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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 février 2021.
AVIS
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE SUR LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE complétant l’article 1er de la Constitution
et relatif à la préservation de l’environnement,
PAR M. Christophe AREND
Député
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Voir le numéro : 3787.
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SOMMAIRE
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Pages
II. La constitutionnalisation progressive de principes environnementaux dans le monde
1. Un phénomène mondial de constitutionnalisation de l’environnement
2. Une inscription consacrée en France par la Charte de l’environnement
4. L’initiative de la Convention citoyenne pour le climat
II. examen de l’article unique
liste des personnes auditionnées
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L’actualité des dernières années aussi bien en France que dans de nombreux autres pays du monde ne peut qu’alerter les responsables politiques et plus généralement les citoyens sur la rapide dégradation des équilibres climatiques et sur la perte de biodiversité. Cette dégradation paraît encore plus sensible que l’on ne pouvait l’imaginer il y a une ou deux décennies. Les événements climatiques extrêmes (tempêtes, précipitations plus fréquentes, sécheresse), la succession d’années battant des records de chaleur, la fonte des glaces, l’élévation continue du niveau des océans, etc. sont autant d’exemples des conséquences du réchauffement climatique dues à l’accumulation dans l’atmosphère de gaz à effet de serre, et en particulier de CO2.
Le cinquième et dernier rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publié en novembre 2018 souligne la nécessité de limiter la hausse moyenne des températures à 1,5° d’ici la fin du siècle afin de garantir un habitat soutenable à l’ensemble des habitants de la planète. En conséquence, le rapport rappelle que pour ne pas dépasser cet objectif, la neutralité carbone doit être un objectif explicite des politiques publiques, cet objectif impliquant de développer la capacité à ne pas émettre plus de CO2 que les écosystèmes sont capables d’en capturer. Encore plus récemment, une étude publiée par Météo France illustre les scénarios possibles de la hausse moyenne des températures en France d’ici 2100, montrant que cette hausse pourrait aller jusqu’à 3 à 4 degrés de plus en moyenne qu’aujourd’hui ([1]).
La diversité biologique est aussi menacée par de multiples facteurs, dont le réchauffement climatique. En mai 2019, la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) qui réunit différentes institutions onusiennes a ainsi constaté un dangereux déclin de la biodiversité avec plus de 1 million d’espèces animales et végétales qui seraient menacées ([2]).
Au vu de ces évolutions et de ces projections qui reflètent les déséquilibres affectant les écosystèmes naturels et le climat, le droit des individus à vivre dans un environnement sain paraît de plus en plus compromis. Néanmoins, depuis de nombreuses années, les gouvernements et représentants élus sont conscients du rôle qu’ils ont à jouer pour promouvoir des politiques respectueuses de l’environnement et contribuer à limiter les émissions de gaz à effet de serre. Cette prise de conscience est aussi celles des citoyens qui se mobilisent dans de nombreux pays pour promouvoir la protection de l’environnement.
I. UN ENGAGEMENT TOUJOURS PLUS IMPORTANT DE LA FRANCE EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES
1. La COP 21 qui s’est tenue à Paris en 2015 a marqué une avancée importante en termes de lutte contre le dérèglement climatique
Depuis les années 1970 qui ont été marquées par une première prise de conscience des risques de dégradation de l’environnement et d’épuisement des ressources naturelles, de nombreuses initiatives internationales ont vu le jour pour que les États coordonnent leurs efforts afin de mener des politiques plus respectueuses de l’environnement, notamment pour limiter les effets des activités humaines sur celui-ci.
En 1972, un premier sommet international a lieu à Stockholm. Des sujets émergent alors comme la dégradation de la couche d’ozone, et progressivement celui des changements climatiques. Le changement climatique interroge dans un premier temps les scientifiques. La plupart d’entre eux estiment que la pollution causée par les activités humaines affecte les équilibres climatiques, notamment en raison de la concentration toujours croissante de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère que ces activités provoquent et qui conduit à une élévation tendancielle des températures.
En 1992, le sommet de la Terre à Rio fait réellement entrer la communauté internationale dans un système juridique et de dialogue pour limiter la dégradation du climat et de la biodiversité. C’est à l’occasion de ce sommet que les premières conventions internationales sur la protection de l’environnement et sur la diversité biologique sont élaborées. Le sommet de Rio conduit à la création de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC) dont le secrétariat permanent est assuré par l’ONU. Cette Convention cadre prévoit la réunion régulière des pays signataires au sein de conférences des parties (COP). La conférence des parties qui a lieu à Kyoto en 1997 permet aux pays de s’accorder sur un premier objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Parallèlement, dès la fin des années 1980, des scientifiques se rassemblent au sein du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC ou IPCC en anglais), instance internationale de recherche et de partage des données. Ce groupe fait une recension régulière de ses travaux dans des rapports qui exposent les évolutions constatées du climat et expliquent les conséquences des émissions de gaz à effet de serre sur celui-ci ainsi que les quantités d’émissions qu’il faut viser ou ne pas dépasser pour limiter la hausse des températures.
Lors de la 21e conférence des parties à Paris en décembre 2015, un accord très ambitieux a été signé par l’ensemble des États parties. La présidence française de cette COP portait l’ambition de trouver un consensus mondial afin que tous les pays œuvrent pour que l’élévation de la température moyenne ne dépasse pas 1,5 degré d’ici la fin du XXIe siècle. 195 États du monde étaient présents à cette conférence et ont signé le 12 décembre 2015 l’accord dit accord de Paris, qui, selon son article 2, « vise à renforcer la riposte mondiale à la menace des changements climatiques, notamment en contenant l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels. »
Pour respecter cet objectif, chaque État signataire doit établir sa contribution déterminée au niveau national (CDN) en termes d’émissions de gaz à effet de serre. Ces contributions qui doivent être actualisées tous les cinq ans ont un caractère relativement contraignant pour les 183 pays qui, aujourd’hui, ont ratifié l’accord.
2. Depuis 2015, les textes internationaux et communautaires renforcent les obligations de protection de l’environnement et contre le dérèglement climatique
La préservation de l’environnement ne se résume par ailleurs pas à la question du changement climatique et l’ONU élabore et actualise depuis plusieurs décennies des objectifs dits aujourd’hui de développement durable (ODD) afin de promouvoir les droits humains et le développement. Ces objectifs sont actuellement au nombre de 17 et touchent de nombreux domaines comme l’égalité entre les sexes ou le droit à l’éducation par exemple. Concernant le sujet qui nous intéresse plus particulièrement, outre l’objectif de protéger l’environnement, la lutte contre le réchauffement climatique, le développement du recyclage, la protection des forêts, la réduction de la consommation de plastique, ou encore le développement de transports durables constituent des objectifs de développement durable. En septembre 2015, l’ONU a adopté une résolution pour mettre en œuvre ces objectifs d’ici 2030 ([3]).
Si le droit international, notamment la Convention cadre des Nations Unies, a une portée contraignante relativement faible mais qui a été renforcée avec l’accord de Paris, il n’en est pas de même pour le droit communautaire qui oblige les États membres à agir dans un effort commun pour atteindre les objectifs fixés par l’Union européenne.
Le droit européen mentionne le développement durable ainsi que la préservation et la protection de l’environnement comme des objectifs et des domaines de la compétence de l’Union (compétence qu’elle partage avec les États membres).
Article 3 du traité sur l’Union européenne
« […]
« 5. Dans ses relations avec le reste du monde, l’Union affirme et promeut ses valeurs et ses intérêts et contribue à la protection de ses citoyens. Elle contribue à la paix, à la sécurité́, au développement durable de la planète, à la solidarité́ et au respect mutuel entre les peuples, au commerce libre et équitable, à l’élimination de la pauvreté́ et à la protection des droits de l’homme, en particulier ceux de l’enfant, ainsi qu’au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la charte des Nations Unies. »
Article 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
« 1. La politique de l’Union dans le domaine de l’environnement contribue à la poursuite des objectifs suivants :
— la préservation, la protection et l’amélioration de la qualité́ de l’environnement,
— la protection de la santé des personnes,
— l’utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles,
— la promotion, sur le plan international, de mesures destinées à faire face aux problèmes régionaux ou planétaires de l’environnement, et en particulier la lutte contre le changement climatique.
« […] »
L’un des piliers de la politique européenne de lutte contre le changement climatique est le système d'échange de quotas d'émission (SEQE ou ETS en anglais) qui est un marché d’échange de droits d’émission de CO2 auxquels ont accès un certain nombre d’entreprises. Ce marché a été mis en place en 2005. Il fonctionne entre 30 pays, dont les 27 États membres de l’UE actuelle, concerne plus de 11 000 entreprises et le secteur aérien (soit environ au total 45 % des GES émis dans l’UE). Ce système d’échanges permet la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre car il sanctionne les entreprises qui ne pourraient pas prouver qu’elles ont couvert leurs émissions de GES par la quantité de quota correspondante. D’après la Commission européenne, en 2020, les émissions des secteurs couverts par le système seront inférieures de 21 % par rapport aux niveaux de 2005.
Par ailleurs, dix ans après le protocole de Kyoto, en 2007, l’Union européenne se fixe des objectifs pour 2020. Trois objectifs sont communs à tous les pays de l’UE : réduire les émissions de gaz à effet de serre de 20 % (par rapport aux niveaux de 1990), porter à 20 % la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie de l’UE et améliorer l’efficacité énergétique de 20 %. La traduction juridique de ces engagements a été finalisée en 2009.
En 2014, des engagements ont été pris pour 2030. Il a alors été prévu qu’en 2030, les émissions de gaz à effet de serre des pays de l’UE seraient réduites de 40 % par rapport au niveau d’émission de 1990. L’Union européenne s’est engagée sur cet objectif en tant que partie de l’accord de Paris. La part des énergies renouvelables doit également augmenter dans l’ensemble des énergies utilisées à 32 %, et l’efficacité énergétique doit être davantage améliorée (à 32 % aussi de baisse en comparaison d’une mesure historique).
À partir de 2016, pour approfondir le cadre européen de protection de l’environnement et pour inciter les États membres à respecter les engagements pris dans l’accord de Paris, l’Union européenne a commencé à élaborer un ensemble de règlements et de directives qui s’est traduit en français par le « paquet Énergie propre » (ou « Clean energy for all European package »). Ont été affirmés à travers ces textes les objectifs d’amélioration de la part des énergies renouvelables, d’amélioration de l’efficacité énergétique, notamment de l’efficacité énergétique des bâtiments, et de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Cette politique communautaire a institué, au cœur du paquet Énergie propre, un nouveau système de gouvernance qui doit conduire chaque État membre à élaborer un plan national intégré en matière d’énergie et de climat (PNEC) explicitant les mesures qu’il va prendre pour réduire ses émissions de GES, promouvoir les énergies renouvelables et réduire la consommation d’énergie sur une première période de dix ans.
En septembre 2020, la Commission européenne a engagé l’Union sur des objectifs encore beaucoup plus ambitieux à l’horizon 2050, à savoir réduire d’au moins 80 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, et être un ensemble de pays neutres en termes d’émissions de CO2. Ce plan, présenté comme un « Green deal », illustre les ambitions de l’UE en matière de lutte contre le réchauffement climatique et la réduction de la consommation d’énergie.
Ces engagements communautaires ont trouvé des traductions législatives en droit français avec le vote de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 pour la transition énergétique et la croissante verte qui a prévu l’élaboration de deux documents stratégiques décrivant les actions de la France à court et moyen termes pour réduire les émissions de CO2 et améliorer l’efficacité énergétique : d’une part, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PEE), et d’autre part, la stratégie nationale bas carbone (SNBC). Ces deux politiques entrent dans le cadre des PNEC. Elles traduisent l’engagement de la France à respecter les objectifs communautaires ([4]).
Enfin, avec le vote de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat, la France s’est fixé des objectifs encore plus ambitieux en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La loi, rappelant l’urgence climatique, affirme la volonté de la France de réduire de 40 % la consommation d’énergies fossiles – par rapport à 2012 – d’ici 2030 (ce qui va au-delà de ses engagements européens pour 2030) et instaure un Haut Conseil pour le climat ([5]).
Pour respecter les objectifs internationaux et les règlements communautaires, la France affirme pour la première fois son objectif d’atteindre « la neutralité carbone à l’horizon » 2050, en lieu et place d’une réduction par quatre des émissions de gaz à effet de serre mesurées entre 1990 et 2050.
L’ensemble des éléments brièvement exposés ci-dessus illustre le nombre important de textes internationaux, communautaires et nationaux qui obligent la France en termes de protection de l’environnement et plus particulièrement de lutte contre les changements climatiques, avec des politiques ambitieuses de réduction des émissions de GES.
II. La constitutionnalisation progressive de principes environnementaux dans le monde
1. Un phénomène mondial de constitutionnalisation de l’environnement
La mention des termes d’environnement et de développement durable, la nécessité de préserver l’environnement, la biodiversité ou encore les ressources naturelles, le droit des individus à un environnement sain, le droit des générations futures à bénéficier d’une terre habitable apparaissent aujourd’hui dans de nombreuses constitutions. Plus de 145 États dans le monde en font mention d’une manière ou d’une autre. Les États-Unis sont un des rares pays développés à ne faire aucune mention, dans la Constitution fédérale, de l’environnement et des droits des individus à un environnement sain ([6]).
Ces droits au développement durable et à l’environnement ainsi que l’émergence d’un droit interne contraignant les États à respecter la nature et à lutter contre la dégradation de l’environnement et de la biodiversité sont apparus comme une troisième génération de droits humains. Ils sont de plus en plus promus, dans la mesure où la jouissance des droits de l’homme apparaît de plus en plus conditionnée à la préservation des conditions de vie naturelles actuelles elles-mêmes menacées par le changement climatique et la raréfaction de certaines ressources.
La Cour européenne des droits de l’homme a estimé dans un arrêt de principe du 9 décembre 1994 (Lopez Ostra c/ Espagne, aff. n° 16798/90) que pouvait être déduit de l’article 8 de la Convention, qui proclame le droit à une vie privée et familiale normale, le droit de vivre dans un environnement sain.
Les pays européens n’apparaissent pas nécessairement comme les plus en pointe sur ces sujets, n’ayant pas toujours révisé leur Constitution dans cette perspective au cours des dernières décennies. L’Italie est le premier pays qui, adoptant une Constitution en 1947 à la sortie de la guerre, a proclamé en son article 9 que « La République (...) protège le paysage et le patrimoine historique et artistique de la Nation ». La Constitution espagnole en 1976 a affiché une plus grande ambition en proclamant le droit de chacun à vivre dans un environnement adéquat tout en ayant le devoir de le protéger, et en obligeant les personnes publiques à veiller à la qualité de vie, en veillant à l’utilisation rationnelle des ressources naturelles et à la préservation de l’environnement (cf. article 45) ([7]).
Enfin, à titre de comparaison, l’Allemagne a complété sa Constitution en 1992 par l’article 20 A rédigé comme suit :
Les principes environnementaux dans la Loi fondamentale allemande
Article 20 A
« Assumant ainsi également sa responsabilité pour les générations futures, l’État protège les fondements naturels de la vie et les animaux par l’exercice du pouvoir législatif, dans le cadre de l’ordre constitutionnel, et des pouvoirs exécutif et judiciaire, dans les conditions fixées par la loi et le droit. »
La consécration constitutionnelle de la protection de l’environnement prend alors la forme d’une finalité assignée à l’État (Staatsziele). Elle oblige les responsables politiques et en particulier le législateur à agir dans ce sens, mais elle ne crée pas un droit pour les particuliers équivalant aux droits fondamentaux consacrés par le texte constitutionnel. Elle peut évoluer selon l’état des connaissances sur l’environnement, la situation économique et l’appréciation politique du législateur. Les « conditions naturelles de la vie » désignent ici l’environnement, ce qui comprend toutes ses composantes, parmi lesquelles l’eau, l’air, le sol, la biodiversité, le climat ou les paysages.
La protection de l’environnement y est envisagée dans une perspective anthropocentrée, alors que d’autres États, non européens pour la plupart, ont commencé à considérer la nature comme un sujet de droit qu’il faut protéger à la fois pour elle-même et pour les générations futures (cf. par exemple la constitution de l’Équateur adoptée en 2008 ([8])).
En comparaison, le nombre de pays ayant choisi de faire figurer explicitement les enjeux liés au changement climatique dans leur Constitution est relativement faible. Les dix pays qui actuellement font figurer la lutte contre le changement ou dérèglement climatique dans leur constitution l’ont fait assez récemment et sont dans l’ensemble des pays émergents dont certains sont particulièrement touchés par les conséquences du réchauffement climatique et la dégradation des habitats naturels. La liste de ces pays et des dispositions concernées sont présentées ci-dessous.
La république de Cuba qui a adopté, à la suite à d’un vote par référendum, une nouvelle constitution en 2019, met aussi l’accent sur la protection de l’environnement parmi les objectifs assignés à l’État (notamment dans ses articles 23 et 24 qui mentionnent les biens communs).
Pays |
Citation |
Article |
Bolivie |
« Les objectifs de la politique de l’État en matière de développement rural global, en coordination avec les entités territoriales autonomes et décentralisées sont les suivants : |
Art. 407 |
Côte d’Ivoire |
« Nous, peuple de Côte d’Ivoire ; |
Préambule |
République dominicaine |
« La formulation et l’exécution, par la loi, d’un plan d’ordonnancement territorial qui assure l’utilisation efficace et durable des ressources naturelles de la Nation, conformément à la nécessité de l’adaptation au changement climatique, sont une priorité de l’État. » |
Art. 195 |
Équateur |
« L’État doit adopter des mesures adéquates et transversales pour atténuer les changements climatiques, en limitant les émissions de gaz à effet de serre, la déforestation et la pollution de l’air ; il prend des mesures pour la conservation des forêts et de la végétation ; et il doit protéger la population à risque. » |
Art. 414 |
Népal |
« L’État poursuit les politiques suivantes : |
Art. 51 |
Thaïlande |
« Des réformes nationales dans divers domaines doivent être menées pour au moins atteindre les résultats suivants : |
Section 258 |
Tunisie |
« L’État garantit le droit à un environnement sain et équilibré et contribue à la sécurité du climat. L’État fournit les moyens nécessaires à l’élimination de la pollution environnementale. » |
Art. 45 |
Venezuela |
« C’est une obligation fondamentale de l’État, avec l’active participation de la société, de garantir que la population puisse se mouvoir dans un environnement libre de contamination, où l’air, l’eau, les sols, les côtes, le climat, la couche d’ozone, les espèces vivantes, soient particulièrement protégés, en conformité avec la loi. » |
Art. 127 |
Vietnam |
« L’État a une politique de protection de l’environnement ; gère et utilise efficacement et de manière stable les ressources naturelles ; protège la nature et la biodiversité ; prend des initiatives en matière de prévention et de résistance contre les calamités naturelles et répondant au changement climatique. » |
Art. 53 |
Zambie |
« L’État doit dans l’utilisation des ressources naturelles et dans la gestion de l’environnement : […] g) prendre et mettre en œuvre des mécanismes qui traitent du changement climatique » |
Art. 257 |
Source : Tableau réalisé à l’aide des contributions de M. Michel Prieur et de Mme Christel Cournil.
2. Une inscription consacrée en France par la Charte de l’environnement
L’introduction de la Charte de l’environnement dans le corpus constitutionnel français est une étape fondamentale de la constitutionnalisation de l’objectif de préservation de l’environnement et du droit de chacun à vivre dans un environnement sain. Cette charte a été introduite par le vote en Congrès de la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 5 mars 2005 (cf. ci-dessous). Son élaboration avait été confiée à un comité de scientifiques et de personnalités, présidé par M. Yves Coppens. La Charte de l’environnement est l’aboutissement d’un long travail de réflexion sur la place de l’environnement dans notre société et sur la nécessité d’œuvrer pour un développement durable. La Charte est un texte « hybride » qui comporte des considérants rappelant des grands principes et objectifs et dix articles qui établissent des droits et devoirs pour toute personne, ce qui inclut les collectivités publiques, mais pas seulement. Ainsi la Charte s’adresse à tout un chacun et oblige le législateur à garantir certains droits, notamment le droit à l’information du public en son article 7. La Charte par ailleurs constitutionnalise le principe de précaution en son article 5.
S’il ne faisait aucun doute pour le constituant que cette Charte annexée au préambule de la Constitution qui la mentionne devait recevoir sa pleine valeur constitutionnelle au même titre que les autres textes mentionnés dans le préambule, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, le Conseil Constitutionnel n’a confirmé cette hypothèse que dans une décision de 2008, alors qu’il était saisi d’une loi relative aux organismes génétiquement modifiés (DC 2008-564 du 19 juin 2008, loi relative aux organismes génétiquement modifiés). Il a alors énoncé dans un considérant de principe que l’ensemble de la Charte de l’environnement avait valeur constitutionnelle ([9]).
Cette première décision sur la Charte de l’environnement a incité les députés et sénateurs lors de saisines du Conseil constitutionnel a priori sur les lois non encore promulgués à invoquer la Charte. Cependant, le Conseil Constitutionnel a eu peu d’occasions de s’appuyer sur ce texte pour censurer des dispositions législatives. La Charte a également été invoquée lors de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) à partir de 2010.
L’introduction de la QPC a montré les difficultés que les juges pouvaient rencontrer dans l’interprétation des considérants et articles de la Charte et dans le statut de ses dispositions au regard de l’article 61-1 de la Constitution. En effet, la question s’est posée à de nombreuses reprises de savoir si les articles de la Charte constituaient des « droits et libertés que la Constitution garantit ». En 2011, le Conseil a rendu une importante décision QPC (QPC du 8 avril 2011 n° 2011-116, Michel Z et autres) où il a établi que les articles 1er et 2 de la Charte peuvent être invoqués à l’appui d’une QPC (de même que l’article 7) et qu’ils créent des droits entre les particuliers comme entre l’État et les citoyens. Pour le Conseil, il existe donc un devoir de chacun de préserver l’environnement et une responsabilité en cas de manquement (qui constitue une forme de devoir de vigilance).
Dans le même temps et à travers d’autres décisions, le Conseil constitutionnel a refusé l’invocabilité, dans le cadre de QPC, d’autres articles de la Charte, comme son article 6. De même, les considérants de la Charte n’entrent pas dans la catégorie des droits et libertés garantis par la Constitution.
La Charte de l’environnement est davantage évoquée devant les juridictions administratives qui voient des actes réglementaires contestés pour non-respect des principes qu’elle proclame. Les juridictions administratives rappellent, elles aussi, la valeur constitutionnelle de la Charte et peuvent également censurer des actes réglementaires si une loi ne fait pas écran (notamment pour méconnaissance du principe de précaution) ou si le législateur a manqué ou n’a pas suffisamment encadré les règles relatives à l’information et à la participation du public.
Charte de l’environnement (loi constitutionnelle n° 2005-205 du 5 mars 2005 relative à la Charte de l'environnement)
Le peuple français,
Considérant :
Que les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l'émergence de l'humanité ;
Que l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel ;
Que l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains ;
Que l'homme exerce une influence croissante sur les conditions de la vie et sur sa propre évolution ;
Que la diversité biologique, l'épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de consommation ou de production et par l'exploitation excessive des ressources naturelles ;
Que la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ;
Qu'afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins,
PROCLAME :
Article 1er. Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.
Article 2. Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement.
Article 3. Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences.
Article 4. Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi.
Article 5. Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage.
Article 6. Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social.
Article 7. Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement.
Article 8. L'éducation et la formation à l'environnement doivent contribuer à l'exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte.
Article 9. La recherche et l'innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l'environnement.
Article 10. La présente Charte inspire l'action européenne et internationale de la France.
Préserver l’environnement, protéger la biodiversité et lutter contre les changements climatiques apparaissent aussi comme des objectifs que le législateur a assignés au droit de l’environnement. Ce droit de l’environnement repose sur des principes et des objectifs, comme le rappelle l’article L. 110-1 du code de l’environnement, complété à plusieurs reprises. Nombre de ces principes sont ceux qui figurent dans la Charte de l’environnement mais ils sont ici exposés de manière plus précise. Cet article mentionne explicitement la biodiversité qui fait partie du patrimoine commun de la Nation et la lutte contre le changement climatique qui fait partie des objectifs de développement durable.
Par ailleurs, la législation française depuis au moins les années 1970 ne manque pas de textes visant à protéger l’environnement, par des réglementations relatives à la protection des paysages, de l’eau, de la montagne et des littoraux, à la réglementation de la chasse, à l’aménagement du territoire, à la réglementation des installations dangereuses ou polluantes et à l’information du public, ou encore à l’évaluation de l’impact environnemental des projets…
Article L. 110-1 du code de l’environnement (modifié pour la dernière fois par la loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 portant création de l'Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l'environnement)
I. - Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l'air, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation. Ce patrimoine génère des services écosystémiques et des valeurs d'usage.
Les processus biologiques, les sols et la géodiversité concourent à la constitution de ce patrimoine.
On entend par biodiversité, ou diversité biologique, la variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques, ainsi que les complexes écologiques dont ils font partie. Elle comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces, la diversité des écosystèmes ainsi que les interactions entre les organismes vivants.
On entend par géodiversité la diversité géologique, géomorphologique, hydrologique et pédologique ainsi que l'ensemble des processus dynamiques qui les régissent, y compris dans leurs interactions avec la faune, la flore et le climat.II. - Leur connaissance, leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état, leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu'ils fournissent sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants :
1° Le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ;
2° Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable. Ce principe implique d'éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu'elle fournit ; à défaut, d'en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n'ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées ;
Ce principe doit viser un objectif d'absence de perte nette de biodiversité, voire tendre vers un gain de biodiversité ;
3° Le principe pollueur-payeur, selon lequel les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur ;
4° Le principe selon lequel toute personne a le droit d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques ;
5° Le principe de participation en vertu duquel toute personne est informée des projets de décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement dans des conditions lui permettant de formuler ses observations, qui sont prises en considération par l'autorité compétente ;
6° Le principe de solidarité écologique, qui appelle à prendre en compte, dans toute prise de décision publique ayant une incidence notable sur l'environnement des territoires concernés, les interactions des écosystèmes, des êtres vivants et des milieux naturels ou aménagés ;
7° Le principe de l'utilisation durable, selon lequel la pratique des usages peut être un instrument qui contribue à la biodiversité ;
8° Le principe de complémentarité entre l'environnement, l'agriculture, l'aquaculture et la gestion durable des forêts, selon lequel les surfaces agricoles, aquacoles et forestières sont porteuses d'une biodiversité spécifique et variée et les activités agricoles, aquacoles et forestières peuvent être vecteurs d'interactions écosystémiques garantissant, d'une part, la préservation des continuités écologiques et, d'autre part, des services environnementaux qui utilisent les fonctions écologiques d'un écosystème pour restaurer, maintenir ou créer de la biodiversité ;
9° Le principe de non-régression, selon lequel la protection de l'environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l'environnement, ne peut faire l'objet que d'une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment.
III. - L'objectif de développement durable, tel qu'indiqué au II est recherché, de façon concomitante et cohérente, grâce aux cinq engagements suivants :
1° La lutte contre le changement climatique ;
2° La préservation de la biodiversité, des milieux, des ressources ainsi que la sauvegarde des services qu'ils fournissent et des usages qui s'y rattachent ;
3° La cohésion sociale et la solidarité entre les territoires et les générations ;
4° L'épanouissement de tous les êtres humains ;
5° La transition vers une économie circulaire.
IV. - L'Agenda 21 est un projet territorial de développement durable.
3. La volonté d’une inscription, dans le texte même de la Constitution, de l’objectif de préservation de l’environnement
L’idée d’inscrire dans le texte même de la Constitution une disposition concernant l’environnement et sa préservation et plus particulièrement l’inscription d’une disposition concernant la lutte contre le changement climatique ne date pas de l’institution de la Convention citoyenne pour le climat en 2019. En 2005, lorsque le constituant a adopté la Charte de l’environnement, il a également complété l’article 34 de la Constitution relatif aux matières qui relèvent de la compétence du législateur pour y faire figurer « la préservation de l’environnement ». Lors de la révision du 23 juillet 2008, les compétences du Conseil économique, social et environnemental ont été élargies, précisément aux questions environnementales.
Depuis 2008, le texte constitutionnel n’a pas évolué. Néanmoins, la protection de l’environnement de manière générale, et plus particulièrement la lutte contre le changement climatique et la pollution de l’air, ou encore les enjeux liés à la consommation d’énergies fossiles n’ont cessé d’être au cœur de l’actualité et de susciter l’intérêt des citoyens comme du législateur qui, avec des gouvernements successifs et sous diverses majorités, a renforcé l’ambition de la France dans ces domaines en fixant des objectifs et en imposant de nouvelles obligations.
Ces évolutions se sont faites sans modification de la Constitution et dans un cadre juridique où la Charte de l’environnement restait appliquée avec une certaine prudence.
Dans ce contexte, des appels à une modification de la Constitution se sont fait entendre en France en 2015 lors de la COP 21 qu’elle organisait. Cet événement coïncidait avec les dix ans de la Charte de l’environnement. Un certain nombre d’éléments incitaient à un renforcement de la protection de l’environnement dans les politiques publiques et plus particulièrement pour un renforcement de la protection juridique du droit à un environnement sain et des obligations des États pour lutter contre les changements climatiques, lutte qui est l’objet même des réunions de la Conférence des parties.
D’une part, depuis les années 2000, de plus en plus de pays ont fait figurer dans leur Constitution des dispositions sur la préservation de l’environnement et des ressources naturelles et cela, de manière de plus en plus précise pour certains pays (comme en Équateur et en Colombie par exemple – cf. supra). D’autre part, la lutte contre le changement climatique a fait son apparition dans le corpus constitutionnel de certains pays comme un objectif pour les États, voire comme une obligation qui leur incombait.
Les pays européens, qui pour un certain nombre d’entre eux avaient fait apparaître des dispositions sur l’environnement dans leur Constitution au cours des décennies précédentes, n’avaient alors pas opéré de révision sur le seul thème du changement climatique.
Or entre l’élaboration de la Charte de l’environnement en 2003/2004 et le milieu des années 2010, la fréquence d’événements climatiques extrêmes constatés dans le monde entier, la succession de périodes battant des records de chaleur, les mesures sur la concentration de gaz à effet de serre, la perte de biodiversité, l’artificialisation des sols, la montée du niveau des océans ont montré l’urgence de limiter l’effet des activités humaines sur les écosystèmes naturels et le climat, et notamment la nécessité de limiter la hausse de la température moyenne à un horizon relativement court.
En 2017, alors que la CCNUCC préparait la COP 23 qui s’est déroulée à Bonn, plus de 15 000 scientifiques ont alerté sur les dangers inéluctables de l’élévation du niveau moyen des températures et l’urgence à agir.
La même année, à l’occasion de la campagne présidentielle, une réflexion est lancée sur le sujet de la constitutionnalisation non pas du droit de l’environnement qui existe dans le corpus législatif, mais des fondements de ce droit, c’est-à-dire des principes et objectifs que doit poursuivre l’État ou la République pour préserver l’environnement et garantir la pérennité des écosystèmes pour les citoyens d’aujourd’hui et de demain.
D’autres initiatives avaient émergé comme la plateforme « Notre affaire à tous », créée dès 2015 sous la forme d’une association cherchant à œuvrer pour la justice climatique et le développement d’outils juridiques permettant de faire avancer la protection de l’environnement. Cette association a participé avec plusieurs dizaines d’autres associations et ONG à l’élaboration de propositions pour modifier la Constitution française en ce sens.
Il est donc apparu à ces différents acteurs, comme également à un certain nombre de juristes et de scientifiques que le texte constitutionnel dans sa forme actuelle n’était plus suffisant ou adapté aux enjeux et à l’urgence climatique, parce qu’il laissait reposer l’ensemble du sujet sur la Charte de l’environnement qui connaît certaines limites.
Ces réflexions ont été entendues par le Gouvernement qui en 2018, lors de la discussion du projet de loi constitutionnelle n° 911 pour une démocratie plus représentative, plus responsable et plus efficace a proposé de modifier l’article 34 de la Constitution. L’article 2 du projet de loi proposait la modification suivante : « Au quinzième alinéa de l’article 34 de la Constitution, après le mot : « environnement », sont insérés les mots : « et de l’action contre les changements climatiques ».
La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire s’était saisie pour avis et avait adopté alors deux amendements, d’une part pour compléter les considérants de la Charte de l’environnement ([10]) et d’autre part, pour inscrire non à l’article 34 mais à l’article 1er de la Constitution l’objectif de la préservation de l’environnement à travers la phrase suivante : « Elle assure la préservation de l’environnement. » ([11]).
Il a été proposé, en conséquence, de supprimer l’article 2 du projet de loi afin de ne pas modifier l’article 34 de la Constitution.
Lors de la discussion en séance publique du projet de loi constitutionnelle précité, l’amendement suivant a été adopté :
Après la troisième phrase du premier alinéa de l’article 1er de la Constitution, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Elle agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques. » La discussion du projet de loi n’est pas allée jusqu’à son terme. Le projet de loi a été retiré le 29 août 2019.
En 2019, le Gouvernement a déposé un projet de loi constitutionnelle n° 2203 pour un renouveau de la vie démocratique. Son article 1er dispose : « Après la troisième phrase du premier alinéa de l’article 1er de la Constitution, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Elle favorise la préservation de l’environnement, la diversité biologique et l’action contre les changements climatiques. » Le projet de loi n’a pas été inscrit à l’ordre du jour.
4. L’initiative de la Convention citoyenne pour le climat
La succession des grands débats ouverts en France à l’initiative du Président de la République a notamment conduit à la mise en place de la « Convention citoyenne pour le climat ». Elle a réuni, pendant plusieurs mois, 150 citoyens tirés au sort au sein d’un panel représentatif de la population française entre octobre 2019 et juin 2020 qui ont débattu et pu entendre experts scientifiques et juristes. La mission des participants consistait à définir une série de mesures permettant d’atteindre une baisse d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à 1990). Cette démarche innovante de participation directe de la population dans la réflexion sur les politiques environnementales et les actions à mener pour lutter contre le dérèglement climatique a mis en lumière la préoccupation croissante des Français pour l’écologie et la nécessité d’avoir des débats publics relatifs à la protection de l’environnement, à l’utilisation des ressources, à la consommation d’énergie, aux modes de production et de déplacement ou encore à l’alimentation.
À l’issue des travaux, parmi les 149 propositions de la Convention, figurait celle visant à compléter l’article 1er de la Constitution par la phrase suivante ; « La République garantit la préservation de la biodiversité, de l'environnement et lutte contre le dérèglement climatique. »
Pour les participants, il a semblé important de donner une portée concrète à leur volonté manifeste de préserver la biodiversité, l’environnement et de lutter contre le dérèglement climatique. Inscrire un tel objectif contraignant à l’article 1er de notre loi fondamentale démontrerait l’ambition de la France sur ces sujets.
Cet ajout à l’article 1er de notre Constitution voulu par la Convention citoyenne pour le climat renforcera le droit en matière d’environnement, de biodiversité et de lutte contre le dérèglement climatique. De même, le droit ainsi renforcé donnera un sens encore plus fort à la Constitution.
C’est pourquoi les participants de la Convention citoyenne pour le climat ont conçu la proposition d’une révision de la Constitution comme une démarche complémentaire à l’évolution nécessaire des normes législatives et réglementaires.
Dans l’esprit de la Convention citoyenne pour le climat, sa proposition de modification de la Constitution est donc nécessairement complémentaire de la mise en œuvre de ses autres propositions, dont un certain nombre seront traduites au travers du projet de loi dit « climat et résilience » déposé par le Gouvernement le 10 février 2021 devant notre Assemblée.
III. UN NOMBRE CROISSANT DE CONTENTIEUX RÉCENTS QUI MONTRENT LES LIMITES DU DROIT CONSTITUTIONNEL ACTUEL
La Charte de l’environnement a représenté une grande avancée en droit interne pour mettre en lumière l’importance de préserver l’environnement comme cadre de vie commun et d’œuvrer pour un développement durable. Comme nous l’avons rappelé, la Charte a une valeur constitutionnelle. Néanmoins, elle a fait l’objet d’une interprétation relativement prudente à la fois de la part des juridictions administratives et judiciaires et de celle du Conseil constitutionnel. Celui-ci n’a jamais consacré une prééminence du droit de l’environnement sur d’autres objectifs à valeur constitutionnelle, ni a fortiori sur les droits et libertés garantis par la Constitution, même s’il accepte de prendre en compte la conciliation nécessaire entre l’objectif de protection de l’environnement et les droits et libertés constitutionnels.
Le Conseil constitutionnel a souvent été amené à combiner plusieurs articles soit de la Charte et de la Constitution, soit de la Charte et d’autres dispositions du préambule pour tirer des conséquences des articles de la Charte en termes de droits ou d’obligations.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel n’a pas, non plus, consacré un principe de non-régression qui empêcherait le législateur de revenir sur une législation visant la protection de l’environnement pour amoindrir celle-ci. Le Conseil constitutionnel estime que ce principe ne revêt pas de valeur constitutionnelle, même s’il dit dans une décision récente relative à la loi réautorisant temporairement l’usage d’insecticides contenant des néonicotinoïdes pour protéger les cultures de betteraves que le législateur ne peut ignorer le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement mentionné à l'article 2 de la Charte de l'environnement (DC 2020-809 du 10 décembre 2020, Loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières) ([12]).
Néanmoins, des avancées importantes sont à noter ces toutes dernières années. Ainsi, le Conseil constitutionnel a noté, et cela est remarquable, dans la décision DC 2020-809 précitée, qu’il ne peut être porté au droit à un environnement sain consacré par l’article 1er de la Charte que des restrictions justifiées par des motifs d’intérêt général suffisants : « Les limitations portées par le législateur à l'exercice de ce droit ne sauraient être que liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi. » (cf. considérant 14 de la décision).
Une décision QPC du Conseil constitutionnel du 31 janvier 2020 (QPC n° 2019-823 soulevée par l’Union des industries de la protection des plantes) marque une avancée importante quant à la place de la préservation de l’environnement dans l’ensemble des normes constitutionnelles, le considérant 4 énonçant qu’« Aux termes du préambule de la Charte de l'environnement : « l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel … l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains… la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation … afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ». Il en découle que la protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle ».
Ainsi, le Conseil se réfère explicitement aux considérants de la Charte et élève la protection de l’environnement au rang d’objectif à valeur constitutionnelle qui peut donc être mis en regard d’autres objectifs à valeur constitutionnelle ou droits et libertés définis dans le texte constitutionnel ou son préambule, comme en l’occurrence la liberté d’entreprendre, et justifier des limitations proportionnées à cette liberté.
Par ailleurs, les juridictions administratives, le Conseil d’État d’une part et le tribunal administratif de Paris d’autre part, ont rendu ces derniers mois deux décisions dans des affaires où, pour la première fois, les requérants cherchaient à mettre en cause la responsabilité de l’État en tant qu’il n’agit pas suffisamment ou pas assez rapidement pour lutter contre le changement climatique.
Le 19 novembre 2020, le Conseil d’État a rendu son arrêt dans l’affaire dite « Grande Synthe », du nom de la commune qui avait contesté l’absence de réponse de l’État face à sa demande que soient prises des mesures plus fortes pour lutter contre le réchauffement climatique ([13]) . Si le Conseil d’État reste prudent dans son arrêt vis-à-vis de la responsabilité de l’État en cas de non-respect de ses engagements internationaux et communautaires, il demande à celui-ci de justifier que les mesures qu’il a prises et s’apprête à prendre d’ici 2030 sont et seront suffisantes pour réduire de 40 % les émissions de GES par rapport à 1990, doutant en l’état que la stratégie nationale de réduction des GES suffise. La haute juridiction administrative estime donc que la France est liée par l’accord de Paris et ses obligations communautaires.
La deuxième affaire qui pourrait faire date est celle dans laquelle le tribunal administratif de Paris a rendu un jugement le 3 février 2021. Ce jugement statuant sur « l’Affaire du siècle », ainsi que les requérants ont nommé leur recours, constitue aussi une avancée. Le tribunal reconnaît que les requérants peuvent se prévaloir d’un préjudice écologique et que l’État commet un manquement fautif en ne respectant pas ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Comme le précise le considérant 21 du jugement : « Il résulte de ces stipulations et dispositions que l’État français, qui a reconnu l’existence d’une "urgence“ à lutter contre le dérèglement climatique en cours, a également reconnu sa capacité à agir effectivement sur ce phénomène pour en limiter les causes et en atténuer les conséquences néfastes. À cet effet, il a choisi de souscrire à des engagements internationaux et, à l’échelle nationale, d’exercer son pouvoir de réglementation, notamment en menant une politique publique de réduction des émissions de gaz à effet de serre émis depuis le territoire national, par laquelle il s’est engagé à atteindre, à des échéances précises et successives, un certain nombre d’objectifs dans ce domaine. ». ([14])
Dans ces deux affaires, les requérants invoquent à l’appui des droits qu’ils estiment avoir et des obligations devant être mises à la charge de l’État, la Charte de l’environnement, d’autres dispositions constitutionnelles, la Convention européenne des droits de l’homme, l’accord de Paris, les obligations fixées par les règlements communautaires et des textes de droit interne (notamment la loi dite « Énergie-Climat » et la stratégie nationale bas carbone).
Ces contentieux dits « climatiques », peu nombreux en France, sont en augmentation constante si l’on considère le sujet à un niveau mondial. Dans un certain nombre de pays, des organisations, ONG, associations de citoyens, collectivités locales se sont organisées pour saisir les juridictions nationales afin de faire reconnaître des carences de l’État dans son devoir de protection de l’environnement, et notamment dans son ambition de réduction des émissions de GES. L’une des affaires la plus emblématique en la matière est l’affaire Urgenda c/ Pays-Bas. Ce contentieux a pris fin le 20 décembre 2019 lorsque la Cour suprême des Pays-Bas a donné raison à l’association requérante représentant 886 citoyens néerlandais contre l’État néerlandais en reconnaissant que celui-ci avait l'obligation de définir et de respecter des objectifs nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et donc au moins l’obligation de réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’ici la fin de l’année 2020 de 25 % par rapport à 1990. La Cour suprême des Pays-Bas a fondé sa décision à la fois sur les droits que tirent les citoyens de la CEDH et sur l’engagement des Pays-Bas à respecter l’accord de Paris et ses objectifs.
IV. LA Volonté du gouvernement D’AJOUTER à l’ARTICLE 1er DE LA CONSTITUTION la NÉCESSAIRE PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT
Le projet de loi constitutionnelle n° 3787 complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement propose de compléter l’article 1er de la Constitution par une phrase ainsi rédigée : « Elle garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique. » Cette phrase viendrait s’insérer après la troisième phrase du premier alinéa de l’article 1er qui dispose que : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. »
Le texte du projet de loi proposé à l’examen de la commission ne présente qu’un seul changement par rapport à la proposition votée par les citoyens de la Convention citoyenne pour le climat. Il inverse les notions de « préservation de l’environnement » et de « diversité biologique ». À l’exception de cette modification, les mots choisis et la place de cette phrase au sein de l’article 1er sont inchangés.
Tous les termes de cette phrase témoignent de la volonté forte du Gouvernement, confortée par la Convention citoyenne pour le climat, de renforcer la valeur constitutionnelle de l’objectif de protection de l’environnement, mais aussi de préservation de la biodiversité et de lutte contre le dérèglement climatique.
Ces objectifs seraient ainsi élevés au même niveau que les autres principes et valeurs qui définissent la France comme République. Un tel ajout à l’article 1er, comme nous allons le voir, montrerait que la préservation de l’environnement au sens large est un sujet de préoccupation primordiale pour la France en tant que sujet de droit international et un objectif pour la France en tant qu’État vis-à-vis de ses citoyens. Cela montrerait également que c’est un sujet qui concerne tous les citoyens, dans un pays qui pourrait être de plus en plus vulnérable aux effets du réchauffement climatique.
Chaque terme de cette phrase est donc important. Il faut se rappeler les propositions antérieures pour mesurer la portée des termes proposés aujourd’hui.
« Elle », sujet de la phrase proposée, désigne la France, mais aussi par extension la République ou l’État selon les circonstances dans lesquelles l’article 1er est invoqué. « Elle » désignera la France en tant qu’elle est un sujet de droit international et notamment en tant qu’elle est partie à de nombreuses conventions internationales dont la CCNUCC, et l’État lorsqu’il s’agira d’évaluer la portée et les conséquences des décisions législatives ou réglementaires par rapport aux trois objectifs cités.
Le verbe « garantir » apparaît comme le plus satisfaisant car il proclame une ambition qui doit être portée par des actions concrètes. Si la proposition a été faite plusieurs fois d’utiliser le terme « favoriser », celui-ci n’apparaît plus assez ambitieux au regard des enjeux actuels. En effet, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans une décision QPC du 24 avril 2015 (n° 2015-465), l’alinéa de l’article 1er qui proclame que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux…» ne constitue pas un droit ou une liberté garantis par la Constitution au sens de l’article 61-2 de la Constitution ([15]).
Par ailleurs, le verbe « garantir » est déjà utilisé à plusieurs reprises dans la Constitution, notamment dans le préambule de la Constitution de 1946. Pour un certain nombre des personnes auditionnées par votre rapporteur pour avis, il n’implique pas a priori une obligation de résultat mise à la charge de l’État, mais une obligation de moyens renforcés, c’est-à-dire une obligation de prendre des mesures qui garantissent que l’environnement ne sera a minima pas dégradé et au mieux qu’il sera préservé, voire restauré. Votre rapporteur pour avis rejoint cette analyse, le texte constitutionnel ne pouvant instaurer une obligation de résultat dans un domaine en constante évolution, mais une obligation de moyens et une obligation de tenir les engagements internationaux pris par la France.
Dans le même esprit, les membres de la Convention citoyenne pour le climat ont proposé le verbe « lutter » pour « lutter contre le dérèglement climatique », terme repris par le Gouvernement. Il faut voir ces mots également comme un engagement fort de la France dans ce domaine. Comme le rappellent les scientifiques associés au GIEC, la lutte contre le changement climatique est primordiale à la fois en ce qui concerne la limitation des causes de ces changements et en ce qui concerne les mesures d’adaptation face au changement climatique avéré.
Ensuite, le choix a été fait de ne pas seulement parler de la préservation de l’environnement, mais de souligner qu’à côté de cet objectif général, deux éléments devaient particulièrement être pris en compte, à savoir la préservation de la diversité biologique et la lutte contre le dérèglement climatique. Comme nous l’avons dit précédemment, ces deux éléments paraissaient moins cruciaux il y a encore une quinzaine d’années, et en particulier l’urgence de lutter contre le dérèglement climatique. Le terme de climat ou de changement climatique ne fait l’objet d’aucune mention dans le texte de la Charte de l’environnement alors qu’il constitue certainement le sujet de préoccupation le plus important des négociations internationales en matière d’environnement et l’un des principaux champs des politiques communautaires dans ce domaine.
Choisir de parler de « dérèglement climatique » n’apparaît pas en contradiction avec le terme souvent employé de changement climatique (au singulier ou au pluriel) dans les textes internationaux. Le dérèglement climatique a été évoqué à de nombreuses reprises lors des discussions entre États membres au moment de la COP 21. Ce terme met l’accent sur le rôle des activités humaines dans les perturbations qu’a connues le climat par rapport à l’ère préindustrielle (c’est-à-dire à peu près au début du XIXe siècle) en raison des émissions croissantes de gaz à effet de serre qu’elles engendrent. Le terme de dérèglement climatique met donc l’accent indirectement sur ce qui peut être fait en termes de politiques publiques pour limiter le réchauffement climatique.
Par ailleurs, de nombreuses raisons plaident pour une inscription à l’article 1er de la Constitution, plutôt que pour une modification de la Charte de l’environnement. D’une part, la Charte de l’environnement n’a peut-être pas tout à fait acquis la valeur que pensaient lui conférer ses rédacteurs ; du moins toutes les conséquences en termes de droits pour les citoyens et d’obligations pour les pouvoirs publics n’ont peut-être pas été tirées. D’autre part, l’ajout de la phrase envisagée à l’article 1er ne pourrait que venir renforcer la Charte de l’environnement, notamment son article 1er qui dispose que tout personne a le droit de vivre dans un environnement sain.
L’ajout à l’article 1er de la Constitution permettrait ainsi de faire de la préservation de l’environnement et de la biodiversité, comme certainement de la lutte contre le changement climatique, des droits et des libertés que garantit la Constitution au sens de la question prioritaire de constitutionnalité. C’est le cas pour les autres valeurs et principes énoncés au premier alinéa de l’article 1er, des requérants pouvant par exemple soulever en QPC qu’une disposition législative est contraire au principe d’égalité des citoyens devant la loi proclamé à l’article 1er. Le Conseil constitutionnel l’a tout aussi solennellement déclaré concernant le principe de laïcité (voir QPC n° 2012-297 du 21 février 2013, Association pour la promotion et l'expansion de la laïcité) ([16]).
L’intérêt de cette phrase est par ailleurs de ne pas avoir comme sujet « toute personne », comme cela est le cas dans la Charte de l’environnement, mais bien de manière extensive les personnes publiques sur qui pèsent des obligations.
Dans le même temps, le choix de la rédaction proposée illustre aussi la volonté de ne pas faire primer l’objectif de préservation de l’environnement sur les autres droits et objectifs à valeur constitutionnelle, mais de rendre possible l’atteinte de cet objectif sans que les autres objectifs priment nécessairement. La rédaction proposée permettrait d’apporter aux autres droits constitutionnels des restrictions proportionnées.
En conséquence, l’écriture proposée par le projet de loi mettrait au même niveau, d'un côté, les exigences de préservation de l'environnement, de la biodiversité et de lutte contre le changement climatique et de l'autre, par exemple, la liberté d'entreprendre et le droit de propriété, alors qu'actuellement seule la protection de l'environnement est reconnue (et souvent timidement) par les juridictions comme un objectif à valeur constitutionnelle tiré de la Charte de l'environnement qui peut être mis en balance avec la liberté d'entreprendre ou le droit de propriété.
Plusieurs des personnes auditionnées ont souligné que la nouvelle rédaction de l’article 1er permettrait éventuellement au Conseil constitutionnel d’accepter de la part du législateur des restrictions plus importantes que celles qu’il admet aujourd’hui apportées à d’autres droits constitutionnels ou objectifs à valeur constitutionnelle, comme le droit de propriété ou la liberté d’entreprendre, dans la mesure où les exigences en matière de protection de l’environnement et de lutte contre le dérèglement climatique auront acquis leur pleine valeur de droit et exigence constitutionnels.
Le Conseil constitutionnel, s'il était saisi a priori ou bien à l'occasion d'une QPC, pourrait contrôler la nature et le bien-fondé de la restriction, mais il serait confronté à deux droits ou exigences de même valeur. Il aurait donc à apprécier que ne soit pas apportées, par exemple à la liberté d’entreprendre, des limitations ou une entrave manifestement disproportionnées par rapport à l’objectif recherché (c’est-à-dire au sens large, la protection de l’environnement).
À l'inverse, cela impliquera aussi que le Conseil constitutionnel et les juridictions administratives et judiciaires à leur niveau seront davantage fondés à contrôler que le législateur met en œuvre concrètement des mesures pour préserver l'environnement (ou à censurer ou écarter les dispositions qui ne garantiraient pas cet objectif). Pour prendre une situation type inverse à celle envisagée ci-dessus, s’il était soulevé devant lui qu’une loi déférée présente des risques de dégradation de l’environnement, c’est-à-dire par exemple de dégradation des écosystèmes naturels, de la biodiversité, de la qualité de l’air, fait peser des risques sur la santé humaine et donc va à l’encontre des objectifs exposés à l’article 1er, le Conseil constitutionnel pourrait contrôler que l’objectif de préservation de l’environnement n’est pas manifestement violé et que des mesures de réparation, de compensation ou d’adaptation sont prévues par le législateur.
En conséquence il peut sembler que cet ajout à l’article 1er créerait les conditions d’un meilleur équilibre entre la protection de l’environnement et les autres droits garantis par la Constitution et son préambule.
De l’avis partagé par de nombreuses personnes lors des auditions, l’ajout de cette phrase à l’article 1er aurait donc comme effet général de renforcer l’attention que le législateur doit porter à l’environnement et à l’effet des décisions publiques sur la préservation de celui-ci, dans tous les domaines, que ce soit en matière de préservation des écosystèmes, des ressources naturelles et de la biodiversité, en matière de qualité de l’air ou en matière de préservation des équilibres climatiques.
Cela pourrait également renforcer certaines obligations pesant sur les pouvoirs publics, notamment concernant les études d’impact accompagnant les projets de loi prévues à l’article 39 de la Constitution. Le Gouvernement pourrait ainsi être amené à prendre davantage en compte les conséquences des mesures proposées sur l’environnement et sur les émissions de gaz à effet de serre dans les études d’impact.
Par ailleurs, les juridictions ne peuvent pas contraindre le législateur à prendre des dispositions législatives, mais elles peuvent établir que la responsabilité de l'État est engagée s'il n'a pas pu remplir ses engagements. De tels contentieux surviennent notamment lorsque la justice est saisie par des particuliers, des associations, des collectivités. Dans de nombreux pays qui ont renforcé la présence de l’environnement dans leur Constitution, que ce soit comme droits des individus ou comme obligations pesant sur les collectivités publiques, les contentieux n’ont pas connu une augmentation importante. L’apparition de contentieux climatiques se constate dans de nombreux pays du monde sans être nécessairement corrélée à la vigueur des dispositions constitutionnelles, mais davantage parce que la sensibilité des citoyens pour ces questions augmente.
Par rapport aux contentieux récents cités précédemment et notamment dans l’arrêt rendu par le Conseil d’État dans le contentieux introduit par la commune de Grande-Synthe, la modification proposée de l’article 1er de la Constitution serait probablement à même de faciliter la reconnaissance de la responsabilité de l’État en matière de lutte contre le dérèglement climatique, ou du moins d’en déduire qu’un ensemble d’obligations pèsent sur l’État français en la matière, pas seulement en vertu du droit international mais en vertu d’une exigence constitutionnelle.
Cet ajout à l’article 1er de la Constitution apparaîtrait donc comme une injonction forte émise par les citoyens aux pouvoirs publics à poursuivre les efforts dans tous les domaines de la protection de l’environnement et à rehausser par une obligation de moyens renforcée les exigences qui pèsent à la fois sur le législateur et sur le pouvoir exécutif dans ce domaine. Il apparaîtrait aussi comme un engagement et un symbole fort pour les générations futures.
— 1 —
Lors de ses réunions des lundi 15 et mardi 16 février, la commission a procédé à la discussion générale puis à l’examen pour avis, sur le rapport de M. Christophe Arend, du projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement.
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Mme la présidente de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire et moi-même avons souhaité procéder conjointement à l’audition de M. le garde des sceaux, ainsi qu’à la discussion générale sur le projet de loi.
Il est de tradition que le garde des sceaux présente les projets de révision constitutionnelle. Monsieur le ministre, nous sommes particulièrement impatients de vous entendre sur celui-ci, qui est la concrétisation de l’une des propositions phares de la Convention citoyenne pour le climat, dont nous avons suivi attentivement le déroulement car elle constitue un exercice démocratique particulièrement innovant et intéressant. J’ai souvent eu l’occasion de rappeler que de tels exercices sont parfaitement complémentaires avec nos travaux et qu’ils ne nous placent pas en concurrence avec nos concitoyens. Cette complémentarité prend notamment forme en ce moment tant attendu par les parlementaires, qui ouvre la phase de l’examen parlementaire.
Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, présidente de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Monsieur le ministre, je vous remercie d’être présent parmi nous pour entamer l’examen de ce projet de loi.
La commission du développement durable a naturellement souhaité se saisir du texte pour avis, comme elle l’a fait du précédent projet de révision constitutionnelle, au mois de juin 2018. Nous avions eu à cette occasion un débat nourri, au sein de notre commission, puis au sein de la commission des lois, sur les moyens juridiques de renforcer la préservation de l’environnement, en agissant directement sur la norme constitutionnelle. Ces débats ont permis de trancher un point important : la nécessité d’inscrire nos exigences environnementales à l’article 1er de la Constitution. Tel est le choix du Gouvernement dans le présent projet, ce dont nous nous réjouissons.
Il ne s’agit pas de procéder ainsi à une modification cosmétique ou symbolique, mais de dépasser le débat technique sur la modification de l’article 34 de la Constitution, visant à déterminer la répartition des compétences d’élaboration des normes. Il s’agit de poursuivre une évolution engagée par l’adoption de la Charte de l’environnement, pour faire de l’environnement et, désormais, des enjeux climatiques, de véritables objets juridiques, créateurs de droits et de devoirs. Il s’agit de placer la préservation de l’environnement à un rang constitutionnel, ce qui permet d’en assurer l’effectivité, sans la subordonner systématiquement à d’autres principes de même rang, tels que la liberté d’entreprendre, qui devront désormais être conciliés avec cet impératif. Il s’agit d’inscrire l’urgence climatique et environnementale au cœur de nos politiques publiques et de notre droit, en fixant un objectif constitutionnel à la France, comprise comme sujet international de droit et comme État responsable devant les citoyens.
Le présent projet de loi constitutionnelle marque une avancée majeure. Je ne doute pas que nos débats permettront de lever les interrogations soulevées par la rédaction proposée, qui est très proche de celle à laquelle nous avions abouti lors de nos précédentes discussions mais en diffère légèrement.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Conformément à l’engagement pris par le Président de la République devant les membres de la Convention citoyenne pour le climat, qu’il a reçus le 29 juin 2020, le Gouvernement a déposé devant le Parlement un projet de réforme constitutionnelle qui vise à inscrire, à l’article 1er de la Constitution, la garantie de la préservation de l’environnement et de la diversité biologique, ainsi que la lutte contre le dérèglement climatique.
Ce projet est le fruit d’un long travail de consultation inédite de nos concitoyens, dans le cadre du grand débat national, puis de la Convention citoyenne pour le climat. Cette dernière a formulé 149 propositions, parmi lesquelles la révision de l’article 1er de la Constitution pour y faire figurer la préservation de l’environnement et de la biodiversité, ainsi que la lutte contre le dérèglement climatique. Cette proposition a été retenue par le Président de la République qui s’est engagé, si le présent texte est adopté en des termes identiques par les deux chambres, à la soumettre au référendum.
Le projet de loi qui vous est soumis est la traduction de cet engagement. Il comporte une disposition unique ayant pour objet d’inscrire à l’article 1er de la Constitution le principe selon lequel la France garantit la préservation de l’environnement ainsi que de la diversité biologique, et lutte contre le dérèglement climatique. Il vise deux objectifs essentiels : rehausser la place de la préservation de l’environnement dans notre Constitution et y inscrire un véritable principe d’action des pouvoirs publics à cette fin.
S’agissant de l’inscription de la protection de l’environnement au cœur de nos principes constitutionnels, je rappelle que notre loi fondamentale comporte d’ores et déjà des dispositions relatives à la préservation de l’environnement. Ce principe est inscrit dans la Charte de l’environnement, issue de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005. Mentionnée dans le préambule de la Constitution, elle fait pleinement partie du bloc de constitutionnalité. De surcroît, le Conseil constitutionnel, par deux décisions récentes, a conféré une importance accrue à la protection de l’environnement promue par la Charte.
En premier lieu, dans sa décision du 31 janvier 2020, il a jugé que la préservation de l’environnement, « patrimoine commun des êtres humains », constitue un objectif à valeur constitutionnelle et non, comme il le jugeait auparavant, un objectif d’intérêt général. En second lieu, dans sa décision du 10 décembre 2020, il a jugé que les limitations portées par le législateur à l’exercice du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, droit consacré par l’article 1er de la Charte de l’environnement, « ne sauraient être que liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi ».
Le Gouvernement n’en nourrit pas moins l’ambition de renforcer encore la place de la protection de l’environnement dans notre texte constitutionnel.
L’inscription de la préservation de l’environnement à l’article 1er de la Constitution présente une valeur symbolique forte, voulue par les membres de la Convention citoyenne pour le climat. Désormais, ce principe figurera au cœur des grands principes qui guident notre République. Ce positionnement dans notre Constitution exprime la volonté de la Nation tout entière de placer le combat contre le dérèglement climatique au cœur de notre action et donnera une nouvelle impulsion à notre engagement.
Je tiens à préciser que « rehaussement » ne signifie pas « hiérarchie ». Le Gouvernement n’entend pas introduire une échelle de valeurs entre les principes constitutionnels qui, demain comme hier, seront tous de valeur égale. L’objectif est de donner plus de poids à la protection de l’environnement dans sa conciliation avec les autres principes de valeur constitutionnelle. La force nouvelle que nous lui conférons trouvera sa traduction, en premier lieu, dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Je tiens à préciser également qu’il ne s’agit pas davantage d’introduire un principe constitutionnel de non-régression des lois en matière d’environnement qui, s’il existe dans la loi, n’a pas sa place dans la Constitution. Le Gouvernement souhaite laisser au législateur le pouvoir de préserver efficacement d’autres principes constitutionnels, telle la protection de la santé, ce qui peut s’avérer particulièrement important, par exemple dans un contexte de crise sanitaire tel que celui que nous connaissons.
Le second objectif du projet de loi est d’introduire un véritable principe d’action des pouvoirs publics nationaux et locaux en faveur de la préservation de l’environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique. Le Gouvernement entend insuffler dans chaque politique publique la préoccupation environnementale, dont il estime qu’elle doit innerver son action à l’échelle nationale et internationale. Dans cette optique, le projet qui vous est soumis prévoit que les pouvoirs publics doivent garantir la préservation de l’environnement ainsi que de la diversité biologique et lutter contre le dérèglement climatique.
L’emploi du verbe « garantir » exprime la force de cet engagement. Certes, il ne constitue pas une innovation dans notre Constitution. L’alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose : « [La Nation] garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ». Toutefois, la formulation retenue dans le projet de loi constitutionnelle lui donne pour sujet la France et non la loi, contrairement à l’article 4 de la Constitution et à l’alinéa 3 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, relatifs respectivement au pluralisme politique et à l’égalité entre les hommes et les femmes. Cette formulation est à la fois plus large, car elle s’impose à tous les pouvoirs publics de la République et non au seul législateur, et moins rigide pour celui-ci, qui n’est pas le seul débiteur de cette obligation garantie.
Il n’en reste pas moins que les conséquences de l’emploi de ce verbe ne sont pas neutres. Telle est bien la volonté du Gouvernement, parfaitement conscient des conséquences qui peuvent en résulter s’agissant de l’engagement de sa responsabilité en matière environnementale. D’ores et déjà, l’action des pouvoirs publics est conditionnée à la préservation de l’environnement et la responsabilité de l’État peut être engagée à ce titre. Pour s’en tenir à deux exemples récents, citons l’arrêt du Conseil d’État du 10 juillet 2020, décidant d’une astreinte à l’encontre de l’État afin que le Gouvernement prenne des mesures pour réduire la pollution de l’air, et le jugement rendu par le tribunal administratif de Paris le 3 février 2021 dans l’« affaire du siècle », reconnaissant l’existence d’un préjudice écologique lié au changement climatique et considérant que la carence partielle de l’État français à respecter les objectifs qu’il s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre engage sa responsabilité. Le projet de loi constitutionnelle que nous proposons consacre davantage encore la responsabilité des pouvoirs publics, auxquels il tend à imposer, en promouvant la protection de l’environnement au rang de garantie constitutionnelle, une quasi-obligation de résultat.
À l’heure où nous assistons à la sixième extinction de masse, qui est la première due à l’action humaine, il importe que notre loi fondamentale traduise le choix de la Nation de mener le combat contre le dérèglement climatique, qui est le combat de notre siècle. Désormais, il incombe au Parlement de débattre du projet de révision constitutionnelle. S’il est adopté par les deux chambres dans les mêmes termes, il sera soumis aux Français par voie de référendum, conformément à l’engagement du Président de la République.
M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Au cours des deux dernières semaines, nous avons mené, avec mon collègue M. Christophe Arend, de très nombreuses auditions sur le présent projet de révision constitutionnelle.
Si les avis divergent sur certains aspects, tous se rejoignent sur un point : il y a urgence. Il est urgent d’agir, d’adapter notre droit et de prendre des mesures écologiques fortes. Au mois de décembre dernier, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies a appelé les dirigeants du monde à déclarer l’état d’urgence climatique. Ces propos font suite à une multitude de rapports, dont chacun ici a entendu parler, notamment ceux du GIEC – le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat –, de Météo France et du Haut Conseil pour le climat. Ces études sont toutes alarmantes. Elles estiment que d’ici la fin du siècle, la hausse de la température moyenne serait de quatre degrés Celsius, voire de six degrés dans les pires scénarios.
Malheureusement, l’urgence écologique ne se limite pas à la seule question climatique. Nous le savons : la sixième extinction de masse a commencé. Un million d’espèces animales et végétales sont menacées de disparition, soit une espèce sur huit. Il s’agit d’un désastre sans précédent. Si nous n’agissons pas rapidement, nous exposerons notre planète et les générations futures à de graves et inexorables menaces.
Ces constats alarmants dictent des actions d’urgence et étayent le présent projet de révision constitutionnelle. Il ne s’agit pas de la première révision consacrée à la préservation de l’environnement. Toutefois, cette révision est unique dans l’histoire de la Ve République : elle est le fruit d’un exercice démocratique inédit, la Convention citoyenne pour le climat, elle-même aboutissement du grand débat national voulu par le Président de la République. Le projet de loi que nous examinons reprend fidèlement, quasi textuellement, l’une des propositions formulées par les 150 membres de la Convention. Pour la première fois, le Parlement est amené à se prononcer sur un texte écrit par des citoyens tirés au sort. Son adoption définitive sera soumise, selon la volonté du Président de la République, à la procédure référendaire prévue par l’alinéa 2 de l’article 89 de la Constitution, c’est-à-dire à la consultation directe du peuple français.
L’équilibre entre démocratie directe et démocratie représentative constitue le deuxième enjeu de cette révision. Si nous parvenons à l’assurer, la France sera non seulement l’un des premiers pays au monde à inscrire la lutte contre le dérèglement climatique dans sa Constitution, mais se placera en outre à l’avant‑garde de la démocratie participative. Notre objectif est clair : nous souhaitons que nos concitoyens puissent s’exprimer par référendum sur le texte proposé par la Convention citoyenne pour le climat, adopté par ses membres à une écrasante majorité.
Enfin, le troisième enjeu réside dans la portée juridique de la réforme. L’urgence climatique à laquelle nous sommes confrontés légitime l’inscription de la préservation de l’environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique dans notre ordre juridique, en les dotant d’une force accrue. Si nous voulons être au rendez-vous des enjeux écologiques cruciaux qui se présentent à nous et répondre aux aspirations de la société française, alors nous devons graver dans le marbre de l’article 1er de la Constitution, qui rappelle les grands principes sur lesquels est fondée notre République, la protection de l’environnement et de la diversité biologique, ainsi que la lutte contre le dérèglement climatique.
Tel est précisément l’objet de l’article unique du présent projet de loi, qui propose une rédaction à la fois ambitieuse et équilibrée.
La rédaction est ambitieuse, car les termes choisis ne sont pas neutres. Nous n’énonçons pas de simples intentions de principe ; nous utilisons des verbes d’action, tels que « garantir » et « lutter ». Ces mots, au fond, nous obligent. Ma conviction est la suivante : faute d’un principe constitutionnel fort, affirmant avec force que l’objectif environnemental est un fondement de l’action de la France, nous passerons à côté de l’essentiel. Une formulation insuffisamment engageante rendrait la réforme purement symbolique. En choisissant de tels termes, nous renforçons, dans l’ordre juridique, l’enjeu environnemental, tout en consolidant les principes de la Charte pour l’environnement promulguée le 1er mars 2005, dont je rappelle qu’elle ne mentionne pas la question climatique.
La rédaction est équilibrée, car elle n’instaure aucune hiérarchie entre les normes de valeur constitutionnelle. Je rappelle que la Convention citoyenne pour le climat avait également proposé de réécrire le préambule de la Constitution afin de donner à l’environnement la prééminence sur nos autres valeurs fondamentales. Le Président de la République n’a pas souhaité reprendre cette proposition, qu’il considère comme contraire à nos textes constitutionnels et à l’esprit de nos valeurs. Le juge continuera donc de placer les principes de valeur constitutionnelle sur un même plan, qu’il s’agisse de la protection de l’environnement, de la liberté d’entreprendre ou du droit de propriété.
Tout au long de nos auditions, des interrogations ont été exprimées de façon récurrente. Tous les avis s’accordaient sur l’existence d’une urgence écologique, mais nous avons aussi entendu des doutes, parfois des réserves. J’aimerais donc connaître, Monsieur le garde des sceaux, votre analyse sur les points suivants : quelles sont les conséquences juridiques attendues de l’emploi des mots « garantir » et « lutter »? Quel sera l’apport de la présente révision par rapport à la Charte de l’environnement, et comment s’articuleront ces deux textes ?
M. Christophe Arend, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. C’est avec la conscience de la responsabilité qui nous incombe que je vous présente les conclusions de nos travaux. Nous avions travaillé sur cet enjeu en 2018, hélas sans aboutir. Saluons donc le fait que la Convention citoyenne pour le climat en ait fait une priorité et que le Président de la République s’en soit pleinement saisi ! Inscrire la préservation de l’environnement dans notre loi fondamentale est un geste fort, qui exprime la volonté de la communauté nationale. Cette prise de conscience et cette envie d’agir excèdent la seule volonté de la puissance publique, ce dont il faut se réjouir.
L’organisation de nos travaux a été la suivante : nous avons commencé par vérifier que la formulation proposée par le Gouvernement répond le mieux possible aux aspirations exprimées par les citoyens tirés au sort de la Convention citoyenne pour le climat. Les auditions que nous avons menées ont confirmé l’importance et l’utilité de chaque mot retenu, notamment « environnement », « diversité biologique » et « dérèglement climatique ». Ce faisant, le texte permet d’aller plus loin que la Charte de l’environnement, d’une part en étant plus précis, d’autre part, en rehaussant l’importance de chacune de ces notions dans la hiérarchie des normes constitutionnelles.
Ensuite, nous nous sommes assurés, grâce à de nombreuses auditions, que le texte proposé ne crée aucune difficulté juridique majeure, voire impossible à résoudre. Les auditions ont démontré qu’il procède à un apport significatif et équilibré. En raison de l’introduction d’une obligation de moyens renforcée, le législateur et le pouvoir réglementaire devront développer un réflexe environnemental. Il en résultera notamment des exigences accrues en matière d’études d’impact et de mesures compensatoires en cas d’atteinte avérée à l’environnement.
Notre loi fondamentale dicte des principes généraux. Des mesures législatives et réglementaires complémentaires sont indissociables du présent projet de révision constitutionnelle, pour fixer concrètement les objectifs à atteindre et les moyens à mettre en œuvre à cette fin. Ainsi, le juge disposera d’une vision plus précise que celle offerte par la Charte de l’environnement, dont il pourra exploiter tout le potentiel. Il aura également la possibilité de sanctionner l’inaction des pouvoirs publics. Dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), il pourrait même sanctionner une loi antérieure incompatible avec ce nouveau cadre juridique.
Enfin, nous avons vérifié que le projet de révision constitutionnelle constitue bien un apport juridique en faveur de la préservation de l’environnement au sens large et qu’il offre la possibilité d’une réponse équilibrée, dans l’hypothèse où plusieurs principes ou objectifs de valeur constitutionnelle seraient mis en balance, par exemple un objectif environnemental, le droit de propriété et la liberté d’entreprendre. Je ne doute pas que Monsieur le ministre, dans les débats qui suivront, précisera l’appréciation du Gouvernement sur les conséquences du projet de révision constitutionnelle.
Quant à la méthode de révision constitutionnelle choisie, consistant à recourir au référendum, elle est conforme au souhait exprimé par la Convention citoyenne pour le climat. Les débats que suscitera le référendum permettront d’amplifier, dans le débat public français, les enjeux relatifs à la préservation de l’environnement et de la diversité biologique, ainsi qu’à la lutte contre le dérèglement climatique.
En conclusion, le texte proposé par le Gouvernement répond aux aspirations de la Convention citoyenne pour le climat. Il répond de façon satisfaisante et équilibrée au but recherché. Il ne nous semble ni utile ni souhaitable de le modifier. Dans le même esprit que la Convention citoyenne pour le climat, les auditions ont démontré que le présent projet de révision constitutionnelle atteindra son plein potentiel si – et seulement si – il est complété par des mesures législatives et réglementaires définissant des objectifs quantifiables, ainsi que les moyens nécessaires pour les atteindre. Il constituera alors une véritable injonction à l’action, en précisant le droit et en l’améliorant. Toute la hiérarchie des normes s’en trouverait renforcée, sans menacer le nécessaire équilibre entre les principes et objectifs de valeur constitutionnelle.
M. Jacques Krabal. Le projet de loi constitutionnelle que nous examinons s’inscrit dans un contexte tout à fait novateur. À l’issue du grand débat national, le Président de la République a pris l’initiative de convoquer une Convention citoyenne pour le climat au mois d’octobre 2019. Cette démarche innovante de démocratie participative est sans précédent. Elle n’enlève rien au rôle du Parlement au sein de l’architecture institutionnelle, au contraire. Pour nous, parlementaires, elle offre l’occasion d’une réforme constitutionnelle qui est un rendez-vous démocratique important.
La modification de l’article 1er de la Constitution est l’une des mesures les plus emblématiques adoptées, le 21 juin 2020, par 81 % des participants à la Convention citoyenne. Ce chiffre montre à quel point l’attente est forte parmi nos concitoyens ; il nous oblige. La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a décidé de se saisir pour avis du projet de loi constitutionnelle. Cette décision nous honore collectivement. Sur ce sujet fondamental, nous devons démontrer notre capacité à dépasser les clivages partisans et à nous rassembler autour d’une expression commune.
Le texte que nous examinons reprend la proposition, sans modification substantielle. Son article unique permettra d’affirmer la nature prioritaire de la cause environnementale, aux côtés des principes fondamentaux de la République. Après la proclamation, en 1789, des droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme, après la reconnaissance, à la Libération, de ses droits économiques et sociaux, l’heure est venue d’inscrire dans la loi fondamentale la dimension écologique de notre contrat social.
La constitutionnalisation progressive des principes environnementaux n’est pas un acte isolé ou marginal. L’excellent rapport de M. Christophe Arend démontre que cette démarche a été entreprise dans d’autres pays. La France a été à l’origine de l’accord de Paris sur le climat, conclu le 12 décembre 2015. Elle doit continuer à être à la pointe de ce combat. Si la Charte de l’environnement a constitué une grande avancée en droit interne, elle est désormais insuffisante. Il est donc temps de sécuriser le rehaussement – je préfère ce mot, que je vous emprunte, Monsieur le ministre, à celui d’« élévation », que j’ai écrit – de la préservation de l’environnement au rang des principes à valeur constitutionnelle.
Le présent projet de révision constitutionnelle nous en donne l’occasion. Il vise à inscrire l’urgence climatique dans la norme fondamentale. Il va plus loin que le droit en vigueur, car il introduit un principe d’action des pouvoirs publics. Une réforme constitutionnelle est tout sauf un acte anodin. Il s’agit d’un acte fondateur, par lequel la Nation affirme sa cohésion et rappelle ce qui est prioritaire à ses yeux, ainsi que d’un exercice exigeant, auquel on ne se livre « que d’une main tremblante », comme le rappelait Montesquieu. Plusieurs interrogations ont été formulées, ainsi que des réserves, notamment sur le principe de précaution, l’utilisation du verbe « garantir » et le principe de non-régression. J’invite tout un chacun à lire le rapport de M. Pieyre-Alexandre Anglade, rédigé à l’issue de nombreuses auditions. Sur chacune de ces questions, il apporte des clarifications précises et rassurantes.
Oui, nous sommes prêts. Faut-il ajouter que 85 % des membres de la Convention citoyenne pour le climat souhaitent l’organisation d’un référendum ? Alors, écoutons-les. « En toute chose il faut considérer la fin », écrit, dans sa fable Le Renard et le Bouc, Jean de La Fontaine, né à Château-Thierry et dont nous fêterons en 2021 le quatre-centième anniversaire de naissance.
Quelle est la finalité ? Ensemble, nous pouvons, d’une part, accélérer la lutte contre le dérèglement climatique et préserver la biodiversité, d’autre part, redonner des couleurs à la démocratie, en donnant la parole au peuple. Cette révision est l’émanation de la volonté du peuple. Les constituants que nous sommes doivent la porter avec conviction. Elle mérite d’être adaptée pour que nous soyons armés face au plus grand défi que nous ayons connu. C’est pourquoi, avec conviction, avec confiance, les députés du groupe La République en Marche soutiendront pleinement ce projet de loi constitutionnelle.
M. Julien Aubert. En préambule de mon intervention, rappelons que la famille politique que je représente n’a pas à rougir pour ce qui est des initiatives en faveur de la protection de l’environnement. Georges Pompidou a créé le premier ministère chargé de l’environnement, qui fête d’ailleurs ses cinquante ans cette année. C’est sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing que le législateur s’est intéressé à la protection du littoral, notamment face à l’urbanisation croissante et massive, puisqu’il a créé, par la loi du 10 juillet 1975, le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres. C’est sous la présidence de Jacques Chirac que fut adoptée la Charte de l’environnement. C’est enfin sous la présidence de Nicolas Sarkozy que fut conduit le Grenelle de l’environnement qui a permis de traiter de nombreux sujets relatifs à la protection de l’environnement et qui a été suivi de deux lois.
Le projet de loi constitutionnelle qui nous est proposé vise à ajouter au premier alinéa de l’article 1er de la Constitution que la France garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique. C’est ce que vous appelez une protection rehaussée dans la Constitution, aux côtés des autres principes essentiels de la République. Selon l’exposé des motifs du projet de loi, cette inscription lui donne une force particulière, ce que vous avez d’ailleurs rappelé, Monsieur le ministre. Ce projet est issu des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, adoptées en juin dernier. Contrairement à ce que prétend M. Krabal, ce projet n’émane pas du peuple mais bien de quelques citoyens tirés au sort.
En l’examinant attentivement, force est de constater, toutefois, que cette réforme est, au mieux, inutile et, au pire, dangereuse. Elle est inutile, en effet, car une place importante est déjà accordée à la protection de l’environnement dans le droit existant, normes constitutionnelles comprises. En termes parlementaires, on vous dirait que votre amendement est déjà satisfait, chers collègues ! Ainsi, la Charte de l’environnement de 2004, qui fait pleinement partie du bloc de constitutionnalité, prévoit dans son article 1er et son article 2 des mesures fortes en la matière. Le Conseil d’État relève, dans son avis sur le présent projet de loi, que le principe de protection de l’environnement occupe déjà la plus haute place dans la hiérarchie des normes et que la cause environnementale fait l’objet d’un contrôle juridictionnel de plus en plus poussé de la part de tous les juges. Il relève d’ailleurs deux récentes décisions du Conseil constitutionnel qui confèrent une importance plus grande aux effets de la Charte de l’environnement. Du coup, quel serait l’apport ? Sauf à ce que le juge constitutionnel, qui ne manquera pas d’être saisi régulièrement à ce sujet, cherche à donner une interprétation contraignante à votre nouvelle disposition, celle-ci relève d’un artifice de communication. Rappelons tout d’abord que son inscription à l’article 1er ne lui confère pas plus de valeur que les dispositions des autres articles. D’ailleurs, Monsieur le ministre, l’autorité judiciaire apparaît péniblement à l’article 64 de la Constitution, après les traités de commerce qui figurent à l’article 53, ce qui ne veut pas dire que vous soyez moins important que le ministre chargé du commerce…
Vous avez également déclaré que cette inscription aurait une valeur symbolique forte, ce qui donnerait plus de poids à ce principe tout en le maintenant à égalité avec les autres. Il suffit de relire l’article 6 de la Charte de l’environnement : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. » Ce que vous avez dit en est l’exacte paraphrase. D’ailleurs, le sujet de l’environnement dépasse largement le seul dérèglement climatique. L’un de mes collègues évoquait une étude d’impact : je le renvoie à l’article 5 de cette même Charte qui prévoit des procédures d’évaluation.
Cette réforme est également dangereuse. La Constitution est là pour établir des règles, pas pour donner des objectifs. On ne va pas commencer à inscrire dans la Constitution que le Gouvernement lutte contre le désendettement, contre l’immigration ou pour la sauvegarde des baleines, sinon notre Constitution se trouvera rapidement très alourdie. De plus, le Conseil d’État a relevé qu’en prévoyant que la France « garantit » la préservation de la biodiversité et de l’environnement, le projet imposerait aux pouvoirs publics une quasi-obligation de résultat dont les conséquences sur leur action et leur responsabilité risquent d’être plus lourdes et imprévisibles que celles issues du devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement résultant de l’article 2 de la Charte de l’environnement. Le Conseil d’État suggère le terme « préserve ». Ce serait d’ailleurs plus prudent pour vous puisque vous fermez les centrales nucléaires qui concourent à la lutte contre le réchauffement climatique…
S’agissant de la protection de l’environnement, certains juristes, comme M. Arnaud Gossement, estiment au contraire que cette disposition, en cas d’interprétation contraignante, opérerait un retour en arrière. L’article 2 de la Charte serait plus protecteur en ce qu’il dispose que toute personne a le devoir de prendre part à la préservation de l’environnement.
Ce projet de loi comporte d’importantes incertitudes et, M. Krabal l’a rappelé, une réforme constitutionnelle n’est pas un acte anodin. Il conviendrait de revoir la formulation pour éviter toute instrumentalisation de l’enjeu.
Jean de La Fontaine vient d’être cité. Napoléon, quant à lui, disait qu’il ne faut jamais interrompre un ennemi qui est en train de faire une erreur. Pour le coup, nous voterons sans doute contre.
M. Jimmy Pahun. Les nations se sont engagées, en signant l’accord de Paris, à limiter le réchauffement climatique à un niveau inférieur à 2 degrés Celsius. Pourtant, selon le tout récent rapport de Météo France, les rapports du GIEC et le rapport du Haut Conseil pour le climat, cette température moyenne pourrait augmenter de 4 degrés en France d’ici 2100. Il faudra donc s’attendre à des événements climatiques extrêmement plus fréquents et plus violents, à la destruction d’écosystèmes entiers et à la disparition massive d’espèces. On le sait et on agit. Que les membres de la Convention citoyenne pour le climat n’oublient pas ce que nous faisons depuis près de quatre ans : la loi « Egalim », relative à l’alimentation, la programmation pluriannuelle de l’énergie, la loi d’orientation des mobilités, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, le plan de relance qui consacre 30 milliards d’euros à la transition écologique, le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets... Du concret, du quotidien, du structurant, du long terme : voilà ce dont le pays a besoin, à l’opposé d’une écologie des grands mots qui dit parfois plus qu’elle n’agit. Nul besoin de parler plus fort pour agir avec détermination. C’est ce même souci qui nous guide dans l’examen du présent projet de loi constitutionnelle visant à inscrire la protection de l’environnement à l’article 1er de la Constitution.
Nous voulons hisser au plus haut sommet de l’ordre constitutionnel la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité. Les termes exacts et précis du projet de loi comptent peut-être moins que cette volonté que nous aurons exprimée avec force et clarté. Oui, la protection de l’environnement compte autant que les libertés et les droits les plus fondamentaux reconnus et garantis par la République. Le socle de notre République se renforce d’un nouveau pilier, ce dont je me félicite au nom de mon groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés. Nous attendons de cette réforme des effets concrets et substantiels pour être à la hauteur du double défi climatique et démocratique puisque, in fine, cette question sera soumise au référendum. Ce référendum marquera la France de l’après‑covid. Nous aurons vu, nous aurons réfléchi à ce que nous sommes et faisons, nous dirons collectivement notre volonté de changement. Je vous remercie, Monsieur le ministre, d’être également attentif à tout cela.
Mme Élodie Jacquier-Laforge. Je reviendrai sur l’articulation entre la nouvelle rédaction qui nous est proposée de l’article 1er de la Constitution et la Charte de l’environnement. Le choix d’inscrire le mot « garantit » dans la Constitution est extrêmement important. Dès lors qu’il ne figure pas dans la Charte, il n’aurait pas pour seul effet de consacrer l’état actuel de la protection constitutionnelle de l’environnement et de l’interprétation qu’en a donnée la jurisprudence. En effet, en prévoyant que la France garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique, le projet imposerait aux pouvoirs publics une quasi-obligation de résultat dont les conséquences sur leur action et leur responsabilité risquent d’être plus lourdes et imprévisibles que celles issues du devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement, résultant de l’article 2 de la Charte de l’environnement. Certaines personnes que nous avons auditionnées nous ont mis en garde contre le risque que « la créature échappe à son créateur ». Qu’en pensez-vous, Monsieur le ministre ?
M. Gérard Leseul. Je salue une nouvelle fois les travaux réalisés par la Convention citoyenne pour le climat, qui témoignent de l’ampleur du défi climatique auquel nous faisons face. Elle a proposé un ensemble de mesures ambitieuses, dont la modification de notre Constitution. Si les citoyens, après plusieurs parlementaires, en particulier mes collègues du groupe Socialistes et apparentés, par la voix de Mme Cécile Untermaier, ont proposé de modifier la Constitution, ce n’est pas un hasard, mais bien parce que nous constatons tous un manque dans notre loi fondamentale. Je reprendrai simplement une phrase de la conclusion des travaux de la convention qui doit rester le fil rouge de notre engagement et de nos discussions : « Nous ne sommes pas uniquement devant le choix d’une politique économique pour faire face à une crise économique, sociale et environnementale, nous devons agir sans plus attendre pour stopper le réchauffement et le dérèglement climatique qui menacent la survie de l’humanité. »
Je remercie les rapporteurs MM. Pieyre-Alexandre Anglade et Christophe Arend, avec qui nous avons mené les auditions pour préparer l’examen de ce projet de loi constitutionnelle. Nous avons ainsi reçu des constitutionnalistes, des représentants d’organisations non gouvernementales (ONG) ou d’associations, ou encore des citoyens de la Convention citoyenne pour le climat.
Pour la quasi-totalité des constitutionnalistes interrogés, la modification de notre Constitution, telle qu’elle est envisagée, n’emportera sans doute aucune obligation nouvelle pour le législateur, malgré sa forte portée symbolique. De même, le juge ne sera pas plus éclairé en l’absence de notions et de cadre plus précis qui devraient être énoncés dans notre Constitution. Notre Constitution est nourrie et inspirée par la libre propriété. Elle a été conçue dans une période d’après-guerre et de reconstruction du pays, sacralisant les libertés et droits individuels fondamentaux. Cependant, certains principes comme le droit de propriété et la liberté d’entreprendre, appliqués de manière absolue, peuvent sembler en contradiction avec la protection des biens communs, donc avec la préservation de l’environnement. Ainsi, certaines notions fondamentales qui ont permis autrefois l’émancipation des hommes face à l’arbitraire peuvent se retourner contre l’intérêt général. C’est ce qu’avait justement rappelé mon collègue M. Dominique Potier lors de l’examen d’une proposition de loi constitutionnelle déposée en mai 2020. Lutte contre le changement climatique, lutte contre la fraude fiscale, lutte contre l’accaparement des terres agricoles : autant de propositions de réformes censurées, vidées de leur substance ou avortées ces dernières années, suite à des avis ou des décisions du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel, rendus au nom de la défense du droit de propriété et de la liberté des entreprises.
L’urgence environnementale nous pousse, aujourd’hui, à revoir la nécessaire conciliation des libertés individuelles avec les droits humains, la protection de la nature et l’amélioration de l’environnement qui conditionnent la vie humaine sur Terre. Bien sûr, le Conseil constitutionnel est déjà capable de faire preuve d’initiative pour protéger l’environnement et le vivant. Ainsi, dans une décision rendue le 31 janvier dernier, il a reconnu pour la première fois que la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, constituait un objectif de valeur constitutionnelle qui pouvait justifier des atteintes à la liberté d’entreprendre. Le conseil des sages, parfois très inspiré, sait manier le clair-obscur et l’estompe mais est-ce suffisant pour faire face à l’urgence climatique ? Le Conseil d’État, dans un avis rendu le 21 janvier dernier, prévient quant à lui que le mot « garantir », qui est proposé pour la préservation de la biodiversité, de l’environnement et la lutte contre le dérèglement climatique, imposerait une quasi‑obligation de résultat aux pouvoirs publics, ce que nous souhaitons vivement. Le 3 février, le tribunal administratif de Paris a condamné l’État pour ne pas avoir tenu ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Si une obligation de moyens semble découler de cette décision, l’obligation de résultat est encore loin d’être garantie, de notre point de vue.
Si l’adoption de la Charte a permis une première prise de conscience des défis environnementaux et climatiques, il reste à formaliser l’urgente action climatique. En effet, à la lecture des travaux préparatoires de la Charte, on constate que les changements climatiques, leur existence, leur manifestation mais surtout les moyens pour y faire face, n’ont été que peu soulignés ou n’apparaissent qu’incidemment.
Pourtant, l’objectif de la neutralité carbone est désormais fixé par le Gouvernement à travers sa stratégie nationale bas carbone. Il ne pourra être atteint sans gros efforts dans certains secteurs, ce qui risque de conduire à d’importants imbroglios juridiques si les cadres normatifs ne sont pas adaptés et précisés. Le cas récent des néonicotinoïdes, à nouveau autorisés pour au moins deux ans, en est la parfaite illustration. Dès lors, ne faut-il pas profiter de l’occasion qui nous est donnée par le Président de la République de modifier la Constitution pour intégrer des notions structurantes déjà évoquées, comme les limites planétaires ? Contrairement à ce que dit le ministre, il me semble important d’inscrire des principes de non-régression et des mesures d’impact.
M. Michel Zumkeller. Le groupe UDI et Indépendants souhaite rappeler en préambule que les citoyens de la Convention citoyenne pour le climat, tirés au sort, ne représentent pas les Français, même si leur travail mérite d’être souligné. Seuls les députés peuvent y prétendre, aussi le dernier mot doit-il leur appartenir dans le cadre de nos institutions.
Nous regrettons que les tentatives de réforme institutionnelle ou constitutionnelle sur d’autres sujets tout aussi importants n’aient pas abouti depuis 2017, qu’il s’agisse de la reconnaissance du vote blanc, de l’introduction d’une dose de proportionnelle ou de la différenciation territoriale, aussi tenterons-nous d’y remédier par voie d’amendement.
Notre groupe n’a pas d’opposition de principe à cet ajout dans la Constitution. Le changement climatique est le défi des prochaines générations et la formation à l’écologie, une priorité. Cependant, des actes seraient bien plus efficaces pour la planète qu’une révision constitutionnelle. Fermer une centrale nucléaire en laissant fonctionner les centrales à charbon est l’un des mauvais exemples de notre situation énergétique actuelle.
Le Gouvernement n’est pas clair sur les effets concrets du projet de loi. Beaucoup de professionnels, en particulier des juristes et des universitaires, considèrent que cette modification constitutionnelle ne changera rien. Nous sommes sceptiques et nous craignons que l’inscription de cette nouvelle règle à l’article 1er de la Constitution n’ait pas plus de valeur que l’introduction de la Charte de l’environnement dans le préambule de la Constitution. Le Conseil d’État relève ainsi que cette inscription revêt surtout une portée symbolique et qu’elle ne lui confère aucune prééminence juridique sur les autres normes constitutionnelles. Si cette mesure devait avoir de réelles conséquences, notamment pour les décisions de justice, une étude d’impact aurait dû être fournie aux parlementaires ; nous l’attendons toujours. Le Conseil d’État avait également appelé l’attention du Gouvernement sur les conséquences de l’emploi du terme « garantit » et avait demandé des précisions. Nous ne les avons pas reçues avant ce soir. Appliquons déjà le droit existant et améliorons son contrôle. Qui plus est, l’approche des élections nous fait douter de la possibilité d’organiser un référendum avant la fin de ce quinquennat, sans parler du report prévu des élections locales en juin.
Parmi les réformes envisagées, Monsieur le ministre, vous aviez évoqué celle du parquet, que vous vous étiez engagé à mener avant la fin du quinquennat, ce qui semble compliqué. Confirmez-vous cet engagement ? N’aurait-il pas été possible de profiter de cette réforme pour prévoir l’inscription d’autres principes dans la Constitution ? Qu’apporte cette réforme par rapport à la Charte de l’environnement ? Quand pourrait-elle être définitivement adoptée ? Pensez-vous pouvoir organiser le référendum envisagé par le Président de la République ?
M. François-Michel Lambert. La manœuvre politique qui se cache derrière ce projet de réforme de notre Constitution soulève de nombreuses questions. Beaucoup a déjà été dit des débats entre constitutionnalistes ou de l’articulation avec la Charte de l’environnement mais j’y reviens tout de même.
Monsieur le ministre, admettons que cette réforme aille à son terme : dans quelles proportions permettra-t-elle de réduire les émissions de gaz à effet de serre ? Quels bénéfices pourrons-nous en attendre pour le climat, l’environnement, la biodiversité, les ressources ? Je ne vois rien, dans la réforme constitutionnelle, qui pourrait permettre une telle transformation. Cette réforme aurait-elle permis d’éviter que l’usage des néonicotinoïdes soit à nouveau autorisé, l’accord économique et commercial global (le CETA) ratifié, l’accord avec le Mercosur signé ? On pourrait multiplier les exemples. Vous me répondrez que je ne suis pas un constitutionnaliste mais, fort de mon expérience dans le domaine de l’environnement, je constate que les objectifs sont toujours lointains et rarement contraignants. Qui plus est, les moyens pour atteindre ces objectifs sont rarement à la hauteur. Ce quinquennat ne déroge pas à cette habitude. Je me souviens encore des annonces, mi-mandat, d’un virage, d’une accélération écologique ! Que reste-t-il aujourd’hui ? J’ai l’impression que tous les écologistes sont partis à la suite de Nicolas Hulot.
Lorsque le Président de la République, qui n’avait plus d’écologistes dans sa majorité, a convoqué 150 citoyens, nous avons espéré franchir une nouvelle étape dans la lutte contre le dérèglement climatique. Hélas, la présentation du projet de loi dit « climat et résilience », la semaine dernière, a confirmé nos craintes et, d’un projet de loi qui aurait repris l’intégralité des propositions, nous sommes passés à un texte lacunaire.
Il n’est pas interdit de se demander si la révision constitutionnelle ne servirait pas à camoufler d’autres renoncements. Les Français ne s’y trompent pas, d’ailleurs, puisqu’ils sont 64 % à y voir une manœuvre politique. Nous ne sommes pas dupes de la portée symbolique d’une telle réforme et l’absence d’engagement nous angoisse pour l’avenir. Une vision plus ambitieuse du droit de l’environnement suffirait. J’espère que nous progresserons en matière de justice climatique. L’« affaire du siècle » est la preuve que l’on peut aller de l’avant. La jurisprudence du Conseil constitutionnel a également évolué puisqu’elle a reconnu en 2020, à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité, que la protection de l’environnement constituait un objectif de valeur constitutionnelle qui pouvait justifier des atteintes à la liberté d’entreprendre. Cette position est suffisamment claire pour rendre inutile une modification de la Constitution. Notre justice est parfaitement capable de relever ces enjeux. En revanche, notre Constitution présente quelques lacunes. Par exemple, l’inscription du principe de non-régression aurait empêché que l’on autorise à nouveau l’usage des néonicotinoïdes. Autrement dit, quel est l’intérêt d’ajouter une phrase à l’article 1er de la Constitution puisque la Charte de l’environnement fait déjà partie du bloc de constitutionnalité ? Des spécialistes parlent de garantir, d’agir, de favoriser, mais où sont les résultats ?
Les débats autour de la modification de la Constitution nous donneront l’occasion de réaffirmer collectivement notre volonté de faire face aux défis écologiques. Pour ma part, je crains que cette réforme tienne surtout de la diversion politique et de l’opération de communication. J’aurais préféré que le Gouvernement et la majorité reprennent la proposition de Nicolas Hulot de créer un poste de vice‑Premier ministre chargé du développement durable. M. Emmanuel Macron avait inscrit cette mesure dans son programme de candidat à la présidentielle de 2017 mais il en aurait été empêché, par la suite, en raison de la Constitution. Il aurait fallu une réforme de la Constitution pour nommer ce vice-Premier ministre du temps long. Ces considérations nous dépassent, nous, politiques du temps court. Cette réforme-là nous aurait permis d’agir et de contrebalancer la politique d’un Premier ministre davantage préoccupé par la gestion du quotidien que par la préparation du temps long.
Pour conclure, je ne résiste pas au plaisir de citer Jean de La Fontaine qui écrivait dans une lettre à Jean Racine : « Un sot plein de savoir est toujours plus sot qu’un autre homme ». Sommes-nous sots au point de préférer la communication à l’action alors que nous savons l’urgence ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Depuis 2017, les gouvernements ont beaucoup fait pour l’écologie et nombre des mesures qu’ils ont prises sont à inscrire à leur actif. J’aurai sans doute l’occasion de le rappeler au banc car j’entends bien les regrets de certains députés : les actions seraient insuffisantes, il aurait fallu créer un poste de vice-Premier ministre – ce poste serait d’ailleurs peut-être vacant. Nous en reparlerons le moment venu.
Dans ce domaine, le débat parlementaire est essentiel et je n’entends pas substituer la réflexion de 150 de nos concitoyens à la vôtre. Cependant, gardons‑nous d’opposer les uns aux autres. Le mot « urgence » est fréquemment revenu. Nombre d’entre vous avez aussi évoqué, à juste titre, l’exemplarité de la France dans ce domaine. La France, en effet, a un rôle à jouer au plan international et elle a déjà démontré à quel point elle pouvait être à la pointe sur ces sujets.
Monsieur Julien Aubert, vous dites que la Convention citoyenne pour le climat ne représente pas le peuple. Rappelons qu’elle rassemble 150 de nos concitoyens, aussi pardonnez-moi de penser qu’elle le représente tout de même un peu. Certes, ils ont été tirés au sort, mais ils ont beaucoup travaillé, ils ont été entourés d’experts et ils ont consulté toutes les associations. Pour avoir vécu ce débat à propos du Conseil économique, social et environnemental (CESE), je pense qu’on ne peut pas opposer 150 de nos concitoyens de bonne volonté à la représentation nationale. Ce serait même légèrement condescendant. Dans le registre de la saillie drolatique, vous avez ajouté, Monsieur Aubert, qu’on n’allait pas réformer la Constitution pour tout, sinon pourquoi ne pas y inscrire les baleines. Je suis bien d’accord avec vous, il serait difficile de réserver un article aux baleines dans la Constitution, mais surtout ce serait inutile car, si cette réforme aboutit, la garantie de la diversité biologique permettra de lutter contre la disparition de certaines espèces, en particulier des baleines. J’espère vous avoir ainsi rassuré…
Plus sérieusement, la préservation de l’environnement ne sera plus un objectif à valeur constitutionnelle mais un principe à valeur constitutionnelle à part entière. Vous semblez le craindre. Moi, pas du tout. Vous avez rappelé que les lois en faveur de l’environnement n’avaient pas manqué depuis cinquante ans. Le résultat est-il satisfaisant ? Avons-nous remarqué une amélioration pour l’environnement ? Sûrement pas. Il faut donc aller plus loin et c’est à ce défi que le Gouvernement entend répondre en donnant une force nouvelle à la protection de l’environnement dans la Constitution. Voilà en quoi réside l’utilité de cette réforme : l’obligation d’agir.
Quant au mot « garantir », que vous craignez tant, je rappelle qu’il figure déjà à quatre reprises dans la Constitution. En rendrait-il les dispositions concernées inutiles ? Dangereuses ? L’enjeu de l’urgence écologique nous impose de dépasser les positions politiciennes.
Merci, Monsieur Anglade, pour la qualité de votre travail et de votre réflexion. On ne peut pas opposer le travail de 150 citoyens et celui de la représentation nationale. Vous n’allez pas prendre pour argent comptant ce qu’a dit la Convention citoyenne : vous allez examiner les mots choisis. Vous avez, bien sûr, un véritable rôle à jouer.
Il y a eu récemment une condamnation de l’État, c’est vrai. Je ne vais pas la commenter, puisque je suis le garde des sceaux. L’environnement est l’affaire de tout le monde – de ces 150 concitoyens et de chacun d’entre nous. Ne plus jeter les mégots de cigarette par terre, ne pas polluer quand on est un industriel, aller de l’avant avec ce texte, c’est notre responsabilité compte tenu du constat que l’environnement se dégrade. Nos enfants, nos adolescents le savent parfaitement. Ils ont très souvent fait leur ce combat.
La Charte de l’environnement, qui date en réalité de 2004, a donné à la protection de l’environnement une valeur constitutionnelle. Cela permet au législateur de prendre des mesures importantes. Dans la Charte, la protection de l’e