N° 524
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 octobre 2024.
AVIS
PRÉSENTÉ
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2025,
TOME IV
RÉGIMES SOCIAUX ET DE RETRAITE
PENSIONS
PAR Mme Sandrine RUNEL,
Députée.
——
Voir les numéros : 324, 468 (annexe 37).
– 1 –
SOMMAIRE
___
Pages
I. LES CRÉDITS DU COMPTE D’AFFECTATION SPÉCIALE PENSIONS
3. Allocations temporaires d’invalidité
B. LE PROGRAMME 742 OUVRIERS DES ÉTABLISSEMENTS INDUSTRIELS DE L’ÉTAT
C. LE PROGRAMME 743 PENSIONS MILITAIRES D’INVALIDITÉ ET DES VICTIMES DE GUERRE ET AUTRES PENSIONS
1. Reconnaissance de la Nation
3. Les autres actions du programme 743
II. LES CRÉDITS DE LA MISSION RÉGIMES SOCIAUX ET DE RETRAITE
A. LE PROGRAMME 198 RÉGIMES SOCIAUX ET DE RETRAITE DES TRANSPORTS TERRESTRES
1. Les pensions des anciens agents de la SNCF
2. Les pensions des anciens agents de la RATP
B. LE PROGRAMME 197 RÉGIMES DE RETRAITE ET DE SÉCURITÉ SOCIALE DES MARINS
C. LE PROGRAMME 195 RÉGIMES DE RETRAITE DE LA SEITA ET DIVERS
1. Le fonds spécial de retraite de la Caisse autonome nationale de sécurité sociale dans les mines
3. Les autres régimes du programme 195
A. Plus ou moins répAndue selon les secteurs, la pénibilité altère la santé des travailleurs
2. Un niveau élevé de pénibilité a des conséquences sur la santé des travailleurs
b. Un dispositif particulièrement présent dans la fonction publique hospitalière
2. La retraite pour incapacité permanente compense la pénibilité subie au moment de la retraite
3. Un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle a récemment été créé
A. D’importantes régressions sont récemment intervenues en matière de pénibilité
2. Les spécificités des régimes spéciaux disparaissent toujours davantage
1. Certaines formes d’emploi ne permettent pas une juste prévention et compensation de la pénibilité
1. Prévenir en pratique la pénibilité tout au long de la vie professionnelle
2. Reconnaître la pénibilité par des salaires plus justes
3. Engager de réelles politiques de promotion professionnelle
Annexe liste des personnes entendues par la rapporteure
– 1 –
Dans la continuité des réformes conduites par les gouvernements successifs depuis la fin du XXe siècle, la loi n° 2023‑270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 a, d’une part, allongé la durée légale de cotisation, passant progressivement de 42 à 43 annuités en 2027 et, d’autre part, reculé l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans en 2030.
Rendant la prise en compte de la pénibilité des métiers pour la retraite encore plus nécessaire, cette réforme n’a pourtant exprimé aucune vision ambitieuse pour prévenir et reconnaître la pénibilité tout au long de la carrière et au moment de la retraite. Si des améliorations sectorielles ont certes pu être apportées, la réforme de 2023 a contribué à une moindre prise en compte de la pénibilité à l’œuvre depuis 2017 : sans réintégrer les quatre facteurs de risques professionnels exclus du compte professionnel de prévention, elle n’a pas davantage adapté les autres dispositifs aux nouveaux enjeux du travail.
Pourtant, il existe en France une forte demande de justice sociale en matière d’exposition à la pénibilité. Une enquête de l’Ifop, citée par le Conseil d’orientation des retraites dans son rapport Pénibilité en 2023, montrait que 94 % des sondés étaient d’accord avec l’idée que les salariés ayant exercé des métiers pénibles devraient avoir le droit de partir plus tôt à la retraite. Ce besoin apparaît d’autant plus crucial au sein des métiers les plus féminisés qu’exercent les professionnelles du soin, des services à la personne ou plus généralement du secteur social et médico-social. Ces femmes qui usent leur santé pour préserver celle de nos enfants, proches malades ou en situation de handicap et de nos aînés sont en effet trop souvent des laissées-pour-compte : bas salaires, importantes manutentions, charge émotionnelle et mentale élevée, tel est leur quotidien. Alors que d’autres pays européens progressent sur ce front, la France recule.
Ainsi, afin de mieux prendre en compte la pénibilité au moment de la retraite et de la prévenir tout au long de la carrière, la rapporteure émet plusieurs propositions dans la seconde partie de ce rapport consacrée à la prise en compte de cette spécificité, notamment au sein des professions les plus féminisées, dans nos régimes de retraite.
Dans la première partie, la rapporteure effectue une analyse des évolutions budgétaires opérées dans la mission Régimes sociaux et de retraite et dans le compte d’affectation spéciale Pensions du projet de la loi de finances pour 2025. Au regard de la décision du Gouvernement de décaler la revalorisation des pensions de retraite sur l’inflation du 1er janvier au 1er juillet 2025, la rapporteure émet un avis défavorable à l’adoption de ces crédits, estimant que le Gouvernement procède une nouvelle fois à une injustice majeure envers les retraités.
– 1 –
PREMIÈre partie
les crédits du compte d’affectation spéciale pensions
et de la mission régimes sociaux et de retraiTe
Les crédits du compte d’affectation spéciale (CAS) Pensions, qui se montaient à 67,58 milliards d’euros en 2024, sont en hausse (1,33 %). Ils s’établissent à 68,48 milliards d’euros dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2025. Les crédits de la mission Régimes sociaux et de retraite sont également revus à la hausse, passant de 5,18 milliards d’euros pour 2024 à 6 milliards d’euros en 2025, soit une hausse de 18,5 %.
En préambule, la rapporteure souligne que l’évolution des crédits de chaque programme de la mission et du CAS est fortement liée, d’une part, dans chaque régime, au rapport entre les cotisants et les pensionnés, très dégradé dans certains cas, et d’autre part, à la revalorisation des pensions prévue pour 2025 et anticipée dans le PLF.
Indexées sur l’inflation, les pensions financées par la mission et le CAS auraient dû être réévaluées au 1er janvier 2025. Toutefois, les projets annuels de performance (PAP) indiquent que les prévisions de dépenses reposent sur une hypothèse de revalorisation des pensions décalée au 1er juillet 2025. Cette décision du Gouvernement minore ainsi les dépenses, au détriment des retraités relevant de ces régimes, ce que la rapporteure regrette vivement.
La présentation des crédits relevant de ces deux missions est complémentaire à celle effectuée par le rapporteur spécial de la commission des finances, saisie au fond.
I. LES CRÉDITS DU COMPTE D’AFFECTATION SPÉCIALE PENSIONS
Créé en 2006, le compte d’affectation spéciale Pensions regroupe les crédits des régimes de retraite et d’invalidité dont l’État a la charge. Il s’agit des fonctionnaires civils, des ouvriers de l’État ou des militaires. Comme tout compte d’affectation spéciale, il est soumis à une obligation d’équilibre : son solde budgétaire cumulé, correspondant à la différence entre la somme des recettes et celle des dépenses depuis la création du compte, doit toujours être excédentaire. Ce résultat est obtenu par une gestion précise des recettes, qui se composent des contributions employeurs, des cotisations salariales et, en tant que de besoin et sans limitation, de versements complémentaires issus du budget général.
Ces crédits sont répartis en trois sections correspondant chacune à un programme. Deux d’entre eux sont en légère hausse par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2024, respectivement de 1,42 % et 1,84 %, le troisième accusant une baisse de 3,64 %.
Les crédits des trois programmes du CAS dans le PLF 2025, et leur évolution par rapport à la LFI 2024 sont répartis, en milliards d’euros, ainsi que le présente le tableau suivant.
Programmes et actions |
Crédits de paiement = autorisations d’engagement |
||
LFI 2024 |
PLF 2025 |
Évolution |
|
P741 – Pensions civiles et militaires de retraite et allocations temporaires d’invalidité |
64,23 |
65,14 |
1,42 % |
01 – Fonctionnaires civils relevant du code des pensions civiles et militaires de retraite |
52,98 |
53,83 |
1,62 % |
02 – Militaires relevant du code des pensions civiles et militaires de retraite |
11,12 |
11,17 |
0,46 % |
03 – Allocations temporaires d’invalidité |
0,14 |
0,14 |
1,01 % |
P742 – Ouvriers des établissements industriels de l’État |
2,05 |
2,09 |
1,84 % |
01 – Prestations vieillesse et invalidité |
1,99 |
2,02 |
1,21 % |
03 – Autres dépenses spécifiques |
0 (1 066 135 €) |
0 (133 492 €) |
– 87,48 % |
04 – Gestion du régime |
0,006 |
0,006 |
8,26 % |
05 – Rentes accidents du travail des ouvriers civils des établissements militaires (RATOCEM) |
0,06 |
0,06 |
5,19 % |
P743 – Pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre et autres pensions |
1,30 |
1,25 |
– 3,64 % |
01 – Reconnaissance de la Nation |
0,54 |
0,51 |
– 5,84 % |
02 – Réparation |
0,69 |
0,66 |
– 4,09 % |
03 – Pensions Alsace-Moselle |
0,01 |
0,01 |
6,25 % |
04 – Allocations de reconnaissance des anciens supplétifs |
0,04 |
0,05 |
26,59 % |
05 – Pensions des anciens agents du chemin de fer franco-éthiopien |
|
0 (27 206 €) |
- |
06 – Pensions des sapeurs-pompiers et anciens agent de la défense passive victimes d’accident |
0,01 |
0,01 |
2,81 % |
07 – Pensions de l’ORTF |
0 (72 000 €) |
0 (62 000 €) |
– 13,89 % |
Totaux |
67,58 |
68,48 |
1,33 % |
Source : PAP 2025.
A. LE PROGRAMME 741 PENSIONS CIVILES ET MILITAIRES DE RETRAITE ET ALLOCATIONS TEMPORAIRES D’INVALIDITÉ
Le programme 741 rassemble les crédits relatifs au versement des prestations de retraite des fonctionnaires civils de l’État et des militaires ainsi que de l’allocation temporaire d’invalidité (ATI). Il rassemble la majeure partie des dépenses retracées dans le CAS (95 %), soit plus de 65 milliards d’euros. Ses crédits, rapportés à ceux adoptés dans la LFI 2024, sont en augmentation (1,42 %). Cependant, cette hausse est inférieure à celle observée au sein de la LFI 2024 (5,30 %).
L’action regroupe l’essentiel des crédits du programme (82,6 %) à hauteur de 53,8 milliards d’euros.
Après une diminution marquée (– 5 % en 2023 et – 12 % en 2024) sous l’effet de la réforme des retraites de 2023, le nombre de départs devrait faiblement augmenter à partir de 2025, à hauteur de 0,5 % par an. Les crédits de l’action connaissent une hausse de 1,6 % en 2025, soit une progression inférieure à la tendance observée au sein de la LFI 2024 (5,33 %). Ces prévisions de dépenses pour 2025 reposent sur des hypothèses de revalorisation des pensions de 1,8 % décalée au 1er juillet 2025, au lieu du 1er janvier de la même année, et de revalorisation des pensions liquidées au titre de l’invalidité de 1,9 % au 1er avril 2025.
2. Militaires
Malgré l’augmentation de la prévision du nombre de sorties de pensions militaires de droit direct ou dérivé en 2025 (5,6 %), les crédits alloués à cette action se stabilisent (0,46 %) pour atteindre 11 milliards d’euros, en prenant pour hypothèse une revalorisation des pensions de 1,8 % prévue au 1er juillet 2025.
3. Allocations temporaires d’invalidité
Les crédits des allocations temporaires d’invalidité, qui ne représentent qu’une très faible part des crédits du programme 741 (0,2 %), seront en légère hausse (1 %) en 2025.
B. LE PROGRAMME 742 OUVRIERS DES ÉTABLISSEMENTS INDUSTRIELS DE L’ÉTAT
Le programme 742 retrace les dépenses et recettes de deux fonds consacrés aux prestations de retraite et d’invalidité versées aux ouvriers de l’État : le fonds spécial des pensions des ouvriers des établissements industriels de l’État (FSPOEIE) et le fonds gérant les rentes d’accidents du travail des ouvriers civils des établissements militaires (Ratocem), tous deux gérés par la Caisse des dépôts et consignations.
Le montant des crédits du programme s’établit à près de 2,1 milliards d’euros, en hausse (1,84 %) par rapport à la LFI 2024. L’augmentation observée de 38 millions d’euros est principalement liée aux hypothèses de revalorisation des pensions de vieillesse de 1,8 % au 1er juillet 2025 et de revalorisation des pensions liquidées au titre de l’invalidité de 1,9 % au 1er avril.
Le programme 742 se divise en cinq actions dont la première, Prestation vieillesse et invalidité, regroupe 96,8 % des crédits de l’ensemble.
C. LE PROGRAMME 743 PENSIONS MILITAIRES D’INVALIDITÉ ET DES VICTIMES DE GUERRE ET AUTRES PENSIONS
Ce programme finance, d’une part, les pensions versées au titre du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre (PMIVG) et, d’autre part, les pensions, rentes et allocations de régimes de retraite ou équivalents dont l’État est directement redevable, notamment au titre d’engagements historiques et de reconnaissance de la Nation.
À la différence des autres programmes du CAS Pensions, ces dépenses sont financées exclusivement par la solidarité nationale et non selon une logique contributive. Chaque action est le miroir d’une action d’un des programmes ministériels du budget général, dit programme support, qui en supporte exclusivement les dépenses. Comme pour l’année précédente, il s’agit du seul programme du CAS dont les crédits baisseront en 2025 (– 3,64 %) par rapport à la LFI 2024. Ils atteindront 1,2 milliard d’euros du fait de la baisse des effectifs des populations bénéficiaires.
Ce programme se décline en sept actions recouvrant une diversité de pensions et de rentes.
1. Reconnaissance de la Nation
Cette action représente 40,5 % des crédits du programme. La prévision de dépenses pour 2025, s’élevant à 505,1 millions d’euros, est en baisse de 5,85 % par rapport à la LFI 2024.
Versée en témoignage de la reconnaissance nationale, la retraite du combattant s’élève à 826,80 euros annuels depuis la revalorisation du point d’indice des pensions militaires d’invalidité au 1er janvier 2024. Les effectifs sont en baisse constante en raison de la structure d’âge des bénéficiaires de l’allocation de reconnaissance du combattant.
Outre la retraite du combattant, cette action comprend les traitements attachés à la Légion d’honneur et à la médaille militaire. Le faible nombre d’ayants droit de la Légion d’honneur demandant leur traitement et la modestie de ce dernier expliquent le très faible montant des dépenses afférentes (0,76 million d’euros), stable depuis plusieurs années.
2. Réparation
Cette action représente 53 % du montant des crédits du programme. Elle regroupe les pensions dues au titre du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre ainsi que les allocations rattachées. Les dépenses pour 2025 sont estimées à 662,1 millions d’euros, en diminution par rapport à la LFI 2024 (– 4,09 %). Cette baisse s’explique principalement par la diminution du nombre de bénéficiaires, qui concerne notamment les pensions les plus élevées.
3. Les autres actions du programme 743
Les cinq autres actions représentent 6,6 % des crédits du programme et regroupent une diversité de pensions et de rentes telles que les pensions de certains ministres des cultes dans les trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, les allocations de reconnaissance en faveur des anciens membres des formations supplétives en Algérie ou bien encore certains avantages de pensions aux anciens agents de l’ORTF.
II. LES CRÉDITS DE LA MISSION RÉGIMES SOCIAUX ET DE RETRAITE
La mission Régimes sociaux et de retraite regroupe un grand nombre de régimes spéciaux de retraite, notamment ceux de la SNCF, de la RATP, des marins, des anciens mineurs et d’autres petits régimes désormais fermés. Ils se caractérisent par une création ancienne, souvent antérieure à la sécurité sociale, et par un fort déséquilibre démographique. L’autofinancement étant impossible, il est compensé par le versement de crédits de l’État au titre de la solidarité nationale.
À ce titre, la loi n° 2023‑150 du 26 décembre 2023 de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2024 a décidé un nouveau schéma de financement pour les régimes spéciaux fermés des trois programmes de la mission. Désormais, il revient au régime général de la sécurité sociale d’assurer leur équilibrage. Les crédits budgétaires compensent la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) à hauteur du besoin constaté.
En outre, les règles applicables à ces régimes ont progressivement été modifiées, la loi n° 2018‑515 du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire ayant mis en extinction le régime spécial de la SNCF. Par ailleurs, la loi n° 2023‑270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 organise, notamment, la fermeture du régime spécial de retraite de la RATP pour les recrutements intervenus à compter du 1er septembre 2023.
Pour l’année 2025, les crédits de la mission s’élèveront à près de 6 milliards d’euros, en baisse de 3,5 % par rapport à la LFI 2024. Comme pour l’exercice précédent, si l’essentiel des actions des trois programmes de la mission connaît une baisse tendancielle des crédits, les actions Régime de retraite du personnel de la RATP (1,8 %), Caisse de retraites du personnel de la Comédie-Française (0,45 %) et Caisse de retraites des personnels de l’Opéra national de Paris (13,12 %) sont notamment en hausse.
En synthèse, les crédits des trois programmes de la mission dans le PLF 2025, et leur évolution par rapport à la LFI 2024, sont répartis, en milliards d’euros, comme le montre le tableau suivant.
Programmes et actions |
Crédits de paiement = autorisations d’engagement |
||
LFI 2024 |
PLF 2025 |
Évolution |
|
P198 – Régimes sociaux et de retraite des transports terrestres |
4,37 |
4,18 |
– 4,21 % |
03 – Régime de retraite du personnel de la SNCF |
3,46 |
3,27 |
– 5,71 % |
04 – Régime de retraite du personnel de la RATP |
0,89 |
0,90 |
1,80 % |
05 – Autres régimes |
0,01 |
0,01 |
– 12,20 % |
P197 – Régimes de retraite et de sécurité sociale des marins |
0,79 |
0,78 |
– 1,08 % |
01 – Régimes de retraite et de sécurité sociale des marins |
0,79 |
0,78 |
– 1,08 % |
P195 – Régimes de retraite des mines, de la SEITA et divers |
1,07 |
1,03 |
– 3,86 % |
01 – Versement au fonds spécial de retraite de la caisse autonome nationale de sécurité sociale dans les mines |
0,92 |
0,88 |
– 4,35 % |
02 – Régime de retraite de la SEITA |
0,12 |
0,13 |
– 8,3 % |
04 – Caisse des retraites des régies ferroviaires d’outre-mer |
0 (723 261 €) |
0 (641 298 €) |
– 11,33 % |
05 – Caisse de retraite du personnel de la Comédie-Française |
0,004 |
0,00 |
0,45 % |
06 – Caisse de retraites des personnels de l’Opéra national de Paris |
0,02 |
0,02 |
13,12 % |
07 – Versements liés à la liquidation de l’ORTF |
0 (60 000 €) |
0 (62 000 €) |
3,33 % |
Totaux |
6,22 |
5,99 |
– 3,75 % |
Source : PAP 2025 ; LFI 2024.
A. LE PROGRAMME 198 RÉGIMES SOCIAUX ET DE RETRAITE DES TRANSPORTS TERRESTRES
Ce programme regroupe la plupart des crédits de la mission (70 %). Malgré une hypothèse de revalorisation des pensions de vieillesse de 1,8 % au 1er juillet 2025, il voit ses crédits diminuer (– 4,21 %), sous l’effet principal de la baisse des crédits de l’action Pensions des anciens agents de la SNCF.
1. Les pensions des anciens agents de la SNCF
Cette action regroupe 78,1 % des crédits du programme pour un montant en baisse par rapport à la LFI 2024 (– 5,71 %), s’élevant à 3,27 milliards d’euros. Ils correspondent principalement au versement par l’État de crédits à la Cnav qui assume le rôle d’équilibreur du régime de la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel ferroviaire (CPRF).
En 2023, ce régime compte près de 111 000 cotisants pour environ 229 000 retraités. Ce rapport démographique défavorable se dégrade du fait de la fermeture du régime et de l’arrêt du recrutement au statut depuis le 1er janvier 2020, en vertu de la loi n° 2018‑515 du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire, et ce malgré la baisse du nombre de départs à la retraite et la diminution progressive du nombre de cotisants au regard du décalage des âges d’ouverture des droits. Ce faisant, le besoin de contribution d’équilibre versée par l’État devrait croître de manière continue. La part des pensions financées par ce biais devrait passer de 63,6 % en 2022 à 90,5 % en 2050.
2. Les pensions des anciens agents de la RATP
Selon les mêmes modalités que pour la SNCF, cette action correspond à la contribution de l’État assurant l’équilibre de la Caisse de retraite du personnel de la régie autonome des transports parisiens (CRPRATP).
Représentant 21,6 % des crédits du programme, les dépenses correspondantes augmentent légèrement (1,80 %) pour s’établir à 902,5 millions d’euros. La situation démographique du régime explique que les dépenses augmentent de façon plus dynamique que les ressources à court terme.
Ce régime comptait en 2023 plus de 46 000 pensionnés pour près de 40 000 cotisants. La loi précitée du 14 avril 2023 devrait dégrader encore davantage ce rapport avec la fermeture du régime spécial de retraite de la RATP pour les nouveaux embauchés à partir du 1er septembre 2023, malgré les effets positifs pour l’année 2023 du décalage de l’âge d’ouverture des droits des assurés du régime spécial.
À la suite du transfert en 2023 au programme 203 de la mission Écologie, développement et mobilité durables des crédits afférents au congé de fin d’activité des conducteurs routiers (CFA), l’action supporte aujourd’hui uniquement les pensions des anciens agents des chemins de fer d’Afrique du Nord et outre-mer, ainsi que les pensions de certains anciens agents des chemins de fer secondaires au travers de l’ancienne Caisse autonome mutuelle de retraite (CAMR) pour un montant de 13 millions d’euros, en baisse par rapport à la LFI 2024 (– 12,20 %).
B. LE PROGRAMME 197 RÉGIMES DE RETRAITE ET DE SÉCURITÉ SOCIALE DES MARINS
Représentant 13 % des crédits de la mission, ce programme rassemble les financements accordés par l’État au régime de sécurité sociale des marins et des gens de mer, d’une part, et la subvention versée à l’Établissement national des invalides de la marine (Enim) au titre de ses charges de service public, d’autre part.
Malgré une hypothèse de revalorisation des pensions de vieillesse de 1,8 % au 1er juillet 2025, le programme voit ses crédits baisser par rapport à la LFI 2024 (– 1,08 %), s’établissant à 778,9 millions d’euros dans le PLF 2025.
Ce régime recouvre une branche vieillesse et une branche maladie, accident, invalidité, maternité et décès. Il développe également des actions sanitaires et sociales à destination du monde maritime.
La branche vieillesse présente une démographie extrêmement déséquilibrée propre à la profession des marins, laquelle rend nécessaire une contribution de la solidarité nationale à hauteur des trois quarts de ses dépenses. En effet, le régime comptait en 2022, pour la branche vieillesse, près de 25 000 cotisants pour plus de 100 000 pensions directes et reversions versées. En 2025, près de 102 000 pensions devraient être versées pour un montant 1,04 milliard d’euros prenant en compte une revalorisation de 1,8 % au 1er juillet 2025.
Contrairement aux régimes spéciaux de retraite de la SNCF ou de la RATP, le Gouvernement n’a pas souhaité supprimer le régime de retraite et de sécurité sociale des marins dans toutes ses composantes.
C. LE PROGRAMME 195 RÉGIMES DE RETRAITE DE LA SEITA ET DIVERS
Après une légère hausse en 2024 (1,83 %), le programme voit ses crédits légèrement diminuer (– 3,7 %). Il comporte quatre régimes spéciaux fermés en rapide déclin démographique, voire quasiment éteints, à l’image de la Caisse autonome nationale de sécurité sociale dans les mines représentant 84,6 % du programme. Depuis 2024, le programme comporte deux nouveaux régimes que sont la Caisse de retraites du personnel de la Comédie-Française et la Caisse de retraites des personnels de l’Opéra national de Paris. Ce transfert résulte de la volonté de regrouper l’ensemble des régimes spéciaux de retraite subventionnés par l’État au sein d’une même mission. Au total, le programme dispose ainsi de 1,03 milliard d’euros de crédits représentant 17,2 % de la mission.
1. Le fonds spécial de retraite de la Caisse autonome nationale de sécurité sociale dans les mines
Ce régime, fermé depuis 2010, se caractérise par un important déséquilibre démographique avec 179 200 pensionnés pour 714 cotisants en 2024. Il devrait s’éteindre en 2100. Ses effectifs sont en diminution régulière, de même que les crédits qui lui sont alloués (– 4,34 %) en 2025, qui représentent 84,6 % des dépenses du programme 195. Ils s’établissent pour 2025 à 875,1 millions d’euros.
2. La Caisse de retraites du personnel de la Comédie-Française et la Caisse de retraites des personnels de l’Opéra national de Paris
Les régimes spéciaux de retraite de la Comédie-Française et de l’Opéra national de Paris sont financés par les cotisations patronales et salariales, un droit spécial provenant du « droit sur places vendues » ainsi qu’une subvention de fonctionnement, versée par l’État, pour assurer l’équilibre financier des régimes.
Le régime spécial de retraite de la Comédie-Française, qui regroupe ses artistes aux appointements et ses employés à traitement fixe, est géré par la caisse de retraite du personnel de la Comédie-Française (CRPCF), établissement d’utilité publique. En 2023, il comptait 438 pensionnés pour 352 cotisants.
La Caisse de retraites des personnels de l’Opéra national de Paris (Cropera) est quant à elle un établissement privé reconnu d’utilité publique qui assure la gestion du régime spécial de retraite des personnels de l’Opéra national de Paris. Ils y sont obligatoirement affiliés, lorsqu’ils sont embauchés à durée indéterminée ou également, pour les personnels artistiques, de manière temporaire. En 2023, le régime disposait de 1 817 cotisants pour 1 899 pensionnés, dégradant le ratio démographique cotisant/retraité à 0,96 (1,07 en 2022).
La subvention additionnée des deux régimes, précédemment portés par le programme 131 Création, s’élève à 27,7 millions d’euros, en hausse de 10,6 % par rapport à la LFI 2024, suivant une tendance croissante pour répondre à la hausse structurelle des coûts des régimes. Le régime de l’Opéra national de Paris représente 82 % des dépenses de ces deux actions.
3. Les autres régimes du programme 195
Les crédits des trois autres régimes du programme 195 évoluent marginalement à la hausse ou à la baisse par rapport à la LFI 2024. Ces évolutions s’expliquent essentiellement par la démographie de ces régimes ainsi que par la revalorisation attendue. À titre d’exemple, le régime de retraite du Service d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA) ne dispose plus d’aucun cotisant et comptait 6 398 pensionnés au 31 décembre 2023.
L’évolution des crédits pour 2024 est décrite dans le tableau d’évolution des crédits pour l’ensemble de la mission.
– 1 –
seconde partie
la prise en compte de la pénibilité, notamment au sein des professions les plus féminisées, dans nos régimes de retraite
I. LA PéNIBILITé a progressivement été prise eN COMPTE POUR LA RETRAITE mais différemMent SELON LES RéGIMES
Le terme de pénibilité n’est pas employé dans le code du travail, qui contient uniquement l’expression « facteurs de risques professionnels ». L’ensemble de ces facteurs sont énumérés à l’article L. 4161‑1 dudit code, qui les regroupe en trois catégories :
– des contraintes physiques marquées : il s’agit de manutentions manuelles de charge, de postures pénibles définies comme positions forcées des articulations et des vibrations mécaniques ;
– un environnement physique agressif : il s’agit d’agents chimiques dangereux, y compris les poussières et les fumées, d’activités exercées en milieu hyperbare, de températures extrêmes ou de bruit ;
– certains rythmes de travail : le travail de nuit, répétitif ou en équipes successives alternantes.
Si les régimes spéciaux connaissent des règles de prise en compte de ces facteurs de risques professionnels qui leur sont propres, le régime général dispose de règles distinctes.
A. Plus ou moins répAndue selon les secteurs, la pénibilité altère la santé des travailleurs
1. Inhérente à l’exercice de certains métiers, la pénibilité concerne principalement les hommes mais également certaines professions particulièrement féminisées
Certains métiers confrontent nécessairement les travailleurs qui les exercent à un niveau plus ou moins élevé de pénibilité. À ce titre, la France semble être particulièrement concernée. En effet, en 2015, la proportion de travailleurs français exposés à la pénibilité était quasi systématiquement supérieure à celle de ses voisins européens, tels que l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie, pour les principaux risques recensés ([1]). Pour autant, l’information des salariés français sur ces risques ne semble pas à la hauteur des enjeux puisqu’un salarié sur deux « très exposés » déclarait ne pas en disposer.
Au sein du secteur privé, qui emploie la plupart de la population, c’est ainsi plus d’un salarié sur deux qui est exposé à au moins six facteurs de pénibilité. Ces facteurs concernent principalement les hommes, à près de 60 %. Lorsque l’exposition est « très élevée », une personne concernée sur deux est un ouvrier et la proportion d’hommes atteint alors près de 70 %. Les petites entreprises de moins de 50 salariés sont principalement concernées et le secteur d’exposition principal est l’industrie. De ce fait, les femmes sont, en moyenne, moins soumises aux risques professionnels.
Au sein de la fonction publique, les agents sont également confrontés à des facteurs de risques professionnels. Plus que dans le secteur privé, les agents de la fonction publique hospitalière et de la fonction publique territoriale déclarent des contraintes posturales et articulaires. De même, près d’un agent sur quatre de la fonction publique d’État ou de la fonction publique hospitalière déclare des horaires atypiques, principalement la nuit, contre 13,3 % des salariés du secteur privé. Comme pour les autres facteurs de risque, la fonction publique hospitalière est la plus exposée aux risques chimiques et biologiques. À titre d’exemple, 72,8 % des agents y sont exposés à des agents biologiques, contre 43 % des agents de la fonction publique territoriale ou 20 % des salariés du secteur privé ([2]).
Au regard du taux de féminisation de 78 % au sein de la fonction publique hospitalière, ces risques particulièrement élevés concernent principalement les femmes qui, par exemple, représentent 87 % des catégories B dont relèvent les aides‑soignantes ([3]).
Les professions les plus féminisées en France
En 2020, 48,5 % des emplois étaient occupés par des femmes ([4]). Par ailleurs, en 2012, les dix catégories professionnelles les plus féminisées étaient les suivantes : assistantes maternelles (99,1 %), aides à domicile et aides ménagères (97 %), secrétaires (97 %), aides-soignantes (91,4 %), infirmières et sages-femmes (87,8 %), employées administratives d’entreprise (76 %), agentes d’entretien (74 %), vendeuses (73,9 %), employées administratives de la fonction publique (73 %) et enseignantes (66,1 %) ([5]). Cependant, les agents d’entretien ne représentent que 6,9 % de l’emploi féminin, les aides-soignants 5,1 % et les enseignants 5,6 %.
Tout en ayant conscience qu’un certain niveau de pénibilité subsistera, en particulier pour les métiers les plus essentiels, la rapporteure estime que la reconnaissance de la pénibilité ne saurait évidemment ni banaliser ni rendre acceptables des pratiques au travail pénalement répréhensibles, à l’image du harcèlement ou des violences sexistes et sexuelles.
2. Un niveau élevé de pénibilité a des conséquences sur la santé des travailleurs
La pénibilité des métiers du soin aux hospices civils de Lyon
Au sein des hospices civils de Lyon (HCL), 87 % des soignants sont des femmes. Elles sont principalement aides-soignantes ou infirmières. Souvent concernées par des rythmes de travail atypiques, de nuit, de fin de semaine et en douze heures de travail consécutives, ces catégories professionnelles sont particulièrement touchées par des restrictions prononcées par le service de santé au travail de l’établissement. Ainsi, en 2023, 21,2 % des restrictions prononcées concernaient des aides-soignantes et 13,1 % des restrictions des infirmières. Aucune autre profession ne représentait plus de 4 % des restrictions prononcées. De plus, les difficultés s’accroissent à mesure que les professionnels de santé vieillissent. Ainsi, si l’absentéisme a augmenté au sein des centres hospitaliers universitaires depuis la crise sanitaire du Covid-19 ([6]), cette augmentation est plus marquée aux HCL chez les professionnels de plus 40 ans.
Par ailleurs, ce constat pourrait se renforcer à mesure que les prises en charge à l’hôpital public deviennent plus lourdes, en particulier au sein des services dont les sujétions sont les plus fortes. À titre d’exemple, une étude conduite par l’institut du vieillissement des HCL sur l’ensemble des unités de soins de longue durée de l’établissement a montré qu’entre 2019 et 2023 les patients y étaient de moins en moins autonomes, de plus en plus âgés et quasi systématiquement atteints de troubles cognitifs. De même, l’important nombre de lits fermés par manque de personnels depuis la crise sanitaire du covid‑19 a eu pour effet de concentrer les prises en charge sur un nombre plus restreint de professionnels. Outre les importants efforts consentis, l’impression de mal soigner et de « qualité empêchée », selon les mots de la cheffe du service de santé au travail, émerge comme un facteur de risque professionnel.
Enfin, à ce constat s’ajoutent les problèmes sociaux que rencontrent fréquemment les soignantes dans leur vie personnelle, plus souvent confrontées à des charges de famille monoparentale et au prix élevé du logement dans une métropole de premier plan.
Comme l’ont souligné les auditions conduites par la rapporteure, l’exposition à la pénibilité peut avoir un impact sur la santé des travailleurs. L’espérance de vie varie sensiblement selon la profession de telle sorte que l’écart à 35 ans entre les cadres et les ouvriers s’élève à cinq ans chez les hommes et trois ans chez les femmes ([7]). Cette différence se retrouve une fois à la retraite puisque, selon le service des retraites de l’État, les hommes retraités de la fonction publique ayant bénéficié d’un départ anticipé pour catégorie active ont une espérance de vie à 65 ans de 0,89 an inférieur à celle des hommes retraités de catégorie sédentaire ([8]). Certes, ces différences ne sauraient s’expliquer par l’exposition seule à des facteurs de risques professionnels, mais le lien néfaste entre pénibilité et santé des travailleurs semble établi.
À titre d’exemples, effectuer plus de 55 heures de travail hebdomadaires augmente le risque d’accident vasculaire cérébral de plus de 35 %, selon les chiffres cités par l’organisation internationale du travail. Aussi, un lien entre travail de nuit et cancer du sein chez les femmes semble avoir été établi : le centre de recherche en épidémiologie et santé des populations de Villejuif a mis en évidence un risque accru de 26 % de cancer du sein avant la ménopause en cas de travail de nuit. De ce fait, la compensation de l’exposition aux risques professionnels s’est imposée comme une nécessité.
B. les régimes spéciaux ont anticipé la prise en compte de la pénibilité POUR LA RETRAITE au travers de dispositifs collectifs
1. Dans les trois fonctions publiques, les catégories active et super-active permettent un départ en retraite anticipé pour des métiers particulièrement pénibles
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, deux catégories d’emploi ont été créées au sein de la fonction publique et définies par l’arrêté du 20 septembre 1949 portant classement des emplois des agents des collectivités locales en catégorie A et B. Aujourd’hui, aux termes de l’article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, il s’agit des emplois « présentant un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles », qui ouvrent le droit à un départ anticipé à la retraite :
– la catégorie active : les fonctionnaires totalisant au moins dix années de services dans cette catégorie bénéficient d’un âge de départ à la retraite de 57 ans, qui sera progressivement relevé de trois mois par an pour atteindre 59 ans en 2030 par suite de l’adoption de la précitée du 14 avril 2023. À l’âge de 62 ans, quelle que soit la durée de cotisation, ces agents peuvent bénéficier d’une retraite à taux plein. Les emplois de la catégorie active sont classés par décret pour la fonction publique d’État ([9]) et par arrêté ministériel pour les fonctions publiques territoriale et hospitalière ([10]). Cette dernière comprend notamment, parmi les professions particulièrement féminisées, aides-soignants et les agents des services hospitaliers. Depuis 2010 et leur classement en catégorie A de la fonction publique, les infirmiers ne relèvent plus de la catégorie active ;
– la catégorie super-active : dans le respect de la durée de services définie pour chaque emploi, cette catégorie bénéficie d’un âge minimum de départ à la retraite de 52 ans, qui sera progressivement relevé de trois mois par an pour atteindre 54 ans en 2030 à la suite de l’adoption de la loi susmentionnée. L’âge de suppression de la décote s’élève quant à lui à 57 ans. Les emplois super-actifs sont plus restreints et concernent les contrôleurs aériens, les identificateurs de l’institut médico-légal de la préfecture de police de Paris, les fonctionnaires des réseaux souterrains des égouts, les personnels de surveillance pénitentiaire, les fonctionnaires des services actifs de la police nationale.
Par ailleurs, si les contractuels de la fonction publique sont exclus de ce dispositif, la loi du 26 décembre 2023 de financement de la sécurité sociale pour 2024 a permis de comptabiliser les services accomplis, en tant que contractuel, dans un emploi de catégorie active au cours des dix ans précédant la titularisation du fonctionnaire dans la fonction publique d’État comme des services actifs pour l’acquisition du droit au départ anticipé. De la même manière, il n’est plus nécessaire que l’agent disposant de droits au titre d’une catégorie active ou super-active achève sa carrière dans un emploi qui en relève pour en bénéficier.
b. Un dispositif particulièrement présent dans la fonction publique hospitalière
Le nombre de fonctionnaires relevant de la catégorie active évolue fortement selon la fonction publique considérée. Ainsi, selon le Conseil d’orientation des retraites, à la fin de l’année 2021, 40,8 % de l’ensemble des retraités de la fonction publique hospitalière ont liquidé au titre de la catégorie active, 5,6 % au sein de la fonction publique territoriale et 28,7 % au sein de la fonction publique d’État ([11]).
De la même manière, au sein de la catégorie active, la part des femmes évolue fortement selon la fonction publique et le corps considérés. Ainsi, au sein de la fonction publique d’État, leur proportion est relativement faible à l’exception des anciens instituteurs où elles représentent près de trois quarts des effectifs pensionnés. Il en va de même pour la fonction publique territoriale, dont les effectifs de pensionnés au titre de la catégorie active sont principalement issus de la police municipale et des sapeurs-pompiers, corps peu féminisés. Au contraire, dans la fonction publique hospitalière, elles constituent la plupart des pensionnés ayant bénéficié de la catégorie active, puisqu’elles étaient au 31 décembre 2023 plus de 220 000 pensionnées parmi les 299 000 pensionnés à ce titre à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) ([12]).
2. Les autres régimes spéciaux concernent principalement des métiers à la pénibilité spécifique, qu’ils prennent en compte au travers de règles dérogatoires au droit commun
Généralement antérieurs à la création de la sécurité sociale, les régimes spéciaux ont été maintenus à la suite de la Seconde Guerre mondiale. Ils se structurent soit autour d’une entreprise ou d’un établissement, soit autour d’une profession.
Un certain nombre de ces régimes avait pour caractéristique une forte pénibilité des métiers à leur création, qui a pu perdurer ou régresser à la faveur des évolutions technologiques et sociales. De ce fait, ils disposent de règles dérogatoires au droit commun, qui permettent principalement à leurs assurés de bénéficier, à l’image de la fonction publique, d’un âge de départ à la retraite anticipé.
À titre d’exemple, la rapporteure a auditionné plusieurs régimes spéciaux jouissant de conditions de départ à la retraite plus favorables. C’est le cas de la Caisse de retraites des personnels de l’Opéra national de Paris, dont la pénibilité des métiers est intrinsèquement liée au spectacle vivant. Six grandes catégories d’emploi existent et génèrent des âges d’ouverture des droits distincts, reconnaissant une pénibilité plus ou moins forte. Ainsi, les danseurs connaissent un âge d’ouverture des droits égal à 40 ans et de 42 ans pour l’âge de suppression de la décote. De même, les techniciens disposent d’un âge d’ouverture des droits anticipé, qui a été progressivement relevé pour atteindre 57 ans.
C. Le régime général a plus récemment développé des dispositifs individuels de prise en compte de la pénibilité
À la différence des régimes spéciaux, le régime général ne disposait jusqu’à récemment pas de dispositif de prise en compte de la pénibilité, laissant la majorité des travailleurs concernés sans reconnaissance spécifique. Ces dispositifs se sont développés parallèlement à l’allongement de la durée de cotisation et au recul de l’âge légal de départ à la retraite. Contrairement au traitement collectif de la pénibilité opéré par les régimes spéciaux, sur la base d’une profession ou d’une catégorie d’emploi, le régime général a développé des dispositifs de prise en compte individuelle.
1. Le compte professionnel de prévention est le principal dispositif proposé aux salariés pour prévenir et compenser la pénibilité
Créé par l’ordonnance n° 2017‑1389 du 22 septembre 2017 relative à la prévention et à la prise en compte des effets de l’exposition à certains facteurs de risques professionnels et au compte professionnel de prévention, le compte professionnel de prévention (C2P), anciennement compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P), poursuivait le double objectif de contribuer à la réduction des effets de l’exposition aux risques et à la redéfinition des droits à la retraite. Pour ce faire, ont été pris en compte au titre du C2P les facteurs de risques liés, d’une part, aux rythmes de travail – dont les seuils ont récemment été abaissés – et, d’autre part, à un environnement physique agressif.
Aux termes de l’article L. 4163‑1 du code du travail, l’employeur a l’obligation de déclarer les salariés concernés par les critères susmentionnés. Dès lors, ils cumulent, sans plafond, des points au cours du temps de la façon suivante : un point par trimestre d’exposition à un facteur de risque, deux points par trimestre d’exposition à deux facteurs de risques et trois points pour trois facteurs de risques ou plus. Les points cumulés permettent aux salariés exposés de financer :
– des formations professionnelles, y compris des reconversions avec un maintien de leur rémunération. Les 20 premiers points du C2P sont réservés à la formation et que la valeur des points en faveur de la formation a récemment été rehaussée ;
– un passage à temps partiel avec maintien de leur rémunération ;
– la validation de trimestres d’assurance retraite, dans la limite de huit trimestres permettant d’anticiper le départ à la retraite de deux ans au plus par rapport à l’âge légal. Un trimestre peut être validé à concurrence de dix points.
Le C2P repose ainsi sur la prévention mais également sur la compensation de la pénibilité subie. Depuis sa création, le nombre de salariés déclarés exposés au moins une fois à un facteur de risque est passé de 600 000 personnes en 2015 à 1,9 million en 2021. Parmi les titulaires d’un tel compte, trois sur quatre étaient des hommes, 44 % l’étaient du fait du travail de nuit et 37 % du fait du travail en équipes successives altérantes ([13]).
2. La retraite pour incapacité permanente compense la pénibilité subie au moment de la retraite
Un droit à la retraite anticipée à taux plein a été ouvert par la loi n° 2010‑1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites. L’article L. 351‑1‑4 du code de la sécurité sociale prévoit deux cas de figure :
– les personnes souffrant d’une incapacité permanente supérieure ou égale à 20 %, reconnue au titre d’une maladie professionnelle ou d’un accident de travail ayant entraîné des lésions identiques à celles indemnisées au titre d’une maladie professionnelle, permettant un âge anticipé d’ouverture des droits à la retraite à 60 ans ;
– les personnes souffrant d’une incapacité permanente de 10 % à 19 %, reconnue au titre d’une maladie professionnelle ou d’un accident de travail, permettant un âge anticipé d’ouverture des droits à la retraite à 62 ans.
Depuis sa création, environ 3 500 salariés par an partent en retraite anticipée grâce à ce dispositif. Ce nombre était en légère augmentation en 2022 à près de 4 000 salariés ([14]).
3. Un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle a récemment été créé
La loi précitée du 14 avril 2023 a créé un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle. Doté d’un milliard d’euros sur cinq ans, le fonds a pour objectifs prioritaires la prévention des risques par le biais d’aides financières directes aux entreprises, le soutien aux actions des organismes de prévention des branches professionnelles ou le financement des projets de reconversion professionnelle. Son champ d’intervention concerne les risques liés aux contraintes physiques marquées que sont les manutentions manuelles de charges, les postures pénibles et les vibrations mécaniques. Selon la direction de la sécurité sociale auditionnée par la rapporteure, le fonds peut ainsi financer des formations aux risques ergonomiques, de même que le salaire de « préventeurs » chargés de la prévention au sein des entreprises.
Pour l’année 2025, le fonds devrait continuer à privilégier les aides directes aux entreprises, particulièrement celles de moins de 50 salariés, à travers une dotation annuelle de 150 à 200 millions d’euros ([15]).
II. Malgré l’existence de certains DISPOSITIFS, LA PRISE EN COMPTE DE LA PéNIBILITÉ POUR LA RETRAITE reste LARGEMENT PERFECTIBLE
Malgré certaines avancées, les dispositifs de prise en compte de la pénibilité pour la retraite, quel que soit le régime considéré, ont dans l’ensemble connu des régressions, sans compensation à la hauteur du préjudice subi par les travailleurs et, plus encore dans bien des cas, par les travailleuses. Parallèlement, ces dispositifs ne se sont que trop peu adaptés aux évolutions économiques et sociales contemporaines.
A. D’importantes régressions sont récemment intervenues en matière de pénibilité
1. Pour les salariés du régime général, les dispositifs de prise en compte de la pénibilité sont trop restreints
À l’issue des auditions qu’elle a conduites, la rapporteure estime que les deux principaux dispositifs de prise en compte la pénibilité destinés aux salariés du secteur privé s’avèrent trop limités dans leur portée. Ils ne remplissent pas le rôle qu’ils pourraient tenir.
Alors que la création du C3P avait constitué un progrès notable, sa transformation en C2P s’est accompagnée de la disparition de quatre facteurs de risques initialement intégrés au C3P. En effet, depuis 2017, les manutentions manuelles de charges, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les agents chimiques ne permettent plus le cumul de points sur le C2P. Cela a engendré une baisse de 25 % des salariés déclarés exposés entre 2016 et 2018 selon les données du COR. Si d’aucuns ont pu justifier un tel retrait par la trop grande complexité de la caractérisation et de la quantification de l’exposition à ces quatre risques, la rapporteure regrette un tel recul qui porte atteinte à la santé des travailleurs. À titre d’exemple dans le secteur des soins, même si les agents de la fonction publique hospitalière ne sont pas éligibles aux dispositifs du régime général, près d’un quart des accidents de travail suivis d’un arrêt sont liés à une manutention de patient aux hospices civils de Lyon.
Par ailleurs, dix ans après la création du dispositif, seuls 13 600 salariés y ont eu recours, soit moins de 0,7 % des titulaires d’un compte ([16]). Parmi eux, 70,6 % l’avaient utilisé aux fins de la majoration de leur durée d’assurance et seulement 11 % au titre d’une formation. Si la montée en charge progressive du C2P est nécessaire, le mécanisme, sans impact budgétaire pour les entreprises et, à ce stade, d’ampleur mesurée pour la sécurité sociale ([17]), pourrait avoir à terme un coût important sans qu’il fasse à ce jour l’objet d’une quelconque provision.
Au regard du démantèlement opéré en 2017 et du trop faible recours des salariés, la rapporteure fait siens les propos de la rapporteure générale de la loi précitée du 14 avril 2023, Mme Stéphanie Rist, qui concluait dans son rapport à « un échec global du dispositif » ([18]) . Sans souhaiter la réitération de l’échec du C3P, qui n’avait pas semblé recueillir l’assentiment des organisations patronales et la large participation des entreprises, la rapporteure appelle de ses vœux l’engagement d’une concertation autour du rétablissement des quatre critères retirés, de leur détermination et de leurs seuils, pour à terme disposer d’un C2P davantage exhaustif. Il pourrait ainsi mieux prendre en compte un type de pénibilité auquel les femmes sont particulièrement exposées dans certains secteurs d’activité.
La retraite pour incapacité permanente reste, comme le C2P, un dispositif encore trop confidentiel et aux conditions d’accès trop restreintes. Le nombre de bénéficiaires annuels – moins de 4 000 par an – est marginal par rapport aux plus de 800 000 départs en retraite enregistrés chaque année par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav). En effet, comme le rappelait dans son rapport la rapporteure générale de la loi précitée du 14 avril 2023, Mme Stéphanie Rist, si 90 % des maladies professionnelles reconnues sont d’origine ergonomique, elles ne donnent souvent lieu qu’à des incapacités inférieures à 10 %. Par ailleurs, malgré des assouplissements progressifs, Mme Stéphanie Rist notait que « les données montrent un faible taux de recours » et que « l’efficacité du dispositif était (…) obérée par des éléments de complexité (…) sans plus-value réelle ». Ainsi ont été supprimées ou assouplies en 2023 diverses conditions d’accès, notamment la durée d’exposition aux facteurs de risques reconnus qui a été abaissée de 17 à 5 ans pour les incapacités comprises entre 10 et 19 %.
Enfin, quoi qu’encore particulièrement récent, le fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle n’a instruit selon les chiffres de la direction de sécurité sociale transmis à la rapporteure que 375 dossiers de demande de formation en 2024, ce qui appelle à tout le moins une attention particulière sur sa bonne appropriation par les entreprises et les salariés.
2. Les spécificités des régimes spéciaux disparaissent toujours davantage
Au sein des régimes d’assurance retraite des trois fonctions publiques comme des autres régimes spéciaux s’opère depuis plusieurs années un rapprochement avec le régime général, sans que l’enjeu de la pénibilité soit réellement pris en compte.
Au sein des trois fonctions publiques, le dispositif des catégories active et super-active se rapproche toujours davantage de la catégorie sédentaire. Ainsi, elles ont été concernées par le recul de deux ans de l’âge d’ouverture des droits. De plus, les corps relevant de ces deux catégories ont progressivement diminué. À titre d’exemple, au sein de la fonction publique d’État, les instituteurs ne relèvent plus de la catégorie active, comme les infirmiers diplômés d’État classés en catégorie sédentaire depuis 2011. Si ces changements se sont accompagnés d’un passage de la catégorie B à la catégorie A de la fonction publique et, par conséquent, d’une revalorisation salariale, rien ne semble avoir été fait pour prévenir et accompagner ces fonctionnaires face à une pénibilité qui, elle, subsiste : privées des dispositions collectives de la catégorie active, ces professions ne sont pas plus éligibles aux dispositifs individuels du régime général. Par ailleurs, la rapporteure note que ces deux exemples, sans doute les plus emblématiques de par le nombre de fonctionnaires concernés, touchent en premier lieu des femmes qui constituent très majoritairement les effectifs de ces corps.
Enfin, l’abaissement de l’âge d’ouverture des droits permis à ces deux catégories mérite d’être nuancé. En effet, l’âge moyen de départ à la retraite observé au sein de la catégorie active est supérieur à l’âge d’ouverture des droits dans la mesure où la pension des fonctionnaires concernés demeure calculée sur le nombre d’annuités, identique au régime général. En 2023, dans la fonction publique d’État, l’âge moyen de départ à la retraite des fonctionnaires civils de catégorie active pour motif d’ancienneté était ainsi de 60,15 ans et 27 % de ces départs étaient intervenus après l’âge légal de droit commun d’ouverture des droits de leur génération.
Par ailleurs, les auditions ont permis d’évoquer la création, en cours selon la direction de la sécurité sociale, d’un fonds de prévention de l’usure professionnelle spécifique aux établissements de santé et établissements médico-sociaux à l’image du fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle. À ce jour, la rapporteure regrette que ce fonds ne soit pas opérationnel pour les salariés et fonctionnaires de ce secteur. Sa création semble d’autant plus nécessaire qu’il constituerait un dispositif de prévention utile pour les fonctionnaires exposés à des facteurs de risques professionnels sans relever de la catégorie active. En effet, aucun dispositif particulier n’existe pour les professionnels ne relevant pas ou plus de la catégorie active.
Enfin, plus généralement, l’existence même de régimes spéciaux et de dispositifs de prise en compte de la pénibilité de certains métiers a progressivement été remise en cause . Ainsi, un certain nombre de régimes spéciaux a été supprimé au cours des dernières années, tels que le Caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la Société nationale des chemins de fer français, la Caisse de retraite du personnel de la régie autonome des transports parisien ou la Caisse nationale des industries électriques et gazières. La suppression d’un régime spécial peut certes s’expliquer par l’évolution de certains métiers au cours du temps, lorsque leurs facteurs atypiques de pénibilité diminuent sensiblement voire disparaissent. Toutefois, cela ne semble pas s’appliquer à tous les métiers de tous les régimes spéciaux mis récemment en extinction. À ce titre, les auditions des organisations syndicales conduites par la rapporteure ont mis en lumière une dégradation de la prise en compte de la pénibilité de certains secteurs ou métiers, comme l’illustrent les industries électriques et gazières.
B. Les dispositifs de prise en compte de la pénibilité ne sont pas toujours adaptés aux enjeux actuels, en particulier pour les femmes
1. Certaines formes d’emploi ne permettent pas une juste prévention et compensation de la pénibilité
Les dispositifs de prise en compte de la pénibilité ne semblent pas toujours adaptés aux réalités du monde du travail actuel. Au sein du régime général, deux situations ont notamment appelé l’attention de la rapporteure :
– les contrats courts : pour bénéficier et cumuler des points au titre du C2P, un contrat d’un mois minimum s’avère nécessaire. Ainsi, les travailleurs les plus précaires, employés au travers de contrats à durée déterminée ou d’intérim, peuvent être exposés à des facteurs de risques sur un temps long sans avoir accès à un C2P. Or, les contrats de moins d’un mois semblent augmenter puisque les déclarations préalables à l’embauche, qui ne débouchent certes pas toutes sur un contrat effectif, de contrats à durée déterminée de moins d’un mois ont progressé entre 2000 et 2017 de 165 % ([19]) ;
– les plus petites entreprises : la majorité des travailleurs exposés à une pénibilité jugée « très élevée » travaillent au sein de petites et moyennes entreprises. En effet, près de 40 % d’entre eux sont employés au sein d’une entreprise de moins de 50 salariés et près 30 % au sein d’une entreprise comptant de 50 à 200 salariés. Or, certaines des auditions conduites par la rapporteure ont pointé la complexité à laquelle se heurtent ces structures pour déclarer l’exposition aux facteurs de risque.
Par ailleurs, au sein de la fonction publique cette fois, si des avancées sont récemment intervenues pour reconnaître les services effectués dans des emplois de catégorie active ou super-active en tant que contractuel, l’externalisation de certaines fonctions ne permet pas l’accès aux mêmes droits que les fonctionnaires et contractuels. À titre d’exemple, lorsqu’un établissement public de santé procède à l’externalisation du bio-nettoyage, les salariés – principalement des femmes – ne peuvent prétendre au bénéfice de la catégorie active, de laquelle relèvent normalement les agents des services hospitaliers titulaires de la fonction publique. De même, sans autre facteur de risques professionnels que ceux ergonomiques, non éligibles au C2P, ces femmes ne disposeront d’aucune compensation et d’aucun droit particuliers liés à la pénibilité au cours de leur carrière ou pour leur retraite.
2. La pénibilité à laquelle sont confrontées les femmes semble peu prise en compte, en particulier en matière de charge mentale et émotionnelle
Parmi les facteurs de risques professionnels pris en compte au titre du C2P ou ayant permis une inscription en catégorie active ou super-active, des facteurs touchant en premier lieu les femmes semblent aujourd’hui encore écartés, notamment la charge mentale et émotionnelle.
Au terme des auditions conduites par la rapporteure, force est de constater que de nombreuses professions particulièrement féminisées sont soumises à une charge mentale et émotionnelle importante. Il s’agit notamment des métiers du soin ou du champ social qui se caractérisent par un contact direct avec le public et une confrontation fréquente voire quotidienne à des situations délicates. La charge mentale et émotionnelle subie constituerait ainsi un facteur de risque professionnel à part entière, inhérent à certains métiers mais différent des risques psychosociaux qui eux peuvent et doivent être caractérisés et prévenus par les employeurs.
Au sein de l’Union européenne, certains pays ont enregistré des avancées notables en matière de prise en compte de la charge mentale et émotionnelle. À titre d’exemple, en Autriche, le décret du 9 mars 2006 sur les activités professionnelles particulièrement pénibles définit la notion de Schwerarbeit (travail lourd). Sont ainsi considérées des activités exercées dans des conditions particulièrement pénibles sur le plan psychique, et non uniquement physique, à l’image des soins professionnels à des personnes malades ou handicapées nécessitant un traitement ou des soins particuliers comme au sein des maisons de retraite ou des établissements de soins palliatifs. Lorsque le travailleur a occupé un emploi répondant aux critères cités pendant au moins dix ans au cours des vingt dernières années, il peut obtenir une pension pour travail lourd à partir de 60 ans à la condition d’avoir cotisé durant 45 annuités, alors que l’âge légal d’ouverture des droits à la retraite s’établit en Autriche à 65 ans ([20]). De même, en Finlande, la charge mentale subie par le travailleur peut être prise en compte par le système de retraite lorsqu’elle a affecté négativement sa santé. Dans certains cas, l’exercice d’un « travail interactif particulièrement exigeant nécessitant un effort mental exceptionnel » ouvre droit à une pension à partir de 63 ans, l’âge légal d’ouverture des droits s’élevant à terme à 65 ans ([21]).
Si la rapporteure et les personnes auditionnées se sont accordées sur le caractère peu aisé de la définition des facteurs de risques liés à la charge mentale et émotionnelle et, le cas échéant, de la catégorisation des métiers concernés, la rapporteure appelle de ses vœux l’engagement d’une réflexion au sein des administrations concernées pour reconnaître, à terme, cette pénibilité affectant en premier lieu les femmes.
C. Aussi nécessaires soient-ils, ces dispositifs ne doivent pas écarter la prise en compte de la pénibilité tout au long de la carrière
1. Prévenir en pratique la pénibilité tout au long de la vie professionnelle
Les dispositifs de prise en compte de la pénibilité pour la retraite se concentrent essentiellement sur la compensation de la pénibilité subie, qu’il s’agisse des salariés du secteur privé ou des fonctionnaires, au travers de départs anticipés. Certes, la création du fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle et, le cas échéant, d’un fonds de prévention de l’usure professionnelle spécifique aux établissements de santé et établissements médico-sociaux a traduit la volonté des pouvoirs publics de soutenir les actions de prévention de la pénibilité tout au long de la vie professionnelle. Toutefois, la prévention apparaît trop souvent comme un parent pauvre et fait l’objet de fortes disparités selon le secteur et la taille de l’entreprise ou de l’administration d’emploi. Il semble ainsi nécessaire que tous développent une réelle culture de la prévention et s’en donnent les moyens.
À titre d’exemple, au sein des métiers du soin, de fortes différences peuvent exister entre les professions au domicile et celles en établissement. Si les seconds s’engagent toujours davantage dans des politiques de prévention au travers de l’achat de matériel innovant ou d’une organisation du travail plus adaptée, les premiers restent encore dépendants du domicile de leurs patients. De la même manière, en établissement, une différence semble exister entre les établissements hospitaliers ou médico-sociaux de taille importante et de taille plus modeste. Outre les dépenses de fonctionnement ou d’investissement, ce sont l’ingénierie et les compétences en matière de prévention et de santé au travail qui constituent la base d’une politique de prévention de la pénibilité efficace. Cette différence se traduit à l’échelle nationale par des accidents de travail plus nombreux dans les petits établissements que dans les grands ([22]). En tout état de cause, cette question est intimement liée aux risques relevant de la branche accident du travail – maladie professionnelle (AT‑MP).
La prise en compte de la santé et la pénibilité aux hospices civils de Lyon
Deuxième hôpital de France, les HCL témoignent d’une politique volontariste en matière de santé au travail. Ainsi, l’établissement mobilise chaque année 300 000 euros pour pallier les principaux facteurs de risques, essentiellement d’ordre physique. Selon les chiffres transmis à la rapporteure, entre 2012 et 2019, il a connu une diminution de 16 % des accidents de travail, et de 33 et 4 % des arrêts de travail respectivement liés à une manutention de charge ou de patient. L’appui de cette politique par l’État, au travers des contrats de locaux d’amélioration des conditions de travail financés par les agences régionales de santé (ARS) sur le fonds d’intervention régionale (FIR), permettra de rehausser l’enveloppe de 300 000 à plus de 500 000 euros en 2024.
Au-delà des crédits engagés, la prévention des facteurs de pénibilité doit pouvoir se concrétiser au niveau même des organisations de travail. La réduction des horaires atypiques, notamment de nuit, par l’adaptation des organisations semble essentielle lorsque cela est possible. Les transformations de prise en charge d’une hospitalisation conventionnelle à une hospitalisation de jour sont par exemple salutaires pour les professionnels, lorsqu’elles sont possibles et bénéfiques au patient.
Enfin, les services de santé au travail sont déterminants dans la mise en œuvre d’une politique de prévention de la pénibilité à la hauteur des enjeux. Comme partout en France, le service de santé au travail des HCL fait montre d’un manque de médecins du travail au sein d’un service composé de 45 personnes, rendant impossible un suivi médical et paramédical régulier de l’ensemble des agents. Ceci étant, la rapporteure a constaté au cours de sa visite les méthodes innovantes de ce service, qui travaille en lien étroit avec les directions des ressources humaines médicales et non médicales, pour cibler et prévenir la pénibilité. La large formation des professionnels aux risques liés à la manutention, la recherche médicale et paramédicale appliquée aux effectifs de l’établissement ou le ciblage de certaines catégories de professionnels comme les internes ou les femmes enceintes sont autant d’enjeux auxquels les HCL semblent se confronter.
2. Reconnaître la pénibilité par des salaires plus justes
Pour reconnaître et compenser la pénibilité subie, la question salariale ne doit pas être négligée. En effet, il est fréquent que les métiers particulièrement pénibles ne soient pas rémunérés à la hauteur des efforts consentis par les travailleurs à l’image, là encore, des professions des services à la personne ou du soin. À salaire mensuel constant, des primes peuvent être octroyées comme dans la fonction publique où a été instaurée une prime « Grand âge » ([23]) d’un montant de 118 euros bruts par mois ([24]).
Outre la juste indemnisation de la pénibilité, la variable salariale peut répondre aux enjeux d’attractivité de certains secteurs. Naturellement, la rapporteure a conscience que ce type de dispositifs peut aboutir à des « trappes à pénibilité ». Mais elle appelle à revaloriser la rémunération des métiers les plus durs, au sein des secteurs privés comme publics, parallèlement aux autres mesures de prévention et de prise en compte de la pénibilité.
3. Engager de réelles politiques de promotion professionnelle
La promotion professionnelle apparaît enfin comme un levier essentiel pour prévenir la pénibilité au long de la carrière. Si les 20 premiers points du C2P ont été réservés à la formation, si entreprises et administrations opèrent par exemple des reclassements de professionnels, ces actions essentiellement individuelles ne constituent pas une politique de promotion professionnelle ambitieuse. Trop souvent, formation, reconversion et reclassement interviennent au moment où les professionnels rencontrent d’ores et déjà des difficultés, à l’image de certains aménagements de poste. La rapporteure appelle de ses vœux de réelles politiques de promotion professionnelle par les employeurs, dès lors qu’une pénibilité récurrente et conséquente est subie par les travailleurs. L’objectif est que chacun puisse connaître et faire valoir ses droits, et anticiper ses changements professionnels.
À titre d’exemple, certains métiers ou postes devraient réellement faire l’objet d’un entretien consacré aux perspectives professionnelles après un certain nombre d’années d’exercice dans une logique d’accompagnement a priori. Le dispositif des entretiens professionnels biannuels, prévu à l’article L. 6315‑1 du code du travail, répond entre autres à cette logique de prévention de la pénibilité au cours de la carrière du salarié. L’article L. 521‑1 du code général de la fonction publique prévoit, quant à lui, dans la fonction publique une évaluation individuelle des fonctionnaires. Permettant d’évoquer les perspectives d’évolution de carrière et de promotion professionnelle, s’agissant notamment des besoins de formation ou de mobilité du fonctionnaire ([25]), cette évaluation reste néanmoins axée sur le bilan de l’année écoulée quand elle pourrait permettre un meilleur accompagnement des agents, qu’ils relèvent ou non d’une catégorie active ou super-active.
Alors que les carrières sont de plus en plus longues avant l’ouverture des droits à la retraite, il s’agit de véritablement piloter le vieillissement des travailleurs dans la carrière et de permettre, grâce à la mobilisation de l’ensemble des autres dispositifs, de réelles mobilités professionnelles.
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Au cours de sa réunion du mercredi 30 octobre 2024, la commission des affaires sociales examine pour avis les crédits de la mission Régimes sociaux et de retraite et du compte d’affectation spéciale Pensions du projet de loi de finances pour 2025 (n° 324) (seconde partie) (Mme Sandrine Runel, rapporteure pour avis) ([26]).
Mme Sandrine Runel, rapporteure pour avis. Je commencerai par l’analyse des crédits budgétaires, et de leur évolution dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2025. Ces crédits sont répartis entre la mission Régimes sociaux et de retraite, et d’autre part, le compte d’affectation spéciale Pensions. Ils sont distincts en effet, car la mission et le compte d’affectation spéciale retracent deux réalités différentes.
La mission Régimes sociaux et de retraite regroupe différents régimes spéciaux de retraite et parfois d’invalidité. Antérieure à celle la sécurité sociale, leur création a notamment pu s’expliquer par des conditions d’exercice difficiles et une pénibilité particulièrement élevée ou spécifique. Qu’il s’agisse de régimes spéciaux que le Gouvernement a souhaité maintenir ouverts, tels que le régime spécial des marins ou celui de l’Opéra national de Paris, ou de régimes désormais fermés, tels que ceux de la SNCF ou de la RATP, ces crédits sont des compensations financières versées par l’État à ces régimes très déficitaires, au titre de la solidarité nationale. Dans le cadre du PLF 2025, près de 6 milliards d’euros de crédits de paiement sont ainsi ouverts, en baisse de près de 4 % par rapport à 2024. Comme chaque année, cette évolution s’explique essentiellement par des ressorts démographiques.
Le compte d’affectation spéciale Pensions concerne quant à lui les régimes de retraite et d’invalidité dont l’État a la charge, c’est-à-dire des fonctionnaires civils et militaires et des ouvriers de l’État. Ses crédits s’établissent à plus de 68 milliards d’euros dans le PLF 2025, en légère hausse de plus de 1 % par rapport à la loi de finances pour 2024.
Qu’il s’agisse de la mission ou du compte d’affectation spéciale, les hypothèses sur lesquelles repose le PLF incluent le décalage annoncé, du 1er janvier au 1er juillet 2025, de la revalorisation des pensions. Comme je l’ai dit en séance en ouverture des débats sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), je ne peux me résoudre à ce que le Gouvernement fasse payer à l’ensemble de nos retraités le coût de leur mauvaise gestion des finances publiques. Ici, au regard des crédits dont nous discutons, le constat est simple : les gouvernements successifs n’ont pas été à la hauteur, et ce sont nos pompiers, policiers ou encore infirmiers et aides-soignants à la retraite qui le paient. Pour cette raison, à l’issue de nos débats, j’émettrai un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission et du compte d’affectation spéciale.
Avant cela, je vous propose de vous faire état des travaux que j’ai conduits dans la partie thématique du rapport. J’ai choisi de traiter de la prise en compte de la pénibilité dans nos régimes de retraite, notamment au sein des professions les plus féminisées. Depuis le début du XXIe siècle, les réformes successives de notre système de retraite ont conduit à reculer l’âge légal de départ à la retraite, et à allonger la durée de cotisation. À ce titre, chacun sait que la réforme conduite en 2023 a été particulièrement injuste, en rehaussant l’âge d’ouverture des droits de 62 à 64 ans et en accélérant le calendrier du relèvement de la durée de cotisation de quarante-deux à quarante-trois annuités.
En toute logique, cette réforme aurait dû rendre la prise en compte de la pénibilité des métiers pour la retraite encore plus nécessaire, en particulier pour les plus lésés, par exemple les femmes. Mais comme le savez, il n’en est rien. Bien au contraire, elle n’a dessiné aucune vision ambitieuse pour prévenir et reconnaître la pénibilité tout au long de la carrière et au moment de la retraite. Certes des améliorations sectorielles ont pu être apportées, mais la réforme de 2023 a contribué dans son ensemble à la moindre prise en compte de la pénibilité à l’œuvre depuis 2017.
Le constat est clair. La pénibilité est inhérente à l’exercice de certains métiers et il est urgent de mieux la prendre en compte pour la retraite. Permettez-moi de partager avec vous quelques constats issus des auditions que j’ai conduites. Premièrement, en 2015, pour les principaux risques recensés, la proportion de travailleurs français exposés à la pénibilité était quasi systématiquement supérieure à celle de nos voisins européens, tels que l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie. Deuxièmement, au sein du secteur privé, qui emploie la plupart de la population, plus d’un salarié sur deux est exposé à au moins six facteurs de pénibilité.
Troisièmement, le secteur principal d’exposition est l’industrie et les petites entreprises de moins de cinquante salariés, de telle sorte que les hommes sont principalement concernés en valeur absolue. Toutefois, sur le plan relatif, les femmes peuvent être particulièrement touchées dans certaines catégories de métiers. C’est notamment le cas au sein des professions du soin, du social et des services à la personne. À titre d’exemple, la fonction publique hospitalière est particulièrement concernée par le phénomène, compte tenu du taux de féminisation extrêmement élevé. En effet, près de quatre agents sur cinq y sont des femmes. Elles sont dès lors confrontées, plus que dans toutes les fonctions publiques et le secteur privé, à des horaires atypiques, à l’exposition à des risques chimiques et biologiques ou à des contraintes posturales et articulaires.
Or cette pénibilité entraîne des conséquences graves sur la santé des travailleurs. Ainsi, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’écart d’espérance de vie à 35 ans entre les ouvriers et les cadres est de cinq ans chez les hommes et de trois ans chez les femmes. Ensuite, l’institut Gustave Roussy a mis en évidence un risque accru de 26 % de cancer du sein, avant la ménopause, chez les femmes qui travaillent de nuit.
Face à ce constat, comment la pénibilité est-elle prise en compte, aujourd’hui, dans nos régimes de retraite ? Schématiquement, il existe trois cas de figure principaux. Le plus ancien concerne les régimes spéciaux. La pénibilité est ainsi prise en compte au moment de la retraite par un âge dérogatoire de départ. Le deuxième concerne la fonction publique, qui dispose d’un système similaire au travers des catégories actives ou superactives. Certains corps et fonctions relèvent ainsi de l’une ou l’autre catégorie. Comme pour les régimes spéciaux, ces catégories permettent une ouverture des droits anticipée.
À la suite de la réforme des retraites de 2023, elle est de 54 ans pour les superactifs, par exemple les policiers, et de 59 ans pour les actifs, par exemple les aides-soignantes. L’âge de suppression de la décote pour ces catégories est également anticipé, respectivement à 57 et 62 ans. Le troisième cas de figure concerne le secteur privé, pour lequel des dispositifs de prise en compte de la pénibilité ont plus récemment été développés. Contrairement aux régimes spéciaux et à la fonction publique, cette prise en compte ne s’effectue pas à travers des dispositifs collectifs, mais des dispositifs individuels.
Ils sont essentiellement au nombre de deux. Il s’agit d’une part du compte professionnel de prévention (C2P). Il permet aux salariés touchés par des facteurs de risques de cumuler des points. Ces points permettent de financer des formations, des reconversions ou, notamment, d’anticiper le départ à la retraite de deux ans par rapport à l’âge légal. Il s’agit d’autre part de la retraite pour incapacité permanente, entre 10 % et 19 % et supérieure ou égale à 20 %. Ce dispositif permet respectivement un départ à partir de 62 et 60 ans.
L’ensemble de ces dispositifs est salutaire. Pour autant, les auditions et le déplacement que j’ai effectué aux Hospices civils de Lyon ont bien mis en avant, non seulement leur détérioration à l’œuvre depuis 2017, mais également leur inadaptation à nombre d’évolutions du monde du travail actuel.
S’agissant de la détérioration de nos dispositifs de prise en compte de la pénibilité pour la retraite, il existe deux reculs principaux. Le premier concerne le démantèlement du C2P. En effet, vous le savez, quelques mois après les élections de 2017, l’ex-majorité présidentielle a retiré quatre des dix facteurs de pénibilité initialement reconnus au sein du C2P. Ces quatre facteurs sont pourtant largement répandus, en particulier dans certaines professions très féminisées. Il s’agit des manutentions manuelles de charges, des postures pénibles, des vibrations mécaniques et des agents chimiques. En conséquence, le nombre de salariés déclarés exposés a chuté de 25 % et moins de 15 000 personnes ont eu recours à leur C2P depuis dix ans. Cette détérioration n’est en rien compensée par la retraite pour incapacité permanente, laquelle est embryonnaire : elle représentait moins de 4 000 des plus de 800 000 départs à la retraite en 2023.
Le second recul est un double recul incessant : celui des régimes spéciaux, qui se réduisent toujours davantage, et celui des catégories actives ou superactives de la fonction publique, dont le nombre comme l’intérêt diminuent. Prenons l’exemple d’une infirmière. Classée en catégorie sédentaire depuis 2011, elle ne bénéficie plus d’aucune prise en compte de la pénibilité pour la retraite, alors que les manutentions ou le travail de nuit demeurent.
S’agissant de l’inadaptation de ces dispositifs au monde du travail actuel, de nombreux phénomènes ont été pointés au cours des auditions. Par exemple les contrats à durée déterminée (CDD) d’une durée inférieure à un mois n’ouvrent aucun droit au titre du C2P, alors que les déclarations préalables à l’embauche de CDD de moins d’un mois ont augmenté de 165 % entre 2000 et 2017. D’autres phénomènes nouveaux peuvent entraver l’accès à des dispositifs de prise en compte de la pénibilité, comme l’externalisation dans la fonction publique. À titre d’exemple, lorsque le bionettoyage est externalisé à l’hôpital public ou en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), ces femmes ne peuvent ni se prévaloir du bénéfice de la catégorie active, ni du C2P au titre des manutentions.
Enfin, il faut mentionner la charge mentale et émotionnelle. Concernant en premier lieu les métiers fortement féminisés, elle est aujourd’hui exclue de tout dispositif pour la retraite. En d’autres termes, la pénibilité des métiers féminisés reste aujourd’hui encore niée. Je pense d’abord aux métiers du soin ou du champ social qui se caractérisent par un contact direct avec un public, souvent précaire, et une confrontation quotidienne à des situations difficiles. Alors que la France recule dans nombre de champs, certains pays européens eux progressent, y compris en matière de prise en compte de la charge mentale et émotionnelle. C’est notamment le cas de l’Autriche ou de la Finlande.
Face à ces constats, j’explore dans le rapport diverses pistes, que je ne pourrais malheureusement pas longuement développer ici. Il s’agit d’abord de la prévention de la pénibilité tout au long de la vie, laquelle peut passer par une meilleure mobilisation des fonds de prévention de l’usure professionnelle. Il s’agit ensuite de l’amélioration des dispositifs de prise en compte de la pénibilité pour la retraite. Je pense notamment à la réintroduction des quatre facteurs de pénibilité du C2P, tout comme à la prise en compte de la charge mentale et émotionnelle que subissent les femmes. Enfin, une réelle politique de promotion professionnelle est nécessaire afin d’anticiper les évolutions de carrière plutôt que de les subir.
Pour conclure, les constats que j’ai tirés dans ce rapport ne peuvent nous laisser indifférents. Vous l’aurez compris, la prise en compte de la pénibilité n’est pas satisfaisante, ni pendant la carrière, ni pour le départ à la retraite. Ils appellent de notre part une action résolue. La niche parlementaire du groupe La France insoumise, le 28 novembre prochain, représentera à ce titre une opportunité pour nous d’agir, au travers de notre soutien à la proposition de loi visant à reconnaître la pénibilité des métiers féminisés, portée par nos collègues Gabrielle Cathala et Sarah Legrain. Cette action résolue de notre part est nécessaire pour le bien des travailleurs, et particulièrement des travailleuses, et la justice sociale que nous appelons de nos vœux.
M. le président Frédéric Valletoux. Je cède la parole aux orateurs des groupes.
M. Théo Bernhardt (RN). Nous nous penchons aujourd’hui sur les crédits de la mission Régimes sociaux et de retraite et du compte d’affectation spéciale Pensions pour l’année 2025. Ce segment du projet de loi de finances est crucial, car il incarne notre engagement collectif envers nos aînés et reflète notre responsabilité de garantir une retraite digne à tous les Français qui ont consacré leur vie au travail.
Si les augmentations de 1,33 % des crédits du compte d’affectation spéciale Pensions et de 18,5 % des crédits de la mission Régimes sociaux et de retraite nous paraissent cohérentes, nous appelons tout de même le Gouvernement, en accord avec les observations de la rapporteure, à ne pas négliger dans les années à venir la problématique de la pénibilité au travail. Cette question est en effet importante, dans la mesure où le rapprochement continu des régimes spéciaux avec le régime général soulève de nombreux risques liés à la pénibilité au travail pour les employés exposés à de nombreux facteurs de risque, du fait de leur profession. Cette question de la pénibilité a de toute manière été globalement occultée par les gouvernements précédents, notamment en ce qui concerne la pénibilité au travail des travailleurs seniors, mais également des femmes.
Mais si ce segment du projet de loi de finances est aussi crucial, c’est avant tout parce qu’il échappe au Gouvernement, digne héritier de la Macronie, véritable chimère dévouée à la destruction de notre modèle social et plus particulièrement à notre système de retraite. Mais tel Bellérophon dans l’Iliade, vous aurez, mes chers collègues, l’opportunité d’abattre Chimère demain, à l’occasion de la niche du Rassemblement National, où notre groupe proposera l’abrogation de la réforme des retraites.
En effet, la véritable réforme des régimes sociaux et de pensions de retraite dont nous parlons dans ce pays est celle que nous proposons, celle du projet social du Rassemblement National. Demain, nous aurons l’opportunité rare et précieuse de corriger une des plus grandes injustices de notre époque, qui a jeté des millions de Français dans la rue. Demain, vous aurez l’occasion de réparer vos erreurs commises lors de l’examen de ce texte en commission, où vous l’avez vidé de sa substance initiale. Demain, vous aurez l’opportunité de cesser vos doubles discours et de joindre vos votes aux paroles que vous clamez depuis des mois. Demain, nous aurons la chance de défendre les intérêts des Français et d’arrêter de jouer à des petits jeux politiques qui n’ont aucun sens pour ceux qui attendent de nous des actions concrètes.
Mes chers collègues macronistes, cessez de soutenir le combat fou d’un homme seul, désavoué à la fois par les Français, mais également à l’intérieur de son propre parti. Quant à vous, chers collègues d’extrême gauche, cessez d’être l’éternelle béquille de ce pompier pyromane, arrêtez de faire barrage et faites sauter les digues. L’histoire jugera sévèrement ceux qui choisiront la politique partisane au détriment du bien commun. Je vous en conjure, mes chers collègues, demain, faites preuve de courage politique pour une fois. Faites preuve d’audace. Rappelez-vous le mandat qui vous a été confié par les Français. N’oubliez pas les promesses que vous avez faites à vos électeurs et votons pour mettre fin à ce coup d’État démocratique qui a sévèrement affaibli notre République et ses institutions. Votons pour mettre fin aux erreurs d’un président déconnecté dont les actions sont uniquement motivées par des logiques comptables et financières. Demain, mes chers collègues, votons pour abroger cette réforme qui ne respecte ni le travail, ni la dignité des Français.
M. Didier Le Gac (EPR). La plupart des régimes spéciaux de retraite préexistaient bien avant la création de la sécurité sociale. Il s’agit généralement des régimes spéciaux au sens de l’article L. 711-1 du code de la sécurité sociale, qu’il s’agisse des régimes de retraite des agents du cadre permanent de la SNCF et des agents du cadre permanent de la RATP, du régime social des marins, du régime de la Seita, du régime minier, ainsi que plusieurs autres régimes fermés. Pour 2025, le budget total de la mission s’élève à près de 6 milliards d’euros, en hausse de 15,78 % par rapport à 2024.
Cette augmentation s’explique par la prise en charge de certains de ces régimes par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav). En effet, l’article 15 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2024 a prévu un nouveau schéma de financement des régimes spéciaux fermés, avec un transfert du rôle d’équilibrage financier de ces régimes de l’État vers le régime général de la sécurité sociale.
La mission comprend trois programmes. Il s’agit d’abord du programme 195, qui regroupe plusieurs régimes de retraite très hétérogènes, notamment le régime minier qui est en voie de fermeture, tout comme celui de la Seita, de l’ORTF ou des régies ferroviaires d’outre‑mer. Y ont été ajoutés, depuis le 1er janvier 2024, les régimes de retraite de la culture, de la Comédie-Française et de l’Opéra national de Paris. Ce programme 195 voit une augmentation massive des crédits en raison de l’intégration des nouveaux besoins de financement compensant les déséquilibres des régimes fermés.
Le programme 197 concerne les régimes de retraite et de sécurité sociale des marins. Il inclut à la fois une branche vieillesse et une branche maladie, qui sont gérées toutes les deux par l’Établissement national des invalides de la marine, qui joue encore aujourd’hui un rôle majeur dans l’accompagnement social des marins. Le régime se caractérise par un très fort déséquilibre démographique, avec un ratio cotisants/pensionnés particulièrement faible.
Enfin, le programme 198 concerne les régimes sociaux et de retraite des transports terrestres. Il couvre deux régimes emblématiques, celui de la SNCF et celui de la RATP. Depuis le 1er janvier 2020, le régime de la SNCF est fermé aux nouveaux entrants, de même que depuis le 1er septembre 2023, le régime de la RATP est lui aussi fermé aux nouveaux embauchés. Évidemment, ces deux régimes représentent de forts enjeux financiers, avec une grande proportion de retraités par rapport au nombre de cotisants. Le déséquilibre sera pris en charge par la Cnav dès 2025.
La baisse des crédits de 4,21 % cette année est due à la fermeture de ces régimes. Le régime de retraite de la SNCF dispose, quant à lui, d’un budget de 3,27 milliards d’euros et celui de la RATP d’un budget de 902,49 millions. Le groupe Ensemble pour la République appelle à voter, bien évidemment, les crédits de cette mission.
Mme la rapporteure. Je ne pensais pas dire cela une fois dans ma vie, mais le Rassemblement National a raison. Les chiffres annoncés par la direction du budget comportent une erreur ; l’augmentation du budget de la mission n’est pas de 15 %, mais de 3,75 %. Le rapport comporte les bons chiffres.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Je remercie Mme la rapporteure pour son rapport. Celui-ci montre d’abord que la pénibilité est méconnue, faute d’informations et de données statistiques. Ensuite, la pénibilité est niée en raison d’une une absence de réponse de politiques publiques pour la prendre en charge. Enfin, elle est invisibilisée : même lorsque des politiques publiques sont mises en place, elles manquent leur cible ; elles ne prennent pas en compte l’ensemble des personnes concernées.
Dès lors, le rapport effectue une série d’analyses fondamentales. Je souhaite revenir sur celle qui concerne les régimes pionniers, c’est-à-dire ces régimes mieux-disants que le régime général, qui ont été reconnus par la sécurité sociale en 1945 et qui visaient à inventer de nouvelles formes de reconnaissance de la pénibilité et des qualifications, pour protéger les salariés.
Ce type de régime s’appuie sur l’exemple de la fonction publique, puisqu’ils reconnaissent des services actifs. La reconnaissance d’un temps de travail en pénibilité entraîne ensuite des droits, notamment en matière de départ à la retraite anticipé. Madame la rapporteure, disposez-vous de plus amples information sur la santé au travail ou sur le bien‑être des salariés qui dépendent de ces types de régime ?
Mme Anaïs Belouassa-Cherifi (LFI-NFP). Je remercie Mme la rapporteure d’avoir axé la seconde partie de son rapport sur la pénibilité, et plus précisément sur les métiers féminisés. En 2017, malheureusement, quatre critères sur dix – le port de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques, l’exposition aux produits chimiques – ont été supprimés.
Or en 2015, la proportion des travailleurs français exposés à la pénibilité était supérieure à celle de nos voisins européens. Simultanément, les effectifs de l’inspection du travail ont été réduits de 20 %, ce qui affecte l’application rigoureuse du code du travail, notamment dans les métiers à risque dans les secteurs de l’industrie et du BTP.
Par ailleurs, les femmes sont confrontées aujourd’hui à des pénibilités, notamment dans des métiers très féminisés comme les aides à domicile ou les aides ménagères, où la proportion de femmes s’élève à 97 %. Ces dernières sont confrontées à des charges lourdes, des contraintes de posture. Je pense notamment aux infirmières ou sages-femmes, qui ont des horaires de nuit et sont exposées aux produits chimiques. Or la pénibilité réduit l’espérance de vie. C’est la raison pour laquelle il faut réintégrer ces critères dans le calcul du départ à la retraite.
M. Arnaud Simion (SOC). Madame la rapporteure, je vous remercie, au nom du groupe Socialistes et apparentés, pour la qualité de votre avis. Vous l’orientez avec raison sur la non-prise en compte de la pénibilité des métiers pour la retraite. En effet, quel que soit le régime considéré, les dispositifs ont régressé, sans compensation à la hauteur des préjudices subis par les travailleurs et notamment les travailleuses, en particulier dans les métiers du soin ou du champ social. Ces dispositifs sont insuffisamment adaptés aux évolutions économiques et sociales.
Par ailleurs, votre avis révèle que, cette année, la prévision des crédits de la mission Régimes sociaux et de retraite et du compte d’affectation spéciale Pensions intègre sans aucun scrupule le décalage de janvier à juillet 2025 de la revalorisation des pensions de retraites sur l’inflation, alors que d’ordinaire il n’enregistre que des crédits issus des engagements pris préalablement par l’État.
Ainsi, si dans ce PLF 2025 la mission Régimes sociaux et de retraite voit ses crédits augmenter, cela est essentiellement dû à une mesure technique de périmètre et ne saurait en aucun cas masquer le gel des pensions des retraités des régimes spéciaux. En effet, cette mission voit ses crédits augmenter de 15 %, car à partir de 2025, l’État devra compenser la sécurité sociale de son nouveau rôle d’équilibrage financier des régimes spéciaux fermés, en application de l’article 15 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.
Concrètement, la mission inscrit le versement par l’État de 1 milliard d’euros à la sécurité sociale pour les régimes de retraite des mines et de la Seita. Le reste des crédits est stable, voire en baisse, puisque le nombre de retraités des régimes éteints décroît. Cette baisse est donc structurelle, puisque les régimes spéciaux ont de moins en moins d’assurés à servir. Cette baisse est aussi conjoncturelle, dans la mesure où ces crédits reposent sur une hypothèse de revalorisation des pensions de vieillesse de 1,8 % au 1er juillet 2025, c’est-à-dire sur le décalage de l’indexation de l’inflation des pensions de retraite. De même, les crédits du compte d’affectation spéciale Pensions évoluent également à la hausse, en raison notamment de la démographie, mais aussi, encore une fois, du gel des pensions jusqu’au 1er juillet 2025.
Le groupe Socialistes et apparentés s’oppose fermement à cette mesure, car il s’agit d’une grave injustice envers nos retraités. En effet, comme pour les retraités du régime général, une telle mesure aura des effets négatifs sur les pensions des fonctionnaires retraités qui, pourtant, ont travaillé durant toute leur carrière au service de l’intérêt général. Dans ces conditions, le groupe Socialistes et apparentés s’oppose aux crédits inscrits dans cette mission Régimes sociaux et de retraite.
Enfin, cher collègue Théo Bernhardt, je vous répondrai, en vous citant Victor Hugo : « La chimère est aux rois, le peuple a l’idéal ».
M. Fabien Di Filippo (DR). Madame la rapporteure, je ne m’attarderai que brièvement sur la question des régimes spéciaux. En effet, la problématique des retraites n’est pas conjoncturelle, mais structurelle.
Lorsque nous regardons les régimes spéciaux à un instant t, la situation semble plutôt sous contrôle. Le régime de la SNCF, largement subventionné, a plutôt tendance à baisser puisque les nouveaux personnels ne l’intègrent plus. Cependant, il nécessite encore une subvention annuelle de 3,3 milliards d’euros. Celui de la RATP, qui mobilise 900 millions, continue d’augmenter. Ces régimes spéciaux, s’ils portent certaines justifications, représentent malgré tout un fardeau important pour les finances publiques. Il faut en avoir conscience.
Je souhaite m’attarder sur le compte d’affectation spéciale, qui est déficitaire pour la troisième année consécutive. Or, l’article 21 de la loi organique relative aux lois de finances précise qu’il doit rester positif en cumulé. En 2021, l’excédent cumulé était encore de 9,5 milliards d’euros, puis de 8,9 milliards en 2022 et 7,8 milliards en 2023. Le prévisionnel pour cette année s’établit à 4,3 milliards. Ces chiffres attestent bien que le décrochage s’accroît. Or l’État est déjà obligé d’envisager une réévaluation de 4 points de la contribution des employeurs publics, ce qui n’est pas neutre et se traduira par la hausse des charges de l’employeur ou une diminution du salaire net des fonctionnaires.
Le régime par répartition est en danger du fait de l’évolution démographique du pays. Lorsque nous parviendrons à 1,5 actif pour un retraité, la situation deviendra insoutenable si nous demeurons dans ce schéma. Cela se traduira soit par une augmentation des taux de cotisation et donc une baisse des rémunérations nettes, soit par une baisse du niveau des pensions de tous les fonctionnaires.
Je sonne donc l’alerte, la pente est déjà en train de s’accroître et nous n’arriverons plus à freiner avant de tomber dans le précipice. J’observe le pas de deux entre le Rassemblement National et La France insoumise, chacun des groupes proposant d’abroger cette réforme des retraites. Cette réforme était une réponse conjoncturelle, sur un ou deux ans, mais non une réponse structurelle à la baisse de notre démographie, ni sur le plan de la natalité – qu’il faut relancer – ni sur le plan de la capitalisation, qui sera le seul moyen pour nos concitoyens de disposer de pensions décentes. Chacun fait les mêmes propositions, mais ne vote pas celle des autres, parce que vous savez très bien que vous n’êtes pas capables d’apporter le financement qui permettrait d’abroger cette réforme.
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Je remercie Mme la rapporteure pour son rapport, qui démontre vraiment que nos régimes ne s’attaquent pas frontalement à la question de l’inégalité.
Monsieur Di Filippo, vous nous parlez encore une fois de natalité, c’est obsessionnel. Parlons de l’impact de cette natalité sur les carrières hachées des femmes, sur les temps partiels demandés, sur l’incomplétude des cotisations au moment d’arriver à la retraite. Nous nous sommes beaucoup émus dans cette commission du fait que les femmes percevaient des pensions de retraite 50 % inférieures à celle des hommes. Mais il n’y a pas de fatalité, simplement un manque d’adaptation du monde du travail à la maternité.
Surtout, il n’y a pas de partage, ni de la charge mentale, ni du temps domestique entre les hommes et les femmes, qui permettrait de retrouver une égalité. Mais je ne vous entends jamais en parler, ce qui est regrettable. En effet, chaque semaine, les femmes exercent huit heures de travail domestique de plus que les hommes.
Ce rapport pointe une question absolument essentielle : les différences de carrière entre hommes et femmes, et notamment le caractère haché des carrières. Mais il faut également mentionner les différences d’amplitude horaire, notamment dans les services à la personne, dans les activités de soins, mais qui pour autant ne permettent pas d’atteindre le plein emploi. Il s’agit là d’une des pénibilités qui n’est pas encore suffisamment comprise et qui touche particulièrement les femmes et nettement moins les hommes.
Je relève également le transfert de vocabulaire entre pénibilité et usure professionnelle, ce dernier terme étant particulièrement employé depuis deux ans. Ce transfert rhétorique n’est pas neutre en matière de prise en compte de la pénibilité et des effets qui peuvent être induits sur la santé. En effet, l’usure professionnelle renvoie la responsabilité sur le corps des personnes qui supporteraient peu ou mal leur emploi, alors que la pénibilité renvoie la responsabilité à l’employeur et au cadre de l’emploi.
La suppression des critères de pénibilité est une erreur, sur laquelle il ne nous a pas été possible de revenir, dans le cadre du PLFSS. De même, tous les amendements en matière d’égalité femmes-hommes ou de santé mentale ont été considérés comme des cavaliers budgétaires. Pourtant, la souffrance au travail est indéniable et les femmes y sont plus sujettes. Pour finir, je vous renvoie à ce chiffre qui devrait tous et toutes nous effrayer : la France est le premier pays en termes d’accidents du travail et il n’est pas loin du trio de tête en matière de souffrance au travail.
M. Nicolas Turquois (Dem). Je vous remercie pour votre rapport sur un sujet qui m’est cher, celui des retraites. Cependant, permettez-moi à ce stade de trouver votre analyse très orientée. J’avoue également que votre rapport est parsemé de quelques pépites qui ont égayé ma soirée.
Sur la partie consacrée au compte d’affectation spéciale Pensions, à aucun moment je ne lis que l’équilibre apparent de ces comptes n’est permis que par l’existence d’un taux de cotisation exorbitant de l’État par rapport au droit commun : 74 % pour les fonctionnaires civils et 125 % pour les militaires. Il aurait été pertinent de faire apparaître le solde de ces comptes avant ses contributions exceptionnelles, pour montrer pleinement le déséquilibre réel de la situation. Je vous invite d’ailleurs à lire le rapport à ce sujet du haut-commissaire au plan, François Bayrou.
La partie thématique de votre rapport évoque la question de la pénibilité, sujet majeur. Mais je n’y ai pas vu de propositions concrètes pour faire évoluer le système. Vous déclarez sur le sujet de la pénibilité dans votre avant-propos que « la France recule alors que d’autres progressent ». À la page 19, vous illustrez vos propos par une étude datée de 2015 montrant que la proportion de travailleurs français exposés à la pénibilité était « quasiment supérieure » à celle de ses voisins européens tels que l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie.
Je ne peux m’empêcher de citer l’exemple d’avancées que vous citez, en page 30. Vous évoquez l’Autriche qui, depuis 2006, définit la notion de « Schwerarbeit » ou « travail lourd » pour prendre en compte la pénibilité : « Lorsque le travailleur a occupé un emploi répondant aux critères cités pendant au moins dix ans au cours des vingt dernières années, il peut obtenir une pension pour travail lourd à partir de 60 ans, à condition d’avoir cotisé durant quarante-cinq annuités », alors que l’âge légal d’ouverture des droits à la retraite s’établit en Autriche à 65 ans. Quarante-cinq annuités à 60 ans, cela signifie qu’il a commencé à travailler à 15 ans. Finalement, vous citez comme référence des pays où l’âge légal de départ est supérieur à la France, de même que le nombre d’annuités nécessaires pour un départ à la retraite. Je vous remercie donc pour ces exemples.
Comment pourrait-on faire évoluer la prise en compte de la pénibilité de façon pragmatique ? Je vous rappelle que nous avons porté des amendements lors de la réforme des retraites. Certes insuffisants, ils étaient cependant utiles. Nous avons porté un amendement qui a permis de mieux prendre en compte les périodes de congé maternité dans le calcul de la retraite, et ce, dès le 1er septembre 2023, pour toutes les futures retraitées.
Une autre disposition de la loi a créé une surcote de 5 % par an avant l’âge légal pour les femmes bénéficiant de droits familiaux au titre de la maternité et de l’éducation des enfants. Enfin, pour celles ayant commencé tôt leur carrière, les périodes de congés parentaux sont désormais mieux intégrées aux dispositifs dits de carrière longue.
Nous aurions pu évoquer également la manière de faire diminuer la pénibilité au cours du travail plutôt qu’à avoir à la compenser lors de la retraite. Madame la rapporteure, je vous remercie pour votre rapport, qui montre en creux que les réformes récemment portées sur la question des retraites étaient mieux-disantes que ce qui se passe chez nos voisins et surtout, nécessaires à la pérennité de notre régime de retraite par répartition.
M. François Gernigon (HOR). Avec la mission Régimes sociaux et de retraite, nous traitons aujourd’hui de régimes spéciaux comme ceux de la SNCF, de la RATP, des marins et des anciens mineurs. Ce sont des régimes anciens, souvent mis en place avant la création de la sécurité sociale et qui demandent encore aujourd’hui des financements publics conséquents. Pour 2025, ils nécessiteront plusieurs milliards d’euros supplémentaires par rapport à l’an dernier.
Cette situation soulève des questions sur l’équité de notre système et sa lisibilité, alors que ces régimes spéciaux continuent d’exister au sein d’un paysage complexe pour les Français. La LFSS 2024 a apporté un changement notable. Dès 2025, l’équilibrage financier de ces régimes fermés sera pris en charge par le régime général. Cette évolution recentre l’effort de solidarité nationale. En d’autres termes, les fonds destinés à stabiliser ces régimes proviendront directement du régime général, ce qui devrait faciliter la gestion et la compréhension des dépenses publiques en matière de retraite.
Le compte d’affectation spéciale Pensions représente un effort budgétaire majeur, à hauteur de plus de 78 milliards d’euros pour 2025. La contribution employeur atteindra aussi plus de 78 % pour les personnels civils, une obligation organique visant à garantir l’équilibre du système.
Au cours des très nombreux débats sur cette question des retraites, nous avons déjà eu l’occasion de dire que des réformes de fond sont incontournables pour adapter notre modèle de retraite au régime démographique et aux réalités économiques. Les réformes de 2003, 2010 et, plus récemment celle de 2023, que le groupe Horizons & Indépendants a soutenu en responsabilité ont contribué à freiner l’augmentation des coûts, mais il reste encore des ajustements nécessaires pour solidifier la viabilité du système à long terme.
Au-delà des chiffres, ces décisions touchent directement la confiance des Français envers leur régime de retraite. Notre groupe votera en faveur des crédits de cette mission.
M. Laurent Panifous (LIOT). Madame la rapporteure, je vous remercie pour votre travail sur les retraites et sur la question de la pénibilité. Chers collègues, le budget pour 2025 marque une double injustice s’agissant des retraites, notamment celles des fonctionnaires.
La première d’entre elles est bien sûr l’application de la réforme des retraites, que nous avons combattue et que nous continuons de dénoncer. Outre le fait que cette réforme a été brutale et irrespectueuse du travail parlementaire et du dialogue social, elle est surtout injuste, car l’essentiel des économies sera porté par les plus modestes, par ceux qui commencent à travailler tôt.
En outre, il est en réalité difficile de déterminer l’ampleur réelle des économies que cette réforme permettra. Le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites vient relativiser, comme nous l’avions dit à l’époque, le caractère efficace de la réforme en matière budgétaire. Des économies seraient certes réalisées à court terme, mais à long terme, l’effet se tassera. De plus, le Gouvernement n’a jamais cherché à connaître les effets sur les autres postes de dépenses, notamment en termes de santé, de chômage, de revenu de solidarité active et d’autres prestations de solidarité, alors même qu’ils sont loin d’être marginaux.
La seconde injustice concerne le report de la revalorisation des pensions de janvier à juillet. Cette décision du Gouvernement minore les dépenses, mais surtout les pensions des retraités relevant des régimes de la mission. Nous nous y opposons dans le cadre du PLFSS et en raison de cette disposition, notre groupe s’opposera à l’adoption des crédits de cette mission. Celle-ci se traduira en effet par une vraie perte de pouvoir d’achat, qui s’appliquera uniformément à tous les retraités, dans un contexte toujours important d’inflation.
Puisque nous abordons les retraites des fonctionnaires, j’en profite pour insister sur un point cher à notre groupe, celui de l’existence d’une surrémunération, dite « prime de vie chère » pour les fonctionnaires ultramarins, qui n’ouvre pas droit à cotisation et donc à retraite. Il y a là une importante perte de revenus pour ces derniers au moment du départ à la retraite, qui exige de soumettre cette rémunération à cotisation, afin de réévaluer le montant des retraites des fonctionnaires ultramarins.
Enfin, je voudrais aborder la question de la pénibilité, puisque vous avez fait le choix de consacrer votre rapport à ce sujet. Il s’agit d’un angle mort de la précédente réforme, alors que cela devrait être l’une de nos priorités, d’autant que celle-ci a fait le choix de la mise en extinction de certains régimes spéciaux dont l’existence découlait notamment de la volonté de prendre en compte la pénibilité propre à certains régimes.
Vous citez à juste titre la pénibilité des agents de la fonction publique, et notamment hospitalière, où les femmes sont très représentées. Les âges de départ anticipé pour les catégories actives et superactives seront pourtant relevés progressivement, du fait de la réforme des retraites. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous proposons, par exemple, d’étendre le C2P aux contractuels et agents de la fonction publique. Nous proposons aussi de réintroduire les facteurs de pénibilité dits ergonomiques que sont les manutentions manuelles de charges, les postures pénibles et les vibrations mécaniques au C2P, via un dispositif plus facile pour les employeurs, reposant sur le dialogue social.
Nous vous rejoignons, madame la rapporteure, sur ce sujet de la pénibilité, qui doit nécessairement être retravaillé et que nous devons surtout ne pas oublier lorsqu’il est question des retraites.
M. Stéphane Peu (GDR). Au regard des débats qui viennent de s’écouler, je centrerai mon propos sur un aspect qui scandalise le pays : la décision de geler les retraites, toutes les retraites. Ainsi, selon un sondage paru ces derniers jours, 73 % des Français s’opposent à cette mesure absolument injuste. Il s’agit en effet d’une double trahison.
En juin, dernier, dans une déclaration solennelle, le Président de la République avait indiqué qu’il était hors de question que les retraites puissent constituer une variable d’ajustement budgétaire. Au mois d’octobre, le budget proposé agit exactement en sens inverse. Par ailleurs, cette disposition du projet loi de finances, qui frappe les retraités de manière totalement indifférenciée, quel que soit leur niveau de pension, est doublement injuste. D’une part, elle fera perdre du pouvoir d’achat aux retraités et d’autre part, la revalorisation envisagée au 1er juillet au lieu du 1er janvier, sera moindre, puisqu’elle est calculée sur les derniers mois d’inflation. En effet, l’inflation continuant de décroître, le niveau de revalorisation au 1er juillet sera inférieur à celle qui aurait dû avoir lieu au 1er janvier.
Cette double peine visant les retraités scandalise notre pays, à juste titre. À mes collègues macronistes, je demande ce que les retraités leur ont fait pour qu’ils s’acharnent sur eux comme vous l’avez fait depuis 2017. En 2017, 7,5 % des retraités vivaient en dessous du seuil de pauvreté. Aujourd’hui, en 2024, ils sont 10,5 %. Tel est le bilan de votre action.
Cet acharnement est absolument injuste et indifférencié. Tous les matins, devant chez moi, je vois des retraités qui partent distribuer des prospectus et des journaux. Lorsque je me rends aux Restos du Cœur ou aux antennes du Secours populaire de ma circonscription, les files d’attente sont pleines de retraités et de jeunes étudiants. En résumé, cette mesure est absolument scandaleuse ; nous vous demandons de surseoir à cette désindexation et à ce gel des pensions de retraite qui vont plonger encore plus les retraités dans les difficultés. J’ajoute que 20 % des retraités en dessous du seuil de pauvreté vivent seuls. Malheureusement, au fil du temps, ils sont de plus en plus nombreux à vivre seuls, et je suis sûr que chacun d’entre vous a des visages et des situations concrètes en tête.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions individuelles des députés.
M. Thibault Bazin (DR). Je vous remercie, madame la rapporteure, pour les éléments portés à notre connaissance sur cette mission budgétaire. J’ai trouvé certains de vos éclairages intéressants, notamment les manques dans les dispositifs pour faire face à la pénibilité des métiers. Vous avez partagé des exemples très concrets, qui remettent l’humain au cœur de cet examen budgétaire. Il nous faut créer de la valeur pour relever ces défis.
Nous avions porté dans cette commission une mission « flash » consacrée au régime des mineurs. Je m’y étais fortement impliqué, ayant dans ma circonscription la dernière mine en activité dans l’Hexagone, la mine de sel de Varangéville. Plusieurs recommandations avaient été effectuées, mais trois années plus tard, certaines ne sont pas encore pleinement suivies.
Cela étant dit, il est toujours intéressant de constater la hausse des crédits nécessaires pour équilibrer les régimes spéciaux et les régimes fermés. La démographie de certains secteurs appelle ainsi une solidarité nationale qu’il nous faut financer. Mon collègue Fabien Di Filippo a bien mis en perspective cette question structurelle cruciale. Elle demande de générer des excédents par ailleurs.
Même si un régime est fermé, à l’instar de celui des mineurs, les ayants droit perdurent pendant plusieurs décennies. Il est de notre responsabilité d’assurer, dans les meilleures conditions, leur prise en charge. Madame la rapporteure, pourriez-vous nous indiquer quelles sont les perspectives budgétaires, au-delà de 2025, pour l’ensemble de ces régimes spéciaux et les régimes fermés, afin de les équilibrer ? Très concrètement, quels sont les déficits supplémentaires à couvrir ces prochaines années ?
M. Hendrik Davi (EcoS). Les régimes spéciaux sont issus d’une histoire et d’acquis sociaux. Leur stigmatisation est assez néfaste. Le principal problème concerne les pensions civiles et militaires, à hauteur de 64 milliards d’euros, mais nous n’allons pas changer les règles pour imposer à nos militaires de travailler jusqu’à 67 ans.
M. René Lioret (RN). J’aurais répondu volontiers à M. Di Filippo, qui est absent, mais je pense qu’il s’exprimait au nom du groupe Droite Républicaine. Ce dernier mettait dos à dos l’extrême gauche et le Rassemblement National en disant que nous ne disposions d’aucune mesure de fond et que nous ne parlions pas de natalité. Ceci est faux : notre programme comporte des mesures, en particulier les allocations universelles non liées aux revenus, une deuxième part fiscale dès le deuxième enfant, ainsi qu’un prêt public à taux zéro.
M. Didier Le Gac (EPR). Nous sommes tous sensibles à la question de la pénibilité, mais ce matin, le vote porte sur les crédits de la mission, sur les régimes spéciaux qui ont besoin d’être équilibrés. Il ne faut pas se tromper de débat.
Mme la rapporteure. S’il existe aujourd’hui peu d’éléments permettant de mesurer le bien‑être et la santé et la santé au travail, lors des auditions, les syndicats des salariés des industries électriques et gazières nous ont fait part d’une détérioration des conditions de travail depuis la suppression du régime. S’agissant des catégories actives, à 65 ans, l’espérance de vie pour un fonctionnaire sédentaire est de vingt-trois ans et d’un peu moins de vingt-et-un ans pour un policier.
Aux Hospices civils de Lyon, l’absentéisme est en augmentation de 2 points depuis la crise sanitaire. La direction et les syndicats s’accordent pour constater une hausse des arrêts maladie à partir de 45 ans, ainsi que des taux de restrictions au travail de 13 % pour les infirmières et de 21 % pour les aides-soignantes.
M. Di Filippo a évoqué le déficit du compte d’affectation spéciale. Si les tendances se poursuivent, nous allons au-devant de graves problèmes. Comme je l’ai indiqué dans le rapport, le problème de financement est notamment lié à l’augmentation du nombre de retraités, associée à la diminution du nombre de cotisants. À cet égard, plus les postes de fonctionnaires seront supprimés, moins ceux-ci cotiseront pour les retraités. De fait, la question du financement n’a pas été prise en compte en 2023.
Madame Rousseau, le rapport n’a malheureusement pas pu traiter tous les sujets. Il n’en demeure pas moins que les questions de l’amplitude horaire et des carrières hachées demeurent effectivement essentielles. Par ailleurs, lors des auditions, certains syndicats nous ont fait part de la volonté plutôt accrue des soignantes de travailler sur des amplitudes de dix ou douze heures, car sur le moment, elles estiment qu’il est plus simple de travailler ainsi. Mais sur une carrière, dans la durée, ces choix contraints accroissent la pénibilité.
Monsieur Turquois, les données qui figurent dans le rapport ont été fournies par la direction du budget. Ensuite, l’étude de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques date certes de 2015, mais elle est toujours utilisée par cette direction pour conduire des analyses.
S’agissant des comparaisons avec les autres pays européens, je vous trouve un peu de mauvaise foi. À aucun moment je n’ai indiqué que les systèmes de retraite évoqués étaient exemplaires ; je ne parlais que de la prise en compte de la charge mentale et émotionnelle. Dans ce domaine, la France est en retard. Cette pénibilité, inhérente à certains métiers comme ceux des travailleurs sociaux ou des métiers hospitaliers, est mieux considérée en Autriche et en Finlande. Il faut s’inspirer des bonnes pratiques utilisées ailleurs en Europe, pour améliorer notre système, qui est largement perfectible.
Monsieur Panifous, je partage avec vous la nécessité de réintégrer les quatre critères de pénibilité ; mais également l’indignation concernant le report de la revalorisation des pensions de retraite de janvier à juillet. Il s’agit d’un scandale et il faut effectivement pouvoir en débattre.
Ensuite, le sujet de la natalité ne cesse d’être mis en avant dans cette commission. Il faut arrêter de croire que l’on fait des enfants pour financer le système de retraite. Arrêtez de demander aux femmes tous les mercredis matin, dans cette commission, de faire des enfants. C’est insupportable.
Monsieur Bazin, nous ne disposons que de peu d’informations communiquées par la direction du budget dans ce domaine, et donc sur les perspectives budgétaires et le déficit qui pourrait s’accumuler d’année et année. Je vous invite à interroger les ministres concernés, pour peu qu’ils viennent assister aux débats sur le PLFSS.
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Les infirmières et les aides-soignantes demandent des taux de rotation à douze heures, pour disposer de plus de temps pour elles. Elles le font généralement pour échapper à des conditions dégradées de travail, travail qu’elles concentrent en réalité sur quelques jours. Mais en réalité, cela met leur santé encore plus en danger.
M. Didier Le Gac (EPR). Le groupe Ensemble pour la République est opposé au gel de la revalorisation des pensions. Nous avons ainsi déposé un amendement de suppression de l’article 23 du PLFSS.
Mme Justine Gruet (DR). La pénibilité constitue effectivement un enjeu important, sur lequel nous devons travailler. Cependant, il est loisible de s’interroger sur la réforme de 2023, qui a conservé des régimes spéciaux, voire très spéciaux, et qui crée forcément une forme de déséquilibre par rapport à l’effort qui a pu être demandé à toute une tranche de la population. Désormais, en matière de gestion budgétaire, nous sommes arrivés à un stade où nous devons demander à tous de consentir des efforts, mais aussi sans doute favoriser la reconversion professionnelle, pour permettre à nos concitoyens de continuer à s’épanouir dans leur travail. À mesure que l’âge avance, certains métiers pénibles ne sont plus envisageables, mais la valorisation de l’expérience et de la compétence acquise tout au long d’une carrière professionnelle doit être envisagée.
Ensuite, M. Hollande avait gelé la revalorisation en 2015. À cette époque, cela n’avait pas suscité de tollé. Si nous voulons être capables de mener de véritables réformes et diminuer nos dépenses, nous devons demander à tous de produire des efforts.
M. Pierre Marle (HOR). En matière de revalorisation, j’aurais sans doute adopté une position intermédiaire, consistant à revaloriser uniquement les pensionnés dont les retraites sont en dessous de la moyenne. Ensuite, en tant que président du conseil d’administration d’un Ehpad, je suis bien au fait des problèmes de pénibilité. Il existe des solutions pour faciliter le travail des personnels, mais elles nécessitent des investissements. Or 60 % de ces établissements sont en déficit.
Mme Josiane Corneloup (DR). Les dispositifs concernant la pénibilité sont aujourd’hui concentrés sur la pénibilité subie. Or l’information des salariés sur les risques liés aux contraintes physiques relatives à la manutention ou aux postures n’est pas à la hauteur des enjeux. La prévention de l’usure professionnelle est, à mon avis, essentielle.
Mme la rapporteure. Je salue la prise de position de M. Le Gac concernant son amendement. Soyez assurés que nous le soutiendrons.
Madame Gruet, je partage l’idée que les efforts doivent être consentis par tous ; ce qui signifie également que les plus aisés doivent également y contribuer, pas seulement les retraités ou les fonctionnaires les moins riches, qui éprouvent déjà des difficultés pour boucler leurs fins de mois. Par ailleurs, certains régimes spéciaux, dont celui des marins et des pêcheurs, doivent également participer à ces efforts.
Ensuite, il est souvent question depuis hier du gel de la revalorisation sous la présidence de François Hollande. Je rappelle qu’en 2014, l’inflation n’était que de 0,5 % ; qu’elle était nulle en 2015 ; de 0,2 % en 2016 et de 1 % en 2017. Mais depuis trois ou quatre ans, elle dépasse les 2 %. Il ne revient pas aux petites retraites de servir de variables d’ajustement. Les économies dégagées, moins de 4 milliards d’euros, sont scandaleusement faibles par rapport à ce qu’elles vont coûter humainement à l’ensemble des retraités, et particulièrement aux moins aisés d’entre eux.
Monsieur Marle, vous soulevez un véritable problème. Il est vrai que plus de 80 % des Ehpad publics sont en déficit et ne peuvent obtenir de moyens supplémentaires pour améliorer les conditions de travail et éviter le port des charges lourdes. Par ailleurs, le virage du maintien à domicile des personnes âgées n’intègre pas forcément le coût de l’installation de ces équipements très élevé, souvent à la charge des familles.
Article 42 et état B : Crédits du budget général
Suivant l’avis de la rapporteure, la commission émet un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission Régimes sociaux et retraite.
Article 44 et état D : Crédits des comptes d’affectation spéciale et des comptes de concours financiers
Suivant l’avis de la rapporteure, la commission émet un avis défavorable à l’adoption des crédits du compte d’affectation spéciale Pensions.
Annexe
liste des personnes entendues par la rapporteure
(par ordre chronologique)
Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques – M. Michel Houdebine, directeur, M. Michaël Orand, chef de la mission analyse économique, et M. Anthony Marino, chef du bureau Retraites à la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees)
Mme Catherine Delgoulet, professeure du Conservatoire national des arts et métiers, titulaire de la chaire « Ergonomie », membre du centre de recherche sur le travail et le développement et directrice du centre de recherche sur l’expérience, l’âge, et les populations au travail
M. Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, ancien président du Conseil d’orientation des retraites
Conseil d’orientation des retraites – M. Gilbert Cette, président, et M. Emmanuel Bretin, secrétaire général
Table ronde :
– Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales – M. Pierrick Joubert, chargé d’études statistiques à la direction des études et statistiques
– Direction générale des finances publiques – Service des retraites de l’État – M. Guillaume Talon, chef de service
Table ronde :
– CGT – M. Denis Gravouil, secrétaire confédéral, M. Régis Mezzasalma, conseiller confédéral, et Mme Soraya Lucatelli, secrétaire fédérale
– CFDT – Mme Isabelle Mercier, secrétaire nationale responsable de la politique en matière de santé au travail, et M. Thibaut Sellier, secrétaire confédéral chargé de la politique des retraites
– CFE-CGC – Mme Christelle Thieffinne, secrétaire nationale du secteur Protection sociale et Mme Emérance Haushalter, chargée d’études Protection sociale
Table ronde :
– Caisse de prévoyance et de retraite du personnel ferroviaire – Mme Marion Laroutis, directrice déléguée à la protection sociale
– Caisse de retraites des personnels de l’Opéra national de Paris – Mme Christelle Nicolas, directrice, et M. François Tanguy, agent comptable
– Établissement national des invalides de la marine – M. Laurent Gallet, directeur
Direction de la sécurité sociale – Mme Marion Muscat, sous-directrice de l’accès aux soins, des prestations familiales et des accidents du travail, Mme Isabel Garcia, chargée de mission prévention-pénibilité, Mme Delphine Chaumel, sous-directrice des retraites et des institutions de la protection sociale complémentaire, M. Rémi Tabaud Deboth, adjoint à la cheffe de bureau de régimes spéciaux, M. Harry Partouche, sous-directeur de la direction des études et des prévisions financières, et M. Antoine Imberti, adjoint sous-directeur de la direction des études et des prévisions financières
Caisse nationale d’assurance vieillesse – M. Renaud Villard, directeur général, et Mme Valérie Albouy, directrice statistiques, prospective et recherche
Table ronde :
– Fédération des entreprises de services à la personne (FESP)* – M. Mehdi Tibourtine, directeur général adjoint
– Fédération française des services à la personne et de proximité (Fédésap)* – M. Amir Reza-Tofighi, président d’honneur, et M. Régis Granet, directeur juridique
– Union nationale de l’aide, des soins et des services à domicile (UNA) – Mme Anne Cousin, directrice relations sociales et RH réseau
– Aide à domicile en milieu rural (ADMR) – M. Bernard Habert, responsable juridique
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.
([1]) Audition de M. Michel Houdebine, directeur de la Dares, 23 septembre 2024.
([2]) Dares, Les expositions aux risques professionnels dans la fonction publique et le secteur privé en 2017, 2019.
([3]) Ministère de la transformation et de la fonction publiques, Caractéristiques des agents de la fonction publique en 2022, 2024.
([4]) Insee, Femmes et hommes : l’égalité en question, 2022.
([5]) Insee, Droit, communication, médecine, banque-assurance : des métiers qualifiés qui se féminisent, 2016.
([6]) Fédération hospitalière de France, Enquête sur la situation RH, mai 2022.
([7]) Insee, Les écarts d’espérance de vie entre cadres et ouvriers : 5 ans chez les hommes, 3 ans chez les femmes, 2024.
([8]) Pour les femmes, l’espérance de vie à 65 ans des retraitées ayant bénéficié du départ anticipé des catégories actives est légèrement plus longue de 0,39 an « sans doute en raison du poids des institutrices » dans la catégorie examinée selon le service des retraites de l’État.
([9]) Décret n° 54-832 du 13 août 1954 portant règlement d’administration publique pour la codification de lois et de règlements d’administration publique relatifs aux pensions civiles et militaires de retraite.
([10]) Arrêté du 12 novembre 1969 relatif au classement des emplois des agents des collectivités locales en catégories A et B.
([11]) Conseil d’orientation des retraites, La prise en compte des risques professionnels dans les retraites : effets sur la santé, C2P, catégories actives », 2023.
([12]) Audition de la CNRACL, mardi 24 septembre 2024.
([13]) Rapport d’évaluation des politiques de sécurité sociale de la branche AT‑MP, 2022.
([14]) Données de la Drees, audition du mardi 24 septembre 2024.
([15]) Fonds d’investissement pour la prévention de l’usure professionnelle, Orientations de la commission des accidents de travail et maladies professionnelles pour 2025.
([16]) Rapport d’évaluation des politiques de sécurité sociale de la branche AT‑MP, 2022 .
([17]) La Cnav a reçu 30 millions d’euros de la branche AT‑MP au titre du C2P en 2023.
([18]) Rapport n° 814 de Mme Stéphanie Rist sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, 1er février 2023.
([19]) Unedic, Évolution des CDD de moins d’un mois et de l’intérim par secteur d’activité, 2018.
([20]) Anne Jolivet, Pénibilité du travail et retraite : une comparaison internationale des dispositifs existants, mars 2023.
([21]) Ibid.
([22]) Données transmises à la rapporteure lors de son déplacement aux HCL, vendredi 27 septembre 2024.
([23]) Décret n° 2020‑66 du 30 janvier 2020 portant création d’une prime « Grand âge » pour certains personnels affectés dans les établissements mentionnés à l’article 2 de la loi n° 86‑33 du 9 janvier 1986 .
([24]) Arrêté du 30 janvier 2020 fixant le montant de la prime instituée par le décret n° 2020‑66 du 30 janvier 2020.
([25]) Article 3 du décret n° 2010‑888 du 28 juillet 2010 relatif aux conditions générales de l’appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires de l’État.