-propriété

21 ans révolus

90 %

10 %

31 ans révolus

80 %

20 %

41 ans révolus

70 %

30 %

51 ans révolus

60 %

40 %

61 ans révolus

50 %

50 %

71 ans révolus

40 %

60 %

81 ans révolus

30 %

70 %

91 ans révolus

20 %

80 %

Plus de 91 ans révolus

10 %

90 %

Source : article 669, I du CGI.

Les usufruits peuvent également être constitués pour une durée fixe ; l’article 669 du CGI prévoit dans ce cas l’usufruit à 23 % de la valeur de la propriété entière pour chaque période de dix ans, sans fraction et sans égard à l’âge de l’usufruitier.

L’article 1133 du CGI dispose en outre que la reconstitution de la pleine propriété entre les mains du nu-propriétaire, par exemple lors du décès de l’usufruitier, s’opère sans perception de droits complémentaires.

● En cas de donation en pleine propriété, le pacte Dutreil peut cette fois être cumulé avec la réduction de droits de 50 % prévue à l’article 790 du CGI. Cette réduction est admise lorsque le donateur est âgé de moins de 70 ans et que la société dont les titres sont transmis réunit les critères requis pour signer un pacte Dutreil.

Le tableau ci-après retrace les différents schémas de transmission possibles, en prenant l’exemple d’une donation de titres dont la valeur est de 10 millions d’euros. Il permet de constater que la combinaison entre le pacte Dutreil et le démembrement de propriété peut ramener le taux effectif d’imposition de 42,2 % à 2,7 %  contre 8,4 % en recourant au seul pacte Dutreil et 4,2 % pour une combinaison entre pacte Dutreil et réduction de droits.

Exemples d’une transmission sans et avec signature d’un pacte dutreil

 

Donation sans pacte Dutreil

Donation en pleine propriété avec pacte Dutreil

Cumul du pacte Dutreil et de la réduction de droits pour les donations en pleine propriété

Donation en nue-propriété avec pacte Dutreil

Valeur des titres transmis par enfant

10 000 000 €

10 000 000 €

10 000 000 €

10 000 000 €

Abattement au titre du démembrement ([27])

0

0

0

50 %

Assiette des DMTG avant application du pacte Dutreil

10 000 000 €

10 000 000 €

10 000 000 €

5 000 000 €

Assiette après application du pacte Dutreil

10 000 000 €

2 500 000 €

2 500 000 €

1 250 000 €

Abattement légal de 100 000 €

9 900 000 €

2 400 000 €

2 400 000 €

1 150 000 €

Tranche marginale d’imposition

45 %

45 %

45 %

40 %

DMTG dus

4 217 392 €

842 392 €

842 392 €

272 677 €

Application de la réduction de droits

4 217 392 €

842 392 €

421 196 €

272 677 €

Taux effectif d'imposition

42,2 %

8,4 %

4,2 %

2,7 %

Source : commission des finances.

  1.   Le dispositif proposé
    1.   Un encadrement qui ne remet pas en cause les principales caractéristiques du pacte dutreil

Le I du présent article apporte trois modifications à l’article 787 B du code général des impôts.

● En premier lieu, il crée un barème régressif d’exonération pour les transmissions excédant la valeur totale de 50 millions d’euros. Dans ce cas, le taux de l’exonération s’élève à 75 % pour la part inférieure à 50 millions d’euros et à 50 % pour la part supérieure à ce seuil. Lorsque la valeur des parts et actions transmises est inférieure à 50 millions d’euros, le taux d’exonération de 75 % s’applique à l’intégralité de la transmission.

Taux de l’exonÉration partielle proposÉe par le prÉsent article

Parts de la valeur des titres transmis

Taux de l’exonération partielle

Jusqu’à 50 millions d’euros

75 %

Au-delà de 50 millions d’euros.

50 %

L’institution d’un taux d’exonération réduit n’a pas pour objectif de remettre en cause le principe même du pacte Dutreil, mais d’aménager le niveau de contribution des contribuables réalisant d’importantes transmissions. En prenant l’exemple d’une donation à 100 millions d’euros, l’assiette imposable serait ainsi ramenée à 37,5 millions d’euros (contre 25 millions d’euros en conservant l’état du droit actuel). Alors que le taux théorique d’imposition de la transmission s’élèverait à 44 %, le taux effectif des mutations s’élèverait ainsi à 16 %. Ce taux pourrait du reste être ramené à 8 % grâce au bénéfice de la réduction de droits prévue à l’article 790 du CGI.

En pratique, un tel seuil produira des effets sur les familles propriétaires d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) françaises. Cependant, sur les 6 800 ETI présentes sur le territoire national, seule une minorité serait potentiellement concernée.

Dans cet ensemble, 70 % ont un actionnariat familial et environ 1 000 ETI font l’objet d’une détention majoritairement familiale. Parmi celles-ci, le capital peut également être partagé avec d’autres associés (souvent des fonds d’investissement), ce qui signifie qu’une transmission ne concerne que rarement des titres représentant la valorisation totale de l’entreprise.

En outre, les demandes répétées du rapporteur auprès des services de la DGFIP, comme du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI), pour connaître le nombre de Pacte Dutreil supérieurs à 50 millions d’euros sont restées sans réponse ! Absence de données fiables ou opacité bienvenue, chacun pourra se faire sa lecture.

Il nous faut donc travailler sur des données globales. Si l’on considère comme fiable le montant du coût du Dutreil inscrit dans le projet de loi de finances (800 millions d’euros), et en estimant à 3 000 le nombre de pactes conclus, cela revient à estimer que la donation ou succession moyenne ne serait pas supérieure au million d’euros, bien loin des 50 millions. Alors, si cela remplit son office pour les transmissions familiales de TPE et PME, il reste à véritablement documenter son effet sur des entreprises beaucoup plus grandes. D’autres chantiers sont aussi à mener en parallèle, sur l’exclusion des biens personnels de l’assiette du pacte Dutreil, sur la limitation de transmission des trésoreries, ainsi que la prise en compte des plus-values latentes.

● En second lieu, le présent article étend la durée de l’engagement de conservation individuelle à huit ans, contre quatre actuellement. Cette extension aurait pour effet de porter la durée totale des engagements de conservation collectif et individuel à dix ans.

● Est également prévu d’exclure du pacte Dutreil les donations avec réserve d’usufruit : seule les donations en pleine propriété seraient éligibles au pacte. Il s’agit ici de limiter la capacité des contribuables à cumuler le bénéfice de dispositifs favorables et de les inciter à choisir celui le plus adapté à leur situation.

Le II du présent article prévoit que celui-ci s’applique aux exercices ou périodes d’imposition ouverts à compter du 1er janvier 2025.

  1.   La position de la commission

Avec l’avis défavorable du rapporteur, la commission a supprimé le présent article ([28]).


 

Résumé du dispositif proposé :

Le présent article, issu d’un amendement déposé par M. Tristan Lahais, prévoit la remise annuelle d’un rapport sur l’application du pacte Dutreil.

Le présent article est issu d’un amendement déposé par M. Tristan Lahais et les membres du groupe Écologiste et Social ([29]), qui a reçu un avis favorable du rapporteur.

Il prévoit la remise au Parlement d’un rapport annuel sur l’application du pacte Dutreil. Ce rapport devra évaluer le coût du dispositif et analyser le profil de ses bénéficiaires. Il devra également examiner la répartition du pacte Dutreil par département et évaluer son efficacité économique.


   Travaux de la commission

   Discussion générale

Lors de sa réunion du mercredi 28 mai 2025, la commission a examiné la proposition de loi visant à un meilleur encadrement du pacte Dutreil (n° 1341) (M. Nicolas Sansu, rapporteur).

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Dans le cadre de sa journée d’initiative parlementaire, le groupe GDR propose par ce texte visant à mieux encadrer le pacte Dutreil de placer dans le débat public non seulement la légitimité d’un dispositif d’exonération fiscale mais, à travers lui, la grande question du consentement à l’impôt.

Le premier ministre répète à l’envi depuis plusieurs semaines, d’un ton presque martial, que tout le monde devra faire des efforts pour redresser les comptes publics et permettre au pays de préserver sa pleine souveraineté face aux marchés financiers. Certes, je ne partage pas la tendance à agiter le catastrophisme comme étendard de la résignation devant tout changement mais, si partage des efforts il devait y avoir, il me semblerait inadmissible que les plus fortunés, qui ont constitué un patrimoine qui ne cesse de gonfler, en soient exonérés.

Il y a quelques semaines, un grand quotidien national annonçait en une que la France était redevenue une « société d’héritiers ». Il faut mesurer la gravité de ce constat : nous retrouvons une situation que nous n’avions plus connue depuis le début du XXe siècle. En dépit de notre système de redistribution, l’héritage redevient le facteur principal de la constitution du patrimoine. Le corollaire de ce phénomène est une société où les inégalités augmentent et où le statut social est de plus en plus déterminé par la naissance. Or une société de rentiers et d’héritiers est une société qui court au déclin.

Pour inverser cette tendance et limiter la concentration excessive du patrimoine entre les mains de quelques-uns, la fiscalité des donations et successions est un outil essentiel. Pourtant nous savons parfaitement que les droits réellement acquittés par les plus riches sont tout à fait dérisoires.

J’ai travaillé sur cette question avec Jean-Paul Mattei dans le cadre d’une mission d’information sur la fiscalité du patrimoine. Depuis, d’autres travaux venant appuyer nos constats ont été publiés. La situation est assez bien documentée : les plus fortunés parviennent habilement à mélanger leur patrimoine professionnel et leurs biens personnels pour repousser le moment de payer l’impôt. Ils parviennent à remonter leurs revenus dans des holdings qui accumulent les bénéfices non distribués et dont les parts ou actions peuvent ensuite être transmises à faible coût en raison d’un ensemble de niches fiscales. Nous l’avions montré avec les éléments qui étaient alors en notre possession. J’ai donc décidé de prendre au mot la ministre des comptes publics, qui nous a invités à rationaliser les dépenses fiscales pour trouver des gisements d’économie.

La proposition de loi que nous examinons a pour objectif d’encadrer le pacte Dutreil, non de le supprimer. Ce dispositif, créé en 2000, permet d’exonérer de droits de mutation, à concurrence de 75 % de leur valeur, les titres de société transmis par décès ou entre vifs, sous réserve de respecter certaines conditions liées à la conservation des titres et à l’exercice d’une activité professionnelle dans la société cédée. Le pacte Dutreil a été régulièrement assoupli, d’abord peu de temps après sa création, entre 2004 et 2007, puis plus récemment en 2019.

En dépit du fait que nous disposons désormais d’un certain recul sur le dispositif, celui-ci n’a jamais été évalué. Pire, nous peinons encore à savoir combien il coûte à l’État. Pendant de nombreuses années, les annexes du projet de loi de finances ont fait figurer un montant, que l’on peut qualifier de « conventionnel », de 500 millions d’euros, qui correspondait aux résultats d’une enquête conduite il y a plus de dix ans.

En 2021, le Conseil d’analyse économique (CAE) a proposé un chiffre compris entre 2 et 3 milliards d’euros, ce qui a conduit le gouvernement à réviser son évaluation à 800 millions d’euros en 2024. Au cours des auditions, l’administration fiscale a maintenu et justifié ce montant, mais a également souligné que le coût du pacte Dutreil était très variable d’une année à l’autre et qu’on ne connaissait pas le nombre de pactes noués et effectifs, sans parler de la faculté de fractionner les transmissions, au sein d’un même pacte, ou via plusieurs pactes. Les auditions que j’ai menées m’ont appris une chose : personne au sein de l’administration n’est en mesure de suivre et de contrôler le dispositif Dutreil. En clair, si une vente se fait avant la fin de la durée de détention, il n’y a aucune mesure de redressement car elle passe sous les radars. La belle niche que voilà ! C’est même un vrai chenil.

Cette opacité ne touche pas que le pacte Dutreil, mais l’ensemble de la fiscalité des successions et donations. Nous ne sommes même pas capables de reconstituer l’assiette des droits de mutation à titre gratuit. Tout cela pose non seulement la question de la qualité de l’information dont dispose le Parlement mais aussi celle, importante, du contrôle de l’administration fiscale.

Dans ce contexte, je ne propose pas de révolution fiscale, même si cela me démange, ni de remettre en cause le pacte Dutreil, parce que je sais qu’il est utile pour les PME. La proposition de loi ne touche ainsi ni le boulanger, fût-il à Megève, ni la PME familiale qui pèse 50 millions d’euros. Je propose, en revanche, d’encadrer le dispositif actuel par trois mesures.

La première concerne le taux de l’exonération. Je propose, pour les transmissions de plus de 50 millions d’euros, de ramener le taux à 50 % pour la part de la valeur des titres transmis qui excède ce seuil.

Certains me diront probablement qu’une telle réduction pourrait menacer notre tissu industriel. Je tiens à signaler que la grande majorité des transmissions couvertes par un pacte Dutreil concernent des montants bien plus faibles que 50 millions d’euros. Si l’on suit les chiffres de l’administration – 2 000 à 3 000 pactes, pour une dépense fiscale de 800 millions d’euros –, l’assiette globale des transmissions concernées serait annuellement de 2,5 à 3 milliards d’euros, soit une moyenne de 1 million d’euros par pacte. Un seuil de 50 millions d’euros ne touchera donc pas la transmission des petites entreprises. Certaines entreprises de taille intermédiaire (ETI), notamment celles ayant un actionnariat majoritairement familial, expliquent qu’elles pourraient être concernées mais leurs représentants au sein du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (Meti) sont incapables de donner des exemples fiables et vérifiés. Et là encore, pas de fantasme : il s’agit d’un abaissement de l’abattement au-delà de 50 millions d’euros, non d’une suppression.

Je propose également d’allonger la durée de conservation des titres. Actuellement, un pacte doit d’abord faire l’objet, de la part des associés, d’un engagement de deux ans. Les héritiers ou donataires prennent ensuite un engagement de conservation individuel de quatre ans. La proposition de loi étend cette durée à huit ans. Compte tenu de l’ampleur de l’avantage fiscal dont peuvent bénéficier les contribuables dans le cadre d’un pacte Dutreil, je considère que cette durée serait mieux proportionnée. J’ajoute que la durée de détention était de seize ans à l’origine et surtout qu’il faudrait pouvoir contrôler – ce qui n’est pas le cas – que la durée prévue est bien respectée.

Je propose enfin de supprimer la possibilité de bénéficier du pacte Dutreil pour les transmissions de droits démembrés. Là non plus, il ne s’agit pas de remettre en cause le démembrement de propriété, qui est un principe de droit civil ancien et largement utilisé, mais de limiter la possibilité de cumuler des avantages fiscaux qui, par leurs effets combinés, réduisent l’imposition des plus fortunés d’une manière disproportionnée. À titre d’exemple, lorsque vous bénéficiez d’une transmission de parts d’entreprise pour un montant de 100 millions d’euros, vous pouvez ramener votre taux d’imposition effectif à environ 5 %, au lieu de 44 % dans le droit commun, sans compter le fait qu’à l’issue de cette transmission vous avez également effacé les plus-values latentes.

Je vous propose, par ailleurs, plusieurs amendements qui permettront d’approfondir l’encadrement du dispositif.

Je me suis notamment inspiré des débats que nous avons eus lors de l’examen du dernier projet de loi de finances afin d’exclure totalement la possibilité d’intégrer des biens personnels dans le champ de l’exonération. Le rapporteur général a déposé le même amendement. Actuellement, de tels biens peuvent être inscrits à l’actif d’une société holding animatrice de groupe et peuvent donc, de manière légale mais politiquement injustifiée, être partiellement exonérés de droits de mutation à titre gratuit (DMTG).

Je propose également de supprimer la possibilité de cumuler le pacte Dutreil avec la réduction de droits de 50 % pour les donations réalisées en pleine propriété avant 70 ans. Cette réduction de droits coûte environ 150 millions d’euros chaque année à l’État. Il me semble logique, comme pour le démembrement, d’encadrer le cumul des avantages fiscaux et de demander au contribuable de choisir celui qui sera le plus adapté à sa situation.

Enfin, je souhaite que l’on puisse appliquer une limite de transmission de trésorerie dans le cadre d’un pacte Dutreil.

Ce dispositif fait couler beaucoup d’encre. Il est érigé en totem alors qu’un meilleur encadrement permettrait, en réalité, de lui redonner sa pleine vocation : aider les TPE, les PME, mais aussi la très grande majorité des ETI à transmettre leurs titres et actifs dans un cadre familial, sans constituer une boîte noire qui mine le consentement à l’impôt. Je salue, à cet égard, l’information du jour : le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS) propose, dans un rapport commandé par le gouvernement, de limiter le déficit de la sécurité sociale, notamment par des réformes de la fiscalité des successions. L’assiette du pacte Dutreil serait ainsi réduite grâce à une définition plus juste du patrimoine professionnel et à une limitation des abus potentiels au sujet du patrimoine immobilier et des trésoreries excédentaires.

Le premier ministre ayant récemment cité Lénine – « seule la vérité est révolutionnaire » –, je vais l’aider à compléter son propos : « la confiance n’exclut pas le contrôle ».

M. le président Éric Coquerel. Le pacte Dutreil fait partie de ces niches qui pourraient laisser penser, intuitivement, qu’elles avantagent un capitalisme patrimonial plutôt que spéculatif ou financier. On se dit, en effet, que favoriser le capitalisme familial permet de contrer l’appétit des groupes d’actionnaires. Or quand on regarde en détail, on s’aperçoit que c’est exactement l’inverse.

Je m’appuie en cela sur les travaux d’un think tank rattaché au premier ministre et qui est plutôt libéral, le Conseil d’analyse économique (CAE). Selon lui, le dispositif fiscal dont les effets sont les plus concentrés dans le haut de la distribution des héritages, du fait de l’extrême concentration des biens professionnels, est le pacte Dutreil. Laurent Bach, de l’Institut des politiques publiques, a montré que les biens professionnels représentaient moins de 10 % du patrimoine total en dessous du seuil des 0,1 % les plus fortunés, 30 % au niveau du seuil des 0,01 % les plus fortunés et plus de 60 % pour les 0,001 % les plus fortunés, soit 380 foyers fiscaux. En réalité, le pacte Dutreil avantage surtout les hauts patrimoines, qui sont très liés à la spéculation financière et à l’optimisation fiscale.

Par ailleurs, on peut largement s’interroger sur l’efficacité du dispositif. S’agissant de l’idée que la taxation des transmissions d’entreprises familiales pourrait avoir des effets négatifs sur l’investissement, l’emploi, la gouvernance et la survie des entreprises, des travaux empiriques suggèrent, d’après le CAE, que les effets négatifs sont très limités, voire nuls en pratique. Cela peut donc contredire une vision selon laquelle s’assurer que les entreprises restent dans le giron familial permettrait de renforcer leur développement. Plusieurs travaux, notamment menés par Thomas Philippon en 2007, ont porté sur cette question.

Enfin, toujours selon le CAE, le traitement privilégié dont bénéficient les biens professionnels en matière de DMTG contribue fortement à la transmission des inégalités de patrimoine, sans apporter de gains économiques significatifs. Je rappelle d’ailleurs que le CAE va plus loin que notre rapporteur, puisqu’il propose carrément de supprimer le dispositif ou, au minimum, de renforcer le contrôle fiscal pour lutter contre les abus, de revenir sur les dispositifs d’exception et de plafonner l’utilisation du dispositif pour les très grandes entreprises, comme le propose, cette fois, notre rapporteur.

Pour toutes ces raisons, je suis favorable au présent texte, qui arrive à point nommé.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Le pacte Dutreil a été créé pour faciliter les successions et donations des entreprises familiales par un dispositif d’exonération très attractif, à hauteur de 75 % et sans plafond. À l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2025, j’avais soutenu l’exclusion des biens non professionnels afin d’éviter que les biens personnels des entrepreneurs bénéficient d’une exonération des droits de mutation à titre gratuit en étant inscrits à l’actif d’une entreprise. Il s’agissait ainsi de recentrer le pacte Dutreil sur la transmission d’outils professionnels et non de patrimoines privés, ambition rappelée par le rapporteur mais ne figurant pas dans cette proposition de loi.

Lors de l’examen du projet de loi de finances en première lecture, l’amendement que j’avais déposé à cet effet a été adopté successivement en commission et en séance. Toutefois, en raison du rejet de la première partie du budget par l’Assemblée, puis du recours, par le gouvernement, à l’article 49.3 de la Constitution, cette disposition n’a pas été intégrée dans la version définitive du texte. J’ai donc redéposé mon amendement dans le cadre de cette proposition de loi.

Il me semble que la bonne approche de la question est de sortir de l’assiette les biens personnels : ce serait beaucoup plus efficace et juste que les dispositions de ce texte. Comment fixer un seuil ? Pourquoi 50 % ? Par ailleurs, la suppression du démembrement de propriété me paraît une erreur : une bonne tactique pour associer des membres de la famille peut être de leur céder la nue-propriété et, quand on décède – nul ne connaissant l’heure de sa fin de vie, malgré ce que nous venons de voter –, cela permet de faciliter les transmissions.

S’agissant de la durée de détention, j’ai toujours pensé que les six années actuelles – quatre plus deux – étaient un critère un peu étroit. Nous pourrions donc envisager d’augmenter la durée d’un ou deux ans. Nous avons ainsi adopté en loi de finances un dispositif concernant les baux ruraux à long terme au sein duquel nous avons prévu une durée de conservation de treize ans additionnelle à la durée de cinq ans.

M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Sophie-Laurence Roy (RN). Il n’y a ni emplois ni salariés sans entreprises et pas d’entreprises sans entrepreneurs ; sans entreprises non plus, aucune prospérité, ni pour la France ni pour les Français. C’est ce principe de réalité que défend le Rassemblement national. Par ailleurs, quand une entreprise française peut être reprise par un Français qui la connaît déjà parce qu’il y travaille, alors nous devons aider à sa transmission. Il faut garder en tête cet autre principe de réalité lorsque nous débattons du pacte Dutreil.

Le présent texte a pour but de taxer davantage nos concitoyens qui veulent conserver une entreprise française, en rendant les transmissions d’entreprises plus coûteuses, donc plus difficiles et plus rares. Pourtant, le défi qui nous attend est immense. Selon les chambres de commerce et d’industrie (CCI), un quart des dirigeants de PME et d’ETI a plus de 60 ans, et 11 % plus de 66 ans. D’ici à 2032, 700 000 entreprises devront ainsi être cédées. Les CCI estiment que 50 000 transmissions en une seule année représentent 770 000 emplois maintenus. À l’inverse, une entreprise non transmise, c’est souvent une entreprise qui disparaît ou qui passe sous pavillon étranger, bien souvent pour être pillée avant d’être liquidée.

Or le pacte Dutreil permet de transmettre une entreprise à quelqu’un qui y travaille déjà et n’aura pas à s’endetter pour la reprendre. En France, seulement 12 % des transmissions d’entreprises se font dans le cadre familial, contre 65 % en Allemagne et 76 % en Italie. Cette faiblesse structurelle, qui affaiblit la continuité économique et la résilience de notre tissu productif, s’explique en grande partie par la lourdeur de la fiscalité sur la transmission des entreprises. Cette situation explique aussi pourquoi notre pays dispose d’un réseau d’entreprises de taille intermédiaire beaucoup plus restreint que celui de nos voisins, alors que c’est ce tissu d’ETI qui assure la stabilité de l’emploi, la capacité d’exporter et l’ancrage territorial.

Le Rassemblement national veut donc renforcer le pacte Dutreil. Nous proposons une exonération totale en contrepartie d’un engagement de conservation à long terme, de dix ans.

M. Mathieu Lefèvre (EPR). Il était question, avec la proposition de loi que nous avons examinée plus tôt ce matin, d’offrir un cadre fiscal clair et stable à nos compatriotes. Quelques instants plus tard, on nous propose de remettre en cause un outil qui fonctionne, alors que le nombre de transmissions d’entreprises familiales dans notre pays est singulièrement inférieur à celui de nos voisins européens – il est de 14 % en France, de 50 % en Allemagne et de 70 % en Italie.

Si nous voulons délocaliser, perdre en souveraineté, céder nos capitaux à des fonds de pension, empêcher la transmission d’entreprises, alors il faut voter cette proposition de loi, c’est-à-dire refuser de faire confiance à nos entrepreneurs pour leur permettre de se développer, de passer du statut de petite ou moyenne entreprise à celui d’entreprise de taille intermédiaire. Là aussi, je rappelle les chiffres : nous avons trois fois moins d’entreprises de taille intermédiaire qu’en Allemagne.

Je crois au contraire qu’il faudrait sanctuariser cette dépense fiscale, qui fonctionne bien et qui a été créée, comme M. le rapporteur le sait très bien, pour éviter que des entreprises ne passent sous pavillon étranger ; c’est une dépense fiscale antidélocalisation. Plutôt que de la mettre à mal, de casser ce qui fonctionne, il faudrait la sanctuariser et peut-être même, je le crois, augmenter le taux actuel, sous réserve d’un engagement de conservation supplémentaire. Laissons nos entrepreneurs tranquilles, laissons-les travailler et grandir ; favorisons la transmission familiale plutôt que la punition fiscale permanente.

M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). La France est une société où la naissance fait la fortune. Dans la France de Macron, il suffit de bien naître pour être riche, tandis que tous les autres sont condamnés à la pauvreté, de génération en génération. Nous sommes, oui, une société d’héritiers. En dépit des discours incessants des libéraux sur la valeur travail, nous vivons en réalité dans un régime où une classe a fait sécession – ceux qui traquent le séparatisme à l’heure actuelle feraient bien de s’y intéresser.

En 2024, neuf personnes sont devenues milliardaires en France. Sur ces neuf personnes, sept sont des super-héritiers. Comment est-ce donc possible ? Moi qui croyais que l’État taxait jusqu’à plus soif ! Il taxe, oui, mais pas les plus riches. Les 0,1 % les plus riches touchent en moyenne un héritage de 13 millions d’euros, soit 180 fois l’héritage médian, et ils paient en moyenne 10 % d’impôts sur cet héritage, alors que le taux moyen d’imposition est de 42 %.

Comment ces gens font-ils pour échapper ainsi à l’impôt ? Parmi les niches fiscales, cage dorée pour enfants ou parents fortunés, le pacte Dutreil permet une exonération de 75 % des biens professionnels. Or, vous le savez, les biens professionnels, c’est-à-dire les parts d’entreprises, occupent souvent une place prédominante dans les héritages très importants. Le pacte Dutreil, combiné à d’autres niches fiscales, comme le démembrement, permet d’aller jusqu’à une exonération de 90 % des impôts sur la succession.

La France, de fait, ressemble davantage à un paradis fiscal qu’à l’enfer décrit par certains. Non seulement une petite poignée de Français accaparent une richesse qu’ils n’ont pas produite, mais en plus ils privent l’État de recettes indispensables. Pendant qu’on demande aux Français de faire des efforts, à grand renfort de TVA sur les produits de consommation du quotidien, le pacte Dutreil coûte au moins 3 milliards d’euros par an à l’État. Selon les dernières estimations, le nombre d’utilisations du dispositif a explosé : on compte 50 % de pactes Dutreil supplémentaires depuis que Macron est là.

Vous me direz qu’il s’agit de protéger le patrimoine industriel français au moment de la succession. Si seulement c’était vrai… Force est de constater que cela n’empêche en rien la désindustrialisation. Selon l’Inspection générale des finances (IGF), le Medef a été incapable de fournir des arguments tangibles pour montrer les effets positifs du pacte Dutreil.

Cette proposition de loi est bienvenue. Même si nous défendons la suppression du pacte Dutreil à terme, son encadrement et sa restriction sont de bons premiers pas.

Mme Christine Pirès Beaune (SOC). Merci à Nicolas Sansu d’avoir déposé cette proposition de loi. Le pacte Dutreil a pour qualité d’être probablement l’un des seuls dispositifs fiscaux dérogatoires dont les fondements économiques font presque l’unanimité parmi nous. J’imagine donc que ce texte, qui permet d’aligner le dispositif fiscal sur son objectif initial, rassemblera largement.

Le pacte Dutreil est un dispositif qu’il convient de maintenir, dans la mesure où il joue un rôle clef pour permettre la transmission d’entreprises familiales d’une génération à une autre. L’abattement prévu s’applique légitimement si certains critères sont respectés, notamment l’engagement de conservation des titres, par les légataires, pendant au moins quatre ans, avec l’implication d’au moins un d’entre eux comme dirigeant de l’entreprise durant la même période. Les critères ont malheureusement été relâchés à plusieurs reprises au cours des vingt dernières années, ce qui a contribué à faire de ce dispositif un outil majeur de contournement de l’impôt, dont le coût pour les finances publiques est estimé à plus de 2 milliards d’euros par an.

Nous nous réjouissons que ce texte permette de faire en sorte que le dispositif Dutreil se rapproche de son objectif initial : assurer la pérennité des groupes familiaux, de notre tissu de TPE et de PME. Qui pourrait dès lors s’opposer à ce que la durée de conservation des titres soit portée à huit ans, contre seulement quatre à l’heure actuelle ? De même, la réduction de l’abattement, à 50 %, pour la tranche supérieure à 50 millions d’euros ne concernera qu’un nombre infime d’entreprises et ne semble donc pas poser de problème majeur.

M. Tristan Lahais (EcoS). En France, alors que la moitié de la population n’a pas d’héritage ou très peu – le premier décile perçoit même un héritage dit négatif –, 0,1 % des héritiers, les plus riches, reçoivent en moyenne 13 millions d’euros, ce qui représente 180 fois l’héritage médian selon les chiffres, déjà cités, du Conseil d’analyse économique. Grâce à de nombreuses niches fiscales, ces super-héritiers ne paient en moyenne que 10 % de droits de succession. Par ailleurs, je rappelle que sept des neuf Français devenus milliardaires en 2024 étaient de super-héritiers.

Toutes celles et ceux qui, gouvernement et RN inclus, plaident pour la stabilité fiscale, voire pour une réduction supplémentaire de la pression fiscale ou même une exonération totale s’agissant du pacte Dutreil, protègent en réalité la rente, l’héritage, contre la valeur travail qu’ils prétendent défendre du matin au soir. C’est d’autant plus embêtant que le gouvernement actuel nous invite à faire des efforts, de l’ordre de 40 milliards d’euros cette année, pour combler un déficit public qu’il a lui-même creusé. À situation économique exceptionnelle, nous serions bien inspirés de demander une contribution exceptionnelle à celles et ceux qui ont le plus de moyens.

Selon un rapport d’Oxfam datant de l’automne 2024, plus de 160 milliards d’euros pourraient s’envoler du fait de diverses exonérations fiscales strictement liées à l’héritage – aux successions et donations – dans les trente prochaines années. Le pacte Dutreil est une de ces niches les plus emblématiques. Permettant d’exonérer jusqu’à 75 % des actifs en cas de transmission d’une entreprise familiale, afin de préserver le tissu économique, il est en réalité devenu un paradis fiscal légal pour les grandes fortunes : 40 % des transmissions effectuées dans ce cadre portent sur des montants supérieurs à 60 millions d’euros.

Le pacte Dutreil est aussi le symbole d’un système opaque et injuste de niches fiscales liées à l’héritage. Si le coût du dispositif a été estimé à 500 millions d’euros, ce montant est resté inchangé depuis dix ans. Il est donc remis en cause par de nombreux experts, à commencer par ceux de la Cour des comptes, qui considèrent que le calcul est fondé sur des hypothèses obsolètes.

Pour toutes ces raisons, nous soutiendrons évidemment la proposition de loi.

M. Jean-Paul Mattei (Dem). Nous avions longuement débattu de ce sujet dans le cadre du rapport sur la fiscalité du patrimoine. J’ai connu une époque où le pacte Dutreil n’existait pas. On avait alors deux solutions : soit on se domiciliait à l’étranger pour bénéficier d’un autre régime fiscal, soit on était obligé de vendre l’entreprise, l’exemple le plus emblématique étant celui d’Upsa, entreprise vendue à la suite du décès subit de son dirigeant.

Si on ne peut pas transmettre une entreprise à titre gratuit – je rappelle que les droits en ligne directe vont jusqu’à 45 % –, on est obligé de vendre. Quand on regarde l’évolution dans le temps des entreprises vendues à des groupes, on voit que des établissements locaux, donc assurant le maillage du territoire, sont souvent supprimés, ce qui est dramatique pour l’activité.

La question mérite d’être posée, c’est vrai, mais pas dans le cadre d’une proposition de loi. Il faut une vision globale de la fiscalité de la transmission d’entreprise ; le pacte Dutreil est extrêmement utile.

La première modification de l’article 787 B du code général des impôts qui nous est proposée dans ce texte concerne la durée de détention, qui n’est pas de quatre ans, mais de deux ans plus quatre, soit six ans. Les quatre ans concernent ce qu’on appelle les pactes Dutreil réputés acquis. On peut envisager une évolution, mais si on passe à huit ans, cela fera au total dix ans. Lorsque la durée était de quinze ans, cela ne marchait pas parce que c’était trop long. Le régime des plus-values à la revente est une vraie question, mais la proposition de loi ne l’aborde pas.

Si le seuil passe à 50 millions d’euros, une entreprise qui en vaut 100 devra être vendue, à l’étranger : on n’aura pas les liquidités pour faire face aux droits de succession. Où pourrait-on les trouver ? Dans l’entreprise, en appauvrissant la trésorerie.

Et que se passe-t-il quand le conjoint survivant veut conserver l’usufruit en cas de démembrement de propriété ? Le dispositif a déjà évolué pour limiter l’avantage donné à l’usufruitier, lequel ne peut désormais voter que sur les décisions d’affectation du bénéfice.

Enfin, l’oubli de l’article 790 du code général des impôts, malgré sa réintégration dans un amendement, prouve que le texte mérite d’être retravaillé selon une vision plus globale.

M. Christophe Plassard (HOR). Sous couvert de lutte contre l’optimisation fiscale, ce texte remet en cause un dispositif structurant pour nos PME familiales, le pacte Dutreil.

Soyons clairs : ce pacte n’est pas une niche injustifiée, mais un outil essentiel à la transmission d’entreprise. Il permet à des artisans, des commerçants, des chefs d’entreprise, mais aussi à des agriculteurs et des viticulteurs, souvent au cœur de nos territoires, de transmettre leur activité à leurs enfants sans que l’impôt ne les contraigne à vendre ou à démembrer l’entreprise. Allonger la durée d’engagement de quatre à huit ans, c’est ignorer les incertitudes économiques que vivent ces familles. Introduire un seuil de 50 millions d’euros, c’est pénaliser les ETI capitalistiques et pas toujours rentables – je pense aux vignes –, que ce soit dans l’industrie ou dans l’agroalimentaire. Enfin, interdire le démembrement, c’est priver les familles d’un outil civil reconnu qui permet une transmission progressive, souvent gage de stabilité.

Nous le savons tous, ce ne sont pas les grands groupes qui recourent au pacte Dutreil, mais des entreprises ancrées localement dans lesquelles les dirigeants mettent toute leur énergie et tout leur patrimoine. Ce texte les fragiliserait injustement et nierait l’investissement et le travail des patrons de PME, qui mettent corps et âme dans une entreprise, source d’emploi local. La transmission d’entreprise ne doit pas devenir un parcours du combattant. Elle est au contraire une promesse, celle de la continuité de l’emploi et du tissu économique local : la pérennité et la stabilité des entreprises familiales sont reconnues, à la différence des entreprises reprises en LBO – rachat par endettement – avec, souvent, une pression sur la rentabilité.

Certes, l’efficacité du dispositif mérite d’être évaluée. Mais réformer à l’aveugle, sans concertation, sans étude d’impact sérieuse, c’est prendre le risque de casser un outil qui fonctionne, même s’il est perfectible. Pour ces raisons, le groupe Horizons votera contre la proposition de loi.

M. Corentin Le Fur (DR). Nous sommes très attachés au pacte Dutreil. C’est un outil précieux sans lequel les chefs d’entreprise seraient obligés de vendre tout ou partie de l’entreprise familiale au moment de la succession, souvent à des fonds ou à des acteurs étrangers, avec une perte de contrôle partielle ou totale. Il protège un modèle d’entreprise qui maille le territoire et maintient l’emploi, les savoir-faire et les centres de décision en France. Remettre en cause le pacte Dutreil pénaliserait les entreprises familiales qui veulent grossir – je rappelle que notre pays est en retard par rapport à l’Allemagne en matière de transformation des PME en ETI. Cela ne veut pas dire que nous pouvons nous exonérer d’une réflexion sur le coût des niches fiscales, notamment dans le projet de loi de finances. Néanmoins, nous voterons contre la proposition de loi.

M. Michel Castellani (LIOT). Le groupe LIOT accueille favorablement cette proposition de loi visant à recentrer le pacte Dutreil sur son objectif initial, qui est de faciliter la transmission des entreprises familiales tout en préservant l’équité fiscale. Il est clair que certaines dérives ont été constatées : utilisation du dispositif à des fins patrimoniales éloignées de toute logique économique, démembrement de propriété exploitant les failles du cadre actuel ou encore transmission de biens sans lien direct avec l’activité de l’entreprise. Ces pratiques détournent l’esprit du dispositif au détriment de la justice fiscale.

Cependant, nous avons des réserves sur la méthode. Fixer un simple seuil de valeur pour moduler l’exonération peut engendrer des effets de seuil contre-productifs, en particulier pour les entreprises non cotées dont la valorisation est complexe et sujette à contentieux.

En ce sens, notre groupe défendra plusieurs amendements, notamment un amendement qui vise à mieux cibler l’exonération sur les biens réellement affectés à l’activité opérationnelle de l’entreprise en excluant les actifs personnels ou les actifs improductifs qui sont logés artificiellement dans les structures bénéficiaires. À travers cet amendement, nous défendons une approche équilibrée : renforcer le contrôle et recentrer le dispositif sur l’économie réelle, tout en préservant la transmission des PME et des ETI dans les territoires.

Le groupe LIOT réserve son vote final à l’issue des débats, en espérant que ceux-ci permettront d’aboutir à un texte pleinement opérationnel.

M. Julien Brugerolles (GDR). Dans la panoplie des niches fiscales qui grèvent chaque année les finances publiques, le pacte Dutreil symbolise à bien des égards les dérives en matière d’optimisation d’impôt des plus hauts patrimoines. Initialement instauré en 2000 pour faciliter la transmission des entreprises familiales et en assurer la pérennité, ce dispositif a vu ses conditions s’assouplir et ses avantages fiscaux s’accroître au fil du temps, bien au-delà de sa vocation première.

La proposition de loi de notre excellent rapporteur ne remet pas en cause l’existence même du pacte Dutreil. Elle vise simplement à le recentrer sur ses objectifs initiaux en mettant fin à ces dérives manifestes. Prenons un exemple concret : l’engagement de conservation des titres, fixé à l’origine à seize ans, a été réduit à seulement quatre ans. Notre proposition de retour à une durée de huit ans ne constitue ni une rupture, ni une innovation radicale. Elle s’inscrit au contraire dans la logique fondatrice du dispositif : garantir la stabilité de la transmission des entreprises familiales et leur durabilité.

Par ailleurs, nous ne pouvons ignorer les détournements auxquels donne lieu le dispositif actuel. Il est désormais possible d’y intégrer des holdings mixtes détenant, à côté d’éléments véritablement professionnels, des actifs non productifs : biens immobiliers de luxe, œuvres d’art, jusqu’au chalet à Megève. Le résultat ? Une fiscalité réduite de 40 à 5 % sur des biens sans lien réel avec l’activité économique. Ce n’est pas seulement un manque à gagner considérable pour l’État – il a été estimé entre 2 et 3 milliards d’euros par le Conseil d’analyse économique –, c’est une trahison même de l’esprit du pacte Dutreil. C’est pourquoi les ajustements proposés par le rapporteur, loin d’être excessifs, apparaissent indispensables.

Dans le contexte budgétaire actuel, où les politiques publiques sont soumises à des coupes sévères, il est de notre responsabilité de nous interroger sur chaque dépense fiscale. Mieux encadrer le pacte Dutreil, c’est faire œuvre de justice fiscale et recentrer un dispositif utile sur sa finalité première en l’empêchant d’être utilisé comme un outil d’optimisation patrimoniale, sans lien réel avec l’économie. Pour toutes ces raisons, nous vous appelons à voter pour le texte.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Je suis très heureux que cette question entre dans le débat public. En effet, malgré l’appel de M. Mattei à discuter dans un cadre plus global, le projet de loi de finances ne permet pas de discuter à fond du sujet – sans oublier que, ces derniers temps, nous ne le votons pas.

Hier encore, le HCFiPS a fait des propositions sur un éventuel aménagement du pacte Dutreil dans le cadre de la limitation des déficits de la sécurité sociale. Nous ne sommes donc pas les seuls à nous pencher sur la réalité de ce pacte, y compris sur la question, chère à Charles de Courson, de la distinction entre les biens professionnels et les biens personnels, laquelle avait déjà été abordée dans la proposition de loi de Christine Pirès Beaune sur la fiscalité des droits de succession et de donation.

Ne faisons pas croire que la proposition de loi vise à supprimer le pacte Dutreil : ce n’est pas du tout le cas. Elle vise simplement à l’encadrer. L’abattement est ramené à 50 % au-dessus de 50 millions d'euros, pas à zéro ! Arrêtons de fantasmer : la proposition de loi ne touchera pas les TPE et PME, seulement quelques ETI. Il n’est pas vrai de dire que le garagiste et le boulanger seront concernés. Nous avons demandé aux services de Bercy et au Mouvement des entreprises de taille intermédiaires combien de pactes Dutreil excèdent 50 millions d'euros chaque année : ils ne le savent pas, ce qui est un monde, mais cela se compte a priori sur les doigts des deux mains.

Le sujet mérite d’être posé dans ces termes. Je reconnais toutefois que le texte peut encore faire l’objet d’aménagements et d’améliorations, comme celles qu’a proposées Charles de Courson et comme celles que pourrait proposer Jean-Paul Mattei s’il acceptait de discuter du fond de la proposition de loi.


   Examen des articles

Article unique

Amendements de suppression CF14 de M. Mathieu Lefèvre et CF26 de M. Jean-Paul Mattei

M. Mathieu Lefèvre (EPR). Le rapporteur ne m’a pas répondu au sujet de l’impact du texte sur la transmission familiale, sur la capacité des entreprises à rester dans le giron français et sur la transformation des PME en ETI. C’est se tromper lourdement sur le sens de notre mission que de croire que l’on va répondre à tous les maux de la société par une augmentation de la fiscalité, dans un pays qui est déjà champion de l’OCDE des prélèvements obligatoires. Pour toutes ces raisons, je propose de supprimer cet article qui relève d’une forme d’amateurisme fiscal et témoigne d’une méconnaissance profonde du tissu économique et industriel français.

Plus tôt ce matin, nous avons essayé de réparer une disposition injuste vis-à-vis des entrepreneurs et de préserver un cadre fiscal et réglementaire stable pour notre économie. Dans la minute d’après, on rompt le peu de confiance qui subsiste. Laissons-les travailler et transmettre leurs entreprises plutôt que délocaliser ou livrer notre économie aux fonds de pension.

M. Jean-Paul Mattei (Dem). Je n’ai pas l’habitude de demander la suppression d’un article, mais le débat est mal posé. Le point essentiel tient à la notion de patrimoine professionnel et au surplus de trésorerie de certaines holdings. La proposition de loi n’en parle pas. Elle ne traite pas non plus la question des plus-values réalisées après quatre ans de détention, qui sont calculées sur la valeur nette des titres, et non sur la valeur abattue ; or c’est là que se nichent les optimisations. Le pacte Dutreil est un outil utile. Il faut vérifier qu’il correspond bien à sa destination sans le fragiliser. Je le répète, une proposition de loi n’est pas le bon cadre pour aborder le sujet.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. M. Lefèvre, dont la condescendance le dispute à la sympathie, nous demande de ne pas remettre en cause cette disposition fiscale. Je suis sans doute un amateur, mais il me semble qu’on ne peut pas dire tout et son contraire : dans une tribune parue dans Les Échos le 17 avril dernier, il appelait à supprimer toutes les niches fiscales et à rendre l’argent aux Français. À ma connaissance, le pacte Dutreil est une niche fiscale. Soyez un peu cohérent et acceptez la contradiction sans mépris.

Nous savons tous que les propositions de loi ne sont pas accompagnées d’une étude d’impact. Toutefois, la Cour des comptes rendra fin juin un rapport qui, je l’espère, sera documenté, même si elle a peiné à obtenir les informations. Il n’existe pas de cadastre du Dutreil : l’administration estime la dépense fiscale à 800 millions d’euros, tandis que le Conseil d’analyse économique parle de 2 à 3 milliards d’euros. Ce seul écart justifie d’y regarder de plus près.

Monsieur Mattei, je comprends que ce soit un crève-cœur pour vous de déposer un amendement visant à supprimer l’un de mes textes, sachant que nous avons travaillé ensemble sur le sujet. J’entends la nécessité de distinguer les biens personnels des biens professionnels et je serai favorable à l’amendement déposé en ce sens par Charles de Courson. Certains économistes, comme Camille Landais, se sont penchés sur la question de la trésorerie, qui peut constituer jusqu’à 90 % de la valeur transmise ; pour que le pacte Dutreil ne soit pas utilisé en vue d’échapper à l’impôt, il faudrait fixer un maximum à 30 ou 50 %.

Avis défavorable aux deux amendements.

M. le président Éric Coquerel. L’adoption de ces amendements mettrait un terme au débat. Je donnerai donc la parole à un orateur par groupe avant le vote.

Hier, Amélie de Montchalin se disait ouverte à toutes les propositions de révision de niches fiscales dans le projet de loi de finances. Il est contradictoire d’entendre les représentants des groupes de la majorité refuser de s’attaquer à celle-là. Je suppose que ceux qui refusent par principe de toucher à la fiscalité seront également contre la TVA sociale, qui est la fiscalité la plus injuste possible et ne répare en rien les dégâts fiscaux faits au profit des plus riches depuis 2017.

Je suis dubitatif devant le procédé qui consiste à voter la suppression d’un article et d’empêcher ainsi tout débat sur une proposition de loi défendue dans le cadre d’une niche parlementaire, d’autant plus que celle-ci sera vraisemblablement rejetée in fine. J’ai cru comprendre que des accords étaient possibles dans le projet de loi de finances, y compris sur la réforme de cette niche fiscale ; autant la préparer.

Mme Sophie-Laurence Roy (RN). Nous voterons pour la suppression de l’article. Même si le pacte Dutreil n’est pas parfait, il est toujours mieux sans les limites que le texte projette d’instituer.

M. Denis Masséglia (EPR). Je soutiens Mathieu Lefèvre. Nous ne pouvons pas voter un texte qui n’a fait l’objet d’aucune étude d’impact.

Je vois dans cette salle une horloge. Il y a dans mon territoire une entreprise d’horlogerie, l’entreprise Bodet, 1 000 emplois, créée à Trémentines en 1868 et transmise de génération en génération : si nous votons ce texte, ce sont les fonds de pension américains ou chinois qui la reprendront. Brioche Pasquier, 3 500 emplois, siège social basé aux Cerqueux, dans ma circonscription : si la famille ne peut pas reprendre l’entreprise, elle sera rachetée par des fonds de pension américains. Est-ce cela que nous voulons ? Je suis un défenseur des entreprises du territoire, pas des fonds de pension. Comprenez les risques que nous prenons. Comment vais-je expliquer aux milliers de salariés qu’ils risquent de perdre leur emploi parce que l’entreprise a été rachetée ?

Nous ne pouvons pas voter sur un coin de table un dispositif qui met en péril l’économie et l’industrie de nos territoires. Prenons le temps de discuter ; il y a sans doute quelques évolutions à apporter, mais il ne faut pas casser un système qui a fait ses preuves.

M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Arrêtons l’hypocrisie qui consiste à faire croire que vous êtes les grands défenseurs du tissu industriel et économique français. Le pacte Dutreil, cela coûte de l’argent, avec des milliards d’euros qui n’entrent pas dans les caisses de l’État. Si vous vous préoccupez des emplois et de l’industrie, pourquoi êtes-vous incapables de mobiliser cet argent pour nationaliser Vencorex ou ArcelorMittal ? La réalité, c’est que vous ne défendez pas les emplois ; les emplois, vous vous en moquez bien, et le maintien des entreprises aussi. La seule chose que vous défendez, c’est la possibilité pour une petite poignée d’ultrariches de conserver ses biens dans la famille pour les transmettre à ses enfants.

Non seulement vous êtes opposés à la proposition de loi, mais vous refusez de débattre des amendements en supprimant l’article unique avec la complicité du Rassemblement national, qui se fond dans les arguments macronistes. Vous dites que ce n’est pas le bon moment. Mais le budget non plus n’est pas le bon moment : tout passe par 49.3 et se termine en commission mixte paritaire. Alors, quel est le bon moment pour débattre de ce qui représente 20 % de l’imposition sur l’héritage ?

M. Philippe Brun (SOC). Comme l’a dit ma collègue Christine Pirès Beaune, nous soutenons cette proposition de loi et sommes donc défavorables aux amendements de suppression.

Le premier argument invoqué par ceux qui veulent supprimer l’article est l’absence d’étude d’impact. Or, nos débats en témoignent, il n’y a pas de sujet plus documenté que celui-ci : à chaque projet de loi de finances, nous passons des heures à en débattre avec des chiffrages extrêmement précis. Comme l’a dit Nicolas Sansu, l’impact du texte sur le tissu économique est minime car il ne concerne que de très grandes familles qui utilisent le pacte Dutreil à des fins d’optimisation fiscale – c'est-à-dire pour planquer de la trésorerie dans la holding afin de réduire la taxation. Ce n’est pas acceptable. On ne peut pas assassiner de droits de succession les familles de classe moyenne qui transmettent un pavillon et en exonérer les très grandes fortunes.

Monsieur Mattei, vous évoquez la taxation des plus-values lorsque les détenteurs vendent leurs titres après quatre ans. Si le mode de calcul ne vous semble pas correct, déposez un amendement, mais ne supprimez pas l’article.

M. Corentin Le Fur (DR). Je suis opposé à ce texte et je souscris pleinement aux arguments de MM. Masséglia et Lefèvre. Cependant, nous n’avons pas souvent l’initiative parlementaire et il est d’autant moins illégitime de débattre maintenant que nous ne sommes pas sûrs de pouvoir le faire lors du projet de loi de finances en raison du contexte budgétaire. Je ne voterai donc pas l’amendement de suppression, même si je voterai résolument contre le texte. Je n’aimerais pas que l’on fasse la même chose à l’une de mes propositions de loi.

M. Tristan Lahais (EcoS). Je m’interroge sur ce procès en amateurisme de la part des soutiens d’un gouvernement qui a explosé les déficits publics et qui s’est totalement écarté des cibles votées dans le budget pour 2024. Plus généralement, c’est sur la fonction même du législateur que nous avons une divergence d’approche : certes, la proposition de loi n’est pas accompagnée d’une étude d’impact, mais ce n’est pas parce que le dispositif présente des effets indirects non évalués qu’il faut occulter tout débat. Au contraire, il faut l’engager à la lumière de la documentation dont nous disposons.

Au-delà du coût économique d’une telle mesure, que nous estimons marginal, il y a un coût démocratique à la sécession des riches. La croissance considérable des inégalités détourne le principe de la méritocratie en une méritocratie héritée – parfois de deuxième, troisième ou quatrième génération – qui met à mal la cohésion sociale.

M. Jean-Paul Mattei (Dem). À ma demande, mon groupe a rendu un rapport formulant des propositions sur la fiscalité du patrimoine. J’y ai travaillé longuement avec Nicolas Sansu, avec beaucoup d’échanges et de respect mutuel. On ne peut donc pas nous accuser de refuser le débat.

Je répète que ce n’est pas la bonne piste. Il faut taxer les flux plutôt que les stocks : quand on reçoit une entreprise, on ne récupère pas d’argent, mais des équipements qui permettent de produire sur le territoire. Le vrai problème, c’est l’optimisation du régime des plus-values de cession sur titres au bout de quatre ans – sur lequel j’avais déposé un amendement au projet de loi de finances –, et le régime mère-fille, qui permet de faire remonter de la trésorerie grâce à la quote-part de frais et charges.

La proposition de loi est mal calibrée. Ne soyons pas hypocrites : nous n’allons pas débattre pour le plaisir de débattre.

M. Joël Bruneau (LIOT). Tout en étant fermement opposé à la mesure proposée par le rapporteur, je me rallie volontiers à l’idée qu’il faut en débattre. C’est un fantasme que nous voyons régulièrement surgir dans cette enceinte, la dernière occasion en date étant l’adoption de la taxe Zucman. On dénonce l’accumulation du capital par certains au détriment des autres en confondant les biens personnels et les biens professionnels, les flux et les stocks.

En tant qu’ancien élu local, j’aime beaucoup les capitalistes familiaux, dont les décisions en termes d’implantation des entreprises n’ont rien à voir avec celles des directeurs de site, lesquelles obéissent à une logique souvent lointaine, qu’elle soit positive ou négative.

Par ailleurs, une trésorerie importante est bon signe pour l’entreprise car elle signifie que des dividendes n’ont pas été distribués – j’ai remarqué que certains ici étaient très opposés au versement des revenus du capital. Il est effectivement souhaitable qu’ils restent dans l’entreprise lors de sa transmission. Ensuite, de deux choses l’une : soit ils sont réinvestis dans l’entreprise, ce qui est une bonne chose, soit ils sont distribués, et donc assujettis à l’impôt. Le fantasme de la transmission de trésorerie grâce au pacte Dutreil me paraît donc peu justifié.

Enfin, la méritocratie ne tient pas qu’à la transmission du capital. Le phénomène d’éviction passe aussi par l’inscription des enfants à l’école, par exemple.

M. Julien Brugerolles (GDR). Nous sommes subjugués par le professionnalisme fiscal de nos collègues, qui s’exerce toujours pour défendre les plus hauts patrimoines et ne surtout rien toucher lorsque les niches font l’objet de dérives. Je le répète, notre texte ne vise pas à déstabiliser la transmission et la sécurité économique des petites entreprises. Au contraire, il vise à revenir à l’esprit initial du pacte Dutreil. Je vous demande donc de retirer ces amendements pour que nous puissions procéder à l’examen des dispositions prévues par le rapporteur.

M. Christophe Plassard (HOR). Je souscris complètement aux propos de M. Mattei : les entreprises ne sont pas juste d’affreux capitalistes, et il faut les accompagner. Par exemple, les vignes font l’objet d’une importante valorisation foncière : sans le pacte Dutreil, les viticulteurs ne pourraient pas les transmettre à leur famille.

M. le président Éric Coquerel. Si on s’empêchait de voter sur toutes les propositions de loi qui ne présentent pas d’étude d’impact… Remarquez, c’est peut-être ce qui explique que le texte que nous avons examiné lundi a été rejeté par ses propres partisans – ça semblait un peu paradoxal.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Monsieur Plassard, le pacte Dutreil s’applique différemment pour le foncier agricole : ce n’est pas le même dispositif.

Monsieur Masséglia, n’essayez pas de faire peur aux gens : l’objectif du texte n’est absolument pas de contraindre les PME ou d’empêcher la transmission d’entreprise dans le cadre familial. Au reste, malgré l’existence du dispositif, seules 14 % des entreprises le sont. Ce texte ne met rien en péril. J’ai rencontré le Mouvement des entreprises de taille intermédiaire : des entreprises comme Pasquier et Bodet chez vous ou Monin chez moi ne sont pas transmises en une seule fois, mais fractionnées de sorte que chaque tranche n’excède pas 50 millions d’euros. Or le pacte Dutreil ne prévoit pas de mécanisme de consolidation – d’où ma proposition d’encadrer ce dispositif.

Monsieur Mattei, j’entends vos remarques, mais l’encadrement du pacte Dutreil me semble fondamental pour rétablir le consentement à l’impôt – c’est une question que nous devrons régler : vous ne pouvez pas demander des efforts aux petits sans jamais faire passer les gros à la caisse.

La commission adopte les amendements identiques de suppression.

En conséquence, l’article unique est supprimé et les autres amendements tombent.

Après l’article unique

Amendement CF27 de M. Nicolas Sansu

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Compte tenu de la suppression de l’article, je le retire.

L’amendement est retiré.

Amendement CF21 de M. Tristan Lahais

M. Tristan Lahais (EcoS). Cet amendement prévoit que le gouvernement remet au Parlement un rapport sur le coût annuel du pacte Dutreil pour les finances publiques. Ce document présentera l’analyse du profil des bénéficiaires – par décile de patrimoine et de montant d’exonérations –, la taille et la nature des entreprises concernées, ainsi que les montants transmis.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Cette information sera utile : avis favorable. Les études menées par le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) sous l’égide de la Cour des comptes montreront, je l’espère, qu’il y a beaucoup de fantasmes autour de l’efficacité et du degré de recours au Dutreil.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

 

 

 

 


   Liste des personnes auditionnÉes par le rapporteur

Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI) *

– M. Alexandre Montay, délégué général

– M. David Lauvray, responsable des relations institutionnelles

 

Direction de la législation fiscale

– Mme Elise Valetoux, sous-directrice, sous-direction C – Fiscalité des personnes

– M. Sébastien Catz, chef du bureau des chiffrages et études statistiques

– Mme Stéphanie Tokatlian

 

M. Nicolas Frémeaux, économiste

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

 


([1]) Repenser l’héritage, Les notes du conseil d’analyse économique, n° 69, 2021.

([2]) Rapport d’information n° 1678 de MM. Jean-Paul Mattei et Nicolas Sansu sur la fiscalité du patrimoine, septembre 2023.

([3]) Repenser l’héritage, Les notes du conseil d’analyse économique, n° 69, 2021.

([4]) Évaluation des voies et moyens, tome II. Annexe au projet de loi de finances pour 2025.  

([5]) Article 11 de la loi n° 99-1172 du 29 décembre 1999 de finances pour 2000.

([6]) Article 43 de la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique.

([7]) Figurent à l’article 787 C du CGI les dispositions encadrant l’exonération partielle pouvant être accordée dans le cadre d’une transmission de biens affectés à l’exploitation d’une entreprise individuelle.

([8]) Article 28 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises.

([9]) Cet engagement est réputé acquis si la société était détenue, directement ou indirectement, depuis deux ans au moins, par une personne physique, seule ou avec son conjoint, et que l’une de ces personnes exerçait depuis deux ans à la date de la transmission, son activité professionnelle principale ou une fonction de direction dans la société dont les titres sont transmis.

([10]) Article 23 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.

([11]) Article 46 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019.

([12]) Article 70 de la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025.

([13]) Idem.

([14]) Article 40 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019.

([15]) Avant l’adoption de la loi de finances pour 2019, les seuils de détention s’élevaient à 20 % au moins des droits financiers et des droits de vote pour les entreprises cotées ou à 34 % des droits financiers et des droits de vote pour les entreprises non cotées.

([16]) Voir notamment la note du Conseil d’analyse économique précitée.

([17]) Cour des comptes, Les droits de succession, septembre 2024.

([18]) David Sraer et David Thesmar, Performance and behaviour of family firms: evidence from the French stock market, Journal of European Economic Association, 2007.

([19]) Laurent Bach, Les transmissions d’entreprise héréditaires sont-elles moins efficaces ? Le cas de la France entre 1997 et 2002, Revue Économique, 2009.

([20]) Margarita Tsoutsoura, The effect of succession taxes on family firm investment : evidence from a natural experiment, The journal of finance, 2015.

([21]) Op. cit.

([22]) Op. cit.

([23]) Institut des politiques publiques, Quels impôts les milliardaires paient-ils ?, juin 2023.

([24]) Le taux du PFU est de 30 %, dont 12,5 % au titre de l’impôt sur le revenu et 17,5 % au titre des prélèvements sociaux.

([25]) Les PME dont le chiffre d’affaires est inférieur à 10 millions d’euros bénéficient en outre d’un taux réduit de 15 % pour la part de bénéfice n’excédant pas 42 500 euros.

([26]) Ce régime est codifié à l’article 150-0 B ter du CGI.

([27]) Il est ici fait l’hypothèse que la donation intervient avant les 61 ans révolus du donateur.

([28]) Amendements identiques CF14 et CF26 de MM. Mathieu Lefèvre et Jean-Paul Mattei.

([29]) Amendement CF21.