Compte rendu
Commission
des affaires étrangères
– Audition, à huis clos, du général d’armée Thierry Burkhard, Chef d’état-major des armées 2
Mercredi
25 Janvier 2023
Séance de 9 h 00
Compte rendu n° 23
session ordinaire de 2022-2023
Présidence
de M. Jean-Louis Bourlanges,
Président
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La commission procède à l’audition, à huis clos, du général d’armée Thierry Burkhard, Chef d’état-major des armées.
Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président
La séance est ouverte à 9 h 05
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Notre ordre du jour appelle ce matin l’audition du général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées.
L’Assemblée nationale a conservé deux commissions distinctes pour les affaires étrangères et la défense nationale. Même si nous entretenons naturellement les meilleurs rapports avec nos collègues de la commission de la défense, j’aurais aimé, pour ma part, qu’elles soient réunies, à l’instar de ce qui a été fait au Sénat.
Les faits marquants de ces dernières années ont tous été éminemment diplomatiques et militaires. C’est le cas du retrait des Américains d’Afghanistan, de l’étrange et pénible affaire de la fourniture de sous-marins à l’Australie, des réflexions relatives à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et au financement de la défense européenne et, bien sûr, de l’Ukraine. C’est également le cas, plus récemment, du ralliement du Danemark à la politique de sécurité et de défense commune et de la potentielle adhésion à l’OTAN de la Finlande et de la Suède.
Très attachés au principe romain Cedant arma togae – « que les armes cèdent à la toge » –, reformulé par Clausewitz sous la forme « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens », nous estimons que les grands choix militaires, comme ceux opérés dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM), doivent être faits en fonction des priorités géopolitiques du pays.
Vous avez succédé au général Lecointre comme chef d’état-major des armées le 22 juillet 2021, après une très brillante carrière. Chacun se félicite de la façon dont vous dirigez les forces armées et, d’une façon générale, celles-ci renvoient l’image d’une administration publique tenue, cohérente et qui fait face très efficacement aux défis qu’elle rencontre. Cela ne veut pas dire que tout va bien ni que tout est facile, mais vous êtes le chef indiscuté d’une institution militaire très appréciée, respectée, admirée même. Cela n’a pas toujours été le cas car les rapports entre l’armée et la nation sont souvent compliqués.
Notre commission se réjouit du fait que les objectifs de la loi de programmation militaire qui s’achève aient été tenus, ce qui n’était pas arrivé depuis des années – et ce alors même que les plus grands efforts avaient été prévus pour les dernières années de la période. Le sentiment d’abandon ressenti hier par l’armée avait d’ailleurs provoqué le départ prématuré de l’un de vos prédécesseurs, en 2017. Cette démission a été l’occasion d’une prise de conscience des politiques, à commencer par celle du président de la République.
Je suis également très satisfait – je ne peux pas, en l’espèce, parler au nom de tous les membres de cette commission – des hautes ambitions affichées par le président de la République le 20 janvier à Mont-de-Marsan.
Nous sommes très attentifs à l’évolution de la menace, à son renouvellement, à son extension à de nouveaux domaines et aux défis qu’elle nous impose. Nous avons le sentiment que les autorités françaises, civiles et militaires, prennent en compte cette nouvelle donne.
Nous sommes aussi profondément préoccupés par la dégradation des relations internationales, par ce que le président de la République a appelé le retour à l’état de nature.
Deux grands défis sont devant nous. Le premier, c’est le devenir de la projection extérieure de la France. L’armée française était considérée comme une armée à caractère expéditionnaire, tournée vers la projection extérieure ; la situation en Afrique, en particulier, nous montre quelles incertitudes entoure son avenir. À Mont-de-Marsan, le président a ainsi beaucoup plus insisté sur la défense des outre-mer, sur la préservation de « l’archipel français », pour reprendre ses mots audacieux, que sur l’action conjointe avec nos partenaires, parfois difficile comme en Afrique de l’Ouest.
Le second, c’est l’évolution de l’OTAN. Nous souhaitons une affirmation de l’Europe et nous nous demandons quels seront les concepts qui vont prévaloir, alors que l’OTAN est de retour. Que fera l’Allemagne des énormes investissements qu’elle entend consacrer à la défense ?
Le Gouvernement prend en considération les changements et les nouveaux défis qui se présentent et il entend leur consacrer d’importants moyens. Mais de grandes incertitudes se font jour quant aux enjeux fondamentaux de l’action militaire de la France dans les prochaines années. Voilà pourquoi nous sommes heureux de vous entendre.
Général Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées. Il est encore temps de vous présenter mes vœux. Je vous souhaite donc à tous une très bonne année ainsi qu’à tous ceux qui vous sont chers. L’année qui se profile est une année de défis ; je doute qu’elle soit plus calme que celle qui l’a précédée. Mais il faut la regarder d’un œil optimiste !
Cette audition est pour moi une expérience nouvelle, puisque je suis plus fréquemment entendu par la commission de la défense nationale et des forces armées. Vous avez parlé, monsieur le président, de la coexistence de deux commissions. Sur le terrain, dans la conduite de nos opérations, l’action du ministère des armées est très liée à celle du ministère de l’Europe et des affaires étrangères : il n’y a que les actions globales qui puissent résoudre les problèmes. Personne ne travaille seul de son côté. Cependant, cette coordination ne va pas toujours de soi et nécessite des efforts.
Le monde a basculé le 24 février 2022. Un véritable changement s’est produit, qui n’est pas encore définitif. Les équilibres sont encore à trouver et cette phase d’incertitude peut durer. Cette période doit être mise à profit pour réinterroger de façon systématique nos choix antérieurs et plus généralement pour revoir notre façon d’appréhender les choses. Cela ne signifie pas que tout ce que nous faisions avant était mauvais mais il faut s’interroger : est-ce encore pertinent en 2023 ?
Ce qui se passe en Ukraine n’est pas à proprement parler une surprise. Certains – les militaires entre autres – avaient perçu la possibilité d’un retour de la guerre entre États puissances et avaient commencé à s’y préparer. Ce que je note cependant, c’est une accélération : ma préoccupation est à présent de s’adapter, de suivre le tempo et de ne pas se laisser distancer.
Quelle est l’évolution de l’environnement stratégique ? La grille de lecture avec laquelle l’armée travaillait depuis la fin de la guerre froide s’appuyait sur le triptyque « paix, crise, guerre ». Mais celui-ci ne reflète plus l’état du monde aujourd’hui. Il a donc été nécessaire de le remplacer par le triptyque « compétition, contestation, affrontement », qui prend mieux en considération la nouvelle conflictualité et les nouveaux rapports de force. Il n’est pas question pour moi d’imposer cette vision à qui que ce soit. Simplement, pour les armées, il est important de structurer la réflexion en se fondant sur un cadre.
Premier élément de ce triptyque : la compétition. Il s’agit du mode de fonctionnement normal de notre monde, dans tous les domaines – celui de la sécurité bien sûr, mais aussi ceux de l’économie, de la culture, du sport, de la diplomatie… La compétition est omniprésente et permanente.
À ce stade, les armées contribuent à améliorer notre connaissance de nos compétiteurs. Il s’agit aussi de signifier la détermination de la France pour infléchir la résolution de nos adversaires. Cette phase correspond, en quelque sorte, à la guerre avant la guerre. Tout ce qui s’y passe a déjà une influence et des conséquences sur l’avenir. C’est durant cette période qu’il faut produire notre effort.
Deuxième stade, la contestation. Un acteur de la compétition internationale décide de transgresser les règles et d’acquérir un avantage, d’imposer un fait accompli ; exemple d’acte de contestation particulièrement probant : l’annexion de la Crimée par la Russie, en 2014. Il n’y a pas de réaction forte, le gage est saisi. Durant cette phase, celle de la guerre « juste avant la guerre », les armées doivent contribuer à lever l’incertitude et empêcher l’imposition d’un fait accompli, donc décourager l’adversaire et réagir vite le cas échéant.
Troisième stade, l’affrontement. Il se produit lorsqu’un acteur recourt à la force pour atteindre ses objectifs et qu’il provoque une réaction de même niveau de la part d’un adversaire, qui ne se laisse pas faire. Cela entraîne une escalade, puis la guerre. Les armées doivent détecter les signaux faibles pour essayer d’anticiper ce moment de bascule vers l’affrontement et, si nécessaire, elles doivent être capables de faire la guerre.
Ces trois stades peuvent coexister assez facilement dans les différents milieux et champs de la conflictualité et dans différentes zones géographiques du monde.
Je ne surprendrai personne en soulignant que l’affrontement ne peut pas être une fin en soi et que, pour les militaires, il s’agit de l’éviter. Voilà pourquoi nous cherchons à nous imposer dès la phase de compétition. A contrario, au cours des vingt dernières années, celles de la lutte contre le terrorisme militarisé, la compétition n’était pas la même et la nécessité d’aller à l’affrontement s’imposait davantage. Mais entre États puissances, je le répète, c’est au cours de la phase de compétition que doit porter notre effort.
Comment appliquer cette grille de lecture du monde à la réalité ?
Il existe aujourd’hui une dynamique compétitive extrêmement offensive de la part des grands compétiteurs. Elle est visible notamment dans le déploiement de stratégies hybrides, qui visent à compliquer la prise de décision. Dans le cadre de ce type de stratégie, les actions qui sont menées sont, en effet, très difficiles à attribuer, au moins formellement.
Tous les grands compétiteurs sont incisifs. Nous sommes en contact avec eux dans tous les champs, dans tous les espaces géographiques et dans tous les milieux. Par exemple, en Afrique, la Russie, par l’intermédiaire du groupe Wagner, une société de mercenaires, cherche à menacer nos intérêts. Nous avons également des interactions avec ce pays dans l’espace aérien, dans le Nord-Est syrien en particulier, où les tensions entre grandes puissances sont assez fortes. La Russie est également très active sur et sous les mers, que ce soit en Méditerranée ou dans l’Atlantique.
Par ailleurs, deuxième volet de la compétition, la guerre informationnelle se développe fortement grâce à l’accès facile aux technologies. La guerre informationnelle exploite le potentiel de résonnance. Certains pays ont acquis un vrai avantage par l’exploitation du champ informationnel. On observe les efforts de la Russie pour structurer son discours et sa position à l’échelle mondiale. Dans le champ informationnel, on peut aussi rechercher un effet d’entraînement et d’adhésion. L’Ukraine a réussi cette manœuvre sur le plan opératif.
Plus généralement, certains pays veulent également faire émerger une autre vision du monde, désoccidentalisée, alternative, qui nous exclurait de la scène internationale.
En outre, au cours de la dernière décennie, nous sommes passés du réarmement à une vraie volonté d’employer la force pour régler des conflits. Il y a quinze ou vingt ans, les résolutions prises par les grandes organisations internationales, notamment l’Organisation des Nations Unies (ONU), étaient certes longues à élaborer et à s’imposer mais elles donnaient le rythme. Aujourd’hui, il y a encore des résolutions mais l’emploi désinhibé de la force en réduit considérablement la portée.
On remarque également une escalade dans l’emploi des moyens, sur le front mais aussi sur toute la profondeur du champ de bataille. Ce que l’on observe en Ukraine, aujourd’hui, n’a rien de commun avec ce que l’on observait au cours des vingt dernières années. Le retour du fait nucléaire et sa banalisation dans les discours et dans les médias – qui me surprend toujours – est un autre élément à prendre en compte.
Ensuite, la conflictualité change d’échelle. Elle ne concerne plus seulement la terre, l’air et la mer, mais aussi l’espace, les fonds marins, le cyber ou l’information. Les affrontements sont également plus intenses : 5 500 à 6 000 de nos militaires étaient engagés dans la bande sahélo-saharienne (BSS), ce qui représentait un effort important pour la France ; en Ukraine, ce sont plusieurs centaines de milliers d’hommes qui se font face.
Au-delà des volumes, les structures qui sont engagées sont de nature différente. Au Sahel, pour lutter contre le terrorisme militarisé, les unités sur le terrain sont des compagnies de 150 hommes, éventuellement coordonnées au niveau du bataillon, soit 700 à 800 militaires. Dans une guerre de haute intensité, ce sont des brigades de 6 000 hommes qui opèrent, voire des divisions de 20 000, coordonnées au sein d’un corps d’armée de 80 000 à 100 000 hommes.
Pour les armées, ce changement d’échelle se traduit également par un niveau d’entraînement différent. En Ukraine, l’armée russe montre qu’elle a rencontré des difficultés pour opérer ce changement. Cela ne signifie pas que la guerre contre le terrorisme était simple mais ce qui doit être fait à présent demande beaucoup plus d’efforts et d’entraînement. C’est vrai sur terre mais aussi sur mer et dans les airs. Au Sahel, les avions interviennent en patrouille de deux avions alors qu’un raid aérien d’envergure implique plusieurs dizaines d’appareils. Sur mer, ce sont quelques bateaux qui surveillent les espaces maritimes. En cas de conflit de haute intensité, un groupe aéronaval réunit plusieurs dizaines de bâtiments, des avions et des sous-marins.
Bien entendu, ces changements ne sont pas sans conséquence sur la consommation de munitions, sans commune mesure avec celle que nous avons connue ces dernières années. Les répercussions sont aussi, malheureusement, considérables pour ce qui est des pertes humaines. En Ukraine, le nombre de victimes atteint des niveaux que l’on avait oubliés.
Quels enseignements tirer de ces mutations ? Il y en a trois, selon moi, qui ont été pris en compte pour élaborer nos propositions en vue de la LPM.
Tout d’abord, la complexité du monde, le nombre d’acteurs et la profondeur du champ concerné nous obligent à adopter une réflexion beaucoup plus stratégique. Les mécanismes de régulation internationale semblent inadaptés, ce qui entraîne un renouveau de la puissance et un recours aux rapports de force pour régler les conflits. On observe également une relative supériorité des stratégies de long terme, utilisées à des fins déstabilisatrices, qui sont mises en œuvre par des régimes dont les gouvernements bénéficient d’une certaine stabilité.
Les répercussions des conflits sont mondialisées à cause des interdépendances financières et économiques. Par exemple, elles entraînent une réorganisation des flux énergétiques et en matières premières, de l’Europe à l’Asie.
Le deuxième enseignement, c’est que nous assistons à la fin des engagements choisis. Lorsque l’on décide de lutter contre le terrorisme en Afghanistan ou au Sahel, nous conservons une certaine maîtrise de notre niveau d’engagement, de son intensité, de sa durée : on peut déployer plus ou moins d’hommes, on peut se retirer quand on le désire. Cela a un coût politique, diplomatique, économique mais l’ennemi ne nous contraint pas. Aujourd’hui, les engagements peuvent nous être imposés : l’Ukraine n’a pas eu le choix. Cette nouvelle donne doit être prise en compte pour construire notre outil de défense et pour définir les moyens qui nous sont alloués.
Enfin, il nous faut mieux assumer et exploiter la compétition. Si le monde entier s’y livre, il n’est pas possible de rester en marge. Nous devons faire preuve d’anticipation stratégique. Parfois, il faut même être capable de déceler dans quels domaines nous devons anticiper. Ce n’est pas facile. Il faut savoir faire des choix et prendre des risques.
Nous devons aussi conduire une action globale, dans tous les champs, dans tous les milieux et avec les autres ministères, pour démultiplier les effets : c’est toute la question de l’influence. De même, il nous faut construire des partenariats pour appuyer notre stratégie de puissance d’équilibres, comme nous l’avons fait avec l’Estonie. Ce pays a été le premier à mettre en place un détachement à Gao, au Mali, dans le cadre de l’opération Barkhane : l’envoi de ces cinquante militaires a complètement changé sa perception de ce qui se passait en Afrique. Ce partenariat s’est poursuivi par la mission Lynx : la France a déployé une compagnie au sein du bataillon britannique stationné en Estonie. Cela illustre l’intérêt des partenariats. Enfin, nous devons pouvoir compter sur les stratégies régionales de certains partenaires, pour acquérir une vision plus large, tout en acceptant de partager les responsabilités.
Dans ces conditions, quels sont les enjeux pour les armées ?
Le premier impératif est de renforcer notre cœur de souveraineté. Nous devons être en mesure de défendre cette souveraineté à 360 degrés, partout, y compris outre-mer comme le président de la République l’a rappelé.
Pour cela, la France doit disposer d’une force de dissuasion crédible et suffisante. Elle doit consolider son autonomie stratégique, c’est-à-dire sa capacité d’apprécier une situation et de décider. Elle doit également veiller à ce que les outremers ne deviennent pas des points de vulnérabilité face aux stratégies hybrides de certains compétiteurs.
Pour les armées, cela signifie aussi qu’elles doivent contribuer à la résilience de la nation, depuis le renforcement de la cohésion nationale jusqu’aux postures de protection globale sur terre, en mer, dans les airs, dans l’espace, dans le renseignement, dans le cyber et dans le champ de l’influence et de l’information. Cela signifie qu’elles doivent faire preuve d’une réactivité renforcée car notre faculté à réagir vite lors des phases de contestation est cruciale.
Si ce premier impératif se rapporte à ce que nous sommes, le deuxième concerne la manière dont les autres nous perçoivent : nous devons conforter notre crédibilité. Au plan stratégique, cela veut dire que nous devons être capable d’entraîner à nos côtés d’autres nations, européennes mais pas seulement. Il existe plusieurs approches de ce que doit être la défense de l’Europe, de la façon dont il faut envisager la sécurité européenne ; la France doit pouvoir peser pour la définir. Cela veut dire également que l’on doit être capable de mener une coalition en tant que nation-cadre, comme nous le faisons à petite échelle avec l’opération Aigle en Roumanie. Nous devons pouvoir le faire pour toutes les composantes (terrestre, aérienne et navale). Nous devons aussi pouvoir intégrer une manœuvre crédible face à un adversaire de haute intensité, multi-milieux et multi-champs ; pour cela les actions dans le champ informationnel doivent accompagner les actions dans le champ cinétique, de façon précise et rythmée, pour produire les effets voulus.
Cette crédibilité est également évaluée à l’aune de la préservation de l’équilibre entre le soutien et l’activité. Le risque pour une armée peut être, en effet, de vouloir acheter beaucoup de matériel, au détriment de l’activité, c’est-à-dire du besoin de s’entraîner. Or s’entraîner est fondamental et suppose que l’on dispose de munitions en quantités suffisantes, de potentiel d’utilisation des équipements et du potentiel de maintenance. Il s’agit d’asseoir notre crédibilité sur un modèle cohérent en matière capacitaire et en matière d’emploi.
Troisième impératif pour nos armées : s’adapter aux mutations d’un monde qui change très vite et où la conflictualité s’étend dans tous les champs, afin de garder l’initiative. Il faut d’abord continuer de nous approprier les nouvelles technologies – intelligence artificielle, drones et cyber, etc. – et les intégrer pleinement à nos actions. Il faut ensuite continuer à nous intéresser aux espaces communs, et donc contestés, que sont l’espace, les grands fonds marins ou le cyber, en développant de nouvelles capacités et en tirant profit de nouvelles opportunités, telles que le new space ou la dualité, civile et militaire, des innovations.
Nous devons aussi investir résolument le champ de l’influence et de la lutte informationnelle, qui est capital aujourd’hui. La façon dont nous sommes perçus est concernée par les trois phases du triptyque « compétition, contestation, affrontement ». Une action interministérielle efficace et précise est indispensable pour contrer les manœuvres hybrides et réduire notre exposition.
Nos partenariats doivent également s’adapter, pour être en phase avec notre perception du monde, nos objectifs, nos moyens. Il faut bien évidemment cultiver les relations avec nos voisins européens, avec lesquels nous avons noué des liens très forts. Mais il faut également être capables d’aller voir au-delà.
Cette dynamique, dans son ensemble, doit intégrer la question du changement climatique et plus largement des impacts environnementaux par une prospective dédiée, une conception d’équipements adaptés et des partenariats repensés.
Le quatrième impératif est un impératif d’exigence envers nous-mêmes, que nous devons à la nation. Les armées sont conscientes de la situation économique en France et donc de l’importance de l’effort que consent la nation et de la confiance qu’elle leur accorde. Elles ont le devoir d’utiliser au mieux le budget qui leur est attribué pour remplir les missions qui leur sont assignées. Veiller à la soutenabilité de certains programmes d’armement dans la durée est ainsi indispensable. Elles doivent aussi mieux intégrer les questions d’équilibre entre masse et technologie, ce qui est un défi permanent. De même, il est indispensable que notre base industrielle et technologique de défense (BITD) livre des équipements innovants mais à coûts et à délais maîtrisés, ce qui sous-entend une simplification et un allégement du domaine normatif ainsi qu’une amélioration de la compétitivité.
L’engagement des forces françaises inclut deux volets. Il s’agit d’abord de protéger les Français contre la dangerosité du monde. Pour ce faire, la France dispose de la dissuasion nucléaire, qui est assurée en permanence par les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) et par les Rafale de l’armée de l’air et de la force aéronavale nucléaire qui, à partir du porte-avions, offre d’autres modes d’action. Les deux composantes océanique et aéroportée reposent sur le principe de la stricte suffisance.
Les armées françaises opèrent sur le flanc Est de l’Europe. Il y a d’abord l’opération Aigle en Roumanie. Les troupes se sont déployées moins d’une semaine après l’attaque de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022. Le bataillon d’avant-garde faisait partie de la force de réaction rapide de l’OTAN et ce déploiement rapide a donné un véritable signal de crédibilité à nos alliés. D’autant plus, qu’il s’est accompagné dans les airs de patrouilles de Rafale qui ont assuré des missions le jour même de l’attaque, depuis la France au-dessus de la Pologne. Sur mer, le groupe aéronaval qui menait des opérations en Méditerranée orientale a été réorienté pour assurer des missions de protection au-dessus de la Roumanie et de la Croatie. Aujourd’hui la mission Aigle se poursuit avec des capacités du haut du spectre comme les chars Leclerc et le système de défense sol-air MAMBA. Récemment, le groupe aéronaval qui vient de repartir pour la mission Antarès a mené des opérations conjointes au-dessus de la Roumanie.
Nous participons également aux missions de réassurance de l’OTAN en Estonie avec une compagnie insérée dans un groupement britannique ; c’est la mission Lynx. En Lituanie, nous avons également quatre Rafale pour des missions de police du ciel au-dessus des pays baltes et de la Pologne.
En Afrique de l’Ouest, en particulier dans le Sahel, les troupes françaises ont redéployé le dispositif hors du Mali sur ordre du président de la République, en 2022, après la décision prise par les autorités maliennes issues du putsch de mettre fin à la coopération avec la France ; j’en profite pour souligner que ce retrait était un véritable tour de force logistique, dans un contexte sensible de menace sécuritaire. La lutte contre le terrorisme continue cependant, à partir du Niger, en accompagnement de l’armée nigérienne, c’est-à-dire que nous les appuyons dans les opérations qu’ils décident de mener. C’est là la nouvelle stratégie que nous souhaitons appliquer en Afrique car l’investissement des armées locales est la seule manière possible pour vaincre le terrorisme à long terme : seul le soldat de l’armée nationale restera aussi longtemps que le terroriste, contrairement à un soldat français ou européen.
Nous appuyons également les pays du golfe de Guinée – Côte-d’Ivoire, Bénin, Togo – contre le terrorisme, qui s’étend vers le Sud, mais aussi pour protéger les ressources halieutiques et lutter contre la piraterie. Dans tous les cas, l’objectif est d’aider ces pays en fonction des besoins qu’ils expriment. C’est une nouvelle démarche qui demande du temps mais qui produit des résultats.
Au Burkina Faso, les autorités locales viennent de demander le départ des militaires français. Il s’agit d’une décision souveraine qui respecte les termes d’un accord signé avec la France, mais qui ne signifie pas pour autant, du moins à ce stade, une rupture des relations diplomatiques.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Le climat doit être un peu tendu, tout de même ?
Général Thierry Burkhard. Pas tant que ça. Des manifestations ont eu lieu mais ne se sont pas traduites jusqu’alors par une forte pression sur les installations françaises
La France est également présente en Méditerranée orientale, au Proche-Orient et au Moyen-Orient. Il s’agit d’une zone, aux portes de l’Europe, très importante mais avec des facteurs déstabilisants comme le trafic de drogue, les déplacements de population, ou les effets changement climatique. Nous sommes engagés dans la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) et en appui direct des Forces armées libanaises dont l’action est essentielle pour assurer la stabilité du pays. En Irak, nous contribuons à la lutte contre Daech, qui est vaincu mais pas éradiqué. Une surveillance étroite des camps est indispensable car une résurgence est toujours possible. Les Kurdes qui assurent cette mission pourraient se retrouver dans une situation délicate en cas d’offensive turque dans le Nord-Est syrien.
Loin de l’hexagone, les armées françaises sont actives dans l’Indo-Pacifique, zone très vaste qui s’étend de Djibouti à Tahiti. L’action de la France y est contrainte par la tyrannie des distances.
Dans l’océan indien et en mer de Chine, sur fond d’enjeux climatiques croissants pour tous les petits pays du Pacifique Sud, nous assumons la compétition, grâce à la complémentarité des forces de souveraineté prépositionnées et des moyens projetés. À titre d’exemple, en septembre 2022, nous avons déployé en Nouvelle-Calédonie, en moins de soixante-douze heures, un dispositif aérien d’envergure de sept appareils (chasseurs, ravitailleurs et avions de transports). Le porte-avions Charles de Gaulle est en ce moment dans l’océan indien et ses Rafale sont déployés à Singapour pour rayonner et resserrer les liens avec nos partenaires.
Enfin, les armées françaises contribuent également – elles ne sont pas les seules à le faire – à la protection des Français sur le territoire national, avec le dispositif Sentinelle, avec les opérations Harpie – 350 militaires déployés en permanence contre l’immigration et l’orpaillage clandestins – et Titan – jusqu’à 400 militaires déployés pour protéger le centre spatial lors des lancements et des transferts – en Guyane, ou encore avec l’opération Héphaïstos de lutte contre les feux de forêt – vingt-trois départements concernés. Cet été nous avons renforcé ce dispositif devant l’ampleur des incendies dans des zones non couvertes pas cette opération comme en Gironde ou en Bretagne.
Sur le territoire national, les armées demeurent capables de contribuer à la résilience de la nation comme elles l’ont fait pendant la crise du Covid et à chaque fois qu’elles interviennent après des catastrophes naturelles.
Si la France dispose de forces armées crédibles c’est grâce bien sûr à l’effort de défense de la nation, mais aussi et surtout grâce aux femmes et aux hommes qui les composent, qui se sont engagés. Force est de constater qu’ils n’ont pas choisi la voie de la facilité. Nous devons donc leur garantir les moyens d’assumer ce choix.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous écoutons maintenant les porte-parole des groupes.
M. Frédéric Zgainski (DEM). Au nom du groupe Démocrate, je tiens à adresser mes plus sincères remerciements et ma profonde reconnaissance à nos armées, qui protègent tous les jours nos compatriotes sur le territoire national et dans le cadre d’opérations extérieures. Nous savons ce que nous leur devons.
Le groupe Démocrate est favorable à la livraison de chars lourds à l’armée ukrainienne afin de donner aux Ukrainiens les moyens de faire face à l’attaque russe et de défendre nos valeurs. Se pose alors la question du choix du matériel. Nos amis britanniques ont pris la décision symbolique de livrer quatorze chars Challenger 2. Concernant la livraison de chars Leclerc, le président de la République a fixé trois conditions : que cela n’occasionne pas d’escalade ; que cela soit utile et efficace ; que cela n’affaiblisse pas nos armées. Compte tenu de ces conditions, est-il envisageable de livrer un nombre de chars Leclerc supérieur au nombre symbolique de chars Challenger 2 qui seront livrés ?
Les chars Leopard 2 allemands ont été fabriqués en plus grande quantité et sont en service dans plusieurs armées européennes. Ils semblent être la meilleure solution pour renforcer efficacement l’armée ukrainienne, notamment pour ce qui est de la formation des soldats ukrainiens et du maintien en condition opérationnelle (MCO), avec le soutien de l’Union européenne. À l’avenir, la défense européenne devra disposer d’un char européen, le système principal de combat terrestre ou MGCS – Main Ground Combat System –, sur le modèle du système de combat aérien du futur (SCAF).
Je tiens à saluer également la décision de la France de livrer à l’Ukraine des AMX-10 RC, blindés qui ont fait leurs preuves au Koweit, en Afghanistan et en Afrique notamment. Pourriez-vous à cet égard nous communiquer le chiffre des livraisons envisagées ? Les munitions de ce blindé n’étant pas aux normes OTAN, comment les Ukrainiens pourront-ils s’approvisionner ?
Ces livraisons d’AMX-10 RC à l’Ukraine seront-elles bien compensées en France par l’arrivée des blindés Jaguar ?
En Afrique, vous l’avez dit, le Burkina Faso a demandé le départ de nos troupes de son territoire. Quelle est désormais la place de la France sur le continent ? Quelles seront les conséquences de ce retrait sur notre dispositif global ? Et quel est l’avenir de l’opération Sabre ?
S’agissant de la nouvelle LPM, le groupe Démocrate salue l’ambition du président de la République, cela d’autant qu’il a tenu les engagements pris lors de la précédente loi de programmation militaire. L’enveloppe prévue pour la période 2024-2030, de 413 milliards d’euros, permettra à la France de rester une puissance mondiale et, je cite le président, « d’avoir une guerre d’avance ». Considérant les nouvelles conflictualités, pensez-vous que cette enveloppe soit suffisante pour atteindre nos objectifs ?
Enfin, le groupe Démocrate est favorable à l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN, pilier essentiel de notre politique de défense, comme l’a rappelé le président Bourlanges dans son rapport de juillet 2022.
Général Thierry Burkhard. J’ai coutume de dire que, pour les armées françaises, il y a peu de choses impossibles. Simplement, il faut évaluer les conséquences et les renoncements. Pour ce qui est des chars lourds, l’objectif est d’aider l’Ukraine réellement. Je ne suis pas là pour faire des effets de manche. L’option Leopard 2 permet de mettre à contribution un maximum de pays sans compliquer la vie des Ukrainiens en matière de soutien. Avec les chars lourds, la question du soutien va être en effet beaucoup plus prégnante. La solution Leopard 2 est la bonne solution.
Pour ce qui est des AMX-10 RC, les modalités concrètes des livraisons sont en cours de planification. Quant aux munitions, comme à chaque fois que nous fournissons du matériel, nous formons les Ukrainiens et nous leur donnons une autonomie logistique, qui leur permet de commencer à utiliser ce matériel au combat dès la réception. Par la suite, le soutien logistique se fait généralement avec l’industriel. S’agissant de la LPM, les armées sont conscientes de l’effort consenti par la nation. Nous ferons tout notre possible pour utiliser au mieux ce qui nous est donné.
M. Alain David (SOC). Dans son discours de Mont-de-Marsan devant les forces armées, le 20 janvier dernier, le président de la République a fixé des objectifs très précis. Je voudrais aborder deux problèmes, qui suscitent une grande inquiétude.
D’abord, au Burkina Faso, il semblerait que le gouvernement local ait donné une semaine aux troupes françaises pour quitter le pays. C’est une décision qui nous déconcerte un peu étant donné les efforts que la France y a consentis. Quel est votre sentiment ? Est-ce vraiment sous la pression du groupe Wagner que nous devons partir ?
Ensuite, tout le monde évoque l’arme nucléaire, tout en sachant très bien, semble-t-il, que personne ne l’utilisera. Mais la Russie nous menace. Quelle serait la position de la France en cas de recours à l’arme nucléaire dans le conflit ukrainien ?
Général Thierry Burkhard. Au Burkina Faso, la situation n’est pas stabilisée. Concernant les conditions de notre retrait, le délai n’est pas d’une semaine, mais d’un mois. Il est conforme à l’accord signé entre les deux pays, qui précise que chacune des parties peut mettre un terme à la mission française en respectant ce préavis. Mais soyons clairs : discuter avec un gouvernement issu de deux coups d’État successifs est compliqué, d’autant qu’il existe de profondes divergences internes.
S’agissant de l’arme nucléaire, vous affirmez que personne ne l’utilisera : c’est votre opinion.
Dans la stratégie de dissuasion française l’arme nucléaire est une arme de non-emploi mais les forces nucléaires sont utilisées en permanence pour le signalement stratégique. L’objectif n’est pas d’utiliser l’arme nucléaire mais, au contraire, de ne pas y recourir et de se protéger grâce à la dissuasion.
Une partie de la stratégie de dissuasion repose sur l’ambiguïté : il n’y a pas de liste des cas où le recours à cette arme serait justifié. En tout état de cause, l’emploi de l’arme nucléaire ne s’envisage que si nos intérêts vitaux sont menacés.
M. Jean-François Portarrieu (HOR). Le président de la quatrième chambre de la Cour des comptes nous a présenté un récent rapport portant notamment sur le modèle d’armée choisi par le Royaume-Uni. Notre voisin concentre son budget militaire sur la protection de son territoire, par la dissuasion nucléaire et le contre-terrorisme, sur la projection de ses forces au sein de coalitions, ainsi que sur le maintien de l’ascendant technologique au combat. Les Britanniques assument en outre une réduction de leurs forces terrestres, qui passent de 80 000 à 70 000 militaires. Ils confirment également renoncer à la composante aérienne de la dissuasion nucléaire. Cette réorientation s’explique notamment par les conditions de retrait de leurs troupes d’Afghanistan en 2021.
Pensez-vous que le départ des forces françaises du Mali, en 2022, et la fin de l’opération Barkhane pourraient entraîner une évolution similaire ?
Général Thierry Burkhard. Il existe quelques différences entre le Royaume-Uni et la France, qui justifient des choix propres. Ces différences portent notamment sur la place de nos outremers, sur la relation de défense avec les Etats-Unis ou le positionnement vis-à-vis de l’Union Européenne. Toutes ces différences expliquent en partie les choix faits outre-Manche.
Je le redis : nous avons des visions différentes de notre souveraineté et de nos responsabilités.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je tiens à préciser que la Cour des comptes ne nous a pas dit que le Royaume-Uni était un exemple pour nous. Elle nous a présenté trois modèles, l’un consistant à renoncer à sa défense, l’autre à ne rien changer et le troisième à adopter une approche sélective, comme l’a fait le Royaume-Uni, qui n’était cité qu’à titre d’exemple.
Général Thierry Burkhard. J’ai lu ce rapport et j’en ai discuté avec le président de la quatrième chambre. Nous avons bien évidemment étudié nous aussi les choix faits par le Royaume-Uni et évalué leur intérêt.
De fait, nous avons constaté que les Britanniques décident, de manière très transparente, d’agir ou de ne pas agir selon que les Américains sont ou pas impliqués, selon qu’ils les appuient ou pas. Ils ont abandonné l’idée de livrer seuls un combat à haute intensité. La France doit pouvoir agir avec les Américains ou les Britanniques ; elle doit aussi pouvoir agir seule, s’il le faut. En conséquence, les capacités que doit englober notre outil de défense sont forcément différentes.
M. Hubert Julien-Laferrière (ÉCOLO-NUPES). La France, avec quatre-vingt-deux autres États, a signé en novembre 2022, à Dublin, un accord visant à mieux protéger les civils contre l’utilisation des armes explosives dans les zones peuplées. Au début du XXe siècle, les civils représentaient 5 % des victimes de conflits ; au milieu du siècle, ils étaient 50 % ; aujourd’hui, ils sont plutôt 90 %. J’étais moi-même présent à Dublin, puisque je travaille depuis deux ans, avec de nombreux parlementaires, pour que le gouvernement français s’implique dans cet accord.
Ce texte est ambitieux sur le plan humanitaire, bien sûr, mais aussi militaire, puisque les États s’engagent à éviter – ce verbe a été longuement négocié – l’usage des armes explosives en zones peuplées. L’ambassadeur de France a pris un engagement très clair en ce sens.
La guerre menée en Ukraine par la Russie montre à quel point l’urbanisation des conflits a atteint son paroxysme. On pourrait aussi parler du Yémen, entre bien d’autres conflits. Le colonel Legrier a ainsi provoqué une certaine émotion au sein des armées françaises après la publication d’un article dans la revue Défense nationale où il explique, à partir de l’exemple de la bataille d’Hajin en Irak, comment un chaos humanitaire peut provoquer la résurgence de l’ennemi, lorsque les populations civiles sont les premières victimes d’un conflit qu’elles ne comprennent plus. Même s’il s’agissait de faire face à un adversaire qui ne respecte rien, qui n’a que faire du droit international humanitaire, l’objectif de la guerre reste malgré tout d’essayer de conquérir les cœurs autant que le terrain.
L’accord de Dublin est-il à vos yeux le vœu pieux de doux rêveurs qui ne savent pas ce qu’est la guerre ? La France l’a néanmoins signé. Comment, concrètement, le rendre opérationnel, dans le cadre notamment du centre d'entraînement aux actions en zone urbaine (CENZUB) ?
Et enfin, quelles en sont les conséquences sur la stratégie militaire de la France ?
Général Thierry Burkhard. Je pense que ce chiffre de 90 % de victimes civiles reflète des réalités différentes : il illustre bien des conflits de lutte contre le terrorisme, qui font proportionnellement davantage de victimes parmi la population que les guerres de haute intensité. Comme vous l’avez souligné, les terroristes ne respectent rien et recherchent l’action directe ou indirecte contre les populations civiles ; et les militaires, dans ces conflits qui n’en sont pas moins très durs, sont finalement moins exposés. Ce n’est pas le cas en Ukraine : si le nombre des victimes civiles est très impressionnant, il est très inférieur à celui des pertes militaires.
Malheureusement, lorsque l’on ouvre un livre d’histoire, on se rend très rapidement compte que les noms des batailles célèbres sont très souvent des noms de villes. Et c’est de plus en plus le cas, comme on peut l’observer en Ukraine. On parle de transparence du champ de bataille : les nouveaux moyens technologiques permettent en effet de tout voir ; les seuls endroits où l’on peut encore ne pas être vu trop facilement sont les villes. D’où la nécessité de se préparer à livrer des batailles en zone urbaine, ce que font nos armées au « CENZUB ».
Est-ce que cette évolution signifie qu’il y a un usage inconsidéré de la force en zone urbaine ? Non, mais il faut rester réaliste : une interdiction d’emploi des armes dans les zones urbanisées ne pénaliserait que nous. Le droit des conflits armés encadre l’usage des armes, en zone urbaine ou ailleurs ; cela nous préserve des dérives.
M. Bertrand Pancher (LIOT). Le sentiment que l’on a, s’agissant de l’Ukraine, est que nous nous sommes collectivement trompés. En effet, on ne croyait pas à l’imminence du conflit ; on pensait que M. Poutine saurait négocier ; on imaginait que l’Ukraine allait s’écrouler très rapidement. Quels enseignements tirez-vous de ces erreurs de jugement ? Comment éviter qu’elles ne se reproduisent ?
La nouvelle LPM marque une forte augmentation des moyens alloués à l’armement de notre pays. Cela est directement lié à la perception des menaces mais aussi au lien qui existe entre l’armée et la nation. Comment percevez-vous ce lien ?
La guerre en Ukraine influe sur la perception que les différents acteurs européens ont de la défense européenne. Tant mieux. Une tendance de fond est-elle observable pour ce qui est de l’organisation et des moyens futurs de cette défense ?
Général Thierry Burkhard. Nous avions repéré l’important volume de forces qui avait été déployé. Nous avions cependant estimé que M. Poutine n’attaquerait pas parce que cela aurait un coût humain, financier et matériel trop lourd. Toujours est-il qu’il l’a fait… Je continue de penser que le coût supporté par la Russie est très lourd. Cela prouve qu’il faut se méfier de la rationalité et de notre capacité à déduire les intentions de nos adversaires.
Les forces en présence pouvaient, d’autre part, laisser penser que les Russes allaient l’emporter très rapidement. J’estime pour ma part qu’ils ont été très près d’atteindre leur objectif initial, ce qui explique d’ailleurs en partie les difficultés qu’ils ont ensuite rencontrées pour se réorganiser.
Quels sont les premiers enseignements de tout cela ? Le premier est l’importance des forces morales. Les Ukrainiens ont fait preuve d’un grand courage et d’une détermination sans faille, notamment parce qu’ils se battent pour leur pays. Il y a une forte cohésion entre le peuple ukrainien et son armée. Quelle est, en France, la force de ce lien entre la nation et l’armée ? Le président Bourlanges disait tout à l’heure que les Français appréciaient leur armée et lui faisaient confiance. C’est ce que montrent les sondages. Néanmoins, nous sommes moins de 210 000 militaires d’active ; la « surface de contact » avec une population de soixante-cinq millions d’habitants reste faible. C’est pourquoi la confiance de la nation et la force du lien ne sont pas un acquis, et méritent toujours d’être consolidés. C’est une des raisons pour lesquelles nous souhaitons contribuer à la cohésion nationale, en particulier vis-à-vis de la jeunesse.
Enfin, je pense que nous devons impérativement faire émerger une conscience stratégique en Europe et bâtir des capacités de défense. Cependant, il faut bien comprendre que, pour la quasi-totalité des autres pays européens, l’OTAN représente le seul outil de défense collective. Il faut voir les pays européens tels qu’ils sont et non pas tels que l’on voudrait qu’ils soient. C’est l’une des principales leçons que je tire de la situation actuelle. Il serait illusoire de croire que l’on peut aller directement vers une Europe de la défense. Avoir du poids au sein de l’OTAN est une condition nécessaire pour être force d’entraînement et peser ensuite sur la forme que prendra l’Europe de la défense.
Mme Laëtitia Saint-Paul (RE). Merci d’avoir salué l’effort – même indirect – de la nation, et par là même l’ambition politique qui a permis d’abord que la LPM en cours soit exécutée à l’euro près, année après année, ensuite que l’enveloppe de la LPM 2024-2030 soit portée à 413 milliards d’euros.
Vous nous avez montré en images toutes les fonctions stratégiques des armées – anticipation, dissuasion, protection, prévention, intervention –, décrites dans le Livre blanc de 2008. Dans la revue nationale stratégique de 2022, l’influence est elle aussi identifiée comme fonction stratégique ; il est précisé que l’influence revêt de nombreuses dimensions, dont l’influence militaire.
Le Quai d’Orsay a établi, en décembre 2021, une feuille de route sur la diplomatie d’influence. On pourrait considérer la « diplomatie militaire d’influence » comme un oxymore. Pourtant, il s’agit, à mon sens, d’une mission à part entière, que j’ai décidé d’approfondir en tant que rapporteure pour avis au nom de la commission des affaires étrangères sur la future loi de programmation militaire. À la différence du président Bourlanges, je pense que notre commission possède une identité propre, qui conjugue diplomatie, défense et aussi droits humains.
Je souhaite également mettre en lumière tous les enjeux de nos territoires ultramarins, qui m’ont incitée à rejoindre la délégation aux outre-mer. Ce sont ces territoires qui font de nous les voisins du monde. Je suis convaincue qu’un effort doit être fait à cet égard, comme l’a souligné le président de la République lors de ses vœux.
Le rapport que je rédigerai au nom de notre commission se penchera également sur la façon dont nos élèves militaires rejoignent de grandes écoles, notamment à l’étranger, ainsi que sur celle dont nous accueillons des élèves d’autres pays. De même, nous devons réfléchir à nos accords bilatéraux, à notre présence dans les grandes organisations internationales.
Le ministère des armées dispose-t-il, comme le Quai d’Orsay, d’une feuille de route d’influence ?
Général Thierry Burkhard. Tout d’abord, je tiens à lever toute ambiguïté : je ne considère pas comme indirect le soutien de la nation au moment où elle propose de consacrer 413 milliards d’euros à sa défense.
Pour ce qui est de l’influence, les enjeux ont été bien identifiés et figurent en bonne place dans notre vision stratégique. C’est une bonne chose qu’elle l’ait été aussi par le Quai d’Orsay, avec lequel nous avons beaucoup échangé. Il n’y a pas plusieurs stratégies d’influence et toutes les actions doivent être coordonnées. Nous agissons sans doute sur des champs différents mais tous se rejoignent. On le voit, par exemple, au Burkina Faso, où il faut apporter une réponse à la fois militaire et diplomatique.
Nous devons également, mettre en place une stratégie de rayonnement, qui doit être menée au niveau interministériel. Le fait d’augmenter le nombre de stagiaires étrangers en France participe de ce rayonnement, à condition toutefois de les suivre dans la durée pour avoir un retour sur investissement à moyen et long termes.
Les réorganisations que nous avons entamées, l’été dernier, concernent notamment notre capacité à conduire la lutte informationnelle, pour nous protéger contre les attaques que nous subissons, mais aussi pour conduire des opérations dans ce champ. La « bataille de Gossi » [1] est un cas d’école. Le succès obtenu contre Wagner est de niveau tactique mais a aussi eu des conséquences stratégiques. Ceci pour illustrer que la guerre informationnelle doit désormais être intégrée à nos opérations ; les effets matériels, cinétiques et immatériels se combinent très étroitement. Dans cette affaire, aucun coup de feu n’a été tiré, aucune bombe n’a été larguée. Pourtant, il y a eu un vrai affrontement.
Je profite pour dire d’ailleurs que nous sommes restés en bons termes avec les forces maliennes (FAMA). Nous avons combattu ensemble contre le terrorisme. Les forces armées maliennes ont eu besoin de nous, comme nous avons eu besoin d’une coopération en bonne intelligence avec les FAMA, en particulier pour la manœuvre logistique de désengagement. Il y aura « un jour d’après » au Mali.
D’une manière générale, le groupe Wagner mène une guerre informationnelle en Afrique, contre les intérêts de notre pays. Il fait croire à un sentiment anti-français massif et cherche à l’alimenter
En Afrique, j’estime que nos adversaires ont compris qu’ils n’étaient plus seuls dans le champ informationnel et qu’ils y étaient contestés. La guerre informationnelle est une guerre en réseau, où il n’y a pas de victoire décisive. Une meilleure coordination de nos actions au niveau interministériel, par une structure nouvelle, m’apparaît nécessaire.
Mme Marine Le Pen (RN). Je me suis rendue récemment au Sénégal, ce qui m’a donné l’occasion de rendre visite aux éléments français qui y assurent la défense de nos intérêts. Les échanges que j’ai eus avec eux ont été la source d’une réflexion que j’aimerais poursuivre avec vous.
Le président de la République a annoncé la fin de l’opération Barkhane, au Mali, entraînant une manœuvre logistique très complexe et parfaitement exécutée, pour laquelle je veux féliciter nos forces armées. Le gouvernement du Burkina Faso a depuis enjoint à nos troupes de quitter le pays, dans la foulée de notre retrait de République centrafricaine (RCA). Cette situation nous contraint à nous contenter d’une présence discrète au Niger et au Tchad.
Le contexte international – guerre en Ukraine, rivalité sino-américaine – nous oblige à repenser les modalités de notre projection militaire dans le monde, et donc en Afrique. Toutefois, la réarticulation de nos moyens ne saurait se faire au détriment de nos politiques de coopération avec ce continent : peu coûteuses, celles-ci sont efficaces pour servir nos buts politiques légitimes, comme le prouvent les exemples de la Côte-d’Ivoire et du Sénégal.
De même, cette nouvelle posture ne devrait en aucun cas remettre en cause les moyens consacrés à la présence française à Djibouti, seule base qui dispose d’un spectre capacitaire complet et essentiel au rôle que la France entend jouer dans la zone indo-pacifique.
Nos liens avec l’Afrique sont le fruit de sédimentations historiques fortes. Déserter entièrement le continent nous couperait à la fois de moyens de renseignement et d’opportunités économiques de développement, et nous laisserions le champ libre à d’autres puissances pour déployer leurs propres leviers d’influence, comme le montre le poids croissant de la milice russe Wagner.
Quel est le regard de nos forces armées sur le maintien de l’influence française en Afrique, malgré ce mouvement de désengagement ?
De nombreux observateurs de la communauté de défense soulignent les limites manifestes de la LPM pour 2024-2030, aussi bien en matière capacitaire que budgétaire. Je pense notamment aux observations de M. Bruno Clermont, ancien conseiller d’Éric Trappier, le président-directeur général de Dassault Aviation, sur la quantité réelle de matériel disponible, si l’on tient compte des contraintes que la dissuasion nucléaire fait peser sur nos moyens, aériens en particulier.
Dans ce cadre, pensez-vous que nos armées soient réellement dimensionnées pour passer, comme le veut Emmanuel Macron, d’une optique de projection à une logique de haute intensité ? Ou bien sont-elles à l’inverse prisonnières de leurs trop faibles surfaces humaine et matérielle en l’état – j’insiste sur ce dernier mot ?
Général Thierry Burkhard. Merci des mots que vous avez eus pour nos soldats.
En Afrique, nous faisons face à un vrai problème de perception, par la jeunesse notamment, de ce que nous faisons. Le sentiment anti-français n’est probablement pas généralisé. Comment réussir, avec un peu de temps, à modifier ce sentiment ?
L’analyse qui a été faite montre que l’implantation historique de nos bases, qui ont rendu d’éminents services, est – ou peut devenir – un point de crispation. Ainsi, lorsque nous avons quitté la RCA, comme vous l’avez rappelé, nous avons gagné un peu de liberté pour mener certaines actions.
Il nous faut donc trouver un moyen de poursuivre notre coopération et notre stratégie d’influence dans tous ces pays, en réduisant les points de cristallisation. Cela va bien au-delà du dispositif militaire.
Il faut d’abord travailler à réduire notre visibilité et notre empreinte. Il faut ensuite privilégier la co-réflexion et la co-construction, ce qui demande un effort pour nous, comme pour nos partenaires.
Nous devons maintenir des capacités de formation, tout en étant très à l’écoute des besoins exprimés par nos partenaires africains. La nouvelle génération d’officiers semble bien disposée vis-à-vis de cette nouvelle approche.
Tous ces changements nous obligent à faire des choix, notamment par rapport aux soutiens respectifs que l’on apporte à tel ou tel pays. Les aider tous de la même façon n’est sans doute pas la meilleure solution. Cela implique de bonnes analyses de notre part et les moyens d’agir « sur mesure ».
S’agissant du modèle d’armée construit par les LPM successives, il faut garder à l’esprit que la France est une puissance nucléaire, ce qui se traduit forcément dans ses moyens d’action. C’est une priorité. C’est avec ce prisme qu’il faut lire les choix qui sont faits, et les différences qui peuvent exister avec nos voisins, qu’il s’agisse de l’Allemagne, de l’Italie ou de la Pologne, et qui décident aussi en fonction de leur géographie.
La question de la crédibilité se poserait cependant si la France n’avait plus à sa disposition de forces conventionnelles suffisantes. Elle n’aurait plus la même capacité d’entraînement vis-à-vis d’autres partenaires, ce qui engendrerait les conséquences que j’ai déjà mentionnées. J’estime que nous avons trouvé un équilibre qui nous permet d’avancer.
M. Arnaud Le Gall (LFI-NUPES). Bravo en effet pour l’évacuation réussie du Mali, même si cela reste une évacuation. L’armée a fait ce qu’elle pouvait faire de mieux dans le cadre qui lui était fixé. En Afrique, les erreurs ont été politiques et il faudrait qu’il y ait à cet égard une vraie prise de conscience.
Vous avez parlé des pays qu’il faut soutenir mais je crois que l’on doit aussi évoquer les régimes. Il ne faut pas multiplier les soutiens à des gouvernements qui sont détestés par leur peuple. Ainsi, lorsque la France dit qu’un coup d’État ne pose pas de problème, comme au Tchad, alors qu’elle en dénonce d’autres, la jeunesse africaine le perçoit comme une contradiction flagrante. À cela s’ajoute la baisse des moyens de notre diplomatie.
S’agissant des chars Leclerc, au-delà de l’utilité politique et militaire d’en livrer, j’aimerais savoir si nous sommes capables de le faire, du point de vue des stocks. C’est une question majeure qu’on ne pose jamais quand on discute d’éventuelles livraisons d’armes à l’Ukraine.
Vous avez, d’autre part, rapidement évoqué le Nord-Est de la Syrie. Je rappelle que le dernier acte que l’on pourrait dire « de guerre » sur le sol français a été commandité depuis cette région. Est-ce qu’il n’y a pas un risque à trop vouloir jouer la carte de l’OTAN, dont la Turquie est membre, alors que les intérêts de ce pays sont contraires aux nôtres ?
Enfin, vous avez parlé de la tyrannie des distances dans l’Indo-Pacifique : quels sont nos moyens de surveillance de notre espace maritime ? On a coutume de dire qu’ils sont faibles, insuffisants. Qu’en pensez-vous et voyez-vous une remontée en puissance de ces moyens ?
Général Thierry Burkhard. Concernant les livraisons, comme je l’ai dit, nous ne cédons pas des matériels mais des capacités complètes : les équipements, la formation, et le soutien. À partir de là, tout peut être envisagé, il faut surtout peser les conséquences en termes de réponse au besoin opérationnel ukrainien, de soutenabilité dans la durée, et d’effet d’éviction éventuel pour nos propres forces.
Pour ce qui est de la Syrie, les choix de la Turquie sont d’abord guidés par ses propres intérêts, qui ne sont pas ceux de la France. Tous les pays ont une approche similaire. Il ne faut pas oublier l’importance de la géographie : la Turquie occupe une place stratégique et ses intérêts en découlent. Ce pays joue son rôle et arrive, parfois, à peser dans le bon sens.
Concernant l’Indo-Pacifique et la surveillance de notre zone économique exclusive (ZEE), il s’agit d’un des impératifs de notre sécurité à 360 degrés, en ce qui concerne nos outremers principalement. Le président de la République a annoncé qu’un effort était prévu à cet égard dans la LPM.
M. Michel Herbillon (LR). « Quelle est l’armée dont la France a besoin ? » Lors de votre dernière audition devant la commission de la défense de l’Assemblée nationale, c’est par cette question que vous avez introduit les grands axes « sur lesquels il est indispensable de faire porter nos efforts » en raison du retard pris par nos armées.
À l’occasion de ses vœux aux armées, le président de la République semble avoir répondu, du moins en partie, à vos attentes. Renforcement de la dissuasion, préparation à la haute intensité, protection de nos intérêts, accroissement du budget alloué au renseignement et renforcement de nos partenariats sont ainsi quelques-unes des lignes de force de cette nouvelle LPM, dont nous ne connaissons pas encore les détails.
Mais ne craignez-vous pas que l’inflation et l’explosion probable des coûts de l’énergie ne viennent grever l’augmentation des moyens que vous espérez pour bâtir l’armée dont la France a besoin ?
Ensuite, vous jugiez « la France insuffisamment organisée pour conduire une politique d’influence efficace ». Lors de la conférence des ambassadeurs, le président de la République a beaucoup insisté sur l’obligation pour notre diplomatie d’être plus offensive en la matière. Depuis, la France a été mise en cause de manière extrêmement grave en Afrique, vous l’avez rappelé. Comment, concrètement, se traduit la nécessité d’investir le champ de l’influence et de la lutte dans le champ de l’information ? Vous avez abordé ce sujet tout à l’heure mais j’aimerais que vous preniez d’autres exemples que l’Afrique ; l’Indo-Pacifique, notamment, me paraît très important sur le plan stratégique. Dans quelle mesure estimez-vous que la nouvelle LPM permettra d’atteindre cet objectif ?
D’autre part, vous souhaitez bénéficier de capacités plus létales, afin d’être « en mesure d’affronter un adversaire et d’infliger des dégâts importants dès les premiers contacts ». Cette nouvelle LPM répond-elle à vos attentes sur ce point ?
Enfin, les rencontres entre la France et l’Allemagne mettent en lumière les différences, voire les divergences stratégiques qui existent entre nos deux pays dans le domaine de la défense. La guerre en Ukraine, la position de la Pologne et des pays baltes et l’attitude de l’Allemagne battent en brèche la position de la France sur l’Europe de la défense et le concept de boussole stratégique. Avez-vous confiance en cette Europe de la défense et la trouvez-vous pertinente, ou pensez-vous qu’elle ne peut être que complémentaire et intégrée à l’OTAN ?
Général Thierry Burkhard. Quel sera l’impact de l’inflation et de la hausse du coût de l’énergie sur les 120 milliards d’euros supplémentaires consacrés à la nouvelle LPM ? Plusieurs indicateurs économiques sont, en effet, plutôt défavorables mais ils le seraient tout autant avec une enveloppe de 297 milliards ! Il va falloir les prendre en compte. On peut également espérer que la conjoncture économique s’améliorera au cours de la période 2024-2030. C’est une contrainte qui s’impose à nous comme à tous les ministères et à tous les Français.
En ce qui concerne l’influence, on parle beaucoup de l’information en ligne. Ce sont là des moyens qui permettent en effet d’aller vite et d’atteindre un large public. Mais l’influence ne se limite pas à cela : il faut compter avec les médias classiques comme avec les actions de formation, dont nous avons déjà parlé. Celles-ci ont un impact important ; ce sont des investissements sur le moyen et le long terme. L’influence repose aussi sur la coordination des actions déployées et sur une bonne analyse des besoins.
Dans l’Indo-Pacifique, La Chine déploie une stratégie d’influence très subtile et c’est cela qu’il faut prendre en compte. Pour cela, il nous faut être attentif aux besoins des petites îles qui entourent nos territoires d’outre-mer. Ces besoins de sécurité ne sont pas spécifiquement militaires mais concernent aussi la préservation des ressources ou le changement climatique, qui les menace directement. Le modèle de leurs armées est plutôt celui de la sécurité intérieure et civile et c’est en ce sens qu’il faut essayer de les aider. La France est une puissance du Pacifique mais son poids est néanmoins maximal lorsqu’elle agit avec d’autres pays de la zone. La visibilité de nos actions est alors augmentée.
L’influence est un tout ; mais j’insiste sur le fait qu’elle prend toute son ampleur lorsqu’elle est bien coordonnée, synchronisée.
S’agissant des capacités létales, il faut, sur le champ de bataille, être capable de voir et de détruire très rapidement : car si on est vu, on est tué. Dans la nouvelle LPM, une partie de ce segment est prise en compte, en particulier tout ce qui concerne le feu dans la profondeur et la létalité des armements.
S’agissant de la défense européenne, je le redis, il faut voir les pays européens tels qu’ils sont, pas comme on aimerait qu’ils soient. Je ne pense pas que les pays européens soient opposés à une défense européenne.
M. Michel Herbillon. Personne ne s’oppose à une incantation, mon général !
Général Thierry Burkhard. Je parle bien de la réalité ! Il faut comprendre que la défense européenne s’inscrit dans le cadre d’une défense collective, que l’OTAN propose un modèle de défense collective, et que l’OTAN est d’abord une alliance de pays européens. Si une crise majeure devait survenir, nous espérons tous que les Américains seraient toujours à nos côtés mais personne ne peut le garantir. Si un jour ils ne le sont plus, les Européens ne pourront pas se contenter de dire « sans les Américains, on ne peut rien faire ». C’est sur cet axe-là qu’il faut progresser. La guerre en Ukraine et ses suites posent la question de la sécurité européenne dans les cinq à dix prochaines années. Les Européens doivent peser pour que cette sécurité soit aussi européenne, et même avant tout européenne. C’est une évidence de la géographie. Les Américains ne se désintéressent pas de la sécurité en Europe mais ils sont quand même à quelques milliers de kilomètres. Leur vision diffère donc forcément.
D’ailleurs, des différences d’approche importantes existent au sein même de l’Europe, entre les pays baltes, la Pologne, l’Allemagne, la France ou l’Espagne. Dégager une vision commune est donc un vrai défi. Nos partenaires européens sont capables de l’entendre mais à la condition de ne pas leur dire que l’OTAN ne sert à rien. Pour beaucoup d’entre eux, c’est tout simplement inaudible.
Mme Emmanuelle Ménard (NI). Vous avez dit tout à l’heure que la fin de l’opération Barkhane au Mali ne marquait pas la fin de la lutte contre le terrorisme au Sahel. Néanmoins, la décision du Burkina Faso de dénoncer l’accord signé avec la France en 2018 rebat les cartes et nous fragilise.
Vous l’avez sous-entendu, les autorités putschistes de ce pays utilisent la défiance des populations envers la France pour soigner à peu de frais leur popularité. Elles se tournent vers le groupe Wagner et la Russie et ont même, récemment, signifié leur intérêt pour l’enseignement du russe dans les écoles de leur pays.
La Côte-d’Ivoire, le Niger, le Sénégal et le Tchad, où sont stationnées des forces françaises, restent des remparts face à l’avancée djihadiste au Sahel. Allons-nous nous relever le niveau de vigilance dans ces pays, selon le principe des vases communicants, afin de les aider à faire face au terrorisme ?
De quels moyens disposons-nous pour concurrencer la Russie en Afrique et la résistance est-elle possible ?
Général Thierry Burkhard. Pour ce qui est du Sénégal et de la Côte-d’Ivoire – le Gabon est dans une situation un peu différente –, nous avons mis en place des partenariats militaires opérationnels en matière de formation et d’entraînement, pour les faire « monter en capacité » en matière de renseignement, d’actions à conduire en matière de lutte contre les engins explosifs improvisés (IED) ou de soutien santé, notamment. Il s’agit de les « durcir » alors que la pression, selon la tendance actuelle, va augmenter.
Nous avons également noué des partenariats au Tchad, où des moyens aériens sont stationnés.
Comment contrer l’influence russe ? En Afrique, la Russie ne construit pas. Elle se positionne davantage comme puissance de nuisance, avec le groupe Wagner en particulier. Les gouvernements qui recourent à cette milice le font avant tout pour assurer leur survie. À terme, cela risque de se retourner contre eux. En effet, que ce soit en RCA ou au Mali, le groupe Wagner n’a pas réglé les problèmes.
De notre côté, il nous faut donc jouer sur le temps long, être cohérents – vous avez raison sur ce point, monsieur Le Gall – et bien définir nos objectifs et nos stratégies.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons aux questions des autres députés.
Mme Amélia Lakrafi. Quelles sont les raisons de notre départ de la base de M’Poko ? C’est un très beau cadeau que nous faisons aux Russes et c’est dommage. L’image renvoyée à nos compatriotes et à nos entreprises en RCA et dans les pays voisins est catastrophique.
Je suis, en outre, un peu peinée que l’on cache les mots « militaires » et « forces ». Les « éléments français » du Gabon ou du Sénégal, c’est très bien, mais je préfère les mots « forces françaises ». Ne pouvons-nous pas être fiers de nos militaires, comme je le suis personnellement ?
Je me suis rendue récemment à Kinshasa, en République démocratique du Congo, un pays important de ma circonscription. Dans le cadre d’une coopération avec ce pays, deux militaires congolais sont invités à Saint-Cyr. Or j’ai lu dans la presse locale que 300 militaires congolais étaient conviés en Russie. Comment peut-on vous aider à faire mieux ?
Général Thierry Burkhard. Le dispositif de M’Poko était destiné à soutenir la mission de formation de l’Union européenne (EUTM). Les conditions de réalisation de cette mission n’étant plus réunies, le soutien français n’avait plus de raison d’être. C’est aussi simple que cela.
Je comprends ce que vous dites à propos des « éléments français ». Mais vous avez raison de préciser que, vous, vous êtes fière de nos militaires. Or il y a une différence entre ce que l’on perçoit de Paris et ce que l’on perçoit à Dakar. Si nous sommes à Dakar, nous devons d’abord nous adapter à la perception qu’en ont les Sénégalais.
Concernant la coopération, il faut effectivement la renforcer. Avant 2012, la France accueillait quatre stagiaires maliens chaque année, quand la Russie en recevait plusieurs dizaines. Cela finit forcément par avoir des conséquences. Nous n’arriverons jamais à en accueillir autant mais nous pouvons certainement faire mieux.
M. Adrien Quatennens. Le 20 janvier, le président de la République a dévoilé les grandes orientations de la LPM pour 2024-2030 et annoncé un budget de 400 milliards d’euros. Cette nouvelle loi de programmation représente donc une enveloppe de 100 milliards supplémentaires par rapport à la précédente.
En dix ans, le budget des armées aura doublé. Toutefois, cet effort considérable est grandement limité par le coût de la dissuasion nucléaire. La question de son efficacité et de son évolution n’est pourtant que rarement posée. La dissuasion est cette stratégie qui consiste à décourager un ennemi de s’attaquer aux intérêts vitaux d’un pays par la capacité de lui infliger des dégâts considérables en retour. Attaché à cette stratégie qui vise à garantir la sécurité des Français, je m’inquiète des évolutions technologiques qui pourraient la rendre caduque.
Quelle est votre opinion sur l’efficacité et l’évolution de cette dissuasion nucléaire dans ce contexte particulier ?
Général Thierry Burkhard. Monsieur le député, pour être tout à fait exact, ce sont bien 413 milliards d’euros qui sont proposées pour notre défense.
La dissuasion est effectivement la clé de voûte de notre stratégie de défense. Vous avez parlé de « dégâts considérables » provoqués par une frappe nucléaire. Le président de la République emploie plus précisément l’expression de « dommages inacceptables ». À l’échelle des moyens militaires de notre pays, les forces nucléaires ne sont pas à part, hors-sol, sans lien avec les forces conventionnelles. Au contraire, forces nucléaires et forces conventionnelles s’épaulent en permanence pour éviter des contournements par le haut et par le bas.
Certes, des percées technologiques peuvent effectivement se produire. C’est pour cela que la crédibilité de notre dissuasion repose sur deux composantes distinctes, océanique et aéroportée, avec des armes différentes dont les capacités de pénétration et de saturation garantissent le succès. Cela demande effectivement un effort d’adaptation continu. C’est un des pans de la fonction stratégique « connaissance/anticipation ».
M. Nicolas Metzdorf. Je partage avec vous l’analyse de la tyrannie des distances. La mission Pégase a montré qu’il fallait beaucoup de logistique pour se projeter dans l’Indo-Pacifique.
Vous dites qu’en Indo-Pacifique la menace militaire n’est pas avérée. Nous divergeons sur ce point. La Chine lorgne sur Taïwan mais pas de manière économique. Quand il y aura un conflit avec Taïwan, l’équilibre économique de la région tout entière sera bouleversé. Nos alliés viendront nous chercher, comme ils l’ont fait pour la guerre en Ukraine. Il faudra alors avoir les possibilités militaires d’intervenir.
Existe-t-il, dans la LPM, une volonté de sanctuariser les forces qui sont déjà sur place, de manière à pouvoir intervenir rapidement ? Prévoyez-vous même de renforcer les moyens militaires dans la région ?
Général Thierry Burkhard. Comme l’a dit le président de la République, un renforcement des moyens est prévu. En revanche, il ne s’agit pas de transformer la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie française en ligne Maginot. D’abord, cela ne suffirait probablement pas. Ensuite, nous devons bien mesurer quelles sont nos forces et nos faiblesses dans ces régions. Les questions de cohésion nationale et d’adhésion à la souveraineté y sont cruciales. Sans cette cohésion, sans cette adhésion, les Chinois n’auraient même pas besoin d’intervenir avec des moyens militaires.
Nous devons donc disposer de moyens sur place qui nous permettent de surveiller nos intérêts et de réagir rapidement. La compétition se passe aussi dans le champ des perceptions. Tout ce qui contribue à renforcer le sentiment d’appartenance à la France est essentiel pour décourager toute manœuvre de déstabilisation interne.
Mme Estelle Youssouffa. C’est l’autre jambe de l’axe indo-pacifique que je souhaite aborder. Je milite activement pour le déploiement permanent d’un patrouilleur outre-mer à Mayotte, pour protéger notre frontière. Je rejoins mon collègue Metzdorf quant au besoin de mieux protéger les territoires lointains de la France.
Pour reprendre votre triptyque « compétition, contestation, affrontement », je rappelle que la souveraineté de la France à Mayotte est activement contestée. J’estime que la déstabilisation de Mayotte par les Comores augure malheureusement d’un affrontement proche. Les appuis russes aux velléités comoriennes sont clairs, tandis que l’Afrique du Sud vient d’annoncer un exercice militaire, le 17 février, avec les marines russes et chinoises. Celui-ci se déroulera dans le canal du Mozambique, à quelque 2 000 kilomètres seulement de Mayotte. J’ajoute que la crise terroriste dans la province de Cabo Delgado, au Mozambique, à 500 kilomètres de Mayotte, est active.
Comment évaluez-vous la menace et le risque pour Mayotte et qu’en est-il du patrouilleur outre-mer ?
Général Thierry Burkhard. Pour ce qui est du patrouilleur, il me semble que vous avez déjà posé la question précédemment. C’est à l’étude mais il faut régler la question de la maintenance et de l’entretien, ce qui est en bonne voie me semble-t-il.
Pour ce qui est des relations avec les Comores, des moyens seront débloqués, qui ne dépendent pas que des armées. Les migrations sont toujours plus faciles à contrôler au départ qu’à l’arrivée et c’est dans ce sens-là qu’il faut agir.
En ce qui concerne la menace russe et chinoise, il y a effectivement une zone sur laquelle il faut être vigilant.
M. Frédéric Petit. Nous avons beaucoup évoqué le groupe Wagner mais il ne s’agit pas de la seule armée qui agisse par proxy, c’est-à-dire par procuration.
D’un point de vue militaire et non diplomatique, l’irruption de ces armées non conventionnelles, non citoyennes, ne change-t-elle pas les règles sur le terrain ? Lorsque Wagner prétend que la ville de Soledar est importante, ne doit-on pas soupçonner des considérations commerciales ? Quand les Tchétchènes sont envoyés combattre à Marioupol ou quand des prisonniers, que l’on ne protège pas, sont envoyés en première ligne pour changer les rapports de force humains et rompre avec les règles militaires, on doit aussi s’interroger. Cette évolution s’est produite en Afrique également.
Cette irruption d’armées non citoyennes a-t-elle été anticipée, lors de la préparation de la nouvelle LPM, pour protéger nos femmes et nos hommes au combat ?
Général Thierry Burkhard. Wagner a changé, il faut s’en rendre compte. Il y a un an et demi, ce groupe pouvait être présenté comme des mercenaires privés, travaillant pour la Russie bien sûr mais qui devait être autosuffisant et ne recevait probablement pas d’aide financière. Il signait des contrats, ce qui signifie qu’il n’intervenait pas pour résoudre les problèmes, puisqu’une fois les problèmes réglés, il n’était plus payé. Vous avez raison : les objectifs d’une milice non-citoyenne ne sont pas les mêmes.
Aujourd’hui, ce n’est plus le même modèle. En Afrique, Wagner est devenu le bras armé de la Russie et il vise en priorité les dispositifs et intérêts français. Au-delà, Wagner occupe aujourd’hui une place officielle dans le dispositif russe, notamment en Ukraine. Il joue, en outre, un rôle politique à Moscou et, à ce titre, j’estime qu’il devient un obstacle quant à la résolution de la guerre en Ukraine.
Les Américains ont dernièrement classé Wagner comme organisation criminelle internationale. Nous étudions la façon dont cela va nous permettre d’agir contre ce groupe.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Merci, mon général. Je voudrais vous dire la grande satisfaction que nous avons eue à vous entendre. Nous sommes confrontés à des défis nouveaux. La tentation du désengagement pouvait être forte mais elle n’est pas celle des autorités politiques, qui ont décidé l’engagement financier massif dont nous avons discuté.
Vous êtes décidé, et à travers vous les forces armées, à affronter les grandes mutations qui nous attendent. Nous voyons bien que le monde de demain va être profondément différent de celui d’hier et nous vous faisons confiance pour penser les échéances à venir, pour réaliser les inflexions nécessaires, pour relever les défis.
Nous allons continuer ces échanges avec vous. Nous accompagnerons l’élaboration et l’adoption de la loi de programmation militaire, parallèlement à nos collègues de la commission de la défense.
Bon vent à l’armée française ; bon vent à son chef d’état-major !
La séance est levée à 11 h 20
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Membres présents ou excusés
Présents. - M. Damien Abad, Mme Nadège Abomangoli, Mme Chantal Bouloux, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jérôme Buisson, M. Alain David, Mme Julie Delpech, M. Pierre-Henri Dumont, M. Frédéric Falcon, M. Nicolas Forissier, M. Bruno Fuchs, M. Guillaume Garot, Mme Maud Gatel, Mme Olga Givernet, M. Philippe Guillemard, M. Michel Guiniot, Mme Marine Hamelet, M. Joris Hébrard, M. Michel Herbillon, M. Hubert Julien-Laferrière, Mme Brigitte Klinkert, Mme Stéphanie Kochert, Mme Amélia Lakrafi, M. Arnaud Le Gall, Mme Marine Le Pen, M. Sylvain Maillard, Mme Emmanuelle Ménard, M. Nicolas Metzdorf, Mme Nathalie Oziol, M. Bertrand Pancher, M. Frédéric Petit, M. Kévin Pfeffer, M. Jean-François Portarrieu, M. Adrien Quatennens, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Sabrina Sebaihi, M. Vincent Seitlinger, Mme Ersilia Soudais, Mme Michèle Tabarot, M. Aurélien Taché, Mme Laurence Vichnievsky, M. Patrick Vignal, M. Lionel Vuibert, M. Christopher Weissberg, M. Éric Woerth, Mme Caroline Yadan, Mme Estelle Youssouffa, M. Frédéric Zgainski
Excusés. - M. Louis Boyard, M. Moetai Brotherson, M. Sébastien Chenu, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Olivier Faure, M. Meyer Habib, M. Tematai Le Gayic, M. Jean-Paul Lecoq, M. Vincent Ledoux, M. Laurent Marcangeli, Mme Mathilde Panot, Mme Liliana Tanguy
[1] Tentative déjouée de désinformation orchestrée par le groupe Wagner, visant à faire porter à l’armée française la responsabilité d’un faux charnier autour de la base de Gossi au lendemain de sa restitution à l’armée malienne.