Compte rendu
Commission de la défense nationale
et des forces armées
–– Audition, ouverte à la presse, du général de corps d’armée André Petillot, major général de la gendarmerie nationale, sur le rôle de la gendarmerie en matière de défense globale.
Mercredi
6 mars 2024
Séance de 11 heures 30
Compte rendu n° 47
session ordinaire de 2023-2024
Présidence
de M. Thomas Gassilloud,
président
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La séance est ouverte à onze heures trente-sept.
M. le président Thomas Gassilloud. Après l’audition du Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, nous continuons ce matin nos auditions relatives à la Défense globale en accueillant le général de corps d'armée André Petillot, major général de la gendarmerie nationale, sur le rôle de la gendarmerie nationale en matière de défense globale.
Mon Général, vous présentez un parcours opérationnel très riche, tant en gendarmerie mobile et qu’en départementale. Après votre sortie de Saint-Cyr en 1990, vous commencez votre carrière comme commandant de peloton à l’Escadron de gendarmerie mobile (EGM) de Nantes, et prenez ensuite la tête de l’EGM de Saint-Amand-Montrond, dans le Cher, avant d’assurer le commandement de la compagnie de Bayonne. Après un passage en administration centrale, vous commandez le groupement de gendarmerie départementale des Alpes-Maritimes. Le 1er juin 2020, élevé au rang de général de corps d’armée, vous devenez le nouveau commandant de la région Nouvelle-Aquitaine. Vous avez été chef de cabinet du directeur général (DGGN) Richard Lizurey. Vous êtes nommé major général de la gendarmerie nationale le 18 janvier 2023.
Si la Défense nationale doit être l’affaire de tous, elle est de facto l’affaire de la gendarmerie nationale, qui, faut-il encore le rappeler devant notre commission, est présente sur près de 95 % du territoire français et près de 97 % des communes. Sur 20 maires, 19 exercent leur mandat en zone gendarmerie (ZGN).
Pour assurer la sécurité des populations dans tous les territoires et toutes les dimensions, y compris numérique, la gendarmerie est constituée de près de 100 000 militaires d’active, renforcés par près de 32 000 réservistes opérationnels. La Gendarmerie nationale inscrit résolument son action dans une logique de « pas-de-porte » et « d’aller vers » la population afin d’accroître toujours plus la « surface de contact » entre citoyens et forces de sécurité intérieure.
Mon Général, alors que le spectre de conflits plus durs plane autour de nous, alors que l’hybridation des conflits conduit toujours plus à ce qu’un conflit lointain génère des contrecoups sur notre territoire même, nous serions très intéressés de connaître votre perception de la place de la Gendarmerie face à cette évolution de la conflictualité. Quelle est votre définition d’une « Défense globale » adaptée au XXIe siècle, et votre vision du rôle que devrait avoir la Gendarmerie nationale au sein de ce dispositif.
Nos préoccupations sont nombreuses. Comment la gendarmerie nationale anticipe-t-elle la survenance de crise sur le territoire national ? Quelle attention porterait-elle alors aux conséquences indirectes de ces crises identifiées notamment dans le cadre de la stratégie nationale de résilience ? Quel rôle pour la gendarmerie dans la défense opérationnelle du territoire ? Quelles seraient alors ses priorités et quel rôle serait attribué aux réserves opérationnelles ? Quels soutiens serait-elle en mesure d’apporter pour la continuité des services publics et le maintien des infrastructures ?
Sur toutes ces questions, mon Général, nous sommes impatients de connaître le positionnement de la Gendarmerie nationale, et je vous cède la parole.
M. le général de corps d’armée André Petillot, major général de la gendarmerie nationale. En préambule, je tiens à présenter les camarades qui m’accompagnent : le colonel Jean-Christophe Le Neindre, chargé de mission au sein de la direction des opérations et de l’emploi de la gendarmerie, qui a en charge les sujets de la défense opérationnelle du territoire (DOT) et suit tout particulièrement tous les travaux sur la résilience ; et le colonel Antoine Lagoutte, qui assure notre interface permanente avec les Assemblées parlementaires. Il est par ailleurs le chef du bureau de la synthèse budgétaire.
Je vous remercie d’abord de m’avoir invité pour évoquer cette question du rôle de la gendarmerie dans notre dispositif général de défense. Nous appartenons désormais au ministère de l’intérieur mais un certain nombre de formations de la gendarmerie relèvent toujours du ministère des armées, les gendarmeries spécialisées. Pour autant, la gendarmerie conserve, par la loi de 2009, son statut de forces armées et joue à ce titre un rôle important dans ce dispositif de sécurité globale.
Je souhaite en premier lieu évoquer l’hybridité des menaces et la réponse de la gendarmerie. Notre territoire est menacé par des menaces de différentes natures, qui comportent à la fois une dimension classique, quotidienne, mais aussi parfois une dimension de souveraineté. Je ne reviendrai pas sur le risque terroriste qui pèse en permanence sur notre pays. En matière d’ordre public, par exemple, nous sommes confrontés à un contexte éruptif. Depuis la crise des gilets jaunes, notre pays a connu une succession de crises d’ordre public, qu’un certain nombre d’acteurs extérieurs peuvent tenter d’exploiter pour fracturer notre cohésion nationale. Au-delà de la gestion classique de manifestations, nous sommes ainsi confrontés à des phénomènes parfois d’une violence extrême, sur lesquels nous devons travailler.
Le phénomène de criminalité organisée n’est pas juste un sujet de demande de police judiciaire : dans certains territoires, il peut prendre une véritable dimension de souveraineté. Je pense notamment au développement du trafic de stupéfiants dans nos grands ports, déjà observé en Belgique ou aux Pays-Bas, mais aussi dans nos territoires, notamment dans le port du Havre. Il ne s’agit donc pas seulement de lutter contre des phénomènes criminels. Se joue également la capacité de l’État à conserver sa souveraineté sur des portions de notre territoire, face à des organisations qui déploient des moyens quasiment para-étatiques, compte tenu des moyens financiers dont ils disposent pour acquérir de nouvelles technologies et agir par la corruption.
Par ailleurs, la question migratoire est un sujet majeur, qui prend des dimensions extrêmement fortes sur un territoire comme l’île de Mayotte par exemple. Elle peut ainsi être utilisée à des fins de fragilisation de notre cohésion nationale, de manière instrumentalisée. J’en veux pour preuve la manière dont la Russie a utilisé les flux migratoires à la frontière polonaise ou finlandaise. Enfin, nous sommes confrontés à des attentes sociétales très fortes, sur lesquelles nous devons travailler tous les jours, mais qui peuvent aussi constituer des leviers de déstabilisation. La cohésion nationale représente le ciment qui permet à un pays de tenir. À ce titre, la gendarmerie doit avant tout être un acteur de cette cohésion nationale lorsqu’elle est fragilisée par des acteurs extérieurs qui veulent subvertir notre pays.
Face à ces menaces, la gendarmerie dispose cependant d’atouts non négligeables. Le premier d’entre eux repose sur son ancrage territorial. Nous couvrons effectivement 95 % du territoire et notre maillage continue de se densifier, avec la création de 239 nouvelles brigades prochainement. La gendarmerie est donc avant tout un acteur de proximité de la sécurité et constitue souvent dans de nombreuses communes le service public de proximité le plus accessible après la mairie, ainsi qu’un repère très important pour nos concitoyens. Il s’agit donc là de notre première contribution à la notion de défense globale, pour capter les signaux faibles et identifier les menaces.
Notre deuxième atout, notre deuxième contribution, réside dans notre capacité de mobilisation et de montée en puissance grâce au casernement. En effet, le fait que les militaires qui servent en gendarmerie départementale ou en gendarmerie mobile soient logés en caserne les rend mobilisables à tout moment. Nous avons pu le démontrer fréquemment, récemment lors de la crise des gilets jaunes ou celle de la Covid. La gendarmerie est aujourd’hui capable de mobiliser dans des délais rapides, en moins de vingt-quatre heures, plusieurs dizaines de milliers de militaires, pour faire face à une situation d’urgence et, dans les vingt-quatre heures ou quarante-huit heures suivantes, la quasi-totalité de ses moyens. En résumé, la capacité de mobilisation rapide est fondée sur la disponibilité liée au statut militaire et sur le logement en caserne.
Le troisième point que nous nous attachons à développer porte d’une part sur les capacités de planification et de conduite des opérations ; et d’autre part le renouvellement des capacités dont nous disposions jusque dans les années 1990, pour faire face à des menaces armées, qui avaient ensuite été moins exploitées. À partir du socle existant, nous devons nous attacher à redensifier ces capacités. Je pense bien sûr au renouvellement de notre parc d’engins blindés, avec les blindés Centaure, qui nous permettent de faire face à des opérations du haut du spectre. Il convient également d’évoquer les moyens d’aéromobilité, à travers l’achat des H160 et le renouvellement de notre flotte d’hélicoptères et, d’une manière plus générale, les capacités d’optronique, de captation d’images et de renseignement.
Mais l’aspect le plus important selon moi concerne la formation, qu’il s’agisse de la formation individuelle des personnels, de la formation des cadres ou de la formation collective des unités. Nous avons ainsi réintroduit des modules liés à la maîtrise des savoir-faire élémentaires de combat pour être capables de prendre en compte des phénomènes de bas du spectre et permettre aux armées de se concentrer sur des opérations de plus grande ampleur face à un ennemi bien plus structuré ; tout en assurant un très bon maillage du territoire. La gendarmerie étant une force armée, il est possible d’engager les militaires de gendarmerie dans des opérations de combat.
Enfin, il faut mentionner le travail important d’interopérabilité avec les autres forces, et en particulier les forces armées. À ce titre, chaque année, plus de trente officiers effectuent leur scolarité à l’École de guerre. De plus, nous menons un travail de type technique avec les armées, par exemple pour identifier les réseaux radio et les PC communs. Ce travail en cours est piloté par le colonel Le Neindre, en liaison avec l’état-major interarmées pour le territoire national.
En dernier lieu, je souhaite détailler les enjeux en matière de DOT. Comme je l’ai indiqué précédemment, en raison de son statut et de la loi de 2009, la gendarmerie est une force armée et contribue à ce titre à la défense du territoire. Cette DOT n’est pas liée à un dispositif d’exception, de type état d’urgence ou état de siège ; il s’agit d’une posture permanente, à laquelle contribuent les armées et la gendarmerie. À ce titre, les gendarmeries spécialisées exercent un rôle important de protection des emprises militaires, notamment de nos bases aériennes (gendarmerie de l’air), des emprises de la marine nationale (gendarmerie maritime), des emprises de la direction générale de l’armement (DGA), du commissariat à l’énergie atomique (CEA) et de l’institut Saint-Louis (gendarmerie de l’armement).
Dans ce cadre, nous assurons la protection de ces emprises, en lien avec la gendarmerie départementale et contribuons à la gestion des entrées. Il s’agit donc d’un rôle important de posture permanente en matière de défense du territoire. La gendarmerie de sécurité de l’armement nucléaire exerce quant à elle un rôle majeur, car elle garantit l’intégrité des moyens et la capacité pour le Président de la République de pouvoir engager le feu nucléaire. De son côté, la gendarmerie départementale doit travailler en liaison étroite avec ces gendarmeries spécialisées, mais aussi avec les officiers généraux de zone de défense et de sécurité. En liaison avec l’amiral Pierre Vandier, nous nous sommes attachés à identifier les besoins de sécurisation des emprises et les besoins de renseignement autour de celles-ci.
La deuxième étape concerne la mise en œuvre de la DOT de crise. Nous allons donc devoir définir le rôle que la gendarmerie pourrait jouer dans ce domaine, en complémentarité avec les armées, en tenant compte à la fois de l’active et de la réserve. Ce travail est devant nous, puisque les schémas ont été bâtis dans les années 1980 et n’ont pas survécu à la fin de la guerre froide. La gendarmerie s’est fixée comme objectif important de participer à l’exercice Orion de 2026, qui constituera l’aboutissement du travail de doctrine sur le rôle des uns et des autres.
Enfin, je souhaite terminer ce propos liminaire en soulignant le rôle de la gendarmerie dans la construction et le renforcement de l’esprit de défense. Notre maillage constitue là aussi un atout pour contribuer aux cérémonies patriotiques, aux interventions dans les établissements scolaires, à la participation aux classes défense et sécurité globale, à la formation des cadets et des réservistes de la gendarmerie, à la participation au service national universel (SNU). La gendarmerie doit s’engager sur ces sujets, au même titre que les autres forces armées et, plus généralement, les forces de sécurité et nos amis sapeurs-pompiers.
M. le président Thomas Gassilloud. Je cède à présent la parole aux orateurs de groupe.
M. Jean-Philippe Ardouin (RE). Au nom des députés du groupe Renaissance, permettez-moi de vous remercier pour votre présentation, qui nous renseigne sur le rôle de la gendarmerie nationale en matière de défense globale. Les missions des gendarmes sont nombreuses, notamment en matière de sécurité : déplacements et sécurité routière, contact et sécurité du quotidien, lutte antidrone, prévention de la délinquance ou encore assistance et secours aux personnes en danger.
Je tiens également à rappeler que la gendarmerie bénéficie d’un maillage et d’un ancrage territorial forts, renforcés par les mesures que nous avons adoptées sous l’impulsion du Président de la République, dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur pour la période 2023-2027. Je pense notamment à l’investissement historique de 15 milliards d’euros visant à doubler la présence des forces de gendarmerie sur le terrain d’ici à 2030, pour renforcer la proximité entre les forces de l’ordre et nos concitoyens, favorisant ainsi une meilleure prévention et une meilleure réactivité face aux situations de danger ou d’urgence. Je pense également au programme réseau radio du futur et les nouvelles caméras piétons généralisées actuellement en phase de test dans deux départements pilotes, la Loire et les Bouches-du-Rhône, et qui devraient être opérationnelles pour les Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Il contribuera à améliorer l’efficacité et la sécurité des interventions des gendarmes sur le terrain.
Aussi, je voudrais aborder un point qui me semble essentiel pour les mois à venir. Aux mois de juillet et d’août prochain, la France aura l’honneur d’accueillir les Jeux olympiques et paralympiques et sera par conséquent au centre de toutes les attentions, attirant ainsi plus de 4 milliards de téléspectateurs à travers le monde. Cet événement planétaire exigera une présence accrue de la gendarmerie nationale, aux côtés des autres forces de sécurité chargées non seulement d’assurer la sécurité directe de cette célébration majeure, mais également de relever les défis sécuritaires du quotidien, afin de protéger nos concitoyens ainsi que les millions de visiteurs internationaux.
Au-delà de cet événement, qui sera à n’en pas douter aussi très festif, nos gendarmes seront confrontés à nos nombreux défis susceptibles d’être générateurs de menaces diverses et concomitantes. Je pense évidemment aux cybermenaces et à la violence du quotidien pouvant surgir n’importe où et n’importe quand, dans nos rues, nos métros, nos stades, nos parcs. Comme l’a rappelé le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, le chantier de la sécurité est immense et s’étalera sur quatre mois. Aussi, pourriez-vous nous préciser les mesures qui sont mises en place pour anticiper et contrer ces éventuelles menaces et assurer cette sécurité des Jeux ?
M. le général de corps d’armée André Petillot. La gendarmerie nationale connaîtra effectivement à l’occasion des Jeux olympiques et paralympiques une très forte mobilisation, inédite par sa durée et par son ampleur, qui vise à la fois à contribuer à la manœuvre sur la plaque parisienne en appui du préfet de police, avec la mobilisation de l’ensemble des capacités, d’abord de la gendarmerie mobile, mais aussi d’unités de gendarmerie départementale et toutes les capacités spécialisées (lutte antidrone, équipes cynophiles). Cette contribution s’étalera dans le temps, avec une montée en puissance dès la fin du mois de juin et jusque jusqu’à la mi-septembre, avec des pics d’activité qui exigeront une mobilisation exceptionnelle pour sécuriser la cérémonie d’ouverture et les épreuves sur route (marathon, courses cyclistes).
Cependant, nous serons également sollicités sur d’autres événements majeurs sur cette période, comme la commémoration du débarquement de Normandie le 6 juin et la venue de très nombreuses délégations étrangères de très haut niveau ; le championnat d’Europe de football qui se déroulera en Allemagne mais sera extrêmement suivi en France, à travers des fan zones et d’autres événements festifs. Il convient d’ajouter naturellement le Tour de France, des festivals divers et variés et l’accueil massif de touristes. Il nous faudra donc concentrer des effectifs importants à Paris, tout en maintenant notre capacité à gérer d’autres événements sur les territoires. En, conséquence, il n’y aura aucun congé entre le 24 juillet et le 11 août, des congés réduits entre le 15 juin et la mi-septembre, ainsi qu’une forte mobilisation de nos réservistes. Dès lors, il est nécessaire de poursuivre la montée en puissance de la réserve opérationnelle.
La génération des forces se poursuit en dépit de quelques incertitudes légitimes puisque les modalités de tous les événements ne sont pas totalement stabilisées. Cependant, globalement, nous sommes en ordre de bataille pour répondre à ces besoins avec, entre autres, une attention toute particulière portée à la cybersécurité.
M. Frank Giletti (RN). Au nom de mon groupe, mais aussi au nom de tous les Français, je vous témoigne de ma reconnaissance pour le dévouement des hommes et des femmes qui, chaque jour, œuvrent dans les conditions souvent difficiles à la sécurité de nos concitoyens. La gendarmerie est un modèle de disponibilité, de jour comme de nuit, jusque dans nos territoires les plus reculés, faisant parfois figure du dernier service public implanté en ces lieux, et nous vous en remercions infiniment.
Afin que la gendarmerie puisse continuer à assumer ses missions dans les meilleures conditions, il est impératif d’entretenir son parc de logements, lequel représente, nous le savons, une part importante de votre budget et qui, parfois, laisse franchement à désirer. De même, l’un des systèmes d’armes du gendarme est son véhicule, de même que sa capacité à se déplacer pour réagir aux événements, pour mener des avances rapides ou tout simplement patrouiller, quelles que soient les conditions météorologiques. Le plan de modernisation de votre flotte de véhicules a certes rajeuni le parc, mais également induit une augmentation des coûts de réparation, de maintien en condition opérationnelle. Alors que les Jeux olympiques se profilent et que le besoin en véhicules sera important partout en France, nous pouvons imaginer que ces opérations constitueront des dépenses conséquentes, alors que même que vous avez subi un gel budgétaire de centaines millions d’euros.
Mais puisque nous abordons la question plus spécifique de la défense globale, la remise en cause de la fonction duale de la gendarmerie m’interroge plus particulièrement. Déjà en 2019, la loi relative à la gendarmerie nationale a organisé le rattachement organique et opérationnel de cette dernière au ministère de l’intérieur, précisant toutefois que la gendarmerie continuait de relever du ministère de la défense lorsqu’elle participe à des opérations extérieures au territoire national. En effet, par son statut militaire, la gendarmerie est un modèle de rusticité et de résilience et se montre capable de mener ses missions respectant l’ensemble du spectre paix-crise-guerre, en accompagnant les forces armées, ce qui la distingue des missions assurées par nos forces de sécurité intérieure.
Dans le cadre de la défense globale et du renforcement de ses capacités, comment envisagez-vous le présent et surtout l’avenir, afin que la gendarmerie continue de conserver ce qui fait sa spécificité militaire ? Avez-vous identifié des risques particuliers et, si oui, comment anticipez-vous de les résoudre ?
M. le général de corps d’armée André Petillot. Votre vaste question me fournit l’occasion de rappeler que la gendarmerie contribue aussi aux opérations extérieures, à travers la prévôté qui est systématiquement projetée en appui de nos armées, mais aussi par la contribution à de nombreuses missions de maintien de la paix, sous l’égide des Nations unies ou de l’Union européenne. Nous devons également continuer à développer notre action en matière de coopération de sécurité et de défense avec la direction de la coopération de sécurité et de défense, notamment vis-à-vis des pays africains. En effet, si nous sommes concurrencés ou mis en difficulté dans certaines zones du continent, nous conservons cependant des relations extrêmement solides avec d’autres pays.
Ensuite, la loi de 2009 rattache la gendarmerie au ministère de l’intérieur et rappelle qu’elle participe à la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la nation, en tant que force armée. Le fondement juridique existe donc bien ; il nous revient ensuite d’en tirer les conséquences concrètes en matière d’organisation, de formation, d’emploi des unités. Chaque nouveau gendarme se voit rappeler qu’en s’engageant dans la gendarmerie, il participe à une force armée qui peut impliquer la possibilité d’être engagé au feu. Il n’y a pas de droit de retrait, c’est une fonction publique militaire.
Sous l’impulsion du directeur général, nous nous attachons à rappeler depuis de nombreux mois cette singularité, notamment en densifiant la formation initiale des officiers et sous-officiers, mais aussi dans la formation complémentaire, en portant un effort particulier sur la gendarmerie mobile (GM), dont les caractéristiques la prédisposent à de telles missions. Je rappelle que jusqu’en 2011, la GM était engagée de manière significative en Afghanistan, à travers deux escadrons et des éléments d’encadrement des forces afghanes. Préalablement, nous avions également engagé un dispositif important en Côte d’Ivoire.
M. le président Thomas Gassilloud. Mes chers collègues, j’attire également votre attention sur le rôle de la gendarmerie dans les outre-mer, notamment pour résister à certaines opérations du fait accompli qui pourraient voir le jour dans les années à venir.
M. Frédéric Mathieu (LFI-NUPES). Mon général, je vous remercie pour votre propos liminaire. Je précise que le maillage territorial ne fait pas tout, la proximité humaine est également essentielle en matière de service public. Concrètement, peu de services de l’État peuvent se targuer d’avoir cette maille géographique tout en assurant un contact quotidien avec les élus locaux. Il s’agit là d’un atout précieux qu’il faut souligner et savoir conserver.
Ensuite, s’agissant de la problématique qui nous occupe aujourd’hui, je dois vous faire part d’une préoccupation sur la résilience de nos territoires en termes de cybersécurité. En compagnie de ma collègue Anne Le Hénanff, nous avons produit un rapport sur les défis de la cyberdéfense. À cette occasion, nous avons identifié une très grande disparité entre les collectivités territoriales de différentes tailles et leurs établissements publics, en ce qui concerne la cybersécurité. Globalement, les plus petits sont un peu plus exposés parce qu’ils ne se rendent pas compte qu’ils peuvent être des cibles et que par ailleurs, ils ne disposent pas forcément des moyens pour une mise à niveau minimale.
Dans ce cadre, ne serait-il pas envisageable de s’appuyer à la fois sur cette proximité de la gendarmerie et ce lien de confiance avec les élus et décideurs locaux, mais aussi sur l’expertise du commandement du ministère de l’intérieur dans le cyberespace, pour favoriser cette mise à niveau et cette résilience en matière de cybersécurité de nos territoires ? Le truchement ne pourrait-il pas être opéré par la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale, notamment en renforçant les effectifs cyber de cette dernière ?
À ce sujet, vous n’avez pas eu le temps, lors de votre propos liminaire, de parler de la réserve. Pouvez-vous l’évoquer un peu plus longuement ? Il me semble que ce système se porte plutôt bien, demeure attractif et bien intégré dans le modèle de la gendarmerie.
M. le général de corps d’armée André Petillot. Nous avons pour objectif cible d’atteindre 50 000 réservistes opérationnels en 2027, contre 33 000 à la fin de l’année 2023, ce qui implique à la fois de recruter et de fidéliser les réservistes actuels. Il nous faut également assurer un équilibre entre les anciens de la maison qui continuent à servir (25 %) et les jeunes que nous recrutons dans le monde civil (75 %).
La montée en puissance de la réserve est en cours et se fonde traditionnellement sur un emploi de proximité, ce qui constitue une force. À présent, l’enjeu consiste à passer également à un emploi en unité constituée, par exemple pour les Jeux olympiques et paralympiques, à travers la projection de détachements de réservistes au complet pendant plusieurs jours, assez loin de chez eux. Nous opérons déjà de la sorte dans le cadre du traité de Sandhurst avec la Grande-Bretagne, pour lutter contre les trafics d’êtres humains dans le nord de la France, compte tenu des flux migratoires extrêmement importants qui cherchent à rejoindre le Royaume-Uni.
S’agissant de la cybersécurité, le recours à des réservistes s’opère déjà, mais de manière ponctuelle, en fonction des compétences des intéressés. La contribution, dans les territoires de la gendarmerie, au renforcement de la cybersécurité est déjà développée, à travers les diagnostics cyber réalisés dans l’ensemble des territoires au profit de l’ensemble des acteurs, les collectivités territoriales, mais aussi des PME, des associations, des petits commerçants ou des clubs de sport.
Dans le haut du spectre, il me faut mentionner les gendarmes NTECH (enquêteurs en nouvelles technologies numériques), spécialistes en lutte contre les cybercriminalités ; mais nous avons également développé un réseau de C-NTECH dans les brigades territoriales, c’est-à-dire des correspondants en technologie numérique, pour appuyer l’ensemble des acteurs qui le demandent. Nous menons ce travail en lien avec l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), mais aussi les régions. L’objectif consiste à disposer d’un maillage d’entreprises suffisamment robustes et certifiées en quelque sorte, pour pouvoir intervenir efficacement de manière préventive et corrective.
Ce travail se développera à l’avenir grâce à l’augmentation du nombre de militaires formés dans ce domaine et il peut s’appuyer sur des réservistes, même si nous ne pouvons pas bâtir le système sur un recours systématique à la réserve. Nos réservistes cyber sont également sollicités pour nourrir la réflexion concernant l’évolution de nos dispositifs.
Mme Alexandra Martin (LR). Au nom des Républicains, je tiens à saluer l’ensemble de nos forces de gendarmerie qui réalisent un travail exceptionnel sur l’ensemble du territoire, très apprécié de nos concitoyens.
L’un de vos objectifs consiste à porter le nombre de réservistes de la gendarmerie à 50 000 en 2027, soit presque un doublement des effectifs d’ici trois ans. Comment comptez-vous relever ce défi ? Le relèvement de l’âge de 65 ans à 70 ans voire 72 ans pour certaines spécialités peut-il être une réponse, alors qu’une carrière quasiment complète dans la gendarmerie laisse des traces physiques et psychologiques ? Surtout, comment comptez-vous renforcer l’attractivité de la gendarmerie auprès des jeunes ? J’ai eu l’occasion de suivre des classes défense et des cadets de la gendarmerie. Ce dispositif exceptionnel repose encore beaucoup sur le volontariat et l’implication des gendarmes réservistes. Une meilleure harmonisation de ce système sur l’ensemble du territoire est-elle envisageable ?
J’ajoute avoir déposé aussi une proposition de résolution, afin que chaque élève puisse, au collège et au lycée, avoir accès en option à une classe défense, dans la mesure où ce dispositif me semble également vraiment très intéressant. Comment comptez-vous rallier des jeunes, afin qu’ils puissent éventuellement rejoindre par la suite les rangs de la réserve, voire de la gendarmerie ?
M. le général de corps d’armée André Petillot. Notre défi actuel ne consiste pas tant à générer du volontariat – les candidats à la réserve opérationnelle sont nombreux – que d’être capables de lever les goulots d’étranglement dans notre dispositif. Ils portent notamment sur les critères physiques, afin d’assouplir les conditions en fonction des missions qui seront confiées à ces réservistes. Par exemple, un réserviste spécialisé dans le domaine cyber n’a pas nécessairement besoin de disposer d’aptitudes physiques équivalentes à celle d’un gendarme de terrain. De la même manière, nous devons réduire des délais d’attente parfois élevés avant de pouvoir passer une visite médicale, qui démotivent parfois certains candidats.
En résumé, notre défi consiste surtout à adapter notre capacité de formation à la demande, tant les volontaires, des plus jeunes aux plus âgés, sont nombreux. Le besoin d’engagement est extrêmement répandu dans notre société et nous devons être en mesure d’y répondre, en étant capable de recruter et de former, grâce à la nécessaire modernisation de notre gestion des ressources humaines des réservistes. Il nous faut fluidifier les process et accélérer le traitement des dossiers.
Cependant, je suis d’accord avec vous : plus nous serons capables d’accueillir de jeunes dans le dispositif des cadets, qui repose aujourd’hui sur du volontariat et du bénévolat et plus nous pourrons intervenir dans les établissements scolaires à travers les stages ; plus nous pourrons toucher des jeunes qui ne sont pas naturellement au contact de la gendarmerie. Cela permettra d’élargir le champ de nos recrutements, en sachant que nous recrutons par ailleurs un grand nombre de nos sous-officiers parmi les réservistes.
En résumé, un de nos défis majeurs consiste bien à être au rendez-vous de ces 50 000 réservistes, ce qui implique un travail d’organisation et de simplification de process, en lien avec le service de santé. Nous y travaillons beaucoup et je ne suis pas inquiet sur notre capacité à relever ce défi.
M. Jean-Pierre Cubertafon (Dem). J’ai l’honneur, depuis 2022, d’avoir été nommé rapporteur pour avis du budget de la gendarmerie nationale. Je suis très heureux, au nom du groupe Démocrate, de vous accueillir aujourd’hui et salue notre président Gassilloud, qui s’engage pleinement dans le travail autour du principe de la défense globale dans un contexte mondial et géopolitique de plus en plus tendu.
Si la coordination interministérielle porte un rôle essentiel, la défense est aujourd’hui un terme qui se rapporte plus souvent aux ministères des armées et de l’intérieur. Mon général, considérez-vous que le travail interministériel, ou du moins entre les différents services qui composent les ministères des armées et de l’intérieur soit suffisant et permettent une optimisation de garantie de sécurité de nos concitoyens ?
Dans les considérations autour des principes de défense globale, je pense naturellement à la jeunesse, la citoyenneté, et l’importance de leur implication. Mon général, pourriez-vous revenir sur le principe des classes de défense qui permettent de lier l’éducation nationale et la gendarmerie et nous expliquer leur rôle ?
M. le colonel Jean-Christophe Le Neindre, chargé de mission au sein de la direction des opérations et de l’emploi de la gendarmerie. Nous attachons une grande importance à la coordination et la complémentarité avec les forces armées, notamment en raison de notre statut militaire. Nous travaillons notamment avec l’état-major interarmées pour le territoire national et le commandement pour l’armée de terre sur le territoire national, afin de pouvoir progresser dans le traitement des sujets en commun, à la fois dans un cadre national classique, mais également sur des modalités de défense opérationnelle du territoire.
En la matière, nous réfléchissons à la répartition missionnelle entre la gendarmerie et les armées, mais également à la répartition de nos capacités. En effet, à un moment donné, il s’agira de pouvoir arbitrer fondamentalement sur l’engagement de nos effectifs et de certaines capacités rares sur le territoire national, en sachant que certaines pourraient être gagées, sur un territoire étranger, en opérations extérieures.
Enfin, au-delà de l’état-major interarmées, nous disposons bien évidemment de contacts avec d’autres entités du ministère des armées. Ces réflexions progressent vite et bien.
M. le général de corps d’armée André Petillot. J’ajoute que nous sommes également associés aux travaux effectués par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), sous l’autorité du préfet Bouillon.
M. Xavier Batut (HOR). Je voudrais tout d’abord, au nom du groupe Horizon et apparentés, vous remercier pour votre disponibilité et vos propos liminaires ce matin. J’en profite également pour saluer l’ensemble de nos gendarmes assurant la sécurité de nos concitoyens, sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
La résistance à l’invasion russe en Ukraine nous a rappelé que l’engagement citoyen est essentiel pour la résilience d’une nation. Cet engagement peut prendre plusieurs formes. En France, les réserves permettent à chacun de s’engager pour la défense et la sécurité de la nation, dans les armées ou dans la gendarmerie. La loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur prévoit, dans son rapport annexé, une augmentation de 30 000 à 50 000 réservistes sur cinq ans. Pouvez-vous nous faire un bilan de l’action de la gendarmerie pour favoriser cette montée en puissance de la réserve ? Quelles passerelles ont été créées avec les autres réserves et quel sera le rôle des réservistes vis-à-vis du service national universel ?
La gendarmerie nationale joue également un rôle central pour la cyberdéfense, Disposant d’un commandement dans le cyberespace, le COMCyberGEND. Les cybermenaces constituent un danger majeur pour notre souveraineté. Alors que les attaques ciblent souvent des services publics, des hôpitaux, mais aussi des citoyens qui doivent redoubler d’efforts pour protéger leurs données sensibles, nous touchons ici le cœur de la défense globale. En effet, nombre des gestes les plus protecteurs contre les cybermenaces doivent être adoptés au niveau individuel par le citoyen, dans la gestion de ses mots de passe, la doublure de l’identification, la vérification visuelle des messages et des liens suspects. Comment la gendarmerie participe-t-elle à la formation des citoyens sur ces questions ?
M. le général de corps d’armée André Petillot. J’ai déjà abordé un peu plus tôt la question de la réserve.
Ensuite, depuis le mois de décembre, le commandement cyber du ministère de l’intérieur (ComCyberMi) est venu finalement unifier un paysage jusque-là un peu éclaté en matière de lutte contre les cybermenaces. Nous disposons à la fois des outils de police judiciaire, notamment l’Office anti-cybercriminalité (Ofac), qui relève de la direction générale de la police nationale, en sachant que la préfecture de police, la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et la gendarmerie ont conservé des structures pour lutter contre les cybermenaces. Cependant, le ComCyberMi recouvre une vocation plus large d’évaluation de la menace pour le ministère de l’intérieur, de formation des personnels et de relation avec l’ensemble des acteurs, pour contribuer à mieux sensibiliser les citoyens, les entreprises et les collectivités.
Pour autant, le volet technologique est également essentiel pour mettre hors d’état de nuire les attaquants les plus aguerris. À cet égard, il importe de développer des outils techniques et des capacités humaines de pointe, que le ComCyberMi a vocation de mettre à disposition de l’ensemble des services. Récemment, en liaison avec d’autres services, européens et américains, nous avons démantelé un des principaux groupes de rançongiciel, LockBit, notamment grâce à la compétence technique de nos personnels. En outre, nous avons pu saisir des cryptoactifs pour un montant de 70 millions d’euros sur une plateforme qui hébergerait justement les rançons payées par les victimes des cyberattaques.
M. Yannick Favennec-Bécot (LIOT). Je tiens moi aussi à adresser, au nom de mon groupe, une reconnaissance sincère et appuyée à tous nos gendarmes pour leur action quotidienne dans nos territoires. Je le vois chaque jour dans ma circonscription de la Mayenne, qui est totalement en zone de gendarmerie. La gendarmerie nationale constitue un atout central si nous voulons revenir à une défense globale efficace dans ce contexte marqué par le retour d’une crainte de conflits à haute intensité. L’État a en effet tout intérêt à se saisir de cet atout.
Mais nous ne partons pas d’une feuille blanche. Nous avons déjà entamé un effort pour donner un nouvel élan à notre gendarmerie. Je pense par exemple au déploiement des nouvelles brigades, même si je regrette que dans mon cher département, une seule ait été créée au lieu des deux qui avaient été promises par le Président de la République. Je pense également à la densification du maillage territorial et au renouvellement des équipements. Ces investissements constituent l’occasion de repenser notre capacité de réaction en cas de menace d’ampleur.
En cas de conflit de haute intensité, les armées seraient mobilisées et devraient prioriser certaines missions vitales au détriment d’autres. Dans ce cadre, les gendarmes peuvent et doivent jouer un rôle dans notre effort de défense globale, pour identifier et assurer la couverture des angles morts et venir en soutien dans les territoires. Ma première question porte sur cet ancrage territorial. Nous avons la chance de disposer de gendarmes qui connaissent très bien nos territoires. Pourrions-nous utiliser cette proximité pour décliner localement notre réaction en cas de conflit à haute intensité, c’est-à-dire faire du « sur-mesure » pour s’adapter aux besoins vitaux de sûreté, compte tenu des vulnérabilités de chaque territoire ?
Ma deuxième question concerne l’interopérabilité entre l’armée de terre et la gendarmerie. Il existe de facto une proximité en raison du statut, mais elle gagnerait à être renforcée, a minima pour favoriser un échange de savoir-faire. Organisez-vous des exercices militaires en commun, et dans quelle mesure la gendarmerie est-elle associée aux préparations des armées ?
M. le général de corps d’armée André Petillot. Je vous réponds par l’affirmative. Nous avons déjà la chance d’accueillir dans nos rangs des officiers de l’armée de terre depuis deux ans, au sein du commandement des écoles de la gendarmerie et au sein de structures de formation, de manière à établir les programmes sur les formations spécifiques au combat. En retour, les armées nous demandent également des formations spécifiques. En résumé, ces échanges sont réguliers, permanents.
Nous avions réalisé des exercices conjoints il y a quelques années, notamment tournées vers le « post attentat ». Désormais, nous nous inscrivons plutôt dans le cadre général de l’exercice Orion, qui sera décliné à la fois par force et par territoire. Cette capacité conjointe nous permettra de travailler à la fois sur le terrain l’interopérabilité opérationnelle, mais aussi l’interopérabilité stratégique et le lien au niveau des zones de défense.
M. le président Thomas Gassilloud. Je cède à présent la parole aux députés à titre individuel.
M. Christian Girard (RN). Je souhaite vous interroger sur la défense opérationnelle du territoire. Il y a quatre mois, le directeur général de la gendarmerie nationale a déclaré dans une interview que la gendarmerie menait avec l’état-major des armées une réflexion commune pour rénover la défense opérationnelle du territoire, afin de mieux protéger le territoire, les frontières et les points sensibles. Pouvez-vous nous donner des nouvelles de cette réflexion et quels sont les axes de rénovation que vous envisagez ? Par ailleurs, comptez-vous faire évoluer ce concept au regard des menaces nouvelles, telles que les graves émeutes que notre pays a connues l’été dernier ? La DOT a-t-elle vocation à répondre à ce type de séquence, que nous pourrions aisément qualifier de menaces hybrides ?
M. Vincent Bru (Dem). Ma première question porte sur l’ancrage territorial à travers le problème des brigades mobiles. En juillet 2022, le général Rodriguez l’avait présenté de manière très imagée : « Nous allons voir des gendarmes partir dans des bouts de France où l’on ne va jamais, dormir au besoin chez l’habitant, dans des gîtes. C’est un modèle radicalement différent ». Au-delà de cette formule, où en est le déploiement de ces brigades mobiles et quelles perspectives se dessinent pour le rapprochement entre les gendarmes et nos habitants ?
Ma circonscription, que vous connaissez bien, est une circonscription frontalière franco-espagnole, dans laquelle se déploient trafics et contrebandes. Or pour lutter contre ceux-ci, des actions interministérielles combinant la douane et la gendarmerie sont nécessaires, à l’instar de l’opération Colbert de juin 2023. Quelles perspectives pourriez-vous nous donner de l’action de la gendarmerie et des douanes dans la lutte contre la contrebande et les trafics ?
Mme Gisèle Lelouis (RN). Mon général, je tiens à vous remercier pour votre présence et pour les informations que vous nous avez apportées. En tant qu’adjoint au directeur général de la gendarmerie nationale, vous avez une connaissance précise de l’état et des évolutions de la gendarmerie, non seulement à travers votre poste actuel, mais aussi grâce à votre expérience très riche, qui force le respect.
Vous vous souvenez donc sans doute lorsque la ministre des armées d’alors, Mme Florence Parly, avait mis à l’honneur l’impression additive en 2020 pour l’industrie de défense et ses matériels. Comment voyez-vous cette évolution en faveur de la gendarmerie, mais aussi en tant que défi, notamment à la veille des Jeux olympiques ? Récemment, dans ma ville de Marseille, le Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) a appréhendé des individus à la tête d’un important marché d’armes en 3D.
M. le général de corps d’armée André Petillot. Nous travaillons de manière régulière avec la direction générale des douanes et droits indirects (DGDI), chacun en fonction de ses prérogatives. Ce travail complémentaire concerne évidemment le trafic de tabac et de stupéfiants, la contrebande. Vous avez également mentionné les opérations interministérielles d’ampleur, et nous avons été saisis récemment par la DGDI pour une opération Colbert renouvelée. Le sujet des frontières, des trafics et de la traite des êtres humains demeure un enjeu majeur.
L’année 2024 verra la création de quatre-vingts nouvelles brigades (dont cinquante-deux seront des brigades mobiles) sur les 239 qui doivent être créées. Les brigades mobiles doivent apporter une plus-value de présence sur la voie publique, sans remplacer le travail de la brigade fixe. L’adaptation devra se faire en tenant compte de la configuration de chaque territoire. Dans les circonscriptions extrêmement étendues, une logique d’itinérance pourra être adoptée ; mais il existera également des brigades mobiles à vocation plus thématique, par exemple sur la protection de l’environnement ou des problèmes de sécurité spécifiques. Actuellement, un travail intervient dans chaque département pour adapter le modèle aux spécificités, mais le modèle fondamental consiste à faire en sorte que ces brigades ne soient pas accaparées par les tâches administratives, ni fixées sur un casernement, mais bien tournées vers l’occupation du terrain et le contact avec la population.
Le développement des capacités de l’impression 3D s’intègre plus largement dans l’ensemble des menaces technologiques. Nous faisons face à une explosion de nouvelles technologies qui sont toutes utilisées pour un usage criminel, notamment en lien avec l’absence de cadre juridique, lequel est bien plus long à se mettre en place, induisant des phénomènes d’asymétrie. Nous suivons néanmoins de très près le sujet de l’impression 3D des armes, en sachant qu’une partie de celles-ci doit néanmoins être importée.
Ensuite, en matière de DOT, le colonel Le Neindre a bien souligné que le travail n’était pas encore complètement abouti. Dans les années 1980, nous raisonnions selon la logique de points d’importance vitale, qui étaient au préalable des points physiques. Désormais, la logique de réseaux est venue se substituer, les réseaux internet en étant la meilleure des illustrations. Le numérique constitue aujourd’hui l’épine dorsale de tous nos systèmes, dont la remise en cause serait de nature à interrompre le fonctionnement.
Le sujet des émeutes, aussi violentes soient-elles, demeure une question d’ordre public. Selon moi, la crise a connu des développements graves, mais a été réglée en une dizaine de jours. En l’espèce, la capacité de mobilisation, notamment celle de la gendarmerie, a constitué un élément déterminant de son règlement. Je rappelle également qu’un très grand travail d’enquête judiciaire a été effectué par la police nationale et la gendarmerie, pour identifier et appréhender les émeutiers. Plusieurs centaines d’individus ont été condamnés, souvent lourdement. Depuis cet épisode extrêmement difficile pour le pays, le niveau global de ces manifestations a fortement baissé.
M. le président Thomas Gassilloud. Mon général, pour conclure cette audition, je souhaite vous interroger sur le concept de continuum entre la sécurité et la défense, qui date de 2013, à l’époque où la lutte antiterroriste concentrait toutes les attentions. Je m’interroge souvent sur la pertinence de ce concept, compte tenu des discontinuités fortes qui existent entre la sécurité et la défense : discontinuité éthique, discontinuité d’objectifs, discontinuité juridique. Puisque vous êtes à la charnière entre les forces civiles et les forces de défense, comment appréciez-vous les intérêts et les limites de ce concept de continuum entre la sécurité et la défense ?
M. le général de corps d’armée André Petillot. Ce concept me semble absolument essentiel. Le texte fondateur, l’ordonnance du 7 janvier 1959, précise bien que « La défense a pour objet d’assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d’agression, la sécurité et l’intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population ». Ce concept de défense globale n’est donc pas nouveau, mais revisité à l’aune de la résurgence de menaces étatiques extérieures.
Ensuite, la discontinuité dans nos réflexions, dans nos organisations et parfois dans le cadre juridique, entre défense civile et défense militaire, constitue une forte vulnérabilité, sur laquelle nous devons travailler. De fait, la stratégie de nos compétiteurs consiste justement à évoluer en permanence dans cette zone de flou. La Russie a ainsi établi le « modèle » en 2014, en se situant toujours juste en dessous du seuil.
À ce titre, la gendarmerie doit jouer un rôle majeur : ayant un pied dans chaque monde, elle assure cette continuité, à condition de s’organiser et de pas être isolée dans le silo des forces de sécurité intérieure, quand le silo des armées en constituerait un autre. Tel est le sens de notre travail, mais aussi celui du SGDSN, dans le cadre du chantier de la stratégie nationale de résilience.
M. le président Thomas Gassilloud. Je vous remercie pour votre intervention très complète et très claire, qui me fournit également l’occasion de saluer l’ensemble des gendarmes qui œuvrent pour notre sécurité sur le territoire national.
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La séance est levée à douze heures cinquante et une.
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Membres présents ou excusés
Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Xavier Batut, M. Mounir Belhamiti, M. Denis Bernaert, M. Pierrick Berteloot, M. Christophe Blanchet, M. Frédéric Boccaletti, M. Vincent Bru, M. François Cormier-Bouligeon, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Geneviève Darrieussecq, M. Olivier Dussopt, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Emmanuel Fernandes, M. Thomas Gassilloud, M. Frank Giletti, M. Christian Girard, M. José Gonzalez, M. Pierre Henriet, M. Jean-Michel Jacques, Mme Gisèle Lelouis, Mme Patricia Lemoine, Mme Murielle Lepvraud, Mme Alexandra Martin (Alpes-Maritimes), M. Frédéric Mathieu, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, M. Christophe Naegelen, Mme Josy Poueyto, M. Aurélien Saintoul, M. Nicolas Thierry, Mme Corinne Vignon
Excusés. - M. Julien Bayou, M. Christophe Bex, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Steve Chailloux, M. Jean-Marie Fiévet, M. Sylvain Maillard, M. Olivier Marleix, Mme Pascale Martin, Mme Danièle Obono, Mme Valérie Rabault, M. Fabien Roussel, M. Lionel Royer-Perreaut, Mme Isabelle Santiago, M. Mikaele Seo, Mme Sabine Thillaye