Compte rendu

Mission d’information
de la conférence des présidents
sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable

 Audition de l’Agence nationale pour l’information sur le logement (Anil) et du réseau des agences départementales d’information sur le logement (Adil)                            2

 


Mercredi
13 septembre 2023

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 01

2023-2024

 

Présidence de
M. Stéphane Peu,
Président
 


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La mission d’information de la conférence des présidents sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable a auditionné Mme Roselyne Conan, directrice de l’Agence nationale pour l’information sur le logement (Anil), Mme Odile Dubois-Joye, directrice des études à l’Anil et M. Louis du Merle, directeur juridique de l’Anil.

M. le président Stéphane Peu. Je suis heureux de vous accueillir pour cette première audition devant la mission d’information sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable, que j’ai l’honneur de présider.

M. Mickaël Cosson, rapporteur de la mission d’information sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable. Député Modem, je suis rapporteur de la mission d’information, qui réalisera de nombreuses d’auditions dans les semaines et mois à venir.

Les difficultés rencontrées dans le domaine du logement sont bien connues. Notre volonté consiste d’abord à adopter des mesures d’urgence, mais sans nous limiter à un horizon strict. Cette série d’auditions doit permettre à chacun d’apporter sa contribution, dans le but de relancer le parcours résidentiel de tous, des plus jeunes aux plus âgés et quels que soient leurs moyens financiers.

Dans l’immédiat, notre attention se concentrera sur le projet de loi de finances et les mesures fiscales associées afin de pouvoir « relancer la machine ». Toutefois, nous gardons également à l’esprit que bien d’autres problèmes subsistent, comme la hausse du coût des matériaux ou celle des taux d’intérêt. Nous avons bien conscience que les semaines et mois à venir seront caractérisés par une situation de plus en plus en difficile dans le secteur du bâtiment, mais également pour les particuliers. Afin de contribuer à la résolution de ces problèmes, cette mission d’information a pour objet de constituer une « boîte à outils » comportant les bons outils pour réaliser les bons travaux.

M. le président Stéphane Peu. Comme l’a indiqué mon collègue rapporteur, notre mission est une mission d’ordre général sur le logement. Notre but consiste à produire un document d’orientation qui puisse aboutir à une proposition de loi la plus large possible. Nous avons été très attentifs aux conclusions du Conseil national de la refondation sur le logement (CNR Logement), qui avait réussi à dégager des propositions consensuelles rassemblant à la fois le secteur privé, les promoteurs, les organismes d’habitations à loyer modéré (HLM) et le monde associatif. Il nous semble que ce consensus trouvé dans le cadre du CNR devrait, en toute logique, pouvoir se traduire à l’Assemblée nationale par une proposition de loi transpartisane.

Dans l’immédiat, nous allons produire une note dans le cadre de cette mission, à la fin du mois d’octobre, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances. Cette note comportera un certain nombre de propositions, pour essayer d’infléchir la politique du logement. Tout le monde reconnaît désormais l’existence d’une crise qui couve depuis plusieurs années, mais qui se trouve aujourd’hui amplifiée par la hausse des taux d’intérêt. D’un côté, le nombre de demandeurs de logement ne cesse de croître ; de l’autre, la production de logements nette ne cesse de diminuer, toutes catégories confondues. En outre, la mobilité au sein du parc locatif est de plus en plus réduite en raison de la difficulté d’accéder à la propriété. Cette crise se traduit par une part de plus en plus élevée des dépenses relatives au logement dans le budget des ménages, qui ampute d’autant leur pouvoir d’achat. En résumé, les difficultés pour se loger s’accroissent.

L’Agence nationale pour l’information sur le logement (Anil) et les agences départementales (Adil), que je connais bien, sont, à ce titre, des acteurs importants. En effet, vous êtes à l’intersection de l’accueil des publics éprouvant des difficultés à se loger et des relations avec les collectivités locales, les bailleurs, les promoteurs et les agences.

Nous souhaiterions donc connaître votre regard sur la période actuelle, mais également les retours dont vous avez connaissance, ainsi que les statistiques que vous produisez, dans la mesure où l’Anil et les Adil constituent un réseau de ressources pour l’analyse du marché immobilier et de la politique du logement dans les départements. Votre organisation décentralisée peut nous permettre de dresser un tableau d’ensemble, en mettant en lumière les similitudes ou les disparités, selon les territoires, de la crise du logement.

Mme Roselyne Conan. En préambule, je tiens à vous fournir quelques éléments statistiques sur notre réseau, qui est aujourd’hui implanté dans 87 départements. L’année dernière, près de neuf cent mille consultations ont été délivrées en direction des ménages et des différents acteurs. Notre cœur de métier demeure les rapports locatifs, mais nous identifions également des besoins croissants sur un certain nombre de sujets, notamment les habitats indignes et les enjeux de performance et de décence énergétiques, qui ont fait l’objet de nombreuses consultations auprès des Adil.

Comme vous l’avez justement rappelé, nous intervenons au plus près des territoires, ce qui nous permet de détecter l’émergence de certains signaux faibles. Nous avions ainsi pu identifier dans certains secteurs des bailleurs qui, confrontés à des logements classés F, G ou G+, préfèrent ne pas se lancer dans des travaux et donner congé. Nous avons également relevé des problématiques spécifiquement liées aux accédants à la propriété, dont la solvabilité est affectée par la hausse des taux. Dans ce cadre, nous nous efforçons de fournir notre éclairage.

Nos derniers travaux d’étude ont porté notamment sur le « bien-vieillir chez soi », où nous avons pu approfondir le sujet du logement des plus âgés. Nous avons travaillé sur leurs envies, les possibilités à notre disposition pour les années à venir et les questions qui restent ouvertes en matière d’adaptation et de diversification de l’offre de logements.

Vous avez évoqué la nécessité de « relancer la machine » pour créer des logements. De notre côté, nous avons identifié des enjeux d’évolution concernant les dispositifs fiscaux. Nous avions notamment été sollicités dans le cadre de la mission de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (Igedd) sur le bilan de certains dispositifs, comme l’aide fiscale dans le cadre d’un investissement locatif dite « Denormandie ».

Nous sommes aujourd’hui soumis à la pression résultant d’enjeux de rénovation du parc de logements et de l’objectif « Zéro artificialisation nette » (ZAN), avec le souci d’éviter l’attrition du parc en raison notamment de problématiques de décence énergétique. Nous avons souligné certaines difficultés posées par le dispositif Denormandie, qui n’a pas véritablement réussi à trouver son public. Nous avons suggéré un certain nombre d’évolutions pour respecter les objectifs fixés, qui portent sur l’incitation à la rénovation dans des quartiers dégradés et la revitalisation des centres-villes peu dynamiques : nous avons proposé de prolonger ce dispositif et de ne pas le circonscrire aux secteurs sur lesquels il se concentre aujourd’hui, c’est-à-dire le programme « Action cœur de ville » et les opérations de revitalisation de territoire (ORT). Nous proposons ainsi de l’étendre à d’autres secteurs, ce qui implique de bien l’articuler avec le dispositif « Loc’Avantages » et de prendre en considération l’enjeu des zonages. De même, il convient de ne pas se limiter à la rénovation du parc, mais de conserver la faculté de produire des logements neufs.

Si le dispositif Denormandie n’a pas totalement trouvé son public, c’est qu’il existe aujourd’hui un enjeu de portage par les investisseurs potentiels. Nous avons identifié trois axes d’amélioration possibles : simplifier le dispositif, mieux informer et mieux accompagner. En matière de simplification, il s’agit de revoir la liste des travaux qui ouvrent droit au dispositif, mais aussi de revoir la condition selon laquelle l’étiquette énergétique doit atteindre a minima le niveau E après travaux.

En matière d’information et d’accompagnement, les Adil nous indiquent qu’il faudrait favoriser des actions de communication locales à travers la mise en place « d’ambassadeurs », qui dialoguent avec les bailleurs. Une personne sur cinq qui vient nous consulter est un bailleur et ces bailleurs sont généralement propriétaires d’un ou deux logements, qu’ils gèrent eux‑mêmes : environ 60 % du parc est en gestion directe. Ces propriétaires ont besoin d’informations, car ce ne sont pas des professionnels et ils ne maîtrisent pas forcément tous les éléments de dispositifs parfois complexes, qu’il s’agisse de la fiscalité, de rapports locatifs ou d’aides à la rénovation. Nous avions réalisé une étude sur les travaux réalisés par les bailleurs et il était apparu que le premier frein à la réalisation de ces travaux était d’ordre financier, notamment du fait de la méconnaissance des aides disponibles. Il s’agit d’un public qu’il n’est pas toujours facile de toucher et c’est la raison pour laquelle nous souhaitons mettre l’accent sur l’information et l’accompagnement en matière de rénovation.

Nous proposons donc que les Adil soient les « ambassadeurs » du dispositif Denormandie. L’entrée dans un dispositif d’investissement locatif ne se limite pas, en effet, à la signature d’un bail : il importe également de prendre en compte les enjeux de fiscalité, de contractualisation des travaux, d’identification d’une valeur de loyer et d’accompagnement du locataire quand il entre dans les lieux. Or les Adil disposent d’une vision à 360 degrés sur les questions de logement, qu’il s’agisse de la signature d’un bail, de fiscalité, des différents dispositifs comme MaPrimeRénov’ ou de sujets liés à la copropriété.

La majorité du parc locatif est située dans des immeubles collectifs. Si de nombreuses copropriétés sont gérées par des syndics professionnels, il existe un certain nombre de copropriétés que nous appelons « désorganisées » ou « inorganisées » et qui pâtissent d’un manque de gouvernance : dans celles-ci, un copropriétaire se considère généralement comme un syndic de fait, sans avoir été désigné comme tel par une assemblée générale des copropriétaires. Dans certains cas, les immeubles ne sont même pas assurés et les propriétaires‑bailleurs ne réalisent pas d’opérations de rénovation lourde, ce qui se traduit par un parc locatif en mauvais état et, parfois, l’absence d’immatriculation des immeubles. Or, sans cette immatriculation, il n’est pas possible de bénéficier des aides nationales.

Certaines Adil mènent un travail d’accompagnement, notamment grâce au financement fourni par les collectivités locales. Nous souhaiterions que cette approche soit plus dynamique, à travers la mise en place d’équipes mobiles dédiées aux copropriétés et sur le modèle des équipes mobiles créées pour la prévention des expulsions. Ces équipes iraient à la rencontre des copropriétés « désorganisées » ou « inorganisées » afin de les structurer, de leur permettre de tenir une assemblée générale, d’élire un syndic ou éventuellement de les accompagner, en tant que besoin, pour contracter avec un syndic professionnel.

Nous proposons donc que les collectivités locales puissent confier une mission au réseau des Adil, afin d’intensifier la mobilisation du dispositif Denormandie et de capter le parc vacant susceptible d’être remis en location, notamment après travaux : nous militons pour un accompagnement global dans ce domaine.

En matière de fiscalité, il convient également d’évoquer l’enjeu du zonage – sur lequel nous pourrons revenir plus en détail, le cas échéant. Les territoires nous signalent le problème posé par des plafonnements identiques à hauteur de 300 000 euros par bien, quelle que soit sa localisation. Nous pensons qu’il serait pertinent de faire évoluer la situation : en fonction des secteurs, le prix de l’immobilier peut différer grandement et nous imaginons donc une modulation de l’assiette selon l’appartenance à un zonage – par exemple, un zonage de type A‑B-C – afin que le plafond soit plus en adéquation avec la réalité du marché immobilier local. Enfin, pour les territoires ultramarins, il conviendrait d’imaginer des prix spécifiques, pour tenir compte de la singularité des problématiques.

M. le président Stéphane Peu. Le dispositif Denormandie peut effectivement constituer un bon outil, mais force est de constater que son impact est très marginal à l’heure actuelle. Quelles sont vos propositions concrètes en matière d’élargissement de l’assiette et des zones ?

Mme Odile Dubois-Joye. Dans le déroulement des parcours résidentiels, le segment locatif constitue une variable d’ajustement. Ces parcours sont désormais beaucoup moins linéaires que par le passé et il n’est pas rare que le segment locatif fasse l’objet d’allers et retours successifs au cours d’une vie. Un sondage que nous avons réalisé auprès des seniors nous a permis de constater que même les seniors envisagent plus volontiers d’adopter un statut de locataire à la fin de leur parcours résidentiel. En outre, lorsque ce parc s’assèche et qu’il s’agisse du locatif social ou du locatif privé, nous observons des répercussions sur l’ensemble de la chaîne du logement.

Les Adil constatent une augmentation des consultations sur le sujet des congés pour vente de la part des bailleurs, un signal qu’il convient de prendre en compte. Nous observons que ces petits bailleurs sont souvent démunis et qu’il existe bien un risque d’érosion d’une partie du parc locatif. D’un côté, les réglementations énergétiques sont vertueuses, car elles permettent de faire monter ce parc en gamme – et le dispositif Denormandie en est une illustration. Mais, d’un autre côté, il faut accompagner cette démarche, d’autant plus que le dispositif est restreint aux territoires situés dans une opération de revitalisation de territoire (ORT). Dès lors, il nous semblerait pertinent d’élargir le dispositif aux territoires tendus, en assurant une bonne articulation avec Loc’Avantages afin que les dispositifs ne se fassent pas concurrence, mais également de simplifier la liste des travaux éligibles. Puisque d’autres dispositifs comme le « Pinel » ont vraisemblablement vocation à être réduits, il peut être intéressant de réinvestir, dans les zones tendues, dans des dispositifs qui viennent augmenter la surface du parc existant.

Il y a donc une érosion avérée du parc locatif, que nous constatons lors des consultations de petits propriétaires, bailleurs de logements relevant de la catégorie des « passoires énergétiques ».

M. le président Stéphane Peu. Êtes-vous capables de quantifier ce phénomène de congés pour vente de passoires énergétiques, c’est-à-dire les logements classés F et G ?

Mme Odile Dubois-Joye. Cela concerne principalement la classe G en ce moment. L’Adil de Paris a réalisé une étude intéressante sur ce sujet et d’autres territoires commencent également à produire des statistiques dans ce domaine. L’augmentation des consultations au sujet des congés pour vente constitue certes un signal faible, mais il convient de le prendre en compte, d’autant que la hausse des taux d’intérêt affecte par ailleurs la mobilité au sein du parc locatif privé.

Un autre sujet a été travaillé dans une étude réalisée dans le cadre de notre mission d’observation des loyers, à travers le réseau des observatoires locaux des loyers (OLL). Cette étude a montré que les politiques en faveur de l’investissement locatif ont permis de mettre sur le marché un nombre important de logements neufs aux loyers plafonnés, contribuant ainsi à modérer les loyers de logements plus anciens, puisque ces derniers se retrouvent en concurrence avec des logements répondant à des normes énergétiques plus exigeantes. Les modélisations économétriques ont mis en évidence un effet de modération des prix sur cette génération du parc. De fait, l’intérêt d’un parc locatif intermédiaire de qualité est patent dans les territoires, notamment dans les zones tendues.

Plus largement, il s’agit de réfléchir à la manière de stimuler le logement intermédiaire porté par les investisseurs, d’autant plus que le dispositif Pinel est simultanément réduit. Dans ce cadre, se pose la question du zonage et de politiques de l’habitat fondées sur des indicateurs qui commencent à dater. Il convient sans doute d’approfondir les réflexions en cours sur la redéfinition de ce zonage et son harmonisation avec les zonages concernés par la taxe sur les logements vacants (TLV), les zonages A-B-C, voire les zonages I-II-III, ce qui permettrait d’autoriser plus facilement les modulations locales.

Nous nous sommes, par exemple, penchés sur les évolutions du marché locatif en Bretagne dans les zones « TLV » et il apparaît que des évolutions relativement rapides ont prospéré en raison des tensions immobilières à l’œuvre ces dernières années dans ce territoire. L’un des enjeux consiste bien à remettre sur le marché locatif des logements de qualité. Il existe des dispositifs fiscaux portant sur le réinvestissement dans le parc ancien, souvent porté par des propriétaires disposant de revenus modestes. Certains de ces dispositifs mériteraient d’être stimulés, à l’instar du « Denormandie », qui devrait évoluer par rapport à son objet initial.

En outre, il semble nécessaire de stimuler la production de logements intermédiaires. Au-delà, la réalisation de notre étude sur les seniors nous a conduits à envisager l’identification de secteurs prioritaires dans les zones tendues afin de favoriser la mixité générationnelle, mais également la mise en place de zones à TVA réduite – comme cela est déjà le cas dans la bande des trois cents mètres autour des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) : il s’agit de promouvoir l’accession à la propriété dans ces zones, dans une optique de long terme. Dans les territoires soumis à de très fortes tensions, les plans locaux d’urbanisme (PLU) définissent des servitudes de mixité sociale. Nous suggérons d’en faire des zones prioritaires pour développer des logements.

Naturellement, il est nécessaire d’évaluer la faisabilité et la pertinence de ces propositions. J’observe simplement qu’il existe déjà des outils disponibles en matière de réglementation de l’urbanisme, qui définissent des secteurs prioritaires et des zones de mixité sociale.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Vous avez évoqué l’habitat des seniors, une question qui mérite effectivement de faire l’objet de réflexions. Ayant travaillé au sein d’une direction départementale des territoires et de la mer, auprès de l’Agence nationale de l’habitat (Anah), j’ai pu constater que la question du logement est toujours abordée de manière quantitative.

Pour ma part, je suis attaché à une politique du logement pour toutes les bourses et pour tous les âges. À un moment de leur vie, les seniors peuvent être contraints de rester dans leurs logements, bien que ces logements ne soient plus adaptés à leurs besoins et leur dépendance et ce, faute de pouvoir trouver des alternatives adéquates. Avez-vous mené une réflexion pour contribuer à débloquer ce genre de situations ?

Mme Odile Dubois-Joye. Nous avons conduit l’année dernière une enquête auprès de 3 700 seniors sur l’ensemble du territoire français. Nous les avons interrogés sur leur désir d’habiter, leur parcours résidentiel et les difficultés auxquelles ils sont confrontés.

Majoritairement, ces seniors souhaitent rester chez eux. Mais lorsque nous leur demandons à quelles conditions ils seraient prêts à changer de logement, ils évoquent différents éléments comme la proximité de services ou la qualité d’usage. Environ un senior interrogé sur quatre se déclare prêt à devenir locataire, sous réserve de disposer du budget suffisant. De fait, le maintien à domicile est lié aux ressources financières.

Par conséquent, il apparaît nécessaire de développer de manière intensive le logement intermédiaire à destination des seniors. Il faut d’ailleurs relever que les bailleurs sociaux sont assez en pointe dans le domaine du logement inclusif. La démographie va évoluer de manière assez rapide et il convient d’en tirer toutes les conséquences, comme l’a souligné Luc Broussy dans le rapport interministériel « Nous vieillirons ensemble » (2021). Le vieillissement de la population va en effet redistribuer les besoins vers d’autres types de logements, de manière évidente.

Les bailleurs commencent d’ores et déjà à organiser la mobilité résidentielle, ce qui pourrait permettre de remettre sur le marché des logements adaptés à des ménages familiaux. Dans un avenir proche, les besoins en logement, impactés par les évolutions démographiques, auront des déterminants à la fois qualitatifs et quantitatifs. Ne serait-il pas plus pertinent de construire des logements ayant vocation à accompagner le vieillissement de la population, en étant notamment modulables et évolutifs ? Bref, il importe de travailler de manière plus prospective.

Ces réflexions doivent être intégrées dans les politiques locales et les programmes locaux de l’habitat (PLH). Ces PLH doivent travailler sur des fonciers bien localisés et des servitudes de mixité sociale et intergénérationnelle, afin d’inciter au développement d’une offre de logements alternatifs et de l’accompagner. Cependant, il ne faut pas se voiler la face : l’adaptation du logement prendra du temps. La question de l’accessibilité financière devra également être prise en compte, puisque les revenus des seniors n’augmentent pas, voire diminuent.

Cette approche prospective pourrait se traduire, de manière opérationnelle, à travers un plan national qui définisse des objectifs de programmation de logements intermédiaires et de logements seniors, qu’il faudrait ensuite décliner localement dans des documents-cadres. Il appartient également aux collectivités d’établir un véritable diagnostic sur la démographie de leurs territoires, afin d’élaborer des documents de planification qui soient adaptés à ces réalités territoriales. Dans notre étude sur les seniors, nous avons ainsi observé que la prise en charge de ces questions dépendait fortement de la sensibilité et de la volonté des élus locaux sur celles‑ci.

Un cadre qui définirait de grandes orientations en matière de programmation pourrait constituer un levier permettant une réappropriation locale de ces enjeux. Les documents de programmation pourraient utilement être plus « offensifs » afin, ensuite, de décliner les outils de l’urbanisme réglementaire. La « boîte à outils » existante est complète et le véritable enjeu tient à sa mobilisation et son utilisation, notamment dans le domaine du foncier.

Un troisième chantier concerne le coût du logement, c’est-à-dire celui de la réhabilitation et de la production. Des réflexions nationales doivent être conduites sur la qualité d’usage et la manière dont on peut faire évoluer les normes sur le bâti, pour accompagner les changements de la société française. Elles peuvent concerner les économies d’échelle qui peuvent être obtenues sur des bâtiments biosourcés, en lien avec les professionnels, mais aussi être menées de manière interministérielle, pour faire diminuer les coûts de revient du logement. Des politiques nationales pourraient être mises en place, en complément des actions à mener sur la maîtrise du foncier. Quoi qu’il en soit, un grand nombre d’outils existent déjà dans le domaine du foncier et l’enjeu porte plus sur leur mobilisation.

M. le président Stéphane Peu. Ces outils existent certes, tout réside dans la volonté politique ! Le Francilien que je suis est effaré de constater que l’investissement public massif consacré à la construction de dizaines de gares dans le cadre du métro du Grand Paris ne s’accompagne pas d’une réelle politique foncière pour développer du logement diversifié et mixte à proximité. En d’autres termes, on en train de fabriquer une rente avec de l’argent public… Les outils existent, mais ils ne sont pas mis en œuvre.

Mme Odile Dubois-Joye. Le véritable sujet n’est-il pas là, effectivement ? Ne conviendrait-il pas d’arrêter des orientations nationales sur la mobilisation de ces outils ? Par exemple, le succès des organismes de foncier solidaire (OFS) est intéressant, mais ils sont très inégalement mobilisés sur le territoire. Encore une fois, il ne s’agit pas tant de créer de nouveaux outils que de mobiliser efficacement ceux qui existent déjà, ce qui passe notamment par une meilleure rédaction des PLH, localement. Certaines collectivités sont d’ailleurs proactives en la matière et obtiennent de véritables résultats. L’habitat est une matière extrêmement technique et complexe, à la croisée de différentes politiques.

M. Lionel Causse (RE). Je vous remercie pour vos interventions, que je partage pour l’essentiel. La boîte à outils existe et les élus locaux disposent déjà de nombreux instruments, comme les PLH, qui seront peut-être complétés par l’autorité organisatrice de l’habitat (AOH). La loi « Climat et résilience » a instauré des observatoires de l’habitat et du foncier (OHF). Il existe donc des outils et des actions, mais ils ne sont pas toujours très bien coordonnés avec les acteurs locaux au sens large.

Certains territoires s’emparent de cette planification territoriale de manière plus précise et plus volontaire que d’autres : cela interroge sur les enjeux de la décentralisation, qui feront l’objet de débats devant l’Assemblée nationale. Nous voulons agir au plus près des territoires, mais il faut admettre que certains d’entre eux sont en avance grâce à la planification territoriale et la volonté politique, comme nous pouvons le constater en matière de ZAN.

En matière de politique du logement, le sujet essentiel concerne le parcours résidentiel. Certains territoires se sont dotés d’une approche très complète, allant de l’hébergement d’urgence aux logements libres, en passant par des politiques spécifiques concernant des publics particuliers comme les étudiants ou les seniors. Ces territoires parviennent ainsi à atteindre les objectifs qu’ils se sont assignés.

Je souhaiterais connaître votre avis sur ce sujet. Jusqu’où faut-il décentraliser ? Le renforcement de certains outils peut-il permettre de lutter contre les logements indignes ? Dans le contexte actuel de taux d’intérêt élevés et de coûts de construction et de rénovation croissants, ne court-on pas le risque d’accentuer les disparités entre les populations qui pourront accéder au logement ou rénover et celles qui n’en auront pas les moyens ?

La question ne consiste-t-elle pas à faire en sorte de nous mobiliser pour que tout le monde puisse réaliser ses objectifs, qu’il s’agisse des propriétaires ou des locataires ? Comment aller au-delà de l’hébergement d’urgence et proposer des logements plus pérennes ? Comment faisons-nous pour rénover ?

Je ne suis pas un spécialiste du dispositif Denormandie, mais j’imagine qu’il intéresse prioritairement les propriétaires déjà concernés par des enjeux de défiscalisation. Malgré une volonté politique commune et les moyens mis à disposition, le contexte actuel ne va-t-il pas accroître les différences de situation, concernant notamment les logements dignes et indignes ? Nous posons-nous réellement les bonnes questions ?

Mme Roselyne Conan. Il existe effectivement un grand nombre d’outils, mais leur utilisation dépend également des moyens disponibles dans chacun des territoires. À ce titre, il faudrait sans doute engager une impulsion nationale pour inciter localement à agir.

Je profite de votre question pour évoquer la lutte contre l’habitat indigne, sujet sur lequel nous nous mobilisons de plus en plus. Je rappelle l’existence de la plateforme Histologe, qui permet de signaler localement l’existence d’habitats dégradés. Certaines collectivités se sont emparées du sujet et mettent en place ce dispositif, qui permet à chacun de signaler, par exemple, la présence de punaises de lit, celle de moisissures sur les murs ou le risque d’écroulement d’un garde-corps de fenêtre.

Lorsque cet outil a vu le jour, le réseau des agences départementales s’est mobilisé pour accompagner son déploiement et le faire connaître, notamment auprès des collectivités territoriales et de l’ensemble des acteurs. Les Adil sont en effet un des acteurs répondant à ces signalements, notamment sur la non-décence : nous accompagnons les démarches de qualification et nous informons le bailleur pour lui rappeler les obligations auxquelles il est soumis. Nous constatons cependant que les financements ne sont pas forcément à la hauteur des besoins exprimés : certaines Adil sont mises en difficulté et parfois même contraintes de quitter certains projets.

En définitive, les Adil sont, en quelque sorte, le « couteau suisse » du logement et elles agissent notamment en matière de prévention des expulsions, de rénovation des logements (MaPrimeRénov’, certificats d’économie d’énergie, contractualisation avec des professionnels pour les travaux), de copropriétés, etc. Mais les moyens manquent parfois et nous sommes alors confrontés à l’impossibilité de répondre à la demande : à titre d’exemple, lorsque des campagnes de communication avaient été lancées lors du confinement sur l’aide d’Action logement, les appels étaient dirigés vers notre ligne « SOS loyers impayés » : en phase de pic, nous ne pouvions répondre qu’à un appel sur dix.

Lors de la mise en place d’un outil, il importe d’anticiper suffisamment les moyens mis à disposition pour sa bonne mise en œuvre, afin de ne pas engendrer des frustrations auprès des publics, qu’il s’agisse des ménages ou des collectivités. Les logements actuellement décents vieilliront et finiront par être dangereux, à leur tour, dans quinze à vingt ans. Traiter le problème en amont permettrait donc de diminuer les problèmes futurs en matière de décence des logements. Malheureusement, aujourd’hui, les moyens manquent pour le traitement de cet habitat dégradé : il s’agit là d’un exemple parmi d’autres, qui témoigne de limites du système liées au financement insuffisant de nos structures.

Mme Odile Dubois-Joye. Nous devons également prendre conscience de l’existence de cycles longs dans le domaine de l’habitat. Il faut du temps pour que les politiques produisent leurs effets, ce qui met en lumière la nécessité de disposer de dispositifs stables et de moyens pérennes, afin que chacun des territoires puisse adapter ses propres temporalités.

Les taux d’intérêt, que vous avez évoqués, s’établissent désormais au-delà de 4 % pour un emprunt à vingt ans, soit quatre fois plus que les taux les plus bas enregistrés ces dernières années. Les simulations attestent de la dégradation de la solvabilité d’une partie des ménages. Il convient néanmoins de relever que la baisse des taux s’était accompagnée d’une hausse extrêmement rapide des prix de l’immobilier ; de manière symétrique, la hausse des taux entraînera un ajustement à la baisse des prix, puisque les vendeurs seront bien contraints de vendre à un moment donné.

À court terme, se pose également la question du prêt à taux zéro (PTZ) dans l’ancien, dans les secteurs tendus, afin d’accompagner les primo-accédants qui se trouvent aujourd’hui exclus de facto du marché. Sans apport, il est aujourd’hui impossible d’acquérir un bien et, dans certains cas, l’épargne préalable ne suffit même plus. Cependant, il convient aussi de rappeler qu’il y a quelques années, des taux d’emprunt de 4 % à 5 % étaient la norme pour des primo‑accédants.

M. le président Stéphane Peu. Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, la question du PTZ fera l’objet de débats. Pourquoi évoquez-vous le PTZ uniquement dans l’ancien ?

Mme Odile Dubois-Joye. Pour le moment, le PTZ concerne les zones détendues.

M. le président Stéphane Peu. Mais il ne concerne pas uniquement l’ancien.

Mme Roselyne Conan. L’idée consisterait à rouvrir le PTZ dans l’ancien, y compris dans les territoires tendus, pour faire face aux enjeux d’achat-rénovation. Les congés pour vente donnés par les bailleurs créent une offre supplémentaire pour les primo-accédants, à des niveaux de prix moins élevés car ces logements ne sont pas de grande qualité.

Mais face à ce parc de « passoires énergétiques », il est nécessaire que ces primo‑accédants disposent de moyens financiers leur permettant d’acquérir les biens et, surtout, de les rénover. C’est la raison pour laquelle nous estimons qu’une des pistes consisterait à étendre à nouveau le PTZ dans l’ancien, y compris dans les territoires qui n’y sont aujourd’hui pas éligibles.

Mme Odile Dubois-Joye. Les primo-accédants éprouvent déjà beaucoup de difficultés à monter un dossier pour financer leur achat et ils ne disposent pas des moyens supplémentaires nécessaires pour effectuer les travaux de rénovation. Ceci correspond, à mon sens, à un effet collatéral de la hausse récente des taux. Mais, une fois encore, il faut relativiser : ces taux de l’ordre de 4 % succèdent à une période exceptionnellement basse. Les prix devraient s’ajuster à la baisse, même si le marché demeure actuellement soutenu par les acheteurs qui bénéficient d’un apport.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Vous avez évoqué des coopérations à l’œuvre avec les collectivités locales, notamment en matière de copropriétés. Pourriez-vous évoquer un des exemples de coopérations qui ont porté leurs fruits ? Vous avez également souligné que le logement s’inscrit dans un cycle long et qu’il n’est pas forcément nécessaire de créer de nouveaux outils. Quels sont, selon vous, les outils qu’il faudrait supprimer, car ils ne sont pas utiles, et ceux qu’il faudrait conserver et renforcer ?

Mme Roselyne Conan. Dans l’Orne, Flers Agglo accompagne l’Adil en finançant le poste d’une personne chargée d’aller à la rencontre des copropriétés inorganisées. Cette phase d’approche est longue et nécessite plusieurs années.

Les Adil ont une mission socle : l’information neutre, gratuite et personnalisée sur toutes les questions de logement, diffusée dans 1 200 lieux de permanence afin d’être au plus près des ménages. Cette expertise neutre nous paraît essentielle, car elle permet d’expliquer les enjeux, les règles applicables et les démarches à accomplir. Notre mission consiste ainsi à faciliter le « parcours logement » : quand un accédant vient nous rencontrer, nous établissons un plan de financement et nous lui expliquons les concepts clefs sur les offres de prêt, les délais associés, les promesses de vente et les aides disponibles en fonction de sa situation. Ces éléments permettent aux ménages d’être mieux armés pour discuter lorsqu’ils se rendent ensuite dans des établissements financiers. En facilitant ce parcours logement, notre objectif consiste à permettre aux demandeurs d’effectuer un choix éclairé et à leur éviter de perdre du temps dans des démarches inutiles.

Nous agissons également pour prévenir les expulsions. Dans ce domaine, une mobilisation des acteurs très en amont, dès l’apparition du premier impayé, est essentielle pour résoudre les problèmes. Nous formulons des préconisations et orientons vers des travailleurs sociaux, certaines Adil en disposant d’ailleurs en interne. Notre réseau est ainsi constitué de neuf cent personnes, en grande partie des conseillers juristes formés tout au long de leur vie professionnelle sur le suivi de la réglementation.

Notre site internet met à disposition un ensemble d’analyses juridiques qui permettent de décrypter les textes qui sont publiés. Le site Extranet propose en outre des dossiers juridiques et nous assurons régulièrement des formations. Dans le domaine de la prévention des expulsions, un des enjeux consiste à s’approprier les nouveaux textes, notamment les délais introduits par la loi du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l'occupation illicite.

La mission du réseau consiste bien à favoriser le parcours logement. Nous aimerions notamment montrer que l’investissement dans la prévention des expulsions permet in fine de réaliser des économies au sens large, en évitant de solliciter les huissiers, la justice, la police, les services sociaux et de santé publique. Nous portons ce projet depuis longtemps, en collaboration notamment avec la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal). Des binômes constitués de juristes et de travailleurs sociaux vont à la rencontre des ménages qui ne sont pas approchés par les travailleurs sociaux et manquent donc d’accompagnement.

Par ailleurs, nous menons un bilan de l’action des chargés de mission dédiés à la prévention des expulsions (PEX), qui sont déployés par les Adil et les départements. Ils ont pour tâche d’établir une cartographie des acteurs dédiés à cette prévention et de retracer l’historique des dossiers. Dans ce domaine comme dans d’autres, la connaissance des différents acteurs impliqués est essentielle. Le travailleur social, le juriste, la collectivité locale et le bailleur emploient des langages différents : dès lors, apprendre à travailler ensemble et partager les informations est essentiel pour contribuer à la réussite des politiques publiques.

Le chargé de mission constitue un des exemples illustrant l’intérêt de la coordination locale. La décentralisation représente une des pistes identifiées pour accompagner les bailleurs dans leurs projets de rénovation et de mise en conformité. Face à ce véritable enjeu de coordination, nous nous situons au carrefour de toutes les politiques publiques. Nous souhaiterions également déployer cette coordination dans d’autres domaines, comme l’accompagnement des bailleurs dans les travaux.

Mme Odile Dubois-Joye. Un des enjeux consiste également à mieux accompagner l’ingénierie qualifiée et donc à sécuriser son financement. De fait, la capacité à mobiliser et à financer cette ingénierie est très variable d’un territoire à l’autre.

Le bilan du déploiement du dispositif des chargés de mission PEX, initialement conçu de manière temporaire, a démontré sa plus-value ; il sera donc pérennisé, mais il a besoin de disposer de financements sanctuarisés. La même logique s’applique pour la lutte contre l’habitat insalubre et la rénovation énergétique.

M. le président Stéphane Peu. Nous avons bien reçu votre message.

M. Lionel Causse (RE). La prévention des expulsions constitue effectivement un enjeu majeur et il me semblerait pertinent d’envisager la manière dont les Adil peuvent voir leur rôle renforcé dans cette mission. À ce titre, disposez‑vous d’un modèle d’organisation et d’un chiffrage ? Il serait important que nous puissions explorer ce sujet plus en détail, notamment à l’approche du projet de loi de finances à venir – je sais en effet que, dans certains territoires, l’action des Adil en matière de prévention des expulsions produit d’excellents résultats.

Ma seconde question concerne la « carte d’identité » du logement : pouvez-vous nous fournir de plus amples informations sur ce sujet, qui fait l’objet d’une attention particulière de votre part ?

Mme Roselyne Conan. Je tiens d’abord à répondre à la question qui avait été posée au sujet des coopérations avec les collectivités locales, notamment en matière de copropriétés. J’avais commencé à évoquer l’action mise en œuvre dans l’Orne : en l’espèce, la collectivité explique l’offre de services lors de réunions publiques et l’Adil s’adresse aux copropriétés par téléphone ou lors d’entretiens. Nous pouvons lancer des actions, comme des « diagnostics flash » à destination des bailleurs et concernant, par exemple, l’étiquette énergétique des logements, et proposer un accompagnement. Pour y parvenir, des moyens suffisants sont, là aussi, nécessaires.

Certaines Adil abritent également des « espaces-conseils France Rénov’ ». Nous avons ainsi largement contribué à la concertation en cours concernant l’organisation du service public de rénovation de l’habitat et nous sommes favorables à un financement direct de l’Anah en direction des Adil, au titre des réponses que nous apportons en matière de fiscalité, de financement, de contrats et de rapports locatifs. En effet, lorsqu’un bailleur effectue des travaux en habitat occupé, des conflits peuvent naître avec les locataires ; nous proposons donc de conduire des médiations entre les locataires et les bailleurs et nous menons d’ailleurs une expérience en Seine-Saint-Denis sur des sujets d’impayés et d’habitats dégradés.

Plus généralement, la médiation nous semble s’inscrire dans le cours de l’histoire et elle est d’ailleurs privilégiée dans plusieurs lois récentes. De notre côté, nous proposons de développer la médiation pour les cas les plus complexes.

M. Louis du Merle. Dans un contexte où le traitement judiciaire des dossiers est souvent long, notre mission d’information des ménages sur des questions juridiques complexes permet de trouver des solutions pour formaliser des accords avec les bailleurs et, in fine, engager des dynamiques en matière de travaux ou de traitement des impayés. S’agissant des impayés, nous conduisons effectivement une expérimentation en Seine-Saint-Denis, mais aussi à Paris.

D’autres territoires ont également envie d’accompagner les ménages souffrant de précarité énergétique, mais nos statuts-types, encadrés par un texte réglementaire, auraient besoin d’être modifiés.

Mme Roselyne Conan. Il faudrait ainsi modifier l’article L. 366-1 du code la construction et de l’habitation. À l’heure actuelle, cet article ne nous permet pas de réaliser des actes administratifs contentieux ou commerciaux ; si les textes indiquaient noir sur blanc que l’Adil peut conduire des médiations, notamment dans le cadre des rapports locatifs, nous serions moins corsetés et les acteurs locaux se poseraient moins de questions.

Les juristes réalisent déjà des médiations de manière indirecte entre locataires et bailleurs. Il pourrait être pertinent de créer un pool de médiateurs par région, ce qui permettrait de traiter ces problématiques sans empiéter sur le travail effectué par les commissions départementales de conciliation. Ici aussi, l’enjeu porte naturellement sur le financement. Pour autant, cette piste me semble intéressante à creuser.

M. le président Stéphane Peu. S’agissant du financement, j’ai été interpellé par l’Adil de mon département au printemps dernier. J’ai ensuite adressé une question au gouvernement au mois de mai et j’ai reçu une réponse cet été, que je vous transmettrai. Sans entrer dans le détail, cette réponse renvoie à Action logement. Je rappelle qu’à l’heure actuelle, le financement des Adil est tripartite puisqu’il implique l’État, Action Logement et les collectivités locales.

Mme Roselyne Conan. Il existe effectivement trois sources de financement nationales, réparties entre l’État, Action Logement et la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS). La convention avec Action Logement sera pérennisée, mais le financement en provenance de l’État est plafonné à 9 millions d’euros depuis plus de dix ans, alors même que notre réseau s’étend. En outre, les collectivités locales sont également confrontées à des difficultés financières. Par conséquent, elles sont parfois contraintes de réduire les moyens qu’elles nous attribuent.

M. le président Stéphane Peu. La réponse qui m’a été adressée ne traite que du prolongement de la convention avec Action Logement. Dans le cadre du projet de loi de finances, il sera peut-être envisageable de promouvoir une adaptation du financement en provenance de l’État.

Par ailleurs, je souhaiterais recueillir votre avis et vos propositions concernant MaPrimeRénov’ : quel est son fonctionnement ? Quel est son impact ? Quelle simplification pourrait-on envisager, dans la mesure où tout le monde s’accorde pour dire que ce dispositif est particulièrement complexe ?

Je souhaiterais également connaître votre avis sur le droit au logement opposable (Dalo), qui est en place depuis 2007. Il est peu évoqué dans le débat public, mais les questions de son fonctionnement, de son efficacité et de son adaptation éventuelle mériteraient d’être posées, d’autant que ce sujet s’amplifiera avec la crise du logement : plus le parc locatif est « embolisé », plus les délais d’attente augmentent.

Mme Roselyne Conan. J’ai été responsable de l’instruction du Dalo à Paris pendant quatre ans. Cette mesure a fait « bouger les lignes » et a mis en lumière les enjeux concernant l’accès au parc social et la priorisation. Les textes ont évolué depuis 2007, ils ont arrêté de nouveaux critères de priorité sur les parcs et les secteurs en très grande tension. À Paris, le taux de réponses positives était, par exemple, de 50 %.

Par ailleurs, il existe de très fortes disparités géographiques et, dans certains territoires, on observe un grand déséquilibre entre les besoins et les logements disponibles. Le Haut‑Comité pour le logement des personnes défavorisées produit régulièrement des travaux dans ce domaine.

Mme Odile Dubois-Joye. La question porte effectivement sur la volumétrie : pour pouvoir reloger des publics en demande, il faut disposer d’un parc suffisant. Les difficultés sont accrues par les contradictions, voire les concurrences parfois insolubles, entre les exigences du droit au logement et celles de la mixité sociale, telles qu’elles sont notamment inscrites dans la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté. Cet arbitrage est d’autant plus complexe qu’une offre n’est pas toujours disponible dans certains territoires. Dès lors, la question porte aussi sur des questions politiques plus larges, comme la programmation d’une offre de logements sociaux accessibles ou la résorption du mal-logement : l’intention du Dalo est positive, mais les moyens ne sont pas nécessairement au rendez-vous. Il existe une difficulté politico‑technique pour gérer les attributions à partir de différents critères et les conférences intercommunales du logement ne doivent pas être des coquilles vides.

M. Louis du Merle. J’attire votre attention sur un point de vigilance au sujet de la loi du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite. Les ménages menacés d’expulsion sont en effet prioritaires au titre du Dalo, mais la mécanique de la loi du 27 juillet 2023 risque d’entraîner une hausse du nombre de décisions prononçant l’expulsion ferme, ce qui va accroître le nombre de ménages éligibles au Dalo.

Le dispositif MaPrimeRénov’, au même titre que d’autres dispositifs, a besoin d’une pérennisation de ses financements et d’une certaine stabilité juridique. MaPrimeRénov’ existe depuis trois ans, mais il a subi un grand nombre de modifications et les fléchages successifs manquent de cohérence. Nous savons en outre qu’il est en cours de réadaptation, pour devenir plus dual et concerner à la fois la performance globale et la sortie du statut de passoire thermique. L’Anah a ainsi annoncé que, demain, le volet « Performance » s’opposera au volet « Efficacité ». Je ne peux me prononcer à ce sujet, puisque les instructions et les textes n’ont pas encore été publiés, mais je rappelle que leur entrée en vigueur interviendra le 1er janvier 2024. Les conseillers France Rénov’ vont donc éprouver des difficultés pour expliquer aux ménages le contenu du nouveau dispositif.

M. le président Stéphane Peu. Ma question concernait plus l’usager qui vous interroge sur son éventuelle éligibilité au dispositif : les non-recours sont-ils nombreux ? Existe-t-il des pistes de réflexion pour faciliter l’accès à cette prime ?

M. Louis du Merle. Du point de vue de l’usager, la situation semble s’améliorer. La plateforme numérique est désormais opérationnelle, ce qui n’était pas le cas lors des premiers mois, après le lancement du dispositif. Ensuite, il revient au réseau des Adil de fournir de plus amples informations sur les conditions d’éligibilité et le fonctionnement du dispositif, qui doit être suffisamment stable juridiquement pour permettre une bonne appropriation.

Mme Roselyne Conan. Certaines Adil nous indiquent que des aides renforcées ont été fléchées en direction des ménages modestes. Cependant, le niveau d’aide reste trop faible, ce qui empêche nombre d’entre eux de mener à bien des travaux de rénovation globale : les financements doivent être à la hauteur du coût réel des travaux auxquels font face les ménages. Des enjeux de financement demeurent, en outre, pour les copropriétés face à la réticence des banques : certaines Adil nous font ainsi part de dossiers bloqués depuis deux ans. Il convient donc de poursuivre encore les efforts, notamment en direction des ménages intermédiaires.

M. le président Stéphane Peu. Nous vous remercions pour vos interventions. Je rappelle que notre mission s’inscrit dans une double temporalité : une temporalité longue, jusqu’à la fin de l’année 2023, sur le sujet de la politique du logement au sens large ; et une temporalité courte jusqu’à la fin octobre, période durant laquelle nous souhaiterions recueillir vos propositions dans l’optique de l’examen du projet de loi de finances pour 2024.

Nous avons bien noté vos deux propositions concernant l’élargissement du PTZ et du dispositif Denormandie, afin de remettre des logements dans le circuit locatif. La réglementation énergétique va vraisemblablement entraîner une hausse du taux de vacance et le « Denormandie » peut effectivement constituer une des réponses. Nous souhaiterions recueillir vos réflexions concernant l’élargissement de ces dispositifs, mais également vos souhaits en matière de financement des Adil et, plus particulièrement, au sujet de la part qui revient à l’État.

Mme Roselyne Conan. L’inquiétude des membres de l’Anil a pris forme lors de notre dernière assemblée générale, le 15 juin dernier, à travers la rédaction d’une motion relative au financement de la mission socle, qui porte notamment sur les impayés et la lutte contre l’habitat indigne.

De nouveaux financements ont certes été orientés vers des missions particulières et non nécessairement pérennes, comme celles assurées par les chargés de mission et les équipes mobiles. En revanche, le financement de la mission socle est en péril, alors même que les difficultés qu’elle est chargée de résoudre ne cessent de croître. Les financements inscrits au programme 109 ont progressivement augmenté avec l’accroissement du nombre des Adil. Il en va de même pour le programme 177, qui est limité à un certain nombre de missions particulières. Mais nous souhaitons sanctuariser la mission socle, car elle permet à tous d’accéder à une information neutre, gratuite et personnalisée, de manière moins stigmatisante qu’en s’adressant à des travailleurs sociaux. Il importe de pérenniser ce service, qui mérite d’être plus connu.

M. le président Stéphane Peu. Nous en sommes convaincus.


Membres présents ou excusés

 

Réunion du mercredi 13 septembre 2023 à 9 h 30

Présents. – M. Lionel Causse, M. Mickaël Cosson, M. Stéphane Peu