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N° 2727
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 juin 2024.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
en conclusion des travaux d’une mission d’information, constituée le 15 novembre 2023,
sur l’après Orion : faire face aux crises de demain
ET PRÉSENTÉ PAR
MM. BENOÎT BORDAT et MICHAËL TAVERNE,
Députés.
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SOMMAIRE
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Pages
a. La confirmation de certaines insuffisances capacitaires
e. Un exercice manquant par moments de réalisme
2. Des enseignements spécifiques
a. Le retour d’expérience de l’armée de Terre
b. Le retour d’expérience de la Marine nationale
c. Le retour d’expérience de l’armée de l’air et de l’espace
3. Une prise en compte des enjeux du combat M2MC à poursuivre
a. Le caractère indispensable de la supériorité spatiale
b. Éprouver la résilience des forces face à des attaques cyber nombreuses et variées.
c. La lutte informatique d’influence au défi du réalisme
d. L’absence de « jeu » du champ électromagnétique
A. L’exercice ORION, point de départ d’une réflexion sur la défense globale
a. Le retour bienvenu d’une réflexion autour du concept de défense globale
B. La nécessité de renforcer la coordination interministérielle dès le temps de paix
1. Les conclusions tirées des cinq groupes de travail
a. Le soutien national à l’engagement des armées et les acheminements
i. Le soutien aux armées en matière de transport
b. L’adaptation des normes et la dimension juridique
c. Les ressources humaines et la mobilisation de la réserve
d. Les rétroactions sécuritaires sur le territoire national
e. La communication gouvernementale et la lutte informationnelle
1. Anticiper les crises de demain pour mieux s’y préparer
b. La structuration de la fonction anticipation
a. Accélérer la « dronisation » des armées en soutenant la BITD française
B. Se préparer aux crises majeures dès le temps de paix
a. La LPM 2024-2030 a entrepris de clarifier les conditions de mobilisation des réservistes
b. Cependant, des risques de concurrence voire d’éviction entre les différentes réserves perdurent
i. La nécessité d’une gouvernance plus centralisée des réserves
ii. « Sincériser » les effectifs mobilisables en commençant par la réserve de sécurité nationale
iii. Prévenir les effets d’éviction et de concurrence entre les différentes réserves
iv. Mieux identifier les compétences civiles des réservistes
a. La préparation des entreprises
C. Sensibiliser et responsabiliser les citoyens pour les rendre « acteurs » de la défense nationale
1. Sensibiliser sans inquiéter
i. Le risque de déconnexion entre les perceptions des armées et des citoyens
ii. De la vertu de la transparence de la parole publique
b. S’appuyer sur des élus locaux formés
c. Poursuivre le renforcement de la formation des acteurs de la gestion de crise
2. Promouvoir la vision selon laquelle « en chaque Français sommeille un réserviste »
a. Un modèle de réserve à l’épreuve de la montée en puissance portée par la LPM 2024-2030
i. La nécessaire rénovation de la doctrine d’emploi des réservistes
ii. Se donner les moyens matériels et humains de nos ambitions
b. Une comparaison avec le modèle américain
c. Concevoir et promouvoir une plateforme de recensement de l’engagement
3. Développer l’esprit critique pour lutter contre les stratégies de désinformation
D. ORION 2026 : un jalon important qui ne doit toutefois pas être surestimé
3. Renforcer la prise en compte des enjeux M2MC et constitutifs des crises de demain
5. L’association de davantage d’acteurs pourrait être envisagée
a. Rassembler les acteurs pour s’entraîner à la mise en œuvre concrète de la DOT
Annexe I : Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs
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La mission d’information qui a été confiée à vos rapporteurs pose la question du degré de préparation des armées et de l’adéquation du modèle d’armée français aux défis à venir. En somme, elle pourrait être résumée à une question « Sommes-nous prêts à faire face aux crises de demain ? »
La question est ardue et demande une réflexion approfondie. Pour y répondre, vos rapporteurs se sont appuyés sur les termes de la Stratégie nationale de résilience (SNR) élaborée par le SGDSN qui constitue une forme « d’état final » à rechercher. L’enjeu doit être de « Tenir dans la durée, collectivement et en profondeur face à une crise ». Tout d’abord, « dans la durée » et « en profondeur » : force est de constater que l’exercice ORION 2023, s’il met en lumière la très grande qualité des forces armées et leur très bon degré de préparation, confirme également leur manque d’épaisseur stratégique, déjà identifié par de nombreux travaux. Ensuite, « collectivement » : le retour d’expérience de la séquence civilo-militaire d’ORION, dite « 03 », a mis en lumière une coordination interministérielle perfectible pour permettre de soutenir un effort de guerre dans la durée. Toutefois, et c’est l’objet du présent rapport, ORION a créé une vraie dynamique en la matière, qu’il convient maintenant d’étendre, au-delà des administrations de l’État, aux entreprises et aux citoyens. Enfin, « face à une crise » : quelle crise ? ORION, qui signifie « Opération de grande envergure pour des armées Résilientes, Interopérables, Orientées vers le combat de haute intensité et Novatrices » visait à préparer les armées à l’hypothèse d’engagement majeur (HEM) dans un environnement interarmées et multinational, en y incluant des combats dans tous les milieux et champs de conflictualité et à mieux appréhender les stratégies hybrides. En effet, la guerre ne se déroule plus uniquement dans les trois milieux traditionnels – terre, air, mer – mais bien dans sept champs et milieux – cyber, espace, informationnel et électromagnétique. Vos rapporteurs ont dès lors, choisi de conserver cette orientation dans leurs travaux, en y ajoutant une dimension plus prospective, afin de tenter d’appréhender les contours des crises de demain.
Si ORION a en réalité été planifié dès 2021, l’intervention russe en Ukraine de février 2022 a démontré toute sa pertinence. Tandis qu’il est fort peu probable que la France se retrouve dans la même situation que l’Ukraine, en raison, d’une part, de sa situation géographique ; de son statut de puissance dotée, d’autre part, et de son appartenance à l’OTAN, enfin ; il demeure néanmoins essentiel d’entraîner les forces conventionnelles à faire face à l’hypothèse d’engagement majeur. ORION avait, ainsi, également une dimension de « signalement stratégique » à destination des alliés et des compétiteurs de la France. Vos rapporteurs estiment que le durcissement des forces conventionnelles est essentiel à double titre. D’une part, pour contribuer au renforcement de la crédibilité de la dissuasion, dans une logique « d’épaulement ». D’autre part, parce que les forces conventionnelles doivent être en mesure de faire face à toutes les menaces conduites volontairement « en dessous du seuil de la guerre » qui ne pourraient pas justifier le recours à la dissuasion, mais qui viseraient à restreindre la liberté d’action du Gouvernement.
● Face à l’ampleur de la thématique de la mission d’information, vos rapporteurs se sont principalement concentrés sur le retour d’expérience de l’exercice ORION 2023, dans sa dimension tant militaire que civilo-militaire. Puis, vos rapporteurs ont choisi de prendre l’exercice comme point de départ d’une réflexion plus large sur la manière de préparer les armées, comme la société dans son ensemble, aux crises de demain.
En synthèse, ORION a confirmé sans grande surprise les avantages et les désavantages associés au modèle d’armée complet français. D’une part, le choix d’un modèle d’armée complet permet une grande polyvalence des forces, puisqu’il a permis de conserver des capacités dans beaucoup de domaines différents, avec certains pôles d’excellence. D’autre part, si la France a conservé des capacités dans de très nombreux domaines, celles-ci demeurent dans l’ensemble à un niveau échantillonnaire et ne permettent pas de tenir dans la durée.
Si un certain nombre de points du retour d’expérience d’ORION avaient été identifiés dans la loi de programmation militaire 2024-2030, force est de constater que cette dernière, si elle va dans le bon sens, ne modifie pas drastiquement la trajectoire.
Cinq principaux points d’attention peuvent être soulignés qui doivent constituer autant d’axes d’effort :
- la confirmation de certaines insuffisances capacitaires notamment pour produire des effets dans la profondeur ;
- le manque d’épaisseur stratégique et la mise en tension des services de soutien interarmées ;
- les enseignements tirés pour la structuration du commandement et du contrôle ;
- le défi de la connectivité et de l’interopérabilité des systèmes d’information opérationnels et de commandement ;
- ainsi que le niveau de réalisme de l’exercice.
● Néanmoins, vos rapporteurs sont convaincus qu’au-delà de la préparation des armées, l’implication de l’ensemble de la Nation sera nécessaire pour faire face aux crises de demain. En effet, il convient d’inverser la logique : au-delà du niveau d’entraînement des armées, de la performance des systèmes d’armes, un engagement en haute intensité du fait de son ampleur, de sa durée et des stratégies hybrides qui l’accompagneront, générant de potentielles rétroactions sur le territoire national, nécessiterait l’implication de l’ensemble de la Nation pour soutenir l’effort militaire. C’était tout l’objet de la phase trois de l’exercice, dite « civilo-militaire », qui a démontré la nécessité pour les administrations de se réapproprier les mécanismes civilo-militaires, de renforcer la coordination interministérielle dès le temps de paix et de disposer d’une structure de coordination permanente à travers la réactivation de la Commission interministérielle de défense nationale (CIDN). En somme, ORION visait également à répondre à la question « quel soutien la Nation peut-elle apporter aux armées ? » Pour y répondre, cinq groupes de travail ont été créés dès septembre 2022 et ont été confrontés à des scénarii des crises dans le but d’élaborer des fiches mesures. Vos rapporteurs constatent néanmoins dans le présent rapport que le rythme de fonctionnement des différents groupes de travail apparait très variable et ce d’autant plus que les ministères sont très mobilisés par la préparation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Vos rapporteurs souhaitent également alerter sur l’absolue nécessité pour les administrations de dégager du temps pour se consacrer à l’anticipation et au temps long. Enfin, vos rapporteurs seront vigilants à ce que la CIDN trouve toute sa place dans la comitologie actuelle et que, passé le « momentum » créé par ORION 23, ses travaux ne soient pas oubliés.
● Après avoir analysé le retour d’expérience d’ORION, vos rapporteurs se sont employés à dresser soixante recommandations visant non seulement à disposer d’une armée efficace mais aussi à renforcer la capacité de la nation à faire face aux crises de demain de manière collective. En particulier, trois grands axes apparaissent prioritaires à vos rapporteurs. Tout d’abord renforcer les capacités d’anticipation stratégique, afin de se prémunir au mieux contre les « surprises stratégiques », mais également ne pas risquer de manquer certaines innovations structurantes pour les conflits de demain. Ensuite, se préparer aux crises majeures collectivement dès le temps de paix. Et, enfin, sensibiliser les citoyens pour les rendre acteurs de la défense nationale.
En effet, face à l’émergence de nouvelles menaces et de crises systémiques, il apparait nécessaire à vos rapporteurs de renforcer les capacités d’anticipation stratégique et de libérer l’innovation. Pour reprendre les mots du ministre des armées, M. Sébastien Lecornu : le défi majeur pour les armées françaises consiste à « se préparer à la guerre, mais pas à celle d’hier. » D’une part, anticiper les crises de demain doit permettre de mieux s’y préparer : si la surprise stratégique semble devenue inévitable la préparation des crises en amont doit permettre d’en limiter les conséquences, en se préparant d’abord « intellectuellement » aux différents types de crises afin d’éviter tout effet de sidération. D’autre part, il convient d’encourager l’innovation. Cette dernière est clé pour éviter le contournement de la supériorité des forces par des technologies de rupture qui n’auraient pas été anticipées. En particulier, la rapidité des évolutions technologiques met au défi le cycle d’adaptation capacitaire des armées, traditionnellement structuré autour de grands programmes d’armement adaptés au temps long. Il s’agit d’adapter la temporalité de ces grands programmes pour y intégrer des évolutions technologiques plus rapidement, en particulier dans le domaine des drones et de l’intelligence artificielle.
Ensuite, il convient de se préparer aux crises majeures dès le temps de paix. Vos rapporteurs considèrent que l’affermissement des forces morales de la Nation, la mise en place d’un cadre juridique adapté aux nouveaux types de crises, ainsi que la mobilisation du secteur privé, doivent se préparer dès le temps de paix. Dans ce cadre, il ressort des travaux de vos rapporteurs qu’il convient de se prémunir du risque d’une banalisation au recours aux forces armées – ces dernières ne devant être mobilisées qu’en dernier recours lorsque l’ampleur de la crise et sa nature le justifient. En un mot, il convient d’être collectivement conscients du fait que l’armée ne peut pas tout, ce qui implique de renforcer la résilience de l’ensemble de la Nation. Par ailleurs, disposer d’un cadre juridique adapté à l’évolution des menaces et d’un dispositif de réserves opérationnelles mobilisable en cas de besoin constitue également des déterminants essentiels dans la préparation des crises de demain. Compte tenu du retour d’expérience d’ORION, vos rapporteurs sont convaincus de la nécessité de clarifier les régimes d’exception existants et les conditions de mobilisation des réserves. Si la LPM 2024-2030 a permis certaines avancées, des risques de concurrence, voire des effets d’éviction entre les différentes réserves perdurent. Vos rapporteurs sont également favorables à confier à la CIDN une nouvelle mission visant à établir un référentiel des différents stades d’alerte gradués sur le modèle de VIGIPIRATE. Ce référentiel partagé en interministériel, qui pourrait être appelé « VIGIDÉFENSE » associerait à chaque niveau de menace les différents dispositifs mobilisables. Cette nouvelle mission irait de pair avec la rénovation des régimes de mise en garde et de mobilisation générale suggérées par le retour d’expérience d’ORION.
Au-delà du renforcement de l’État, l’apport du secteur privé et des citoyens doit également être pris en compte, d’où la nécessité de sensibiliser et de responsabiliser les citoyens pour les rendre « acteurs » de la Défense nationale. Il ressort des auditions menées par vos rapporteurs, qu’en cas de conflit, l’ennemi cherchera à entamer la confiance de la Nation dans la capacité des décideurs à gérer la crise et à désolidariser la population des pouvoirs politiques. Aussi, tandis que les politiques de défense sont historiquement centrées sur l’action de l’État, vos rapporteurs sont convaincus qu’il convient maintenant de travailler à l’information, l’éducation et la mobilisation des citoyens, sans oublier la formation des acteurs de la gestion de crise, au premier rang desquels les élus locaux, qui seront en première ligne en cas de crise majeure. Vos rapporteurs estiment que la transparence vis-à-vis des citoyens est clé pour renforcer la résilience de la Nation. Ensuite, à rebours des affirmations visant à instiller le doute quant à la capacité d’engagement des Français, vos rapporteurs sont au contraire convaincus « qu’en chaque Français sommeille un réserviste » et appellent notamment de leurs vœux la création d’une plateforme s’apparentant à un « guichet unique de l’engagement » qui permettrait d’orienter les citoyens qui manifestent leur volonté de s’engager.
● Enfin, vos rapporteurs dressent un certain nombre de propositions d’amélioration dans la perspective de l’exercice ORION 2026, tout en considérant que si l’exercice constituera un jalon important, il doit demeurer avant tout un entraînement militaire à visée opérationnelle dont la portée ne doit pas être surestimée.
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L’exercice ORION 2023 – qui signifie « Opération de grande envergure pour des armées Résilientes, Interopérables, Orientées vers le combat de haute intensité et Novatrices » – pourtant conçu avant le déclenchement de la guerre en Ukraine, a su démontrer toute sa pertinence. L’exercice s’inscrit dans un contexte marqué par la montée en gamme de l’adversité, la désinhibition des logiques de puissance et le développement de stratégies hybrides qui visent à saper la cohésion nationale à long terme. À rebours de la conception d’une « fin de l’histoire » prophétisée par Francis Fukuyama ([1]), un « réarmement » tant matériel que moral apparaît dès lors nécessaire pour faire face aux crises de demain.
L’objectif de l’exercice ORION était de consolider la vision des lacunes à combler dans le cadre d’un scénario adapté aux évolutions de la conflictualité - adversaire symétrique, hybridité, engagement de haute intensité avec un impact sur le territoire national. Il s’est en effet apparenté à une forme de « test grandeur nature » permettant d’objectiver les carences et faiblesses sur lesquelles les armées travaillent depuis plusieurs années, en particulier celles concernant la réalisation de l’hypothèse d’engagement majeur.
Aussi, peut-on effectivement considérer qu’il existera un « avant » et un « après ORION », en raison, d’une part, des enseignements tirés de l’exercice pour notre modèle de défense et, d’autre part, de la mise en place d’une nouvelle génération d’exercices militaires majeurs, qui auront lieu tous les trois ans, symbolisant le retour des armées sur le territoire national et visant à évaluer la capacité des armées à faire face à un engagement majeur. Élément original et novateur, l’exercice comportait une phase civilo-militaire, coordonnée par le Secrétariat général à la défense et à la sécurité nationale (SGDSN), dans l’objectif d’évaluer le niveau de coordination interministérielle face à une crise majeure. De manière sous-jacente, il s’agissait d’interroger la contribution et le degré de soutien que la Nation est prête à offrir aux armées pour soutenir leur effort dans la durée en cas d’engagement majeur.
Si les travaux de vos rapporteurs s’inscrivent nécessairement dans la lignée de la mission d’information portant sur la résilience nationale et de celle relative à la haute intensité, force est de constater que l’exercice ORION 2023 a donné une dynamique nouvelle à ces questions. L’élaboration de la stratégie nationale de résilience par le SGDSN en 2022, justifie également la nécessité d’un regard nouveau sur le sujet. L’approche retenue par vos rapporteurs tient, par ailleurs, compte des thématiques des missions d’information décidées par le Bureau de la commission dans le cadre du cycle défense globale, à savoir les missions d’information « Défense et territoires » et « Éducation et culture de défense, » qui apparaissent complémentaires. Au regard de l’étendue du sujet, vos rapporteurs ont choisi de concentrer leurs travaux sur l’action des armées et leurs interactions avec le monde civil, principalement à l’échelon national.
Vos rapporteurs se sont, dès lors, attachés à analyser le retour d’expérience de l’exercice, tant dans sa dimension capacitaire et organisationnelle, que dans sa dimension civilo-militaire. Vos rapporteurs s’emploient également à dresser des recommandations visant non pas simplement à disposer d’une armée efficace mais aussi d’un outil étatique lui permettant de durer et d’accroître progressivement son effort.
Il ressort des travaux de vos rapporteurs que la résilience et la thématique du renforcement des forces morales sont clés pour faire face à des crises militaires et non militaires, ainsi qu’à des menaces qui prennent bien souvent des formes hybrides. Au-delà du niveau d’entraînement des armées et de la performance des systèmes d’armes dont elles disposent, un engagement en haute intensité nécessiterait l’effort de l’ensemble de la Nation en soutien des armées. La phase civilo-militaire d’ORION a démontré que cet effort devait concerner autant les administrations, les entreprises que les citoyens. Face à une probable multiplication des théâtres d’opérations qui amèneraient les armées aux limites de leur contrat opérationnel, ces dernières devront certainement se focaliser sur leurs missions premières de défense du territoire et de projection en défense des intérêts français. C’est pourquoi le besoin d’une résilience accrue de la population et des entreprises constitue un enjeu majeur. Aussi, les armées ne peuvent-elles pas tout.
Toutefois, l’impératif de renforcement des forces morales ne doit pas devenir un argument visant à détourner l’attention du nécessaire réinvestissement dans l’épaisseur de nos forces armées et des lacunes capacitaires mises en lumière par l’exercice ORION 2023. Bien que la France soit un état doté, les forces conventionnelles doivent être entraînées pour éviter tout contournement par le bas de la dissuasion ou tout engagement forcé. La logique « d’épaulement » sera d’autant plus efficace que le renforcement de la crédibilité de nos forces ira de pair avec le développement d’une démarche plus favorable à l’innovation visant à anticiper les ruptures technologiques et géostratégiques.
En outre, le développement du lien armée-Nation ne peut se décréter. La transparence est clé pour mieux faire partager les préoccupations des armées aux citoyens face à la dégradation du contexte sécuritaire. Le renforcement de la résilience n’a de sens que si les menaces et les risques auxquels les citoyens pourraient faire face sont bien identifiés. Pour reprendre les mots de Thomas Gomart, directeur de l’IFRI, les Français doivent veiller à ne pas verser dans un sentiment de « fausse sécurité donnée par le statut de puissance nucléaire ». À cet égard l’anticipation stratégique est à renforcer afin d’être en mesure de mieux appréhender les scénarios probables auxquels se préparer pour éviter tout effet de sidération. Toute pédagogie infantilisante doit à tout prix être évitée, au risque de détourner les citoyens de leurs armées. Le renforcement des réserves constitue en revanche un axe d’effort essentiel pour rendre les citoyens pleinement acteurs de la défense nationale.
Enfin, le prochain exercice ORION 2026 constituera une étape importante et un jalon majeur pour la préparation des forces. Pour autant, l’exercice ne doit pas être surestimé et les initiatives visant à préparer l’ensemble de la Nation aux crises de demain ne peuvent se réduire à cet exercice triennal.
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I. L’exercice majeur orion 2023 constitue un révélateur du niveau de préparation des armées face à un scénario d’engagement majeur
Il ressort des auditions menées par vos rapporteurs que si l’exercice majeur ORION 2023 a permis de démontrer le bon niveau de préparation de nos armées et d’asseoir leur crédibilité à assurer le rôle de Nation cadre, le retour d’expérience de l’exercice a conduit vos rapporteurs à identifier plusieurs axes d’efforts importants tendant principalement au renforcement de « l’épaisseur » de nos forces et à la nécessité de mieux maîtriser les enjeux du combat multi-milieux multi-champs (M2MC). Si la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 a pris en compte pour partie les enseignements de l’exercice, il convient d’accélérer dans plusieurs domaines.
Les conclusions présentées dans cette première partie rejoignent les constats établis devant la commission en juin 2023 ([2]) et des recommandations formulées dans l’avis budgétaire du rapporteur pour avis des crédits de l’armée de Terre ([3]), qui ont constitué des sources précieuses pour aiguiller les travaux de vos rapporteurs.
A. La nécessité de préparer les armées au retour de la haute intensité et à l’intégration des enjeux du combat multi-milieux, multi-champs
1. Les raisons ayant conduit au retour d’un exercice d’une ampleur inédite sur le territoire national
Conçu par les armées dès l’année 2021, l’exercice majeur ORION 23 a inauguré, en raison de son volume et de sa dimension interarmées et interministérielle, une nouvelle génération d’exercices militaires majeurs. Tandis que les précédents exercices de taille comparable remontaient à la fin des années 1980 ([4]) et que les décennies suivantes avaient donné lieu à des entraînements essentiellement tournés vers la préparation au déploiement expéditionnaire, l’enjeu était de réaffirmer la capacité de la France à jouer le rôle de Nation-cadre dans une hypothèse d’engagement majeur et à intégrer des troupes étrangères alliées dans ses manœuvres. L’enjeu était triple : démontrer la capacité des armées françaises à assurer le rôle de Nation-cadre - il s’agissait de montrer notre aptitude à conduire une coalition, à être interopérable avec ses partenaires et à intégrer les capacités de chacun ; envoyer le signal stratégique d’une armée d’emploi crédible et prête à se battre en « haute intensité » et dresser un état des lieux des capacités des armées à soutenir un engagement majeur. ORION 23 visait ainsi à générer une mise en tension du système - qualifiée par les personnes auditionnées de « stress test » - pour identifier les marges de progression restant à accomplir, premier jalon vers l’ambition opérationnelle 2030 des armées.
L’exercice a démontré toute sa pertinence dans un contexte international dégradé dans lequel le territoire national redevient l’objet de toutes les attentions. Le retour d’exercices majeurs sur le territoire national avait également pour objectif de permettre aux forces de se réapproprier l’entraînement en terrain libre, tout en renforçant les liens avec la population française. En effet, force est de constater que la « compétition » est devenue un mode de fonctionnement normal entre États. L’ordre international apparaît sans cesse remis en cause et les stratégies hybrides de nos principaux compétiteurs visent à leur permettre de mener une politique du fait accompli. La guerre ne se déroule plus uniquement dans les trois milieux traditionnels (terre, air et mer), mais bien dans sept champs et milieux (cyber, espace, informationnel et électromagnétique). Enfin, le retour de la guerre en Europe et la capacité des compétiteurs à conduire une manœuvre hybride sous le seuil des intérêts vitaux de la France, ont renforcé la vision selon laquelle le territoire national constituait un « sanctuaire à protéger ».
2. Les caractéristiques de l’exercice ORION 2023 : quatre phases distinctes visant à tester les capacités de l’ensemble des armées à conduire une opération majeure dans un environnement interarmées et multinational ainsi qu’à opérer dans les différents milieux et champs de conflictualité
L’exercice ORION 2023 s’inscrit dans une dynamique de « durcissement » de la préparation opérationnelle des armées, matérialisé par l’organisation d’exercices qualifiés de « haut du spectre ». L’exercice donne la priorité à un entraînement multi-milieux, multi-champs (M2MC) et interalliés, centré sur l’engagement majeur, incluant une phase interministérielle et ayant conduit au déploiement sur le terrain jusqu’à 20 000 hommes et femmes. D’une ampleur inédite depuis de nombreuses années, ORION rassemblait 17 exercices programmés.
Le scénario de l’exercice, bien que fictif, visait à tester la capacité des armées à développer une approche M2MC, à grande échelle, face à un ennemi qualifié de « symétrique », menant une stratégie hybride allant jusqu’à la haute intensité.
Le scénario d’ORION :
« L’État Mercure souhaite rétablir son influence sur l’État Arnland. Pour ce faire, Mercure apporte un soutien matériel et financier à la milice Tantale, qui déstabilise le sud de Arnland et déploie des forces importantes aux frontières et dans les approches maritimes, tout en employant des modes d’action dits « non cinétiques » (perturbations des systèmes de communication, désinformation, etc.). L’État d’Arnland se trouve affaibli. Afin d’éviter toute dégradation de la situation, après une phase de planification (O1), la France déploie son échelon national d’urgence interarmées (02). S’ensuit une phase politico-militaire de gestion de crise d’ampleur (03), avant de décider de se déployer massivement au sein d’une coalition contre Mercure (04) dans le cadre d’une opération sous mandat ONU et OTAN. »
Source : Dossier de presse d’ORION, ministère des armées, février 2023
Après une première phase de planification opérationnelle à partir de novembre 2022, l’exercice s’est tenu selon un découpage en trois phases entre mars et mai 2023 :
- Phase 2 (fin février – mi-mars 2023) dite « d’entrée en premier » des forces dans le sud-ouest de la France qui a mobilisé l’intégralité de l’échelon national d’urgence – une opération amphibie et une opération aéroportée concomitantes et de grande ampleur étaient notamment incluses ;
- Phase 3 (fin mars 2023) dite « civilo-militaire » pilotée par le Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN) en interministériel, avec pour objectif d’intégrer la contribution de la Nation à un éventuel engagement majeur des armées ;
- Phase 4 (mi-avril – début mai 2023) opération aéroterrestre d’envergure de niveau divisionnaire, avec des alliés, d’engagement majeur aéroterrestre en haute intensité.
Schéma des différentes phases de l’exercice ORION 2023
Source : Dossier de presse ORION du Ministère des armées, février 2023.
De plus, l’exercice visait à renforcer l’interopérabilité avec les alliés. Environ 1 700 partenaires étrangers étaient ainsi présents en particulier pendant la quatrième phase de l’exercice. Ont notamment participé : les États-Unis, le Royaume-Uni, la Belgique, l’Allemagne ou encore l’Espagne. L’exercice ORION semble avoir démontré l’atteinte d’un bon niveau d’interopérabilité dans ses quatre dimensions traditionnelles que sont la doctrine, l’organisation, les équipements et l’entraînement. Auditionné par vos rapporteurs, le général François-Xavier Mabin, chef de la division « emploi des forces » de l’état-major des armées (EMA), a indiqué que le cadre de l’OTAN offrait en effet un niveau satisfaisant d’interopérabilité en termes de doctrine et de systèmes de communication. En particulier, le réseau FrOpS, réseau de niveau « secret défense - secret opération » facilite ainsi les échanges avec les partenaires de l’Alliance atlantique. S’agissant de la coopération bilatérale, le degré d’interopérabilité varie en fonction du niveau d’entraînement conjoint et est favorisé par le partage de certaines capacités. Par exemple, le partenariat « CaMo » (capacité motorisée) signé en 2018 entre les armées de Terre française et belge permet une utilisation des véhicules de la gamme Scorpion par les deux États qui facilite leur degré d’interopérabilité. De la même manière, l’interopérabilité entre les armées de Terre françaises et espagnoles repose en particulier sur les liens entre les capacités d’aéro-combat (TIGRE).
B. Le retour d’expérience d’ORION : des points d’amélioration bien identifiés qui constituent autant d’axes d’effort
1. Un retour d’expérience commun et partagé pris en compte dans la loi de programmation militaire 2024-2030
Une part importante des conclusions de l’exercice ORION 2023 est en réalité venue confirmer des axes de progression déjà connus et anticipés qui figurent dans la LPM 2024-2030. Ces constats avaient également été anticipés par les rapporteurs de la mission d’information portant sur la « haute intensité ([5]) ». Il s’agit en particulier de l’impératif de cohérence visant à renforcer la préparation opérationnelle, les services de soutien interarmées, ou encore l’effort consenti en faveur des munitions, qui sont de nature à renforcer la profondeur stratégique des forces armées. Toutefois, les niveaux d’investissement prévus en LPM ne vont pas au-delà du « strict nécessaire », l’ensemble étant indispensable pour mener à bien la remontée en puissance de nos armées. Vos rapporteurs seront donc particulièrement vigilants à ce que la LPM, intégrant les marches budgétaires telles que rehaussées en commission mixte paritaire, fasse l’objet d’une pleine et entière application, « à l’euro près ».
Cinq principaux point d’attention peuvent être soulignés : la confirmation de besoins capacitaires pour produire des effets dans la profondeur et prendre en compte l’évolution de la conflictualité ; le manque d’épaisseur stratégique et la mise en tension des services de soutien interarmées ; les enseignements tirés pour la structuration du commandement et du contrôle ; le défi de la connectivité et de l’interopérabilité des systèmes d’information opérationnels et de commandement ainsi que le niveau de réalisme de l’exercice.
a. La confirmation de certaines insuffisances capacitaires
L’exercice ORION 2023 a notamment mis en lumière la nécessité de renforcer plusieurs segments capacitaires indispensables à un engagement en haute intensité dans la durée.
● En particulier, vos rapporteurs ont été alertés sur la nécessité de renforcer les moyens de renseignement et de surveillance du champ de bataille (ISR), d’action dans la profondeur - notamment en matière de drones, de guerre électronique, et de frappes longue portée -, ainsi que les capacités de défense sol-air, incluant en particulier la lutte anti-drones, tandis que les zones arrière apparaissent de plus en plus exposées.
La défense sol-air constitue en effet un point d’amélioration majeur, en particulier s’agissant de la lutte anti-drone (LAD). Elle doit notamment permettre la défense des postes de commandement, jugés encore trop peu mobiles, et dont l’empreinte au sol est apparue difficile à réduire lors de l’exercice. Malgré l’élaboration de doctrines visant à disperser et camoufler cette logistique, les postes de commandement doivent être mieux protégés contre la menace aérienne et les frappes dans la profondeur. Ce constat avait déjà été établi par le général Yves Métayer lors de son audition devant la commission de la défense ([6]), expliquant que « l’exercice Orion nous a fait toucher du doigt des vulnérabilités en matière de défense sol-air. » Il ressort des auditions menées par vos rapporteurs, que si la défense sol-air bénéficie actuellement de capacités performantes, celles-ci s’avèrent insuffisantes en termes de mobilité et de blindage, ainsi qu’en quantité - effecteurs et munitions associées - pour soutenir un engagement de haute intensité dans la durée, notamment dans le bas du spectre. Au-delà de l’efficacité des systèmes sol-air, la fragilité réside dans le nombre de systèmes qui apparaît insuffisant pour protéger à la fois les emprises d’une force déployée et la protection d’une force terrestre, auquel s’ajoutent les limitations en termes de stocks de munitions.
La LPM 2024-30 ambitionne de combler progressivement ces manques en investissant cinq milliards d’euros de besoins programmés sur la période en faveur de la défense sol-air et de la lutte anti-drone, avec un effort particulier sur la basse-couche. Ainsi, la LPM 2024-2030, prévoit l’acquisition de huit sections SAMP-T NG d’ici à fin 2030, mettant en œuvre le nouveau missile ASTER 30 B1NT qui permettront d’offrir des capacités antibalistiques. S’agissant de la courte portée, 9 sections de VL-MICA – dont deux seront engagés dès les jeux olympiques et paralympiques 2024 - viendront également succéder au CROTALE vieillissant d’ici à 2030. Le missile de très courte portée MISTRAL et la défense sol-air d’accompagnement basculeront progressivement sur les véhicules SERVAL de l’armée de Terre pour améliorer la mobilité et le blindage en accompagnement de la manœuvre. Les bâtiments de second rang de la Marine nationale seront également progressivement dotés de canons de 40 mm Rapidfire et de tourelles MISTRAL téléopérées. Enfin, dans le domaine de la lutte anti-drone, quinze systèmes PARADE équiperont également les forces d’ici 2030 en complément des systèmes existants, tout en investissant également dans les technologies des armes à énergie dirigée laser et électromagnétiques.
● Il ressort des auditions menées par vos rapporteurs que ces efforts doivent impérativement être poursuivis, notamment en matière de frappes longue portée. La capacité à maîtriser la profondeur - de 50 à 500 kilomètres – est apparue comme l’un des points d’attention majeurs du retour d’expérience capacitaire, renforcé par les leçons de la guerre en Ukraine. Si la LPM 2024-2030 a bien pris en compte cet impératif, le nombre d’équipements prévu apparaît très limité avec l’acquisition prévue d’« au moins treize systèmes » d’ici la fin de la programmation et, à terme, un objectif de « 26 systèmes » en parc en 2035 pour l’armée de Terre. Vos rapporteurs partageant ainsi la recommandation formulée dans l’avis budgétaire du rapporteur des crédits de l’armée de Terre qui rappelle le besoin rapide d’un successeur au lance-roquette unitaire de l’armée de Terre, à travers l’acquisition d’un système souverain dont les spécificités devront répondre aux besoins exprimés par le chef d’état-major de l’armée de Terre, à savoir être en capacité de « frapper jusqu’à 120/150 km, ce qui correspond à la responsabilité du corps d’armée, voire à celle du niveau interarmées ou stratégiques, c’est-à-dire à 500 km et plus. » ([7])
b. Un manque d’épaisseur stratégique et des services de soutien interarmées soumis à une forte tension
● L’exercice ORION 2023, et notamment sa quatrième phase, a constitué un test grandeur nature pour la mobilisation de l’ensemble de la chaîne des soutiens en haute intensité, allant jusqu’au niveau divisionnaire. L’exercice a confirmé le manque d’épaisseur de nos armées, de nature à restreindre leur capacité à durer en cas d’engagement majeur. Ce manque d’épaisseur se traduit en particulier par l’insuffisance des moyens de projection et d’acheminement logistiques, de même que par le sous-dimensionnement des stocks de munitions. Or, la capacité à soutenir un engagement de haute intensité constitue un des éléments clés pour garantir la crédibilité de l’ambition Nation-cadre de la France et sa capacité à intégrer ses alliés en coalition. Comme l’énonçait le général Eisenhower en 1944 « Il n’y a pas de tactique sans logistique. Si la logistique dit non, c’est qu’elle a raison ».
● En particulier dans le domaine terrestre la profondeur logistique constitue un point de vigilance. Comme le concédait le général Métayer lors de son audition devant la commission de la défense ([8]) « la flotte de camions tactiques a éprouvé nos limites. » Toutefois, selon les informations fournies à vos rapporteurs, le programme « flotte tactique logistique terrestre (FTLT) » devrait permettre de moderniser les porteurs de la logistique déployée sur les théâtres d’opérations - carburant, munitions et pièces de rechange - avec la livraison d’ici à 2030 de plus de 2 000 camions sur une cible totale de 9 466 exemplaires. Dans le domaine aérien, les livraisons de MRTT et d’A400M devraient permettre d’améliorer qualitativement et quantitativement les capacités de transport aérien. Le soutien sanitaire sera également modernisé avec l’arrivée de véhicules Serval et Griffon en version sanitaire. En outre, la LPM 2024-2030 prévoit qu’une première capacité du système de franchissement lourd-léger (SYFRALL) soit disponible d’ici à 2030 (8 portières - 300 m). Enfin, la capacité d’appui au déploiement sera également modernisée avec l’acquisition de systèmes de production d’eau et d’électricité au plus près de la force.
● Auditionné par vos rapporteurs, le commissaire général Christophe Daurel, officier général en charge de la transformation opérationnelle du Service du commissariat des armées (SCA), s’est déclaré en phase avec les limites constatées lors d’ORION 23 en matière de logistique et d’acheminement, même si ces deux domaines dépassent le seul SCA. Selon lui, les capacités du centre des transports et transits de surface (CTTS) de Montlhéry ont montré leurs limites en cas d’engagement simultané sur de nombreux fronts. Il a mis en avant deux axes d’amélioration incontournables pour garantir une meilleure efficacité opérationnelle des fonctions de soutien dans un scénario de haute intensité de type ORION 04 : d’une part, l’anticipation du pré-positionnement des ressources ; d’autre part, l’externalisation du transport de surface - cette solution a été jugée comme un complément indispensable lors de l’exercice. Le véritable enjeu concerne la priorisation de l’emploi des ressources contraintes et des vecteurs logistiques patrimoniaux. L’enjeu des années à venir, sur lequel l’EMA travaille actuellement, est celui du pré-positionnement des stocks afin de garantir la meilleure réactivité possible en cas d’engagement sous faible préavis. Il faut pouvoir, en cas de crise, constituer et pré-positionner les stocks au bon endroit.
c. Les enseignements tirés pour le commandement et le contrôle (C2) : la nécessaire structuration du C2 pour mieux prendre en compte les évolutions du combat M2MC
● L’exercice ORION a été riche d’enseignements pour le commandement et le contrôle, en particulier pour sa capacité à intégrer les différents effets et domaines dans un contexte M2MC.
Selon le colonel Lenoble, sous-directeur « prospective opérationnelle » du Centre interarmées de concepts, de doctrines et d'expérimentations (CICDE), auditionné par vos rapporteurs, « l’exercice Orion 2023, a démontré que le niveau opératif était le plus pertinent pour la synchronisation des effets militaires en multi-milieux/multi-champs (M2MC) » Au niveau opératif ([9]), le commandant d’une force doit ainsi disposer de l’ensemble des leviers nécessaires pour orchestrer la synchronisation des effets militaires en M2MC. Dès le temps de paix, cette importance du niveau opératif s’incarne au travers de plusieurs états-majors : le Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA) pour l’armée de l’Air et de l’espace, le Commandement de zone et d’arrondissement maritime Méditerranée (CECMED) et le Commandement de la zone maritime Atlantique (CECLANT) pour la Marine nationale ; pour l’armée de Terre, le niveau opératif est en cours de structuration avec le nouveau Commandement Terre pour les opérations aéroterrestres en Europe (CTE), auquel s’ajoutent le Corps de réaction rapide-France (CRR-Fr), ainsi que l’état-major interarmées pour le territoire national (EMIA-TN). Le développement de ce C2 opératif constitue un axe de progression important, de même que son entraînement. En effet, durant la deuxième phase de l’exercice, une grande partie de l’état-major interarmées a été mobilisée pour la consolidation du scénario, puis pour l’animation des composantes tactiques qui constituaient l’audience principale désignée dans les directives d’exercice, au détriment de leur propre entraînement. Or l’efficacité en M2MC repose en partie sur la capacité des états-majors à pouvoir synchroniser les effets avec une grande réactivité, aptitude qui ne peut s’atteindre que grâce à des entraînements réguliers et des processus rodés. Il convient, dès lors, à l’avenir de renforcer l’entraînement du niveau opératif pour consolider sa maîtrise du combat M2MC.
À terme, dans les domaines du C2, l’ambition des armées est de disposer d’un système de combat constitué autour de réseaux multi-senseurs, multi-effecteurs. Ce système est formé d’une constellation de capteurs et d’effecteurs capables de partager au bon moment les informations pertinentes. Cet objectif reste actuellement un défi, en raison des moyens et des réseaux nécessaires et des efforts restant à porter sur les données. Ainsi, les armées françaises réfléchissent à la prochaine étape de transformation de leur modèle de commandement. Selon les informations fournies à vos rapporteurs, ce dernier devra être agile, plastique et résilient, prendre en compte pleinement les aspects M2MC et intégrer les évolutions technologiques majeures comme l’IA. In fine, l’objectif sera de permettre à tous les échelons de commandement une prise de décision et d’exécution plus rapide que celle de l’adversaire en évitant le phénomène de saturation qui amènerait à une forme de paralysie de la chaîne de commandement.
● ORION a également favorisé une meilleure appropriation des enjeux M2MC par les différents milieux ainsi qu’une meilleure coordination interarmées.
L’exercice a ainsi permis de développer les interactions des C2 des différents milieux avec le niveau interarmées et les autres composantes permettant d’assurer la bonne prise en compte du volet M2MC avec de réels progrès dans les domaines de l’espace, du cyber et de la lutte informationnelle. Selon les personnes auditionnées, ces interactions reposent nécessairement sur la présence d’officiers de liaison au sein des différentes structures. Ainsi, les personnes auditionnées ont suggéré de renforcer l’acculturation des forces aux enjeux du combat M2MC, notamment dans le cadre du parcours des officiers, afin de générer un vivier d’officiers de liaison de bon niveau, acculturés aux différents milieux et champs et dotés d’une plus grande expertise interarmées, notamment au niveau opératif.
Par ailleurs, le caractère interarmées de l’exercice a permis de travailler la coordination entre les différents milieux. S’agissant par exemple de l’intégration entre l’armée de l’Air et de l’espace et l’armée de Terre, en tant que commandant de la composante aérienne sur le théâtre, le général Thomas, commandant la brigade aérienne des opérations du Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA), était responsable du contrôle de l’espace aérien dans la zone de l’exercice (dans lesquels peuvent être présents des hélicoptères, obus tirés etc.) De fait, lors de son audition par vos rapporteurs, le général Thomas a insisté sur la nécessité de bien ségréguer l’espace, physiquement et temporellement. À cet effet, des cellules de coordination ont été mises en place à travers des cellules d’intégration « Joint Air Ground Integration Cell ». Pour une interopérabilité optimisée, le général Thomas a souligné l’importance de pouvoir envoyer des éléments de coordination Air au sein des autres composantes et recevoir en retour des homologues des autres composantes au sein des centres d’opérations Air. Les procédures doivent toutefois être encore affinées et la gestion des espaces aériens en très basse altitude faire l'objet d'une attention spécifique, notamment face à la diversité croissante des effecteurs engagés. Le principal axe d’amélioration réside dans l’approche des opérations aéroportées. En effet, une opération aéroportée dans un environnement de haute intensité est avant tout une opération qui doit s’intégrer dans la manœuvre aérienne globale. L’opération aéroportée de masse prévue pendant la deuxième phase semble, par exemple, avoir été réduite à un saut technique, conduisant le niveau opératif à occulter la manœuvre aérienne associée.
● Lors de son audition, le général Métayer ([10]) relevait également l’enjeu d’accroître la subsidiarité conférée aux unités manœuvrant sur le terrain dans un contexte de haute intensité. « Le rôle du commandement opératif, c’est la remise permanente en perspective et de consentir une subsidiarité. Il s’agit de dire : pendant quarante-huit, soixante-douze, ou quatre-vingt-seize heures, vous allez mener une séquence de combat très complexe, on ne vous demandera pas de comptes rendus toutes les heures, faites votre guerre, vous connaissez votre mission, faites-la et nous traiterons les résultats dans vingt-quatre, quarante-huit ou soixante-douze heures. »
d. La persistance de forts enjeux relatifs au développement de la connectivité et au renforcement du partage de l’information révèlent la nécessité de pouvoir continuer à opérer en mode « dégradé » lorsque nécessaire
● En lien direct avec le constat précédent, le véritable enjeu dans le domaine du C2 réside également dans le perfectionnement des communications entre les différentes entités impliquées. Les points d’attention concernent, d’une part, la limitation des flux de données et, d’autre part, la performance des systèmes d’information eux-mêmes, ainsi que leur capacité à communiquer entre eux. Vos rapporteurs tiennent à souligner la nécessité de disposer de systèmes d’information résilients et agiles.
Il s’agit effectivement de diffuser aux bons interlocuteurs les informations pertinentes au « juste moment », ce qui requiert des moyens de diffusion adéquats. L’exercice ORION a constitué un défi pour le domaine des systèmes d’information et de communication (SIOC). Dans une perspective de réseau multi-senseurs et multi-effecteurs, la communication est actuellement freinée par l’hétérogénéité des systèmes d’information et des réseaux. L’échange d’un volume important de données de nature et de niveaux de confidentialité différents constitue également une contrainte supplémentaire à prendre en compte et pose un défi en termes d’interopérabilité et de partage d’informations avec les alliés.
S’agissant de la limitation des flux de données, l’hybridation des communications pourrait constituer une solution.
Lors de son audition devant la commission de la défense, le général Métayer ([11]) avait d’ores et déjà insisté sur la question des systèmes d’information et de communication (SIC) et la limitation des flux de données : « Dans le domaine des systèmes d’information et de communication (SIC), nous avons atteint nos limites. Nous avons été très contraints, notamment dans les flux de données. On estime qu’il nous faudrait, en multinational et en haute intensité, vingt fois plus de flux que nous n’en disposons aujourd’hui pour transmettre et échanger toutes les données qui nous sont nécessaires. » Le débit des systèmes de communication a effectivement limité les échanges de données et contraint à imposer des mesures de frugalité numérique, notamment en transformant les visioconférences en audioconférences. Cette limitation du débit disponible a pénalisé la prise en compte de la lutte informationnelle et les remontées d’images du niveau tactique vers le niveau opératif.
Dans un contexte de croissance des besoins de connectivité des armées et d’émergence du New Space, un des leviers identifiés pour pallier cette difficulté consiste à développer le recours à l’hybridité entre des moyens souverains patrimoniaux et des services complémentaires basés sur des technologies et services civils. Deux types de technologies sont envisagées pour augmenter les débits : les constellations de satellites de communication en orbite basse à haut débit et faible latence (actuellement oneweb par exemple, puis IRIS² - infrastructure de résilience internet satellitaire sécurisée - d’ici 2030) et l’utilisation des réseaux civils type 4G voire 5G. Selon les informations fournies à vos rapporteurs, des expérimentations sont menées au sein des trois armées pour déterminer les potentialités et les limites du concept d’hybridité dans une double logique d’accroissement de la performance et de la résilience associée. Vos rapporteurs tiennent à préciser ces nouveaux moyens viennent en complément des moyens patrimoniaux durcis en vue d’assurer une résilience plus forte grâce à la complémentarité qu’ils offrent.
S’agissant des systèmes d’information, la complexité des systèmes d’information opérationnels du commandement (SIOC) et leur grande hétérogénéité ont constitué un véritable défi pour transmettre et échanger les informations nécessaires. Le degré de connectivité entre les niveaux de commandement utilisant des systèmes différents reste un point d’attention. Le rapporteur des crédits de l’armée de Terre avait notamment déjà pointé dans son avis budgétaire les dysfonctionnements rencontrés par le système d’information de l’armée de Terre d’ancienne génération « SICF », amené à être remplacé à terme par le système d’information des armées commandement et contrôle (SIAC2), qui concerne les niveaux brigade à corps d’armée. SIAC2 a été expérimenté dans le cadre d’un exercice de niveau brigade (EXTO BIA 23) au mois de décembre 2023. L’exercice « BIA 23 » consistait à déployer pour la première fois une brigade interarmes équipée des matériels du programme SCORPION entièrement numérisée. Cependant, vos rapporteurs ont été alertés sur le fait que l’exercice technico-opérationnel « BIA 23 » qui devait permettre de tester cette nouvelle capacité avait mis en lumière les limitations préoccupantes de SIAC2. En effet, il ressort des auditions menées, que le système d’information ne correspond pas encore aux attentes de l’armée de Terre. Selon les informations fournies à vos rapporteurs, son fonctionnement serait notamment marqué par une instabilité et un temps excessif de déploiement. Aussi, la solution n’apparaît-elle pas encore entièrement mature et n’aurait pas permis à l’état-major déployé lors de l’exercice « BIA 23 » de commander ses unités de manière satisfaisante. Dès lors, un groupe de travail a été instauré entre l’armée de Terre, la DGA et l’industriel dans l’espoir d’une évolution du produit, d’ici à l’été 2024, date à laquelle une décision devra être prise quant à la poursuite du projet. Face à l’impératif pour les armées de disposer d’un système de commandement de niveau opératif d’ici 2025 - année lors de laquelle la France devrait assurer le commandement de la force de réaction rapide au sein de l’OTAN-, vos rapporteurs estiment qu’il est essentiel d’accélérer les travaux visant à perfectionner le programme tout en se tenant prêt à recourir à une solution alternative en cas d’absence d’amélioration constatée.
● Vos rapporteurs considèrent que les difficultés rencontrées lors de l’exercice ORION renforcent la nécessité pour les armées de continuer à s’entraîner à opérer en avec des moyens SIC « dégradés ».
Il s’agit de travailler d’une part sur la frugalité des échanges et d’autre part sur la subsidiarité. À cet égard, le général Métayer rappelait à juste titre que le facteur humain demeurerait clé dans les combats de demain : « l’utilisation de moyens dégradés, de réseaux qui ne fonctionnent pas, révèle les limites de notre système et que l’humain est au cœur de tout. (…) Le jour où cet axe sera fragilisé, pour des raisons de recrutement, de fidélisation, de conditionnement au combat, aurait-on les meilleurs matériels du monde, qu’on n’y arriverait pas. » Pour cette raison, il convient de poursuivre les entraînements en mode dégradé, complémentaires aux exercices menés dans le haut du spectre : « En termes de résilience, ils doivent être capables d’affronter n’importe quelle situation et de s’adapter. Si les réseaux tombent, même s’ils ont utilisé le GPS ou Waze pendant toute leur existence, ils doivent être capables de lire une carte, de situer où est le nord et de se repérer. » Et d’ajouter : « Il ne faut pas être dépendant d’une technologie qui, au moindre grain de sable dans nos systèmes, aussi performants soient-ils, peut être défaillante. » ([12])
Il s’agit également de donner aux unités tactiques les capacités de continuer à opérer de manière rustique, en cas de perte du lien avec le centre C2. À titre d’exemple, l’exercice Atlantic Trident a permis d’éprouver cette rusticité dans le domaine aérien avec le Royaume-Uni et les États-Unis en entraînant les forces aériennes à se déployer sous court préavis, sans lien avec le commandement afin de développer leur autonomie. Cet équilibre entre rusticité et technologie est formulé chez les alliés, notamment américains, à travers la doctrine dite ACE ([13]) (Agile Combat Entraînement), qui désigne la capacité à opérer avec autonomie et agilité de façon légère et rustique. Son équivalent français est le concept « MORANE », pour « mise en œuvre réactive de l’arme aérienne », qui vise à réduire au maximum l’empreinte logistique d’une mission de projection et à agir par le biais de voies de communications identifiées, voire sans communications. L’armée de l’air et l’espace a repensé ses méthodes de projection de forces afin de répondre au besoin d’agilité en vue de faire face aux risques d’attaques sur ses sites de déploiements et garder l’aptitude à poursuivre le combat via un réseau C2 décentralisé. La nécessaire diminution de l’empreinte logistique des forces aériennes ne peut être compensée que par une meilleure capacité à utiliser et tirer parti des ressources disponibles sur chacun des points d’appui. S’appuyant sur ses bases aériennes en métropole, elle développe un réseau de points d’appui à l’étranger sur lesquels les aéronefs de l’armée de l’air et de l’espace ont vocation – à terme – à régulièrement entretenir des interactions avec les nations hôtes afin de faciliter les déploiements.
Enfin, il ressort des auditions menées par vos rapporteurs qu’il apparaît envisageable de s’entraîner davantage de manière « asynchrone », c’est-à-dire « jouer » véritablement la perte d’un système et obliger une partie des participants à l’exercice à se passer des systèmes touchés, pour s’entraîner à « faire sans » ou autrement. Cette démarche permet de veiller à ce qu’en cas d’indisponibilité d’une part du système, l’ensemble du système ne s’effondre pas. Il convient en parallèle de travailler à la redondance des systèmes et renforcer l’entraînement sous menace cyber, en jouant de manière réaliste la modification de la manœuvre induite par la conduite des attaques, donc par la perte d’un système d’information ou d’un système d’armes.
e. Un exercice manquant par moments de réalisme
Si le niveau de réalisme de l’exercice s’est avéré satisfaisant dans l’ensemble et a permis de remplir les objectifs de préparation opérationnelle fixés, celui-ci a varié selon les niveaux entraînés et les phases de l’exercice. Compte tenu de l’ampleur de l’exercice, le réalisme était ainsi plus palpable pour les états-majors, confrontés à des difficultés de manœuvre des unités, que pour le combattant individuel. Par ailleurs, toutes les phases ne se sont pas déroulées en situation de haute intensité.
● D’une part, si l’exercice était consacré à la préparation à la haute intensité, ce ne sont pas l’ensemble des aspects d’ORION, ni l’ensemble des séquences qui se sont déroulées à un tel niveau. Ainsi, l’opposition ennemie pouvait être qualifiée de « symétrique » dans les milieux maritimes, cyber, espace et dans le champ informationnel, et dans une moindre mesure pour le milieu aérien mais pas dans le milieu terrestre. Bien qu’asymétrique, l’opposition terrestre composée par des milices disposait cependant d’équipements motorisés et de concentration de moyens qui pouvait donner lieu à des combats ponctuels en haute intensité. Le niveau de réalisme tient également aux équipements opérés par la force adverse (FORAD). Or, lors de son audition le général Métayer avait concédé que les ressources disponibles avaient conduit à certains renoncements : « Nous n’avions pas la ressource pour faire voler des drones pour la force adverse. Une société a modélisé des capacités drones pour créer du danger. » ([14])
● D’autre part, ORION 23 a souligné le potentiel offert par la simulation dans le cadre de l’animation de l’exercice, tout en mettant en lumière ses limites. Celles-ci ont notamment concerné le réalisme de la manœuvre des soutiens. En effet, restituer fidèlement un environnement de combat de plus en plus complexe constitue un véritable défi. La mise en œuvre du concept de « théâtre opérationnel hybride partagé » (TOHP) a permis d’assurer, en simultané, la manœuvre d’unités réelles en terrain libre et d’unités simulées face à un ennemi à la fois incarné sur le terrain et modélisé en simulation. Si les outils de simulation ont pour avantage de permettre de créer un effet de masse à moindre coût, très utile pour l’entraînement des structures de commandement – ainsi pendant la phase 04, une division française à trois brigades a été engagée, dont deux brigades simulées ainsi que la 34e division américaine également simulée -, certaines réalités propres au « terrain » ne peuvent réellement transparaître. Aussi, le général Métayer faisait le constat d’outils qui peinaient à rendre compte des défis propres aux services de soutien, s’affranchissant des contraintes réelles. « Nous avons mesuré les limites de la simulation. L’exercice en grandeur réelle fait prendre contact avec des réalités à ne pas perdre de vue, notamment dans le domaine des soutiens, qu’il est très difficile de simuler. En exercice sur ordinateur, on fait parfois des déplacements instantanés pour des convois simulés. Faute de temps pour déplacer une grande unité, en deux clics de souris, on la remet au bon endroit et l’exercice se poursuit. Mais dans la réalité, cela n’arrive jamais et cela peut même vous faire perdre. » ([15]) Et d’ajouter le cas particulier de la lutte informationnelle pour lesquels il estime que « le réalisme ne peut qu’être touché du doigt. » Ce constat a notamment été illustré dans le domaine maritime. Selon le vice-amiral Xavier Petit, sous-chef d’état-major « opérations aéronavales » de l’état-major de la marine nationale, auditionné par vos rapporteurs, Orion 2023 s’est peu attardé sur le volet logistique, en particulier en ce qui concerne la mise à l’épreuve des capacités d’élongation, la zone d’exercice étant circonscrite entre Toulon et Sète. Or, dans le contexte opérationnel actuel, la logistique et les soutiens apparaissent comme des composantes cruciales qu’il faut d’autant plus éprouver au combat que les forces armées françaises se conçoivent comme une armée de projection. De la même manière, s’agissant de l’armée de l’air et de l’espace, un retour d’expérience logistique complet de l’exercice ne peut véritablement être établi étant donné que les forces aériennes ont agi à partir de leurs bases, en simulant un déploiement mais sans créer de base aérienne projetée (BAP) pour l’occasion.
Orion a également démontré les limites d’emploi des simulateurs actuels. Comme le soulignait le rapporteur pour avis des crédits de l’armée de Terre dans son avis budgétaire, l’outil de simulation de l’armée de Terre « SOULT » s’avère peu adapté aux niveaux division et corps d’armée. Alors que les grands exercices de type ORION ont vocation à se multiplier, le rapporteur considère qu’il convient d’accélérer son remplacement par le système TARAN. Pour faire face au défi du réalisme de la simulation, les armées se sont par ailleurs engagées dans un processus d’amélioration de ses outils selon quatre piliers : la simulation distribuée distante (SIM2D) entre simulateurs répartis sur différents sites, la simulation massive en réseau (SMR) à base d’outils adaptés à partir de simulateurs grand public, l’implémentation de la fonction « constructive » (automates simulés répliquant certaines menaces) à base d’intelligence artificielle et, enfin, la connexion de ces différents outils avec le monde réel grâce à une liaison de données.
Vos rapporteurs tiennent à réaffirmer le fait que malgré l’intérêt de la simulation, l’entraînement en conditions réelles (LIVEX) reste indispensable, puisque seul le terrain permet de révéler véritablement les difficultés auxquelles les forces seront effectivement confrontées.
2. Des enseignements spécifiques
Au-delà des enseignements communs et partagés présentés plus haut, vos rapporteurs ont tenu à approfondir les retours d’expérience spécifiques à chaque milieu et champ mais également aux directions et services du ministère des Armées qui ont pleinement participé à l’exercice. En particulier, la séquence ORIONIS dédiée au maintien en condition opérationnelle (MCO) aéronautique a permis d’associer les industriels du secteur concernés dans une approche partenariale vertueuse.
a. Le retour d’expérience de l’armée de Terre
Comme évoqué plus haut, le retour d’expérience de l’armée de Terre a déjà été largement traité dans un avis budgétaire dédié précité. Aussi, au-delà des points d’attention soulevés par le rapporteur pour avis des crédits de l’armée de Terre, vos rapporteurs aimeraient souligner l’importance des enjeux propres à la logistique et à l’acheminement des matériels dans le milieu terrestre.
Au-delà des capacités logistiques, et notamment les capacités d’emport de l’armée de Terre, qu’il apparaît nécessaire de densifier pour renforcer l’autonomie des unités au niveau tactique, le général Métayer avait rappelé le défi organisationnel suscité par la nécessité de distribuer et d’assembler les équipements nécessaires à l’engagement des forces terrestres lors d’ORION, ce qui pourrait nuire à leur réactivité en cas d’engagement d’une unité qui n’assurerait pas l’alerte. Aussi, « pour constituer son PC, la 2e brigade blindée a perçu ses matériels dans vingt et une formations de l’armée de terre. » L’armée de Terre ambitionne néanmoins de surmonter cette difficulté dans le cadre de son plan de transformation « Armée de Terre de combat », à travers notamment la création d’unités plus nativement conçues pour l’engagement.
b. Le retour d’expérience de la Marine nationale
La Marine nationale a principalement été mobilisée lors de la deuxième phase de l’exercice, s’apparentant à une opération interarmées d’entrée en premier, mais également dans une moindre mesure lors de la quatrième phase dite « opération d’envergure ». Une manœuvre amphibie a notamment été menée par une Task Force comprenant deux porte-hélicoptères amphibie (PHA), commandée depuis la mer, appuyée par le groupe aéronaval.
● S’agissant des moyens engagés lors de l’exercice, la Marine nationale a engagé une trentaine de bâtiments, dont un porte-avions et deux PHA ainsi que cinquante aéronefs.
Ces unités étaient essentiellement réparties au sein de trois forces à la mer lors de la deuxième phase (02) :
- Une force amphibie articulée autour de deux PHA et une dizaine d’escorteurs, avec un état-major interarmées embarqué à bord d’un des deux PHA ;
- Le groupe aéronaval (GAN) composé du porte-avions, du groupe aérien embarqué et de cinq à dix escorteurs, commandé depuis la mer par l’état-major du GAN ;
- Une force adverse (FORAD) maritime comptant une dizaine de bâtiments de combat, majoritairement étrangers, ainsi que des aéronefs.
Lors de la phase dite O4, des aéronefs de la Marine nationale ont également été intégrés à la composante aérienne. Une frégate multi-missions a également apporté une capité supplémentaire de frappe contre terre avec un missile de croisière naval (MDCN).
● ORION 2023 a confirmé la pertinence de ce type d’entraînement dit de « haut du spectre ». Dans la lignée des exercices POLARIS organisés par la Marine nationale, la phase deux de l’exercice se caractérisait par une configuration en « jeu libre », c’est-à-dire sans contraintes préétablies entre les deux équipes (rouge/bleue). Cette configuration a ainsi permis de contribuer au réalisme de l’exercice et d’encourager la réflexion et la prise d’initiatives tactiques.
● S’agissant du retour d’expérience capacitaire de l’exercice, ORION 2023 est venu conforter des points d’attention préexistants.
Selon les informations fournies à vos rapporteurs, pour la Marine nationale, il s’agira avant tout de poursuivre la réparation des bâtiments ainsi que d’accompagner la modernisation de la flotte sur de nombreux programmes structurants : porte-avion, sous-marins, frégates, patrouilleurs, etc. Plusieurs segments capacitaires propres aux forces navales font ainsi l’objet d’une période de tuilage : qu’il s’agisse des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) – remplacement des SNA de classe Rubis par des SNA de classe Suffren – des patrouilleurs mais également de la fin programmée des Falcon 50 concomitante avec la diminution des moyens alloués au programme des avions de surveillance et d’intervention maritime AVISMAR – qui semble constituer un point d’attention concernant la capacité renseignement/surveillance. Ces périodes de transition entre deux générations d’équipements entraînent ainsi des réductions temporaires de capacité (RTC). En complément des équipements, les personnes auditionnées ont insisté sur la nécessité d’accélérer la reconstitution des stocks de munitions, y compris complexes. L’utilisation des missiles ASTER en mer Rouge offre ainsi un exemple criant de la nécessité de densifier les stocks. L’utilisation de ces derniers soulève, en outre, des enjeux en termes de « coût au but », appelant à envisager une solution intermédiaire en vue de répondre de manière plus adéquate aux nouvelles menaces posées en mer par les drones et les missiles de croisière, comme l’illustre la situation actuelle en mer Rouge. Des moyens de brouillage seraient également nécessaires. D’autre part, les bâtiments ravitailleurs de forces (BRF), comme le BRF Jacques Chevallier, aujourd’hui en RTC, et avec un volume prévu de quatre bâtiments en fin de LPM, constituent également des équipements utiles pour la lutte anti-drone grâce à une bonne conduite de tir (40 mm).
c. Le retour d’expérience de l’armée de l’air et de l’espace
● L’armée de l’air et de l’espace a engagé des moyens importants lors de l’exercice ORION 23.
Le scénario de l’exercice prévoyait notamment une manœuvre « d’entrée en premier » depuis la métropole dans l’objectif « d’acquérir et de maintenir la supériorité aérienne dans un espace contesté », ainsi qu’une manœuvre aérienne globale de conduite d’opérations aéroportées majeures. Une force adverse aérienne (FORAD) a également joué une menace aérienne d’abord réduite, disposant de moyens aériens isolés - de type drone, avions, système sol-air -, puis complète et intégrée avec des avions modernes, des systèmes de contrôle et sol-air intégrés.
Sur l’ensemble de l’exercice, les capacités suivantes ont notamment été engagées : dix bases aériennes ont été mobilisées, 80 aéronefs, deux drones MALE (Reaper), six systèmes de défense sol-air et vingt capteurs spatiaux. Lors de la phase deux de l’exercice, l’armée de l’air et de l’espace a engagé son centre de planification et de conduite des opérations aériennes (CAPCO), plus de trente aéronefs (chasseurs, transport, ravitailleurs), une capacité de détection et de commandement aéroporté (AWACS) pour la gestion in situ des manœuvres aériennes majeures, une capacité de drone MALE pour des missions de reconnaissance longue durée et d’appui feu et des systèmes de défense sol-air (MAMBA, CROTALE et lutte anti-drone). Lors de la phase quatre, l’armée de l’air et de l’espace a conduit depuis le CAPCO une trentaine de raids aériens interalliés. Une cinquantaine d’aéronefs ont été engagés pour acquérir la supériorité aérienne et mener des missions de reconnaissance, de projection de force et de protection de forces déployées.
● Si, selon le général Thomas, commandant la BOA du CDAOA, les militaires de l’armée de l’air et de l’espace ne sont pas allés « au bout de leurs limites » telles qu’elles auraient pu être éprouvées en conditions réelles, ils ont maintenu un engagement soutenu sur la durée de l’exercice, tout en continuant d’assurer leurs missions quotidiennes. Ainsi, le centre des opérations de la composante aérienne d’ORION, le CAPCO, que vos rapporteurs ont eu la chance de visiter au sein de la base aérienne de Lyon Mont-Verdun, a continué à exercer simultanément et avec succès ses missions de centre des opérations, comme en témoigne la conduite de l’opération Sagittaire au Soudan. Cette activité très élevée n’est pas sans poser de problématiques d’ordre RH. ORION a aussi mis en avant les tensions RH auxquelles est confrontée l’AAE, bien qu’elle n’ait pas déployé la majeure partie de ses unités, et les difficultés d’armer un centre C2 à partir de renforts en personnel prélevés en partie dans les unités tactiques engagées. Ainsi, à titre d’exemple, pour des raisons RH, un seul système Crotale a été déployé sur la phase O2 contre 2 envisagés initialement.
S’agissant du niveau d’activité, l’activité envisagée s’est calée sur l’activité organique des unités (ORION O2 avec 2 à 3 vagues max par jour pour les chasseurs par exemple) ou s’est intégrée dans l’activité de préparation opérationnelle de l’armée de l’air et de l’espace par l’intégration d’exercice annuel (VOLFA pendant O4), afin de limiter l’impact sur les différentes flottes engagées en parallèle sur les opérations actuelles (PPS Air, Afrique, Levant, Flanc Est de l’OTAN notamment). Selon les informations fournies à vos rapporteurs, certaines tensions sont néanmoins apparues sur la flotte A400M pour générer les Opérations aéroportées (OAP) massives et sur les flottes des radars tactiques ainsi que dans le domaine de la défense surface-air, avec une seule section MAMBA déployée sur la phase O4 - la protection de la Force Opérationnelle Terrestre en prévoit normalement deux mais la deuxième section a été palliée partiellement par la simulation.
● L’armée de l’air et de l’espace s’est également entraînée à un scénario de crise majeure impliquant le territoire national ainsi qu’à la mise en œuvre de la réponse associée. L’exercice ORION a dès lors constitué l’occasion de renforcer la résilience de l’armée de l’air et de l’espace avec une montée en puissance de la protection des bases (exercice BASEX) et la mise en œuvre de plan militaire de défense aérienne (PMDA) à travers le changement des stades de défense aérienne du territoire (STADA). Vos rapporteurs ont été alertés sur l’importance de se réapproprier ces mécanismes et d’entraîner la chaîne de posture permanente de sureté Air. Les forces aériennes ont également joué un exercice « EGIDE » permettant d’évaluer le niveau de coordination avec les forces de sécurité en la matière.
● Si dans le cadre de sa préparation opérationnelle, l’AAE s’est toujours entraînée à la haute intensité dans le cadre de la conquête de la supériorité aérienne, la particularité d’ORION réside dans la simultanéité et la durée des engagements et la prise en compte de l’attrition, ainsi qu’une consommation accrue des potentiels des matériels comme des munitions. Ainsi, en dépit d'une évaluation tactique dédiée qui a réaffirmé le haut niveau de préparation des unités aériennes et leur qualité sur un très large spectre d'aptitudes opérationnelles, O4 a confirmé, face à un ennemi équivalent, un risque d’attrition très élevé, en particulier s’agissant des escadrons de chasse.
● Par ailleurs, l’un des principaux enseignements d’ORION 2023 dans le domaine aérien, en accord avec les leçons tirées du conflit en Ukraine, consiste en la confirmation du fait que l’acquisition de la supériorité aérienne constitue le préalable à toute opération militaire, en ce qu’elle permet de garantir la liberté d’action dans les autres milieux. Compte tenu de la montée en gamme des capacités des compétiteurs et de nombreux pays et la création plus fréquente de « bulles de déni d’accès », cette supériorité aérienne n’est plus nécessairement acquise de fait. Il convient dès lors de se doter des moyens pour l’acquérir (renseignement, capacités offensives et défensives, défense surface-air, lutte anti-drones et équipages entraînés etc.). Selon les informations fournies à vos rapporteurs, des points d’amélioration demeurent s’agissant de l’entrée en premier, qui repose en large partie sur une capacité de suppression des défenses aériennes ennemies (SEAD : Suppresion of Enemy Air Defenses), dont la pleine maîtrise reste à ce jour à acquérir. En effet, l’armée de l’Air et de l’Espace ne dispose plus de missiles antiradar, depuis la fin des années 1990.
● Enfin, l’exercice ORION a amené l’armée de l’air et de l’espace à opérer des changements concrets dans son organisation. En cohérence avec les enseignements retirés de l’exercice et pour faire face à l’intensification des menaces, il est apparu nécessaire de disposer d’un seul centre C2 pour la défense aérienne et les opérations aériennes, intimement liées dans le cadre du continuum Compétition-Contestation-Affrontement. Ainsi, le CDAOA va connaître une évolution de son organisation après les jeux olympiques et paralympiques de 2024. La fusion de deux centres opérationnels jusque-là distincts - le centre des opérations pour les opérations conventionnelles et le centre des opérations pour la posture permanente de sécurité - sera engagée en octobre 2024 permettant une véritable continuité en cas de montée en puissance d’une crise, tout en assurant une meilleure résilience des infrastructures et des personnels mobilisés. Cette réforme de l’organisation du C2 s’inscrit dans la continuité le projet IC2ARE ([16]) qui vise à permettre de disposer d’un C2 Air performant et interopérable, dans une logique M2MC, en s’appuyant notamment sur le volet technologique.
d. La séquence ORIONIS : des enseignements clé pour le MCO aéronautique et la nécessité de privilégier une approche « par les risques »
Une séquence spécifique, dite « ORIONIS », consacrée au maintien en condition opérationnelle (MCO) aéronautique, a été incluse dans le scenario de l’exercice pour permettre d’évaluer la capacité des forces et des industriels à traiter des faits techniques ([17]) en temps limité, dans un contexte de haute intensité. La séquence a pris la forme d’un exercice « papier » sur deux jours, à la fin du mois de mars dans l’objectif de développer une « approche par les risques ». Pour ce faire, l’exercice s’est notamment appuyé sur les pôles de conduite du soutien (PCS) initiés en 2019, qui réunissent les acteurs des forces, de la Direction de la Maintenance aéronautique (DMAé) et de l’industrie. Deux séquences de moindre ampleur ont également été dédiées, d’une part, au MCO naval, à travers la séquence « URSA MINOR », et d’autre part, au MCO terrestre.
● ORIONIS reposait sur trois idées-maîtresses : fédérer l’ensemble des acteurs du MCO aéronautique, analyser les faits techniques en équipe et mettre en place une boucle « observation-orientation-décision-action » efficace.
Ainsi, ORIONIS a permis une meilleure compréhension de l’environnement des systèmes et des conditions d’emploi, en offrant aux industriels un champ d’expérimentation proche des conditions de déploiement s’apparentant à un « laboratoire grandeur nature », selon le vice-amiral d’escadre Marc Aussedat, adjoint « Forces » du délégué général pour l'armement (DGA). Cette logique décrite comme « gagnant/gagnant » par le représentant de la DGA, vise notamment à permettre d’ajuster les technologies aux besoins des forces et offre une boucle courte pour la mise à jour des systèmes et la recherche de solution en commun. La séquence a également favorisé la mise en relation entre acteurs du MCO opérationnel et industriel, dans une approche de partage des bonnes pratiques en matière de gestion de crise. Les enseignements tirés de la séquence ont été directement mis à contribution à l’occasion de l’exercice aérien Pégase en juillet 2023, afin de dépanner un A400M endommagé par une collision sur l’île de Guam. La constitution du réseau des différents acteurs mis en place lors d’Orionis a ainsi permis d’identifier rapidement les meilleures solutions de dépannage possible avant de ramener l’aéronef vers la métropole.
Des solutions innovantes ont été identifiées offrant aux autorités d’emploi de la souplesse et une plus grande liberté dans l’utilisation des matériels. Les bureaux d’études des industriels étaient confrontés à une activité de haute intensité pour laquelle les normes établies pour respecter un haut niveau de performance et de sécurité, ne pouvaient plus être appliquées dans leur intégralité. L’environnement de la mission (manque de pièces, environnement opérationnel, etc.) imposait le traitement de ce fait technique en sortant du cadre habituel et normé de la navigabilité. L’approche « par les risques », et non plus la stricte application du cadre normatif, a conduit les industriels à identifier des solutions permettant à l’autorité d’emploi de prendre une décision adaptée au regard de la situation sur la base d’une analyse technico-opérationnelle – consistant en une évaluation et une analyse du risque par les experts techniques puis une prise de décision par l’autorité d’emploi. Auditionnée par vos rapporteurs, la colonelle Isabelle Poirot, adjointe au sous-directeur « performance, synthèse et relations forces » de la DMAé a effectivement considéré que la situation opérationnelle nécessitera certainement en haute intensité de sortir du cadre normatif en assurant la maîtrise des risques associés. Dès lors, l’enjeu consiste à aider l’autorité d’emploi à prendre une décision en minimisant les risques. En guise d’illustration, la séquence Orionis a par exemple permis d’évaluer les conséquences de l’autorisation d’heures de vol supplémentaires pour un équipement arrivé « en butée calendaire », ou de proposer des solutions de réparation de dommages de combat.
Selon les informations fournis à vos rapporteurs, les gains opérationnels potentiels engendrés sont nombreux : l’approche par les risques permettrait de limiter l’indisponibilité d’aéronefs, de s’affranchir de certains délais administratifs de traitement de dossiers navigabilité, notamment les exigences de traçabilité, en utilisant mieux l’expertise technique disponible. La décision de remettre un aéronef en vol n’appartiendrait plus au technicien, mais bien au chef opérationnel qui aurait la capacité de juger le risque pris par rapport à l’objectif opérationnel. Par ailleurs, il convient également de noter qu’un allègement des exigences de maintenance en cas de crise aurait un impact positif sur les niveaux de stocks de pièces de rechange nécessaires pour soutenir un engagement majeur. Vos rapporteurs s’associent au constat qu’il faut continuer à faire évoluer les normes dans une démarche d’allègement et de simplification. La DMAé s’attache également à recourir à l’impression 3D pour favoriser l’autonomie des forces déployées, ainsi qu’à développer des outils pour assister les forces à distance.
● Toutefois, la DMAé a identifié trois axes d’effort lors de cette séquence : garantir la continuité numérique, développer davantage les compétences en matière de réparation de dommages de combat et amplifier la capacité à gérer des faits techniques « par les risques ».
Tout d’abord, l’exercice ORIONIS a mis en exergue la nécessité de développer la continuité numérique entre les armées et l’industrie. Actuellement, selon les informations fournies à vos rapporteurs, la multiplicité des systèmes et l’absence de plateforme informatique accessible à tous ont mis en exergue les difficultés d’échanger de façon réactive, directe et sécurisée avec l’ensemble des participants étatiques et privés. Dans le cadre de la HEM, la réactivité sera en effet clé. Il est nécessaire de disposer de canaux permettant d’acheminer les flux d’informations émanant des différents capteurs vers les bureaux d’études industriels, en particulier lors de la réalisation d’opérations de MCO sur les théâtres d’opérations. En guise d’illustration, une innovation présentée au Bourget permettait de guider un opérateur sur le terrain grâce à la continuité numérique : le mécanicien au plus proche de l’équipement pourra ainsi échanger avec l’industriel en métropole et les capteurs placés sur les matériels permettront de remonter directement des données chez les industriels. Une réflexion devra être menée afin d’assurer une continuité numérique entre tous les acteurs du MCO.
Ensuite, les savoir-faire relatifs à la réparation des dommages de combats soulèvent des enjeux de maintien des compétences. Ces compétences, qui ne sont sollicitées que ponctuellement en temps de paix, s’avèrent pourtant, cruciales dans l’hypothèse d’un engagement majeur. À cet effet, dans les avenants des contrats, la DMAé inclue désormais une demande visant à acquérir ou renforcer les capacités de réparation de dommages de combat. Dans un conflit de haute intensité, le risque de dommages conséquents sur les aéronefs et leurs équipements nécessite en effet de développer les compétences techniques en réparation de dommages de combat, chez les industriels mais aussi au sein des forces. Ces compétences devront être conservées sur le long terme.
En dernier lieu, la Colonelle Poirot a appelé à la simplification des normes de navigabilité et à la promotion d’une approche du MCO aéronautique « par les risques » en haute intensité. À cette fin, la DMAé travaille ainsi sur des plans de maintenance allégés - qui prévoient les butées calendaires sur les équipements ainsi que les opérations périodiques de maintenance -, en coopération avec les industriels, afin d’établir des « plans de maintenance de guerre », en explicitant le risque opérationnel associé. Ce changement d’approche prend tout son sens en haute intensité et dès le stade de la compétition. Selon la DMAé, développer cette nouvelle approche nécessitera de rédiger des processus conjoints forces-industriels, qui déclineront notamment les aspects techniques, contractuel et juridique, dans l’optique d’une mise en œuvre fluide et réactive. Ces processus devront être rodés et entretenus par des exercices conjoints.
Enfin, si la séquence devrait être reconduite lors de l’exercice Orion 2026, la DMAé a fait part de son souhait de s’entraîner à la fabrication additive lors de cette seconde édition.
e. Le retour d’expérience du Service de santé des armées : un soutien santé sous-dimensionné en cas de HEM
La participation du SSA à l’exercice ORION a permis de mettre en lumière des points d’attention importants s’agissant de la capacité du Service de santé des armées (SSA) à soutenir nos armées en cas d’engagement de haute intensité. Ces difficultés tiennent aux moyens dont dispose le SSA pour traiter un nombre suffisant de blessés, mais également aux tensions en matière de ressources humaines que rencontre le service.
● Auditionné par vos rapporteurs, le médecin-général Czerniak, en charge des opérations au sein du SSA, a rappelé que l’exercice Orion 2023 marquait un retour aux grands exercices pour le SSA, signalant que le service avait peu l’habitude d’être « joueur » lors des exercices. Le SSA est, en effet, avant tout « au service » des armées. Ainsi, du fait de son rôle de soutien à l’exercice, sa préparation opérationnelle est parfois reléguée au second plan.
Lors de l’exercice Orion 2023, la mise sous tension du SSA s’est concentrée sur des segments préalablement identifiés comme vulnérables. Seules les phases 2 et 4 de l’exercice ont entraîné un déploiement de moyens. Le SSA a ainsi notamment participé à trois séquences : une séquence de soutien à une opération aéroportée, une séquence de soutien à une opération amphibie, et enfin, une séquence de mise en place d’un lot médical polyvalent pour le soutien d’un déploiement. ORION a notamment permis au SSA de s’entraîner au « sauvetage au combat » et à l’appréhension de la chaîne de soins pour des blessures simulées sur les soldats. Lors de l’exercice, comme en cas d’engagement majeur, les soignants militaires sont en première ligne pour assurer la prise en charge des blessés de guerre jusqu’à leur évacuation sanitaire à bord des hélicoptères. Plusieurs cas d’espèce ont pu être « joués » quant à la prise en charge des militaires blessés sur le terrain, allant de la médicalisation sur place au sein d’un poste médical ou d’une antenne chirurgicale de terrain jusqu’à l’évacuation sanitaire par le biais de véhicules civils ou militaires comme les VAB qui devraient être remplacés à termes par de nouveaux véhicules SCORPION dans leur version sanitaire (Griffons et Serval SAN).
● L’un des principaux points d’attention issu du retour d’expérience ORION porte sur les fragilités ayant trait à la capacité d’accueil des blessés, compte tenu du niveau d’attrition qu’impliquerait la réalisation de l’hypothèse d’engagement majeur.
Ainsi, il semblerait que la chaîne santé déployée lors de l’exercice était en capacité de traiter vingt blessés par jour, contre une centaine estimée nécessaire dans le cadre de la HEM, selon un récent rapport du Sénat ([18]). « Pour autant le SSA, encore loin d’être en mesure de soutenir un engagement majeur, n’est pas en phase avec les évolutions du contexte géostratégique, pourtant identifiées de longue date. » Selon le général Métayer, ce chiffre s’avérait même inférieur : « Pendant la phase 2, nous avons déployé un dispositif de santé d’une capacité d’accueil de douze blessés en urgence absolue par jour. En haute intensité, il faut s’attendre à des taux de perte nettement plus élevés. » ([19]) Antérieur à Orion, l’exercice Warfighter conduit aux États-Unis en avril 2021 avait déjà contribué à alerter sur le nombre conséquent de blessés à traiter en cas de conflit de haute intensité. La séquence, conduite par une force d'intervention française composée de deux brigades interarmes (soit 15 000 soldats), recensait 1 700 tués et 11 000 blessés au bout de dix jours d’entraînement, soit 1 100 soldats blessés par jour ([20]). Ce constat s’inscrit également dans la lignée des conclusions du rapport de la Cour des Comptes ([21]) « Le service de santé des armées, une capacité à consolider », publié en juin 2023.
Si le médecin-général Czerniak a considéré que le SSA parvenait, malgré les difficultés à remplir ses missions exigeantes, en cas de HEM, il est probable que le SSA soit conduit à opérer des choix et à effectuer des renoncements pour être en capacité de soutenir les déploiements. Le scenario le plus complexe, selon le médecin-général, consisterait en la concomitance de plusieurs théâtres d’opérations de moyenne ampleur de type Barkhane. En effet, les capacités du SSA (unités médicales opérationnelles) ont une définition capacitaire qui correspond aux définitions des capacités de l’OTAN. Dans ce cadre, l’antenne chirurgicale de nouvelle génération dans sa version allégée (l’ARCS) correspond à une capacité prenant en charge 12 à 16 blessés chirurgicaux/jour. La capacité maximale est néanmoins fonction entre autres choses de la capacité à ravitailler l’ARCS en produits de santé et à évacuer les patients. Ces deux points ne sont pas entièrement à la main du SSA. En cas de HEM, les capacités du SSA seront donc probablement saturées, l’important réside, selon le médecin-général Czerniak dans la capacité du SSA à savoir gérer cette saturation pour être en mesure d’y faire face et pour en atténuer les effets.
À cela s’ajoute un défaut de mobilité. En effet, sans réelle surprise ORION 23 a démontré le manque relatif de mobilité des structures. Ces points avaient déjà été identifiés en amont, puisque la LPM 2024-2030 prévoit le développement de capacités médicales « sur roues », mais également l’arrivée des véhicules Griffon et Serval d’ici à 2029 ([22]) – dans leur version médicalisée - pour permettre le soutien de la division SCORPION. À cet égard, le médecin-général Czerniak a souligné l’importance de ces véhicules qui permettront au SSA de se déplacer en synergie avec les forces soutenues, facteur logistique crucial puisque le médecin-général a rappelé que l’avancée d’une armée était conditionnée à l’avancée de ses soutiens. Les véhicules du programme SCORPION étant conçus pour être hyper-mobiles et agir en ordre dispersé, le médecin-général a dès lors souligné la nécessité de démultiplier les vecteurs en dotation au sein du SSA pour augmenter le maillage et les possibilités de prise en charge.
● Par ailleurs, lors de son audition devant la commission de la défense consacrée au retour d’expérience d’ORION, le général Métayer avait également indiqué que des tensions s’étaient fait sentir en matière de ressources humaines « en particulier pour les métiers les plus techniques. » Alors que la loi de programmation militaire 2024-2030 vise à renforcer les effectifs, le rapport de la Cour des Comptes, tout comme le rapport de la commission des finances du Sénat, s’attardent à décrire les tensions persistantes sur les ressources humaines du SSA. Le service fait face à un manque accru d’attractivité et de compétitivité face au secteur civil, et rencontre d’importantes difficultés de fidélisation (dès les écoles de formation initiale). Le contexte général de déflation des ressources des armées, prévu par la LPM 2014-2019, a entraîné une diminution importante des moyens du SSA, et accru les tensions sur certaines spécialités médicales (médecine générale, chirurgie, anesthésie-réanimation, médecine d’urgence, psychiatrie) et paramédicales (infirmiers de bloc opératoire, techniciens hospitaliers, manipulateurs en électroradiologie, orthoptistes.). En conséquence, si le service remplit aujourd’hui son contrat opérationnel, il y parvient principalement grâce au dévouement de son personnel et au prix de contraintes fortes en matière de formation, de préparation opérationnelle et de régénération. Dans ce contexte, le SSA, s'appuie sur la dynamique des travaux de la LPM 2024 - 2030 pour déployer un nouveau modèle RH soutenu par une nouvelle architecture de rémunération. Le SSA fait notamment effort sur les recrutements initiaux. Cependant, compte tenu de la durée de formation des soignants, les efforts sur les recrutements complémentaires se poursuivent.
Pour toutes ces raisons, vos rapporteurs estiment qu’il est important de conférer davantage d’importance à la préparation opérationnelle du SSA au sein des exercices interarmées, y compris de moindre ampleur qu’ORION.
f. Le retour d’expérience du service du commissariat des armées : le caractère déterminant des soutiens en cas de déploiement en haute intensité
En mobilisant très largement le service du commissariat des armées (SCA), à la fois en soutien à l’exercice mais également en tant que « joueur », l’exercice ORION 23 a rappelé le caractère déterminant des activités de soutien en cas d’hypothèse d’engagement majeur.
● Le SCA a été très largement mobilisé lors d’ORION 23 puisque, selon les informations fournies à vos rapporteurs, 95 % des groupements de soutien de base de défense (GSBdD) et 60 % des organismes du SCA ont contribué à l’exercice. Le SCA a été tout particulièrement mobilisé pour les phases 02 (mobilisation de 171 personnels du SCA et 136 conteneurs équivalents vingt pieds) et 04 (292 personnels du SCA et 450 conteneurs équivalent vingt pieds). Il convient de souligner que le service a participé à ces deux phases tout en continuant d’assurer la mission de soutien au quotidien au profit des unités et organismes non engagés dans l’exercice et implantés sur le territoire national, à l’étranger et outre-mer. À titre de comparaison, selon les informations fournies à vos rapporteurs, le poids logistique du SCA pour la partie ORION 2 est l’équivalent de celui de la mission Aigle en Roumanie. La somme des phases O2 et O4 pour le SCA aurait représenté un peu plus de la moitié du volume de matériels du SCA désengagés du Mali en 2022. Un exercice plus long aurait probablement engendré des réductions plus importantes de service (restauration, transports), qui sont demeurées peu significatives dans le cadre d’ORION 23, notamment grâce à l’engagement de l’ensemble du personnel du service.
● La mise en tension du SCA a permis de relever plusieurs axes d’amélioration. D’une part, l’impératif consistant à être en capacité de fournir un double soutien à la fois sur le territoire national et sur des théâtres extérieurs est une préoccupation majeure constante du SCA, qui peut se révéler difficile à garantir. La réorientation des forces du Sahel vers le flanc est de l’Europe constitue un vrai défi logistique (remise en condition puis « bascule ») et révèle également les limites des capacités du SCA à être présent sur l’ensemble des fronts. D’autre part, des fragilités ont été identifiées s’agissant des protections individuelles des combattants (notamment des plaques de protection balistique) et du matériel de vie en campagne (cuisines, douches).
● En outre, le SCA connaît un défi en termes de ressources humaines en particulier sur certaines spécialités techniques. Selon les informations fournies à vos rapporteurs, les électromécaniciens frigoristes ou encore les gestionnaires d’approvisionnement sont par exemple en nombre insuffisant. Or, le SCA n’a qu’une maîtrise partielle de la politique de ressources humaines concernant ces spécialités et doit travailler en étroite coordination avec l’armée de Terre, qui dispose de certaines de ces spécialités, notamment au sein du 14ème régiment d’infanterie et de soutien logistique parachutiste (RISLP) à Toulouse.
● Pour gagner en réalisme, le commissaire général Christophe Daurel, officier général en charge de la transformation opérationnelle du SCA, a reconnu que l’idéal consisterait effectivement à « jouer » une phase de projection sur le terrain, si possible en dehors du territoire national. À cet égard, l’édition ORION 26 pourrait inclure une projection d’éléments du SCA hors du territoire national. Ce constat vient confirmer les propos tenus par le général Métayer « Félicitons-nous de cette réussite et de cette agilité, mais n’oublions pas que nous agissions à domicile, situation qui affranchit de nombre de contingences que nous aurions connues à l’étranger, notamment dans un pays à l’architecture économique dégradée. ([23]) » La difficulté est liée à l’intégration du fait logistique de façon réaliste dans toutes ses dimensions. En particulier, la question des affaires mortuaires est fondamentale : la prise en compte de pertes massives au combat, constitue une véritable contrainte de logistique opérationnelle, outre les complexités administratives qui s’y rajoutent. Ce sujet n’est guère aisé à simuler dans le cadre d’exercices, ce d’autant plus que les armées auraient perdu l’habitude de procéder à des entraînements logistiques de façon vraiment réaliste.
3. Une prise en compte des enjeux du combat M2MC à poursuivre
Sur le plan de la doctrine, ORION 23 a constitué la première expérimentation grandeur nature de la notion de combat M2MC. L’exercice a permis de faire descendre le M2MC du niveau stratégique, jusqu’aux états-majors de niveau opératif, tandis que la lutte informatique d’influence et le cyber ont pu descendre vers le niveau tactique. L’effort doit dorénavant porter sur l’intégration des effets réalisée dans chacun de ces milieux et champs. Toutefois, la trajectoire historique M2MC, rendue accessible par les atouts techniques, demeure ambitieuse pour les personnels. Il ressort des auditions menées par vos rapporteurs qu’il existe encore une étape à franchir pour passer de la juxtaposition des effets à la pleine intégration de ceux-ci.
La prise en compte des enjeux du combat M2MC jusqu’au niveau tactique a constitué un défi. L’intégration des effets M2MC concerne tous les niveaux du C2. Elle est à la fois stratégique, opérative et tactique. L’enjeu est de pouvoir maintenir le bon ratio de délégation et de subordination entre ces trois niveaux, de garantir la plasticité du commandement avec l’agilité requise au regard de l’évolution de la situation, et de conserver la parfaite maîtrise de l’interaction entre les composantes des milieux et champs. Les processus expérimentés pendant ORION O2 dans la pratique du M2MC ont montré les apports d’une démarche en plateau réunissant des représentants de l’ensemble des composantes. Il est maintenant nécessaire de capitaliser sur ces expérimentations, en les mettant en situation dans le cadre d’un exercice en M2MC, où le niveau opératif serait pleinement joueur.
Les composantes cyber et spatiales ont été intégrées au cœur même du centre d’opérations. ORION a notamment permis de mieux appréhender l’importance de la lutte informatique défensive pour appuyer les opérations.
a. Le caractère indispensable de la supériorité spatiale
L’édition 2023 d’ORION a permis de confirmer le caractère indispensable de la supériorité spatiale en intégrant au scénario d’ensemble l’exercice AsterX 23 ([24]). Ainsi, le milieu spatial est souvent décrit comme un « démultiplicateur de force » pour les opérations militaires qui ont recours à des moyens de renseignement, de communication, de géolocalisation, de navigation ou de synchronisation reposant sur des capacités spatiales.
● Il ressort des auditions menées, que l’exercice Orion23/AsterX23 a permis la très bonne intégration du domaine spatial à la campagne interarmées. Centré sur l’intégration, l’interopérabilité et la coopération, l’exercice s’est conduit en étroite association avec les unités et opérateurs du Commandement de l’espace (CDE), mais également avec ses partenaires institutionnels, industriels et commerciaux - soit les trois armées, la DRM, le CNES, ONERA et les industriels de défense et partenaires étrangers. Au total, selon les informations fournies à vos rapporteurs, AsterX23 aura concerné 240 personnes. Aussi, la composante spatiale est-elle intervenue en soutien des opérations M2MC au profit de l’ensemble des armées, directions et services et a concerné toutes les unités opérationnelles du Commandement de l’espace (CDE). Quelques 5 000 objets spatiaux ont été simulés, dont vingt capteurs dédiés à l’appui spatial aux opérations pour faire face à dix types de menaces différentes. Les objectifs étaient de préparer les unités et directions aux opérations spatiales militaires, concourir à la pleine intégration du spatial dans les opérations M2MC et intégrer les industriels du secteur spatial et les partenaires étrangers.
● L’exercice a permis de démontrer, d’une part, le caractère indispensable des capacités d’action dans l’espace et de souligner, d’autre part, que l’espace est un domaine de conflictualité à part entière, au sein duquel la liberté d’accès et d’action conditionne les rapports de force des milieux physiques notamment au travers de son appui aux opérations (navigation, communication, renseignement, etc.). Comme le résumait le général Métayer ([25]) : « La manœuvre spatiale conditionne les rapports de force des milieux physiques. Tout part de là. Dans le rapport de force général avec un adversaire, qu’il s’agisse de nos communications, de nos vulnérabilités ou du renseignement spatial, tout part du champ spatial, se décline dans les différents champs et se termine au niveau terrestre. Tout est lié. »
De plus, le scénario d’ORION 2023 a mis en évidence le fait que l’espace ferait certainement partie des toutes premières capacités ciblées en cas d’affrontement de haute intensité. En effet, selon les personnes auditionnées, dans l’hypothèse d’un engagement majeur, une confrontation entre puissances disposant de capacités spatiales s’étendra très certainement à l’Espace dès les premières heures, chacun cherchant à dénier à l’adversaire l’usage de ses capacités spatiales et à le priver de cet avantage décisif que constitue la liberté d’action dans et depuis ce milieu. Actions cyber - à l’instar de celles qui se sont révélées dès le premier jour du conflit ukrainien sur les services spatiaux livrés par la constellation KaSat de l’opérateur ViaSat -, sabotage, brouillage, renseignement, déni de service, et neutralisation physique partielle ou destruction totale, sont autant de modes d’action qui pourraient être mis en œuvre à l’encontre des moyens spatiaux (en orbite ou sur la composante sol). Certaines de ces menaces sont d’ores et déjà une réalité, comme en témoignent les récentes démonstrations de missiles antisatellites (Chine en 2007, États-Unis en 2008, Inde en 2019 et Russie en 2021), l’espionnage du satellite Athéna-Fidus par le satellite russe Luch-Olymp en 2017 ou le développement de lasers dits d’éblouissement visant à aveugler des satellites d’observation.
● Sur le plan capacitaire, ORION a confirmé les orientations stratégiques capacitaires du CDE, notamment concernant le programme à effet majeur ARES (Action et Résilience spatiale) - lequel s’efforce de mettre en cohérence les moyens d’observation, de communication et d’action dans l’espace.
D’une manière générale, l’exercice Orion 2023 a mis en exergue le besoin en connectivité des forces lors d’un engagement de haute intensité M2MC. À cet égard, les armées sont fortement dépendantes de l’appui des moyens spatiaux, notamment pour pouvoir accéder en temps voulu aux données utiles à leurs opérations. La protection des ressources spatiales constitue alors un enjeu stratégique. À ce titre, le programme ARES vise au développement de moyens de défense active en orbite. Ce programme porte également le successeur du radar GRAVES (Grand Réseau Adapté à la Veille Spatiale), radar de surveillance très longue portée, et qui répond aux besoins de surveillance de l’espace tout en permettant de protéger les ressources spatiales des armées. Lors de son audition portant sur le retour d’expérience d’ORION devant la commission de la Défense, le général Métayer ([26]) avait notamment souligné le fait que : « dans le domaine spatial, il nous faut plus de capacités de communication, plus de moyens de renseignement et surtout protéger nos moyens spatiaux contre les capacités d’agression adverses ». Auditionné par vos rapporteurs, le CDE a indiqué appréhender cette question sous l’angle de la résilience et de la redondance de moyens dont il dispose face aux potentielles attaques. En matière de communication, si les capacités sont techniquement excellentes, il apparaît important dans les années à venir de faire effort sur la redondance des moyens pour rendre le dispositif plus robuste. Ainsi, lorsque les moyens spatiaux sont entravés, les armées doivent rechercher la résilience des services rendus au travers de coopérations permettant une redondance des moyens spatiaux, mais également via une complémentarité avec des systèmes non spatiaux. Comme l’ont évoqué précédemment vos rapporteurs, il convient ainsi de conserver les capacités et d’entretenir des aptitudes permettant l’accomplissement des missions dans des conditions d’appui spatial dégradées.
● Lors de la prochaine édition de l’exercice ORION, le défi pour l’armée de l’air et de l’espace et le CDE, sera de franchir un pas supplémentaire en termes de préparation opérationnelle à travers la mise en œuvre d’un scenario plus complexe, selon le général Philipe Adam. Il s’agira d’aller au-delà de l’aspect conceptuel qui a majoritairement présidé à l’édition 2023. ORION 2026 sera également l’occasion de tester les nouveaux équipements acquis. « L’audace de la tactique » et la coopération interarmées et interalliée pourront, en particulier, être approfondis dans le cadre d’un scénario plus complexe. Enfin, il s’agira d’évaluer plus finement la résilience des capacités spatiales. La synergie développée au cours du jeu avec les opérateurs civils (CNES, ONERA et industriels) a été motrice, car elle a permis de faire émerger des solutions opérationnelles innovantes. Les réflexions menées sur les capacités des vecteurs utilisés lors de l’exercice ont par exemple permis de dégager des propositions d’emploi nouvelles (mobilité dans l’espace, usage de l’électronique de bord, etc.), permettant ainsi de simuler et de tester des schémas tactiques novateurs. Lors d’Orion/AsterX23, ces partenaires civils étaient regroupés au sein d’une cellule baptisée « Commercial Integration Cell (CIC) » ; la création d’une CIC plus pérenne mériterait d’être étudiée.
b. Éprouver la résilience des forces face à des attaques cyber nombreuses et variées.
La deuxième phase d’ORION comportait un volet cyber dont l’objectif principal visait à mettre à l’épreuve l’efficacité et la cohérence des actions des chaînes de lutte informatique défensive (LID) du ministère des armées et d’éprouver la résilience des forces face à des attaques cyber nombreuses et variées.
● L’exercice ORION 23 a été la première occasion pour le Commandement de la cyberdéfense (COMCYBER) de participer à un exercice véritablement conjoint avec les trois armées dans une dimension M2MC. Cet exercice était particulièrement utile dans la mesure où le Cyber, à la croisée des champs et des milieux, constitue une véritable « rotule » du combat M2MC. La participation du COMCYBER à ORION s’est faite par l’intégration d’un centre opérationnel cyber au sein du commandement opératif de la base de Lyon-Mont Verdun afin de tester les structures et interagir avec les états-majors des autres armées. Pour la lutte informatique offensive (LIO) et la LID, le COMCYBER a simulé plusieurs incidents impliquant la mise en œuvre d’une chaîne d’alerte (engagement d’un groupe d’intervention cyber et remédiation).
● ORION 2023 avait ainsi une visée pédagogique et a permis la réalisation de progrès notables dans l’acculturation des armées directions et services aux enjeux cyber. Lors de son audition devant la commission de la Défense nationale et des forces armées sur le retour d’expérience d’ORION, le général Métayer avait souligné cette dimension pédagogique permettant de mettre en lumière l’apport de la cyberdéfense à une force en haute intensité : « Il est venu à la rencontre des composantes tactiques qui s’étaient saisies du fait cyber, sans être véritablement capables de l’utiliser. Nous avions du mal à définir ce qui relevait du niveau des compétences stratégiques du Comcyber et ce qu’une composante tactique pouvait réaliser en effets cyber à son niveau. Le fait que le Comcyber soit descendu à la rotule du contrôle d’exercice à Lyon-Mont-Verdun a permis à tout le monde en même temps de comprendre comment cela pouvait s’articuler et quelles étaient les opportunités tactiques d’action cyber. » Par exemple, la mise en œuvre d’une action combinée mobilisant une cyberattaque et un commando de forces spéciales a permis aux participants de mieux comprendre le rôle du Comcyber en matière de lutte informatique et d’expliquer la nécessité d’une cohérence stratégique. Selon le général Aymeric Bonnemaison, commandant de la cyberdéfense, auditionné par vos rapporteurs : grâce à ORION 23, la France est probablement, après les États-Unis, le premier État à avoir intégré aussi rapidement le champ cyber dans ses manœuvres militaires. Le cyber recèle des spécificités et ne peut toutefois donc pas être utilisé comme les autres milieux plus classiques.
● Si ORION 23 a été le déclencheur de la prise de conscience à tous les niveaux, et a à ce titre été un succès, le défi réside maintenant dans la mise en œuvre et dans la planification suffisamment en amont des éventuelles opérations envisagées. Si la doctrine cyber est selon le général Bonnemaison déjà bien construite, ce sont surtout les volets mise en œuvre, ressources humaines et équipements qui nécessitent des progrès, avec un besoin de flux d’équipements plus rapides. En particulier, s’agissant de la LID, d’une part, il a été constaté que les processus étaient déjà en place du fait de l’expérience en la matière acquise grâce aux exercices DEFNET menés depuis dix ans. Toutefois, ORION a mis en lumière un nécessaire effort à mener sur la véritable prise en compte des incidents cyber par les unités tactiques, afin d’adapter leur manœuvre sur le terrain.
Afin de poursuivre la dynamique initiée par l’exercice ORION, dans un souci de cohérence et d’efficacité, la création d’une « communauté cyber des armées » sous l’égide du COMCYBER a été décidée fin 2023. Il a été demandé à chaque chef d’état-major d’identifier ses propres unités cyber, qui ont ensuite été regroupées. Le rôle du COMCYBER sera d’assurer la cohérence entre les différentes composantes, orienter les unités et les accompagner dans la montée en gamme de cette communauté via l’acquisition de matériels, notamment d’équipements sur étagère et la diffusion de bonnes pratiques. Dix unités ont à ce jour été regroupées – six de l’armée de Terre, deux de la Marine nationale et deux de l’armée de l’Air et de l’Espace – mais d’autres ont vocation à les rejoindre, l’initiative étant déjà un succès.
● Pour ORION 2026, selon le COMCYBER, il serait souhaitable de mettre davantage en difficulté les systèmes d’informations et réseaux utilisés dans le cadre de l’exercice, d’augmenter le réalisme, par exemple, en mettant véritablement hors-jeu un véhicule qui aurait fait l’objet d’une cyber-attaque. Il est en effet nécessaire que les différents échelons de commandement s’entraînent à s’adapter en temps réel et à contrer les menaces. S’agissant de la LIO, d’autre part, une simulation d’attaque a été réalisée sur un système d’arme (MAMBA) lors d’ORION 23 dans un but pédagogique. Les systèmes nationaux ont beau être très protégés, il faut en effet intégrer l’éventualité qu’ils puissent ne pas être disponibles en permanence en cas de guerre. L’efficacité de la LIO suppose d’acquérir en amont du renseignement très précis et détaillé afin de connaître les systèmes adverses, détecter leurs failles, développer des outils sur-mesure pour les pénétrer, récupérer leurs données ou les leurrer à des fins de falsification de la perception de l’adversaire. Une anticipation très importante est nécessaire pour parvenir à déclencher l’attaque, tandis que la réussite de celle-ci ne peut jamais être certaine a priori. Si ORION 23 a permis d’entraîner les forces armées à agir sous menace cyber, et a dans l’ensemble confirmé les axes du COMCYBER, ORION 26 devra permettre de descendre dans les niveaux tactiques en recourant davantage à des actions offensives afin de faire ressortir la plus-value attachée aux attaques des systèmes adverses.
c. La lutte informatique d’influence au défi du réalisme
Au-delà du caractère de signalement stratégique de l’exercice, l’influence a également été « jouée » au sein même de l’exercice. Aussi, pour simuler les opérations d’influence, un réseau social fictif et fermé a été mis en place. Comme l’indiquait le général Métayer « Concernant la lutte informationnelle, des boîtes civiles nous ont créé de faux espaces de réseaux sociaux dans lesquels les gens se sont battus sans créer des perturbations, sans faire apparaître sur Twitter, sans la mention « exercice », des informations inquiétantes comme celles diffusées sur les ondes de la CBS par Orson Welles, adaptant La Guerre des mondes, sur l’arrivée d’extraterrestres aux États-Unis[27]. »
Toutefois, l’entraînement à la lutte informationnelle s’est heurté à certaines limites bien compréhensibles en termes de réalisme. La difficulté réside notamment dans la planification, dès lors qu’il est possible d’identifier les comptes de réseaux sociaux qui n’ont été créés que tardivement.
Pour la lutte informatique d’influence, qualifié par le général Métayer de « champ de bataille majeur », il conviendra en 2026 d’approfondir le travail entrepris afin de pouvoir évaluer l’impact réel sur les opérations des actions d’influence menées au profit de la force et contre l’adversaire. Des outils d’IA pourront probablement être mis à profit pour évaluer ces effets au sein de l’environnement informationnel qui restera simulé, afin d’éviter toute interaction néfaste et non maîtrisable avec les réseaux sociaux réels.
d. L’absence de « jeu » du champ électromagnétique
À la différence des autres milieux et champs du concept M2MC le champ électromagnétique n’a pas été incarné pendant ORION.
La maîtrise du champ électromagnétique et son caractère transverse n’ont pas été appréhendés au niveau opératif, alors même que les actions offensives et défensives dans le spectre électromagnétique peuvent avoir une influence majeure dans l’établissement des rapports de force et la délivrance des effets des systèmes d’arme. En effet, dans le domaine de la guerre électronique, l’empreinte électromagnétique des forces engagées génère des vulnérabilités, dont il convient de se protéger, tout en sachant exploiter celles de l’adversaire. Comme l’indiquait le général Métayer lors de son audition : « Dans le domaine de la guerre électronique, nous avons mesuré notre empreinte électromagnétique. En scannant la force, on voit où sont les PC et la logistique, et nous avons mesuré nos vulnérabilités. Toutefois « En dynamique, notamment dans une manœuvre, les forces pour la phase 4 n’étaient pas scrutées par des moyens de guerre électromagnétique qui, en temps réel, révèlent les fautes de comportement électromagnétique. Il faut aller plus loin dans le réalisme.[28] »
Selon les informations fournies à vos rapporteurs, cet état de fait s’explique notamment par des restrictions liées aux normes civiles, limitant de manière légitime le recours aux outils de guerre électronique (directivité des émetteurs, restrictions d’émission, etc.). Il ressort des auditions menées par vos rapporteurs qu’il apparaît important dans la mesure du possible de réinvestir ce champ dans la perspective d’ORION 2026.
II. Toutefois, au-delà de la préparation des armées, l’implication de l’ensemble de la Nation sera nécessaire pour faire face aux crises de demain
Au-delà du niveau d’entraînement des armées et de la performance des systèmes d’armes dont elles disposent, un engagement en haute intensité du fait de son ampleur, de sa durée et de ses potentielles rétroactions sur le territoire national généré par le développement de stratégies hybrides par nos compétiteurs, nécessiterait l’implication de l’ensemble de la Nation pour soutenir l’effort militaire.
La phase civilo-militaire d’ORION, appelée O3 et coordonnée par le Secrétariat général à la défense et à la sécurité nationale (SGDSN) et l’EMA tend à démontrer que cet effort concerne autant les administrations, les entreprises que les citoyens et doit faire l’objet d’un entraînement ad hoc, au même titre que la préparation opérationnelle des militaires. La séquence a mis en lumière la nécessité de se réapproprier les mécanismes civilo-militaires, de renforcer la coordination interministérielle dès le temps de paix et de disposer d’une structure de coordination permanente. Fort des conclusions de l’exercice, il a été décidé de réactiver la Commission interministérielle de défense nationale (CIDN). Vos rapporteurs estiment que ces travaux méritent d’être poursuivis, voire accélérés et étendus.
A. L’exercice ORION, point de départ d’une réflexion sur la défense globale
La question de l’implication des citoyens dans la posture de défense nationale ne constitue pas un sujet nouveau et fait écho au cycle d’auditions de notre commission portant sur la défense globale.
La phase 3 de l’exercice ORION semble en effet s’inscrire directement dans l’esprit de l’ordonnance du 7 janvier 1959, qualifiant la défense de « globale » et confiant à chaque ministère des responsabilités propres, sous la responsabilité du Premier ministre. Si dans la pratique, l’ordonnance de 1959 a été peu mis en œuvre, au-delà de sa dimension purement militaire ([29]), puis progressivement supplantée par la notion de « défense nationale », la séquence visait avant tout à la réappropriation par les administrations des mécanismes civilo-militaires « dont on avait perdu les automatismes depuis la fin de la guerre froide. » Selon le général Métayer, l’exercice ne constitue néanmoins qu’un point de départ devant donner lieu in fine à la recherche d’une implication plus large des citoyens. « La phase 3 visait le déclic interministériel, qui n’est qu’une première étape. Ensuite, il faudra sensibiliser les collectivités territoriales et, enfin, le citoyen. » ([30])
1. Inverser la logique : déterminer le soutien que la Nation pourrait apporter aux armées en cas de crise majeure
La troisième phase de l’exercice ORION avait vocation à éprouver l’efficacité de la réponse interministérielle en cas de crise de grande ampleur. À rebours de la conception selon laquelle la Nation devrait jouer un rôle accessoire ou essentiellement passif dans la défense du territoire, l’exercice visait à déterminer la manière dont la Nation serait en capacité de soutenir son armée pour maintenir durablement son effort militaire. En effet, selon Nicolas de Maistre, lors de son audition devant la commission de la défense « l’objectif n’est pas seulement de disposer d’une armée efficace mais aussi d’un outil étatique lui permettant de durer et d’accroître progressivement son effort. » ([31]) En somme, elle visait à répondre à la question suivante : « Quel soutien la Nation peut-elle offrir aux armées ? »
a. Le retour bienvenu d’une réflexion autour du concept de défense globale
● Si elle est partiellement tombée en désuétude, la notion de défense globale semble adaptée aux évolutions du contexte international marqué par la multiplication des menaces de toute nature, nécessitant l’implication de l’ensemble des forces vives de la Nation.
Pour mémoire, l’article 1er de l’ordonnance du 7 janvier 1959 ([32]) portant organisation générale de la défense dispose que la défense a pour objet « d’assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d’agression, la sécurité et l’intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population ». Comme le rappelle utilement le rapporteur de la mission d’information portant sur la résilience nationale ([33]), dans l’esprit des rédacteurs, la défense était conçue comme une « attitude générale des pouvoirs publics », devant irriguer l’ensemble des champs de l’action de l’État. Aussi l’ordonnance prévoit-elle explicitement que chaque ministre est « responsable de la préparation et de l'exécution des mesures de la défense incombant au département » dont il a la charge et est, à cette fin, « assisté, en ce qui concerne les départements autres que celui des armées, par un haut fonctionnaire désigné à cet effet ».
- La défense « armée » est ainsi dévolue au ministère chargé des armées, chargé de « l’exécution de la politique militaire, en particulier de l'organisation, de la gestion, de la mise en condition d'emploi et de la mobilisation de l'ensemble des forces ».
- Le ministère de l’intérieur est désigné comme responsable de la « défense civile », qui consiste en particulier à garantir « l'ordre public, de la protection matérielle et morale des personnes » et « la sauvegarde des installations et ressources d'intérêt général ».
- Le ministère chargé de l’économie doit quant à lui orienter « aux fins de la défense l'action des ministres responsables de la production, de la réunion et de l'utilisation des diverses catégories de ressources ainsi que de l'aménagement industriel du territoire ».
Pour décliner cette défense globale, les ministères s’appuient sur les hauts fonctionnaires de défense et de sécurité (HFDS). Deux structures interministérielles ont également été mises en place à des fins de coordination : le Conseil de défense, sous l’égide du chef de l’État et le Secrétariat général pour la défense nationale, devenu secrétariat général pour la défense et la sécurité nationale (SGDSN).
Bien que plus ancienne, la notion de défense nationale a progressivement supplanté le concept de défense globale. La défense nationale, apparue en 1870, vise ainsi à protéger contre toutes les menaces, caractérisées par des intentions hostiles et à visée politique des acteurs. Il est à noter que la menace se distingue du risque, qui est la simple possibilité d’un événement dommageable. En revanche, le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 élargit ce spectre en ayant recours au concept de sécurité nationale « qui associe sans les confondre la politique de défense, la politique de sécurité intérieure, la politique étrangère et la politique économique ». Ainsi définie, la stratégie de sécurité nationale vise à « parer aux risques et aux menaces susceptibles de porter atteinte à la vie de la Nation. » Cette dernière vise à protéger contre l’ensemble des menaces, c’est-à-dire les agressions intentionnelles (terrorisme, attaques cyber, frappes par de nouvelles armes, en particulier balistique, etc.), comme les risques non intentionnels (crises sanitaires, catastrophes naturelles et catastrophes technologiques, etc.) Il faut dorénavant y intégrer l’ensemble des risques et menaces y compris hybrides (manipulation d’informations, pressions économiques, contestations sociales violentes, lawfare, etc.).
La Revue Nationale Stratégique (RNS) de 2022 procède d’une ambition comparable. Si elle ne mentionne pas les concepts de sécurité ou de défense nationale, elle intègre les questions de sécurité économique, d’influence - qui accède au rang de 6e fonction stratégique, au côté de la dissuasion, de la protection, de l’intervention, de la prévention et l’anticipation, apparues dans le Livre blanc de 1994 pour les quatre premières puis dans celui de 2013 pour la dernière - ou de cyber-sécurité. Aussi, comme l’énonçait le Président de la République à l’occasion de la présentation de la revue nationale stratégique en 2022, « L’esprit de résilience, d’organisation, de planification doit irriguer nos ministères civils. De territoriale, la résilience de la Nation, notion fondamentalement interministérielle, doit désormais intégrer les nouvelles menaces que j’ai évoquées, qu’elles soient logistiques, énergétiques, environnementales, informationnelles, culturelles, psychologiques. » Il ressort en effet des auditions menées par vos rapporteurs que l’approche ne peut être aujourd’hui que globale devant les menaces multi-milieux et multi-champs aux effets multiples. Ce concept mobilisateur, bien qu’assez proche de celui de défense nationale en réalité, évoque directement l’engagement des ministères, des citoyens et de la sphère privée, en particulier des entreprises, dont les capacités de productions seront plus que jamais nécessaires en cas d’engagement de haute intensité.
Enfin, une défense globale rénovée incluant de nouveaux champs comme la protection de l’environnement pourrait même être envisagée. En effet, comme l’indiquait le secrétaire général à la défense et à la sécurité nationale, M. Stéphane Bouillon, « L’article 410-1 du code pénal mentionne les intérêts fondamentaux de la nation, dont fait désormais partie la préservation de l’environnement. Nous travaillons donc à une forme élargie de la défense globale, telle qu’elle existait en 1959. Il s’agit bien de renforcer la capacité de notre pays à préserver le territoire, la défense militaire et la défense civile, notre économie, mais aussi d’autres champs, comme l’environnement et surtout, nos libertés, les valeurs qui fondent la République. La notion d’intérêts fondamentaux de la nation devient un outil essentiel pour fixer le cadre de la protection de notre pays. » ([34])
● Selon les informations fournies par l’institution des hautes études de défense nationale (IHEDN), il convient en effet de distinguer les intérêts protégés par la défense nationale, les menaces pouvant surgir contre ses intérêts ainsi que moyens de les combattre.
Pour remplir son rôle, la défense nationale doit se concentrer sur les domaines contre lesquels les menaces seraient les plus susceptibles de porter atteinte à la Nation. Ces domaines sont ceux qui sont exposés à l’exercice de la puissance de nos compétiteurs ou de nos adversaires. Aux États-Unis, les dimensions de la puissance sont classiquement résumées par l’acronyme DIME : la puissance s’exerce par la diplomatie, l’information, les forces armées (The Military) et l’économie. Plus récemment, cet acronyme a été complété sous la forme MIDFIELD, pour ajouter la finance, le droit (Legal), le renseignement (Intelligence) et le développement. Cela rejoint l’analyse de Joseph Nye sur le soft power, qui met l’accent sur les dimensions économique, militaire et culturelle de la puissance ([35]). Ces réflexions sont encore assez proches de celles qui ont vu émerger le concept de menace hybride. L’UE ([36]) retient ainsi treize domaines dans lesquelles ces menaces s’exercent : infrastructure, cyber, espace, économie, armées, société, culture, administration, droit, renseignement, politique, information et diplomatie.
Le territoire, l’État et la population constituent le cœur de nos intérêts nationaux, mais ceux-ci ne s’y limitent pas. L’IHEDN regroupe les intérêts nationaux que protège la défense nationale dans trois champs : l’environnement international, l’économie et la société. Ces trois champs peuvent, d’une manière générale être l’objet de trois types de menaces de portée croissante, qui sont aujourd’hui souvent qualifiées de menaces hybrides : la manipulation, la coercition et l’agression.
- La manipulation, visant à orienter le comportement d’un pays en fonction des intérêts d’un autre acteur, sans que cela soit perceptible, par la désinformation, l’influence hostile, la subversion, la corruption ou l’ingérence.
- La coercition, « qui consiste à exercer des pressions […] pour la dissuader de commettre certains actes ou l’amener à changer de comportement sur la scène internationale » ([37]) par l’imposition de normes extraterritoriales à vocation politique plus qu’économique, l’instrumentalisation des dépendances économiques ou financières, un régime de sanction individuelles, sectorielles ou générales, ou même l’intimidation armée.
- L’agression, visant à s’en prendre directement à nos intérêts, qui peut relever de la captation de notre patrimoine scientifique ou technique par le rachat d’entreprises ou l’espionnage, des attentats terroristes ou des actes hostiles dans l’espace, des attaques cyber ou, in fine de l’agression militaire par des mouvements irréguliers commandités par un État hostile.
Toujours selon l’IHEDN, pour faire face à ces menaces, la défense nationale agit suivant quatre modalités principales :
- L’anticipation, qui passe par la connaissance de l’environnement, la prospective, le renseignement intérieur et extérieur, la formation des citoyens par l’éducation et le développement des compétences, en particulier pour les dirigeants.
- Le développement de la résilience, par la réduction des vulnérabilités sociales, économiques ou militaires, par la protection du secret, par le développement des forces morales par la préparation à la crise et l’augmentation de nos capacités de remontée en puissance après une crise.
- La réponse face aux menaces, par la protection du territoire et des populations, par celle des points d’importance vitale ou des entreprises contre les attaques cyber, par la persuasion, par l’emploi des sanctions ou de ripostes cyber et enfin par l’intervention contre les menaces, par exemple par le contrôle des investissements directs étrangers, par le contre-discours, par les lois de blocage ou la contre-ingérence ou encore par la lutte contre la prolifération.
- La contribution à la limitation des menaces par une action diplomatique dans les enceintes multilatérales généralistes (ONU) ou spécialisées, par une consolidation de l’Union Européenne et de l’Alliance atlantique et par, enfin, la disposition d’appareils militaires et diplomatiques crédibles.
Aussi, à travers la phase trois d’ORION l’efficacité des trois premières modalités d’action a pu être éprouvée.
b. Une démarche justifiée par l’apparition de crises multifactorielles et par le développement de stratégies hybrides par nos compétiteurs
Vos rapporteurs estiment que la démarche d’ORION 2023 se trouve entièrement justifiée par l’apparition de crises multifactorielles et le développement de stratégies hybrides qui ont pour conséquence de brouiller les délimitations précédemment établies entre les sphères civile et militaire.
Selon les personnes auditionnées, la phase civilo-militaire Orion 2023 pose la question fondamentale de la réponse de l’État face à la mise en œuvre de stratégies hybrides. Dans ce cadre, le sujet des rétroactions potentielles sur le territoire national est majeur. En effet, un compétiteur pourrait avoir pour objectif de priver notre pays de sa liberté d’engagement sur le territoire national, en forçant le Gouvernement à arbitrer entre la sécurité du territoire national ou le déploiement de forces à l’étranger, voire au recours au champ nucléaire. Ces déstabilisations pourraient, par exemple, prendre la forme d’une fragilisation des flux logistiques qui complexifierait les déploiements ou remettrait en cause la capacité de la France à endosser le rôle de Nation cadre.
Au-delà des capacités militaires, les infrastructures civiles pourraient également constituer des cibles dans l’objectif de miner la cohésion nationale. Le retour d’expérience des guerres hybrides démontre également le recours croissant à des « proxys » à des fins de propagande, de sabotage ou d’action cyber. Certaines manœuvres sont menées afin de perturber la cohésion nationale à travers, par exemple, la mobilisation des diasporas comme l’a démontré l’instrumentalisation des flux migratoires en Biélorussie. La gamme des rétroactions peut effectivement être très large. Comme l’indique le colonel Vieillard-Baron dans un article paru dans la Revue Défense nationale ([38]), prises isolément ces actions de déstabilisation n’auraient pas d’effet majeur mais c’est bien leur conjugaison, leur multiplication et leur dispersion sur l’ensemble du territoire qui représenter un défi pour les autorités politiques et militaires. Il est fort à parier que ces rétroactions accompagneront le conflit mais commenceront avant même l’engagement des forces pour tenter de peser sur la décision du Président de la République.
Aussi, l’approche aujourd’hui prônée par le SGDSN est-elle fondée sur une analyse « tous risques et menaces ». Ainsi, la menace hybride ne peut être exclue, et doit même être considérée comme la menace avec la plus forte probabilité d’occurrence. Il est indispensable de s’y préparer collectivement. Face à cette menace, l’approche doit être holistique et viser tant les opérateurs d’importance vitale (OIV), qui représentent des objectifs à haute valeur ajoutés pour des compétiteurs potentiels, que les PME/TPE qui constituent le cœur de l’économie et les citoyens qui sont les cibles principales des opérations de désinformation.
2. La phase « O3 », une séquence civilo-militaire inédite dans un exercice militaire d’une telle ampleur
● Ainsi, la conception de la phase 3 d’ORION est le fruit de la réunion de deux visions distinctes, mais complémentaires : d’une part, celle soutenue par les armées, relative à l’hypothèse d’un engagement majeur (HEM) et, d’autre part, celle du SGDSN, relative à l’élaboration d’une « stratégie nationale de résilience » (SNR), adoptée en avril 2022. Cette stratégie se décline en 73 actions pilotées par les ministères visant à renforcer la mobilisation collective pour renforcer la robustesse des services de l’État face aux chocs éventuels, comportant chacune des indicateurs concrets permettant de mesurer les résultats et l’efficacité de l’action publique. Les objectifs s’organisent autour de trois axes : préparation de l’État aux crises, renforcement des ressources humaines et matérielles du pays, adaptation de la communication publique.
L’enjeu d’une telle séquence était également de répondre à un éventuel décalage entre le niveau de préparation du ministère des Armées et la vision de ministères civils, moins familiers à la gestion de crises majeures. Comme le précisait M. Nicolas de Maistre lors de son audition devant la commission de la défense ([39]), face à la permanence de la menace terroriste et à la multiplication et à la superposition des crises « Longtemps, on a pensé qu’un simple coup de collier permettrait de revenir à la normale alors que nous enchaînons les crises et que l’état de crise devient donc permanent. Nous en tirons la conséquence que la crise relève structurellement du niveau interministériel. C’est pourquoi nous avons voulu, avec nos amis des armées, confronter ces constats au cadre nouveau créé par les tensions internationales et la guerre en Ukraine en vue de superposer leur logique et la nôtre. »
En effet, préparation des forces armées à la haute intensité et résilience du territoire national ne doivent pas être opposées. Un engagement majeur des armées hors du territoire national s’accompagnerait vraisemblablement d’une forte sollicitation des armées sur le territoire national, tant au titre de la solidarité stratégique (Host Nation Support, sécurisation zone arrière) qu’au titre de la gestion des rétroactions générées par l’adversaire (lutte informationnelle, sabotage, espionnage, subversion, etc.) ou encore de la continuité des activités essentielles à la Nation. Si l’ambition initiale de cette phase 3 de l’exercice ORION visait à renforcer la « contribution de la Nation au soutien des armées impliquées dans un engagement majeur à l’extérieur du territoire national », la réflexion finalement engagée s’est concentrée sur la « capacité à mobiliser la Nation pour faire face à une stratégie hybride ou indirecte d’un puissant compétiteur ». Selon le SGDSN, cette approche ciblée nécessite une plus importante coordination interministérielle pour allier efficacement défense civile et militaire dans l’ensemble des champs de conflictualité.
● L’exercice s’est déroulé en deux temps.
Dans un premier temps, la séquence a été préparée à travers la création de cinq groupes de travail dès septembre 2022, permettant à chaque joueur de dresser un état des lieux et de cartographier les outils mobilisables pour conduire une opération militaire d’envergure et parer ses conséquences induites sur le territoire national, en amont de la phase de restitution. Ce travail préparatoire a permis de créer des communautés interministérielles et rassembler des personnes qui n’avaient pas l’habitude de travailler ensemble autour de thématiques communes.
Dans un second temps, les groupes de travail ont été confrontés à des scenarii de crise. Afin de combiner défenses civile et militaire, un scénario multi-crises légèrement différent du reste de l’exercice a été « joué » dans l’objectif d’« aller au bout de la logique des stratégies hybrides ou indirectes, afin de mobiliser toutes les composantes de l’appareil d’État ». Le scénario – classifié - diffère de celui conçu pour l’ensemble de l’exercice mais conserve son esprit – hypothèse d’engagement majeur accompagnée de la mise en œuvre de stratégies hybrides, guerre civile dans un pays allié, recours à des milices et engagement de 20 000 hommes dans le cadre d’une coalition ad hoc hors OTAN, engendrant des déstabilisations dans l’hexagone par des rétroactions sur le territoire national. Comme le précisait M. Nicolas de Maistre ([40]) « Un pays allié connaissait une guerre civile dans laquelle des milices étaient soutenues par son puissant voisin doté de l’arme nucléaire. La France, dans le cadre d’une coalition européenne ad hoc, envoyait en soutien de premier échelon un volume de force habituel, ce qui est déjà de nature à mobiliser l’ensemble de l’appareil d’État, du fait notamment du niveau d’intensité de cet engagement, nous forçant à régénérer soldats et matériels. En réaction le voisin doté engageait contre nous une stratégie hybride en cherchant à déstabiliser un État tiers où se trouvait une grande communauté française, nous obligeant à les évacuer et à gérer la crise militairement et diplomatiquement. Il manifestait aussi la volonté de déstabiliser notre outre-mer au moyen d’une menace par des proxies depuis une lointaine île inhabitée, nécessitant l’envoi de moyens militaires et de sécurité intérieure et utilisait la palette complète des moyens de déstabilisation sur le territoire national : cyber, terrorisme, influence, manipulation de l’information. »
La méthode retenue a d’abord permis d’identifier des seuils, puis les outils mobilisables une fois les seuils franchis, dans l’objectif d’éprouver les limites des « joueurs » ainsi que leur résistance dans la durée.
B. La nécessité de renforcer la coordination interministérielle dès le temps de paix
Au-delà des enseignements capacitaires et organisationnels pour nos armées, vos rapporteurs ont dès lors souhaité analyser ci-après le retour d’expérience de la séquence civilo-militaire d’ORION.
En effet, la capacité des armées à relever le défi d’un engagement majeur est conditionnée à l’obtention d’un fort concours interministériel qui apparaît aujourd’hui incertain en raison de l’absence, de la méconnaissance ou de la désuétude des mécanismes permettant aux armées de recourir aux ressources de la Nation pour permettre un véritable appui des forces.
Il ressort des auditions menées que la conclusion principale de cet exercice est celle d’un besoin accru d’inter-ministérialité et de coordination face aux crises. La coordination civilo-militaire constitue pourtant l’un des enjeux principaux d’une réponse étatique efficace face aux crises majeures sur le territoire national. Cette dernière passe par l’anticipation (appréciation commune de la situation), l’entraînement (les exercices) et une bonne connaissance des structures mutuelles.
Aussi, vos rapporteurs estiment-ils que les travaux initiés dans le cadre d’ORION 3 doivent se poursuivre pour permettre à l’appareil d’État d’adapter son organisation au contexte stratégique. La réactivation de la commission interministérielle relative à la défense nationale (CIDN) pourrait offrir un cadre favorable à la poursuite de ces réflexions.
1. Les conclusions tirées des cinq groupes de travail
Vos rapporteurs ont souhaité analyser ci-après les principales conclusions des cinq groupes de travail présentées le 30 mars en présence du directeur de cabinet de la Première ministre, du chef d’état-major des armées et du secrétaire général du SGDSN.
Pour tester la capacité des différents acteurs mobilisés à tenir dans la durée, il a été décidé de jouer trois tours de l’exercice, rythmés par la diffusion d’un journal télévisé créé pour les besoins de l’exercice : le premier tour visant l’expression du besoin des armées ; le deuxième, quelques semaines plus tard, était destiné à faire le point et à définir les moyens d’accroître l’effort de soutien ; le troisième tour, en présence des autorités, visait les répercussions sur le territoire national.
Les groupes de travail portaient respectivement sur les thématiques suivantes : les soutiens et acheminements, piloté par l’état-major des armées (EMA) et le commissariat général aux transports (Comigetra) ; l’adaptation des normes et la dimension juridique, pilotée par le secrétariat général du gouvernement (SGG) ; les ressources humaines et la mobilisation de la réserve, pilotée par le secrétariat général de la garde nationale ; les rétroactions sur le territoire national, piloté par la cellule de coordination intérieur défense, et la communication gouvernementale, pilotée à la fois par l’EMA et le service d’information du Gouvernement (SIG).
a. Le soutien national à l’engagement des armées et les acheminements
Le groupe de travail, piloté par l’état-major des armées (EMA) et le commissariat général aux transports (Comigetra) s’est attaché à identifier les leviers mobilisables en soutien de l’engagement des armées en matière de transport (mobilisation de la flotte de transport, mise en œuvre de la convention transport ferré d’urgence, etc.), de santé (délestage des hôpitaux d’instruction des armées, accueil de blessés militaires dans le système civil, évacuations sanitaires massives, etc.) et de la mobilisation de ressources au profit des armées (procédures de marchés publics, approvisionnement en denrées civiles, mobilisation des stocks stratégiques de carburant, etc.).
i. Le soutien aux armées en matière de transport
● Selon les informations fournies à vos rapporteurs, les principaux points d’attention identifiés par le groupe de travail, résident dans l’organisation de la mobilité militaire - transit interalliés compris car il revient à la France de jouer un rôle privilégié en la matière, rôle qui lui est conféré dans les plans de l’OTAN –, dans le besoin de poursuivre les réflexions sur le développement de stocks stratégiques et dans la capacité de mobilisation de l’industrie.
● Le Comigetra constitue un modèle intéressant de coordination civilo-militaire en matière de transport, dont les moyens demeurent néanmoins limités.
Lors de son audition, M. Nicolas de Maistre, interrogé sur la manière de favoriser une plus grande dynamique civilo-militaire au sein des ministères avait pointé le modèle atypique du Comigetra. « Inclus dans le ministère de la transition écologique (MTE), le Comigetra est l’exemple d’une telle structure militaire et l’un des rares survivants de ces dispositifs. Nous avons plaidé en faveur du maintien, voire du développement de cette structure pour assurer une intrication civilo-militaire à l’intérieur du ministère. ([41]) »
Toutefois, il apparaît que les outils dont disposent la structure sont limités et certains processus de remontée d’informations depuis le secteur civil, sont tombés en relative désuétude. Ainsi, selon le général Métayer « Des chefs d’entreprise de compagnies de transport nous ont dit que si, jusque dans les années 1990, ils devaient rendre régulièrement un état de leur flotte et de sa disponibilité au commissariat général aux transports (Comigetra), qui le communiquait à la Défense, on ne leur demandait plus rien. Il faut réactiver ces mécanismes afin de savoir de quoi disposer dans le tissu civil, dans quelles conditions et comment y faire appel. » Vos rapporteurs s’associent à ce constat et plaident en faveur d’une amélioration des outils à la disposition du Comigetra, en travaillant notamment à lui conférer une vision sur la disponibilité actualisée des moyens de projection.
En effet, comme l’a précisé le lieutenant-colonel Jean-Charles Coste, auditionné par vos rapporteurs, la réappropriation de la connaissance de l’emploi de prestataires extérieurs dans des situations potentiellement dégradées, nécessitant des délais de mise en œuvre beaucoup plus restreints, est clé. Dans l’exercice de ses fonctions, le Comigetra peut s’appuyer sur une base de données appelée « Parades-Web », - programme d’aide au recensement et à l’activation des entreprises pour la défense et la sécurité civile - qui recense les entreprises de bâtiments et travaux publics, de transport routier, de travaux forestiers et de dépollution les plus significatives, et identifie leurs compétences et capacités en moyens et personnels en vue d’une potentielle réquisition. En effet, en application des articles R. 1336-1 et suivants du code de la défense, les ministres chargés des transports et de l’équipement ont la responsabilité de la préparation et de l’exécution des mesures de défense et de sécurité concernant les transports et les travaux publics et le bâtiment. La base de données Parades-Web recenserait environ 12 000 entreprises susceptibles d’être mobilisées en situation de crise ou de défense ([42]). Selon le lieutenant-colonel Jean-Charles Coste, « Ces outils seraient mobilisés, le cas échéant, pour venir en appui, du transit, soit d’une force alliée, soit de nos propres forces, avec un fort point d’attention sur la disponibilité de très gros porteurs aériens. » Toutefois, comme le rappelle le général Yann Latil dans un article paru en 2019 dans la Revue Défense nationale (RDN) ([43]), il n’est pas certain que ces moyens, certes virtuellement importants, soient directement opérationnels et employables, car les entreprises ne font aujourd’hui « pas l’objet de préparation spécifique à la défense militaire » et « si ces entreprises disposent du savoir-faire technique et du matériel nécessaire, l’intégration dans une manœuvre militaire nécessiterait encore bien des efforts de mobilisation, d’adaptation, de préparation, d’entraînement et de doctrine. »
● Le groupe de travail a également permis de se réapproprier la convention des transports ferroviaires urgents, conclue entre le ministère des armées et celui de la transition écologique et de la cohésion des territoires, qui permet aux forces, à travers le CSOA, d’obtenir des sillons dans un délai allant de soixante-douze à cent vingt heures. En effet, toujours selon le lieutenant-colonel Jean-Charles Coste « L’outil existe, nous ne sommes pas démunis, nous pouvons réserver des sillons ferrés. C’est perfectible et l’objet d’Orion 3 est d’identifier les travaux à conduire plus durablement après échange entre les différents partenaires concernés. » Vos rapporteurs tiennent à souligner le caractère fondamental du transport par voie ferroviaire, notamment dans le cadre du renforcement des missions opérationnelles menées par la France sur le flanc Est de l’Alliance, avec « 75 % des ressources acheminées vers le flanc est de l’Europe le sont par la voie ferrée ([44]) ». En dehors des situations d’urgence, en temps de paix, les délais – bien qu’en réduction depuis février 2022 -, apparaissent toujours élevés au regard des impératifs opérationnels. Comme l’indiquait le lieutenant-colonel Yves Lamaty, commissaire militaire aux chemins de fer : « au début de la crise ukrainienne, nous avons dû agir très vite et la plus grande partie des matériels est partie en avion ; dans les mois qui ont suivi, cependant, le général a constaté une inertie s’agissant du recours à la voie ferrée, en raison de délais trop longs et d’un léger manque de réactivité. Après un travail collaboratif de plusieurs mois entre Fret SNCF et le ministère des armées, nous sommes parvenus à améliorer nos circulations. Les délais de commande des trains sans avis de transport exceptionnel ont été divisés par trois, passant de quarante-cinq à quinze jours ([45]). » Par ailleurs, vos rapporteurs estiment que les difficultés liées aux divergences de normes pour l’acheminement par voie routière, comme l’exemple en a pu être donné en Allemagne – qui a refusé l’autorisation de passage des porte-chars français transportant des chars Leclerc vers la Roumanie, évoquant une réglementation européenne et un poids à l’essieu trop important -, nécessiteraient également de faire l’objet d’une harmonisation plus poussée et d’une réflexion dédiée dans le cadre du groupe de travail.
● Au-delà de la capacité à basculer dans une « économie de guerre », la capacité à agir en synergie avec les opérateurs privés et à identifier les moyens de développer des partenariats mutuellement fructueux reste à développer. C’est pourquoi le SGDSN recommande de dépasser la seule notion de base industrielle et technologique de défense (BITD) pour évoquer celle, plus large, de la « base industrielle de combat » (BIC). Selon la définition donnée par le SGDSN, le concept n’est pas entièrement superposable à la base industrielle et technologique de défense, entièrement dédiée à la fourniture de systèmes d’armes, mais se réfère à l’ensemble du matériel nécessaire à la projection. Le concept recouvre la capacité à produire et mobiliser toutes les denrées et ressources dont auraient besoin les armées dans le cadre d’un scénario de HEM et qui ne sont pas couvertes par le périmètre actuel de la BITD Associé aux réflexions du groupe de travail, le principal point d’attention pour le SCA demeure en effet la robustesse de sa base industrielle, constituée majoritairement de petites et moyennes entreprises. Afin d’être en mesure d’honorer sa mission de soutien à l’engagement, le SCA doit garantir une robustesse du tissu industriel, ce qui implique de travailler sur la maîtrise de l’ensemble de la chaîne de sous-traitance et sur les capacités de stockage en amont - par exemple, s’agissant des matières premières servant à confectionner les treillis. Le SCA doit également être en capacité de garantir à ses fournisseurs un flux de commandes annuelles pour leur permettre d’entretenir leurs chaînes de production. La dualité du périmètre d’intervention du SCA rend, dès lors, nécessaire de concilier un soutien en régie - indispensable en cas de haute intensité - et une part d’externalisation pour certaines prestations qui le permettent afin de libérer du temps pour des activités qu’il n’est pas envisageable d’externaliser - si l’on peut envisager que les restaurants sur le territoire national soient gérés sous la forme de concessions, ce n’est pas le cas du soutien en cas de HEM. Toutefois, selon les informations fournies à vos rapporteurs, lors de la crise sanitaire de la Covid-19, aucune des sociétés de restauration concessionnaires du SCA n’a été victime de défaillance, révélant ainsi la robustesse du dispositif externalisé.
Enfin, le nouveau dispositif de réquisitions inscrit dans la loi de programmation militaire 2024-2030 doit également apporter une réponse au soutien national à l’engagement.
S’agissant des moyens sanitaires, face à un volume élevé de blessés au combat induit par un engagement majeur, la mobilisation des établissements de santé civils, voire de la médecine privée, sera indéniablement nécessaire et devra être travaillée en complément de la poursuite des développements des capacités d’évacuation massives de blessés.
● Comme le constatait M. Nicolas de Maistre, les moyens des armées en matière sanitaire sont limités et n’apparaissent pas suffisamment dimensionnés pour faire face à un engagement majeur, sans le soutien de la médecine civile : « dans le domaine sanitaire, nous connaissons les difficultés d’accès, pour réaliser des projections humanitaires ou de soutien à un allié, à certains vecteurs maritimes ou aériens. Il faut donc veiller en amont à la complémentarité des moyens entre moyens privés et patrimoniaux. Nous devons également envisager l’organisation de la reprise en main des hôpitaux d’instruction des armées par le ministère des armées incluant un transfert de la patientèle vers le milieu civil, des évacuations massives de blessés et leur traitement. »
● Auditionné par vos rapporteurs sur les moyens de renforcer la coordination entre médecines civile et militaire en cas de crise majeure, le SSA a indiqué que pour faciliter cette coopération, le SSA devait en quelque sorte « aider » le système de santé publique à soutenir la médecine militaire. Ainsi, le rôle du SSA consisterait, d’une part, à absorber au maximum, depuis le théâtre d’opérations jusqu’au territoire national, l’afflux initial des blessés pour laisser le temps au système civil de se préparer ; d’autre part, à s’organiser de manière à rendre le plus stable possible le transfert de blessés vers les hôpitaux civils, et, enfin, d’effectuer les soins militaires en amont, c’est-à-dire « démilitariser les blessures » pour faciliter leur prise en charge par les hôpitaux civils et ainsi se dispenser de former les chirurgiens civils à la chirurgie de guerre.
Par ailleurs, des réflexions ont été initiées avec le ministère de la Santé et des Solidarités au sujet des approvisionnements stratégiques. Les enjeux relatifs aux approvisionnements et au renforcement des stocks stratégiques, en particulier en ce qui concerne les produits médicaux, sont en effet cruciaux pour durer en cas d’engagement majeur. Pour identifier les vulnérabilités sur la chaîne d’approvisionnement de manière efficace, il est nécessaire de pouvoir décomposer les chaînes de production, les cartographier afin d’en identifier les facteurs limitants et établir une liste des produits critiques. Plus spécifiquement au sujet des stocks, le médecin-général Czerniak a suggéré de réfléchir sur la possibilité de « préproduction » en vue du stockage de certains composants.
● Comme l’affirmait le général Métayer, il convient en réalité d’inverser la perspective qui a prévalu pendant la crise de la covid 19, au cours de laquelle les armées sont intervenues en soutien à l’offre de soins civile : « Aujourd’hui, la santé publique compte sur les hôpitaux d’instruction des armées pour contribuer à l’offre de soins, mais en hypothèse d’engagement majeur, non seulement elle ne peut plus compter sur les hôpitaux d’instruction des armées (HIA), mais elle doit faire tout ce que les HIA ne font pas, accueillir toute la patientèle civile qui allait dans les HIA et accueillir nos flux de blessés. Le système de santé civil doit impérativement anticiper et planifier cette situation. » Aussi, devant l’ampleur de la tâche, vos rapporteurs estiment-ils qu’un groupe de travail dédié associant le ministère des solidarités et de la santé et le SSA, pourrait être constitué sur les questions sanitaires, distinct du groupe acheminement et transport car ces problématiques sont bien plus larges que le prisme de la logistique et du transport des blessés.
En revanche, interrogé par vos rapporteurs sur la pertinence de transposer en France le modèle des paramedics pour renforcer le système de santé, tel que le suggérait le général Métayer ([46]) lors de son audition, le médecin-général Czerniak a expliqué que cette profession n’avait pas d’équivalent aujourd’hui dans le monde civil. En conséquence, créer au sein du SSA un métier analogue à celui des paramedics soulèverait des difficultés réglementaires notamment en ce qui concerne l’habilitation des personnels de santé militaire à exercer dans le secteur civil. Pour cette raison, le médecin-général a soutenu l’importance que chaque métier du SSA ait un équivalent dans le système de santé civil.
b. L’adaptation des normes et la dimension juridique
S’agissant du volet juridique, la dichotomie entre temps de paix et temps de guerre n’apparaît plus aujourd’hui adaptée, notamment pour faire face à l’émergence de stratégies hybrides, selon le SGDSN.
Il ressort avant tout des travaux du groupe de travail le besoin de disposer d’une coordination interministérielle d’autant plus étroite que la crise est importante et de s’entraîner à mettre en œuvre les mécanismes juridiques, à la manière d’un « maintien en condition opérationnelle » des dispositifs de gestion de crise. Face à l’émergence de possibles stratégies hybrides, il semble également important de travailler sur la définition de situations de référence, partagées au niveau interministériel. Celles-ci permettraient, à l’instar des niveaux Vigipirate, d’objectiver la dégradation de la situation sécuritaire et l’activation de certaines mesures à droit constant - à travers, par exemple, la mise en place de dispositifs de coordination, la montée en puissance de certains soutiens, le recours ou l’augmentation de certains stocks stratégiques, la mobilisation des réserves, l’utilisation des régimes dérogatoires, etc. - et de repousser au maximum la mise en place d’éventuels régimes d’exception. Une telle démarche permettrait de faciliter la mobilisation de l’ensemble des champs ministériels, voire à terme des collectivités locales et des citoyens, dès les premiers temps de compétition face à un adversaire agissant « sous le seuil de conflictualité ». Comme le résumait Nicolas de Maistre, « Nous avons, en effet, d’abord besoin de mettre en place un continuum permettant à la France de s’adapter, sans heurt et sans rupture, à toutes les situations, puisque les conditions historiques ont changé. » ([47])
● Le groupe de travail s’est, tout d’abord, accordé sur la relative inadaptation des états d’exception prévus par la Constitution, dans l’hypothèse d’un engagement majeur impliquant un affrontement indirect avec une puissance dotée et se traduisant par la multiplication de zones de conflictualité contre les intérêts français à l’étranger, en outre-mer et en métropole, qu’il s’agisse de l’état de siège (article 36 de la Constitution), du régime dit des pouvoirs exceptionnels (article 16) ou bien de l’état d’urgence (loi du 3 avril 1955). Aussi, selon M. Antoine Pavageau, du secrétariat général pour le Gouvernement (SGG), « Notre premier constat est que la mobilisation des états d’exception traditionnellement attachés à la dimension militaire apparaît impossible ou, pour ce qui est de l’état d’urgence, d’un intérêt relatif. ([48]) » En effet, d’une part, l’état d’urgence ne pourrait être activé que dans le but de limiter certaines rétroactions du conflit sur le territoire national se traduisant par des troubles importants à l’ordre public (manifestations violentes, sabotage, actes de terrorisme), mais ne permettrait aucune facilité pour résoudre les problèmes propres à l’hypothèse d’engagement d’envergure. D’autre part, l’état de siège ne serait pas mobilisable dès lors qu’il suppose des combats se déroulant sur le territoire national. En, effet, selon le code la défense « L'état de siège ne peut être déclaré, par décret en conseil des ministres, qu'en cas de péril imminent résultant d'une guerre étrangère ou d'une insurrection armée. » (Article L2121-1). Enfin, l’article 16 de la Constitution suppose qu’il existe des troubles d’une particulière gravité sur le territoire national - soit des menaces « graves et immédiates » sur les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux, ainsi que l’interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels -, ce qui ne correspond pas à l’hypothèse retenue dans le cadre du scénario de l’exercice Orion.
● En revanche, les membres du groupe du travail ont considéré que la gradation des régimes juridiques prévus par le code de la défense, tels que modifiés par la loi de programmation militaire 2024-2030, en particulier les régimes dit de « mise en garde » et de « mobilisation générale », étaient susceptibles de constituer un cadre juridique plus adapté, sous réserve de leur clarification et au prix d’une réappropriation par les acteurs concernés en interministériel. Des incertitudes fortes demeurent néanmoins quant aux modalités de leur mise en œuvre et nécessiteraient d’être dissipées.
En effet, les régimes juridiques de la mise en garde et de la mobilisation générale ([49]) permettent au Gouvernement de se doter de prérogatives adaptées à une crise majeure et seraient susceptibles d’être activés successivement selon l’intensité de la crise. Ils permettent notamment la réquisition des biens, des services et des personnes, d’assurer le contrôle et la répartition des ressources en énergie, matières premières, produits industriels et produits nécessaires au ravitaillement ; de rappeler ou de maintenir en activité les réservistes opérationnels des armées ou d’activer les dispositions du code de justice militaire relatives aux temps de guerre. Comme le rappelait M. Antoine Pavageau, cette gradation résulte d’une évolution profonde de la perception de l’évolution des menaces dans le code de la défense, rompant progressivement « avec la distinction entre temps de paix et temps de guerre », à compter notamment du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 avec « la mise en place d’une stratégie de sécurité nationale (qui) a ouvert un droit de la crise, lequel se traduit par un ensemble de régimes juridiques caractérisé par une gradation de la montée en puissance dans des situations en deçà de l’état de guerre. »
Par ailleurs, en amont du déclenchement de ces régimes, plusieurs mesures de défense sont mobilisables pour assurer la continuité de la vie de la Nation ou pour garantir la protection de l’ordre public pour des événements isolés et de moindre intensité. En premier lieu, plusieurs dispositifs garantissent la résilience de la Nation, de manière permanente, à travers le régime de protection des activités d’importance vitale, qui devrait s’enrichir avec la transposition prochaine des directives « REC » et « NIS2 » sur la résilience des entités critiques et de leurs systèmes d’information, ou de manière ponctuelle, avec les plans de continuité d’activité et la planification de défense et de sécurité nationale (Vigipirate, NRBC, pandémies, etc.). En deuxième lieu, il est possible de s’appuyer sur le droit en vigueur qui a été récemment renforcé par la loi de programmation militaire, pour assurer le maintien des activités essentielles à la vie de la Nation. Le régime des réquisitions relevant du code de la défense a ainsi été modernisé afin de faire face à une menace prévisible pesant sur la vie de la Nation et aux situations d’urgence mettant en cause la sauvegarde des intérêts de la défense nationale, indépendamment même de toute menace pesant sur la vie de la Nation. De la même manière, l’État peut constituer des stocks stratégiques des matières ou composants d’intérêt stratégique pour les armées ainsi que recourir à la priorisation de la livraison de biens et services au bénéfice des armées. En dernier lieu, le droit commun comprend plusieurs dispositions sectorielles tenant compte des intérêts de la défense susceptibles d’être mobilisées de manière ponctuelle en temps de crise : réglementation de l’importation de pétrole brut, mesures de blocage des prix motivées par une situation de crise, au moyen d’un décret pris en Conseil d’État, convocation de la réserve sanitaire, reprise par le ministère de la défense des hôpitaux des armées, activation du plan blanc, répression pénale pour mettre hors d’état de nuire les personnes étrangères ou sous influence étrangère qui agiraient de manière nuisible sur le territoire français.
● Toutefois, des incertitudes fortes demeurent quant à la mise en œuvre des dispositions prévues par le code de la défense. En effet, le régime de mise en garde, issu d’une ordonnance du 7 janvier 1959 ([50]), abrogée en 2007, n’a jamais été mis en œuvre et les conditions de son activation ne sont pas précisées, ce qui pourrait susciter des difficultés importantes. Selon M. Antoine Pavageau, « La doctrine tend à considérer qu’il correspond à une situation où des éléments subversifs chercheraient à paralyser l’action de l’État au moment où l’ennemi déclencherait une menace ou serait sur le point de le faire. Ce cadre correspondant bien à notre exercice. C’est une sorte de pré-mobilisation préparatoire de l’appareil de défense en cas d’impossibilité de maintenir le fonctionnement libéral normal de l’économie, mais lorsqu’il est inutile de décréter la mobilisation générale. » De la même manière, des doutes subsistent quant à la constitutionnalité des dispositions au regard des droits et libertés actuellement garanties par la Constitution car les dispositions, du fait qu’elles n’ont jamais été mises en œuvre, n’ont fait l’objet d’aucun recours devant le juge constitutionnel ou administratif. Ainsi, comme le précisait M. Pavageau « les dispositions relatives à la mobilisation et à la mise en garde n’ont jamais fait l’objet de décisions des cours administratives d’appel, du Conseil d’État ou du Conseil constitutionnel. Adoptées par voie d’ordonnance et n’ayant jamais été appliquées, elles n’ont pu faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). En revanche, interroger le Conseil d’État par le biais d’un avis nous donnerait une vision plus nette ou nous permettrait de modifier le code de la défense pour en préciser les conditions de mise en œuvre. »
● Enfin, au regard des différents leviers déjà prévus par le législateur, plutôt que de modifier le droit en vigueur, il importe davantage de coordonner les différents dispositifs juridiques existants et de les associer à des situations de référence bien identifiées par les différents acteurs à travers l’élaboration d’un référentiel lié à l’état de la menace et associant à chaque niveau les dispositifs mobilisables. Auditionné par vos rapporteurs, le SGDSN, propose également d’inverser la logique et de penser, non pas à partir du droit, mais bien à partir des scenarii stratégiques qui reflètent l’état de la menace, c’est-à-dire partir des besoins. Selon le SGDSN, « le droit doit être au service de la Nation ». Pour ce faire, les acteurs ministériels devront se réapproprier les outils juridiques associés et s’entraîner à leur mise en œuvre. Le SGDSN, dressant un parallèle avec les forces, incite donc à prendre en compte une forme de « maintien en condition opérationnelle de la structure administrative ». Comme le résumait M. Antoine Pavageau « Il en est du droit comme des hommes ou des équipements, il faut l’utiliser, apprendre à le manier pour qu’il soit mobilisable. »
Vos rapporteurs considèrent qu’il est nécessaire de poursuivre la réflexion autour des régimes de mise en garde et de mobilisation générale, afin prioritairement de lever les doutes pouvant exister quant à leur conformité avec les droits et libertés garanties par la Constitution, en veillant notamment à leur proportionnalité au regard des objectifs poursuivis. À l’issue de ces réflexions et s’il était jugé nécessaire de modifier les dispositions relatives aux régimes précités, ces modifications ne sembleraient pas nécessiter de révisions constitutionnelle. Il ressort des auditions menées par vos rapporteurs, qu’une telle modification des articles L.2141-1 et suivants du code de la défense pourrait notamment viser à mieux circonscrire les conditions de mise en œuvre de ces régimes, sans pour autant se « lier les mains » en faisant correspondre ces dispositifs aux caractéristiques des « crises d’hier », tout en éloignant le risque constitutionnel. Le bénéficie attendu serait notamment de conférer une meilleure visibilité au décideur public.
c. Les ressources humaines et la mobilisation de la réserve
Le groupe de travail piloté par le secrétariat général de la garde nationale a conclu à la nécessité de mieux cartographier les différents types de réserve afin de les mettre en cohérence et de recenser les compétences qui pourront venir renforcer les armées en cas d’engagement majeur. S’agissant des conditions de mobilisation, des risques d’éviction et de concurrence entre les différentes réserves ont également été identifiés et constituent un axe d’effort prioritaire.
● Les travaux menés ont confirmé l’existence d’un foisonnement de dispositifs disparates et d’un manque de cohérence des différentes réserves, constat précédemment effectué dans le rapport de MM. Christophe Blanchet et Jean-François Parigi en 2021.
● Pour tenir dans la durée et faire face à des crises multifactorielles, il convient de clarifier les conditions de mobilisation des réservistes, voire d’envisager un pilotage plus centralisé des différents dispositifs de réserve. Le processus opérationnel de mobilisation des réserves est perfectible, notamment en ce qui concerne l’identification des postes à pourvoir prioritairement afin d’éviter des effets d’éviction. Il ressort des auditions menées par vos rapporteurs, que malgré les grandes qualités des dispositifs existants, le dispositif de réserve s’apparente davantage à « un fusil à un coup ». En effet, malgré les possibilités offertes de mobilisation de la réserve opérationnelle militaire, voire de la réserve de sécurité nationale, si les conditions étaient réunies, la problématique réside dans la soutenabilité de l’effort de mobilisation dans la durée et dans le risque d’un effet de concurrence, voire d’éviction, notamment pour les compétences rares. À titre d’exemple, les représentants du SGDSN ont évoqué la possibilité d’un personnel soignant, membre de la réserve sanitaire et pompier volontaire mais également réserviste du SSA. En cas de mobilisation, il conviendra de déterminer la mise à poste du réserviste au sein du service dans lequel ses compétences seront les plus critiques, ce qui peut s’avérer particulièrement difficile. En conséquence, le groupe de travail a conclu en la nécessité d’un pilotage plus centralisé des différents dispositifs de réserve, afin notamment de permettre une meilleure identification des compétences, dans le respect des prérogatives des employeurs
Cette mise en cohérence devrait être doublée d’une communication simplifiée pour les citoyens qui souhaiteraient s’engager tout en permettant une interface avec le secteur privé dans un souci d’améliorer la lisibilité des dispositifs et d’éviter les effets de concurrence entre employeurs. Le SGDSN a souligné que le secrétariat de la garde nationale pourrait être investi de cette mission. Par ailleurs, il conviendrait selon le SGDSN de passer à une logistique plus ciblée de recherche de compétences clé parmi les réservistes et non seulement de complément de masse. In fine, deux axes de travail semblent se dessiner : d’une part, le développement d’une plus grande proximité avec les territoires, afin de les accompagner dans une logique partenariale et, d’autre part, un axe organisationnel qui gagnerait à développer une vision plus centralisatrice afin d’offrir un meilleur accompagnement de l’engagement en aidant les personnes qui souhaitent s’engager à identifier et cibler les différents dispositifs.
d. Les rétroactions sécuritaires sur le territoire national
Le groupe de travail sur les rétroactions sur le territoire national a été piloté par la cellule de coordination intérieure défense (C2ID). Il a été indiqué à vos rapporteurs que ses conclusions ont été en grande partie classifiées. Il en ressort en particulier le besoin d’objectiver entre le ministère des armées et le ministère de l’Intérieur une dégradation globale de la situation face à un adversaire agissant « sous le seuil de conflictualité »
Les réflexions menées ont, par ailleurs, confirmé la forte probabilité que l’engagement de la France en haute intensité soit accompagné avant, pendant ou après de rétroactions sur le territoire national, dont la gestion incomberait en majeure partie au ministère de l’Intérieur et des Outre-mer sur le territoire national. Ces rétroactions, caractérisées par leur hybridité, prendraient certainement la forme de menaces de type terrorisme, espionnage, subversion, sabotage et criminalité organisée. Le recours aux armées ne pourrait s’opérer que de manière très limitée pour ne pas obérer leur capacité à s’engager en haute intensité sur un autre théâtre d’opérations en simultané. Le risque identifié serait de tomber dans un scénario de « dilemme stratégique » contraignant le Gouvernement à arbitrer entre l’engagement des forces à l’intérieur et à l’extérieur du territoire national.
e. La communication gouvernementale et la lutte informationnelle
Le groupe de travail, co-piloté par l’EMA et le SIG a travaillé à l’identification des stratégies élaborées par nos potentiels compétiteurs afin de miner la cohésion nationale et les outils juridiques à disposition des ministères pour y répondre. Cet exercice a rappelé le besoin de coordonner étroitement la communication institutionnelle avec la lutte contre la manipulation de l’information. Le fait pour notre pays d’être confronté à une « guerre informationnelle » nécessite une réponse forte et coordonnée de l’État, tant en « influence » vers nos alliés et compétiteurs, qu’en communication vers nos concitoyens dans le strict respect de nos principes et de nos valeurs.
La mise en œuvre de la nouvelle fonction stratégique « Influence » prévue par la Revue nationale stratégique de 2022 doit s’accompagner d’une meilleure coordination. Comme le relevait M. Nicolas de Maistre, « Une articulation technique doit s’opérer, comme avec le cyber ou le comité de liaison sur les dossiers de sécurité économique (Colisé), le comité de lutte contre les manipulations de l’information (CLMI). Tout cela doit s’intriquer dans une vision plus large soutenue par le MEAE sur la fonction « influence ». »
Par ailleurs, l’État dispose déjà de nombreux outils qui pourraient être utilement mis en œuvre en cas de recours par nos compétiteurs à une stratégie de désinformation. Des outils juridiques existent en droit interne et en droit européen. D’une part, au niveau national, dans le cas où il ne serait pas possible d’attribuer la diffusion à une puissance étrangère, l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle (ARCOM) a la possibilité, après mise en demeure, de prononcer des sanctions à l’encontre des éditeurs de services de communication audiovisuelle pour diffusion de fausses informations. Ces sanctions comprennent la suspension de la diffusion d’un programme, la réduction de la durée de l’autorisation ou de la convention signée entre le régulateur la chaîne, une sanction pécuniaire, voire le retrait de l’autorisation ou la résiliation unilatérale de la convention. Lorsqu’il est possible d’attribuer la diffusion des fausses informations à une puissance étrangère ou à un organe de presse contrôlée par une puissance étrangère, l’ARCOM peut prononcer une sanction de résiliation unilatérale de la convention conclue avec une personne morale contrôlée par un État étranger ou placée sous l’influence de cet État si le service ayant fait l’objet de ladite convention porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, dont le fonctionnement régulier de ses institutions, notamment par la diffusion de fausses informations. Sur un plan pénal, peuvent être réprimées au titre de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse la publication de fausses nouvelles, mais la démonstration de cette infraction n’est pas aisée. Dans l’hypothèse d’organes de presse contrôlés par une puissance étrangère, l’arsenal répressif relatif à l’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation pourrait être mobilisé au titre des intelligences avec une puissance étrangère, de la livraison de fausses informations et de la provocation à commettre des crimes portant atteinte à la vie de la Nation. Enfin, l’Union européenne a développé des outils pour interdire la désinformation par des médias étrangers. L’article 29 du Traité sur l’Union européenne (TUE) habilite le Conseil de l’Union européenne pour adopter des mesures restrictives (sanctions) à l’encontre de gouvernements de pays qui ne font pas partie de l’Union européenne, d’entités non étatiques (par exemple des entreprises) et de personnes (telles que des terroristes) afin d’apporter un changement à leur politique ou activité. Au titre de l’article 215 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), le Conseil peut adopter les mesures nécessaires à la mise en œuvre des décisions prises en vertu de l’article 29 TUE, afin d’assurer leur application uniforme dans tous les États membres de l’UE. Ainsi, le Conseil de l’Union européenne a adopté le 1er mars 2022 de nouvelles sanctions économiques à l’encontre de la Fédération de Russie en amendant le règlement 833/2014 du 31 juillet 2014. Ces mesures ont en particulier pour objet de suspendre la diffusion par tout moyen des contenus provenant des médias RT et Sputnik dans l’ensemble des pays de l’Union européenne.
2. La réactivation de la commission interministérielle relative à la défense nationale (CIDN) : la nécessité de poursuivre et d’accélérer les travaux
Face au besoin de poursuivre durablement les travaux initiés par ORION 3, un réseau d’acteur interministériel a été créé de manière pérenne. Il a vocation à contribuer à l’élaboration de la feuille de route de la commission interministérielle relative à la défense nationale (CIDN). Cette instance, qui est rattachée au comité interministériel pour la résilience nationale (CIRN), installé depuis le 1er février 2023 et présidé par le directeur de cabinet du Premier ministre, est aujourd’hui chargée de pérenniser et renforcer la coordination des activités en matière de défenses civile et militaire, afin de renforcer les capacités de l’État à gérer des crises majeures et surmonter les difficultés liées à des chocs éventuels dans l’ensemble des champs ministériels. Le CIRN veille également à assurer la mobilisation des ministères dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie nationale de la résilience établie par le SGDSN.
La réactivation de la CIDN vise ainsi à répondre au besoin d’un outil permanent et robuste de coordination interministérielle, tandis que la cellule interministérielle de crise (CIC) ne remplit son rôle de coordination civilo-militaire qu’en cas de situation de crise majeure. Héritière de la commission interministérielle à la défense opérationnelle du territoire créée en 1964 ([51]), la CIDN résulte également d’une volonté de promouvoir une protection du territoire, dans une acceptation large, non limitée à celle d’une menace directe aux frontières françaises. Le fonctionnement de la CIDN reprend en partie le fonctionnement en groupes de travail, similaire à l’organisation de la phase 3 de l’exercice ORION. Ces groupes de travail poursuivent actuellement leurs travaux au titre de la CIDN dans le but d’identifier les leviers permettant de réduire les fragilités identifiées lors d’ORION et ainsi contribuer à améliorer la résilience nationale.
La production des groupes de travail se veut très opérationnelle. Il est recommandé aux groupes de travail de produire une feuille de route pour cadrer la progression des travaux jusqu’à l’échéance du prochain exercice ORION. Comme le précisait Nicolas de Maistre « Une fois mise en place, cette commission interministérielle demandera aux différents groupes de travail de soutenir leurs propositions, en débattra, puis les rapportera en CDSN si des sujets nécessitent des arbitrages de ce niveau. » Vos rapporteurs notent néanmoins qu’il a été décidé de ne pas poursuivre les travaux du groupe de travail portant sur la communication gouvernementale et la lutte informationnelle.
Ainsi, la CIDN poursuit ses travaux depuis son lancement en septembre 2023. Un second CIRN s’est tenu le 6 octobre 2023, sous la présidence du directeur de cabinet de la Première ministre et a porté notamment sur le volet territorial de la résilience et la mobilisation citoyenne, ainsi que sur la question des stocks stratégiques. Le rythme et le fonctionnement des différents groupes est néanmoins très variable et ce d’autant plus que les hauts fonctionnaires de défense et de sécurité sont très mobilisés par la préparation des Jeux olympiques et paralympiques 2024. Si vos rapporteurs conçoivent bien que les ministères soient actuellement très pris par la préparation des JOP 2024, ils alertent sur la nécessité de dégager du temps pour se consacrer à l’anticipation et au temps long. À ce titre, il pourrait être envisagé de davantage valoriser en interne la participation des experts concernés aux groupes de travail de la CIDN pour leur permettre d’accomplir cette mission supplémentaire dans les meilleures conditions possibles.
À titre d’exemple et selon les informations fournies par le SGDSN, le premier groupe de travail a rédigé des fiches mesures relatives à la mobilisation des flottes de transport ou à la mise en œuvre de conventions pour le transport ferré d’urgence. En matière de santé, les acteurs concernés étudient les modalités pratiques de délestage des hôpitaux d’instruction des armées et la mobilisation de bus ou de train médicalisés pour faire face à un afflux massif de blessés. Les réflexions se poursuivent également autour de la mobilité des forces françaises et alliées, qui pourraient transiter par le territoire national. De la même manière, le sujet des stocks stratégiques, ainsi que celui de la « base industrielle de combat » sont approfondis, à travers notamment l’identification de petits équipements de nature duale. Les services du SGDSN espèrent que les fiches mesures constitueront autant d’outils qui pourront être mobilisés en cas de crises majeures, quelle que soit leur nature.
● Par ailleurs, la feuille de route en cours d’élaboration en vue d’ORION 2026 devrait permettre de dégager les points saillants des travaux selon une triple approche : réaliser un tour d’horizon des acteurs et des outils pouvant être mobilisés ; identifier et décrire les mesures pouvant d’ores et déjà être intégrées dans la planification de défense et de sécurité nationale sous la forme de fiches mesures ; recenser les sujets devant faire l’objet d’une étude plus approfondie avec comme jalon important l’édition 2026 de l’exercice ORION, voire d’une prochaine loi de programmation militaire s’agissant du volet normatif. Vos rapporteurs estiment, compte tenu de la rapidité d’évolution du contexte international, qu’une fois les travaux finalisés, il serait préférable d’élaborer dans les meilleurs délais un projet de loi ou une proposition de loi ad hoc intégrant les modifications de nature législative jugées nécessaires par la CIDN, plutôt que de s’en remettre à la prochaine loi de programmation militaire.
Si les travaux se poursuivent, le rythme souhaitable d’avancée des travaux de la CIDN semble néanmoins faire l’objet de débats. Ainsi, selon le général Métayer « En interministériel, on estime que pour scander le travail de la CIDN, il faudrait un exercice annuel. Mais il n’est pas soutenable de faire le grand exercice de déploiement en grandeur réelle à un pas inférieur à trois ans. Le prochain aura lieu en 2026. »
● Des premières avancées concrètes méritent également d’être mentionnées. Une cellule de coordination interministérielle logistique (CCIL) a été créée, gérée par le ministère de la transition énergétique. La CCIL, composante de la CIC, a été réactivée par le premier CIRN du 1er février 2023. Son secrétariat est assuré par le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires (MTES). Elle a notamment été activée lors de la pénurie d’eau à Mayotte en octobre 2023 (identification des entreprises en capacité de produire de l’eau en bouteille) et semble avoir donné satisfaction. Vos rapporteurs estiment qu’il s’agit d’un exemple de coordination interministériel intéressant qu’il pourrait être envisagé de décliner dans d’autres domaines transverses comme le soutien sanitaire. Selon les informations fournies à vos rapporteurs par le SGDSN, outre des dispositifs de réquisition efficaces, des solutions sur la base d’un ou plusieurs contrats-cadre sont à promouvoir pour disposer de la réactivité attendue. Toutefois, les personnes auditionnées ont insisté sur la nécessité de trouver un équilibre entre le recours à des contrats cadres préexistants, qui permet une forte réactivité avec un coût élevé, et des dispositifs de réquisition, actionnés seulement en cas d’extrême urgence mais avec un coût plus maîtrisé. Cette dimension logistique est d’autant plus importante que la France devrait certainement assurer le soutien Nation hôte dans le cadre du transit de forces alliées sur le territoire national. Les travaux de la CCIL s’inscrivent en parallèle des travaux de planification de l’OTAN. Il apparaît nécessaire de consolider les outils disponibles pour réagir avec efficacité en fonction de la situation. Cette réflexion pourrait être étendue au transport ferroviaire, aérien voire routier.
● Enfin, en parallèle de l’approfondissement des travaux et de la consolidation du rôle de la CIDN, vos rapporteurs estiment qu’il est nécessaire de poursuivre les travaux visant à renforcer le rôle des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité. Ces derniers constituent en effet les « points d’entrée » du SGDSN au sein des ministères. Leur mobilisation et leur implication seront déterminantes en cas de crise. Afin de gagner en réactivité, le SGDSN s’attache à structurer ce réseau d’expertise hors temps de crise. Toutefois, de l’aveu de Stéphane Bouillon, SGDSN, le réseau « fonctionne plus ou moins selon les ministères et dispose de moyens variables. Les grands ministères régaliens (intérieur, défense, économie et finances) bénéficient ainsi d’équipes solides, de même que les ministères de l’agriculture et de la santé ([52]). » Le SGDSN encourage en particulier les ministères au renforcement des moyens alloués à ces services jugés « souvent sous-dotés, mal considérés au sein de leur propre ministère, et relevant parfois de plusieurs tutelles ministérielles. » Afin de renforcer la qualité de la réponse de l’État dans le cadre de la gestion de crise réelle, il importe de veiller au respect des orientations fixées en matière de défense et de sécurité nationale, qui s’inscrivent nécessairement dans une forme de temps long et de vision stratégique. Ces services ont vocation à renforcer la planification sectorielle et l’articulation avec la planification gouvernementale, en contribuant à l’amélioration des dispositifs d’anticipation opérationnelle et de gestion de crise.
Vos rapporteurs estiment que la CIDN est un objet nouveau qui devra veiller à trouver toute sa place dans la comitologie actuelle. Pour ne pas risquer un relatif « oubli » passé le momentum créé par l’effet de nouveauté entourant ORION 2023, ses travaux devront faire l’objet d’une attention renforcée pour en maintenir la dynamique et la trajectoire. ORION 26 est dès lors identifié comme le rendez-vous majeur offrant l’opportunité de vérifier l’opérationnalisation des recommandations de la CIDN. Vos rapporteurs notent néanmoins le relatif manque d’informations publiques quant à, d’une part, l’existence de la CIDN et, d’autre part, son fonctionnement et ses activités. Si la stratégie nationale de résilience est en cours de déclinaison vers les collectivités territoriales et les citoyens, un effort de transparence et de communication envers les élus et le grand public mériterait d’être engagé.
III. S’appuyer sur la dynamique créée par l’exercice ORION pour renforcer notre outil de défense, redynamiser les relations civilo-militaires et diffuser l’esprit de défense.
Après avoir présenté au sein des deux premières parties le retour d’expérience d’ORION, tant dans sa dimension capacitaire que civilo-militaire, vos rapporteurs ont souhaité s’atteler aux suites à donner à l’exercice.
Vos rapporteurs font le constat qu’ORION 2023 a créé une vraie dynamique au sein du ministère des armées et au-delà, sur laquelle il convient de s’appuyer afin d’éviter que « l’esprit d’ORION » ne reste lettre morte et que la dynamique de remontée en puissance ne s’essouffle. Vos rapporteurs estiment que pour que ces réflexions, parfois assez éloignées des préoccupations quotidiennes des ministères en temps de paix, portent leurs fruits dans la durée, elles doivent pouvoir s’appuyer sur une forte mobilisation politique pour maintenir dans le temps des efforts qui peuvent sembler superflus.
Au-delà de la préparation de l’exercice ORION 2026, qui - s’il constituera un jalon important -, demeure avant tout un entraînement militaire à visée opérationnelle dont la portée ne doit pas être surestimée, plusieurs axes méritent d’être explorés pour renforcer la capacité collective de la Nation française à faire face aux crises de demain. Trois d’entre eux en particulier apparaissent prioritaires : tout d’abord, renforcer les capacités d’anticipation stratégiques afin de se prémunir contre les « surprises stratégiques », mais également ne pas laisser passer des innovations structurantes pour les conflits de demain ; ensuite, se préparer collectivement aux crises majeures dès le temps de paix, garantie d’une réponse interministérielle efficace et d’une juste implication du secteur privé ; et, enfin, sensibiliser les citoyens pour les rendre acteurs de la défense nationale.
A. Face à l’émergence de nouvelles menaces et de crises systémiques, renforcer nos capacités d’anticipation stratégiques et libérer l’innovation
Comme l’indique la Stratégie nationale de résilience « la résilience suppose une capacité à comprendre le monde qui nous entoure, sa complexité, les dynamiques qui le fragilisent et les crises qui le traversent ».
Dans un contexte d'interdépendances croissantes, favorisant des crises plus transverses, souvent qualifiées de « multisectorielles » et de « protéiformes, » combinant parfois plusieurs risques et menaces, la capacité à identifier les défis de demain repose tant sur la capacité d’anticipation stratégique de nos armées, que sur la capacité du ministère des armées à adapter la temporalité des grands programmes d’armement pour y intégrer les évolutions rapides de l’innovation. Comme l’indiquait le ministre des armées, M. Sébastien Lecornu, dans un entretien croisé avec le chercheur Thomas Gomart, le défi majeur pour les armées françaises consiste à « se préparer à la guerre, mais pas à celle d’hier ([53]). » En particulier, vos rapporteurs identifient les domaines des drones et de l’intelligence artificielle comme centraux. De la même manière, la multiplication du recours aux stratégies de désinformation contribue à remodeler durablement la manière de faire la guerre.
1. Anticiper les crises de demain pour mieux s’y préparer
Si la « surprise stratégique » semble devenue quasi inévitable, l’anticipation et la préparation des crises en amont doivent permettre d’en limiter les conséquences. Il s’agit de se préparer, d’abord « intellectuellement », aux différents types de crise.
● L’anticipation des crises de demain repose sur deux outils principaux : l’anticipation stratégique et la prospective. Comme définie dans un rapport sénatorial de la commission des affaires étrangères et de la défense paru en 2011 ([54]), l'anticipation stratégique peut se décrire comme « un idéal à atteindre, un objectif, dans lequel l'incertitude serait réduite et les grandes évolutions de l'environnement international connues à l'avance. » La prospective est perçue, quant à elle, comme « le moyen, la méthodologie permettant d'atteindre l'idéal de l'anticipation à partir de l'analyse du réel. C'est une démarche qui vise, dans une perspective déterministe, à se préparer à l'avenir en élaborant des scénarii d'évolution possibles sur la base des données disponibles et en leur appliquant des tendances lourdes, sous-jacentes, ou des phénomènes émergents. Il s'agit d'utiliser l'information et la connaissance dont on dispose pour imaginer, au-delà du présent, les futurs possibles et, éventuellement, agir pour atteindre un futur souhaité. Sa fonction première est d'être une aide à la décision stratégique. » Une nuance temporelle peut également être introduite entre ces deux notions : « si la prospective est nécessairement à horizon de temps long (20 à 30 ans), l'anticipation peut être comprise comme ayant un terme plus court, de 0 à 2 ans : elle serait destinée à orienter les capteurs du renseignement et à permettre d'anticiper les prises de décision opérationnelles. »
● La capacité à anticiper les futurs possibles pour mieux s’y préparer constitue une préoccupation de longue date des armées qui s’efforcent de renforcer leurs structures dédiées. Ainsi, depuis le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 la fonction d'anticipation a été érigée en fonction stratégique à part entière. Toutefois, la capacité à penser le temps long se heurte encore trop souvent aux impératifs opérationnels de court terme. Le rapport parlementaire précité, regrettait déjà que ce soit installée parmi les décideurs ce que Gilles Finchelstein a appelé la « dictature de l'urgence ». Pour autant, la succession des crises, et en particulier la survenance de la crise sanitaire, a conforté la nécessité de disposer de structures dédiées à l’anticipation stratégique et de les coordonner au sein d’un écosystème cohérent.
a. Les travaux prospectifs conduisent à envisager des scénarios multi-crises aux menaces hybrides et protéiformes
Vos rapporteurs ont cherché à recenser les scénarios de prospective les plus structurants pour l’engagement des armées, afin de mieux appréhender les éléments potentiellement constitutifs des crises de demain et la manière dont ils peuvent concrètement être mis à profit au service de la transformation des armées.
Sans ambitionner de dresser un catalogue précis des crises potentielles qui pourraient affecter la France, il s’agit cependant d’envisager le pire des scénarios pour s’y préparer. Il ressort des auditions menées, que la combinaison simultanée de crises de nature diverse – à l’image d’une crise sécuritaire sur le territoire national, crise climatique et crise internationale nécessitant le déploiement des armées à l’étranger et accompagnée de rétroactions en métropole et outre-mer – dans la lignée du scénario d’ORION 2023, est particulièrement redoutée de par la tension qu’elle ferait peser sur les contrats opérationnels des armées.
● Tout d’abord, vos rapporteurs souhaitent saluer la qualité des travaux menés en la matière par l’Agence d’innovation défense (AID) et en particulier la « Red Team » défense - équipe constituée d’auteurs de science-fiction qui élaborent des scénarios de conflictualité future pour le ministère des armées - qui continue de se perfectionner pour rendre ses travaux les plus opérationnels possibles. Ainsi, l’AID cherche à identifier les ruptures technologiques à travers trois méthodes différentes : premièrement, via une veille des innovations nationales et le soutien à celles-ci pour qu’elles développent leur potentiel, en lien avec le monde académique, les think tanks et les industriels ; deuxièmement, en procédant à un parangonnage international adossé à un dialogue avec les services de renseignement pour mieux orienter leurs recherches ; troisièmement, en se confrontant à des méthodes innovantes pour appréhender le futur sous un angle non militaire : c’est le sens des travaux des auteurs de science-fiction de la Red Team.
L’objectif des travaux menés par la Red Team est avant tout l’élaboration de scénarios de rupture à horizon 2030-2060 afin d’éclairer les orientations du ministère des armées, notamment en matière d’innovation et d’anticiper les risques susceptibles d’engendrer des crises majeures. L’équipe d’auteurs dispose d’une très grande liberté d’écriture, même s’ils doivent tenir compte de l’existant à l’horizon temporel auquel ils se projettent - ils ne sauraient, par exemple, présupposer qu’il n’existera pas de porte-avions en 2030 - et rester dans le cadre de ce que le directeur de l’AID, l’ingénieur général de l’armement (IGA) Patrick Aufort, a qualifié lors de son audition de « cône de vraisemblance scientifique ». Pour garantir ce dernier point, la Red Team bénéficie du concours de la Purple Team constituée d’experts pluridisciplinaires, capables de guider les auteurs de science-fiction en s’appuyant sur des travaux de recherche. Par exemple, faisant suite à des années de travaux de recherche sur les possibilités d’inculcation de souvenirs à des souris, la Red Team a proposé, lors de sa troisième saison en 2023, un scénario prévoyant l’acquisition instantanée de connaissances par certains individus. En réaction aux scénarios proposés par la Red Team, une Blue Team composée de personnels du ministère issus de différentes directions exprime son ressenti quant à l’originalité ou à l’intérêt revêtu par les configurations imaginées. La Blue Team s’appuie notamment sur les travaux de la Red Team pour élaborer un dossier recensant de nouveaux types de menaces, les éléments de doctrine, les formations, les technologies et les entraînements correspondants. Enfin, une white team – s’apparentant à un comité éthique consultatif - et une black team chargée de l’animation et de la coordination du projet, complètent ce dispositif. Si les scénarios de la Red Team sont « hyper-prospectifs », il n’en demeure pas moins qu’ils peuvent avoir des conséquences directes sur les programmes du ministère. En guise d’illustration, selon les informations fournies à vos rapporteurs par l’AID, un scénario sur l’hyper-vélocité aurait conduit les équipes de conception du porte-avions nouvelle génération (PANG) à en modifier certains équipements techniques. De la même manière, le ministère a décidé d’accélérer ses travaux liés à la guerre cognitive notamment à la suite des productions de la Red Team, ayant pris conscience de son probable sous-investissement initial relatif à cette thématique. Certains scénarios de la Red Team ont même été transformés en wargames pour être joués par les états-majors. Ils sont également susceptibles d’être source d’inspiration pour les industriels.
Après trois saisons d’expérimentation, un bilan a été fait qui a conduit l’ensemble des acteurs du MINARM à confirmer leur intérêt pour ce dispositif et exprimer leur souhait qu’il soit prorogé. Deux axes de progression ont toutefois été identifiés : premièrement, une meilleure maîtrise du rythme des scénarios est souhaitable pour que les auteurs de la Red Team aient le temps de régénérer leur imagination et que le ministère puisse exploiter exhaustivement les propositions ; deuxièmement, la Blue Team souhaite avoir accès à des acteurs et prestations complémentaires pour approfondir son travail d’exploitation. Pour répondre à ces demandes d’évolution, l’AID a conclu fin 2023 un accord-cadre, qui permettra d’adapter le rythme – la Red Team continuera à produire au minimum un scénario par an – et d’apporter des prestations supplémentaires au bénéfice de la Blue Team. Selon le directeur de l’AID, en vue de l’élaboration du prochain scénario le ministère des armées n’exclurait pas de procéder à un appel à candidatures pour enrichir l’équipe de la Red Team avec de nouveaux profils, y compris de simples citoyens. Vos rapporteurs estiment qu’il serait intéressant de mettre à profit les compétences de la Red Team Défense en s’appuyant sur l’un de ses scénarios, lors d’ORION 2026, et ce d’autant plus que l’exercice ORION 23 avait donné lieu à l’externalisation de l’écriture du scénario auprès d’une entreprise privée.
● Ensuite, le ministère des armées peut également s’appuyer sur les travaux menés par la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS). Ces derniers permettent, là encore, de mieux appréhender les types de crises auxquelles les armées pourraient se trouver confrontées. Auditionné par vos rapporteurs, M. Édouard Jolly, directeur de projet prospective stratégique à la DGRIS, a rappelé que les crises pouvaient se manifester par deux phénomènes conceptuels différents : d’une part, la surprise stratégique, qui résulte d’un acte hostile d’un adversaire auquel on ne s’attendait pas (par exemple, l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022, les attentats du 11 septembre 2001 ou encore l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023) ; d’autre part, les « cygnes noirs », qui s’apparentent à des événements hautement improbables mais qui ont des conséquences majeures (par exemple, la chute de l’URSS, le Brexit ou l’épidémie de Covid-19). Si la surprise est par essence inévitable et ne peut être empêchée y compris par les meilleurs travaux de prospective, ces derniers présentent en revanche l’intérêt de réduire les effets de cette surprise, au premier rang desquels la sidération : il s’agit de se préparer intellectuellement aux différentes surprises.
Face à la pluralité des crises et menaces, la DGRIS travaille sur divers scénarios et invite à l’utilisation d’un éventail de réponses. S’agissant du volet militaire, Edouard Jolly a proposé une catégorisation des trois types de crises susceptibles d’impliquer, demain, l’engagement des forces armées : premièrement, un engagement face à un acteur étatique hostile, seuls ou en coalition ; deuxièmement, face à des acteurs non-étatiques (sociétés militaires privées, groupes armés terroristes) ; troisièmement, pour apporter un soutien à la population civile (en cas de crise sanitaire ou de catastrophe environnementale par exemple, à l’instar de l’ouragan IRMA en 2017). L’un des objectifs de la prospective stratégique est d’imaginer la convergence de ces situations puisqu’elle peut être une occasion pour l’adversaire de saturer le dispositif. C’est notamment le sens de l’exercice ORION 23 que d’avoir cherché à tester la solidité du modèle d’armée français face à des crises multiples.
De plus, selon le colonel Jean-Philippe Tardieu, chef du département compétition militaire et ruptures technologiques à la DGRIS, les principales caractéristiques des crises militaires de demain résident dans la nécessaire adaptation à la transparence du champ de bataille, l’évolution des feux dans la profondeur, l’utilisation et la saturation des renseignements, les manipulations de l’information ou encore l’évolution rapide de la place des drones. Il existe effectivement un risque élevé d’être confronté à des crises multifactorielles. À cet égard, les représentants de la DGRIS ont affirmé que certains think tanks américains travaillaient actuellement autour du concept de « simultanéité stratégique » (simultanéité des crises et conflits qui posent des défis stratégiques et capacitaires pour les États-Unis et les Alliés), tant dans sa dimension multi-domaines que géographique, notamment en cas de conflit autour de Taïwan en même temps que la poursuite de la guerre en Ukraine. Face à cet enjeu, une plus grande « agilité civilo-militaire » est jugée nécessaire.
S’agissant du développement de la conflictualité hybride, la DGRIS procède à une analyse stratégique sur l’état des menaces et s’attache ensuite à formuler des recommandations. L’hybridité s’applique dans de nombreux domaines, que ce soit le cyber, la désinformation, les manipulations de l’information, les actions irrégulières (sabotages, assassinats), le chantage migratoire exercé par nos compétiteurs ou encore la compétition par le droit ou lawfare (instrumentalisation des normes et volonté d’affaiblir l’ordre international construit après-guerre). L’hybridité doit être appréhendée selon le continuum paix-guerre, dès lors qu’il n’existe pas, selon les représentants de la DGRIS auditionnés pour nos compétiteurs, de frontière très nette entre le temps de paix et le temps de guerre mais plutôt un « temps constant de conflictualité ».
● Si vos rapporteurs considèrent qu’il existe un réel enjeu de sensibilisation de la population par rapport à la dynamique des conflits hybrides, il est intéressant d’étudier la manière dont les citoyens eux-mêmes, notamment les plus jeunes d’entre eux, anticipent le type de menaces auquel ils estiment pouvoir être confrontés demain. À ce titre, il est étonnant de constater dans une récente étude de l’IRSEM et de la DGRIS conduite par Anne Muxel ([55]), qu’interrogés sur la dimension dans laquelle pourrait se dérouler une guerre devant engager la France dans une dizaine d’années, « c’est une vision relativement traditionnelle des combats et de leurs techniques qui s’impose » : ils sont 39 % à considérer que celle-ci se déroulera sur terre, avec des chars et des soldats armés de fusils d’assaut. Un quart des jeunes interrogés (26 %) considère néanmoins que la guerre s’effectuera sur des réseaux informatiques et sur Internet, 18 % dans le ciel, avec des avions et des hélicoptères, 9 % dans les mers, avec des bateaux et des sous-marins, et enfin, seulement une minorité (8 %) dans l’espace, avec des engins spatiaux et satellites. Comme le note Anne Muxel, interrogée sur les situations les plus probables, les jeunes « apparaissent partagés sur certaines avancées technologiques, notamment sur le fait que les soldats humains seront remplacés par des robots ou que les guerres se feront dans un monde virtuel (respectivement 43 % et 37 %). Ils sont enfin une petite moitié (48 %) à penser que l’intelligence artificielle sera mise à contribution dans les guerres du futur et que ce seront les ordinateurs et l’intelligence artificielle qui commanderont. » Deux périls majeurs sont par ailleurs identifiés : l’usage d’armes biologiques (à 70 %) et la guerre contre des armées terroristes (à 70 %).
b. La structuration de la fonction anticipation
À plus court terme, et dans une vision directement opérationnelle, vos rapporteurs saluent les efforts entrepris pour mieux structurer la fonction anticipation dans les armées, révélateurs d’une vraie prise de conscience sur le caractère prioritaire de celle-ci.
● Auditionné par vos rapporteurs, le directeur de l’AID a souligné que la préparation des crises de demain supposait d’y consacrer du temps. Si une telle affirmation peut sembler évidente, l’urgence du quotidien tend en réalité fréquemment à prendre le dessus sur cet impératif. Le ministère des armées se transforme néanmoins de manière à mieux concilier ces deux impératifs. Il importe, en tout état de cause, que la réflexion soit menée par des connaisseurs de la chose militaire pour éviter toute déconnexion. À ce titre, la création récente du Commandement du combat futur (CCF) au sein de l’armée de Terre, constitue une belle démonstration de cet effort, tout comme la création au sein de la DGA d’un poste d’adjoint au délégué, chargé de l’anticipation stratégique et disposant d’une cellule dédiée animant un réseau d’acteurs, ou encore l’existence au sein de l’EMA d’un Groupe d’anticipation stratégique (GAS).
En premier lieu, dans le cadre du plan « Impulsion », lancé en septembre 2022, l’anticipation stratégique est devenue en 2023 la deuxième mission de la DGA. Un effort de transformation majeur doit permettre de mettre en œuvre une DGA « moderne, réactive et en mesure de s’adapter aux grandes transformations du contexte international, technologique et économique. » Le Délégué s’est entouré en 2022 d’un adjoint à l’anticipation stratégique et a créé à l’été 2023 la cellule anticipation stratégique (CAST). Ils ont pour mission d’impulser une nouvelle dynamique, d’animer et de coordonner l’action des entités de la DGA en ce sens, tout en mobilisant un réseau de correspondants interne et externe au ministère des armées. Ces actions s’inscrivent dans un programme global d’anticipation appelé « Horizon de combat ».
● Ensuite, au-delà de l’existence du Centre interarmées de concepts, de doctrines et d'expérimentations (CICDE) à l’échelon interarmées, des structures analogues ont été créées propres à chaque milieu.
Vos rapporteurs ont pu auditionner, d’une part, le général Baratz à la tête du très récemment créé commandement du combat futur (CCF) de l’armée de Terre et, aller à la rencontre, d’autre part, du centre de combat naval (C2N) de Toulon.
Créé le 1er août 2023 dans le cadre de la transformation de l’armée de Terre vers le modèle « Au combat », le CCF résulte en réalité de l’agrégation de plusieurs structures préexistantes (comme la section technique de l’armée de Terre et le CDEC). Sa création puise directement son inspiration dans le modèle de l’Army Futures Command américain. À la convergence des mondes de la prospective, de la doctrine et du capacitaire, ce commandement à visée capacitaire aura vocation à garantir « qu’aucun défi majeur n’échappe à l’armée de Terre », via l’intégration rapide des innovations technologiques et la dynamisation du monde de l’armement en appui de la direction général de l’armement (DGA). L’enjeu pour l’armée de Terre, résumé par le général Baratz, est bien de « ne pas rater les bons virages ». Le CCF poursuit un triple objectif : « éclairer l’armée de Terre », « dynamiser l’innovation et expérimenter » et « exploiter » en traduisant les idées en doctrine et en s’assurant de la cohérence d’ensemble du développement de l’armée de Terre. Répondant à une demande du CEMAT, l’armée de Terre travaille sur plusieurs scenarii d’engagements. Les dynamiques identifiées comme potentiellement les plus déstabilisatrices sont notamment : un nouveau rapport de force géopolitique et économique ; une menace nucléaire grandissante et le climat comme ultime déstabilisateur et menace sécuritaire supplémentaire.
Créé à l’été 2023, le centre de combat naval (C2N) de Toulon, compte pour l’instant un effectif très réduit ([56]). À terme, le C2N a pour objectif de mieux articuler le travail des quatre composantes de la Marine nationale (force d’action navale, force d’aéronautique navale, force océanique stratégique, force des fusiliers marins et commandos marine), notamment en vue de les adapter à l’éventualité d’un engagement de haute intensité qui nécessiterait une parfaite coordination entre les différentes forces.
Enfin, à l’échelon interarmées, si à court terme, l’anticipation repose sur le renseignement, son exploitation et son interprétation, à plus long terme, le CICDE a mené un travail récent de prospective à horizon 2040.
Le CICDE identifie plusieurs axes de continuité :
– la pérennité de la dissuasion nucléaire et du découragement comme structurant de la dialectique stratégique ;
– l’importance croissante des champs immatériels et des flux de données dans une société mondiale de plus en plus hyper connectée et numérisée. La maîtrise du champ informationnel et la capacité à gérer d’importants flux de données continueront à revêtir un caractère de plus en plus indispensable. De surcroît, la souveraineté sur les infrastructures liées à la gestion des données deviendra un enjeu majeur dans la conservation d’une capacité d’action autonome ;
– des conflits nombreux, de formes variées et de nature différentes, dans des zones d’intervention complexes, exploitant tous les champs et milieux. Du fait de leur caractère névralgique, en concentrant les centres des décisions économiques et politiques, les zones urbaines continueront à avoir une importance croissante dans les conflits de demain, à l’image des combats dans la bande de Gaza ;
– l’extension du champ des technologies duales couplée à une prolifération parfois high-tech, génératrices de nouvelles menaces (techniques, partage de modes d’actions, etc.).
Toutefois, à l’horizon 2040, le CICDE a identifié plusieurs potentiels points de ruptures, c’est-à-dire des événements susceptibles de modifier la nature de l’environnement géostratégique global.
– Premièrement, la contestation croissante de l’ordre international établi, jugé « occidental » par des puissances compétitrices constitue un facteur de fragilisation de l’ordre mondial ;
– Ensuite, la généralisation du recours à des stratégies hybrides, plus précisément, de stratégies de contournement par des compétiteurs stratégiques, voire des entités non-étatiques, dans l’objectif de demeurer sous le seuil de la riposte militaire, constitue un deuxième facteur de rupture potentiel et vise à diminuer la volonté de défense d’un pays ;
– Les nouveaux modes d’actions des acteurs non-militaires (ESSD, ONG, etc.) en particulier dans les environnements informationnels et les champs immatériels, afin d’imposer, via l’opinion, leurs agendas et visions. La militarisation du champ informationnel est le troisième point de rupture envisagé par le CICDE. Cette militarisation se caractérise par la multiplication des manœuvres d’influence et d’ingérence et modifie profondément la nature de la guerre ;
– Enfin, la « désinhibition de la prolifération » constitue le quatrième point de rupture. La prolifération concerne tant la prolifération nucléaire que conventionnelle, permettant à tout type d’acteur d’obtenir un moyen de pression sur des gouvernements ou organisations internationales.
À partir de ces différentes tendances identifiées et des points de ruptures envisagés, le CICDE a envisagé un scénario tendanciel décliné en trois scénarii alternatifs.
Le scénario principal postule un éparpillement des interventions, des crises et conflits à travers le monde – soit la prolongation des signaux forts observés actuellement sans interférence majeure ou occurrence de « cygnes noirs ». Le premier scénario alternatif s’intéresse à la mondialisation et à la privatisation de la violence légitime avec une montée en puissance des acteurs privés - ESSD notamment - sur les théâtres de conflits. Le deuxième scénario étudie l’hypothèse d’une « archipélisation » accrue de la société, caractérisée par la montée des communautarismes, soulevant les enjeux liés à la stabilité des États, notamment dans les zones transfrontalières avec l’appui de compétiteurs stratégiques. Un dernier scénario alternatif explore, enfin, l’hypothèse d’une disqualification de la force létale, qui résulterait en une prise de conscience mondiale et se traduirait par un rejet de toute intervention militaire dans certains pays.
● Enfin, si l’écosystème d’anticipation stratégique des armées a pu être jugé trop dispersé - le rapport sénatorial précité allant même jusqu’à évoquer « le syndrome d’une foule de lilliputiens ([57]) » - force est de constater que des efforts ont été réalisés en interministériel pour unifier les méthodes utilisées autour d’un référentiel commun.
En effet, le comité interministériel d’anticipation (CIA) dépendant du SGDSN, a été créé en septembre 2021. Le comité émet des hypothèses d’événements pouvant survenir, dans une logique de « What if… ? » et analyse leurs conséquences notamment sociétales, économiques et sanitaires. En guise d’illustration, le préfet Bouillon, auditionné en commission a indiqué que le CIA pouvait travailler à imaginer ce qui pourrait se passer en cas de rupture de satellites ou de l’usage des câbles sous-marins, de la même manière qu’il réfléchit à un potentiel black-out d’internet. Le CIA cherche ainsi à anticiper des ruptures géopolitiques ou technologiques. Interministériel dans sa structuration, le comité regroupe des représentants du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, de l’Europe et des affaires étrangères et des armées. Il se réunit deux fois par an, tandis que ses travaux donnent lieu à la rédaction de rapports. Il s’agit notamment de veiller à la cohérence d’ensemble des solutions prévues par les différents ministères en cas de survenance d’une crise. Gestion de crise et anticipation sont directement liés puisqu’en cas d’activation de la cellule interministérielle de crise (CIC), des travaux d’anticipation sont menés, selon la méthodologie décrite dans le Référentiel interministériel relatif à l’anticipation opérationnelle (RIRAO), récemment conçu par le SGDSN. Au fur et à mesure de l'évolution de la situation, l'attention est portée sur des horizons temporels de plus en plus éloignés, de quelques heures initialement pour aboutir, in fine, à une vision à plusieurs jours, voire à plusieurs semaines. Les effets en cascade de la crise sur d'autres secteurs que ceux touchés à l'origine y sont analysés.
c. Les retours d’expérience des conflits en cours conduisent à interroger l’équilibre entre masse et technologie mais également la nécessité de faire collaborer les systèmes d’armes entre eux dans une logique RM2SE (réseau multi-senseurs, multi-effecteurs)
Les scénarios présentés supra, confortés par le retour d’expérience d’ORION sur le « manque d’épaisseur » de nos armées, ont en commun d’interroger l’équilibre entre masse et technologie des armées françaises. S’il ne faut pas négliger ces deux dimensions qu’il apparaît en réalité impossible d’opposer, compte tenu des enseignements des conflits actuels, il ressort des auditions menées par vos rapporteurs qu’il convient de dépasser cette opposition pour s’interroger sur les interactions entre les différents équipements sur le champ de bataille dans une logique qui se veut de plus en plus intégrée.
● En effet, il est toujours délicat d’opposer masse et technologie. La technologie reste indispensable à la supériorité opérationnelle mais non suffisante comme en témoignent les retours d’expérience. Il ressort des auditions menées par vos rapporteurs que la capacité à prendre l’ascendant sur le champ de bataille résulte dans la combinaison des capacités au moins autant que dans les capacités elles-mêmes. Auditionné par vos rapporteurs, le général Baratz, à la tête du CCF, a ainsi rappelé que l’efficacité de l’armée allemande en 1940 tenait beaucoup à la combinaison de ses capacités alors même que les chars et avions français jouissaient d’une supériorité technique.
Parmi les enseignements évidents des conflits en cours, figurent la centralité des notions de masse et de stocks, mais aussi l’emploi de la haute technologie tant pour des opérations de niveau état-major que pour l’armement. Le conflit met aussi en exergue la nécessité de traiter les données dans le cadre de boucles de ciblage très rapides : le renseignement doit être massivement récolté puis exploité (au besoin avec l’aide de l’IA) et traduit en cibles, avant transmission vers les effecteurs. L’efficacité de cette articulation entre capteurs et effecteurs est tout l’enjeu du concept de réseau multi-senseurs multi-effecteurs (RM2SE), au cœur du combat moderne. Interrogé sur le conflit ukrainien et les enseignements qu’il en tirait pour les conflits futurs lors de son audition devant la commission de la défense ([58]), le général Burkhard, chef d’état-major des armées, avait notamment insisté sur le nécessaire développement d’un « système de combat très concentré », avec un « réseau multi-senseurs et multi-effecteurs : multi-senseurs pour voir et partager, permettant ainsi au réseau d’effecteurs de traiter ce qui a été détecté – réseau effecteurs qui, étant donné la guerre permanente de l’information, doit être à la fois cinétique et informationnel ».
● Le réseau ou système de combat multi-senseurs/multi-effecteurs s’entend comme une nouvelle manière de faire la guerre pour savoir, décider et agir avant l’adversaire en produisant des effets opérationnels variés dans les différents milieux et champs. Pour produire des actions décisives, il doit permettre la constitution de bulles d’hyper-supériorité (c’est-à-dire l’acquisition d’une supériorité ponctuelle, temporaire mais incontestée) ([59]). Le RM2SE répond à trois impératifs : l’amélioration de la compréhension/anticipation, l’accélération du processus de décision et l’augmentation de la performance des effets. Par-là, il s’agit d’accroître la capacité à frapper au juste endroit au juste moment, ce qui requiert de mettre les moyens des forces armées en réseau et porte des enjeux de connectivité et d’interopérabilité des systèmes. En un mot, le concept de RM2SE peut se résumer par le triptyque suivant « La bonne information, au bon moment, à la bonne personne ».
● Une manière de résoudre le dilemme entre masse et technologie réside ainsi en partie dans la « cohérence » prônée par la loi de programmation militaire 2024-2030. La cohérence devra se traduire par le développement de système d’information opérationnelle et de communication (SIOC) permettant d’interconnecter les forces et de réaliser du combat collaboratif dans une logique RM2SE. Toutefois, comme le précise le général Métayer, ce niveau d’intégration n’a pour l’instant pas encore été atteint dans l’exercice ORION 23 : « Dans le domaine du renseignement et du ciblage, nous avons l’ambition de disposer d’un système de combat constitué autour de réseaux multi-senseurs, multi-effecteurs. Nous voudrions avoir, à tous les niveaux, stratégique, opératif et tactique, un système en constellation qui communique en permanence, capable de partager les informations pertinentes, afin d’attaquer l’adversaire dans le champ cinétique ou immatériel, de la façon la mieux adaptée possible. C’est un défi, parce qu’il faut des moyens et surtout des réseaux pour les mettre en connexion. Dans le domaine des systèmes d’information et de communication (SIC), nous avons atteint nos limites. Nous avons été très contraints, notamment dans les flux de données. On estime qu’il nous faudrait, en multinational et en haute intensité, vingt fois plus de flux que nous n’en disposons aujourd’hui pour transmettre et échanger toutes les données qui nous sont nécessaires. »
Comme évoqué précédemment, la mise en œuvre du concept de RM2SE semble demeurer encore à ses débuts et, selon les personnes auditionnées, il serait plus juste de parler à ce stade de coordination ou de synchronisation des effets, plutôt que de leur intégration. Son développement emporte des conséquences en termes d’organisation du C2, d’acculturation des états-majors, mais également certains développements capacitaires pour combler les lacunes de connectivité entre capteurs et effecteurs, pour développer les clouds de commandement et de combat, et pour rendre résilient et interopérable l’ensemble résultant. Vos rapporteurs ont néanmoins été sensibilisés à la tentation de verser dans la « techno-idolâtrie ». Le RM2SE est un facteur différenciant de supériorité mais ne saurait constituer un absolu. À ce titre, il conviendra de préserver la capacité des échelons tactiques à combattre en situation de frugalité électromagnétique.
● Enfin, tout l’enjeu consistera ensuite pour les armées à étendre le concept de RM2SE d’abord en interarmées puis d’y associer ses alliés. Le retour d’expérience de l’exercice « Convergence Capstone » intervenu en 2022 aux États-Unis a également mis en exergue le fait que la multiplication des senseurs/des capteurs conduit à la multiplication des données et des informations disponibles. Le commandement n’a pour l’instant pas la capacité de les analyser suffisamment rapidement pour distribuer ensuite les bonnes informations au bon moment vers les bons effecteurs. Deux solutions peuvent être envisagées pour y remédier, d’une part, le recours à l’intelligence artificielle et, d’autre part, ou l’augmentation de la « bande passante » dont disposent les armées pour s’échanger des informations (satellitaire, communication filaire, etc.)
S’il n’existe probablement pas « d’arme magique, de game changer, de silver bullet permettant d’inverser le cours de la guerre du jour au lendemain ([60]) », il ressort des auditions menées par vos rapporteurs et des scénarii évoqués supra, que l’innovation technologique est clé pour éviter le contournement de la supériorité des forces par des technologies de rupture qui n’auraient pas été anticipées. L’accélération des évolutions technologiques met néanmoins au défi le cycle d’adaptation capacitaire des armées, traditionnellement structuré autour de grands programmes d’armement plutôt adaptés au temps long. Or, il apparaît nécessaire aujourd’hui d’être en mesure de réfléchir sur plusieurs échelles de temporalité et de rechercher une plus grande agilité dans la conduite des programmes.
Vos rapporteurs sont convaincus que les efforts doivent d’abord porter sur la stimulation de l’innovation, et tout particulièrement celle issue des forces, puis sur l’accompagnement au passage à l’échelle de celle-ci. Par conséquent, les initiatives comme l’association des industriels à des grands exercices de type ORION doivent être généralisées pour tester et expérimenter les innovations plus rapidement en conditions. En outre, il apparaît bénéfique de privilégier une approche plus incrémentale permettant d’intégrer l’innovation aux grands programmes d’armement de manière progressive, par standard, afin de tenir compte de l’évolution très rapide des technologies. La logique incrémentale devrait s’accompagner de la promotion d’architectures dite ouvertes, afin de renforcer l’évolutivité des capacités et la mise en réseau des systèmes lorsque cette dernière est envisageable. Ces évolutions supposent d’associer en amont les industriels, la DGA et les forces dès le début des programmes pour convenir des spécifications qui répondent aux besoins opérationnels tout en s’assurant dès l’origine de leur caractère réalisable dans des délais et à un coût raisonnable. Enfin, vos rapporteurs estiment qu’une réflexion pourrait être menée afin de faciliter l’accès des entreprises innovantes à la commande publique ou du moins favoriser la bonne appropriation des outils permettant d’orienter la commande publique par les administrations.
a. Stimuler l’innovation y compris celle venant du terrain et privilégier une logique incrémentale dans les grands programmes
Il s’agit de préserver l’équilibre entre la capacité à faire la guerre d’aujourd’hui et à préparer celle de demain. La LPM fixe un équilibre à cet égard mais cet équilibre doit être interrogé et adapté tout au long de la période de programmation pour être en mesure d’intégrer des innovations et des ruptures qui n’avaient pas été identifiées dans cette temporalité. L’accélération des ruptures technologiques, les menaces et opportunités qu’elles représentent sont au cœur du processus d’anticipation stratégique.
● Pour ce faire, vos rapporteurs estiment nécessaire de poursuivre les efforts visant à susciter l’innovation, y compris, celles venant du terrain, puis l’accompagner dans son passage à l’échelle. Aussi, vos rapporteurs soutiennent-ils les efforts réalisés par l’AID notamment à travers le Fonds innovation Défense (FID) et la DGA à travers la mise en place d’une « force d’acquisition réactive » visant à raccourcir les cycles d’achat.
Pour stimuler l’innovation, les armées ont également créé des laboratoires de combat, comme le « battle lab Terre » créé en 2019, afin de développer des solutions innovantes en interne, qui sont ensuite expérimentées dans les forces. L’objectif de cette démarche est de faire évoluer les outils de l’armée de Terre pour répondre à des problèmes concrets qui se posent sur le terrain : c’est par exemple le sens du développement des véhicules de l’avant blindés dotés d’une adaptation réactive pour la lutte anti-drones (VAB ARLAD), domaine dans lequel l’armée de Terre accusait un certain retard. De même, c’est à l’issue de difficultés effectivement rencontrées par l’armée de Terre sur le terrain en Roumanie qu’ont été développées des passerelles de communication destinées à favoriser l’interopérabilité avec nos alliés en matière de transferts d’ordres, selon les informations fournies à vos rapporteurs. Une telle politique d’innovation au sein des armées implique un arbitrage entre l’exigence de sécurité des matériels et l’agilité requise par l’intensité de la compétition. Le passage à l’échelle et l’intégration dans les grands programmes représentent également un enjeu. Il s’agit, au-delà des prototypes, d’avoir la capacité à tester des primo-capacités sur le terrain. Le budget de l’AID destiné au passage à l’échelle, de l’ordre de 20 millions d’euros par an – et 24 prochainement grâce à la LPM 2024-2030 -, est certes significatif, mais les moyens demeurent circonscrits par rapport aux ambitions affichées. Par ailleurs, les procédures d’achat et d’acquisition des matériels innovants peuvent se révéler excessivement longues et complexes. En particulier, les startup et PME avec lesquelles l’armée de Terre travaille sont généralement efficaces et réactives mais peinent à assurer un passage à l’échelle du fait de la complexité des procédures administratives de réponse aux marchés publics, souffrant sur ce point de la concurrence d’acteurs dominants. Le CCF suggère dès lors d’apporter un soutien administratif à ces PME pour conserver un tissu économique innovant.
L’AID dispose également d’un système de « labellisation déléguée » au bénéfice des laboratoires d’innovation des armées qui doivent répondre à certaines priorités identifiées en amont. Ce dispositif permet à la fois pour la DGA de « gagner du temps » et de permettre un véritable passage à l’échelle sur certaines innovations stratégiques, sélectionnées par le comité de pilotage de l’innovation de défense (CPID), présidé par le DGA. À titre d’exemple, l’exercice Coubertin de préparation aux Jeux Olympiques a permis d’identifier certaines innovations en matière de C2 dans le cadre de la mise en œuvre de systèmes de lutte anti-drone (logiciel SAP, pour « situation aérienne partagée »), l’outil de supervision de l’activité drone du Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA). Pour faire autrement, l’AID cherche à stimuler son écosystème interne et externe, via des challenges, des défis, des appels à manifestation d’intérêt, des appels à projets.
● Toutefois, faire converger le temps long des programmes d’armement classiques avec la logique d’amélioration permanente portée par les nouvelles technologies, tout en sélectionnant les bonnes innovations demeure un défi permanent. Si une logique par incrément ou par standard est à privilégier, celle-ci bien que déjà présente pour certains programmes dans forces, comme le Rafale, doit être davantage systématisée et accélérée. Pour ce faire, il est nécessaire de privilégier des équipements à l’architecture ouverte, pour permettre leur adaptation régulière dans le cadre de projets incrémentaux, plutôt que de chercher à acquérir un équipement jugé « parfait » en tout point dès l’origine et qui pourrait en réalité s’avérer assez vite obsolète. Le caractère ouvert des architectures des équipements s’avère nécessaire pour mettre en réseau les systèmes d’armes et faire collaborer à terme les capteurs des différents équipements dans une logique RM2SE. Promouvoir une dynamique de décloisonnement des données entre les industriels, afin de pouvoir imposer une standardisation des systèmes constitue également une condition préalable pour que les systèmes puissent échanger des données entre eux, selon le capitaine de vaisseau Guillaume Pinget, de la division « cohérence capacitaire » de l’état-major des armées, auditionné par vos rapporteurs. En effet, l’accroissement de la réactivité dans l’intégration des innovations au sein des programmes d’armement peut se heurter parfois à des questions contractuelles, de propriété intellectuelle et de partage industriel. À ce titre, les personnes auditionnées ont fait part aux rapporteurs de l’exemple de l’amélioration envisagée de la précision de l’AMX10RC au moyen de capteurs via l’intelligence artificielle, qui ne peut actuellement être réalisée sans l’accord de l’industriel initial et intégrateur. Auditionné par vos rapporteurs, M. Aufort, directeur de l’AID, a indiqué que la DGA s’employait déjà à conclure des contrats avec de grands industriels qui contiennent des clauses prévoyant l’intégration de solutions issues de startups et de PME. C’est par exemple le principe du contrat CENTURION, conclu avec Thales et Safran au profit de l’armée de Terre (équipement du combattant de demain). Ce procédé contractuel pose toutefois deux enjeux, l’un financier – le montant de la somme concédée par le MINARM aux industriels pour qu’ils s’engagent à intégrer des innovations de startups est-il négocié de façon optimale ? – et l’autre relatif à la propriété intellectuelle – du fait de la crainte des acteurs émergents de voir leurs idées indûment récupérées par d’autres entreprises. L’articulation entre les programmes innovants et les programmes structurants représente une difficulté pour accélérer l’innovation et gagner en agilité. Vos rapporteurs estiment dès lors nécessaire de poursuivre les efforts de décloisonnement des données pour passer de systèmes fermés utilisant des formats propriétaires à des architectures nativement ouvertes à l’accueil de solutions logicielles et à l’échange des données.
Vos rapporteurs considèrent que plusieurs pistes peuvent être étudiées pour contribuer raccourcir le temps nécessaire à l’adaptation de notre modèle d’armée. Il convient notamment de poursuivre les efforts portés par le ministère des armées sur la modernisation des modes d’acquisition afin de gagner en rapidité d’action et en agilité. Si les « partenariats d’innovation ([61]) » ont été créés spécifiquement pour faciliter le passage à l’échelle des start-ups, l’AID concède que le processus est encore très complexe administrativement. L’AID travaille donc avec la DGA afin de proposer la publication de clauses simplifiées et compte l’expérimenter sur plusieurs sujets comme les textiles adaptés au personnel féminin ou des solutions de contre-minage. Vos rapporteurs soutiennent cette démarche et appellent à sa généralisation. L’ouverture plus large aux start-up de la commande publique impliquerait néanmoins un investissement conséquent de l’État en matière de maîtrise d’œuvre étatique (accompagnement juridique, management de la qualité, administratif…) et une acceptation plus forte des risques.
b. Saisir les opportunités offertes par les grands exercices pour expérimenter de nouvelles solutions innovantes
Vos rapporteurs estiment qu’il convient de saisir les opportunités offertes par les grands exercices pour expérimenter de nouvelles solutions innovantes. Vos rapporteurs se sont rendus en déplacement à Washington aux États-Unis, déplacement au cours duquel ils ont pu constater que l’accélération de l’innovation dans le domaine militaire passait notamment par l’organisation de l’exercice CASPTONE, au cours duquel de nombreux matériels innovants étaient testés et les alliés conviés et notamment la France pour l’édition 2024. Toutefois, si le système américain favorise le foisonnement de l’innovation dans une logique parfois redondante au sein de chaque armée, les autorités militaires n’hésitent pas à abandonner un programme qui ne porterait pas ses fruits, c’est notamment le cas pour le programme d’hélicoptères de combat (Future Attack Reconnaissance Aircraft).
Aussi, vos rapporteurs souhaitent-ils que les initiatives comme l’association des industriels à des grands exercices de type ORION puissent être généralisées pour tester et expérimenter les innovations plus rapidement dans des conditions proches des conditions réelles, dans l’objectif de mettre plus rapidement les équipements en développement ou en service dans les forces. En effet, ce type d’exercice offre de rares opportunités de mise en tension capacitaire et l’opportunité d’engager des capacités encore expérimentales avant leur réception dans les forces. Ces pré-déploiements permettent de corriger les faits techniques résiduels, d’en accélérer l’appropriation et d’initier les évolutions doctrinales. Tester en situation représentative des capacités nouvelles et accélérer l’innovation représente une source d’apprentissage précieuse. Cette démarche a également vocation à « déstigmatiser l’échec », valoriser la prise de risque technique et sensibiliser les acteurs aux réalités opérationnelles. Lors d’ORION 2023, par exemple, le système Gotors développé par la jeune entreprise française Arkeocean, qui permet de faire évoluer un essaim de drones sous-marins capable de neutraliser un navire de guerre grâce à une technologie de guidage acoustique, s’est vu attribuer le label « Perseus » par le chef d’état-major de la marine nationale et le directeur adjoint de la DGA à la suite à un essai concluant durant l’exercice. Orion 2026 pourrait ainsi permettre d’expérimenter dans un cadre représentatif certains démonstrateurs qui sont encore en phase de test. Enfin, les démonstrations technologiques contribuent également au signalement stratégique vis-à-vis de nos alliés comme de nos compétiteurs.
3. Deux domaines clés porteurs de ruptures technologiques à investir : les drones et l’intelligence artificielle
La LPM identifie plusieurs domaines clés pour capter les innovations et ruptures technologiques jugées nécessaires pour préserver la supériorité opérationnelle de nos forces dans le futur (armes à énergie dirigée, intelligence artificielle, systèmes autonomes, etc.). En parallèle, des efforts sont ciblés pour combler les secteurs de moindre force (DSA, munitions, drones, etc.). Pour voir loin, il est en effet impératif d’identifier les prochaines ruptures technologiques susceptibles de représenter des ruptures géostratégiques et de comprendre les menaces qui y sont associées. Selon l’AID, les applications militaires de l’IA, les systèmes autonomes, la maîtrise des armes à énergie dirigée, la convergence des nanotechnologies, biotechnologies, de l’informatique et des sciences cognitives, l’hyper-vélocité et le quantique sont illustratifs de ces ruptures possibles.
Parmi les dix technologies prioritaires inscrites dans la LPM, il convient de noter que toutes les technologies n’ont pas atteint le même niveau de maturité. Certaines sont déjà parvenues à maturité. Selon l’AID, c’est notamment le cas des armes à énergie dirigée – pouvant être de nature laser ou électromagnétique -, dont de premiers démonstrateurs sont déjà prêts à être déployés. L’effort dans ce domaine a été accéléré en prévision des JOP 2024 : un dispositif de lutte anti-drones (LAD) au fonctionnement laser sera utilisé, après une expérimentation concluante lors de la coupe du monde de rugby de 2023. L’enjeu est désormais de générer une montée en puissance des capacités de défense anti-aérienne par armes à énergie dirigée en combinant des faisceaux laser pour traiter des objets plus grands que des drones, idéalement même des missiles. L’avantage d’une telle technologie est son très faible coût d’utilisation, celui-ci n’étant qu’énergétique (soit quelques dizaines d’euros selon le directeur de l’AID). Par leur faculté de régénération quasi-instantanée, les armes à énergie dirigée permettent ainsi de traiter des menaces multiples de façon réactive et réitérée.
À l’inverse, d’autres technologies requièrent des progrès encore significatifs pour parvenir à maturité. C’est le cas en matière d’hyper-vélocité, notion qui renvoie à la combinaison d’une vitesse hypersonique (c’est-à-dire une vitesse supérieure à Mach 5) et d’un système manœuvrant. Il s’agit des missiles et planeurs envoyés en dehors de l’atmosphère et dont il faut anticiper la trajectoire de rentrée. Si cette technologie représente un potentiel de rupture en termes de capacités de pénétration, son développement nécessité des investissements plus lourds que pour les armes à énergie dirigée car la forme des objets peut être modifiée au gré de leur utilisation, ce qui suppose de trouver des matériaux adaptés et d’affiner les dispositifs de guidage.
À plus long terme, une autre technologie majeure est celle du quantique, notion en réalité assez large qui renvoie à la fois aux capteurs, à la cryptographie et aux calculateurs. Selon le directeur de l’AID, « L’après 2030 sera l’ère du calculateur quantique ». La technologie quantique se décline en trois types d’applications possibles : le calcul quantique – selon l’AID, les ordinateurs quantiques disposeront d’une puissance de calcul tellement phénoménale qu’elle sera apte à casser et à rendre transparentes l’intégralité de la cryptologie et des messageries actuelles, suite à quoi devrait également se développer une nouvelle cryptologie plus robuste -, les capteurs quantiques – sur le plan militaire, ils pourraient permettre de détecter les moindres modifications des courants marins et de la structure de l’eau de mer, de façon à détecter des mouvements des sous-marins aujourd’hui indétectables - et donc de porter atteinte à l’efficacité de la composante océanique de la dissuasion nucléaire - et enfin les communications quantiques, plus rapides et robustes. L’apport du quantique réside dans le niveau de précision des mesures qu’il permet, notamment pour le champ magnétique terrestre, le positionnement (possibilité de se positionner sans GPS et donc de s’affranchir des brouillages GPS) et la détection (de sous-marins, de mines, etc.). Si de premiers capteurs quantiques existent déjà – par exemple le gravimètre GIRAFE 2 ([62]) – et font l’objet d’investissements constants ([63]), les premiers calculateurs quantiques ne seront toutefois pas matures avant 2030 au plus tôt.
Vos rapporteurs, compte tenu de l’ampleur du sujet ont choisi d’approfondir deux domaines qu’ils estiment constitutifs de ruptures technologiques, sans bien sûr viser à l’exhaustivité : les drones et l’intelligence artificielle.
a. Accélérer la « dronisation » des armées en soutenant la BITD française
Le domaine des drones constitue un domaine clé, conforté par le retour d’expérience de la Guerre en Ukraine, dans lequel il convient de remonter en puissance afin de combler le relatif « retard » des armées françaises en la matière.
● La situation en Ukraine montre une nouveauté dans l’utilisation massive des drones lors du combat : peu chers, ils permettent de saturer les défenses antiaériennes de l’adversaire et de créer un fossé entre le prix de l’arme utilisée et le prix de l’objectif détruit. Ce phénomène est également visible en Mer Rouge, avec l’utilisation de drones par les Houthis contre des frégates. Comme le montrent les derniers théâtres d’opérations, l’emploi des drones se généralise et constitue une menace de plus en plus prégnante pour nos forces avec tout type de vecteurs, en passant par des systèmes perfectionnés (munitions rodeuses, etc.) jusqu’à des systèmes de conception souvent facile et peu onéreux. Aussi, la défense surface-air et la lutte anti-drone doivent constituer un continuum multicouche apte à traiter à la fois une menace bas du spectre en augmentation et une menace haut du spectre de plus en plus complexe. S’agissant du conflit en Ukraine, selon le général (2S) Grégoire de Saint-Quentin, auditionné par vos rapporteurs, « la première année du conflit, 2022, a été celle de la naissance de l’industrie du drone, tandis que la deuxième, 2023, fut celle des contre-mesures et de la guerre électronique destinée à brouiller les drones adverses. Il est fort à parier que la troisième année, 2024 – déjà entamée -, soit celle des « contre-contre-mesures » : pour contrer le brouillage des drones. Il est en effet nécessaire de conférer davantage d’autonomie de navigation aux systèmes d’armes, ce que permet de faire l’IA. »
● Si les mesures inscrites dans la LPM 2024-2030 visent à combler le retard en matière de « dronisation » à l’horizon 2030, la nécessité d’accélérer cette remontée en puissance se fait particulièrement sentir dans le domaine terrestre. Comme l’indiquait le général Métayer, « Il convient de poursuivre le virage des drones, en particulier pour les opérations aéroterrestres. Au regard des stratégies A2/AD de déni d’accès et d’interdiction de zone dont nous avons un important Retex en Ukraine, nous ne pourrons pas engager des hélicoptères ou des avions de transport d’assaut aussi librement que par le passé. Le drone va nous permettre, pour des manœuvres de saturation, de développer le concept de manœuvres en essaim, observé de façon embryonnaire en Ukraine. C’est une façon de saturer les défenses adverses, d’ouvrir un couloir ou de réaliser des effets qu’on ne peut développer avec les moyens classiques dont nous disposions jusqu’à présent. Il faut poursuivre le développement capacitaire des drones. » Vos rapporteurs saluent à cet égard la volonté du chef d’état-major de l’armée de Terre de faire de la « dronisation » de l’armée de Terre une priorité et de généraliser les entraînements sur drones, dans une logique « volez comme vous tirez ». L’armée de Terre, constitue le principal utilisateur de drones, et mettra en œuvre à l’horizon 2025 plus de 3 000 drones (dont 90 % de micro et nano). Cette volonté se traduit par exemple de manière concrète par la création de l’école des drones (EDD) à Chaumont en juillet 2023, que vos rapporteurs ont pu visiter. Vos rapporteurs retiennent en particulier la nécessité de disposer de plus de drones et de modèles mieux adaptés aux environnements contestés - drones plus furtifs qui résistent au brouillage et adaptés au combat en zone urbaine, en milieu clos -, tandis que la dotation de l’EDD apparaît « juste suffisante » pour assurer ses missions, compte tenu de la montée en puissance annoncée. De plus, le segment drones se prête particulièrement à un foisonnement d’innovations développées directement dans les forces et notamment par le 17ème groupement d’artillerie de Biscarosse qui a développé une capacité de production de drones grâce à l’impression 3D et envisage un projet de fabrication autonome mobile pour pouvoir produire directement au plus près des combats des drones à faible coût. Il convient d’encourager ces innovations mais également de les accompagner ensuite dans leur passage à l’échelle. Vos rapporteurs estiment que les exercices comme ORION pourraient également constituer une opportunité pour tester ces innovations « en condition réelle ». Malgré l’ambition inscrite dans la LPM de « développer rapidement une filière française de MTO à bas coût et, à l’horizon 2030, d’atteindre la capacité de vol en essaims », il ressort des auditions menées que les innovations comme le vol « d’essaims de drones » avec des applications militaires appartiennent pour l’instant encore au champ de la prospective, bien que des exercices de mise au point soient déjà engagés pour faire coopérer des drones entre eux de façon relativement autonome (challenge « CoHoma »). Actuellement, les systèmes utilisés demeurent encore relativement basiques – reposant en général sur un drone seul piloté par un télépilote.
● Par ailleurs, compte tenu de l’évolution très rapide du secteur civil, vos rapporteurs considèrent que la montée en puissance du segment drone nécessite une plus grande coopération avec les industriels du secteur. Alors que certains programmes structurants comme celui du drone Patroller ont connu d’importants retards, peu compatibles avec le rythme d’évolution des innovations, il apparaît préférable d’être plus attentif dès la conception du programme aux capacités réelles des industriels au risque de développer des programmes potentiellement rapidement obsolètes une fois mis en service.
Vos rapporteurs ont auditionné Bastien Claude Chenuil, consultant Drones du GICAT, et M. Bastien Mancini, président de Delair et de l’ADIF co-auteurs d’un rapport qui propose une feuille de route technologique, industrielle et capacitaire centrée sur les drones aériens et les munitions télé-opérées (MTO) de moins de 150 kg destinés à l’armée de Terre. Vos rapporteurs en retiennent notamment le constat d’un domaine technologique en pleine expansion avec une dynamique de renouvellement de gamme de deux à trois ans, voire moins en temps de guerre pour certains sous-systèmes, qui fait face à des procédures d’acquisition courantes de la DGA établies pour des programmes longs qui apparaissent inadaptées aux drones « légers ». Aussi, les co-auteurs du rapport proposent-ils une solution dans laquelle les industriels doivent prendre le risque d’autofinancer une partie des systèmes mais dans laquelle l’État doit en contrepartie s’engager à acheter en petite quantité des modèles pour entretenir la filière de production. En effet, dès lors que la menace évolue en permanence, il faut être en mesure de faire évoluer les systèmes d’armes aisément, et donc préparer l’industrie de défense à adapter ses produits. Il ne s’agit pas d’acheter aujourd’hui aux industriels l’intégralité de leurs technologies les plus innovantes, mais de les stimuler en permanence via des défis, appels à projets et acquisitions en nombre limité. Les co-auteurs estiment, par ailleurs, qu’il convient « de prévoir dès le temps de paix les conditions industrielles, financières et légales d’une montée en puissance de la production en temps de crise pour garantir une capacité de production en masse de drones/MTO incorporant les dernières innovations. » Ce qui permettrait de « dimensionner les stocks uniquement pour les exercices de temps de paix, ainsi que pour « tenir » au début du conflit le temps nécessaire à la montée en cadence de la production ». Les auteurs estiment qu’il serait ainsi envisageable de prévoir dès le contrat temps de paix, des dispositions pour commander des matériels supplémentaires en temps de guerre/crise, avec des délais et des cadences qui auront été prédéfinis. Cette remontée en puissance reposerait selon les auteurs du rapport sur un « pacte drone défense » entre le ministère des armées et la filière des drones aériens/MTO de moins de 150 kg pour qu’un pilotage de celle-ci s’instaure au travers d’un dialogue régulier entre acteurs étatiques et industriels. Vos rapporteurs s’associent notamment à la recommandation des auteurs visant à créer un label « drones de confiance », conformément à la LPM qui prévoit la création d’un « dispositif de distinction de « drones de confiance » […] d'ici à la fin de l'année 2024 », et selon une procédure pilotée par la DGA qui prendrait en compte plusieurs critères visant à évaluer le degré de confiance dans le fabricant et dans le système (implantation géographique, fiabilité, sécurité des informations, etc.) Les enjeux ici concernent la « confiance » que l’utilisateur du drone peut placer dans le produit et dans son fabricant. Le conflit en Ukraine a fait naître des préoccupations légitimes sur la capacité qu’auraient certains fabricants de drone de limiter, voire désactiver, à distance le fonctionnement de ses drones, sans que l’utilisateur puisse s’en prémunir. Les auteurs estiment que l’application obligatoire d’un tel label rendrait plus difficile l’accès aux marchés régaliens français par des fabricants de pays extérieurs à la « zone de confiance », ce qui permettrait également d’aider nos entreprises. Enfin, alors que la Direction de la maintenance aéronautique (DMAé) a notifié le 8 avril 2024 au groupement Survey Copter, EOS Technologie, Delair et Thales un marché pour la fourniture de drones à des fins de renseignement à travers une procédure d’acquisition présentée comme plus réactive et simplifiée ([64]), vos rapporteurs estiment qu’il pourrait être envisagé d’étendre cette procédure d’acquisition au-delà des drones ISR (renseignement, surveillance et reconnaissance).
Le GICAT et l’ADIF ont publié le 18 avril 2024 un rapport co-rédigé par M. Bastien Claude Chenuil, consultant Drones du GICAT, et M. Bastien Mancini, président de Delair et de l’ADIF. Ce rapport, qui conclut les travaux d’un groupe de travail créé dans le contexte de la guerre en Ukraine, établit une proposition de feuille de route technologique, industrielle et capacitaire centrée sur les drones aériens et les munitions télé-opérées (MTO) de moins de 150 kg destinés à l’armée de Terre.
Plus précisément, le rapport recommande :
Emploi dans l’armée française :
– Que l’armée de terre constitue le plus rapidement possible des régiments expérimentaux entièrement « dronisés » i.e. avec une dotation complète en drones/MTO (MTO simulées dans un premier temps) et des plans de formation/entraînement drones globaux. Ce déploiement permettra d’affiner les corpus doctrinaux, identifier les problématiques, progresser par itérations rapides ;
– Que soit rapidement créée une unité FORAD (FORce ADverse) représentative d’un ennemi qui serait arrivé à maturité dans le domaine de l’emploi des drones et MTO, pour préparer les unités à un conflit de haute intensité ;
– Que la réserve opérationnelle soit spécifiquement utilisée pour le recrutement d’opérateurs de drones civils, qui participeront sans délai à l’effort de formation.
BITD :
– Que les drones, les MTO, et leurs écosystèmes soient déclarés « systèmes de souveraineté », afin de favoriser leur développement et ainsi garantir notre autonomie stratégique dans la durée ;
– Que soit construite une feuille de route « production industrielle » afin de garantir l’autonomie stratégique de la France dans ce domaine au niveau adéquat.
Navigabilité et zones d’essai :
– Que le ministère des Armées s’investisse directement avec la direction générale de l’aviation civile (DGAC) pour élaborer une politique nationale cohérente en matière de moyens d’essais drones et de navigabilité.
Conduite des programmes d’armement « drones/MTO » :
Selon le groupe de travail GICAT-ADIF, les procédures d’acquisition courantes de la DGA ont été établies pour des programmes longs et sont, dès lors, inadaptées aux drones « légers », dont l’évolution technique et doctrinale d’emploi est très rapide.
Pour développer un marché souverain, le groupe de travail propose donc :
– D’encourager les industriels à innover en mettant en place un dispositif de concertation recherche et développement (R&D) qui déclinerait une politique de soutien à l’innovation de la filière ;
– D’encourager ces mêmes industriels à développer sur fonds propres des équipements novateurs, même s’ils ne répondent pas à un besoin clairement exprimé, comme cela a été le cas pour le CAESAR. Pour cela, il faut que le ministère des Armées définisse les conditions permettant d’en commander, à la fin du développement, une petite série à des fins d’expérimentation pour en évaluer le potentiel opérationnel et donner un label « French army used » et qui puisse bénéficier du soutien à l’export (SOUTEX) ;
– D’acheter, en utilisant des procédures à courts délais de passation et/ou en recherchant des formes de contractualisation innovantes (idéalement, une opération d’acquisition drones/MTO majeure tous les ans) et d’acheter régulièrement des séries plus limitées de matériels : « le marché soutient l’innovation » ;
– En dehors de quelques programmes d’armement pour des drones/MTO de moins de 150 kg répondant à des exigences très spécifiques, de privilégier au maximum les achats de matériels sur étagère français (ou répondant à nos impératifs de souveraineté nationale via par exemple des capacités garanties de production sous licence en France si besoin). Des accords-cadres permettant de commander rapidement tout type de drone disponible sur étagère pourraient être mis en place en s’inspirant de marchés déjà existants ;
– De prévoir, dès le temps de paix, les conditions industrielles, financières et légales d’une montée en puissance de la production en temps de crise (organisation, matières premières et composants, etc.) pour garantir une capacité de production en masse de drones/MTO incorporant les dernières innovations. Dimensionner les stocks uniquement pour les exercices de temps de paix, ainsi que pour « tenir » au début du conflit le temps nécessaire à la montée en cadence de la production.
Pour stimuler la structuration de la BITD des drones légers, le groupe de travail propose finalement les mesures suivantes :
– Mettre en place une organisation adaptée au sein du ministère des Armées (DGA/EMA) pour piloter avec efficacité ces projets atypiques parmi les programmes d’armement ;
– Mettre en place un « pacte drone défense » entre le ministère des Armées et la filière des drones aériens/MTO de moins de 150 kg, représentée par le GICAT et l’ADIF, associations professionnelles représentatives, pour qu’un vrai pilotage de celle-ci s’instaure au travers d’un dialogue régulier entre acteurs étatiques et industriels, doublé de mesures concrètes d’accompagnement et de soutien à celle-ci ;
– Créer un label « drones de confiance » comme inscrit dans la loi de programmation militaire 2024-2030 (LPM) et selon une procédure pilotée par la DGA (confiance dans le fabricant et dans le système : fiabilité, sécurité des informations, etc.) ;
– Poursuivre une politique active mais sélective de commande publique, sans vouloir jouer au « mécano industriel » ;
– Atteindre en fin de LPM un montant annuel des ressources allouées aux drones/MTO de moins de 150 kg de 250 M€ (170 M€ pour les acquisitions, 60 M€ pour la R&D, 20 M€ pour la maîtrise de la souveraineté industrielle).
Dans le détail, le rapport contient 22 recommandations et 9 propositions. Le groupe de travail poursuivra ses travaux en 2024, en approfondissant certains sujets qui n’ont pu être complètement traités comme les interfaces ou l’intégration des drones sur véhicules.
Source : Rapport drones GICAT-ADIF, avril 2024
b. Accélérer l’usage de l’intelligence artificielle au profit des opérations pour accroître la supériorité opérationnelle et l’efficacité au quotidien des travaux du personnel du ministère
Technologie duale, l’intelligence artificielle (IA) est porteuse de transformation majeure pour les combats futurs. Comme l’a rappelé le ministre des armées, Sébastien Lecornu, lors de son discours à Polytechnique le 8 mars 2024 « le saut technologique que représente l’intelligence artificielle est sans doute celui qui révolutionnera la manière de faire la guerre ou même, plus important encore, de l’éviter comme l’atome en son temps. » Compte tenu de la récente structuration de l’écosystème d’IA de défense à travers la création de l’Agence ministérielle pour l’IA de défense (Amiad) et des avancées rapides de l’IA générative, vos rapporteurs estiment qu’une mission d’information de la commission de la défense serait la bienvenue face à l’importance des enjeux associés, tant éthiques que militaires et qu’économiques.
● Qualifiée « d’accélérateur d’analyse » par le vice-amiral Aussedat, adjoint « Forces » du DGA, l’IA doit, en effet, permettre d’effectuer des tâches normalement dévolues à l’intelligence humaine mais dans un temps réduit. Les systèmes d’armement reposant davantage sur la collecte des données à travers la croissance constante du nombre de capteurs, ne s’accompagnent pas nécessairement d’une hausse suffisante du nombre d’analystes. Dès lors, la maîtrise et le traitement de ces données s’avèrent décisifs dans le cadre des conflits de haute intensité dans le but de transformer les données en informations intelligibles, directement exploitables pour les opérations. L’enjeu principal est, à ce titre, le raccourcissement de la boucle de compréhension et de décision au-delà des capacités humaines, autant dans le domaine du combat (accélérer la prise de décision des opérateurs sous le feu) que du renseignement (faire émerger les signaux faibles dans la masse des données disponibles). Cette accélération des processus est très prometteuse d’un point de vue opérationnel puisqu’elle doit permettre de raccourcir la boucle dite OODA (observation, orientation, décision, action). En automatisant la phase d’orientation, elle laisse davantage de temps pour la prise de décision éclairée. Comme le résumait le général (2S) Grégoire de Saint-Quentin, vice-président de Preligens, auditionné par vos rapporteurs, à travers des projets tels que ARTEMIS IA (architecture de traitement et d’exploitation massive de l’information multi-sources et d’intelligence artificielle), « l’objectif est d’obtenir une information intelligible parmi des milliards de données, puis de les diffuser adéquatement « aux bonnes personnes, au bon moment ».
Si l’IA de défense demeure pour l’instant à ses débuts, le ministère des armées travaille d’ores et déjà sur plusieurs cas d’usage de l’IA susceptibles de changer la nature du combat à l’avenir. En effet, l’IA devra être adaptée à l’environnement et aux exigences de fonctionnement imposées par les opérations, conduites en interarmées et en interalliés, dont les problématiques ne sont que partiellement couvertes par l’approche civile de l’IA, voire en constituent des angles morts. Selon les informations fournies à vos rapporteurs, l’IA permettra notamment d’exploiter le renseignement plus rapidement - tant dans la phase de tri que dans celle de synthèse -, d’emmener les drones jusqu’à leur cible sous brouillage - c’est-à-dire même lorsque la communication aura été coupée avec leurs pilotes -, d’accroître la létalité et la coordination des drones - dans le cas du pilotage par l’IA d’essaims de drones emportant chacun un obus anti-char-, d’aider à la logistique et à la maintenance prédictive - pour optimiser la gestion du matériel en permanence.
En effet, le ministère des armées a lancé une stratégie sur l’IA de défense dès 2018 qui a permis le financement de plus de 400 projets. Parmi eux, selon les informations fournies à vos rapporteurs par l’AID, dans le domaine du renseignement, par exemple, la DGA a permis à la société Preligens de s’associer à la direction du renseignement militaire (DRM) pour mener l’expérimentation TAIIA, qui repose sur le recours à l’IA pour automatiser une partie de la reconnaissance des activités militaires sur les images satellitaires et permet ainsi de faciliter le travail des interprètes photo (IP). De la même façon, le projet ANAIS (« Analyse des Incohérences de Situation maritime ») porté par la Fabrique Numérique du MINARM repose sur l’IA pour améliorer la surveillance maritime et détecter des comportements anormaux. L’on peut encore citer l’outil SEPIA, qui facilite la posture permanente de sécurité (PPS) en aidant à anticiper les trajectoires des aéronefs et à optimiser les interventions de la police du ciel, en lien avec le Centre national des opérations aériennes (CNOA) de Lyon Mont Verdun, ou encore le projet DeTOX visant à lutter contre les vidéos hyper-truquées de personnalités françaises. Enfin, l’IA peut être exploitée pour de nombreux usages internes du MINARM (chatbots, etc.), estimés à environ 400 cas d’usage potentiels.
● À terme, l’IA devrait permettre la mise en œuvre concrète du concept RM2SE. Le général de Saint-Quentin a par ailleurs indiqué que l’apport majeur de l’IA résidait à terme dans sa capacité à permettre la « fusion » de l’information et à accélérer son partage. Si l’horizon du réseau multi-senseurs multi-effecteurs (RM2SE) relève, selon le général, d’une vision haute du but à atteindre, il y a bel et bien un ambitieux travail de connectivité à mener entre les différents milieux, ce que reflète la notion de M2MC - que les Américains qualifient quant à eux d’approche « all-domains ». Actuellement, les armées n’ont pas encore atteint cet objectif ambitieux en interarmées ni en interalliés, a estimé le général de Saint-Quentin. Là où l’interarmées se limitait à la coordination des manœuvres, l’IA permettra d’accélérer le décloisonnement de l’information et d’assurer son partage en temps contraint entre tous les acteurs, quel que soit leur milieu de lutte ou le niveau de classification des données (fusion all-domains). Selon Loïc Mougeolle, co-fondateur et CEO de Comand AI, le commandement et la planification des opérations militaires requièrent désormais une coordination M2MC tellement complexe qu’elle dépasse les capacités cognitives humaines. Dès lors, l’IA permettra non pas d’automatiser complètement les procédures, mais d’améliorer les capacités humaines, notamment celles des officiers qui conduisent les opérations. Les gains que l’on peut espérer en recourant à l’IA avec une solution telle que proposée par l’entreprise Comand AI sont aujourd’hui de l’ordre d’une réduction par dix du temps requis pour planifier une opération et donc également d’une réduction du nombre de personnels à mobiliser. Il s’agit d’un véritable changement de donne pour les forces armées. Selon Philippe Keryer, directeur de la stratégie du groupe Thales, si l’IA comporte des risques qu’il faut maîtriser, elle est absolument nécessaire compte tenu de l’accélération de la circulation de l’information sur le terrain. Selon lui, dans quelques années, la notion de « méta-senseurs » s’imposera, c’est-à-dire qu’il faudra associer en temps réel des informations issues de différents senseurs et capteurs, lesquels devront eux-mêmes s’améliorer en permanence.
● Le domaine de l’IA a fait l’objet d’avancées récentes et vos rapporteurs saluent la création annoncée en mars 2024, de l’Agence ministérielle pour l’IA de défense (Amiad), qui aura pour but de coordonner et de prioriser les projets d’IA de défense en France, d’accélérer l’usage de l’IA au profit des opérations pour accroître la supériorité opérationnelle des armées et l’efficacité au quotidien des travaux du personnel du ministère mais également de recruter des nouveaux talents. Est également prévue l’acquisition d’un supercalculateur fonctionnant par IA, dédié au traitement d’informations classifiées, qui sera le plus grand de ce type en Europe. Enfin, la France mène également un effort diplomatique au sein des enceintes internationales afin de réguler l’IA et notamment son application au niveau des systèmes d’armes létales autonomes (SALA). Au plan national, un comité d’éthique de la défense (COMEDEF) a été institué en 2020, qui a conduit notamment à insister sur la nécessité de laisser la place à l’être humain pour la prise de décision dans le cadre de l’utilisation des systèmes d’armes.
● Toutefois, l’enjeu réside dorénavant dans le passage à l’échelle des solutions innovantes fondées sur l’IA de défense, dans un environnement complexe avec des données souvent sensibles. S’agissant des attentes vis-à-vis de l’Amiad, le général de Saint-Quentin a mis en avant le fait qu’il était nécessaire d’opérer d’un changement d’approche, lié à la numérisation progressive de tous les équipements, qu’ils contiennent de l’IA ou non. Cette transformation imposait des boucles de rétroactions beaucoup plus fréquentes entre opérationnels et industriels que dans le cas des programmes précédents. Un logiciel peut, et doit, être amélioré en continu, a fortiori quand il contient de l’IA qui est encore une technologie naissante ou les progrès en quelques semaines peuvent être fulgurants. Cela nécessite de faire évoluer les organisations dans le sens d’une plus grande imbrication entre les acteurs. L’Amiad peut jouer un rôle moteur dans ce sens. Par ailleurs, les acteurs du secteur auditionnés par vos rapporteurs se sont accordés sur la nécessité d’un accompagnement renforcé de la part du ministère des armées. Les axes d’améliorations avancés tiennent principalement, d’une part, au rythme de contractualisation avec le ministère des armées ; à la pleine exploitation par les administrations des souplesses offertes par le cadre de la commande publique pour les marchés innovants - notamment via les marchés de défense et de sécurité qui dérogent aux règles classiques de l’UE ou « les marchés d’innovation » ; à la simplification des spécifications ou encore un plus grand décloisonnement entre les ministères permettrait un meilleur accès à d’autres marchés publics et aux financements interministériels des solutions à base d’IA.
● Enfin, le développement des IA génératives offre également des perspectives en matière de lutte informationnelle qu’il convient de mieux prendre en compte. Les personnes auditionnées ont rappelé, en se référant à l’ouvrage du sociologue Gérald Bronner, Apocalypse cognitive (2021), que le coût nécessaire pour démentir une fake news était supérieur à celui nécessaire pour en produire une. Dès lors, puisque la seule façon efficace de contrer l’IA semble être l’IA elle-même, il pourrait être envisagé de développer des outils d’IA qui puissent répondre aux fake news générées par l’IA. Elle offre un potentiel de réponse efficace face à l’ampleur et au volume de certaines opérations informationnelles. En effet, comme l’indique M. Stéphane Bouillon, SGDSN : « L’IA est un outil puissant, qui peut être utilisé par nos compétiteurs à notre désavantage, mais nous pouvons également nous en servir pour identifier les attaques et y réagir. »
B. Se préparer aux crises majeures dès le temps de paix
Si le ministère des armées s’efforce de maintenir une supériorité technologique, l’usage des nouvelles technologies viendra pour autant se superposer au combat « classique » dans le cadre duquel le facteur humain jouera un rôle déterminant. Aussi, vos rapporteurs considèrent-ils que l’affermissement des « forces morales » de la nation, la mise en place d’une cadre juridique adapté aux nouveaux types de crises, ainsi que la mobilisation du secteur privé pour s’assurer de sa capacité de soutenir l’effort de guerre en temps utile doivent se préparer dès le temps de paix.
Dans ce cadre, vos rapporteurs estiment que face à la multiplication des crises de toute nature, il convient de se prémunir du risque d’une banalisation du recours aux armées – ces dernières ne devant être mobilisées qu’en dernier recours, lorsque l’ampleur de la crise et sa nature le justifient. Cet état de fait ne doit néanmoins pas dispenser d’une réflexion à froid sur l’articulation entre forces armées et forces de sécurité intérieure sur le territoire national ainsi que sur la nécessaire modernisation du concept de « défense opérationnelle du territoire » (DOT).
1. L’écueil d’une banalisation du recours à l’engagement des armées pour faire face à tout type de crise
Comme vos rapporteurs l’ont déjà rappelé plus haut, parmi les scénarii d’anticipation les plus déstabilisateurs pour les armées, figure en bonne place la multiplication des théâtres d’opérations et la dispersion des engagements résultant en une mise en tension très forte des contrats opérationnels. Aussi, face à la multiplication des crises de toute nature, les forces armées ne peuvent-elles apparaître comme l’unique recours et doivent-elles demeurer l’ultima ratio. À ce titre, la règle dite des « 4i » vise à préserver les forces armées, en tenant compte des points de rupture des forces civiles.
a. Le recours parfois abusif à la notion de crise ou de guerre et ses effets délétères sur la perception de la spécificité militaire par les citoyens
● Si la notion de « crise », voire de « guerre » est utilisée pour désigner de nombreuses réalités parfois disparates – « guerre contre la Covid 19 », « guerre contre le terrorisme », etc., – vos rapporteurs identifient deux principaux risques afférents.
D’une part, l’écueil de tomber dans la « crise permanente », qui conduirait à une banalisation du recours à des mesures d’exception et emporterait des risques pour la sauvegarde des droits et les libertés des citoyens. C’est pourquoi, malgré la nécessité de penser une gradation des régimes juridiques pour faire face aux nouvelles menaces « sous le seuil » du conflit armé, la distinction temps de paix et temps de guerre doit néanmoins être préservée.
D’autre part, le recours, parfois abusif, à la notion de « crise » ou de « guerre » n’est pas sans conséquence sur la perception qu’ont les citoyens de la spécificité militaire. Auditionnée par vos rapporteurs, Mme Bénédicte Chéron, chercheuse, a ainsi rappelé que l’emploi du terme « crise » était apparu dans les années 1970 dans le vocabulaire stratégique et militaire puis s’était généralisé, à tel point que dans les années 1980, les armées ont pu apparaître comme le recours à « toute crise », y compris de nature non militaire. Selon Bénédicte Chéron, cette banalisation du recours aux forces armée conduit à écraser la compréhension que la société française peut avoir des différents niveaux d’adversité : « quand on vient dire que tout est crise et nécessite par conséquent un recours à la force armée, la compréhension que la population peut avoir des évènements est brouillée ». Bénédicte Chéron a tenu à rappeler que la violence inscrite dans les rapports de forces politiques n’est pas de même nature que la violence résultant de rapports « non politiques », à l’image des catastrophes naturelles ou des pandémies et doit donc faire l’objet d’une distinction claire dans le discours politique. À ce titre, Maxime Launay, également auditionné par vos rapporteurs, a constaté une hybridation plus forte des missions confiées aux militaires ces dernières années : à travers la création d’unités dédiées comme les formations militaires de la sécurité civiles (ForMiSC ([65])), sous l’autorité du préfet, la multiplication des opérations intérieures (OPINT), ou encore le recours aux forces armées pour faire face aux catastrophes naturelles, à l’image du cyclone IRMA en 2017 (missions logistiques, de sécurisation face à d’éventuels pillages et de protection des populations) ou aux pandémies, comme ce fut le cas lors de la crise de la Covid-19 (opération résilience : transport médical, renfort SSA, construction d’hôpitaux de campagne, surveillance des dépôts de masque, etc.).
● Or, un des critères pour évaluer la qualité de la relation entre les armées et la société réside dans la bonne compréhension des enjeux de défense, laquelle est guidée par une vision claire de la spécificité militaire. Bénédicte Chéron définit cette spécificité comme la capacité à porter un dommage à un ennemi par l’exercice d’une violence collective sur ordre de l’autorité politique. Si à travers le déploiement de l’opération Sentinelle après les attentats de 2015, les armées sont devenues plus visibles, cette présence accrue sur le territoire national ne s’est pas nécessairement accompagnée d’une meilleure compréhension de leur rôle. Comme l’identifiaient les auteurs du rapport de la mission flash sur les relations civilo-militaires à la lumière de la crise de la covid-19 de la commission de la défense nationale et des forces armées ([66]), l’intervention des militaires est souvent perçue comme « gratuite pour ses usagers, disponible en tout temps et tous lieux » et emporte par conséquent un risque « d’accoutumance » à l’intervention des forces armées, au risque de les détourner de leur mission première qui demeure la défense de l’intégrité du territoire et la protection de la population contre les agressions armées. Bénédicte Chéron considère que cette systématisation du recours à la force armée pour faire face à tout type de crise est d’autant plus problématique qu’elle laisse penser que les forces armées constituent une des seules, si ce n’est la seule administration, efficace pour faire face aux crises, sans pour autant responsabiliser les autres ministères.
● Au-delà des impératifs opérationnels, la tentation peut effectivement exister parmi les responsables politiques de recourir aux armées comme solution de facilité ou en raison du fort potentiel symbolique de cette solution. Toutefois, vos rapporteurs estiment qu’il convient de revaloriser la spécificité militaire, le sens des missions des armées, mais également de mieux intégrer à l’avenir leur indisponibilité potentielle – qui apparaît de plus en plus probable - en cas de multiplication des théâtres d’opérations, des crises, voire des évènements climatiques majeurs dans un contexte de moyens matériels et humains limités. Il est nécessaire d’éviter tout brouillage de la compréhension de la spécificité militaire et de la place des armées dans la société par des usages dans des fonctions non militaires. Bénédicte Chéron estime ainsi que « des armées sollicitées pour répondre aux inquiétudes sur la cohésion nationale par exemple, pour prendre en charge des dispositifs socio-éducatifs ou d’intégration, sont le symptôme d’un pragmatisme de l’urgence qui ne permet pas à chaque administration, chaque acteur de remplir sa fonction sociale. » En un mot, il convient d’être collectivement conscients que l’armée ne peut pas tout, ce qui implique en retour de renforcer la résilience d’ensemble de la nation.
b. Le nécessaire respect de la règle dite des « 4i », voire envisager sa réversibilité en cas d’engagement majeur
Comme évoqué précédemment, face à la multiplication des crises de toute nature, les forces armées ne peuvent apparaître comme l’unique recours et doivent demeurer « l’ultima ratio ». Aussi, vos rapporteurs ont-ils acquis la conviction que la règle dite des « 4i » conserve toute sa pertinence et que les militaires ne sauraient se substituer aux forces de sécurité intérieure ni aux professionnels de la sécurité civile. La règle dite des « 4i » découle de l’instruction ministérielle n° 10100 relative à l’engagement des armées sur le territoire national lorsqu’elles interviennent sur réquisition de l’autorité civile. Celle-ci précise que les forces armées n’interviennent que lorsque les moyens civils sont « inexistants, insuffisants, inadaptés ou indisponibles ». L’instruction ministérielle précise également que « l’application de ces quatre critères, qui ne sont pas cumulatifs, fait systématiquement l’objet d’un dialogue civilo-militaire, à l’échelon central, zonal et départemental. » La règle garantit ainsi que les armées demeurent « l’ultima ratio ». Ainsi, en vertu de l’article L.1321-1 du Code de la défense « aucune force armée [à l’exception de la gendarmerie nationale] ne peut agir sur le territoire de la République pour les besoins de la défense et de la sécurité civiles sans une réquisition légale ». Par conséquent, les forces armées n’interviennent sur le territoire national que sur réquisition écrite ou demande de concours de l’autorité préfectorale, laquelle doit exposer de façon claire et précise l’objet de la réquisition et l’étendue de la zone dans laquelle cette dernière intervient. Les forces armées peuvent notamment intervenir dans le cadre de la lutte anti-terroriste (Sentinelle) à travers la cellule permanente de coordination C2ID recréée en 2015 ou encore la gestion des catastrophes naturelles (IRMA 2017) ou de manière récurrente comme dans la lutte des feux de forêt chaque été (Héphaïstos).
● Toutefois, force est de constater que la règle des « 4I » semble tombée dans un relatif oubli. Ainsi, au niveau local, M. Hocdé, Sous-directeur en charge de la préparation, de l'anticipation et de la gestion des crises (SDPAGC), auditionné par vos rapporteurs, a estimé que le cadre 4I « classique » est actuellement insuffisamment jouée dans les scenarii d’exercices. Vos rapporteurs seraient favorables au fait d’accroître le nombre des exercices jouant l’incapacité de la partie civile pour mobiliser la partie militaire en tant que de besoin.
● Rejoignant les réflexions menées lors de l’exercice ORION 23, vos rapporteurs estiment qu’il serait également intéressant de réfléchir à rendre la logique des « 4i » réversible, ce qui permettrait d’envisager un renforcement des armées par les forces vives de la nation, en dernier recours, lorsque la situation le justifierait. Ainsi, selon le général Yann Latil dans un article de la Revue Défense nationale (RDN) ([67]), la règle des quatre « i » devrait pouvoir être inversée en cas de crise majeure en s’appuyant notamment sur un système de réserve opérationnelle qualifiée : « Les armées pourraient être en mesure, lorsque leurs moyens sont inexistants, insuffisants, inadaptés ou indisponibles, de faire appel aux capacités duales détenues et inventoriées au sein de la Nation en ayant anticipé et préparé leur « interopérabilité » ». Et d’ajouter « cette intégration de capacités civiles doit évidemment être étudiée dès le temps de paix et préparée selon une approche capacitaire classique couvrant l’ensemble des aspects du développement de l’outil de combat du type Dorese. Sur ce même modèle, le concept pourrait être étendu à d’autres capacités à caractère dual dans des domaines où les entreprises françaises excellent (logistique, maintenance, infrastructure, énergies, traitement des eaux et des déchets…). Les armées pourraient alors mobiliser de véritables capacités complémentaires en s’appuyant, au sein des entreprises partenaires, sur une ressource humaine identifiée ayant la possibilité de basculer sous statut militaire (réserve opérationnelle). » Cet état d’esprit suppose « d’élargir la réserve en passant d’un principe de contribution individuelle à une recherche de capacité collective. »
2. La coordination des forces armées avec les forces de sécurité intérieure et civile sur le territoire national : la nécessaire modernisation du concept de Défense opérationnelle du territoire (DOT)
Les armées ont toujours eu une mission de protection du territoire, initialement conçue contre une invasion étrangère dans le cadre de la défense opérationnelle du territoire (DOT). Si la fin de la guerre froide a « fait tomber en désuétude » la DOT, le continuum entre sécurité extérieure et sécurité intérieure a justifié l’identification par les Livres blancs de 2008 et de 2013, d’une « fonction stratégique de protection » assignée aux armées. Elle constitue un dispositif complémentaire de la défense civile du territoire dont l’objectif essentiel est de maintenir la liberté et les capacités d’action du gouvernement ainsi que la sauvegarde des organes essentiels à a défense de la Nation.
● Alors que les armées réinvestissent le territoire national, le concept de défense opérationnelle du territoire doit être modernisé et la coordination entre défenses civile, forces de sécurité intérieure et militaire précisée en cas de crise majeure. Comme le constatait le rapporteur de la mission d’information de la conférence des présidents sur la résilience nationale précitée : « l’idée de défense opérationnelle du territoire, qui était structurante à l’époque de la Guerre froide, a été progressivement abandonnée dans le modèle français de défense : « prenant l’Histoire à contre-pied, elle est devenue aujourd’hui un concept creux, sans substance, puisque dépouillé de moyens d’action sérieux », selon les termes du général Desportes, alors que cette défense opérationnelle supposerait des moyens importants pour structurer une base arrière solide qui seule permettrait de tenir dans l’hypothèse d’un conflit de haute intensité. »
Face à l’apparition probable de rétroactions sur le territoire national résultant du développement des attaques hybrides, il apparaît donc nécessaire de repenser l’approche de la protection du territoire national, aujourd’hui essentiellement tournée vers la lutte contre le terrorisme. Dans un article paru dans la RDN, le colonel Veillard-Baron appelle ainsi au développement « d’une approche plus interministérielle de la défense du territoire qu’il convient d’appréhender comme un continuum entre défense civile et défense militaire ([68]) ». À défaut, il estime que le pouvoir politique pourrait être entravé dans sa liberté d’action par les dilemmes stratégiques auxquels il serait confronté. Aussi, vos rapporteurs ont-ils souhaité interroger la gendarmerie nationale, la police nationale ainsi que la sécurité civile sur leur appréciation de la déclinaison concrète du concept de défense opérationnelle du territoire (DOT).
a. Le concept de DOT établi dans le contexte spécifique de la Guerre froide apparaît aujourd’hui inadapté aux nouvelles menaces et peu opérant
● En premier lieu, le concept de DOT s’inscrit dans le contexte spécifique de la Guerre froide. En effet, au lendemain de la seconde guerre mondiale, il est apparu indispensable de mettre en place sur les arrières du corps de bataille faisant face à la menace des forces du Pacte de Varsovie, des structures de « défense intérieure du territoire » (décret du 29 septembre 1950), susceptibles de faire face aux actions subversives pouvant être menées par des éléments ennemis. Dans le prolongement de l’ordonnance du 7 janvier 1959 portant organisation de la défense nationale, le décret du 24 février 1962 définit les fondements d’une riposte militaire à ce type d’actions au moyen d’une DOT. ([69]) La DOT apparaît donc comme un dispositif devenu obsolète prévu avant la dissuasion, pour une armée de conscription, intégrant la gendarmerie nationale comme une force armée à part entière. Néanmoins, il offre une flexibilité à préserver. Ainsi, selon les éléments fournis par le SGDSN, on ne peut plus considérer qu’il y a une DOT mais bien « des DOT » selon la nature de l’engagement et la nature de la réponse.
Pour mémoire, le concept de DOT est défini depuis 2010 à l’article R.1421- 1 du code de la défense comme visant « au maintien de la liberté et de la continuité d'action du Gouvernement, ainsi qu'à la sauvegarde des organes essentiels à la défense de la nation », en liaison avec les autres formes de la défense militaire et avec la défense civile. Les autorités militaires auxquelles incombe son exécution sont chargées d’une triple mission :
– « 1° En tout temps, de participer à la protection des installations militaires et, en priorité, de celles de la force nucléaire stratégique ;
– 2° En présence d'une menace extérieure reconnue par le conseil de défense et de sécurité nationale ou d'une agression, et dans les conditions prévues à l'article R. * 1422-2, d'assurer au sol la couverture générale du territoire national et de s'opposer aux actions ennemies à l'intérieur de ce territoire ;
– 3° En cas d'invasion, de mener les opérations de résistance militaire qui, avec les autres formes de lutte, marquent la volonté nationale de refuser la loi de l'ennemi et de l'éliminer. »
Il convient de distinguer les mesures permanentes et non permanentes de la DOT. D’une part, le volet permanent de la DOT concerne la protection des installations militaires, en particulier les moyens et les activités propres à la dissuasion nucléaire. D’autre part, les mesures non permanentes de la DOT peuvent être activées sur tout ou partie d’une ou plusieurs zones de défense et de sécurité (ZDS), sur décision du Premier ministre, conduisent les armées à prendre des mesures de défense militaire, visant soit la protection du territoire d’un agresseur ou à sa libération de l’occupation d’un envahisseur. La mise en œuvre des mesures non permanentes de DOT incombe aux officiers généraux de zones de défense et de sécurité (OGZDS), commandants désignés par le chef d’état-major des armées (CEMA), qui exercent alors les pouvoirs de commandants supérieurs interarmées. Le commandement militaire peut également être chargé par le gouvernement de la responsabilité de l’ordre public et de la coordination des mesures de sécurité intérieure avec les mesures militaires de défense. L’emploi de la force et les éventuels transferts de responsabilité aux autorités militaires seront strictement limités aux nécessités opérationnelles. En coordination avec les autorités chargées de la défense maritime du territoire et de la défense aérienne, les OGZDS contribuent, si nécessaire, à la protection terrestre des activités militaires sensibles. La mise en œuvre de ces mesures non permanentes de DOT est préparée et planifiée dans les plans de défense opérationnelle du territoire (PDOT) ([70]).
Si la protection des biens et de la population sur le territoire national, ainsi que le maintien de l’ordre, ne relèvent pas en temps normal des armées mais des forces de sécurité - seules la marine et l’armée de l’air exercent des rôles de police dans leurs milieux respectifs – l’action des armées sur le territoire national correspond à des situations d’exception et s’inscrit dans des missions bien spécifiques de défense militaire. Cette défense militaire se décline par milieu. En effet, si la DOT contribue à la défense militaire pour ce qui est du milieu terrestre, elle intervient en complément de la défense maritime du territoire (DMT), de la défense aérienne du territoire (DAT) et de la Cyberdéfense. Aujourd’hui, il est important de noter que les armées françaises sont déjà engagées au quotidien pour la protection du territoire national, que ce soit à travers des postures permanentes ou en appui des forces de sécurité intérieure, à l’image des opérations Sentinelle ou Harpie de lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane. Toutefois les armées ne sont pas engagées dans le cadre des mesures non permanentes de la DOT. En cas d’affrontement de nature militaire sur le territoire national, il y aurait néanmoins un changement de paradigme.
● Les mesures non permanentes de DOT n’ont jamais été mises en œuvre sur le territoire national. Par ailleurs, le déclenchement des plans de DOT n’est pas conditionné à l’activation d’un régime d’exception. Pour ces deux raisons, le concept de DOT apparaît actuellement peu opérant et des doutes subsistent quant à sa mise en œuvre. Comme le soulignait Nicolas de Maistre lors de son audition devant la commission de la défense, il existe un véritable besoin de se réapproprier les réflexes propres à la DOT qui semble aujourd’hui tombés en désuétude « Une mécanique organisationnelle entraînait la conversion des unités de gendarmerie en unités de DOT, et on avait des territoires ou des points d’importance vitale à surveiller. Tout cela a disparu, exception faite des mesures socles de la DOT pour la protection de la force nucléaire et de certains sites militaires. C’est une base dont on devrait s’assurer de l’utilisation régulière, au-delà de la fonction militaire propre. Pour ce qui est des mesures additionnelles, un champ complet reste à élaborer. »
b. La réflexion sur la modernisation de la DOT doit être menée au-delà du seul périmètre des armées et associer les forces de sécurité intérieure et de défense civile
Si la revue nationale stratégique de 2022 indique qu’une rénovation du concept de DOT sera entreprise, la réflexion tenant à la modernisation de ce concept doit néanmoins être menée au-delà du seul périmètre des armées car la défense militaire du territoire ne se conçoit, ne se planifie, ni ne se mène efficacement sans une planification et une conduite interministérielle. Vos rapporteurs plaident donc pour une approche plus globale de la défense du territoire et pour une clarification de la répartition des missions entre les forces dans le cadre de la DOT.
● Si des efforts ont été réalisés pour renforcer l’articulation entre forces armées et forces de sécurité intérieure, à travers notamment la création à l’été 2023 de l’état-major interarmées pour le territoire national (EMIA-TN), ou encore l’organisation d’un exercice dit « DOTEX » en mars 2024 par le ministère des armées, des progrès sont nécessaires pour clarifier les rôles de chacun en tenant compte des moyens matériels et humains disponibles. Comme le relève le colonel Vieillard-Baron, dans le cadre d’une DOT modernisée, il apparaît nécessaire de mieux intégrer les effets produits par chaque force car si la DOT visait avant tout à organiser « la défense intégrale (civile et militaire) du territoire face à une invasion », il faut désormais « se préparer à lutter contre des rétroactions diffuses » avec une ligne de front qui se situerait le plus vraisemblablement « au-delà des frontières ».
Face aux rétroactions l’objectif des forces de sécurité intérieure et des armées sera de contenir les désordres pour permettre à l’État de conserver l’initiative. L’efficacité de la lutte contre les rétroactions reposera sur la bonne articulation entre les armées et les forces de sécurité intérieure. Aussi, le premier défi sur le territoire national est-il celui de la qualité du dialogue civilo-militaire pour permettre une complémentarité efficace face à la variété des menaces. En centrale, ce dialogue s’appuie sur la Cellule de coordination Intérieur-Défense (C2ID), coprésidée par le CPCO et le Haut fonctionnaire de défense du ministère de l’Intérieur. En période de paix, cette cellule procède aux arbitrages sur l’engagement sous réquisition des moyens des armées. La C2ID pilote actuellement les travaux relatifs à la DOT sous la coordination du SGDSN dans le cadre de la CIDN. La Police nationale y est représentée, tout comme la Gendarmerie Nationale. Au niveau local, il s’agira également de poursuivre et d’amplifier le rapprochement entre les états-majors zonaux de la gendarmerie et ceux de la chaîne de l’organisation territoriale interarmées de défense (OTIAD) de manière à consolider la structuration de cet échelon de synthèse et de commandement dans les territoires. La réforme de la police nationale institue également une chaîne organique d’état-major articulée de l’échelon territorial jusqu’au niveau central (EMPN) avec l’objectif de fluidifier la circulation de l’information opérationnelle et d’une plus grande efficience dans le pilotage de la gestion des crises majeures. La réforme en cours devrait permettre par ailleurs aux DDPN et DIPN d’avoir pour homologues militaires directs les DMD, les deux étant en lien étroit avec les préfets de département. Les JOP 2024 constituent à n’en pas douter un événement dont le retour d’expérience, de manière générale, sera porteur d’enseignements particulièrement utiles.
● Dans ce cadre, la Gendarmerie nationale constitue un acteur essentiel de la DOT, et ce d’autant plus, que les armées seraient très certainement fortement mobilisées à l’extérieur des frontières. À ce titre, les gendarmeries spécialisées exercent un rôle important de protection des emprises militaires, notamment des bases aériennes (gendarmerie de l’air), des emprises de la marine nationale (gendarmerie maritime) ou encore des emprises de la direction générale de l’armement (DGA). Dans un contexte de DOT dit de « crise », le rôle Gendarmerie nationale est pensé pour assurer la protection et la défense des points sensibles, elle aiderait également à la montée en puissance et aux mouvements des forces militaires sur le territoire national dans le cadre de la circulation routière de défense et participerait dans la mesure de ses moyens à des actions de combat visant à détruire ou à neutraliser des ennemis ([71]). Dans la lignée des propos tenus par le DGGN, le général Rodriguez ([72]), le général Pétillot, major général de la Gendarmerie nationale, auditionné par vos rapporteurs, a fait part de sa volonté de renforcer la contribution de la Gendarmerie nationale à la DOT dans l’objectif d’assurer une couverture générale du territoire et de dégager des marges de manœuvre pour les armées. La Gendarmerie nationale disposerait en pareille circonstance d’une masse de manœuvre de 30 000 hommes sur le territoire national. Le colonel Vieillard-Baron estime ainsi que, grâce au statut de militaire, et aux capacités dont elle dispose, la Gendarmerie nationale serait en mesure d’assurer le continuum entre défenses civile et militaire. Si la formation militaire fait partie intégrante de la formation des gendarmes, celle-ci a été significativement renforcée avec un effort particulier à destination de la gendarmerie mobile et des pelotons d’interventions spécialisés. Au-delà de leurs missions, les gendarmes devront être en capacité de mener des actions simples de lutte contre des tentatives de déstabilisation. Le travail de la Gendarmerie nationale s’orienterait naturellement vers la gestion des rétroactions sur le territoire national en raison de son expertise en matière judiciaire qui lui permettrait de cibler et d’identifier les auteurs des actions hybrides. Aussi, la gendarmerie nationale peut-elle clairement, par ses contacts permanents et étroits avec les élus, les collectivités territoriales, les entreprises et les citoyens se positionner comme « l’acteur de la résilience du dernier kilomètre et ainsi contribuer à la défense globale », selon les personnes auditionnées.
● Bien qu’elles ne soient pas concernées directement par la défense militaire, vos rapporteurs plaident pour une meilleure association des autres forces du ministère de l’Intérieur, en particulier la Police nationale et des sapeurs-pompiers en lien avec la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) pour clarifier les seuils d’engagement, les zones de compétence et éviter les effets de bords de la jonction entre défenses civile et militaire ([73]).
S’agissant de la police nationale, il ressort des auditions menées par vos rapporteurs que les implications de la DOT demeurent mal connues au sein de la Police nationale. Selon les informations fournies à vos rapporteurs, le concept de DOT génère néanmoins des incertitudes et des confusions. S’agissant d’un dispositif souhaité « souple » pour garantir une liberté d’action au gouvernement, il est jugé peu compris et sujet à des interprétations voire des débats. Par exemple, la bascule d’une partie des pouvoirs de police du préfet directeur des opérations à l’officier général de zone de défense en situation de DOT n’apparaît pas réellement balisée par des critères clairs et partagés, selon les informations fournies à vos rapporteurs. Il existe également une confusion sur les situations relevant d’états d’exception, celles relevant d’engagement majeur des armées ou bien encore celles générées par des situations de crise majeures générant une saturation de l’emploi des FSI. Par ailleurs, en cas d’activation des mesures non permanentes de la DOT, la DGGN serait alors employée à des missions nouvelles ce qui générerait un report de charge sur la DGPN. Ce report de charge n’est ni évalué, ni évident à concevoir. Enfin, dans le cadre de rétroactions sur le territoire national en cas d’hypothèse d’engagement majeur des forces armées, la DOT pourrait être mise en œuvre ce qui poserait immédiatement la question de la coordination des actions entre forces armées et de sécurité et dès lors du pilotage local de la crise (Préfets ou EMZIAD).
S’agissant des perspectives d’amélioration, les personnes auditionnées ont fait part du besoin de clarifier la notion de DOT ainsi que de réfléchir à la gradation des régimes juridiques associés. Monsieur Fouchard a affirmé que faute d’une chaîne de commandement bien définie, l’urgence et le stress liés aux temps de crises sont susceptibles de fragiliser les acteurs dans la pratique et de paralyser l’action, d’où la nécessité d’établir a priori des règles claires connues de tous sur la chaîne et le processus de décision. Plus généralement, selon les personnes auditionnées, la Police nationale, forte de sa culture de la réaction et de ses capacités d’adaptation doit s’efforcer de développer davantage une culture de la planification, et ce à tous les échelons, ce que devrait favoriser la réforme en cours de la Police nationale.
Aussi, vos rapporteurs alertent-ils sur la nécessité de parvenir à une acception partagée de la DOT et de définir les mécanismes de coordination aux différents niveaux (local, zonal, national).
Enfin, la mise en œuvre des mesures non permanentes de la DOT, ou d’une « DOT de crise » nécessitent de structurer la gouvernance associée. En particulier, la question de la collecte, de l’analyse et de la diffusion du renseignement d’intérêt militaire, pierre angulaire à la planification et à la conduite d’opérations militaires, mérite d’être renforcée.
Si les exercices de type « DOTEX » permettent déjà de rassembler les acteurs parties prenantes de la DOT, ceux-ci mériteraient d’être généralisés mais également ouverts à d’autres acteurs. Dans le cadre de la réflexion initiée par les armées et la DGGN, la DGSCGC est associée, avec la participation des FORMISC en tant qu’observateur dans le cadre des exercices. Toutefois, il a été indiqué aux rapporteurs qu’il serait également intéressant d’associer les sapeurs-pompiers à ces exercices afin de profiter de leur maillage territorial ce qui pourrait représenter une source de renseignement territorial supplémentaire pour les militaires.
Enfin, la rénovation de la DOT pose la question des moyens disponibles pour mettre en œuvre la défense du territoire. Aujourd’hui, les forces, en particulier les forces armées, ne disposent d’aucuns moyens supplémentaires ni matériels dédiés pour la mettre en œuvre. Elles demeureront également limitées par leurs effectifs. Comme le rappelle le colonel Vieillard-Baron, la Gendarmerie consacrera la majorité de ces moyens à la protection du sanctuaire national alors que les armées seront probablement confrontées à la problématique de leur épaisseur stratégique. Si cette dernière s’avérait insuffisante elle pourrait conduire le chef de l’État à arrêter les combats « faute de moyens » ou à basculer dans la logique de dissuasion, ce qui réduirait d’autant la liberté d’action politique. En effet, selon le général Vincent Desportes ([74]), le Gouvernement ferait face à un dilemme stratégique, face à l’ampleur de la tâche, devant « assurer la défense aérienne et la défense maritime, mais également déployer sur de vastes zones des volumes de forces importants pour assurer l’ordre sur le territoire et la survie des populations, la sauvegarde des organes essentiels à la défense de la nation, le maintien de sa liberté et la continuité de son action. Deux solutions s’offriraient alors à lui : soit effectuer des prélèvements importants sur le corps expéditionnaire (d’ailleurs non entraîné à la défense du territoire, qui est un métier en lui-même) et, de ce fait, le rendre inapte à sa mission première, la bataille de haute intensité. Ou bien « laisser tomber l’arrière », ce qui se traduirait à court terme par l’effondrement de l’avant. »
S’agissant de la Gendarmerie nationale, plusieurs axes d’efforts peuvent néanmoins être identifiés dans la perspective d’une DOT rénovée. Les pistes de modernisation envisagées tiennent, d’une part, au renforcement de la formation militaire des gendarmes, autour des fondamentaux du combat de haute intensité, mais également à l’accroissement des capacités de la Gendarmerie nationale. Des réflexions sont notamment menées sur l’évolution des armements légers d’infanterie dans le cadre d’une commission armement pour remplacer le FAMAS qui accompagnent les investissements prévus par la LOPMI en blindés et hélicoptères de manœuvre. Par ailleurs, la recherche de l’interopérabilité avec les forces armées doit être poursuivie, afin de s’assurer que les forces puissent travailler ensemble.
Vos rapporteurs sont convaincus que la masse nécessaire aux engagements pourra en partie venir des réserves opérationnelles, comme ils le détaillent plus loin dans le rapport.
Enfin, l’adaptation de la mission Sentinelle vers une posture plus réactive pourrait être expérimentée après les Jeux Olympiques puis déployée afin de redonner des marges de manœuvre à l’armée de Terre. Comme le préconise le colonel Vieillard-Baron, il pourrait être envisagé de privilégier la mise en place de sections d’alerte dans les unités plutôt que d’effectuer des déploiements « préventifs ». Cette fonction pourrait être assurée de manière privilégiée par des unités de réservistes territorialisées.
3. La nécessaire clarification des régimes d’exception existants et des conditions de mobilisation des réserves
Les études menées par le groupe de travail 3 de l’exercice ORION sur les différents dispositifs de réserve ont notamment souligné :
- Leur grande diversité et la diversité des statuts ;
- L’absence de gouvernance générale ;
- Les risques d’éviction voire de compétition entre les dispositifs.
Vos rapporteurs, estiment que les conditions de mobilisation des réserves doivent être clarifiées au risque de favoriser des effets d’éviction et de concurrence entre les différentes formes d’engagement.
a. La LPM 2024-2030 a entrepris de clarifier les conditions de mobilisation des réservistes
Les progrès réalisés dans le cadre LPM 2024-2030 contribuent déjà à une clarification des conditions de mobilisation des réservistes qui doit être poursuivie.
● La LPM a entendu aménager une meilleure gradation entre les situations d’appel ou de maintien en activité des réservistes militaires, en fonction du niveau d’urgence ou de menace, sans que soit forcément atteint le seuil de mise en garde ou de mobilisation générale. Dans un souci de cohérence, la LPM a ainsi permis d’aligner les circonstances dans lesquelles le rappel de la réserve opérationnelle militaire peut intervenir, sur celles autorisant la mise en œuvre des régimes de réquisition, d’une part, en cas de menace grave, actuelle ou prévisible sur la vie de la Nation et, d’autre part, en cas d’urgence lorsque la sauvegarde des intérêts de la défense nationale le justifie. Toutefois, la clarification entreprise n’a pas permis de s’attaquer aux potentiels effets de concurrence et d’éviction entre les différentes réserves occasionnées en cas de mobilisation.
Schéma des situations de recours à la réserve opérationnelle militaire après l’entrée en vigueur de la LPM 2024-2030
Schéma des situations de recours à la réserve opérationnelle militaire après l’entrée en vigueur de la LPM 2024-2030 (Source : étude d’impact de la loi de programmation militaire 2024-2030)
● Par ailleurs, la LPM 2024-2030 contient d’autres avancées à saluer qu’il convient dorénavant de mettre en œuvre :
- les conditions d’appel ou de maintien en activité des anciens militaires soumis à l’obligation de disponibilité (RO2) et des volontaires de la RO1 sont clarifiées et seront désormais définies par décret en conseil d’État (article L. 4231-3 du code de la défense) ;
- pour la RO2, la durée de convocation est portée à cinq jours par an sur une période de cinq ans et la nature des activités susceptibles d’être réalisées à cette occasion est élargie à l’évaluation et au maintien de leurs compétences. Pour garantir l’effectivité de ce dispositif, l’ancien militaire sera tenu de déclarer à l’autorité militaire toute modification de sa situation personnelle ayant un impact sur les modalités de sa convocation, notamment les changements de résidence ou de situation professionnelle ;
- le nombre minimal de jours de convocation pouvant être réalisés pendant le temps de travail d’un volontaire de la réserve opérationnelle (RO1) sans l’accord préalable de son employeur civil est porté de cinq à dix (une exception a été créée pour les entreprises de moins de cinquante salarié en leur permettant de limiter à cinq le nombre de jours de convocation pouvant être réalisés pendant le temps de travail.)
b. Cependant, des risques de concurrence voire d’éviction entre les différentes réserves perdurent
Le processus opérationnel de mobilisation des réserves demeure perfectible, notamment en ce qui concerne l’identification des postes à pourvoir prioritairement afin d’éviter des effets d’éviction. En pratique, l’absence de priorisation des postes aurait pour conséquence de favoriser des effets d’éviction et de concurrence entre les formes d’engagement en cas de mobilisation – certains réservistes appartenant simultanément à plusieurs réserves. L’on peut citer l’exemple des « plans blancs » susceptibles d’être déclenchés simultanément à la mobilisation de réservistes du SSA. Aussi, pour que le personnel réserviste du ministère des armées puisse s’engager sur son cœur de métier sans dispersement préjudiciable, convient-il de mettre à profit également les réserves autres que militaires pour les missions qu’elles peuvent accomplir.
i. La nécessité d’une gouvernance plus centralisée des réserves
● Tout d’abord, afin de tenir compte du nouveau contexte et être capable de subir un premier choc ou de régénérer les forces, la gouvernance des dispositifs de réserve et de volontariat mériterait d’être améliorée, en veillant à respecter les prérogatives opérationnelles des employeurs. Pour ce faire, vos rapporteurs sont favorables à la structuration une gouvernance plus centralisée pour asseoir la montée en puissance des réserves et organiser « la mise à poste » des réservistes dans la durée. À cet égard, vos rapporteurs sont favorables à ce que cette mission soit exercée par le secrétariat général de la Garde nationale qui verrait son rôle de coordination renforcé. Si une telle évolution des missions de la Garde nationale était décidée, il faudrait veiller à ce qu’elle s’accompagne par conséquent d’une revalorisation de ses moyens humains et financiers.
● Ensuite, il apparaît souhaitable à vos rapporteurs d’harmoniser le cadre juridique applicable aux différentes réserves opérationnelles afin de créer un statut uniforme avec des droits et des obligations comparables en cas de mobilisation. En effet, à la suite de la suppression de la conscription et jusqu’à ce jour, des réserves se sont créées, sous des statuts différents, et en fonction de besoins singuliers.
ii. « Sincériser » les effectifs mobilisables en commençant par la réserve de sécurité nationale
Il apparaît essentiel de s’inscrire dans une démarche de « sincérisation » des effectifs mobilisables en faisant effort en priorité en direction de la réserve de sécurité nationale.
Il ressort des auditions menées par vos rapporteurs que la création récente de nombreuses formes d’engagements entretient la confusion sur le sujet des réserves. En théorie, la distinction est pourtant claire, entre la réserve de disponibilité (sous obligation légale), la réserve employée (sous lien contractuel) et les réserves dites citoyennes (sans lien contractuel et non mobilisable sous statut de bénévole du service public).
Une définition claire de la réserve opérationnelle doit être établie afin d’éviter l’utilisation abusive du terme de réserve qui recouvre aujourd’hui des réalités très différentes. Pour cela, la CIDN envisage tout d’abord d’adapter le périmètre des réserves comprises dans le dispositif de sécurité nationale afin que l’ensemble des réserves opérationnelles soient comprises dans la réserve de sécurité nationale (RSN). La RSN, régie par l’article L. 2171-1 du code de la défense, correspond à un périmètre aujourd’hui relativement réduit puisqu’elle est constituée par la réserve opérationnelle militaire, de la police nationale, de la réserve sanitaire, de la réserve civile pénitentiaire et des réserves de sécurité civile. Elle peut être activée en présence de « menace actuelle ou prévisible, pesant sur les activités essentielles à la vie de la Nation, sur la protection de la population, sur l'intégrité du territoire ou sur la permanence des institutions de la République ou de nature à justifier la mise en œuvre des engagements internationaux de l'État en matière de défense ». Toutefois, celle-ci n’a jamais été entraînée. Le groupe de travail dédié de la CIDN estime que la réserve opérationnelle de l’administration des douanes, qui a été récemment créée par la loi n° 2023-610 du 18 juillet 2023, pourrait être ajoutée au dernier alinéa de l’article L. 2171-1 afin de renforcer les effectifs de la RSN. En revanche, la réserve civile pénitentiaire, constituée d’anciens professionnels de l’administration pénitentiaire, ne paraît pas correspondre selon le SGDSN à la définition d’une réserve opérationnelle et constitue plutôt, à l’image de la réserve judiciaire, une réserve d’emploi ou d’efficience qui vise principalement à assurer des remplacements ponctuels.
De plus, selon le général Poisbeau, secrétaire général adjoint de la Garde nationale, auditionné par vos rapporteurs, certaines réserves ne peuvent pas répondre aux exigences imposées par le code de la défense. À titre d’exemple, la réserve sanitaire est certes considérée comme mobilisable puisqu’elle figure à l’article L. 2171-1 du code de la défense (RSN), mais ferait certainement face à des difficultés pour atteindre cet objectif. En effet, il est mentionné par Santé Publique France que « l’engagement dans la Réserve sanitaire n’implique ni obligation ni promesse de départ en mission ». Ce dispositif contractuel et optionnel de la réserve sanitaire est différent de celui de la réserve opérationnelle militaire, qui doit planifier sa mobilisation effective en cas de décision politique. Face à ce constat, le colonel de Brébisson, adjoint de la division Cohésion nationale, a précisé que l’EMA poursuivait trois priorités. En premier lieu, il est nécessaire de clarifier le schéma des dispositifs existants en distinguant les réserves opérationnelles – c’est-à-dire qui sont mobilisables dans le cadre du code de la défense – des réserves non opérationnelles. Deuxièmement, il convient d’identifier, structurer et d’entraîner cette réserve de sécurité nationale en l’impliquant dans les exercices. Troisièmement, il est nécessaire de définir le processus d’instruction d’une décision de mobilisation des réserves opérationnelles militaires et d’identifier les travaux connexes à poursuivre pour permettre le passage des réservistes à un emploi à temps plein en cas de mobilisation, ce qui suppose un travail de priorisation et de compensation vis-à-vis des employeurs civils.
iii. Prévenir les effets d’éviction et de concurrence entre les différentes réserves
Le recours aux dispositions relatives au service de sécurité nationale (article L. 2151-1 du code de la défense) constitue un outil intéressant à prendre en compte pour mieux prioriser l’emploi des réservistes et éviter les effets d’éviction avec le secteur privé.
En partant du principe qu’aucune réserve opérationnelle n’est par essence meilleure qu’une autre, il convient donc de prévenir les phénomènes de compétition inter-réserves. Il ressort des auditions menées par vos rapporteurs que les dispositions relatives au service de sécurité national peuvent permettre d’identifier les éventuels cas problématiques dans l’hypothèse d’une mobilisation de la RSN. Créé en 2011, le service de sécurité nationale doit « permettre la continuité des services de l’État, des collectivités territoriales […] ainsi que des entreprises et établissements dont les activités contribuent à la sécurité nationale ([75]) » en cas de crise en évitant les effets d’éviction et le départ de personnes de postes clés et, ou sensibles. Le service de sécurité nationale est applicable au personnel, visé par un plan de continuité ou de rétablissement d'activité, d'un des opérateurs publics et privés ou des gestionnaires d'établissements désignés par l'autorité administrative. Ainsi, en cas de recours au service de sécurité nationale, décidé par décret en conseil des ministres, les personnes placées sous ce régime sont maintenues dans leur emploi habituel ou tenues de le rejoindre. Toutefois, le dispositif n’a encore jamais été testé à grande échelle. Selon le général Poisbeau, chaque entité devrait aujourd’hui s’entraîner à sa mise en œuvre afin de tester notamment les effets d’éviction vers la réserve de sécurité nationale en cas de mobilisation. Dans cette montée en gamme vers le régime de mise en garde, il importe de tester le service de sécurité nationale (SSN) pour préparer les textes ou réaliser les exercices à même d’opérationnaliser la RSN. Vos rapporteurs estiment également que l’information des personnels constituant le service de sécurité nationale devrait être renforcée, afin qu’ils puissent se familiariser avec leurs droits et leurs obligations en cas de mobilisation.
S’agissant de la priorisation entre les différentes réserves, certaines dispositions sont également prévues à l’article L. 724-5 du code de la sécurité intérieure, uniquement pour les réservistes de la sécurité civile mobilisés par ailleurs au titre de la réserve militaire, qui sont alors dégagés de leur obligation de rejoindre leur affectation – ce qui revient à considérer que les réservistes militaires sont prioritaires sur les réservistes de la sécurité civile. Par ailleurs, l’article L.4231-6 du code de la défense, prévoit d’exempter de leurs obligations de rappel les réservistes qui sont employés par des opérateurs d’importance vitale, « en cas de nécessité inhérente à la poursuite de la production de biens ou de services ou à la continuité du service public. »
Selon le général Poisbeau, la question de savoir si la réserve opérationnelle militaire ou de sécurité nationale devrait être systématiquement prioritaire mérite une réflexion approfondie. Plutôt que de favoriser systématiquement un type de réserve, vos rapporteurs estiment qu’il convient de conserver suffisamment de souplesse afin d’optimiser les priorisations selon la nature des crises.
iv. Mieux identifier les compétences civiles des réservistes
Il ressort des auditions menées par vos rapporteurs qu’il existe un besoin commun aux réserves des armées, de la Gendarmerie nationale et de la Police nationale de disposer d’un système d’information permettant de recenser les compétences civiles des réservistes. En effet, au-delà des réservistes recrutés en qualité de spécialistes sur la base de leur qualification professionnelle civile, pour lesquels la Gendarmerie nationale indique maîtriser leurs compétences, l’outil dont elle dispose (Minot@ur) ne permet l’identification de ces compétences civiles que de manière très lacunaire. De la même manière, l’une des difficultés évoquées par la Police nationale est celle de l’absence, actuellement, d’un fichier centralisant les données relatives à l’ensemble des réservistes, et de règles de priorisation des engagements, alors même que certains réservistes servent au sein de plusieurs composantes simultanément (gendarmerie, sécurité civile, etc.). S’agissant des armées, le système d’information réserviste opérationnel connecté (SI-ROC) devrait selon le colonel de Brébisson, être recentré sur l’identification des compétences et se voir doter de nouvelles fonctionnalités. Il pourrait être envisagé que les réservistes puissent ainsi renseigner dans le logiciel leurs compétences civiles afin qu’elles puissent être mieux identifiées par leurs employeurs opérationnels. La création d’un outil numérique de gestion de l’ensemble des réserves apparaît dès lors comme une piste d’amélioration notable.
Vos rapporteurs estiment que la création d’un outil numérique dédié favorisant au sein des territoires l’identification et la mobilisation des personnes disposant de compétences rares ou désireuses de s’engager pour apporter une aide à la gestion de crise, tel que suggérée par la CIDN, couplé à une meilleure gouvernance, seraient de nature à permettre une meilleure identification des doublons et ainsi permettrait d’objectiver dans la durée les effectifs réellement mobilisables. Pour concevoir cette solution, la France pourrait s’inspirer de dispositifs préexistants comme en Suède qui confrontée au même sujet, a choisi de « dresser un tableau des volontaires avant de mettre en place un dispositif, notamment à l’aide de logiciels, pour établir les affectations, le moment venu, en accord avec les personnes concernées ([76]). » Ce système d’information devrait de préférence inclure les différentes composantes de la réserve de sécurité nationale.
c. Confier à la CIDN la mission d’établir un référentiel des différents stades d’alerte gradués : « VIGIDÉFENSE »
Comme évoqué précédemment, le retour d’expérience de l’exercice ORION a conclu au fait que les trois états d’exception traditionnels (état d’urgence, état de siège, article 16) ne pouvaient être mobilisés dans l’hypothèse d’un engagement d’envergure, et que l’état d’urgence n’aurait qu’un effet limité aux rétroactions sur le territoire national. En revanche, le code de la défense permet d’apporter une approche graduelle de la réponse qui est adaptée à un engagement majeur. Certains dispositifs ont vocation à assurer le maintien des activités essentielles à la vie de la Nation, en particulier le droit de réquisition des biens, des services et des personnes (article L. 2211-1 du code de la défense) ou la réserve de sécurité nationale.
Toutefois, le groupe de travail estime que ces outils ne suffiront pas à apporter une réponse à des crises se déployant dans plusieurs champs, y compris non strictement militaires. À cet égard, les régimes de la « mise en garde » et de la « mobilisation générale » peuvent être aménagés afin de faire face à l’hypothèse d’engagement d’envergure envisagée. Ces deux régimes, définis à l’article L. 2141-1 du code de la défense ont été créés par l’ordonnance du 7 janvier 1959 et correspondent, pour la mobilisation générale, à la mise en œuvre de « l’ensemble des mesures de défense préparées », et, pour la mise en garde, à l’adoption de « certaines mesures propres à assurer la liberté d’action du Gouvernement, à diminuer la vulnérabilité des populations ou des équipements principaux et à garantir la sécurité des opérations de mobilisation ou de mise en œuvre des forces armées et formations rattachées ». Comme l’a souligné le SGDSN lors de son audition, il paraît dès lors utile de rénover ces deux régimes afin de mieux circonscrire les conditions de mise en œuvre, qui pourraient être calquées sur le dispositif de réserve de sécurité nationale, préciser les mesures susceptibles d’être prises sur son fondement, notamment en matière de mobilisation des réserves opérationnelles, d’organisation de la défense opérationnelle du territoire ou d’approvisionnement des armées.
Au regard des différents leviers déjà prévus par le législateur, vos rapporteurs estiment qu’il importe prioritairement, davantage que de modifier l’état du droit, d’élaborer un référentiel lié à l’état de la menace et d’associer à chaque niveau les dispositifs mobilisables. Cette mission pourrait être confiée à la CIDN, sur le modèle des postures VIGIPIRATE établies par le SGDSN. Vos rapporteurs proposent de l’appeler « VIGIDEFENSE ». Toutefois, pour éviter l’écueil de « la crise permanente » qui justifierait la prise de mesures restrictives dans la durée, il conviendra de veiller à établir des niveaux de référence qui s’appuieraient sur des situations communément partagées et acceptées. Les mesures devront être strictement proportionnées à l’objectif recherché et les postures, inclure des clauses de revoyure, ainsi que des modalités de contrôle du Parlement.
Face à la multiplication des engagements, et compte tenu des limites résultant des contrats opérationnels et des effectifs, les armées devront se focaliser sur leurs missions premières de défense du territoire et de projection en défense des intérêts français. Par ailleurs, dans un contexte de menaces hybrides, il est fort probable que pour empêcher l’engagement de durer, l’ennemi s’attaque aux moyens de régénération de la force, y compris la BITD et sa chaîne de sous-traitance. C’est pourquoi le besoin d’une résilience de la population et des entreprises est prégnant. Aussi, les entreprises, et en particulier la BITD, doivent-elles prendre part à l’effort de guerre. Les compétences détenues seront essentielles pour garantir l’effort dans la durée.
Ainsi, vos rapporteurs réaffirment l’importance de poursuivre la démarche « économie de guerre », mais également, conformément aux recommandations du SGDSN, d’élargir ce concept à une véritable « base industrielle de combat » qui inclue l’ensemble des composantes nécessaires pour maintenir l’effort de guerre dans la durée. Si de nombreux travaux parlementaires ont déjà abondamment abordé la question de « l’économie de guerre », voire du « MCO de guerre », vos rapporteurs ont également souhaité étudier le statut particulier des opérateurs d’importance vitale (OIV) ainsi que l’existence de potentielles complémentarités entre les activités des entreprises de services de sécurité et de défense (ESSD) et les armées, afin de recentrer l’activité des armées sur les tâches militaires à forte valeur ajoutée.
a. La préparation des entreprises
● La mise en œuvre de la démarche « économie de guerre » est menée actuellement par la DGA, suit trois grands axes : le renforcement de la réactivité, de la résilience et de la souveraineté de l’outil industriel. Elle répond à un véritable besoin de pouvoir préparer dès le temps de paix l’industrie à monter en puissance au niveau de sa production et à décélérer ensuite, en fonction des besoins.
S’agissant du renforcement de la réactivité, il est impératif selon le vice-amiral Aussedat, adjoint « forces » du DGA, auditionné par vos rapporteurs, de « produire plus et plus vite, maintenir et régénérer ». Le maintien en condition opérationnelle et la restructuration de l’outil industriel sont à ce titre essentiels pour accélérer les cadences de production. Concrètement, la mise en place de la démarche « économie de guerre » se traduit notamment par le doublement des cadences sur certains segments, l’identification et la remédiation des goulots d’étranglement qui empêchent l’accélération des cadences et l’engagement de l’État afin d’assurer une meilleure prévisibilité aux industriels, notamment à travers les commandes, y contribue. Pour se préparer à la haute intensité, le vice-amiral a également insisté sur les vertus d’une démarche de « Run at Rate » envisagée par la DGA, impliquant de jouer en exercice la montée en puissance rapide de la production des entreprises de la BITD, puis la décélération progressive des cadences (qui pose un certain nombre de problèmes spécifiques auxquels il est nécessaire de se préparer).
Concernant le renforcement de la résilience, le vice-amiral a souligné la nécessité de « faire autrement », qui s’est incarnée dans les travaux de la DGA par la constitution de « plateaux » rassemblant DGA, industriels et forces armées afin de mieux analyser les chaînes de valeur, simplifier les normes et raccourcir la « boucle délai/coût/performance ». Cette réduction des délais nécessite néanmoins d’adapter certaines spécifications sur la performance afin d’accroître et d’accélérer la production. S’agissant du renforcement de la souveraineté de l’outil industriel, le vice-amiral est notamment revenu sur le travail de cartographie des sous-traitants de rang 2 et 3 impulsé par la DGA, ainsi que sur l’enjeu de l’influence française au sein des dispositifs internationaux. Il a également mis en lumière les actions de relocalisation que soutient la DGA sur certains segments industriels critiques, tels que la production de poudre d’artillerie – à travers l’exemple du programme relocalisation d’Eurenco impulsé en 2022 et qui devrait aboutir en 2025 - ou les produits d’apport de soudage, à l’image du choix de la PME française Selectarc pour la production des électrodes de soudage nécessaire à la production de sous-marins.
S’agissant plus précisément de la question des stocks, la LPM 2024-2030 contient des avancées en matière de reprise en main des stocks stratégiques. Selon les personnes auditionnées, elle offre un double avantage aux armées : d’une part, pouvoir s’assurer de disposer d’un stock tampon pour la sécurité des approvisionnements de la base industrielle et technologique de défense (BITD) et donc de se garantir contre les risques de rupture et, d’autre part, que les industriels de la BITD disposent d’ores et déjà des moyens capacitaires d’assurer une augmentation rapide de leur production en cas de besoin.
● Toutefois, la mise en place de cette démarche apparaît très progressive et de nombreux observateurs estiment que l’ampleur des commandes passées ne permet pas, pour l’instant, de passer véritablement en économie de guerre. L’enjeu consiste néanmoins à pouvoir anticiper les éventuels freins juridiques, notamment les répercussions pour les salariés de la BITD en cas de mise en œuvre de cette démarche. À l’image de la séquence ORIONIS qui a mis en évidence les différences normatives existantes entre le MCO en temps de paix et le MCO de guerre, vos rapporteurs estiment que l’édition 2026 de l’exercice ORION pourrait constituer une opportunité de réaliser un « stress test » de la démarche économie de guerre, permettant de tester un changement des référentiels normatifs applicables.
● Vos rapporteurs estiment qu’il serait également intéressant d’élargir ce concept à une véritable « base industrielle de combat » - qui vise à identifier tout ce qui serait nécessaire à la projection des armées et qui n’est pas couvert par la BITD - conformément aux recommandations du SGDSN. Une fois ces ressources identifiées, il conviendrait comme pour la démarche « économie de guerre » de définir les modalités permettant d’en garantir la disponibilité que ce soit par la création de stocks, la sécurisation ou la démultiplication des sources d’approvisionnement. Ce concept est d’autant plus intéressant car dual.
b. Le renforcement du cadre juridique applicable aux opérateurs d’importance vitale (OIV) est clé pour garantir la continuité de l’État et des services essentiels
Vos rapporteurs ont été informés de la préparation d’un futur projet de loi relatif à la résilience des activités d’importance vitale, à la protection des infrastructures critiques, à la cybersécurité, et à la résilience opérationnelle numérique du secteur financier est la transposition en droit national de trois directives européennes connexes (REC, NIS2 et DORA). En effet, La directive européenne sur la résilience des entités critiques (dite « REC »), adoptée le 14 décembre 2022, ainsi que la directive concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de cyber-sécurité dans l’ensemble de l’UE (dite NIS 2), entrée en vigueur le 16 janvier 2023, doivent toutes deux être transposées en droit français d’ici à octobre 2024. Si à la date d’écriture de ce rapport, le contenu précis du projet de loi n’est pas encore connu, vos rapporteurs peuvent s’appuyer sur les propos tenus par le SGDSN, M. Stéphane Bouillon, lors de son audition devant la commission de la Défense.
● Selon les représentants du SGDSN auditionné par vos rapporteurs, la directive européenne sur la résilience des entités critiques (REC), négociée sous présidence française du Conseil de l’UE, constituerait à la fois une opportunité de moderniser et de simplifier le dispositif de Sécurité des Activités d’Importance Vitale (SAIV), tout en instaurant une concurrence plus loyale entre les opérateurs nationaux et ceux des autres États membres, qui, pour la plupart, ne connaissaient pas, jusqu’à présent, de dispositifs comparables.
Pour mémoire, la politique relative aux secteurs d’activité d’importance vitale (SAIV) est copilotée par le SGDSN depuis 2006 en lien avec le ministère de l’intérieur qui gère les douze secteurs d’activité d’importance vitale (environ 300 opérateurs, dont la liste est classifiée), répartis en quatre groupes : l’activité humaine (alimentation, gestion de l’eau, santé), l’activité régalienne (activités militaires, judiciaires, civiles de l’État), l’activité économique (énergie, finances, transports) et l’activité technologique (communications, audiovisuel, industrie, espace et recherche). Cette politique a pour objectif d’identifier et de s’assurer, avec les opérateurs publics comme privés, de la protection des établissements, installations et ouvrages « dont l’indisponibilité risquerait de diminuer d’une façon importante le potentiel de guerre ou économique, la sécurité ou la capacité de survie de la nation » (article L. 1332-1 code de la défense). Les opérateurs d’importance vitale (OIV) exercent leurs activités sur près de 1500 points d’importance vitale (PIV) (usine, locaux d’une administration, data center, etc.), répartis sur l’ensemble du territoire national (métropole et outre-mer). Ces opérateurs, dont le statut d’opérateur d’importance vitale (OIV) est classifié, sont tenus de mettre en œuvre une politique de sécurité contre les risques naturels ou technologiques mais aussi et surtout contre la malveillance, et démontrer leur dispositif de sécurité dans des documents de planification validés par l’autorité administrative. L’organisation du suivi du dispositif, qui se fait en lien avec le SGDSN, les ministères coordonnateurs, les zones de défense et de sécurité ainsi que les préfectures de département, sera pérennisée et confortée.
La directive REC concernera avant tout les OIV et, de manière marginale, les collectivités locales, si elles assurent elles-mêmes en régie des activités d’OIV sur l’eau, les transports, l’énergie. Il ressort des auditions menées par vos rapporteurs auprès du SGDSN, que le but recherché à travers l’élaboration de ce projet de loi est de renforcer et améliorer l’interconnexion entre États, entre opérateurs, en matière de réseaux, de chaîne d’approvisionnement, de logistique et de réaction mais également bien de garantir que les OIV s’assurent effectivement et à leurs propres frais de la protection de leurs installations et de leurs ouvrages, dont l’indisponibilité pourrait créer un risque pour la survie de la Nation (article L.1332-1 Code de la défense). Les deux directives qui conduiront ces opérateurs à renforcer leurs investissements en faveur de la sécurité de leurs systèmes d’information et de leur environnement pourraient avoir pour effet bénéfique de soulager d’autant les forces de sécurité intérieure et les armées dans la protection de ces infrastructures.
Selon les personnes auditionnées, les directives, négociées lors de la présidence française de l’Union européenne, confortent et étendent le modèle français au niveau européen dans l’objectif d’instaurer une concurrence plus équitable entre les opérateurs français et ceux d’autres pays membres. Un certain nombre de dispositions de la directive REC existaient auparavant dans notre droit national, avec l’application du dispositif SAIV, et seront par conséquent conservées.
La directive devrait toutefois permettre de renforcer la dimension relative à la continuité d’activité et la dimension logistique de la résilience en favorisation une meilleure prise en compte de l’interdépendance entre les douze secteurs clé d’importance vitale. En particulier, s’agissant de la sécurité de la chaîne d’approvisionnement, les entreprises auront l’obligation de notifier les incidents majeurs ce qui permettra d’avoir une meilleure connaissance des failles potentielles. Une meilleure articulation entre les volets physique et cyber est également attendue ainsi qu’un renforcement du dispositif des enquêtes administratives de sécurité. L’effectivité de ces dispositions sera assurée par la mise en place de sanctions administratives pour les entreprises qui ne respecteraient pas leurs nouvelles obligations. Enfin, un statut européen devrait être créé afin de mieux coordonner les opérateurs qui fournissent un service essentiel pour au moins six États-membres (obligation de notification étendue notamment, par exemple pour les opérateurs qui seraient victimes d’opérations de sabotage).
● Par ailleurs, la problématique de constitution des stocks stratégiques concerne particulièrement les OIV mais semble soulever des difficultés de mise en œuvre. Lors de son audition devant la commission, le SGDSN a indiqué que la constitution des stocks stratégiques constituait un axe d’effort important, notamment s’agissant des opérateurs d’importance vitale (OIV) (secteur concerné, détermination d’un niveau optimal de stock, d’une durée de conservation, incitation ou contrainte envers les entreprises). Selon Stéphane Bouillon, SGDSN, « en cas d’absolue nécessité et de manière concertée, nous envisageons de demander à l’OIV de constituer des stocks stratégiques ». Conséquemment, le SGDSN pilote en lien avec Bercy une action spécifique de renforcement de la planification des stocks stratégiques dans le cadre de la Stratégie nationale de résilience (SNR). Le SGDSN coordonne un travail de recensement pour chaque département ministériel, des besoins en « biens vitaux », correspondant aux produits ou matières premières dont la rupture d’approvisionnement pourrait mise en péril la continuité de la vie de la Nation. À ce titre, les opérateurs d’importance vitale sont naturellement concernés, suivant des modalités en cours de définition. L’ensemble des secteurs sont prioritaires, c’est le sens même du dispositif SAIV. Qu’il s’agisse de la Justice, de l’alimentation, de l’énergie, des transports, pas un de ces secteurs d’activité ne peut s’interrompre sans remettre gravement en cause la vie de la Nation. Cependant, les personnes auditionnées, ont alerté vos rapporteurs sur les difficultés rencontrées pour mettre en œuvre cette politique et déterminer le niveau des stocks. Les défis rencontrés résident notamment dans l’identification des produits concernés, la détermination des niveaux optimaux de stocks au cas par cas, l’étude des capacités d’approvisionnement et de productions adaptées, voire la détermination des secteurs pour lesquels une relocalisation devrait être envisagée mais aussi de la durée de vie des produits ou des éventuelles obsolescences technologiques. Les personnes auditionnées ont insisté sur la nécessité de trouver un équilibre à la fois soutenable pour les finances publiques et contribuant à l’impératif de résilience, sans tomber dans l’écueil d’un risque budgétaire trop important.
Toutefois, pour les opérateurs privés qui ne seraient pas désignés d’importance vitale, l’État ne peut pas, sauf entités particulières, leur imposer la réalisation de plans de continuité d’activité ou d’exercices de gestion de crise. La pandémie de Covid-19 a toutefois clairement démontré que la réalisation ou mise en œuvre de telles dispositions est bénéfique pour les entreprises. Le SGDSN a d’ailleurs revu récemment son guide de la continuité d’activité, qui fournit des outils aux entités souhaitant assurer cette démarche. Si ces plans de continuité ne peuvent être imposés à des opérateurs privés qui n’appartiennent pas à la catégorie des OIV, le SGDSN estime qu’il serait intéressant de pouvoir les intégrer à des exercices de gestion de crise (comme les exercices de délestage électrique).
c. L’éventuelle complémentarité offerte par les entreprises de services de sécurité et de défense pour libérer du temps militaire
Face au dynamisme du secteur, la question du rapport entre les forces armées et les entreprises privées suscite de nombreux enjeux pour l’avenir de la guerre qu’il convient d’anticiper.
●La question est notamment au cœur des réflexions de la DGRIS, qui interroge la nécessité d’avoir recours ou non à des acteurs privés de type mercenaires. Comme l’ont rappelé les représentants de la DGRIS auditionnés par vos rapporteurs, la tendance est en effet au développement de ce secteur, qui a généré environ 235 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2023 et devrait en générer 338 milliards en 2030 si l’on prolonge la courbe. La DGRIS, estime que la privatisation de la guerre pose différentes questions, liées à la décision prise par l’État de déléguer son pouvoir régalien de sécurité et de défense au profit d’entreprises privées : le profit économique est-il compatible avec un contexte de guerre ? Quel contrôle juridique est-il possible d’exercer face à ce qui tend à devenir une industrie globale non réglementée ? Quel contrôle politique peut-on exercer sur la poursuite de finalités politiques avec des moyens qui, eux, sont privés ? Si la privatisation de la guerre peut sembler présenter des bénéfices à court terme, un risque réel de perte de contrôle public existe à long terme - la « rébellion » d’Evgueni Prigojine patron de Wagner en constitue un exemple. De fait, des scénarios se sont déjà produits au cours desquels des missions logistiques ont été confiées à un acteur privé, qui les a sous-traitées à un acteur tiers de sorte qu’une dilution des responsabilités s’en est ensuivie, générant des troubles. En se projetant dans la longue durée, il peut même être envisageable que des acteurs privés de haute technologie mettent en place son propre service de sécurité et de défense.
● Face à ces enjeux majeurs et notamment concernant le possible engagement de la responsabilité de l’État par des acteurs privés, il convient de bien distinguer les actions de force des prestations techniques comme le transport, la logistique ou la formation pouvant être réalisées par des entreprises de services de sécurité et de défense (ESSD). S’il n’existe actuellement pas de statut ni de définition des sociétés militaires privées en tant que tel, d’après la définition élaborée par le SGDSN et reprise par MM. Christian Ménard et Jean-Claude Viollet dans un rapport parlementaire de la commission de la défense de 2012, une ESSD pourrait être définie comme regroupant « un ensemble de prestations nombreuses mais cohérentes, allant du service de sécurité classique aux convois logistiques, en passant par la fourniture de repas sur des bases ou encore la formation de militaires étrangers ([77]). » Et d’ajouter : « Si ces activités relèvent de métiers différents, elles ont en commun de se situer à la périphérie de ce qui fait l’essence du régalien. » Vos rapporteurs considèrent que l’on peut difficilement associer les entreprises proposant ce type de services « support » à des sociétés militaires privées (SMP), dès lors que l’on considère que la définition d’une SMP repose essentiellement sur l’emploi offensif de la force. Aussi, les propositions de vos rapporteurs ne s’inscrivent-elles que dans cette perspective et vos rapporteurs tiennent à rappeler qu’ils ne sont pas favorables à la délégation du recours à la force à des sociétés privées, le « monopole de la violence légitime » devant demeurer du ressort de l’État.
● Les acteurs du secteur auditionnés par vos rapporteurs ont mis en avant les avantages que pourrait constituer le recours à des ESSD en appui des forces armées sur des fonctions non régaliennes. En guise d’illustration, pour le général Castres, auditionné par vos rapporteurs, l’avantage d’un recours à une société telle que GEOS serait triple : basse visibilité à l’étranger grâce au recours à des partenaires locaux, réversibilité aisée de la présence et allègement de la pression pour la puissance publique autant sur le plan budgétaire, qu’administratif et humain. Opérateur historique du ministère des armées, DCI se charge par exemple d’ores et déjà de la maintenance opérationnelle des matériels, avec une « agilité » et une réactivité propre au monde de l’entreprise, y compris au profit de l’armée française, à l’image du partenariat public privé entre Hélidax et le 5ème régiment d’hélicoptères de combat (RHC) ou encore la réalisation du MCO de la flotte de Fennec de l’armée de l’air et de l’espace.
● Par ailleurs, les acteurs du secteur auditionnés par vos rapporteurs ont estimé qu’il était nécessaire que les pouvoirs politiques se saisissent de la question pour créer les conditions pour l’émergence de champions français et européens et d’accompagner les ESSD dans leurs activités, face à l’émergence d’une concurrence étrangère, notamment anglo-saxonne. Si l’établissement d’un cadre juridique spécifique aux ESSD ne fait pas l’unanimité parmi les entreprises rencontrées, M. Auberton, directeur de Chiron Solution, a appelé de ses vœux une reconnaissance du statut des ESSD et une réglementation de leurs activités. Il a insisté sur les conséquences bancaires et surtout assurantielles liées à l’absence d’un tel cadre. Les personnes auditionnées ont également fait part de leur souhait d’un accompagnement renforcé des ESSD par les pouvoirs publics et se sont montrées favorables à l’intégration d’un degré de protection pour les appels d’offre sur le marché domestique, partageant le sentiment d’une forme de concurrence déloyale s’agissant de la mise en concurrence des ESSD françaises avec des sociétés étrangères sur les appels d’offres nationaux dans des domaines comprenant pourtant de forts enjeux de souveraineté, à l’image par exemple du marché Red Air. À ce titre, l’on peut s’interroger sur le choix d’avoir eu recours à une société canadienne pour l’animation de l’exercice ORION.
● Il semble important aux yeux de vos rapporteurs que le débat public s’empare de ces enjeux, au prisme de trois questions centrales :
- Quelle limite fixer entre la privatisation et le régalien ? Le général Castres suggère ainsi de définir collectivement une liste d’activités potentiellement externalisables.
- Quel degré d’irréversibilité accepter ? Plus spécifiquement, quels savoir-faire le secteur public peut-il accepter de perdre ou quelles garanties doit-il exiger pour en éviter la perte ?
- Quel degré de confiance l’État doit-il accorder aux sociétés privées et comment peut-il les certifier ? Les personnes auditionnées se sont déclarées favorables à l’engagement d’une réflexion sur la possibilité d’identifier voire de certifier des entreprises de confiance.
● Enfin, votre rapporteur Benoît Bordat, souhaite également souligner le fait que les ESSD françaises, bien souvent composées d’anciens militaires, offrent des possibilités de reconversion dans le secteur privé non négligeables en seconde partie de carrière pour les anciens militaires et membres des forces de sécurité intérieure, possibilité qu’il estime de loin préférable à leur départ à l'étranger. Une perte de compétences et d’influence que l’on doit limiter au maximum.
C. Sensibiliser et responsabiliser les citoyens pour les rendre « acteurs » de la défense nationale
Comme l’indiquait Stéphane Bouillon, SGDSN, il convient de rendre les citoyens pleinement acteurs de la défense nationale car « rien ne peut aboutir si le peuple ne s’engage pas pour servir la collectivité, pour se protéger lui-même, pour être l’acteur de sa propre sécurité et pas seulement le consommateur ([78]). » Vos rapporteurs s’associent dès lors au constat formulé dans le rapport de la mission d’information sur la résilience nationale qui posait la nécessité renverser la « perspective avec le citoyen comme un acteur clé de la force de la nation. ([79]) »
Le développement des menaces hybrides justifie en effet la nécessité d’un « réarmement » collectif dans tous les domaines de la vie de la Nation. Comme le souligne le colonel Vieillard-Baron dans l’article précité, en cas de conflit avec une puissance étatique, l’ennemi ciblera les vulnérabilités critiques. Il cherchera à entamer la confiance de la Nation dans la capacité des décideurs à gérer la crise pour faire renoncer les autorités politiques à l’engagement armé en rendant son coût exorbitant et à désolidariser la population des pouvoirs politiques. C’est pourquoi la Nation doit « réapprendre à faire face à des attaques dans tout le champ de la vie économique et sociale. »
Tandis que les politiques publiques de défense sont historiquement centrées sur l’action de l’État, vos rapporteurs sont convaincus qu’il convient maintenant de travailler sur l’information, l’éducation et la mobilisation des citoyens, sans oublier la formation des acteurs de gestion de crise, au premier rang desquels les élus locaux, qui seront en première ligne en cas de crises majeures.
1. Sensibiliser sans inquiéter
Vos rapporteurs estiment que la transparence vis-à-vis des citoyens est clé pour renforcer la résilience de la Nation. Loin d’inquiéter la population, il convient de lui fournir les informations nécessaires à sa compréhension des menaces auxquelles elle pourrait être amenée à faire face à court et moyen terme afin d’éviter tout effet de sidération.
Comme le relève la Cour des comptes dans son rapport consacré à la gestion publique des risques : « Une diffusion aussi large que possible de la culture du risque et de la connaissance des risques, un renouvellement des modes de communication de l’État vers le public et la recherche d’une contribution plus étroite des populations à la mise en œuvre des dispositifs publics de gestion de risques constituent ainsi des enjeux majeurs pour l’efficacité de l’action publique. ([80]) ».
a. Faire connaître et expliquer les scénarii à l’étude afin de développer une véritable culture du risque
Afin de renforcer la résilience de la Nation, vos rapporteurs sont convaincus de la nécessité de partager avec les citoyens les scénarii d’anticipation stratégiques les plus structurants sur lesquels travaillent les armées, au risque sinon de voir se créer un trop grand décalage entre les armées et la société. Ces scénarii devront comprendre dans la mesure du possible une description claire de la menace anticipée et du rôle attendu de la part des citoyens dans l’hypothèse où la crise surviendrait effectivement. La journée nationale de résilience (JNR) du 13 octobre pourrait constituer un forum adapté pour cette action.
i. Le risque de déconnexion entre les perceptions des armées et des citoyens
● Tout d’abord, il convient de relativiser le sentiment parfois diffus d’un affaiblissement du lien Armée-Nation. Auditionnée par vos rapporteurs, l’historienne Bénédicte Chéron a insisté sur l’ancienneté des préoccupations relatives au renforcement du lien armée-Nation. Aussi, peut-on relever une très grande continuité avec les discours actuels sur la détérioration du lien armée-Nation. Il ressort des archives que les autorités militaires s’inquiétaient du « manque d’esprit de défense » des Français dès les années 1960. D’autre part, Mme Chéron estime que cette situation s’explique également par le fait que la France figure parmi les puissances dotées, ce qui change le rapport de la société française au fait militaire. En réalité, ce qui compte ce n’est pas tant le renforcement du lien armée-Nation que l’attachement des citoyens à la Nation et donc la volonté de la défendre en cas de besoin.
● Vos rapporteurs ont néanmoins été alertés lors de leurs travaux sur le risque de déconnexion entre les perceptions des armées et celles des citoyens. En guise d’illustration, Bénédicte Chéron a pointé le risque de l’installation d’une forme de « dissonance cognitive » entre, d’une part, le discours porté par les autorités politiques ces dernières décennies sur l’intangibilité du territoire national garantie par le statut de puissance dotée, et, d’autre part, les injonctions à la résilience ainsi que le réinvestissement du territoire national par les armées pour être en capacité de faire face à des menaces sur notre sol. La tenue de l’exercice ORION 2023 en terrain libre à grands renforts de déploiement de chars et de matériels lourds au fort impact symbolique est venue matérialiser ce paradoxe. Toujours selon Mme Chéron, les exercices en terrain ouvert peuvent aider à mieux comprendre la spécificité militaire à condition que la parole politique sur les scénarii d’utilisation des armées soit claire. Cette vision est partagée par d’autres chercheurs comme Thomas Gomart, directeur de l’IFRI, qui alerte sur l’effet potentiellement inhibant d’un sentiment de confiance excessif dans la dissuasion nucléaire. Face à l’argument selon lequel nous ne serions jamais placés dans la même situation que l’Ukraine, Thomas Gomart rétorque que s’il « ne doute pas de la centralité de la dissuasion dans la politique de Défense française, et plus largement dans le système institutionnel, il me semble que le nucléaire nous empêche parfois de penser. Les stratégies nucléaires et les stratégies conventionnelles se superposent à nouveau. ([81]) » Et de rappeler : « On peut être défaits sans être envahis ». En effet, si la dissuasion nucléaire protège nos intérêts vitaux, elle ne protège pas contre toutes les menaces, et en particulier contre les stratégies de contournement qui supposent un « réarmement matériel » comme intellectuel.
● Afin de briser cette « dissonance cognitive », vos rapporteurs estiment qu’il convient de faire preuve de transparence quant au « faux sentiment d’immunité » que peut conférer notre statut de puissance dotée et de partager un référentiel commun des menaces. Si la notion « d’épaulement » a été clairement rappelée par le Président de la République lors de son discours de l’École de guerre en 2020, le principe d’articulation entre forces conventionnelles et non conventionnelles semble parfois méconnu. Pourtant comme le rappelle l’Amiral Pierre Vandier, major général des armées et auteur de l’ouvrage La Dissuasion au troisième âge nucléaire, la notion « d’épaulement » et par là même d’épaisseur des forces conventionnelles est redevenue d’autant plus centrale que l’adversaire cherchera par des stratégies hybrides à limiter la liberté d’action du Gouvernement. Ainsi, « Sans cet épaulement, le risque est de vous autodissuader : que sans moyens conventionnels suffisants, vous n’avez pas d’autre choix face à une agression que de brandir votre dissuasion. L’adversaire peut alors être fondé à croire que vous ne le ferez pas. L’épaisseur conventionnelle est redevenue un sujet majeur pour les armées occidentales ([82]). »
ii. De la vertu de la transparence de la parole publique
● Il apparaît dès lors que la clarté de la parole publique est clé pour développer la résilience. Le chercheur Chris Zebrowski, auteur de The Value of Resilience (2016), a notamment travaillé sur la question de la résilience à partir des sciences dures. Il soutient la thèse selon laquelle la résilience n’a rien de naturel. Les résultats du parangonnage mené démontrent qu’une différenciation concrète des types d’adversité, ainsi qu’une parole claire en amont de la survenance d’une crise permettent aux populations de se projeter dans ses adversités sans les craindre. Il semblerait qu’une communication plus transparente permette d’imaginer collectivement l’étendue des possibles et de mieux personnifier l’adversité. « Les menaces contemporaines sont simplement trop complexes et inattendues pour être convenablement prévues ou prévenues. La résilience ne peut empêcher qu’un événement se produise. Elle peut en revanche lui retirer son potentiel perturbateur ([83]) » Mme Chéron en tire la conclusion que l’exemple ukrainien ne peut avoir d’effet majeur sur la résilience des Français car le discours politique depuis la fin de la guerre froide a consisté à affirmer à la société française qu’elle ne courait pas le risque d’être envahie sur son territoire et donc ne serait jamais placée dans la situation ukrainienne. Vos rapporteurs, en accord avec les suggestions de Bénédicte Chéron, estiment donc qu’il convient de présenter clairement des scénarii d’adversité pouvant atteindre les intérêts du pays, et de réfléchir collectivement au rôle dévolu à chaque acteur, d’une part, pour éviter la matérialisation de ces scénarii et, d’autre part, pour les affronter si nécessaire.
● Des progrès significatifs ont été réalisés en la matière et doivent être poursuivis. À tire d’exemple, le SGDSN a élaboré un module de sensibilisation du grand public en ligne consacré à la menace terroriste, sur le site internet Vigipirate ; le service d’information du gouvernement (SIG) a rationalisé sa communication sur les risques et les menaces, à travers le portail https://www.gouvernement.fr/risques. Dans le cadre de la SNR, le SGDSN envisage par ailleurs l’élaboration de guides semblables à ceux qui existent aujourd’hui en Suède ou en Allemagne concernant les réflexes de comportement, afin que la population puisse agir avec le minimum d’information et constituer les stocks adéquats, non superflus. La DGSCGC procède également à la rénovation du plan familial de mise en sûreté (PFMS) – désormais Plan Individuel de Mise en Sûreté (PIMS) – dans l’objectif d’aider les citoyens à identifier les risques naturels, industriels et technologiques qui les entourent et à s’organiser pour pouvoir y faire face. Ce PIMS présente les comportements de sauvegarde à adopter pour faire face à ces risques. Toutefois, à ce stade, le PIMS et la journée nationale de résilience n’abordent pas l’intégralité du spectre des risques et des menaces ni les questions relatives à l’engagement citoyen en faveur de la résilience. Or le contexte actuel implique d’adopter une vision large de la résilience, telle que portée par la SNR, et de diffuser davantage d’éléments sur l’intégralité des risques et des menaces et leurs effets aux citoyens.
iii. Renforcer la contribution de la journée nationale de résilience et du service national universel au développement de la résilience de la nation
Aussi, au-delà du partage de scénarii, vos rapporteurs identifient-ils plusieurs pistes visant à renforcer les outils déjà existants comme le service national universel (SNU) ou encore la journée nationale de résilience (JNR) au service d’une plus grande résilience.
● D’une part, face à la grande hétérogénéité des séjours de cohésion actuellement proposés dans le cadre du service national universel (SNU), vos rapporteurs estiment que pour rester attractif, dans une logique de volontariat, le contenu des formations proposées doit faire l’objet d’une clarification de l’objectif poursuivi et d’une harmonisation. Vos rapporteurs préconisent que le SNU soit ainsi recentré sur un objectif de résilience, à travers des modules dédiés, comme l’avait recommandé le rapporteur de la mission d’information sur la résilience nationale.
● D’autre part, des manifestations ponctuelles comme la JNR, qui a lieu le 13 octobre de chaque année, si elles ne peuvent se substituer à des actions de long terme d’acculturation au risque, méritent d’être renforcées. Selon les informations fournies à vos rapporteurs, avec près de 3 000 actions de sensibilisation, tous les départements ont bénéficié, en 2023, d’action labellisées « JNR », soit une augmentation de 47 % par rapport à la première édition en 2022. Si la journée porte principalement aujourd’hui sur les risques naturels et technologiques, il apparaît nécessaire qu’elle puisse englober à terme l’ensemble des risques et des menaces, y compris celles situées dans le haut du spectre, comme le risque attentat. Vos rapporteurs estiment qu’il pourrait également être envisagé de valoriser les actions entreprises au niveau territorial en décernant un prix, qui pourrait être attribué par le préfet, afin de mobiliser davantage les acteurs de terrain et de diffuser les bonnes pratiques.
● Enfin, votre rapporteur M. Taverne souligne en particulier la nécessité d’aller au-delà de la seule formation aux « gestes qui sauvent » et de mieux former au PSC1 (Prévention et secours civiques de niveau 1) et de sensibiliser également à l’alerte et à la protection. Au-delà du rôle joué par les écoles, celui joué par les employeurs pourrait être renforcé sur le lieu de travail À ce titre, M. Hocdé a évoqué le besoin d’un vecteur législatif afin de responsabiliser les employeurs publics et privés. Il pourrait être proposé d’intégrer dans le code du travail des dispositions visant à prévoir une information et des mises en situation sur les risques majeurs et les conduites à tenir, organisées par les employeurs (publics et privés), au moins une fois par an.
b. S’appuyer sur des élus locaux formés
Une fois le référentiel des menaces établi et partagé, la préparation pourra ensuite être déclinée en s’appuyant sur les élus locaux.
Dans un contexte où la parole officielle est de plus en plus remise en cause, les élus locaux jouent un rôle clé dans la communication à destination des citoyens. Vos rapporteurs estiment que les élus locaux bien formés en lien avec les préfets et les représentants de la chaîne OTIAD sont les plus à même d’incarner cette figure de confiance et d’assurer ce lien direct avec les citoyens au quotidien. En effet, les collectivités locales, et en particulier, les maires et leurs correspondants défense, ont vocation à être des acteurs centraux dans la prévention et la gestion des risques majeurs. Par ailleurs, des élus et des citoyens mieux informés des risques sont moins susceptibles de relayer par inadvertance de fausses informations concourant malgré eux aux stratégies hybrides mises en œuvre par nos compétiteurs.
Vos rapporteurs saluent les efforts entrepris à ce titre par le SGDSN qui s’emploie à élaborer un module de sensibilisation par internet, à destination des élus locaux et des agents territoriaux.
c. Poursuivre le renforcement de la formation des acteurs de la gestion de crise
● Le renforcement de la formation des acteurs de la gestion de crise s’inscrit dans la lignée les travaux de la SNR qui s’emploie à « diffuser une culture de la continuité d’activité » et à renforcer les compétences des membres des cabinets ministériels en matière de gestion de crise. Cette démarche se traduit par la diffusion d’un guide de continuité d’activité, des réunions régulières avec les directeurs de cabinet des ministères afin d’en assurer le suivi mais également la mise en place d’un guide à destination des membres de cabinet pour leur expliquer les contraintes et risques auxquels ils peuvent être soumis (attaques cyber, espionnage, manipulation de l’information) et leur rappeler leur rôle dans la gestion de crise. Il importe que l’ensemble des personnels des ministères, une fois eux-mêmes sensibilisés, forment leurs successeurs à la gestion de crise. Comme le souligne Stéphane Bouillon, SGDSN « À ce sujet, il ne suffit pas de disposer d’effectifs spécialisés pour établir une cellule de crise. Tous les agents et les cadres du ministère doivent connaître la gestion de crise pour pouvoir organiser une relève dans le temps. Par ailleurs, tous les experts techniques doivent être en mesure de se mettre au service de la gestion de crise au niveau global. »
● En complément, le SGDSN a mené une refonte de la planification de sécurité nationale qui vise à basculer d’une logique « un risque – un plan » à une logique « tous risques ». Confirmant cette orientation, la Première ministre a signé le 23 janvier 2023 une nouvelle directive générale interministérielle (DGI) n° 320 relative à la planification de défense et de sécurité nationale. Cette nouvelle directive propose une grille de lecture commune visant à mieux appréhender l’ensemble des situations. Elle permet de mettre en place une méthodologie interministérielle et une « boîte à outils » susceptibles d’être mobilisées pour assurer la continuité de l’État et la sauvegarde des populations, quelle que soit la situation, tout en conservant la répartition des responsabilités réglementaires des ministères (qui mettent en œuvre leur planification sectorielle et évaluent les risques et menaces dans leurs périmètres de compétences). Elle s’appuie sur la création d’un outil numérique, baptisé ATHENA, qui vise à faciliter l’exploitation des plans gouvernementaux, l’identification des fiches mesures pertinentes parmi celles disponibles ainsi qu’une aide au pilotage de la crise.
Les grands principes de la DGI et de la méthode d’anticipation interministérielle sont enseignés aux ministères depuis la fin de l’année 2022 dans le cadre des sessions de professionnalisation des acteurs de la gestion de crise (PAGC) mises en place par le SGDSN. Cette formation favorise l’appropriation de cette nouvelle doctrine par les ministères. L’adhésion des ministères à cette nouvelle doctrine s’est faite d’autant plus facilement que le principe de subsidiarité y est central et que la DGI réaffirme le principe de responsabilité sectorielle en affectant aux ministères la responsabilité de la protection des activités-clés et la surveillance des indicateurs liés aux facteurs de crises majeures.
● À ce stade, l’enjeu est maintenant d’accompagner les ministères et les territoires dans la déclinaison de la DGI et du référentiel d’anticipation au sein de leurs périmètres respectifs. Selon les informations fournies à vos rapporteurs par le SGDSN, plusieurs ministères ont déjà franchi le pas, comme le ministère de l’économie et des finances, le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire ou le ministère de la justice, qui ont décliné leurs activités-clés en sous-systèmes et se sont parfaitement appropriés la méthode d’anticipation. On peut également souligner l’effort de déclinaison de certains territoires qui font reposer l’analyse de leur contrat territorial de réponse aux risques et aux effets potentiels des menaces (COTTRiM) sur les facteurs de crise définis dans la DGI dans un souci d’exhaustivité. Le SGDSN contribue, enfin, activement à la montée en compétences des agents intervenant en appui aux hauts fonctionnaires de défense et de sécurité. Près de 900 agents ont été formés à la gestion de crise via le programme de professionnalisation des acteurs de la gestion de crise (PAGC). Des programmes de formation continue sont également dispensés par le SGDSN au bénéfice des agents susceptibles d’être mobilisés en cellule interministérielle de crise (CIC) et dans les centres opérationnels.
Les personnes auditionnées ont également fait part aux rapporteurs du lancement d’une réflexion pour créer un réseau avec des universités concernées par les enjeux de défense, qui permettrait d’identifier un vivier de stagiaires à disposition des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité, qui ont besoin d’être renforcés. Dans un second temps, ces jeunes, qui auraient acquis une première expérience professionnelle, pourraient se voir proposer un engagement dans la réserve. Des partenariats en gestion de crise en lien avec le SGDSN sont également envisagés ou en cours de développement avec des grandes écoles comme Sciences Po Paris ou l’INSP.
2. Promouvoir la vision selon laquelle « en chaque Français sommeille un réserviste »
Vos rapporteurs sont convaincus qu’il convient de ne pas sous-estimer la capacité des Français à s’engager si on leur donne un cadre clair et des raisons pour le faire. Aussi, s’agit-il là encore de se mobiliser pour informer, associer et proposer de s’engager demain dans la réserve opérationnelle, afin d’être partie prenante de la résolution des crises à venir. La réserve constitue à ce titre un véritable « trait d’union » entre la Nation et ses forces engagées.
a. Un modèle de réserve à l’épreuve de la montée en puissance portée par la LPM 2024-2030
Dans la perspective du doublement du nombre de réservistes inscrit dans la LPM 2024-2030, avec à terme un réserviste pour deux militaires d’active en 2030, il ressort des auditions menées par vos rapporteurs qu’une redéfinition préalable du cadre d’emploi des réservistes est nécessaire. Les armées devront également faire face au défi des moyens pour recruter, équiper et former les réservistes.
i. La nécessaire rénovation de la doctrine d’emploi des réservistes
● Si l’emploi de la réserve a constitué une réussite dans le cadre de l’exercice ORION, les réservistes ont été principalement employés comme réserve de complément pour alimenter les états-majors et régiments en effectifs supplémentaires. Selon les informations fournies par le secrétariat général de la Garde nationale à vos rapporteurs, au total sur les deux phases d’exercice de terrain, les réservistes ont représenté près de 10 % des effectifs déployés, soit jusqu’à 2000 réservistes au plus fort du déploiement. Leur engagement a été soit groupé au sein d’unités élémentaires de réserve (UER) ou au sein du 24ème régiment d’infanterie, entièrement constitué de « réserviste », soit en compléments individuels au sein des états-majors de forces (par exemple, 11 % du personnel du PC de la 3eme division) ou au sein d’unités de soutien des forces. La réserve opérationnelle en unité constituée a été essentiellement engagée sur des missions ciblées (protection de site, escorte de convoi logistique, contrôle de zone arrière de combat, etc.). Ces chiffres sont à comparer aux 4 000 réservistes engagés à chaque instant tout au long de l’année au sein des armées et 7 000 au total sur l’ensemble du périmètre de la garde nationale. Toutefois, il est à noter que les rétroactions sur le territoire national n’ont pas été jouées sur le terrain à ORION, n’imposant pas d’emploi de la réserve en renforcement des missions de défense opérationnelle du territoire (DOT).
● L’évolution à venir des réserves ne représente pas exclusivement un saut quantitatif mais appelle à un changement de paradigme. Selon les informations fournies à vos rapporteurs par l’EMA, la réserve de nouvelle génération sera davantage une réserve « d’emploi », plus autonome, fondée sur des unités territorialisées de niveau bataillon. L’armée de Terre comme la Marine nationale et l’armée de l’Air et de l’espace conduisent, chacune en leur sein, une réflexion sur la méthode de mobilisation future de réservistes. Parallèlement, des travaux visent à renforcer les capacités de mobilisation de la réserve opérationnelle de deuxième niveau, constituée d’anciens militaires d’active (RO2). À ce titre le plan « Réserve 2035 » vise à sortir de la logique de complément une véritable « réserve stratégique », c’est-à-dire des capacités opérationnelles supplémentaires à celles des forces d’active pour réagir à une crise majeure. En somme, il s’agit de disposer à l’avenir d’unités constituées de réserve, équipées entièrement soit pour le territoire national soit pour l’étranger, et entraînées. Cette réserve, par l’épaisseur RH qu’elle offrira devra permettre à l’armée d’active de durer dans une situation d’affrontement à l’étranger aux conséquences multiples sur le territoire national. L’exercice ORION 23 a mis en exergue la nécessité du développement, au sein des armées, de compétences rares (comme le cyber). Cet axe va donc constituer le troisième volet d’orientation de la réserve future, aux côtés des deux volets actuels incarnés par les fonctions stratégiques « protection » et « intervention », selon l’EMA.
Dans le cadre du plan « Réserve 2035 » les missions de cette « réserve d’emploi » devraient être réparties comme suit, selon les informations fournies à vos rapporteurs :
- une réserve territoriale en métropole et en outre-mer pour protéger la zone arrière des combats, appuyer les forces en transit, appuyer les forces de sécurité intérieure ;
- une réserve d’engagement en renfort ou en relève des forces déployées à l’étranger ;
- une réserve de compétence pour répondre à l’émergence des nouvelles technologies.
● À ce titre, s’agissant des réserves, le SGGN invite à penser d’abord à la « levée de compétences dans les bassins territoriaux » plutôt qu’une « levée en masse ». La Garde nationale s’inscrit activement dans une logique beaucoup plus fine de ciblage des compétences afin de concentrer en priorité ses efforts en direction des domaines critiques pour les armées en cas de crise de type ORION 23, en ciblant notamment les douze secteurs clés de l’activité de l’État dont santé, énergie, etc. Le SGGN se concentre actuellement sur le ciblage et la qualité des partenariats puis leurs suivis dans les départements par les correspondants de la garde nationale. Le SGGN développe une nouvelle approche partenariale depuis 2023 pour faciliter la réalisation de journées de réserves sur le temps de travail tout en maintenant leur rémunération. La mise en œuvre des conventions est suivie sur cinq ans en lien avec les référents Garde Nationale des entreprises. S’agissant des formations, le général Poisbeau a néanmoins attiré l’attention des rapporteurs sur le fait que la loi prévoit actuellement d’attribuer au niveau des entreprises dix jours sur le temps de travail pour les employés réservistes. Or les formations demandent du temps (la formation militaire initiale du réserviste (FMIR) dure 15 jours), il est donc particulièrement utile de conventionner pour sécuriser le réserviste et l’employeur, mais aussi assurer les formations qualifiantes demandées par chacune des forces.
● Toutefois, alors que la loi de programmation militaire 2024-2030 a été promulguée en août 2023[84], vos rapporteurs s’étonnent de voir que le plan « Réserve 2035 » n’ait toujours pas fait l’objet d’une publication – bien que certains éléments aient été présentés publiquement par le général Barbry, à la tête de la division cohésion nationale de l’EMA. Il en va de même pour la prise des décrets d’application relatifs aux dispositifs concernant les réserves adoptées dans le cadre de la LPM 2024-2030 qui n’ont pas encore été publiés à la date d’écriture du présent rapport. Vos rapporteurs tiennent à souligner le fait que la définition précise des finalités opérationnelles recherchées par le doublement de la réserve, ainsi que la rénovation de la doctrine d’emploi associée, apparaissent comme un préalable essentiel. Il convient en effet de sortir d’une ambition, pour l’instant essentiellement quantitative, qui n’est que peu mobilisatrice tant que ne sera pas répondu à la question de l’état final recherché. En effet, le doublement ne doit pas être vu comme une fin en soi, mais devait bel et bien s’avérer utile pour faire face aux nouvelles menaces et répondre aux besoins opérationnels des forces. En particulier, vos rapporteurs estiment qu’il serait nécessaire d’envisager après la tenue des JOP 2024 une révision du dispositif Sentinelle au profit d’une plus grande mobilisation des bataillons de réserviste territorialisés sur le territoire national.
ii. Se donner les moyens matériels et humains de nos ambitions
● Par ailleurs, si la formation et l’entraînement donnent globalement satisfaction, l’effort doit porter désormais sur l’équipement de la réserve, notamment en matériels majeurs. À l’avenir, l’enjeu sera donc de pouvoir former, entraîner et équiper plus de réservistes opérationnels, sur un spectre plus large de missions. Cela passe inévitablement par leur participation systématique aux exercices majeurs. Vos rapporteurs considèrent que la participation des réservistes aux exercices militaires doit donc être encouragée pour favoriser leur intégration avec l’active. Les avantages seront le renforcement de l’intégration des réserves, mais également l’intérêt qu’y trouveront les réservistes, ce qui renforcera leur fidélisation et l’attractivité de la réserve.
Le colonel de Brébisson a cependant rappelé qu’il n’existe pas de budgets opérationnels de programme (BOP) spécifiquement dédiés à la réserve. Cela signifie qu’il incombe à chaque chef d’état-major d’armée (CEMAT, CEMM, CEMAAE) de déterminer les crédits alloués à la réserve au sein de son propre BOP. L’effet quasi-mécanique des à-coups d’activité sur la fidélisation et l’attractivité des réserves ayant été constaté, l’EMA s’emploie à les éviter autant que possible. Ainsi, un comité de pilotage sous l’égide de la DRH-MD a par exemple permis de sécuriser les ressources de personnel pour l’année 2024 pour toutes les directions et services du MINARM. Les réservistes ont en effet souvent besoin d’un certain délai pour s’organiser professionnellement et négocier leurs absences avec leur employeur. Dans le cadre de l’élaboration du « Plan réserves 2035 », il a d’ailleurs été constaté que l’annulation d’un exercice avait en général plus de conséquences pour les réservistes que pour les militaires d’active. Le colonel de Brébisson a donc appelé à une sanctuarisation de la programmation des exercices pour l’entraînement des réservistes. Par ailleurs, pour le secteur civil, certains besoins ne sont pas encore identifiés, en particulier concernant le renfort en personnel des entreprises en cas de mobilisation des réservistes. Sur ce sujet, selon le colonel de Brébisson, le parangonnage nous apprend qu’au Royaume-Uni, la mobilisation d’un réserviste peut se traduire par un système de compensation allant jusqu’au remplacement des postes prélevés assorti d’une indemnisation. Il est en effet crucial qu’en cas de mobilisation les entreprises du secteur privé soient toujours en état de fonctionner. Vos rapporteurs seront donc particulièrement vigilants à ce que les budgets prévus pour financer l’activité des réserves soient sanctuarisés et permettent de se donner les moyens de nos ambitions, sans que cela se fasse au détriment de l’active.
● Enfin, le renforcement de l’attractivité de la réserve sera également consubstantiel à la réduction des irritants actuellement rencontrés par les réservistes. Si vos rapporteurs saluent l’annonce du ministre des armées, M. Sébastien Lecornu visant à réduire les délais de paiement de la solde des réservistes, ils constatent que les efforts doivent être poursuivis et ce, également, concernant les délais de recrutement et d’intégration des réservistes. À titre d’exemple, s’agissant de la Gendarmerie nationale, selon les informations fournies à vos rapporteurs, la procédure de recrutement est d’une durée moyenne de huit mois – notamment en raison du délai d’obtention d’un rendez-vous auprès du service de santé des armées (SSA) pour le contrôle de l’aptitude médicale (étape préalable à la contractualisation de l’engagement à servir) - mais également en raison de la tension sur la chaîne de gestion des personnels de réserve que génère l’afflux de candidatures. Le défi en la matière est donc d’arriver à recruter dans un délai acceptable pour les volontaires sans que l’afflux massif de candidatures ne génère une situation de saturation au niveau de la chaîne de gestion. Pour y répondre, le projet de système d’informations « Agorh@ Sélection » dont le déploiement est attendu en 2025, et qui vise à dématérialiser intégralement le processus de candidature aux différents statuts qu'offre la gendarmerie (d’active comme de réserve), doit permettre d'optimiser le dépôt de candidature du côté des volontaires et d'alléger la charge administrative du côté gestionnaire par la suppression des taches redondantes.
b. Une comparaison avec le modèle américain
Dans le cadre de leurs travaux vos rapporteurs se sont rendus aux États-Unis, notamment pour y étudier le modèle de Garde Nationale. Il existe en effet aux États-Unis deux types de réserves aux côtés de l’active : la National Guard et une composante réserve au sein de chaque armée (à l’exception de l’US Space Force). Les deux composantes de réserves comptent plus d’un million de personnels (40 % de l’effectif total des forces armées) pour un budget d’environ 55 Mds$ (7 % du budget total).
La National Guard se concentre essentiellement sur des missions de protection du territoire au profit des États ou sur des missions opérationnelles d’armées (projection en opérations extérieures). La composante réserves des armées se focalise, à de rares exceptions, davantage sur des fonctions de soutien et d’administration (elle occupe en moyenne 50 % des fonctions de soutien), permettant une intégration facilitée des réservistes par la transposition de leur métier civil dans les forces armées.
Bien que le modèle apparaisse difficilement transposable en France, vos rapporteurs ont tiré plusieurs enseignements du modèle américain.
– La principale différence consiste en la configuration des unités de réserve de la National Guard, à la différence de celles de la « réserve » qui constituent des unités entières de réservistes, plutôt que des compléments individuels comme c’est actuellement le cas en France. La réserve remplit donc davantage un rôle de relève, de complément de masse, équipée et entraînée dans les mêmes conditions que l’active. Les « réserves », qui prennent la forme d’unités constituées, remplissent surtout un rôle de soutien aux forces. Héritière du modèle américain, elles permettent de s’assurer que les armées ne s’émancipent pas de la Nation en rendant l’active dépendante des réservistes pour tout déploiement d’ampleur. La réserve dispose d’un commandement autonome et d’un budget autonome. La gestion repose également sur des réservistes.
– Il ressort des échanges menés par vos rapporteurs, que les conditions de mobilisation sont complexes du fait de la double tutelle État fédéral/état fédéré et la question de l’effet d’éviction se pose également. Les personnes rencontrées ont notamment appelé de leurs vœux une simplification des conditions d’engagement, mettant en valeur pour ces raisons le modèle français. S’agissant de la mobilisation des réserves, selon les informations fournies par les services de l’ambassade de France aux États-Unis, l’armée américaine ne peut se projeter dans la durée sans ses réserves qui assurent également des créneaux de rotations outre-mer et d’intervention au profit des Combatant Commands (COCOM). La mobilisation des composantes de réserve est une activité permanente assurée par la First Army. Des dispositions permettent la montée en puissance jusqu’à la mobilisation de masse (Large Scale Mobilization LSMO) en fonction des crises et de l’autorité responsable. Du fait de la double tutelle (État fédéral, états fédérés), les modalités de mobilisation des réservistes répondent à une grille de lecture complexe. L’armée de Terre mène régulièrement des exercices de mobilisation visant à tester tant l’aptitude des services « mobilisateurs » que des réservistes mobilisables eux-mêmes (exercices MOBEX, Pershing Strike pour une mobilisation à grande échelle).
– Toutefois, en temps normal, la prévisibilité est un aspect majeur qui favorise l’engagement des réservistes. L’intention étant de donner le plus de temps possible afin que le réserviste puisse préparer son environnement familial et professionnel avec un minimum légal de trente jours sauf circonstances exceptionnelles requérant l’accord du secrétaire à la défense. En revanche, l’ordre de mobilisation peut être donné au réserviste dans une période pouvant aller d’un an pour une rotation programmée à une mobilisation le jour même dans certains cas lorsque la nécessité l’exige. Selon les informations fournies par les services de l’ambassade, une application informatique dédiée : Department of the Army Mobilization Processing System (DAMPS) permet le suivi, les validations d’autorités, l’émission des ordres, les mouvements dès la demande du Combatant Commands (COCOM). L’outil numérique « Tour of Duty » permet aux commandants d’unités de mettre en ligne des demandes de compléments individuels pour compléter leurs rangs. Cet outil permet ensuite également aux réservistes de postuler à « l’offre de réserve » qui correspond le plus à leur compétence et à leurs aspirations.
– Enfin, l’attractivité de la réserve relève surtout des missions proposées, très similaires à celle de l’active. La réserve Cyber a la particularité d’attirer des civils occupant des postes qualifiés, parfois dans de grandes firmes de la Silicon Valley, souhaitant réaliser des opérations qu’ils ne peuvent conduire dans le milieu civil. Selon les informations fournies par les services de l’ambassade, les unités cyber de la Réserve et de la National Guard, regroupées au sein de Cyber Brigade, sont composées essentiellement de réservistes. Ces unités de réserve sont employées comme celles d’active (missions défensives et offensives). La composante « Réserve » devrait à terme représenter la moitié des effectifs dans le domaine Cyber. En complément des composantes militaires, le DoD (Department of Defense) et le DHS (Homeland Security) ont été autorisés en 2022 à créer des réserves « civiles » pour offrir la possibilité de servir dans ce domaine à des personnes qui ne satisferaient pas certains critères (physiques notamment) ou ne voudraient pas porter l’uniforme. En contrepartie, pour l’employeur, des formations duales sont souvent mises en place. Par ailleurs, la loi américaine protège les salariés réservistes contre tout risque de licenciement et leur accorde aussi une couverture maladie. L’engagement est considéré comme positif pour les employeurs qui bénéficient d’avantages symboliques, à travers la distinction par des prix et des labels des employeurs vertueux.
La National Guard est une force militaire des États-Unis composée d’éléments de réserve de l’U.S Army et de l’U.S Air Force. Elle compte près de 360 000 soldats pour l’Army National Gard et 110 000 pour l’Air National Guard, qui sont sous la double tutelle de leur État respectif et de l’État fédéral. Elle est composée d’unités et de membres de chaque État et des territoires de Guam, des îles Vierges, de Porto Rico et du district de Columbia, soit un total de 54 organisations distinctes. La National Guard se distingue de la réserve des armées (800 000 personnes) principalement par sa double tutelle État et gouvernement fédéral, mais aussi par ses missions. La réserve et la National Guard représentent près de 10 % du budget total alloué au Département de la Défense.
Les grandes lignes de l’histoire de la National Guard
• La National Guard voit le jour le 13 décembre 1636 dans le Massachusetts, lorsque trois régiments de milice se forment pour se défendre et assurer la sécurité des premières colonies.
• Le Militia Act de 1903, également connue sous le nom de Dick Act, créée les éléments constitutifs de la National Guard moderne. Il codifie les circonstances dans lesquelles la National Gard peut être fédéralisée et prévoit également des fonds fédéraux pour payer l'équipement et la formation.
• Woodrow Wilson signe la loi sur la défense nationale de 1916, apportant des changements importants à l'organisation, notamment en lui donnant le nom officiel de National Guard, en augmentant et en normalisant la formation, en ajoutant des fonds, en administrant des inspections annuelles et en exigeant le passage de tests d'aptitude et d'éligibilité. La première unité d'aviation de la National Guard est créée le 1er novembre 1915 et, trois décennies plus tard, le 18 septembre 1947, avec la création de l’U.S Air Force, apparaît l’Air National Guard.
• En septembre 1940, tandis que l'entrée des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale se profile, le président Franklin D. Roosevelt appelle la National Guard pour une année complète de formation avant de la projeter.
• Plus récemment en Irak, la National Guard représentait plus de la moitié des effectifs des forces américaines engagées en 2005.
L’organisation de la National Guard
La National Guard est administrée par le National Guard Bureau, qui est une direction conjointe de l’Army et de l’Air Force placée sous l'égide du DoD. Le National Guard Bureau constitue un canal de communication entre les États et le DoD.
Le National Guard Bureau fournit également des politiques et des exigences en matière de formation et distribue les fonds fédéraux alloués aux unités de la National Guard. Le National Guard Bureau est dirigé par le Chief of the National Guard Bureau (CNGB), général quatre étoiles de l’Army ou de l’Air Force et est membre du Joint Chiefs of Staff.
La National Guard est organisée en brigades de combat (Brigade Combat Team ou BTC) interarmes, et en unités aériennes, sur un format modulaire très semblable à celui de l’U.S. Army ou de l’U.S. Air Force. Les unités, qui peuvent être affectées à des missions très diverses, ne sont pas toutes au même niveau d’équipement ou d’entraînement.
Les principes de mobilisation de la National Guard
La National Guard est sous une double tutelle, sous deux constitutions superposées, la Constitution des États-Unis et celle de leurs États respectifs. Elle peut être mobilisée selon trois modalités différentes :
1. Le State Active Duty : Le chef de l'exécutif de chaque État (généralement le gouverneur) peut activer les unités de la National Guard. Dans ce cas, le gouverneur fait office de commandant en chef et l'État en question prend en charge les coûts.
2. Titre 10 : Federal Duty. Le président peut fédéraliser la National. Dans ce cas, le président sera le commandant en chef, des officiers d'active commanderont les forces de la National Gard et le gouvernement fédéral prendra en charge les coûts.
3. Titre 32: Full-Time National Guard Duty. Le président peut fédéraliser la National Guard sous les spécificités du statut du Titre 32. Dans ce cas, le gouverneur de chaque État sera le commandant en chef (mais il relèvera du chef du National Gard Bureau) et le gouvernement fédéral prendra en charge les coûts. C'est ce qui s'est produit lors de l'ouragan Katrina ainsi que lors de l'investiture d'Obama en 2009. L'activation au titre 32 ne peut être effectuée que par le président ou le SECDEF avec l'approbation et le consentement du gouverneur de l'État.
Les missions de la National Guard
Seule branche à avoir une double mission, la National Guard a pour mission de fournir des unités entraînées à la nation et aux différents États des États-Unis. La National Guard remplit toute une série de fonctions, notamment :
• Les secours en cas de catastrophe. La National Gard est fréquemment appelée à répondre à des urgences à l'échelle de l'État, telles que des catastrophes naturelles. La National Guard se prépare chaque année aux ouragans qui frappent désormais régulièrement le Sud-Est des États-Unis.
• Soutien militaire. La National Guard joue également un rôle crucial dans le soutien des opérations militaires américaines à l'étranger. Depuis le 11 septembre 2001, de nombreux soldats de la National Guard ont été déployés sur des théâtres d'opérations, notamment en Irak et en Afghanistan.
• Application de la loi. La National Guard peut être déployée par les gouverneurs des États à des fins de maintien de l'ordre. En janvier 2021, la National Gard de DC a été déployée en réponse à l'attaque du Capitole des États-Unis par une foule pro-Trump tandis que les législateurs se réunissaient pour certifier l'élection présidentielle.
• Soutien électoral. Ces dernières années, la National Guard a fourni un soutien en matière de cybersécurité aux gouvernements des États et aux collectivités locales qui administrent les élections.
Les déploiements récents de la National Guard
Les unités de la garde peuvent être appelées à préserver la sécurité publique, l'ordre et la paix dans le pays en cas d'urgence et peuvent également être déployées pour servir d'éléments essentiels des forces américaines à l'étranger.
• Depuis le 11 septembre 2001, la National Guard a mobilisé plus de 500 000 soldats pour des missions fédérales, et a aussi joué un rôle important dans les secours en cas de catastrophe et la défense du territoire.
• En 2020, près de 100 000 membres de la National Guard ont été déployés afin de prêter assistance lors de la pandémie de coronavirus, des incendies de forêt en Californie et des manifestations contre le racisme.
• Au début de l'année 2021, la National Guard a de nouveau été appelée à rétablir l'ordre après l'assaut du Capitole, puis de nombreux membres de la National Guard ont été déployés pour sécuriser l'inauguration du président élu Joe Biden.
Recrutement
La réserve américaine ne connaît pas les mêmes difficultés de recrutement auxquelles font face actuellement les forces armées grâce à plusieurs dispositifs :
- peu de mobilité demandée par rapport à l’active ;
- des primes attractives et modulables en fonction des spécialités critiques ;
- des contrats variant de 1 à 5 ans renouvelables, permettant d’obtenir une pension de retraite après 20 ans de réserve (en moyenne 1 000 $ de pension).
- L’engagement peut se réaliser entre 17 ans et 43 ans (souplesse admise pour des personnes plus âgées sur des fonctions déficitaires) et le réserviste peut servir jusqu’à l’âge de 60 ans. Des exceptions sont également admises pour servir au-delà sur des fonctions déficitaires.
Emploi
- Le minimum de temps de réserve à effectuer est d’un week-end/mois auquel il faut ajouter deux semaines/an, soit 38 jours/an.
- En fonction des contraintes du réserviste, ces jours peuvent être concentrés sur une courte période de temps (2 mois) ou être reportés sur l’année suivante.
- Pour certains réservistes dont l’emploi ne permet pas une disponibilité sur plusieurs années, il est accepté de mettre en suspens le contrat et de le reprendre lorsque le réserviste disposera d’une meilleure disponibilité. Son avancement sera réduit et sa date d’obtention de pension repoussée.
- Il est accepté pour les Highly Qualified Experts -HQE (cyber, médecins, programmeurs…) des « contrats à la carte » avec des périodes plus courtes (2 semaines/an) ne les pénalisant pas dans leur avancement.
- 22 % des réservistes occupent un poste à temps plein. Les réservistes peuvent être projetés en opération extérieure sur des « tours » identiques à l’active (1 an).
- Les unités de réservistes sont en général homogènes (peu d’unités mêlant active et réserves), permettant d’éviter les frictions de commandement entre active et réserve.
- La gestion administrative des réservistes est réalisée par des réservistes, évitant de constituer une surcharge pour les militaires d’active.
Rémunération
- La rémunération est identique à celle de l’active. Des primes complémentaires sont allouées en fonction des spécialités, mais également pour favoriser les renouvellements de contrat.
- Afin de faciliter la fidélisation des réservistes, plusieurs avantages accompagnent le service dans la réserve : congés payés, gratuité des soins médicaux pendant la durée du service actif, frais de scolarité réduits pour la famille, prêts immobiliers et assurances à des taux avantageux…
Grade et promotion
- En fonction de son niveau scolaire ou de ses aptitudes, le réserviste est recruté à un niveau de responsabilité (soldat, sergent, lieutenant). L’avancement dans la réserve est identique à celui de l’active.
- Pour certaines spécialités, les Highly Qualified Experts peuvent directement intégrer la réserve en obtenant le grade de commandant, lieutenant-colonel ou colonel. Seul un insigne discret (badge sur le col de la veste) de spécialiste sur leur uniforme les distingue des autres militaires. Ils disposent ensuite du même avancement que les autres réservistes.
- Un réserviste peut accéder aux grades d’officiers généraux jusqu’à 3 étoiles US (4 étoiles françaises).
Employeur
- Il n’y a pas d’indemnisation particulière des employeurs de réservistes. Néanmoins, les armées proposent régulièrement aux employeurs de financer des formations duales (transport, cyber, informatique, médecine urgence…) pouvant intéresser les employeurs.
- Un label (Patriot award) peut être fourni aux employeurs de réservistes par le DoD, distinguant les entreprises vertueuses pour leurs réservistes (uniquement sur proposition des employés-réservistes). Il peut aussi être retiré à l’entreprise si l’employé-réserviste estime que son employeur ne respecte pas ses engagements. Ce label permet d’accentuer la visibilité et favorise la communication de l’entreprise. Il lui permet également de participer à des événements du DoD (forums d’emploi, visite d’unités…).
- un dispositif a été mis en place dès 1994 (USERRA Act) qui offre un statut protecteur aux employés-réservistes :
o maintien de l'emploi selon des conditions de poste de travail définies en fonction des périodes d'absence : moins de 30 jours, entre 31 et 90 jours et au-delà de 90 jours ;
o impossibilité de licenciement pendant une certaine durée définie en fonction des durées d'absence qui suivent la réintégration chez les employeurs ;
o interdiction de toute discrimination fondée sur leur appartenance à la réserve ;
o possibilité de bénéficier de congés payés lors des périodes d'activité militaire sous certaines conditions de durée
Source : Éléments fournis par les services de l’Ambassade de France aux États-Unis
Enfin, il ressort des échanges que vos rapporteurs ont eus avec divers interlocuteurs sur place que les autorités américaines partagent les préoccupations françaises relatives au renforcement de la résilience nationale. À rebours des idées reçues, la population américaine n’est pas perçue comme très préparée par ses dirigeants et il convient de ne pas surestimer la vitalité du lien armée-nation aux États-Unis, comme le démontre le rapport de l’observatoire de la politique de défense américaine ([85]). Le prochain sommet de l’OTAN qui aura lieu à Washington en juillet prochain devrait d’ailleurs être marqué par la volonté de développer un agenda en matière de « résilience », pour répondre aux défis non militaires posés par les compétiteurs de l’Alliance atlantique. Vos rapporteurs y voient une opportunité de défendre la position française en la matière.
c. Concevoir et promouvoir une plateforme de recensement de l’engagement
Si le SIG a rationalisé sa communication sur les risques et les menaces, à travers un portail dédié aux risques ([86]), qui présente également les informations concernant l’engagement citoyen, avec la réserve et le bénévolat, force est de constater que la plateforme demeure pour l’instant peu connue du grand public et ne joue pas un rôle de catalyseur de l’engagement citoyen.
À cet égard, il est intéressant de s’inspirer de nos partenaires européens. Selon les informations fournies à vos rapporteurs, les Britanniques ont mis en place un dispositif dans lequel chaque citoyen souhaitant apporter son aide à la collectivité peut s’inscrire sur une plateforme et renseigner ses domaines de compétence. Le SGDSN estime qu’une réflexion similaire pourrait être lancée en France, au niveau zonal ou à la main des préfets, afin de s’inscrire dans une logique de responsabilisation accrue des citoyens. Les citoyens intéressés pourraient ensuite poursuivre avec un engagement dans la réserve.
Vos rapporteurs appellent de leurs vœux la création – ou la montée en puissance de la plateforme existante – pour permettre de créer un véritable guichet unique de l’engagement, qui permettrait d’orienter les citoyens qui manifestent leur volonté de s’engager. Il s’agirait de pouvoir orienter autant les candidats à l’engagement dans la réserve que les éventuels volontaires qui se manifesteraient en cas de crise, comme constaté lors de la crise de la covid-19. Vos rapporteurs estiment qu’une telle initiative, pour être efficace, devrait obligatoirement s’accompagner d’une communication nourrie et innovante de la part des pouvoirs publics pour faire connaître la plateforme. Votre rapporteur Benoît Bordat insiste sur la nécessité de réaliser ce projet au niveau local en lien avec les élus locaux (maires et correspondants défense notamment) et les délégués militaires départementaux, tout en s’adaptant aux spécificités et aux vulnérabilités des territoires concernés. Vos rapporteurs s’inscrivent en cela dans la lignée de la proposition du rapporteur de la mission d’information sur la résilience nationale qui appelait de ces vœux une plateforme de recensement des possibilités d’engagement.
3. Développer l’esprit critique pour lutter contre les stratégies de désinformation
Face au recours de plus en plus important aux stratégies de désinformation, vos rapporteurs estiment qu’il convient de mettre en place une politique visant à renforcer l’esprit critique et la capacité à détecter les fausses informations. En effet, vos rapporteurs sont convaincus que la meilleure défense face aux attaques informationnelles réside dans le renforcement de la résilience de la nation.
● Dès la phase de compétition, le champ informationnel est particulièrement propice au déploiement de stratégies hybrides. Au niveau gouvernemental, il existe un véritable souci de détecter les manipulations étrangères et de les rendre visible. Depuis la Revue nationale stratégique (RNS) de 2022 en particulier, la fonction stratégique « influence » (et les missions d’influence et de lutte informationnelle) se structure de plus en plus au niveau ministériel – notamment via la cellule « Anticipation Stratégique et Orientations » de l’EMA, actuellement dirigée par le général Pascal Ianni – mais aussi au niveau interministériel.
Il ressort des travaux menés par VIGINUM, que la Russie, la Chine, l’Iran, la Turquie ou encore l’Azerbaïdjan sont particulièrement actifs en la matière. Si les services de VIGINUM savent détecter ces menaces, leur multiplication, favorisée par leur faible coût (faux comptes, etc.) soulève des difficultés croissantes. Les démocraties occidentales se trouvent, par ailleurs, dans une situation asymétrique et ne peuvent riposter avec les mêmes armes que leurs compétiteurs. Selon les informations fournies à vos rapporteurs, la difficulté ne réside donc pas tant dans la détection des manœuvres déstabilisatrices que dans la capacité à sensibiliser l’opinion publique au fait qu’elle constitue la cible privilégiée d’un certain nombre de tentatives de manipulations à des fins de déstabilisation et d’ingérence par des puissances étrangères. Le code de la défense confie au SGDSN la mission de détecter les manipulations de l’information d’origine étrangère, en ce qu’elles menaceraient les intérêts fondamentaux de la nation. En revanche, il n’est pas en charge de produire un contre-discours et ne doit pas l’être. Comme en matière de cyberdéfense, une stricte frontière doit séparer les « défenseurs » de ceux qui ont des missions plus offensives. Cette dimension relève avant tout de l’autorité politique.
● Les personnes auditionnées ont insisté sur l’importance de l’éducation et de l’enseignement de ce que sont les manipulations de l’information, afin que la jeunesse soit pleinement sensibilisée et s’inscrive dans une démarche de vérification des informations à la source. Si des actions d’information à destination des jeunes publics ont déjà été entreprises, force est de constater que ces actions ne relèvent pas directement du rôle de VIGINUM et que l’agence ne dispose pas des moyens adéquats pour mener à bien cette mission – VIGINUM compte cinquante-cinq personnels. Aussi, comme l’indique Stéphane Bouillon, le SGDSN, convient-il de renforcer les liens avec l’Éducation nationale et le monde académique « Le système semble plutôt bien fonctionner et il nous faut à présent œuvrer avec le monde académique : nous devons davantage travailler avec les chercheurs, les universitaires, l’éducation nationale – et nous avons déjà commencé à l’accomplir – pour pouvoir mener une action d’information et d’éducation des jeunes, pour leur apprendre à se doter d’un regard critique sur les réseaux, et être en mesure de se questionner. » En outre, la mobilisation des acteurs du champ médiatique et des réseaux sociaux dans la caractérisation et la dénonciation des fausses nouvelles et des manœuvres informationnelles doit permettre de renforcer la prise de conscience de la menace et son traitement par chacun, au-delà des seules actions de l’État.
Vos rapporteurs estiment que la sensibilisation des populations devrait constituer un axe prioritaire de la déclinaison de la fonction « Influence » et pourrait être intégrée à l’élaboration prochaine d’une stratégie nationale de lutte contre les manipulations de l’information ([87]). Là encore, ces actions de sensibilisation pourraient être intégrées aux moments déjà existants, comme la journée défense et citoyenneté (JDC), en cours de rénovation, ou dans le cadre du SNU, qui pourrait intégrer un module dédié.
D. ORION 2026 : un jalon important qui ne doit toutefois pas être surestimé
L’édition 2026 de l’exercice ORION constituera un jalon important pour la remontée en puissance des armées françaises. ORION 2026 visera notamment à éprouver les transformations conceptuelles et capacitaires entreprises après ORION 23 et à entraîner les soutiens de manière réaliste.
Vos rapporteurs détaillent ci-dessous six propositions visant à tirer les enseignements de l’édition précédente dans un souci d’amélioration continue. Toutefois, vos rapporteurs sont conscients qu’ORION 2026 demeure un exercice militaire triennal conçu pour entraîner les forces armées et dont la portée ni l’ambition ne doivent pas être surestimées au risque de nuire à sa visée opérationnelle. De la même manière, la remontée en puissance des armées et la préparation de la Nation dans son ensemble aux crises de demain ne pourront pas se dispenser d’une stratégie de long terme, bien plus conséquente qu’un exercice triennal.
1. Préserver l’équilibre entre la nécessité d’un exercice d’abord conçu pour entraîner les forces armées et les autres objectifs qui lui sont associés
Si l’édition 2026 de l’exercice ORION devrait poursuivre encore une fois une visée de signalement stratégique, il convient de préserver l’équilibre entre la nécessité d’un exercice d’abord conçu pour entraîner les forces armées et les autres objectifs associés.
En effet, l’exercice ORION constitue avant tout un rendez-vous majeur de préparation opérationnelle pour les armées. D’un coût de près de 200 millions d’euros au total, le coût de l’exercice doit être ramené à la vingtaine d’exercices qui étaient déjà programmés par les armées, directions et services, et qui ont été inclus dans ORION 23. Les exercices ORION doivent demeurer avant tout des exercices d’entraînement dont la pertinence appuie les messages stratégiques et non l’inverse. Par ailleurs, ORION ne résume pas à lui seul l’ensemble des exercices majeurs réalisés par les armées. L’armée de terre réalisera en 2025 un nouveau WARFIGHTER aux USA, engageant une division en exercice simulé. La Marine réalise aussi en 2024 un exercice POLARIS de haute intensité. L’Armée de l’air réalise chaque année un exercice de projection de puissance PEGASE
Selon les informations fournies à vos rapporteurs, l’édition 2026 de l’exercice ORION, déjà en cours de planification par l’EMA, devrait être de nature similaire à celle de 2023, c’est-à-dire organisé autour d’un engagement majeur en coalition dans un environnement M2MC. Néanmoins, il semblerait que l’exercice soit plus directement adossé à la planification de l’OTAN. Cette nouvelle édition de l’exercice mesurera les premiers effets de la loi de programmation militaire 2024-2030 en termes capacitaires (modernisation des moyens, capacités de soutien et stocks). ORION 26 visera également à éprouver les transformations conceptuelles et capacitaires entreprises initiées après ORION 23, pour combattre dans un contexte de haute intensité et à entraîner les soutiens de manière réaliste.
2. Renforcer le réalisme de l’exercice : des espaces d’exercice plus adaptés et des services de soutiens mieux entraînés
Il ressort des auditions menées par vos rapporteurs que le renforcement du réalisme de l’exercice tient notamment à deux enjeux principaux : la définition d’un espace d’entraînement adapté au combat interarmées et la simulation effective de la projection d’une force avec ses soutiens.
● S’agissant des espaces d’entraînement, l’Armée de l’air et de l’espace ainsi que la Marine nationale ont fait part de leur volonté de voir l’édition 2026 d’ORION se dérouler dans un espace plus adapté à l’entraînement interarmées en M2MC.
D’une part, auditionné par vos rapporteurs, le vice-Amiral Petit, sous-chef d’état-major « Opérations aéronavales » de l’état-major de la marine nationale, a indiqué qu’une plus grande zone d’exercice – notamment dans l’Océan Atlantique plutôt qu’en Méditerranée – permettrait d’accroître le réalisme de l’exercice pour la Marine nationale, notamment à travers l’utilisation accrue de munitions longue portée en conditions réelles, et offrirait l’opportunité d’entraîner le commandant en chef Atlantique (CECLANT).
D’autre part, des espaces aériens de taille adaptée constituent une donnée essentielle pour garantir la qualité de l’entraînement à une guerre aérienne de haute intensité. Les contingences du temps de paix et l’étroitesse de certaines zones (Occitanie, Champagne) ont limité le réalisme des engagements aériens. Un entraînement de qualité suppose d’être réalisé au plus près des conditions réelles. Or, le général Thomas a indiqué que l’espace aérien du Sud-Est de la France, dans lequel s’est déroulé l’exercice ORION 23 notamment la phase 2, n’était pas le plus adapté à ce genre de séquence. Les aéronefs, et missiles METEOR employés de manière simulée lors d’ORION disposent d’un très long rayon d’action et nécessitent en conséquence de grandes surfaces d’entraînement. Par ailleurs, pour maximiser l’utilité de l’entraînement l’armée de l’air et de l’espace estime qu’il est nécessaire de pouvoir s’affranchir de certaines contraintes du temps de paix pour tester des tactiques au caractère parfois encore expérimental (règles de vol notamment en très basse altitude activité TBA, gestion de zones souvent complexe, etc.), mais également de disposer des équipements adaptés (disponibilité des pods ou autres optionnels, etc.). L’objectif pour ORION 26 serait de bénéficier de zones d’entraînement mieux adaptées, plus larges, de manière à développer davantage l’intégration interarmées. À cet effet, le général Thomas a évoqué la région Sud-ouest, étant donné que la zone Atlantique offre plus de possibilités en matière d’entraînement conjoint avec la Marine nationale. Ainsi, il est préconisé de privilégier par exemple les zones dans le Golfe de Gascogne ou en Bretagne qui semblent permettre un déploiement naval, aérien et terrestre simultané et colocalisé.
● S’agissant du renforcement de l’entraînement des soutiens, cet aspect doit constituer un des axes de renforcement majeur du réalisme de l’exercice. En particulier, concernant le soutien médical, l’édition 2023 d’ORION a confirmé le besoin d’avoir des exercices dédiés au soutien médical et de développer la capacité à concevoir, animer et évaluer des jeux santé plus complexes. Le SSA a proposé pour ORION 26 d’éprouver la chaîne de ravitaillement médical, de gérer la prise en charge de blessés ennemis et de travailler avec le SCA la prise en charge des décès. Le médecin-général Czerniak a insisté sur le besoin impératif d’accroître le réalisme de l’exercice, y compris visuellement, et également de mettre en scène la prise en charge de blessés alliés et ennemis, mais également civils, afin d’exercer les personnels du SSA à la gestion des questions de sécurité liées à la cohabitation entre blessés alliés et ennemis. Une situation de saturation d’un poste médical gagnerait également à être jouée.
● Enfin, la coexistence d’une partie LIVEX et simulée a pu nuire au réalisme de l’exercice. Une meilleure synchronisation de ces aspects est souhaitable pour les prochaines échéances d’ORION 26 afin d’assurer un meilleur entraînement des C2 et un plus grand réalisme pour les unités. Il s’agirait à l’avenir de mieux discriminer les phases d’entraînement en réel des phases simulées.
3. Renforcer la prise en compte des enjeux M2MC et constitutifs des crises de demain
Si l’exercice ORON 23 a permis de réaliser de vraies opérations combinées, il s’agirait d’aller encore plus loin dans l’intégration M2MC lors d’ORION 2026. Plusieurs axes d’amélioration peuvent être envisagés, en particulier la mise en place d’une force adverse de nouvelle génération aguerrie au combat M2MC pour mettre davantage en tension les forces alliées, ainsi qu’une plus grande opérationnalisation du concept RM2SE.
● D’une part, la création d’une force adverse de nouvelle génération, possédant une forte intégration M2MC et disposant de plus d’autonomie dans ses modes d’action doit être envisagée. En effet, selon le général Mabin, auditionné par vos rapporteurs, il serait utile de libérer davantage la capacité d’action de la force adverse en la dotant notamment de capacités M2MC (cyber, spatial, guerre électronique, etc.) afin de créer un environnement plus challengeant pour les forces.
● D’autre part, ORION 2026 pourrait offrir l’opportunité de tester la mise en œuvre effective du concept RM2SE, tout en portant une attention particulière à l’efficacité et à la résilience de la connectivité et des systèmes d’information. Le vice-Amiral Petit a par exemple réaffirmé l’importance d’intégrer davantage la dimension « data » à ORION 26, l’exploitation et la capitalisation des données. Lors d’ORION 2026, l’armée de Terre prévoit quant à elle de tester en particulier la résilience de son système de commandement. Il apparaît, en outre, nécessaire d’améliorer l’efficacité numérique du C2. Une vignette de l’exercice pourrait également être conduite en mode dégradée.
4. Reproduire la phase interministérielle : un jalon essentiel pour les travaux de la CIDN dont les missions pourraient être élargies
Au niveau interministériel, le volet civilo-militaire d’ORION 26 permettra de mesurer les progrès effectués dans le cadre des travaux conduits par la CIDN. Il constituera l’exercice cadre de la démonstration concrète de l’opérationnalisation des recommandations et des différentes fiches mesures produites par les groupes de travail.
● Selon les informations fournies à vos rapporteurs, le volet interministériel sera par ailleurs renforcé ; il conviendra sur ce sujet de travailler à l’intégration des autres administrations au scénario. Par exemple, le SSA, confronté à un afflux de blessés lors d’une simulation ou d’un LIVEX, pourrait envisager de se tourner vers les hôpitaux civils. Comme évoqué précédemment, vos rapporteurs estiment qu’un groupe de travail pourrait être entièrement dédié à l’enjeu du soutien sanitaire. Il pourrait également être envisagé d’étendre les travaux à l’enjeu de la souveraineté alimentaire et du ravitaillement des armées, qui pourraient s’intégrer dans la vision de défense globale.
● S’agissant du scénario de l’exercice et en particulier de la séquence civilo-militaire, vos rapporteurs sont favorables à ce que la Red Team Défense conçoive un scénario spécifiquement pour ORION.
● Enfin, vos rapporteurs estiment qu’une réflexion pourrait être menée pour élargir les missions de la CIDN au passage en revue des normes civiles qui pourraient être rendues dérogatoires pour les armées. Il s’agirait ainsi de réaffirmer la spécificité de la défense nationale. Dans le cadre du groupe de travail dédié au cadre juridique, la CIDN pourrait en effet se voir confier l’élaboration d’une « revue de normes » visant à identifier les éventuels freins à la remontée en puissance des armées ou au développement de l’innovation, comme par exemple en matière de navigabilité des drones ou de MCO, et à proposer des évolutions fondées sur une analyse des risques associés.
5. L’association de davantage d’acteurs pourrait être envisagée
Il ressort des auditions menées que l’édition 2026 de l’exercice pourrait comporter une première séquence axée sur mobilité – portant sur les enjeux du soutien nation hôte et de transit des forces alliées -, une phase M2MC permettant l’entraînement du C2 et comprenant un mélange LIVEX/simulation et une phase de haute intensité, comprenant un exercice DOTEX de protection du territoire national.
a. Rassembler les acteurs pour s’entraîner à la mise en œuvre concrète de la DOT
Orion 2026 devrait consacrer un volet important à la dimension engagement sur le territoire national, enjeu majeur, au même titre que la haute intensité. S’agissant de l’évolution de la DOT, le général Pétillot a indiqué qu’ORION 2026 constituerait une étape clé en la matière et nécessiterait un réexamen du concept. En particulier, la question de la collecte, de l’analyse et de la diffusion du renseignement d’intérêt militaire, pierre angulaire à la planification et à la conduite d’opérations militaires, mérite d’être plus particulièrement abordée, que cela soit avant ou pendant la mise en œuvre de la DOT.
● Dans la lignée de l’exercice DOTEX, qui a eu lieu en mars 2024 et qui a associé la Gendarmerie nationale, les armées et les ForMiSC, l’exercice ORION pourrait comprendre une séquence dédiée à la défense du territoire. Vos rapporteurs estiment qu’il serait souhaitable d’associer la Police nationale ainsi que les sapeurs-pompiers à cette séquence. Les réservistes pourraient également être inclus, ce qui permettrait de dresser un premier bilan de la territorialisation engagée des unités et de jouer cette fois-ci la survenue de rétroactions sur le territoire national.
● S’agissant des réserves, selon le colonel de Brébisson, l’exercice ORION 26 devra prendre acte de la montée en puissance des réserves et intégrer l’engagement des premières unités qui seront établies dès l’été 2024. Il serait souhaitable d’élargir la palette des missions confiées à ces réservistes. Il est également espéré que des progrès significatifs auront été réalisés concernant la mobilisation de la RO2 et qu’un centre de mobilisation pourra être mis en place et la mobilisation jouée. L’exercice ORION 2026 doit être l’occasion de tester les engagements pris par les employeurs de rendre disponible leurs collaborateurs réservistes de manière réactive et, plus largement, de mobiliser les réserves opérationnelles en tenant compte des besoins des OIV. Ce doit être l’occasion de vérifier la cohérence entre les textes juridiques et la capacité à mobiliser les réservistes opérationnels en fonction des situations de référence mais aussi du régime juridique choisi. Par ailleurs, le général Poisbeau voit l’intérêt d’un entraînement relatif à la mobilisation des réservistes en cas de rétroactions sur le territoire national. Ce point pourrait être travaillé lors d’ORION 26, notamment s’agissant de la priorisation des réserves car le juste positionnement des mobilisés affectera nécessairement les employeurs. Il s’agirait aussi en particulier, en 2026, d’identifier les nouvelles réserves potentiellement utiles à la Reserve de Sécurité Nationale.
● Enfin, cette séquence pourrait inclure les collectivités territoriales ainsi que certains OIV, qui participent à la résilience du territoire national. Comme l’indiquait Nicolas de Maistre « Enfin, et c’est un de mes regrets, nous devons encore prolonger notre réflexion sur l’organisation civilo-militaire au niveau territorial, non seulement dans l’appareil d’État mais aussi avec les collectivités. »
b. ORION, un fort potentiel pour tester les innovations et un bon « stress test » pour la mise en œuvre de la démarche économie de guerre
Les exercices majeurs permettent enfin un stress test sur la mise en œuvre des mesures et dispositions normatives de la démarche « économie de guerre », que ce soit en matière de MCO, de production d’équipements ou munitions ou encore de référentiel normatif applicable.
Par son envergure, sa durée et la diversité des situations tactiques, l’exercice ORION 26 constituera un champ d’application de grande ampleur à exploiter pour le déploiement et l’expérimentation capacitaire ou numérique. L’accroissement des opportunités croisées entre armées, DGA et industrie est d’ores-et-déjà pris en compte. L’exercice représente un jalon et un objectif pour un certain nombre de programmes actuels ou à venir. Orion 2026 pourrait ainsi permettre d’expérimenter dans un cadre représentatif certains démonstrateurs qui sont encore en phase de test.
6. Mieux articuler les prochaines éditions de l’exercice ORION avec les exercices de programmation, tout en renforçant la transparence sur les conclusions de l’exercice
Pour tirer parti aux maximum des enseignements produits par les exercices majeurs comme ORION, vos rapporteurs estiment que la programmation de l’exercice gagnerait à être mieux synchronisée avec les échéances de programmation militaire dans l’objectif de donner une traduction concrète au retour d’expérience.
Par ailleurs, afin de renforcer la transparence sur les conclusions tirées de l’exercice, tout en préservant bien entendu les éléments jugés trop sensibles, il pourrait être envisagé à l’avenir de produire et de diffuser aux parlementaires un document synthétique de « retour d’expérience » d’ORION, reprenant les points clés des documents de retour d’expérience produits en interne.
Toujours dans l’objectif de mieux identifier les mesures clés de la remontée en puissance tirées du retour d’expérience d’ORION, il pourrait être envisagé de nommer à la tête des chantiers jugés prioritaires un officier général responsable de coordonner la mise en œuvre des conclusions du retour d’expérience et de rendre compte de l’avancement des travaux. Cette solution aurait pour avantage de créer un échelon de synthèse bien identifié, disposant d’une vision d’ensemble transverse, et ainsi se prémunir contre le risque d’une dilution des responsabilités dans la mise en œuvre du retour d’expérience.
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À l’issue de leurs travaux vos rapporteurs formulent les recommandations suivantes.
Prendre en compte le retour capacitaire de l’exercice ORION 2023 :
Veiller à la pleine et entière application de la trajectoire financière prévue par la loi de programmation militaire 2024-2030, qui constitue le « strict nécessaire » pour la remontée en puissance de nos armées.
Renforcer les capacités des armées dans les domaines de la défense sol-air, des drones et densifier les capacités d’artillerie de l’armée de Terre, en particulier longue portée (remplacement du LRU).
Poursuivre les investissements dans les domaines du soutien, en particulier le soutien sanitaire, qui apparaît sous-dimensionné pour faire face à un engagement en haute intensité.
Renforcer la capacité des armées à durer en recherchant l’efficacité des soutiens couplée à une plus grande épaisseur stratégique.
Poursuivre les efforts tendant au renouvellement et à la densification de la flotte de transport logistique terrestre et renforcer la capacité de transport logistique sous blindage, mais également d’évacuation des blessés.
Renforcer les investissements en faveur du commandement et des systèmes d’information et de communication dans l’objectif de disposer de systèmes performants, résilients et interopérables ; en particulier, accélérer les travaux visant à perfectionner le système d’information des armées (SIAC2).
Encourager l’adoption d’une « approche par les risques » en matière de maintien en condition opérationnelle aéronautique et développer une continuité numérique entre les armées et les industriels du secteur, conformément aux conclusions de la séquence ORIONIS.
Continuer à s’entraîner régulièrement en « mode dégradé ».
Renforcer l’entraînement du niveau opératif pour consolider sa maîtrise du combat multi-milieux, multi-champs (M2MC).
Prendre en compte le retour d’expérience de la phase civilo-militaire d’ORION : Renforcer la coordination interministérielle face aux crises et définir le niveau de soutien que la Nation peut et consent à apporter aux armées.
Renforcer les moyens à la disposition du Comigetra, en travaillant notamment à lui conférer une vision sur la disponibilité actualisée des moyens de projection et rechercher une harmonisation plus poussée des règles afférentes à l’acheminement des matériels militaires par voie routière au niveau européen.
Créer un groupe de travail spécifique dédié au soutien sanitaire dans le cadre de la CIDN, associant le ministère des solidarités et de la santé, ainsi que le service de santé des armées (SSA), afin de renforcer la coordination entre médecines civile et militaire en cas de crise majeure.
Veiller au « maintien en condition opérationnelle de la structure administrative » en organisant régulièrement des exercices permettant aux différents acteurs concernés de s’approprier les mécanismes juridiques de la gestion de crise et de retrouver les réflexes de coordination civilo-militaires.
Mieux coordonner l’action des différents acteurs concourant à la mise en œuvre de la fonction stratégique « Influence ».
Veiller à dégager du temps consacré à l’anticipation au sein des administrations et à davantage valoriser en interne la participation des experts concernés aux groupes de travail de la CIDN.
Poursuivre les travaux visant à renforcer le rôle des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité et à animer leur réseau.
Elaborer un projet de loi ou une proposition de loi ad hoc intégrant les dispositions de nature législative jugées nécessaires par la CIDN, une fois ses travaux aboutis, plutôt que de s’en remettre à la prochaine loi de programmation militaire.
Anticiper les crises de demain pour mieux s’y préparer :
Anticiper les crises de demain pour mieux s’y préparer et poursuivre les travaux visant à structurer la fonction anticipation et à exploiter concrètement les travaux de prospective du ministère des armées.
Poursuivre les efforts visant à encourager l’innovation, en particulier celle issue des forces, puis accompagner son passage à l’échelle.
Saisir les opportunités offertes par les grands exercices pour expérimenter de nouvelles solutions innovantes dans des conditions proches du réel et accélérer leur mise en service dans les forces, sur le modèle de l’exercice américain « CAPSTONE ».
Privilégier autant que possible l’adoption d’une logique incrémentale dans les grands programmes d’armement, afin de tenir compte de l’évolution rapide des technologies, et promouvoir des architectures dites « ouvertes », afin de renforcer l’évolutivité des capacités et la mise en réseau des systèmes d’armes, lorsque cela est envisageable.
Faciliter l’accès des entreprises innovantes à la commande publique et veiller à mieux mobiliser les outils d’ores et déjà à la disposition des administrations.
Accélérer la « dronisation » des armées, en particulier de l’armée de Terre, tout en soutenant la BITD française à travers la création d’un label « drones de confiance » d’ici la fin de l’année 2024, comme le prévoit la LPM 2024-2030.
Accélérer l’usage de l’intelligence artificielle au profit des opérations pour accroître la supériorité opérationnelle et l’efficacité au quotidien des travaux du personnel du ministère des armées.
Se préparer collectivement aux crises majeures dès le temps de paix :
Éviter tout brouillage de la compréhension de la spécificité militaire et de la place des armées dans la société par des usages dans des fonctions non militaires.
Respecter la règle dite des « 4i », voire envisager sa réversibilité en cas d’engagement majeur.
Moderniser le concept de défense opérationnelle du territoire (DOT) et clarifier l’articulation des missions entre défenses civile et militaire sur le territoire national en cas de crise majeure.
Mener une réflexion visant à transformer l’opération Sentinelle après les jeux olympiques et paralympiques de 2024 dans le sens d’une plus grande réactivité et d’une plus grande mobilisation des unités de réservistes territorialisés, afin de redonner des marges de manœuvre à l’armée de Terre.
Confier à la CIDN l’élaboration de différents stades d’alerte gradués sur le modèle d’un plan « VIGIDEFENSE » portant définition de situations de référence, partagées au niveau interministériel, afin d’objectiver la dégradation de la situation sécuritaire et l’activation de certaines mesures à droit constant.
Poursuivre la réflexion portant sur l’adaptation des régimes de « mise en garde » et de « mobilisation générale », afin de mieux circonscrire les conditions de mise en œuvre, préciser les mesures susceptibles d’être prises sur leur fondement, notamment en matière de mobilisation des réserves opérationnelles, d’organisation de la défense opérationnelle du territoire ou d’approvisionnement des armées.
Clarifier les conditions de mobilisation des réservistes et promouvoir un pilotage plus centralisé des différents dispositifs de réserve confié au secrétariat général de la Garde nationale.
Harmoniser le cadre juridique applicable aux différentes réserves opérationnelles afin de créer un statut uniforme avec des droits et des obligations comparables en cas de mobilisation.
« Sincériser » les effectifs de la réserve opérationnelle effectivement mobilisables en commençant par la réserve de sécurité nationale et en adaptant au besoin le périmètre des réserves comprises dans le dispositif de réserve de sécurité nationale.
Prévenir les effets d’éviction et de concurrence entre les différentes réserves, tout en conservant suffisamment de souplesse, afin d’adapter les priorisations entre les différentes réserves à la nature des crises rencontrées.
Créer un outil numérique de gestion de l’ensemble des réserves constituant la réserve de sécurité nationale et permettant de renseigner les compétences civiles des réservistes.
Poursuivre la démarche « économie de guerre », et l’élargir au concept de « base industrielle de combat » qui inclue l’ensemble des composantes nécessaires pour maintenir l’effort de guerre dans la durée.
Étudier l’éventuelle complémentarité offerte par les entreprises de services de sécurité et de défense pour libérer du temps militaire.
Sensibiliser et responsabiliser les citoyens pour les rendre acteurs de la défense nationale :
Favoriser une meilleure compréhension des menaces et des risques par les citoyens en présentant clairement les scénarii d’adversité pouvant atteindre les intérêts nationaux, et en réfléchissant collectivement au rôle dévolu à chaque acteur, d’une part, pour éviter la matérialisation de ces scénarii et, d’autre part, pour les affronter si nécessaire.
Recentrer le Service national universel sur le renforcement de la résilience et harmoniser le contenu des séjours de cohésion proposés aux volontaires.
Repenser la journée nationale de résilience pour y inclure à terme l’ensemble des risques et des menaces et valoriser les actions entreprises au niveau local en décernant un prix, afin de mobiliser davantage les acteurs de terrain et de diffuser les bonnes pratiques.
Instaurer dans le code du travail une obligation pour les employeurs d’organiser une formation sur les risques majeurs, les gestes qui sauvent et les conduites à tenir au moins une fois par an.
Concevoir et promouvoir une plateforme numérique de recensement de l’engagement pour permettre de créer un véritable guichet unique de l’engagement.
Sanctuariser les budgets dédiés à l’activité des réserves et donner les moyens humains et financiers aux armées pour recruter, former et équiper les réservistes.
Encourager la participation des réservistes aux grands exercices et revoir la doctrine d’emploi des réserves, conformément aux ambitions fixées dans la LPM 2024-2030.
Faire de la sensibilisation des populations et du développement de l’esprit critique des axes prioritaires de la future stratégie nationale de lutte contre les manipulations de l’information.
Préparer l’exercice ORION 2026 :
Renforcer le réalisme de l’exercice :
Préserver l’équilibre entre la nécessité d’un exercice d’abord conçu pour entraîner les forces armées et les autres objectifs qui lui sont associés, notamment en terme de signalement stratégique.
Renforcer le réalisme de l’exercice à travers le choix d’espaces d’entraînement plus étendus et adaptés et accentuer l’entraînement des services de soutien.
« Jouer » véritablement un déploiement sur le territoire national avec la manœuvre des soutiens et les enjeux logistique associés.
Inclure une séquence dédiée au soutien médical au cours de laquelle seraient éprouvées la chaîne de ravitaillement médical, la prise en charge de blessés ennemis et la gestion des décès en coopération avec le SCA.
Renforcer la prise en compte des enjeux M2MC et constitutifs des crises de demain :
Mettre en place une force adverse de nouvelle génération, aguerrie au combat M2MC, disposant de drones, pour mettre davantage en tension les forces alliées.
Mettre davantage en difficulté les systèmes d’informations et réseaux utilisés dans le cadre de l’exercice et augmenter le réalisme en matière cyber en mettant véritablement hors-jeu un véhicule qui aurait fait l’objet d’une cyber‑attaque.
Tester la mise en œuvre effective du concept RM2SE, tout en portant une attention particulière à l’efficacité et à la résilience de la connectivité et des systèmes d’informations.
Reproduire la phase interministérielle : un jalon essentiel pour les travaux de la CIDN dont les missions pourraient être élargies
Solliciter la Red Team Défense pour élaborer le scénario du prochain exercice ORION, plutôt que d’externaliser cette fonction à une entreprise privée.
Confier à la CIDN une mission consistant en une « revue des normes » civiles qui pourraient être rendues dérogatoires pour les armées et ainsi identifier les éventuels freins à la remontée en puissance des armées ou au développement de l’innovation, dans le but de réaffirmer la spécificité de la défense nationale.
S’entraîner à la mise en œuvre concrète de la DOT au cours d’une vignette dédiée en veillant à inclure au-delà des forces armées et la Gendarmerie nationale, la Police nationale ainsi que les sapeurs-pompiers.
Dresser un premier bilan de la territorialisation engagée des unités de réserves et jouer cette fois-ci la survenue de rétroactions sur le territoire national et tester les capacités de mobilisation des réserves.
Associer les collectivités territoriales et les opérateurs d’importance vitale (OIV) à l’exercice.
Saisir l’occasion offerte par ORION 2026 pour opérer un « stress test » de l’état d’avancement de la « démarche économie de guerre » et expérimenter de nouveaux équipements et solutions innovantes.
Mieux articuler les prochaines éditions de l’exercice ORION avec les exercices de programmation, tout en renforçant la transparence sur les conclusions de l’exercice :
Mieux coordonner la tenue des exercices ORION avec le calendrier d’élaboration des lois de programmation militaire afin de pouvoir tirer parti des retours d’expérience.
Produire un document de « retour d’expérience » à l’issue de chaque exercice ORION, destiné à la Représentation nationale, afin de renforcer la transparence sur les conclusions d’un exercice pensé comme « une épreuve de vérité ».
Envisager de nommer à la tête des chantiers jugés prioritaires un officier général responsable de coordonner la mise en œuvre du retour d’expérience d’ORION et de rendre compte de l’avancement des travaux.
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La commission procède à l’examen du rapport de la mission d’information sur « L’après ORION : faire face aux crises de demain » au cours de sa réunion du mercredi 5 juin 2024.
M. le président Thomas Gassilloud. Mes chers collègues, nous concluons la restitution des travaux des missions d’information liées au cycle de défense globale avec aujourd’hui les conclusions de la mission d’information intitulée « L’après Orion : faire face aux crises de demain », dont les deux co-rapporteurs sont nos collègues Benoît Bordat et Michaël Taverne.
Comme vous le savez, l’exercice Orion 2023 a été d’une ampleur inédite. S’étant déroulé entre février et mai 2023, Orion était un grand exercice multi-milieux et multi-champs (M2MC), impliquant de multiples acteurs, bien au-delà du seul ministère des armées. L’objectif d’Orion consistait à préparer les armées à faire face à des situations complexes, des engagements modernes et, par la même occasion, à identifier les éventuelles lacunes à combler dans un scénario de combat de haute intensité et en coalition. Il a constitué une forme de test en grandeur nature du niveau de préparation de nos armées.
Il était donc crucial que la commission se saisisse de ces conclusions aux fins d’en tirer toutes les conséquences. Orion marque par ailleurs le retour sur le territoire national des grands exercices en terrain libre et, d’une certaine manière, renforce également le lien entre les armées et la population. Enfin, en tant que parlementaires, il nous revient de nous interroger sur le principe même de ces grands exercices qui mobilisent énormément nos armées et dont les coûts s’établissent à plusieurs centaines de millions d’euros.
Je rappelle que la commission s’est déjà penchée sur le retour d’expérience d’Orion, à travers notamment deux auditions menées en juin 2023 : celle du général Métayer, chef de la division emploi des forces de l’état-major des armées, et celle de Nicolas de Maistre, du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), notamment sur la troisième phase, la phase civilo-militaire.
Je voudrais citer également, parmi les travaux qui ont déjà été menés concernant Orion, l’avis de notre rapporteur budgétaire pour l’armée de terre, François Cormier-Bouligeon, bien entendu centré sur la dimension terrestre du retour d’expérience de cet exercice. Pour mémoire, notre commission avait également participé à la séquence civilo-militaire à travers l’organisation d’un stress test.
Vous abordez le sujet sous un angle nouveau, en dressant d’abord un retour d’expérience exhaustif de l’exercice Orion sur le plan capacitaire, mais aussi dans sa dimension civilo-militaire, particulièrement intéressante. Vous formulez enfin soixante propositions détaillées, qui dépassent le simple champ du ministère des armées. Elles s’apparentent à un véritable plan d’action structuré, afin de renforcer notre résilience nationale dans la perspective d’une défense globale.
M. Benoît Bordat, rapporteur de la mission d’information. Nous sommes très heureux de vous présenter les conclusions de notre mission d’information. Comme vous l’avez rappelé dans votre introduction, Monsieur le président, nous avons l’honneur de clôturer le cycle des missions d’information portant sur la défense globale. Je pense que nous pouvons affirmer que nous avons travaillé sur la thématique disposant de l’angle le plus large ; ce qui a nécessité de réaliser des choix dans le traitement de notre sujet.
Dans un premier temps, nous nous sommes principalement concentrés sur le retour d’expérience de l’exercice Orion 2023 dans sa dimension à la fois militaire et civile. Nous avons ensuite choisi de mener une réflexion plus large sur la manière de préparer nos armées, comme la société dans son ensemble, aux crises de demain. Dans le temps qui nous a été imparti pour mener cette mission d’information, nous avons pu conduire quarante-sept auditions, dont près de trente à Paris.
Nous nous sommes également déplacés auprès des forces, d’abord à la base navale de Toulon, puis au centre d’entraînement aux actions en zone urbaine (Cenzub) à Sissonne, à l’école des drones et au 61e régiment d’artillerie de Chaumont, ainsi qu’au commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes situé sur la base 942 de Lyon-Mont Verdun. Nous avons également eu la chance de nous rendre aux États-Unis, à Washington, ce qui nous a permis de réaliser un parangonnage intéressant avec le modèle de garde nationale américaine, d’étudier la manière dont les Américains perçoivent l’armée française et se préparent eux-mêmes à la haute intensité – notamment à travers des grands exercices – mais surtout de constater que les préoccupations relatives à la résilience et au lien armée-nation étaient bien partagées chez nos alliés.
En préambule, je voudrais revenir sur les enjeux de la mission d’information. En réalité, cette mission d’information pose la question de notre degré de préparation et de l’adéquation de notre modèle d’armée aux défis à venir. En somme, elle pourrait être résumée à la question suivante : sommes-nous prêts à faire face aux crises de demain ? Cette question est ardue et demande une réflexion approfondie.
Pour y répondre, j’ai souhaité reprendre les termes de la stratégie nationale de résilience élaborée par le SGDSN, qui constitue, selon moi, une forme d’état final à rechercher, pour reprendre le vocable militaire. L’enjeu consiste à tenir dans la durée, collectivement et en profondeur, face à une crise.
Je souhaite ensuite prendre un moment pour revenir sur les différents aspects de l’exercice. Tout d’abord, s’agissant de la durée et de la profondeur, force est de constater que l’exercice Orion, s’il met en lumière la très grande qualité de nos forces armées et leur très bon degré de préparation, confirme également leur manque d’épaisseur stratégique, déjà identifié par de nombreux travaux.
Ensuite, sur le plan collectif, le retour d’expérience de la séquence civilo-militaire d’Orion a mis en lumière une coordination interministérielle perfectible pour pouvoir soutenir un effort de guerre dans la durée. Toutefois, comme nous nous évertuons à le démontrer dans notre rapport, Orion a créé une véritable dynamique en la matière, qu’il convient maintenant d’étendre au-delà des administrations de l’État, aux entreprises et aux citoyens.
Enfin, l’exercice Orion, qui signifie « Opération de grande envergure pour des armées résilientes interopérables, orientées vers le combat de haute intensité et novatrices », visait à préparer les armées à l’hypothèse d’engagement majeur dans un environnement interarmées et multinational, en y incluant des combats dans tous les milieux et champs de conflictualité, et à mieux appréhender les stratégies hybrides. En effet, la guerre ne se déroule plus uniquement dans les trois milieux traditionnels – terre, air, mer – mais bien dans sept champs et milieux : aux trois précédemment cités, il convient de rajouter le cyber, l’espace, l’informationnel et l’électromagnétique. Nous avons dès lors choisi de conserver cette orientation dans nos travaux, en y ajoutant une dimension plus prospective, afin de tenter d’appréhender les contours des crises de demain.
Si Orion a été planifié dès 2021 L’intervention russe en Ukraine de février 2022 a démontré toute sa pertinence. Tandis qu’il est fort peu probable que la France se retrouve dans la même situation que l’Ukraine en raison de sa situation géographique, de son statut de puissance et de son appartenance à l’Otan, il demeure néanmoins essentiel d’entraîner nos forces conventionnelles à faire face à l’hypothèse d’un engagement majeur. Orion avait ainsi également une dimension de signalement stratégique à destination de nos alliés et de nos compétiteurs.
Le durcissement de nos forces conventionnelles est essentiel à double titre : d’une part, pour contribuer au renforcement de la crédibilité de notre dissuasion dans une logique d’épaulement ; d’autre part, parce que les forces conventionnelles doivent être en mesure de faire face à toutes les menaces conduites volontairement en dessous du seuil de la guerre, qui ne pourraient pas justifier le recours à la dissuasion, mais qui viseraient à restreindre notre liberté d’action.
Cette dimension est d’autant plus importante que notre déplacement à Washington nous a permis de toucher du doigt l’urgence de développer une autonomie stratégique européenne, alors que les intérêts et les incertitudes entourant les résultats de la prochaine élection présidentielle américaine font craindre une potentielle remise en cause de l’article 5 du traité de l’Otan.
Aussi peut-on effectivement considérer, comme nous y invite le titre de la mission, qu’il existera un avant et un après Orion en raison des enseignements tirés de l’exercice pour notre modèle de défense et de la mise en place d’une nouvelle génération d’exercices militaires majeurs qui auront lieu tous les trois ans. Orion marque le retour des grands exercices en terrain libre, sur le terrain national, et vise à démontrer la crédibilité de nos forces ainsi que leur capacité à assurer le rôle de nation-cadre en coalition face à un engagement majeur, c’est-à-dire à pouvoir commander un dispositif allié.
M. Michaël Taverne, rapporteur de la mission d’information. À ce stade, il m’apparaît important de m’attarder un peu plus sur le retour d’expérience militaire d’Orion, puisque l’exercice a justement été pensé comme un révélateur du niveau de préparation des armées face à un engagement majeur. En synthèse, Orion a confirmé sans grande surprise les avantages et les désavantages associés au modèle d’armée complet français.
D’une part, le choix d’un modèle d’armée complet permet une grande polyvalence de nos forces, puisqu’il nous a permis de conserver des capacités, dans de nombreux domaines différents, avec certains pôles d’excellence. Nous avons pu constater à cet égard que nos alliés, notamment américains, tenaient l’armée française en haute estime et mettaient en avant son expérience opérationnelle, qui en fait une armée rompue au combat.
D’autre part, si nous avons conservé des capacités dans de très nombreux domaines, celles-ci demeurent dans l’ensemble à un niveau échantillonnaire et ne permettent pas de tenir dans la durée. Certains observateurs, comme le journaliste Jean-Dominique Merchet, la qualifient à ce titre « d’armée bonsaï » dans un récent ouvrage. Ce constat rejoint celui réalisé par nos collègues Jean-Louis Thiériot et Patricia Mirallès dans leur rapport sur la haute intensité, mais également celui des chercheurs de la Rand Corporation aux États-Unis, que nous avons eu la chance de rencontrer et qui, en 2021, faisaient le constat d’un allié puissant mais manquant d’épaisseur, selon l’expression consacrée : « a strong ally strechted thin ». Ils identifient la France comme manquant de munitions, de pièces de rechange, de soutiens et de matériel en quantité suffisante. Si un certain nombre de points du retour d’expérience d’Orion avaient été identifiés dans la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030, force est de constater que cette dernière, si elle va dans le bon sens, ne changera pas drastiquement la situation.
En conséquence, je souhaite insister sur plusieurs axes du retour d’expérience d’Orion qui, selon moi, doivent constituer autant d’axes d’efforts, afin de donner les moyens à nos armées de faire face aux crises de demain. Ace titre, cinq principaux points d’attention doivent être soulignés : la confirmation de certaines insuffisances capacitaires, notamment pour produire des effets dans la profondeur ; le manque d’épaisseur stratégique et la mise en tension des services de soutien interarmées ; les enseignements tirés pour la structuration du commandement et du contrôle ; le défi de la connectivité et de l’interopérabilité des systèmes d’information opérationnels et de commandement ; ainsi que le niveau de réalisme de l’exercice.
Concernant les insuffisances capacitaires, je tiens en particulier à mettre en lumière la problématique des capacités de défense sol-air, alors que le retour d’expérience ukrainien nous enseigne que les zones arrières apparaissent de plus en plus exposées. Dans un contexte marqué par une transparence renforcée du champ de bataille, la défense sol-air (DSA) constitue un point d’amélioration majeur, notamment pour les capacités de frappe dans la profondeur. À ce titre, l’armée de terre ne dispose à ce jour que d’un nombre très réduit de lance-roquettes unitaires (LRU) : neufs LRU en parc en 2023, selon le tableau capacitaire de la LPM, soit un nombre bien en deçà des besoins du contrat opérationnel.
De plus, ce matériel vieillissant a fait l’objet de nombreuses cessions à l’Ukraine. Il est donc urgent de lui trouver un successeur. Pour le remplacer, la LPM prévoit l’acquisition d’au moins treize systèmes d’ici 2030. Il est essentiel d’acquérir rapidement un système souverain permettant de frapper jusqu’à 250 kilomètres, voire 500 kilomètres. Je salue à ce titre les récentes annonces, dans le cadre d’un partenariat d’innovation lancé par la direction générale de l’armement (DGA). Compte tenu de l’urgence du sujet, il convient d’accélérer et d’en faire une priorité.
S’agissant ensuite du manque d’épaisseur stratégique et de la mise en tension des services de soutien interarmées, j’aimerais insister sur la question du soutien sanitaire. Le retour d’expérience du service de santé des armées (SSA) nous indique clairement que le soutien santé apparaît sous-dimensionné en cas d’hypothèse d’engagement majeur, tant du point de vue des moyens dont dispose le SSA pour traiter un nombre suffisant de blessés que des difficultés RH que connaît le service.
Le SSA a déployé un dispositif de santé d’une capacité d’accueil de douze blessés en urgence absolue par jour, alors qu’en haute intensité, il faudrait s’attendre à des niveaux de perte nettement plus élevés. Le retour d’expérience du service du commissariat des armées (SCA) a également mis en lumière le caractère déterminant des soutiens en cas de déploiement en haute intensité. Le SCA a été très fortement mobilisé : le poids logistique de la séquence 2 a été équivalent à celui supporté par le SCA pour la mission Aigle en Roumanie. Certaines spécialités techniques, comme les électromécaniciens, les frigoristes les gestionnaires d’approvisionnement sont apparues en nombre insuffisant. Par ailleurs, nous avons été alertés sur le fait que dans le domaine terrestre, la profondeur logistique, à travers notamment la question du dimensionnement et de la modernisation de la flotte de camions tactiques, constitue également un point d’attention important.
S’agissant des enseignements tirés pour la structuration du commandement, il ressort de l’exercice que le niveau opératif est le plus pertinent pour orchestrer la synchronisation des effets militaires en M2MC. C’est pourquoi le développement le commandement et contrôle (C2) opératif, mais surtout son entraînement, constituent un axe de progression important. Or pendant l’exercice Orion, et notamment sa deuxième phase, le C2 opératif a été mobilisé sur d’autres tâches, comme l’animation et la consolidation du scénario, au détriment de son propre entraînement.
Les personnes auditionnées ont également souligné la nécessité de renforcer l’acculturation des forces aux enjeux du combat M2MC, notamment en développant la présence d’officiers de liaison au sein de chaque composante pour renforcer la compréhension des enjeux. En lien direct avec le constat précédent, le véritable enjeu dans le domaine du C2 réside également dans le perfectionnement des communications. Or, Orion nous apprend que la connectivité et l’interopérabilité des systèmes d’information opérationnels et de commandement demeurent un véritable défi, en raison de la limitation des flux de données et de la performance des systèmes d’information eux-mêmes. Lors de son audition devant la commission, le général Métayer estimé qu’il faudrait, en multinational et en haute intensité, vingt fois plus de flux que nous n’en disposons aujourd’hui. Au-delà des améliorations que nous recommandons dans le rapport, nous estimons que les armées doivent continuer à apprendre à opérer en mode dégradé en s’entraînant notamment à jouer la perte d’un système afin d’obliger les participants à s’adapter.
Enfin, le niveau de réalisme de l’exercice s’est avéré satisfaisant dans l’ensemble. Il a varié selon les niveaux entraînés et les phases. En particulier, toutes les phases ne se sont pas réellement déroulées en situation de haute intensité, notamment dans le milieu terrestre, où la force adverse est demeurée asymétrique. Le niveau de réalisme n’était pas non plus suffisant en matière logistique et le déploiement de la manœuvre des soutiens n’a été que partiellement réalisé.
Par ailleurs, je tiens à signaler que des séquences spécifiques ont été organisées. Il convient notamment de saluer la séquence Orionis dédiée au maintien en condition opérationnelle (MCO) aéronautique, qui a permis d’associer les industriels du secteur dans une approche partenariale vertueuse et de développer une approche par les risques conduisant les industriels à identifier des solutions innovantes offrant aux autorités d’emploi davantage de souplesse et une plus grande liberté dans l’utilisation des matériels.
M. Benoît Bordat, rapporteur. Néanmoins, nous sommes convaincus qu’au-delà de la préparation des armées, l’implication de l’ensemble de la nation sera nécessaire pour faire face aux crises de demain. En effet, un engagement en haute intensité, du fait de son ampleur, de sa durée et des stratégies hybrides qui l’accompagneront, nécessiterait l’implication de l’ensemble de la nation pour soutenir l’effort militaire.
Tel est l’objet de la phase trois de l’exercice, dite civilo-militaire, qui a démontré la nécessité pour les administrations de se réapproprier les mécanismes civilo-militaires, de renforcer la coordination interministérielle dès le temps de paix et de disposer d’une structure de coordination permanente à travers la réactivation de la commission interministérielle de défense nationale (CIDN).
Quel soutient la nation peut-elle apporter aux armées ? Pour répondre à cette question, cinq groupes de travail ont été créés dès septembre 2022 et ont été confrontés à des scénarios des crises dans le but d’élaborer des fiches mesures. Tout d’abord, il ressort des conclusions du groupe de travail consacré au soutien national et à l’engagement des armées et des acheminements que le soutien en matière de transports, mais également en matière sanitaire, doit être renforcé. Les principaux points d’attention identifiés résident dans l’organisation de la mobilité militaire.
Il convient, d’une part, de renforcer les moyens dont dispose le commissariat général aux transports (Comigetra) en travaillant notamment à lui conférer une vision sur la disponibilité actualisée des moyens de projection civils ; et d’autre part, de travailler à la réappropriation de la convention portant sur les transports ferroviaires urgents. Le transport par voie routière doit également faire l’objet d’une attention particulière, compte tenu des divergences de normes à l’échelle européenne, comme nous l’avons constaté lors de l’acheminement de matériel lourd via l’Allemagne à destination de la Roumanie dans le cadre de la mission Aigle. Une harmonisation à l’échelle européenne apparaît donc cruciale.
En matière de soutien sanitaire, face à un volume élevé de blessés au combat, la mobilisation des établissements de santé civile, voire de la médecine privée, sera indéniablement nécessaire et devra être préparée en amont. Devant l’ampleur de la tâche, nous estimons qu’un groupe de travail dédié au soutien sanitaire distinct du groupe « acheminement et transport » devra très être créé dans le cadre de la CIDN associant le ministère des solidarités et de la santé et le SSA.
En matière juridique, le groupe de travail dédié a conclu à la relative inadaptation des états d’exception prévu par la constitution pour faire face à un scénario du type Orion. En revanche, il apparaît que les régimes de mise en garde et de mobilisation générale prévus par le code de la défense sont susceptibles de constituer un cadre juridique plus adapté, sous réserve de leur clarification et au prix d’une réappropriation par les acteurs concernés. Il s’agit effectivement, à l’instar des équipements, de mettre en œuvre un véritable MCO des dispositifs de gestion de crise.
S’agissant de la mobilisation des réserves, le groupe dédié a conclu à la nécessité de mieux cartographier les différents types de réserve, afin de les mettre en cohérence et de recenser les compétences qui pourront renforcer les armées en cas d’engagement majeur. Par ailleurs, concernant des conditions de mobilisation, de véritables risques de concurrence et d’effets d’éviction entre les différentes réserves ont été identifiés. Leur réduction constitue, selon nous, un axe d’effort prioritaire.
Je ne peux vous dire que quelques mots sur le groupe de travail dédié aux rétroactions sécuritaires sur le territoire national, car ses conclusions ont été en grande partie classifiées. Il en ressort néanmoins le besoin pour les ministères des armées et de l’intérieur d’objectiver de manière conjointe une éventuelle dégradation sécuritaire face à un adversaire agissant sous le seuil de la conflictualité et qui pourrait chercher à contraindre le gouvernement à arbitrer entre l’engagement des forces à l’intérieur et à l’extérieur du territoire national. Enfin, s’agissant de la communication gouvernementale et de la lutte informationnelle, il convient de mieux coordonner la communication institutionnelle avec la lutte contre les manipulations de l’information, face à des stratégies hybrides visant à miner la cohésion nationale.
La réactivation de la CIDN, en septembre 2023, vise à répondre aux besoins d’un outil permanent et robuste de coordination interministérielle, tandis que la cellule interministérielle de crise ne remplit ce rôle qu’en cas de crise majeure. En effet, c’est dans le cadre de la CIDN que les travaux des groupes de travail d’Orion ont vocation à être pérennisés.
Plusieurs observations méritent néanmoins d’être menées à ce stade. Le rythme de fonctionnement des différents groupes de travail apparaît très variable, d’autant plus que les ministères sont très mobilisés par la préparation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Le groupe dédié à la communication et la lutte informationnelle n’a d’ailleurs pas été reconduit. Je souhaite néanmoins alerter sur l’absolue nécessité pour les administrations de dégager du temps pour se consacrer à l’anticipation et au temps long. Il faut veiller à davantage valoriser en interne la participation des experts concernés à la CIDN.
Ensuite l’objectif de la CIDN est pour le moment d’élaborer une feuille de route en vue d’Orion 2026, voire de déterminer des mesures à inclure dans la prochaine LPM. Compte tenu de la dégradation rapide du contexte international, nous pensons que le tempo n’est pas approprié. Il nous semble préférable, une fois les travaux finalisés, d’élaborer dans les meilleurs délais un projet ou une proposition de loi ad hoc, plutôt que de s’en remettre à la prochaine LPM. Enfin, nous serons vigilants, à ce que la CIDN trouve toute sa place dans la comitologie actuelle et que, passé le momentum créé par Orion 2023, ces travaux ne soient pas oubliés.
Nous faisons ainsi le constat qu’Orion 2023 a créé une véritable dynamique, sur laquelle il convient de s’appuyer afin que la remontée en puissance ne s’essouffle pas.
M. Michaël Taverne, rapporteur. Nous nous sommes employés à dresser des recommandations visant non seulement à disposer d’une armée efficace, mais aussi à renforcer notre capacité collective à faire face aux crises de demain. À cet effet, trois grands axes nous apparaissent prioritaires. Tout d’abord, il importe de renforcer nos capacités d’anticipation stratégique afin de nous prémunir au mieux contre les surprises stratégiques, mais également ne pas risquer de manquer certaines innovations structurantes pour les conflits de demain. Ensuite, il convient de se préparer aux crises majeures collectivement, dès le temps de paix. Enfin, il faut sensibiliser les citoyens pour les rendre acteurs de la défense nationale.
En effet, face à l’émergence de nouvelles menaces et de crise systémiques, il nous apparaît nécessaire de renforcer nos capacités d’anticipation stratégique et de libérer l’innovation. Pour reprendre les mots du ministre des armées, le défi majeur pour les armées françaises consiste à se préparer à la guerre, mais pas à celle d’hier.
D’une part, anticiper les crises de demain doit permettre de mieux s’y préparer. Si la surprise stratégique semble devenue inévitable, la préparation des crises en amont doit permettre d’en limiter les conséquences, en nous préparant d’abord intellectuellement aux différents types de crise, afin d’éviter tout effet de sidération.
Nous avons constaté au cours de nos travaux que les travaux prospectifs menés par le ministère des armées conduisent à identifier les scénarios multi crises comme parmi les plus redoutés, en raison de la tension qu’ils feraient peser sur les contrats opérationnels de nos armées. Nous invitons à poursuivre les efforts visant à mieux structurer la fonction anticipation dans les forces armées et en interministériel.
Les retours d’expérience des conflits en cours conduisent également à interroger l’équilibre entre masse et technologie. Il ressort de nos auditions qu’il convient de dépasser cette opposition pour s’interroger également sur la nécessité de faire collaborer les systèmes d’armes entre eux, dans une logique de plus en plus intégrée, que les militaires qualifient de réseau multi-senseurs, multi-effecteurs (RM2SE). Il s’agit également d’accroître la capacité à frapper au bon endroit au bon moment.
À ce stade, et compte tenu de la nécessité de moderniser les systèmes d’information, sur laquelle nous avons insisté, la mise en œuvre du compte RM2SE semble limitée à une coordination des effets plutôt qu’être une véritable intégration. Il convient, ici aussi, d’accélérer le tempo. L’enjeu réside résidera ensuite dans la capacité à étendre ce concept, d’abord en interarmées, puis d’y associer les alliés.
D’autre part, il convient d’encourager l’innovation. Cette dernière est clé pour éviter le contournement de la supériorité des forces par des technologies de rupture qui n’auraient pas été anticipées. En particulier, la rapidité des évolutions technologiques met au défi le cycle d’adaptation capacitaire des armées traditionnellement structuré autour de grands programmes d’armement adaptés au temps long. Il s’agit d’adapter la temporalité de ces grands programmes pour y intégrer des évolutions technologiques plus rapidement. Ces efforts passent d’abord par la stimulation de l’innovation, en particulier venant des forces, puis par l’accompagnement du passage à l’échelle de celle-ci.
Par conséquent, il nous apparaît important de généraliser les initiatives visant à associer les industriels aux grands exercices tels que Orion, sur le modèle de l’exercice Capstone aux États-Unis, dans le but de tester et d’expérimenter des innovations plus rapidement et en condition, afin d’accélérer leur éventuelle mise en service dans les forces.
Par ailleurs, il convient de privilégier une approche plus incrémentale permettant d’intégrer l’innovation de manière progressive, par standards, afin de tenir plus rapidement compte des évolutions technologiques. La logique incrémentale devrait s’accompagner de la promotion d’architectures dite ouvertes, afin de renforcer l’évolutivité des capacités et la mise en réseau des systèmes lorsque celle-ci est possible. Il importe enfin de renforcer l’accès des entreprises à la commande publique.
À ce titre, et sans prétendre à l’exhaustivité, je souhaite m’attarder sur deux exemples de ruptures technologiques : les drones et l’intelligence artificielle. Alors que la France souffre d’un certain retard en la matière, nous avons souligné la nécessité d’accélérer la dronisation des armées, en particulier de l’armée de terre.
Cet objectif peut être atteint tout en soutenant la base industrielle et technologique de défense (BITD) française. À ce titre, en nous appuyant sur un récent rapport du groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (Gicat) et de l’association du drone de l’industrie française (Adif), nous recommandons la création rapide d’un label « drone de confiance » d’ici la fin de l’année 2024, qui permettrait une remontée en puissance en la matière, sans nous départir de notre souveraineté et tout en stimulant l’innovation de BITD française.
Dans la même logique, il nous apparaît nécessaire d’accélérer l’usage de l’intelligence artificielle au profit des opérations. Je salue à cet égard l’annonce de la création de l’agence ministérielle pour l’intelligence artificielle de défense (Amiad). L’intelligence artificielle (IA) pourra en effet révolutionner la manière de faire la guerre. À terme, l’IA devra permettre la mise en œuvre concrète du concept de RM2SE en permettant de décloisonner l’information et d’assurer son partage en temps contraint à l’ensemble des acteurs. Encore une fois, il convient de mieux accompagner les entreprises innovantes du secteur.
Le deuxième axe consiste à se préparer aux crises majeures dès le temps de paix. Nous considérons en effet que l’affermissement des forces morales de la nation, la mise en place d’un cadre juridique adapté aux nouveaux types de crise ainsi que la mobilisation du secteur privé doivent se préparer dès le temps de paix. En revanche, je tiens à souligner que l’impératif de renforcement des forces morales ne doit pas devenir un argument visant à détourner l’attention du nécessaire réinvestissement dans l’épaisseur de nos forces armées et dans le comblement des lacunes capacitaires. Dans ce cadre, il convient de se prémunir du risque d’une banalisation du recours aux forces armées, ces dernières ne devant être mobilisées qu’en dernier recours lorsque l’ampleur de la crise et sa nature le justifient.
Il ressort de nos auditions, et notamment de nos échanges avec l’historienne Bénédicte Chéron, que le recours parfois abusif à la notion de crise ou de guerre n’est pas sans effets délétères sur la perception de la spécificité militaire par les citoyens. Cet effet ne doit néanmoins pas dispenser d’une réflexion à froid sur l’articulation entre défenses civile et militaire sur le territoire national, ainsi que sur la nécessaire modernisation du concept de défense opérationnelle du territoire (DOT).
En un mot, il convient d’être collectivement conscients du fait que l’armée ne peut pas tout, ce qui implique de renforcer la résilience de l’ensemble de la nation. Cela passe notamment par le nécessaire respect de la règle des 4I pour déterminer de la pertinence de l’engagement des armées sur le territoire national, voire de penser sa réversibilité, qui permettrait de renforcer les armées par les forces vives de la nation, en dernier recours, lorsque la situation le justifierait – au moyen d’une réserve opérationnelle entraînée et prête à l’emploi. À ce titre, la transformation de la mission Sentinelle vers une posture plus réactive pourrait être expérimentée puis déployée, afin de redonner des marges de manœuvre à l’armée de terre.
Cela implique également de rénover le concept de défense opérationnelle du territoire, pensé dans le contexte spécifique de la guerre froide, qui apparaît aujourd’hui inadapté aux nouvelles menaces et peu opérant. Cette réflexion doit être menée au-delà du seul périmètre des armées et associer les forces de sécurité intérieure et de défense civile, notamment les sapeurs-pompiers.
Nous avons en effet constaté lors de nos travaux que le concept demeure méconnu et porteur de nombreuses incertitudes relatives à sa mise en œuvre. Il est dès lors nécessaire de clarifier les seuils d’engagement, les zones de compétence, la répartition des missions entre les différentes forces, ainsi que les mécanismes de coordination adéquats, afin de parvenir à une vision partagée en cas de déclenchement des mesures non permanentes de la DOT.
Par ailleurs, il est nécessaire de disposer d’un cadre juridique adapté à l’évolution des menaces et d’un dispositif de réserve opérationnelle mobilisable en cas de besoin pour préparer les crises de demain. Compte tenu du retour d’expérience d’Orion, nous sommes convaincus de la nécessité de clarifier les régimes d’exception existants et les conditions de mobilisation des réserves.
Si la LPM 2024-2030 a permis certaines avancées, des risques de concurrence, voire d’effet d’éviction entre les différentes réserves perdurent. Nous sommes favorables à une plus grande harmonisation des statuts des différentes réserves et à la mise en œuvre sur pied d’une gouvernance plus centralisée qui pourrait être confiée à la garde nationale, et enfin à la mise en place d’une démarche de sensibilisation des effectifs mobilisables, en commençant par la réserve de sécurité nationale.
Il ressort également des auditions menées un véritable besoin, commun aux différents employeurs de réservistes, de disposer d’un système d’information permettant de recenser les compétences civiles des réservistes. La création d’un outil numérique de gestion de l’ensemble des réserves nous apparaît dès lors comme une piste d’amélioration notable. Enfin, s’agissant du cadre juridique, nous souhaitons que la CIDN se voit confier une nouvelle mission visant à établir un référentiel des différents stades d’alertes graduées sur le modèle de Vigipirate. Ce référentiel partagé en interministériel, qui pourrait être appelé « Vigidéfense », associerait à chaque niveau de menace les différents dispositifs mobilisables. Cette nouvelle mission irait de pair avec la rénovation des régimes de mise en garde et de mobilisation générale suggérée par le retour d’expérience d’Orion.
M. Benoît Bordat, rapporteur. Au-delà du renforcement de l’État, l’apport du secteur privé et des citoyens doit également être pris en compte. En effet, dans le contexte d’un engagement hybride, il est fort probable que l’ennemi s’attaquera aux moyens de régénération de la force, y compris la BITD et sa chaîne de sous-traitance. Il apparaît donc crucial de poursuivre et d’accélérer la mise en place de la démarche « économie de guerre. »
Nous proposons d’ailleurs de l’étendre au concept de « base industrielle de combat », comme l’a préconisé le SGDSN, qui inclurait l’ensemble des composantes nécessaires au maintien d’un effort de guerre dans la durée. Il convient également d’étudier la complémentarité offerte par les entreprises de service de sécurité de défense pour libérer du temps militaire.
Il me semble important de nous emparer de ces enjeux dans le débat public, afin de définir collectivement la frontière entre privatisation et régalien, le degré d’irréversibilité que nous sommes prêts à accepter, en prenant notamment en compte son impact à long terme sur les compétences, et le degré de confiance que l’État peut accorder aux sociétés privées, ainsi que les outils pour qualifier ces entreprises « d’entreprises de confiance ». J’estime que nous devons cesser toute naïveté sur le sujet, à l’heure où les entreprises du secteur font face à une concurrence étrangère, notamment anglo-saxonne, très dynamique. À titre d’exemple, une société canadienne a été choisie pour assurer l’animation de l’exercice Orion.
Le deuxième point concerne la nécessité de sensibiliser et responsabiliser les citoyens pour les rendre acteurs de la défense nationale. Il ressort des auditions que nous avons menées qu’en cas de conflit, l’ennemi cherchera en entamer la confiance de la nation dans la capacité des décideurs à gérer la crise et à désolidariser les populations des pouvoirs politiques. Aussi, tandis que les politiques de défense sont historiquement centrées sur l’action de l’État, nous sommes convaincus qu’il convient maintenant de travailler à l’information, l’éducation et à la mobilisation des citoyens, sans oublier la formation des acteurs de la gestion de crise, au premier rang desquels figurent les élus locaux, qui seront en première ligne en cas de crise majeure.
Tout d’abord, nous estimons que la transparence vis-à-vis des citoyens est clé pour renforcer la résilience de la nation, en nous appuyant sur les travaux des chercheurs qui pointent le risque d’une relative déconnexion entre les perceptions des armées et celles des citoyens, voire d’une forme de dissonance cognitive, dans un contexte où notre statut de puissance dotée peut donner l’illusion d’un faux sentiment d’immunité. Nous estimons qu’il convient de partager avec les citoyens les principaux scénarios d’adversité anticipés par les armées. Ces scénarios, qui pourraient notamment être présentés lors de la journée nationale de résilience, devraient comprendre une description claire de la menace anticipée et du rôle attendu des différents acteurs de la société dans l’hypothèse où la crise surviendrait.
Ensuite, nous souhaitons renforcer la contribution de la journée nationale de résilience et du service national universel (SNU) au développement de la résilience de la nation. Face à la très grande hétérogénéité des séjours de cohésion, nous recommandons de recentrer le SNU sur l’apprentissage de la résilience à travers des modules dédiés. Nous recommandons également de mieux valoriser les initiatives locales prises dans le cadre de la journée nationale des réservistes (JNR), en décernant un prix qui pourrait être attribué par le préfet afin de diffuser les bonnes pratiques. Enfin, nous sommes attachés à renforcer la contribution des employeurs à la formation aux gestes qui sauvent sur le lieu de travail.
Ensuite, à rebours des affirmations visant à instiller le doute quant à la capacité d’engagement des Français, je suis au contraire convaincu qu’en chaque Français sommeille un réserviste. Pour accompagner ce désir d’engagement, nous soulignons la nécessité de publier au plus vite le plan Réserve 2035 et de prendre les décrets d’application relatifs aux dispositions de la LPM 2024-2030, qui visaient à faciliter la montée en puissance des réservistes.
Il convient à tout prix de sortir de la logique purement quantitative du doublement de la réserve, pour aller vers une définition précise des finalités opérationnelles recherchées, ainsi qu’une refonte de la doctrine d’emploi. Cela nécessite de se donner les moyens humains et matériels de nos ambitions. Actuellement, il n’existe pas de budget dédié pour les réserves et le financement d’un plan d’équipement et de formation n’est pas bien identifié. L’effort doit maintenant porter sur le financement de l’activité, l’équipement des réserves, sans que celui-ci ne soit réalisé au détriment de l’active. Par ailleurs, nous appelons de nos vœux la création d’une plateforme s’apparentant à un guichet unique de l’engagement, qui permettrait d’orienter les citoyens manifestant leur volonté de s’engager. En dernier lieu, face à la multiplication des stratégies de désinformation, nous estimons que la sensibilisation des populations et le développement de l’esprit critique devraient constituer des axes prioritaires de la prochaine stratégie nationale de lutte contre les manipulations de l’information, en cours d’élaboration.
Enfin, nous proposons dans notre rapport un certain nombre d’améliorations pour la prochaine édition d’Orion, en 2026. Toutefois, si l’exercice constituera un jalon important, je tiens à rappeler qu’Orion 2026 demeure avant tout un entraînement militaire à visée opérationnelle, dont la portée ne doit pas être surestimée. Nous recommandons notamment de renforcer le réalisme de l’exercice en définissant des espaces d’entraînement plus adaptés et en accordant plus d’importance à l’entraînement des services de soutien. En particulier, nous proposons que le scénario de l’exercice soit réalisé par la « Red team défense ».
Nous proposons de renforcer la prise en compte des enjeux M2MC notamment à travers la mise en place d’une force adverse de nouvelle génération, mieux équipée et aguerrie, pour mettre davantage en tension les forces alliées. Nous suggérons également de reproduire la phase interministérielle, qui devra constituer un jalon essentiel pour les travaux de la CIDN.
Nous estimons par ailleurs que les missions de la CIDN pourraient être étendues au passage en revue des normes civiles afin d’identifier celles qu’il pourrait être envisagé de rendre dérogatoires pour les armées.Il s’agirait ainsi de réaffirmer la spécificité de la défense nationale.
Nous proposons d’associer davantage d’acteurs à l’exercice. D’une part, il convient de rassembler la gendarmerie nationale, les forces de sécurité intérieure et les sapeurs-pompiers afin de s’entraîner à la mise en œuvre concrète de la DOT, voire réfléchir à inclure les collectivités territoriales ainsi que certains opérateurs d’importance vitale.
D’autre part, Orion 2026 doit constituer l’opportunité de tester des innovations avant leur mise en service dans les forces et de réaliser un stress test pour la mise en œuvre de la démarche d’économie de guerre.
M. Michaël Taverne, rapporteur. Enfin, il nous apparaît souhaitable de mieux articuler les prochaines éditions de l’exercice avec les exercices de programmation comme la LPM, tout en renforçant la transparence du retour d’expérience, en produisant par exemple un document de synthèse à destination de la représentation nationale. Il pourrait être envisagé de nommer à la tête des chantiers jugés prioritaires un officier général responsable de coordonner la mise en œuvre des principales conclusions du retour d’expérience d’Orion et de rendre compte de l’avancement de ses travaux.
En guise de conclusion, je souhaite à nouveau souligner que si la dissuasion nucléaire protège nos intérêts vitaux, elle ne saurait nous protéger contre l’ensemble des menaces, en particulier contre les stratégies de contournement par le bas de la dissuasion. Cette prise de conscience suppose un réarmement matériel comme intellectuel. Le principe d’épaulement entre forces conventionnelles et non-conventionnelles et la nécessité de renforcer l’épaisseur de nos forces conventionnelles, comme l’a démontré Orion 2023, sont redevenus d’autant plus centraux que nos compétiteurs chercheront à limiter notre liberté d’action par des stratégies hybrides.
Aussi, face à la question posée en introduction, - sommes-nous prêts pour faire face aux crises de demain ? –, nous voulons croire à la dynamique de remontée en puissance insufflée par Orion 2023 et tenons à réaffirmer la nécessité de cultiver l’adaptabilité de notre outil de défense et la résilience de la nation.
M. le président Thomas Gassilloud. Je vous invite, mes chers collègues, à lire ce rapport dans les prochaines semaines. Il se satisfait de l’excellence de nos armées, mais est également conscient des défis qui restent à relever. En tant que parlementaires, nous devons en tirer les conclusions concernant les moyens que nous donnons aux armées. Au-delà de cette approche capacitaire pour nos forces, il est également important que nous contribuions à entretenir la dynamique civilo-militaire. Je souligne par ailleurs l’importance de la CIDN dirigée par le Premier ministre ou son directeur de cabinet, qui doit devenir l’instance de traitement interministériel des questions de défense. Messieurs, votre rapport offre des pistes extrêmement intéressantes pour mobiliser le système.
Mme Caroline Colombier (RN). Je vous remercie pour l’étendue de vos travaux concernant l’exercice Orion, qui nous permet d’avoir une photographie pertinente de nos forces et de nos faiblesses, dans l’hypothèse d’un engagement majeur de la France dans un conflit de haute intensité. Nous espérons qu’il servira de base au bon dimensionnement de nos forces dans les prochaines années.
Nous aimerions toutefois bénéficier de précisions quant au matériel de l’armée de terre. Notre inquiétude porte principalement sur les véhicules blindés multirôles (VBMR) Griffon et Serval, ou encore les Jaguar. Ces véhicules sont ceux qui, dans un engagement majeur, feront l’objet de l’attention la plus marquée, dans la mesure où ils sont sollicités pour le transport, le contact, la logistique, la reconnaissance ou encore les soins aux blessés.
Aussi, nous souhaiterions savoir si, au cours d’Orion, l’armée de terre avait rencontré des problématiques de maintenance sur ses véhicules, et plus largement de MCO. Qu’en était-il du rapport avec les industriels, et dans quelle mesure ont-ils été impliqués pour fournir à nos soldats les pièces indispensables ?
Enfin, vous recommandez de poursuivre les efforts tendant au renouvellement et à la densification de la flotte de transport logistique terrestre, et de renforcer la capacité de transport logistique sous blindage. Pourriez-vous nous en dire davantage ? La cible de livraison prévue par la LPM à horizon 2030 vous semble-t-elle suffisante ou avez-vous de réels motifs d’inquiétude à ce sujet en cas d’engagement majeur ?
M. Michaël Taverne, rapporteur. Nous avons été surtout alertés sur la flotte de camions logistiques. La séquence Orionis avait par ailleurs pour objet de réunir les industriels de la maintenance aéronautique et les militaires. S’agissant de la flotte tactique, le programme FTLT (flotte tactique logistique terrestre) prévoit la livraison d’ici 2030, de plus de 2 000 véhicules, sur un total de plus de 9 000 véhicules. Il faut également mentionner la livraison d’A400M, d’A330 MRTT, ainsi que de véhicules Serval et Griffon en version sanitaire.
Des programmes sont également développés en logistique, pour mieux utiliser la robotique. Enfin, le Comigetra est chargé de la coordination civilo-militaire en matière de transport, mais les moyens sont extrêmement limités. L’acheminement de matériels en Roumanie lors de l’opération Aigle a ainsi posé quelques problèmes.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je vous remercie pour votre rapport, qui permet de creuser de nombreux sujets, dont certains avaient été abordés pendant les débats sur la LPM. J’entends les échos de certaines inquiétudes exprimées par mon groupe, notamment au sujet du SSA. Je retiens également de votre rapport des inquiétudes concernant les communications et les liaisons de données, notamment la liaison cryptée L16. Existe-t-il des perspectives d’amélioration rapide dans ce domaine ? Ce genre de problème aurait pu être évité si l’opportunité du rachat de OneWeb avait été saisie il y a quelques années.
Je souhaite également vous interroger sur le spatial, qui a joué un rôle décisif dans la conduite de l’exercice. Pouvez revenir sur les enseignements en la matière ? Par ailleurs, la question de l’outre-mer a-t-elle été traitée ? Enfin, je souhaiterais avoir des détails sur la protection des infrastructures civiles, qui ne manqueraient pas d’être ciblées par l’ennemi dans le cadre d’une hypothèse d’engagement majeur.
M. Benoît Bordat, rapporteur. Nous avons fait le choix de mettre en lumière certains aspects et il est vrai que l’outre-mer n’en faisait pas partie. Je rejoins votre préoccupation concernant les infrastructures civiles, mais aussi les emprises militaires, qui doivent être suffisamment protégées. Nous devons envisager à ce titre les pires scénarios, comme le risque d’un black-out ou d’une panne internet, et la manière dont les armées, les élus locaux et les citoyens peuvent réagir. Les armées doivent à la fois travailler sur les hautes technologies, mais également être capables de faire preuve de rusticité, si nécessaire. De la même manière, se pose la problématique de la réaction des élus locaux et de la gendarmerie pour échanger avec la population si les moyens de communication étaient coupés. L’idée consiste ici à préparer la population, de manière transparente, à un maximum de risques, afin d’éviter les effets de sidération.
M. Michaël Taverne, rapporteur. Les travaux démontrent bien la nécessité d’une supériorité au niveau spatial. À ce titre, AsterX 2023 s’est articulé avec Orion. Nous avons auditionné le commandement de l’espace dans le cadre de nos travaux. Par ailleurs, dans le domaine de la connectivité, un groupe de travail portant sur les SIOC a été mis en place en lien avec la DGA, dont les conclusions seront rendues cet été. Il convient en effet de franchir un pas supplémentaire en termes de préparation opérationnelle à la conflictualité. Dans le cadre de l’exercice Orion 2026, le défi des communications du spatial devront être relevés.
M. Denis Bernaert (RE). Dans un monde en mouvement où les menaces sont omniprésentes et les milieux pluriels, l’intégration des forces de réserve dans la société civile revêt une importance capitale. Les récentes crises ont clairement démontré la capacité et la volonté des citoyens à se mobiliser. Cet élan citoyen soulève néanmoins une question : comment pouvons-nous canaliser cette énergie en période de paix afin de mieux préparer notre nation aux défis futurs, y compris les éventuels conflits armés ?
La réserve opérationnelle, auparavant considérée comme une simple extension des forces armées en cas de nécessité, est désormais perçue sous un angle beaucoup plus stratégique et beaucoup plus ambitieux. Votre vision, Messieurs les rapporteurs, repose sur l’idée que chaque citoyen peut jouer un rôle essentiel dans la défense, pourvu qu’il dispose des moyens nécessaires et d’une motivation claire pour s’engager.
Je partage à ce titre les propos du rapporteur Bordat lorsqu’il indique [qu’]« en chaque Français sommeille un réserviste ». La proposition du plan Réserve 2035 incarne cette ambition, envisageant une refonte des réserves et une approche adaptée aux particularités locales, en étroite collaboration avec les élus locaux, départementaux, régionaux et les représentants militaires.
Comment pouvons-nous transformer l’engagement citoyen spontané en une force durable, concrétisant ainsi la vision de la réserve comme un lien solide entre la nation et ses forces armées, renforçant ainsi la préparation nationale de nos concitoyens aux crises futures ?
M. Benoît Bordat, rapporteur. Nous demandons effectivement un bon recensement des réservistes, pour éviter les effets de doublon. Se pose également l’enjeu majeur de l’attractivité, de la fidélisation et de la valorisation des réservistes. À ce titre, il convient d’accélérer le processus de recrutement des réservistes, qui est trop long, à l’heure actuelle.
Ces réserves sont essentielles et leur développement doit être poursuivi. Il y a dix ans, personne n’aurait imaginé par exemple disposer d’une réserve cyber. Demain, il est tout à fait possible d’envisager une réserve spécialisée dans la manipulation des drones ou dans le soutien logistique. Il convient donc de recenser et de mobiliser les compétences, qui peuvent être utilisées, au-delà du front, dans des missions administratives ou de soutien. Nous devons à ce titre surfer sur la volonté d’engagement dont témoignent les jeunes, qui a été soulignée dans de récents sondages d’opinion.
M. le président Thomas Gassilloud. À ce sujet, je tiens à vous informer de la création du bataillon de renseignement de réserve spécialisée (B2RS), unité dédiée à la recherche du renseignement en sources ouvertes.
M. Denis Bernaert (RE). Il me semble également nécessaire de mieux communiquer sur les procédures d’inscription de volontaires, afin que la réserve soit opérationnelle et citoyenne.
M. Jean-Louis Thiériot (LR). Vous avez évoqué quelques manques capacitaires évidents : DSA, frappes dans la profondeur, logistique. Êtes-vous en mesure d’en évaluer le volume ? Quels moyens préconisez-vous ? Pouvons-nous atteindre cet objectif à budget constant ou faut-il davantage de moyens ? Je rappelle que la LPM que nous avons votée est définie comme un minimum. Ensuite, nous sommes tous convaincus que la réserve doit bénéficier d’efforts plus prononcés. Le volume des financements pour l’activité de réserve est-il suffisant ? Je n’ai pas le sentiment que cela soit le cas.
Par ailleurs, vous avez évoqué un sujet qui m’est cher, la DOT, mais également l’importance de la règle des 4I. Quels axes d’amélioration législative ou opérationnelle préconisez-vous en matière de DOT ?
M. Michaël Taverne, rapporteur. Il n’existe pas réellement de budget dédié à la réserve. Le manque capacitaire est réel en matière de DSA. S’agissant de la DOT, il convient de clarifier les conditions concrètes de sa mise en œuvre. Les gendarmes ont évoqué l’idée de créer une plateforme de recensement de l’engagement, avec des profils bien spécifiques, pour essayer de mieux valoriser les réservistes.
M. Benoît Bordat, rapporteur. Nous n’avons pas donné d’évaluation du budget capacitaire. S’agissant des réserves, les budgets doivent être à la hauteur, notamment en raison des impératifs de formation et de dotation d’un certain nombre d’équipements. Lors de notre voyage aux États-Unis, nous avons pu constater l’existence de plans de formation établis en avance, en lien avec les employeurs : les réservistes savent à l’instant t que dans deux ou trois ans, à telle date, ils seront sollicités. En France, les mobilisations se font parfois dans des temps plus contraints. Nous préconisons enfin une modernisation de la DOT, qui pourrait faire l’objet d’une proposition de loi ou d’un projet loi.
M. Jean-Louis Thiériot (LR). Il s’agit d’une excellente idée.
M. Jean-Pierre Cubertafon (Dem). Au nom de mon groupe, je vous remercie pour la qualité des conclusions de cette mission d’information. Je remplace pour cette question Mme Sabine Thillaye qui a rencontré un empêchement de dernière minute.
Initié en 2021, l’exercice à grande échelle Orion, a eu une résonance particulière avec le déclenchement de la guerre en Ukraine par la Russie, à la fois dans son scénario et son mode opératoire. Cet exercice fournissait également l’occasion pour le commandement de la cyberdéfense de s’impliquer avec les trois armées dans une dimension multi milieux et multi champs impliquant les trois niveaux de lutte cyber, la lutte offensive, défensive et d’influence.
Au-delà de l’opération militaire, quel a été le degré d’implication des structures civiles dans l’exercice Orion et leur capacité à répondre à la menace cyber ? Je pense aux services publics, aux entreprises d’importance vitale (OIV) et aux collectivités locales qui subissent régulièrement, en temps de paix, des attaques cyber.
Ma collègue Thillaye s’est rendue il y a quelques semaines en Estonie, où elle a pu observer que 99 % des services publics et privés sont numérisés, dans un pays qui, en 2007, a subi une cyberattaque majeure de la part de la Russie. L’Estonie avait alors été si profondément touchée qu’elle était allée jusqu’à invoquer l’article 5 du traité de l’Atlantique nord. Quelles leçons ont-elles été tirées de l’exercice Orion concernant la résilience de nos systèmes d’information et la coordination cyber entre les services civils et militaires face aux cyberattaques ? Enfin, quelles améliorations envisagez-vous pour améliorer le réalisme lors du prochain exercice en 2026 ?
M. Benoît Bordat, rapporteur. Dans le cadre de l’exercice Orion 2026, notre rapport préconise d’associer les OIV, les collectivités et les entreprises, notamment pour réhabituer nos concitoyens à voir passer des militaires dans des zones où ils les voient moins désormais.
M. Michaël Taverne, rapporteur. Lors de nos travaux, nous avons évoqué la valorisation des actions du commandement de la cyberdéfense (Comcyber), mais également la lutte informationnelle, les enjeux de la désinformation et de la lutte informatique offensive (LIO). Le Comcyber ne peut pas agir seul : l’engagement de la nation est essentiel, notamment pour vérifier les informations reçues avant de les partager, notamment sur les réseaux sociaux. Nous insistons particulièrement sur ce point précis.
M. le président Thomas Gassilloud. Je cède à présent la parole à mes collègues pour une série de questions complémentaires.
Mme Alexandra Martin (LR). La résilience constitue la condition d’une bonne mobilisation. À ce titre, j’apprécie particulièrement cette idée de portail unique permettant de recenser et centraliser toutes les offres d’engagement pour les citoyens qui le souhaitent. J’ai la conviction que la résilience citoyenne commence très tôt, chez nos enfants. Ne croyant pas à la généralisation du SNU pour plusieurs raisons, je propose depuis longtemps un parcours citoyen universel au collège, de transformer les cours d’éducation morale et civique (EMC) en une matière à part entière, et de généraliser les classes de défense en option, dans les collèges. J’aimerais connaître votre avis sur ces propositions et sur ces parcours qui pourraient conduire nos citoyens à être mobilisés.
M. Vincent Bru (Dem). Je souhaite revenir sur les moyens d’action en profondeur, et particulièrement sur le cas des drones. Pouvez-vous repréciser les orientations prévues par la LPM pour d’une part combler notre déficit dans l’utilisation des drones ; et d’autre part, pour la lutte antidrone, afin de préserver nos militaires d’attaques aériennes ?
Ensuite, vous soulignez également le retard dans les moyens alloués en matière de renseignement et de surveillance du champ de bataille. Pourriez-vous nous donner plus de détails, ainsi que les perspectives d’amélioration, notamment sur la coopération entre le renseignement français et celui des pays alliés, sur les théâtres des opérations ?
M. Pierrick Berteloot (RN). Vous nous avez exposé les conséquences de l’après Orion. Nous ne pouvons qu’en tirer des leçons pour les crises de demain. Selon votre rapport, nos effectifs interarmées sont composés de 240 000 hommes, sans compter les réservistes. In fine, seule une division serait mobilisable en cas de conflit, ce qui s’avère bien trop peu. À titre d’exemple, la Russie disposerait d’une cinquantaine de divisions sur son front.
Il se dégage de cette conclusion une réelle problématique de recrutement, d’autant plus que le doublement des réserves a été voté lors de la dernière LPM. Je relève cependant certains efforts en ce sens, tels que la mise en place d’une campagne de communication et de formation pour promouvoir les carrières militaires. Je me permets de citer en exemple les centres de préparation militaire, qui permettent aux 16-20 ans de découvrir les missions et la vie de la marine lors des week-ends et des congés scolaires, en vue de révéler des vocations et de créer une dynamique de recrutement. Le succès est tel que des nouveaux centres de préparation militaire marine (PMM) ouvrent leurs portes, dont un à Boulogne-sur-Mer.
Pensez-vous que généraliser les préparations militaires « marine » aux armées de l’air et de terre puisse représenter une solution pour nous aider à atteindre notre objectif de réserve active ? Disposez-vous de pistes supplémentaires pour doubler nos effectifs ?
M. le président Thomas Gassilloud. Je vous rassure : les préparations militaires existent bien dans l’armée de l’air et l’espace et dans l’armée de terre.
Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). Je vous remercie pour ce retour d’expérience, qui nous permet de pouvoir progresser. Notre commission s’attache actuellement à la défense globale de notre pays et je souhaite à ce titre parler de la population en général, au-delà des réservistes. Que pensez-vous de la création d’exercices plus élargis incluant la population et la situation des territoires ?
Ensuite, disposons-nous de capacités bâtimentaires suffisantes permettant à notre population de se réfugier dans des abris en cas de bombardements ou d’attaques ?
M. Benoît Bordat, rapporteur. Votre intervention souligne la nécessité de diffuser une culture du risque assumée. Nous devons, dans ce cadre, proposer des exercices, notamment en lien avec les collectivités. Par ailleurs, il me semble impératif de mieux associer les correspondants défense sur les problématiques de sensibilisation et leur confier un certain nombre de missions dans le cadre de la défense à l’échelle du territoire.
Je suis favorable au SNU, mais sur la base du volontariat : rendre le SNU obligatoire contribuerait à casser sa dynamique. Il convient donc d’améliorer son attractivité et sa valorisation.
De même, l’ensemble des dispositifs de préparation militaire doivent être plus simples à comprendre et plus valorisants. Face à l’intérêt manifeste témoigné par les jeunes, il importe de lever les difficultés, notamment celles relatives aux temps d’inscription et aux délais.
M. Michaël Taverne, rapporteur. L’historienne Bénédicte Chéron a insisté lors de son audition, sur la nécessaire détermination en amont de la priorité affectée au SNU, c’est-à-dire une ligne claire, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle.
L’exercice Orion est un exercice à caractère militaire, mais il est possible de sensibiliser les citoyens à travers des actions locales, comme les réserves communales, les élus ou la valorisation de la journée nationale de résilience.
LaFrance était par le passé en pointe en matière de drones, mais elle accuse aujourd’hui un retard. Il importe donc d’accélérer la montée en puissance de la dronisation à l’horizon 2030, grâce à une meilleure coopération avec les industriels. Aujourd’hui, les drones sont essentiellement utilisés par l’armée de terre, notamment pour les missions de renseignement. Le drone Patroller a connu un retard certain, car les industriels ne parvenaient pas à répondre au cahier des charges de la DGA. Il faudrait inverser le processus, en partant des possibilités des industriels.
Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). J’ai bien cerné les caractéristiques de l’exercice Orion, qui est d’essence militaire. Cependant, en cas de conflit, il n’est pas possible de raisonner en silos ; des interactions sont nécessaires entre les armées, les élus et la population. La population doit savoir comment elle peut mieux aider les armées ; les bonnes actions à accomplir ou celles à proscrire.
À ce titre, il faudrait peut-être prévoir cette interaction lors des exercices ultérieurs. À titre d’exemple, sur mon territoire, j’ai connu une grande crise climatique, durant laquelle des communes et des citoyens ont été complètement coupés de communication ou d’électricité. En cas de conflit, cette vision globale est incontournable.
M. Michaël Taverne, rapporteur. Le rapport souligne la nécessité de mettre en place des mesures, pour essayer d’engager un peu plus la population. La sécurité civile a ainsi souligné l’importance de former aux premiers secours. Après les attentats de 2015, des dispositifs ont été mis en œuvre, notamment auprès des professeurs et de leurs élèves. Une même logique pourrait être approfondie et diffusée, afin que chacun apporte sa pierre à l’édifice de la défense globale.
M. le président Thomas Gassilloud. Je vous remercie. Je souligne également qu’il pourrait être pertinent de distribuer un livret de résilience aux habitants, en prenant exemple sur les pratiques scandinaves en la matière, ne serait-ce que pour indiquer les réserves nécessaires en eau et en nourriture pour tenir quarante-huit heures.
Nous allons maintenant nous prononcer sur l’autorisation de publication de ce rapport.
La commission autorise le dépôt du présent rapport d’information.
— 1 —
Annexe I : Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs
(Par ordre chronologique)
Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA) – M. le général de brigade aérienne Guillaume Thomas, commandant la brigade aérienne des opérations ;
Observatoire des conflits futurs – M. Élie Tenenbaum, directeur du centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales et M. Philippe Gros, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique ;
État-major de la marine – M. le vice-amiral Xavier Petit, sous-chef d’état-major « opérations » ;
Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et Secrétariat général du Gouvernement (SGG) – M. Gwénaël Jézéquel, conseiller pour les relations institutionnelles et la communication au SGDSN, M. Gabor Arany, sous-directeur adjoint de la planification de sécurité nationale à la direction de la protection et de la sécurité de l’État au SGDSN, M. le lieutenant-colonel Jean-Charles Coste, adjoint au chef du bureau de la réponse gouvernementale à la direction de la protection et de la sécurité de l’État au SGDSN et M. Antoine Pavageau, chargé de mission pour les affaires étrangères et de défense au SGG ;
Commandement du combat futur – M. le général de corps d’armée Bruno Baratz, général, directeur ;
Commandement de l’espace – M. le général de division aérienne Philippe Adam, commandant de l’espace ;
État-major des armées – M. le capitaine de vaisseau Guillaume Pinget, adjoint de la division « cohérence capacitaire » ;
État-major des armées – M. le général de division François-Xavier Mabin, chef de la division « emploi des forces-protection » ;
Service de santé des armées – M. le médecin général Érik Czerniak, chef de la division « opérations »
Agence de l’innovation de défense (AID) – M. l’ingénieur général de l’armement Patrick Aufort, directeur et Mme Maud Pichard, responsable des relations institutionnelles ;
Service du commissariat des armées – M. le commissaire général Christophe Daurel, officier général en charge de la transformation opérationnelle ;
Direction de la maintenance aéronautique (DMAé) – Mme la colonelle Isabelle Poirot, adjointe au sous-directeur « performance, synthèse et relations forces » ;
Centre interarmées de concepts, de doctrines et d'expérimentations (CICDE) – M. le colonel Jean-Charles Lenoble, sous-directeur « prospective opérationnelle » ;
État-major des armées – M. le colonel Thibault de Brebisson, adjoint de la division « cohésion nationale » ;
Institut des hautes études de Défense nationale (IHEDN) – M. le général de corps d’armée Benoît Durieux, directeur ;
Commandement de la cyberdéfense (COMCYBER) – M. le général de division Aymeric Bonnemaison, commandant de la cyberdéfense ;
Direction générale de la Gendarmerie nationale – M. le général de corps d'armée André Petillot, major général ;
Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises – M. Yves Hocdé, sous-directeur « préparation, anticipation et gestion des crises » ;
Secrétariat général de la Garde nationale – M. le général François-Xavier Poisbeau, secrétaire général adjoint ;
État-major de la Police nationale – Mme l’inspectrice générale Fabienne Alzabert, cheffe d’état-major ;
Direction générale de l’armement – M. le vice-amiral d’escadre Marc Aussedat, adjoint « forces » du délégué général ;
Association des jeunes de l’institut des hautes études de Défense nationale (Jeunes-IHEDN) – M. Nicolas Henry, président ;
Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) – M. le colonel Jean-Philippe Tardieu, chef du département « compétition militaire et ruptures technologiques », M. Edouard Jolly, directeur de projet prospective stratégique et Mme Elisabeth Marteu, adjointe au sous-directeur « stratégie de défense » ;
Table-ronde sur le rôle des opérateurs du ministère des armées et des entreprises de services de sécurité et de défense (ESSD) :
- Geos Group – M. le général d’armée (2S) Didier Castres, président ;
- Chiron solutions – M. Alexandre Auberton, directeur général ;
- Défense conseil international – M. Nicolas Bays, directeur de la prospective ;
511e régiment du Train d’Auxonne – M. le colonel Aymeric Andrieu, chef de corps ;
État-major des armées – M. le général de brigade Pascal Ianni, officier général « anticipation stratégique et orientations » ;
Table-ronde sur le lien armée-nation :
- Institut catholique de Paris – Mme Bénédicte Chéron, maître de conférences en histoire contemporaine ;
- Institut de recherche stratégique de l’école militaire (IRSEM) – M. Maxime Launay, chercheur « Défense et Société » ;
Table-ronde sur les enjeux de l’intelligence artificielle de défense :
- Comand AI – M. Loïc Mougeolle, co-fondateur et président ;
- Preligens – M. le général d’armée (2S) Grégoire de Saint-Quentin, vice-président et M. Marc Antoine, directeur des affaires publiques ;
- Thales – M. Philippe Keryer, directeur général adjoint « stratégie, recherche et technologie » ;
Table-ronde sur les enjeux de la filière drone aéroterrestre :
- Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT) – Mme l’ingénieure générale de l’armement Martine Poirmeur, déléguée générale adjointe « défense », M. l’ingénieur général de l’armement Claude Chenuil, consultant « drones » et Mme Léa Benassem-Durieux, directrice des affaires publiques ;
- Association du drone de l'industrie française (ADIF) – M. Bastien Mancini, président de l’association et de la société Delair.
1er février 2024, Base navale de Toulon – visite de la base et du Commandant en chef pour la Méditerranée (CECMED), échanges avec M. le vice-amiral d’escadre Christophe Cluzel, commandant la Force d’action navale (ALFAN), M. le capitaine de vaisseau Xavier Bagot, commandant la frégate multi-missions à capacité de défense aérienne renforcée Lorraine (FREMM DA LRN), M. le capitaine de vaisseau Matthieu Delafoy, commandant l’escadrille des sous-marins nucléaires d’attaque (COMESNA), M. le capitaine de vaisseau Florian El-Ahdab, directeur du centre de combat naval (C2N), M. le capitaine de vaisseau Iban Harismendy, directeur du centre d’expertise des programmes navals (CEPN), les officiers et les personnels de la base ;
26 mars 2024, Centre d'entraînement aux actions en zone urbaine (CENZUB)-94ème régiment d’infanterie de Sissonne – visite du CENZUB, échanges avec M. le colonel Bertrand Blanquefort, chef de corps, les officiers et les personnels du régiment ;
29 mars 2024, École des drones et 61ème régiment d’artillerie de Chaumont – rencontre avec M. le colonel Pierre-Yves Le Viavant, chef de corps, visite de l’école, échanges avec M. le lieutenant-colonel Jean-Louis Bourgeois, commandant l’école des drones, les officiers et les personnels de l’école ;
11 avril 2024, Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA), base aérienne 942 de Lyon-Mont Verdun – visite du Centre Air de planification et de conduite des opérations (CAPCO) et du Centre national des opérations aériennes (CNOA), échanges avec M. le général de brigade aérienne Thomas Guillaume, commandant de la Brigade Aérienne des Opérations (BAO), M. le colonel David Martel, commandant le CAPCO, M. le colonel Bruno Paupy, commandant le CNOA, les officiers et les personnels de la base.
2. À l’étranger
Du 3 au 7 mars 2024, déplacement à Washington D.C. (États-Unis) :
– Entretien avec Mme Aurélie Bonal, adjointe de l'Ambassadeur de France aux États-Unis ;
– Entretien avec les membres de la chancellerie : M. Damien Cristofari (premier conseiller), M. Hugo Vergès (politique intérieure), M. Alexandre Mirlesse (numérique et cyber) et M. Pascal Confavreux (presse) ;
– Entretien avec les membres de la mission de défense : M. le général de division aérienne Bertrand Jardin, attaché de défense, M. l’ingénieur en chef de l’armement Pierre Bouvier, attaché d’armement, M. le colonel Maxime Do Tran, attaché Terre, M. le capitaine de vaisseau Jean-Olivier Grall, attaché Marine nationale ;
– Entretien avec un panel de chercheurs de la Rand Corporation conduit par M. Raphaël Cohen et Mme Stéphanie Pezard, chercheurs ;
– Entretien avec le lieutenant-colonel (Lieutenant Colonel) Lawrence A. Schmidle, siège du Département de l’Armée des États-Unis (Headquarters, United States Department of the Army), Pentagone ;
– Entretien avec le général (Lieutenant General) Marc H. Sasseville, vice-chef du Bureau de la Garde nationale (National Guard Bureau), Pentagone ;
– Entretien avec le général Kane (Brigadier General) du J5 Strategy, Plans and Policy/Homeland, Comité des chefs d'état-major interarmées (Joint Chiefs of Staff), Pentagone ;
– Entretien avec Mme Chrissy Houlahan (D-PA), membre de la commission de la défense de la Chambre des représentants (House Armed Services Committee), Congrès des États-Unis ;
– Entretien avec Mme Caitlin Durkovitch, Special Assistant to the President and Deputy Homeland Security Advisor for Resilience and Response, Conseil de sécurité nationale (National Security Council), Maison blanche.
([1]) La Fin de l'histoire et le dernier homme, Francis Fukuyama, 1992.
([2]) Deux auditions en commission ont d’ores et déjà été consacrées au retour d’expérience de l’exercice ORION en juin 2023. L’une généraliste, à travers l’audition du Général Yves Métayer, chef de la division « emploi des forces » de l’État-major des armées (EMA). L’autre, spécifique au retour d’expérience de la phase O3 dite « civilo-militaire » à travers l’audition de M. Nicolas de Maistre, directeur de la protection et de la sécurité de l’État au secrétariat général à la Défense et à la sécurité nationale (SGDSN).
([3]) Dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, l’avis budgétaire du rapporteur des crédits relatifs à l’armée de Terre, M. François Cormier-Bouligeon, avait pour thématique « le retour d’expérience d’ORION et son appropriation par les forces terrestres ».
([4]) L’exercice bilatéral franco-allemand Kecker Spatz (« Moineau hardi »), qui s’est déroulé en Bade-Wurtemberg, en Bavière, du 21 au 24 septembre 1987, est souvent cité comme le dernier des grands exercices auxquels les armées françaises ont participé avec une division complète.
([5]) Rapport d'information de la commission de la défense nationale et des forces armées, en conclusion des travaux d'une mission d'information sur la préparation à la haute intensité (Mme Patricia Mirallès et M. Jean-Louis Thiériot), février 2022.
([6]) Audition à huis clos, de M. le général de division Yves Métayer, chef de la division « emploi des forces » à l'état-major des Armées, sur le retour d'expérience d'Orion, 7 juin 2024. Compte rendu de réunion n° 87 - Commission de la défense nationale et des forces armées.
([7]) Audition du Général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre, devant la commission de la Défense nationale et des forces armées sur le projet de loi de finances pour 2024, 11 octobre 2023.
([8]) Ibid, p. 18.
([9]) Le commandement de niveau opératif représente le plus haut niveau du commandement militaire projeté sur un théâtre, pour lequel des opérations sont planifiées et conduites par une ou plusieurs forces. Ce niveau d’intégration interarmées permet d’atteindre les objectifs militaires fixés par le commandant stratégique.
([10]) Ibid p.18.
([11]) Ibid.
([12]) Ibid.
([13]) L’US air force déploie régulièrement des détachements de 12 chasseurs (SSE – Single Size Element) sur différentes bases aériennes au Levant en s’appuyant tant sur les ressources régionales que sur leur propre capacité de projection et de soutien (notamment SIC).
([14]) Ibid, p.18..
([15]) Ibid.
([16]) Innovation dans le C2 de l’Armée de l’air et de l’Espace.
([17]) Les faits techniques traités concernaient notamment la réparation des dommages de combat sur un théâtre, le dépassement de butée d’un entretien d’un équipement ou encore la mise sous tension de la chaîne logistique.
([18]) Rapport d'information n° 936 (2022-2023), « Le service de santé des armées, une pièce maîtresse de notre outil de défense », Dominique de Legge, Sénat, 27 septembre 2023.
([19]) Ibid, p.18.
([20]) Clément Machecourt, « Le service de santé des armées se prépare à la guerre de haute intensité », Le Point, 6 octobre 2023.
([21]) « Le Service de Santé des Armées, une capacité à consolider », Cour des Comptes, juin 2023.
([22]) 196 Griffon SAN et 135 exemplaires Serval SAN sont attendus pour remplacer le VAB version « Evol Cied » d’ici 2029.
([23]) Ibid p.18.
([24]) AsterX est un exercice spatial militaire d’entraînement tactique et opératif annuel conduit par la France à Toulouse du 21 février au 10 mars pour l’année 2023.
([25]) Ibid p.18.
([26]) Ibid.
[27] Ibid p.18.
[28] Ibid.
([29]) Frédéric Coste, « L’adoption du concept de sécurité nationale : une révolution conceptuelle qui peine à s’exprimer », Fondation pour la recherche stratégique, 2011.
([30]) Ibid p.18.
([31]) Audition, à huis clos, de M. Nicolas de Maistre, directeur de la protection et de la sécurité de l'État au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), sur le retour d'expérience d'Orion, commission de la défense nationale et des forces armées, 7 juin 2023.
([32]) Ordonnance n° 59-147 du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense
([33]) Rapport d'information fait au nom de la mission d'information sur la résilience nationale (M. Thomas Gassilloud), 23 février 2022.
([34]) Audition, ouverte à la presse, de M. Stéphane Bouillon, Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, sur la stratégie nationale de résilience dans le domaine de la défense et de la sécurité nationale, commission de la défense nationale et des forces armées, 6 mars 2024.
([35]) Joseph Nye, Soft Power: The Means to Success in World Success, Public Affairs, New York, 2005.
([36]) European Commission, The Landscape of Hybrid Threats A Conceptual Model Public Version, Publications of the European Union, Luxembourg, 2021.
([37]) Alain Quinet, Economie de guerre, Economica, Paris, 2023.
([38]) Colonel Tugdual Vieillard-Baron, « Lutte contre les rétroactions sur le territoire national : quel rôle pour la Gendarmerie nationale ? », Revue Défense nationale, juin 2023.
([39]) Ibid, p. 47.
([40]) Ibid.
([41]) Ibid.
([42]) Yann Latil, "Une nouvelle forme de réserve pour renforcer la résilience de la Nation et élargir le réservoir de nos forces " Un monde en turbulence - Regards du CHEM 2019 - 68e session, article paru dans la Revue Défense nationale.
([43]) Ibid.
([44]) Audition, à huis clos, du général Thierry Poulette, commandant du centre du soutien des opérations et des acheminements (CSOA), et du lieutenant-colonel Yves Lamaty, commissaire militaire aux chemins de fer dans le cadre de la commission d’enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir, le 14 novembre 2023, Assemblée nationale.
([45]) Ibid.
([46]) Lors de son audition devant la commission de la Défense, le 7 juin 2023, le général Métayer estimait que « Nous sommes prisonniers de normes considérant que tel acte ne peut être réalisé que par un médecin ou un infirmier diplômé d’État. Des nations partenaires font réaliser ces actes par des paramédics qui sont loin d’avoir le niveau de nos infirmiers diplômés d’État. Je comprends que la direction du SSA ne veuille pas dégrader un service de santé qui est certainement un des meilleurs au monde, capable de cumuler savoir-faire tactiques, intégration dans une force militaire au combat et technicité. »
([47]) Ibid, p. 47.
([48]) Ibid.
([49]) Articles L2141-1 à L2142-1 du code de la défense. « La mobilisation générale met en œuvre l'ensemble des mesures de défense déjà préparées. La mise en garde consiste en certaines mesures propres à assurer la liberté d'action du Gouvernement, à diminuer la vulnérabilité des populations ou des équipements principaux et à garantir la sécurité des opérations de mobilisation ou de mise en œuvre des forces armées et formations rattachées. » (Article L2141-1).
([50]) Ordonnance n° 59-147 du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense. Article 3 « La mise en garde consiste en certaines mesures propres à assurer la liberté d'action du Gouvernement, à diminuer la vulnérabilité des populations ou des équipements principaux et à garantir la sécurité des opérations de mobilisation ou de mise en œuvre des forces militaires. »
([51]) Décret n° 64-102 du 1 février 1964 portant création de la commission interministérielle de défense opérationnelle du territoire.
([52]) Ibid p.49.
([53]) Laurent Marchand, « Sébastien Lecornu : Se préparer à la guerre, mais pas à celles d’hier », Ouest-France, 12 avril 2024.
([54]) Rapport d'information n° 585 (2010-2011) « La fonction « anticipation stratégique » : quel renforcement depuis le Livre blanc ? », M. Robert del PICCHIA, fait au nom de la commission des affaires étrangères et de la défense, Sénat, déposé le 8 juin 2011.
([55]) Anne Muxel, « Les jeunes et la guerre : représentations et dispositions à l’engagement », Étude n° 116, IRSEM, avril 2024.
([56]) Créé à l’été 2023 et placé sous l’autorité de l’amiral en charge des opérations aéronavales (ALOPS), ce centre du combat naval vise à exploiter les savoir-faire d’excellence de chaque force organique, optimiser leur préparation opérationnelle et adapter les doctrines d’emploi, pour maintenir la préparation au combat de la Marine au plus haut niveau.
([57]) Ibid, p. 72.
([58]) Audition devant la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale sur le projet de loi de finances 2023, le 5 octobre 2022.
([59]) « Les technologies émergentes et le futur de la guerre aérienne », Raphaël Briant, Revue de la Défense Nationale – Hors-série, 2023
([60]) Audition, à huis clos, du général de corps d'armée Jacques Langlade de Montgros, directeur du renseignement militaire, sur la situation militaire en Ukraine devant la commission de la défense nationale et des forces armées, le 12 juillet 2023.
([61]) Le partenariat d’innovation est un nouveau type de marché public qui a pour objectif de faciliter la passation de marchés publics à visée innovante et d’aider les acheteurs à faire une meilleure utilisation stratégique de leurs contrats pour stimuler l’innovation.
([62]) Gravimètre Interférométrique de Recherche à Atomes Froids Embarquable, un capteur développé par des chercheurs de l’ONERA qui permet de mesurer la gravité avec une précision extrême.
([63]) La DGA s’est engagée début mars au travers du projet Proqcima (notification d’accords-cadres auprès de 5 PME dans l’objectif de disposer en 2032 de deux prototypes d’ordinateur quantique.)
([64]) Laurent Lagneau, « Le ministère des Armées a lancé une procédure inhabituelle pour acquérir des drones de renseignement », Opex 360, 16 avril 2024.
([65]) Les Formations Militaires de la Sécurité Civile (ForMiSC) sont des unités de l’Armée de Terre qui appartiennent à l’arme du Génie. Elles sont, conformément au décret 88-286 du 24 mars 1988, mises pour emploi à la disposition de ministère de l’intérieur au sein de la Direction Générale de la Sécurité Civile et de la Gestion de Crises (DGSCGC).
([66]) MM. Joaquim Pueyo et Pierre Venteau, mission d’information flash sur les relations civilo-militaires à la lumière de la crise de la covid-19, juin 2020.
([67]) Yann Latil, "Une nouvelle forme de réserve pour renforcer la résilience de la Nation et élargir le réservoir de nos forces " Un monde en turbulence - Regards du CHEM 2019 - 68e session, Revue Défense nationale.
([68]) Colonel Tugdual Vieillard-Baron, « Lutte contre les rétroactions sur le territoire national : quel rôle pour la Gendarmerie nationale ? », Revue Défense nationale, juin 2023.
([69]) Ressources pédagogiques, « la DOT : quels enjeux et quels moyens ? », Chemins de mémoire, octobre 2023.
([70]) Ibid.
([71]) Réponse du ministère de la Défense à la question écrite n° 14722 de M. Hubert Haenel, mai 1999.
([72]) Lors de son audition devant la commission dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, le DGGN, le Général Rodriguez était notamment revenu sur les défis posés à la Gendarmerie nationale par la multiplication des crises et la nécessité de rénover la défense opérationnelle du territoire (DOT) : « Nous réfléchissons également à la résilience du territoire au côté des armées. Sur le territoire national, il faut repenser et moderniser la défense opérationnelle du territoire (DOT). »
([73]) Colonel Tugdual Vieillard-Baron, « Lutte contre les rétroactions sur le territoire national : quel rôle pour la Gendarmerie nationale ? », Revue Défense nationale, juin 2023.
([74]) Desportes, Vincent. « Une urgence : reconstruire la défense opérationnelle du territoire », Revue Défense Nationale, vol. 853, no. 8, 2022.
([75]) Article L. 2151-1 du code de la défense.
([76]) Ibid p.49.
([77]) Rapport d’information relatif aux sociétés militaires privées, MM. Christian Ménard et Jean-Claude Viollet, commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, février 2012.
([78]) Ibid, p.49.
([79]) Ibid, p.49.
([80]) « La gestion publique des risques », Cour des comptes, 9 juin 2023.
([81]) Laurent Marchand. Entretien, Sébastien Lecornu : « Se préparer à la guerre, mais pas à celles d’hier », Ouest France, le 12 avril 2024.
([82]) Nicolas Barotte. Amiral Vandier: «L’Occident réapprend l’emploi du langage nucléaire », Le Figaro, le 17 mai 2024.
([83]) Zebrowski, Chris (2015). Combattre la peur comme agent ennemi: Les apports de la résilience. Loughborough University. Journal contribution.
[84] LOI n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.
([85]) Didier Gros, Nicole Vilboux « Les relations armées/sociétés aux États-Unis », l’observatoire de la politique de défense américaine, Fondation pour la recherche stratégique, mars 2024.
([87]) Le MEAE a été désigné comme pilote de la stratégie nationale d’influence et prépare à cette fin un texte définissant les objectifs de cette politique publique tout en proposant une gouvernance interministérielle et en identifiant les leviers à la disposition de l’État.