Compte rendu
Commission d’enquête
sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire
– Audition avec des agences de l’eau sur la problématique de la sanctuarisation des zones de captages 2
– Audition de M. Benoît Vallet, directeur général de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), accompagné de Mme Jovana Deravel, chargée de mission auprès de la directrice du pôle Produits réglementés de l’ANSES 20
– Présences en réunion................................39
Jeudi
26 octobre 2023
Séance de 9 heures
Compte rendu n° 23
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Frédéric Descrozaille,
Président de la commission
— 1 —
Jeudi 26 octobre 2023
La séance est ouverte à neuf heures.
(Présidence de M. Frédéric Descrozaille, président de la commission)
————
La commission entend lors de son audition avec des agences de l’eau sur la problématique de la sanctuarisation des zones de captages :
M. le président Frédéric Descrozaille. Nous allons consacrer la première partie de nos travaux de ce jour à des enjeux liés aux agences de l’eau. Je remercie monsieur Guillaume Choisy, directeur général de l’agence de l’eau Adour-Garonne, d’être présent parmi nous. Messieurs Thierry Vatin et Marc Hoeltzel, directeurs généraux des agences de l’eau Artois-Picardie et Rhin-Meuse, sont également avec nous par visioconférence.
Je précise que nous avons déjà auditionné des agences de l’eau, ce sont des institutions au centre de cette commission d’enquête, focalisée sur la réduction de l’impact et des usages des produits phytopharmaceutiques. Vous êtes au carrefour de tous les enjeux de transformation de l’agriculture. Nous allons plus particulièrement essayer de comprendre aujourd’hui ce qu’il s’agirait de faire évoluer dans la réglementation autour de la question des captages pour l’alimentation en eau potable.
Nous vous demanderons de refaire le point sur la question des périmètres parce qu’il est important d’avoir des connaissances précises sur ce sujet. Nous nous interrogeons sur l’opportunité de faire évoluer les leviers réglementaires dont vous pouvez disposer pour agir sur cette question de la protection des captages.
Avant de vous céder la parole, je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse, qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et que vous êtes tenus de prêter serment. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure ».
(M. Marc Hoeltzel, M. Thierry Vatin et M. Guillaume Choisy prêtent serment.)
M. Marc Hoeltzel, directeur général de l’agence de l’eau Rhin-Meuse. S’agissant des captages, nous cherchons à développer une protection préventive, dans un périmètre qui est en réalité entendu plus largement que les périmètres de protection réglementaire – constitués des périmètres de protection immédiate, rapprochée et éloignée.
Je pense que notre premier axe d’intervention est commun à l’ensemble des agences de l’eau. Nous développons des plans d’action sous l’égide des collectivités, qui sont au centre du jeu, en ce qu’elles ont la responsabilité de la protection et de la gestion de leurs captages. Il s’agit de faire en sorte qu’elles puissent être dotées de moyens d’animation afin d’aller au-devant des acteurs agricoles et de mettre en place des changements de pratiques pour garantir la protection préventive des captages. C’est un premier volet purement incitatif. Nous accompagnons par ailleurs les acteurs agricoles dans les changements de pratiques.
Ensuite, il y a l’acte réglementaire de mise en place des protections des périmètres de captage. Nous accompagnons la mise en place réglementaire, qui pèse sur la maîtrise d’ouvrage de la collectivité. Des études doivent être réalisées et nous nous occupons de leur financement. Une fois la procédure engagée, elle relève des services déconcentrés de l’État.
Sur ce point, nous rencontrons souvent des difficultés avec les collègues de l’Agence régionale de santé (ARS) pour nous accorder sur la notion de risque qui pèse sur un périmètre de captage. L’ARS considère que les périmètres réglementaires concernent les pollutions accidentelles, et pas forcément ce qu’on entend en termes de pollution diffuse agricole. Aujourd’hui, les niveaux de prescription dans les arrêtés de déclaration d’utilité publique (DUP) sont à mon sens insuffisants pour garantir la protection préventive des captages.
Vous souhaitez également nous entendre sur les questions de droit de propriété. Je précise que le périmètre immédiat doit être sous la propriété complète de la collectivité qui a la gestion du captage. Par ailleurs, au-delà de l’animation sur le captage et de l’incitation aux changements de pratiques agricoles, nous développons avec les collectivités des actions dans le domaine du foncier.
Pour cela, nous mettons en œuvre trois leviers, qui ne sont pas très massifs pour nous sur le plan financier : cela représente environ 1 % du budget consacré aux pollutions diffuses agricoles. En revanche, c’est extrêmement important pour reconquérir les captages d’eau potable.
Nous utilisons des baux ruraux environnementaux sous l’égide de la collectivité. Nous accompagnons également les collectivités dans l’achat de parcelles sur le périmètre d’alimentation en eau potable, notamment pour permettre des échanges fonciers. Une parcelle donnée à la suite d’un échange peut ainsi être remise en herbe sur un périmètre de captage.
Par ailleurs, nous pratiquons des obligations réelles environnementales (ORE). Même s’il reste incitatif, c’est à notre sens un outil extrêmement intéressant. Cela ne constitue pas un transfert de propriété à proprement parler. C’est intéressant dans le sens où la collectivité recouvre la maîtrise de la parcelle en question, avec l’engagement d’un bail de très longue durée : entre vingt et soixante ans. Les ORE incluent des actions prescriptives en termes de nature des cultures. Cela permet d’avoir une protection active à long terme sur le périmètre de captage. Ce dispositif se développe de plus en plus avec les collectivités ; il répond à un frein qu’on rencontre souvent dans le monde agricole : la maîtrise du foncier. Je pense qu’une incitation fiscale pourrait être pensée afin que les collectivités utilisent cet outil plus naturellement.
Enfin, il y a un dernier volet que nous n’utilisons pas du tout, mais sur lequel nous aimerions progresser au cours des années à venir. Il s’agit du droit de préemption dans les périmètres d’alimentation des captages. C’est une nouvelle disposition législative que nous n’avons pas encore pratiquée au niveau du bassin Rhin – Meuse.
M. Thierry Vatin, directeur général de l’agence de l’eau Artois-Picardie. La maîtrise des produits phytosanitaires est un sujet particulièrement important pour l’agence de l’eau Artois-Picardie. Nous avons dans notre bassin une agriculture extrêmement intensive, voire quasi industrielle. 85 % de la surface agricole utilisée (SAU) est consacrée aux grandes productions de l’industrie agroalimentaire. Le bassin fournit à peu près la moitié des pommes de terre du pays ainsi que des betteraves et des petits pois.
Les industries agroalimentaires imposent des cahiers des charges assez stricts aux agriculteurs. Elles leur imposent notamment pour cela des quantités de nitrates, de pesticides et d’eau. Malgré les politiques Écophyto, qui datent de 2008, nous constatons une augmentation assez forte des quantités de pesticides dans le bassin. Le plus inquiétant, c’est que cela concerne aussi des substances dites cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR). J’en veux pour preuve les recettes de la redevance pour pollution diffuse (RPD) sur ces produits CMR, passées de 2 à 8 millions d’euros, soit une augmentation de 300 %.
L’agence de l’eau mène depuis une quinzaine d’années une politique très engagée sur les captages. Il s’agit de faire de l’accompagnement. Les aides de l’agence de l’eau sont très substantielles. Nous avons même payé la délimitation des aires d’alimentation de captage afin que tous ces périmètres soient définis. Nous avons payé tous les diagnostics multi-pressions, tous les animateurs ainsi que les chambres d’agriculture afin de faire de l’accompagnement de groupes d’agriculteurs dans le cadre de groupements d’intérêt économique et environnemental (GIEE). Nous finançons également toutes les mesures agro-environnementales et climatiques (Maec).
Je pourrai vous communiquer un rapport d’évaluation. Sur les dix dernières années, l’agence de l’eau a dépensé 50 millions d’euros. Pour autant, le résultat est quasi nul. Au mieux, ça a permis de maintenir le niveau de pollution de certains captages. En revanche, on note une aggravation de la pollution en nitrates et en pesticides dans d’autres captages.
C’est la raison pour laquelle l’agence de l’eau a décidé de changer de méthode. Il s’agit de passer d’une politique de moyens, d’incitations et d’accompagnement à une politique de résultats. Nous disons clairement aux collectivités responsables des captages : « S’il n’y a pas une baisse de pression significative, l’agence de l’eau ne paiera pas le curatif ». Malgré tout, on n’observe pas de changement de culture. Le modèle d’agriculture mis en place dans notre région est extrêmement rentable.
Les aides des agences de l’eau ainsi que d’autres acteurs – dont la région et les services de l’État – n’amènent pas les agriculteurs à changer de pratiques agricoles. Ces derniers sont par ailleurs soumis à des cahiers des charges extrêmement rigoureux imposés par les industries agro-alimentaires. Nous avons donc décidé de passer à une politique de résultats en disant : « Nous continuons à aider, mais sous réserve que les baisses dans les aires de captages les plus vulnérables soient vraiment significatives ». Cela suppose clairement un changement de braquet, avec la mise en place de cultures à très bas niveaux d’intrants.
Avec le préfet de bassin, celui de la région et la direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf), nous avons engagé un travail qui devrait aboutir à des mesures de compensation de pertes d’exploitation à très haut niveau. Il s’agit de faire en sorte qu’elles soient suffisamment crédibles pour les agriculteurs bénéficient d’une compensation totale de la perte d’exploitation lorsqu’ils changent de cultures.
Normalement, nous avons l’outil de la zone soumise à contraintes environnementales (ZSCE), qui est très simple. Il s’agit d’une mesure réglementaire du préfet. Or, elle n’a jamais été mise en œuvre dans notre bassin. C’est la raison pour laquelle le préfet de bassin, qui est également le président du conseil d’administration de l’agence, a demandé à ses collègues préfets de définir une quinzaine de captages prioritaires dans le bassin. Si tous les outils que l’agence de l’eau et les services de l’État mettent en œuvre ne fonctionnent pas, il a déclaré qu’il en viendrait à des mesures réglementaires contraignantes.
Des outils existent donc. On pourrait très bien définir une zone soumise à contraintes environnementales avec un cahier des charges très ambitieux et très exigeant. Pour autant, les préfets ne l’ont pas fait à ce jour. Ils ont préféré travailler sur l’incitation. Nous faisons le constat que cette politique-là ne fonctionne pas. Il va donc falloir une « carotte » un peu plus forte, avec la compensation que j’évoquais. Je pense que ça passera également par la mise en place de mesures réglementaires. Mais nous avons déjà tous les outils nécessaires. Il s’agit simplement de les utiliser.
M. Guillaume Choisy, directeur général de l’agence de l’eau Adour-Garonne. Je pense que nous avons des réalités assez différentes dans nos bassins, dues à certaines spécificités entre le Nord et le Sud. L’agence de l’eau Adour-Garonne consacre 20 % de son budget à la lutte contre les pollutions diffuses. Même si ce budget n’est pas des plus importants, c’est tout de même significatif. Nous avons aujourd’hui 90 captages prioritaires et nous en aurons 400 demain. Cela représentera environ 30 % du territoire.
Une spécificité du bassin Adour-Garonne, c’est qu’on n’a pas des nappes partout. Les captages en nappes ont souvent été fermés parce qu’ils n’étaient plus conformes en termes d’eau brute. Nous surveillons en effet à la fois l’eau potabilisée et l’eau brute. Lorsque certains taux sont dépassés pour l’eau brute, on en vient à fermer des captages. C’est la raison pour laquelle nous captons majoritairement en rivière aujourd’hui, ce qui fait que nos aires de captage sont bien plus étendues que ce qu’on peut trouver dans le reste de la France.
Des actions assez fortes ont été mises en œuvre dès le début des années 2000, notamment dans le nord du bassin. Après une vingtaine d’années, nous constatons que la quantité de pesticides a baissé d’environ 7 % – et d’à peu près 45 % pour les CMR 1, ce qui est tout de même encourageant.
Pour en arriver là, nous avons eu recours à des politiques plutôt ambitieuses. Cependant, elles ne sont certainement pas à la hauteur des enjeux. Depuis six ans, nous allions systématiquement ZSCE et aides. Autrement dit, il n’y a pas d’aides publiques de l’agence si la ZSCE n’est pas activée par l’État. Ce fonctionnement est plutôt bien accepté par tout le monde. Cela permet d’avoir un cadre commun, qui n’est pas forcément très contraignant au départ, mais qui emmène tous les agriculteurs dans une même dynamique. J’ajoute que ces derniers demandent eux-mêmes une cohérence d’actions sur les territoires, pour obtenir des résultats.
Quelles évolutions réglementaires seraient nécessaires ? Le dispositif des ZSCE n’est probablement pas assez contraignant pour mettre en adéquation ce qui relève du domaine régalien et les politiques d’intervention des agences. Je ne suis pas certain qu’une augmentation importante de nos aides apporterait plus de résultats. Ce n’est pas une question d’aides, mais plutôt d’ambition du cadre réglementaire pour limiter les impacts des produits phytosanitaires.
Il faudrait par ailleurs pouvoir mesurer les enjeux liés aux PFAS (substances perfluoroalkylées), qui constituent un angle mort aujourd’hui. Ce sont ces molécules qui ont été introduites avec une bonne intention, pour diminuer les doses d’intrants et mieux fixer les produits phytosanitaires sur les plantes. Le problème, c’est qu’on découvre aujourd’hui qu’elles peuvent être dangereuses. Or, les PFAS ne sont pas contrôlés : on ne sait pas où ils sont, ni dans l’eau brute, ni dans l’eau potabilisée.
Il y a donc un enjeu consistant à bien regarder les molécules qui sont utilisées aujourd’hui. Il s’agit de surveiller celles qui ont un impact, qu’on retrouve dans l’eau brute et, in fine, dans l’eau distribuée.
Par ailleurs, il faut faire évoluer la réglementation pour réduire l’usage des produits phytosanitaires, au moins sur les bassins des captages pour l’alimentation en eau potable. Lorsqu’on diminue leur usage sur certains territoires – on l’a déjà fait, aux alentours de 25 % – on sait qu’on obtient des résultats en termes de qualité.
Pour autant, il ne s’agit pas forcément de faire passer tout le monde en bio. Il faut parvenir à une adéquation entre ce que l’environnement peut admettre et ce dont on a besoin pour sécuriser les exploitations dans leur système de production.
On peut recourir à l’acquisition foncière. Aujourd’hui, le droit de préemption est activé par contractualisation. Les agences de l’eau peuvent inciter en ce sens mais ce sont les collectivités qui ont la main. Ce sont des mesures efficaces : lorsqu’elles ont des terres en propriété, les collectivités peuvent imposer des cahiers des charges aux agriculteurs, de façon à garantir une neutralité d’impact sur l’eau en termes de pesticides – ce qui n’empêche pas de continuer à exploiter. Ces solutions peuvent paraître extrêmes mais c’est un moyen de sécuriser certains captages lorsque les autres mesures ont échoué.
Le rythme auquel on progresse n’est pas suffisant aujourd’hui. La qualité de l’eau se dégrade. On ne cherche pas tout, et l’on trouve déjà beaucoup de molécules. C’est donc assez préoccupant. Il faut aller plus au fond de ces enjeux. Les seules interventions des agences ne suffiront vraisemblablement pas.
Sur plusieurs territoires, il faudrait sans doute limiter certaines molécules présentes de façon très massive, et chercher des molécules de substitution. Mais je ne pense pas qu’il faudrait le faire au niveau national, car cela pourrait avoir des impacts extrêmement importants.
Je voudrais revenir sur une alerte que j’ai déjà eu l’occasion de faire. Nous avons tendance à tout miser sur le traitement de l’eau – en particulier les ARS. En Nouvelle-Aquitaine et en Occitanie, les ARS se rendent bien compte des limites du traitement et défendent aujourd’hui des mesures préventives. Aujourd’hui, même avec les systèmes de traitement les plus avancés technologiquement, on ne parvient plus à traiter de manière satisfaisante ou à des coûts satisfaisants les molécules chimiques présentes dans l’eau potable.
M. Dominique Potier, rapporteur de la commission d’enquête sur les produits phytosanitaires. Nous avons eu envie d’approfondir la première table ronde que nous avions eue avec les agences de l’eau, qui était absolument passionnante. Cette table ronde avait largement abordé les questions des coûts de traitement de l’eau et des impasses qui nous amèneront peut-être demain à fermer des captages en l’absence de solution face au stress hydrique et à la concentration des pollutions.
Des ONG et différentes parties prenantes nous ont fait comprendre que les agences de l’eau et les collectivités territoriales en charge de l’eau n’étaient pas suffisamment armées juridiquement pour intervenir dans la protection de l’eau, qui est un bien commun. Ou, du moins, elles n’utilisent pas les outils juridiques à leur disposition pour des raisons que nous cherchons à cerner. Il faut avoir conscience qu’on parle bien de sécurité alimentaire lorsqu’on parle d’alimentation en eau potable.
D’où cette seconde audition, axée sur la question des outils réglementaires pour la protection de captages. Vos introductions nous ont beaucoup éclairés. Lorsqu’on parle de périmètres éloignés en France, avez-vous une idée de ce que ça représente ? Guillaume Choisy nous disait avant la réunion que c’était de l’ordre de 3 % de la SAU nationale.
M. Thierry Vatin. En fait, c’est variable selon les captages puisqu’une aire d’alimentation est calée sur le périmètre de l’entonnoir, c’est-à-dire du bassin versant. Il peut être plus ou moins important. À mon avis, c’est un peu plus de 3 %. C’est peut-être 5 %.
M. Marc Hoeltzel. D’après un chiffre de la direction de l’eau, on considère généralement que les aires d’alimentation des captages représentent de l’ordre de 7 à 8 % de la SAU au niveau national. En fait, l’aire d’alimentation est plus large que le périmètre éloigné, qui représente de l’ordre de 3 à 4 % de la SAU. Il faut avoir à l’esprit que le périmètre est beaucoup plus large lorsqu’il s’agit d’eaux de surface.
M. Dominique Potier, rapporteur. Nous allons donc retenir que c’est entre 3 et 5 % de la SAU pour les périmètres éloignés et entre 5 et 10 % pour les aires d’alimentation. Nous interrogerons la direction de l’eau pour savoir si elle dispose d’informations plus précises. Monsieur Hoeltzel a évoqué des « obligations réelles environnementales ». Cela a-t-il un rapport avec les ZSCE ?
M. Marc Hoeltzel. Il y a deux outils pour réglementer les usages dans un périmètre de captage. Les arrêtés DUP du code de la santé publique portent sur les trois périmètres : immédiat, rapproché et éloigné. L’arrêté ZSCE est un autre outil à la main des préfets. Il permet, dans un premier temps, de combiner des actions volontaires et incitatives qu’on va accompagner pendant trois ans. Si les objectifs ne sont pas au rendez-vous, ça peut prendre force obligatoire.
C’est donc une autre optique réglementaire que l’arrêté DUP, qui fixe immédiatement des prescriptions. L’arrêté ZSCE peut porter sur les aires d’alimentation des captages, afin d’englober un périmètre plus large que le périmètre éloigné. En l’occurrence, nous en avons deux dans notre bassin. D’ailleurs, nous sommes justement en train de tester le passage à la voie réglementaire pour un autre captage : celui de Loisy. Nous sommes en discussion avec la préfecture sur la manière de passer au volet réglementaire dans le cadre de l’arrêté ZSCE, qui se construit dans la durée.
En ce qui concerne les obligations réelles environnementales, il s’agit d’un outil, non pas d’acquisition foncière, mais de maîtrise du foncier sur le long terme. Ça n’a rien à voir avec les arrêtés DUP ou ZSCE.
M. Dominique Potier, rapporteur. On rajoute l’aire d’alimentation aux trois périmètres. Nous avons vu la métrique nationale en termes de volume. Tous les élus locaux, qui sont nombreux parmi nous, savent ce qu’est une protection de captage et connaissent les DUP qui en découlent en fonction des différents périmètres. La ZSCE est un outil supplémentaire, qui permet d’avoir une action incitative, éventuellement convertie en action obligatoire. J’aimerais que vous m’apportiez quelques précisions sur l’outil des ORE. Comment maîtrise-t-on le foncier sans en être propriétaire ?
M. Marc Hoeltzel. L’ORE a été mise en place dans le cadre de l’article 72 de la loi biodiversité du 8 août 2016, retranscrit à l’article L.132-3 du code de l’environnement. C’est un contrat dans lequel le propriétaire ne perd pas complètement la jouissance du droit de propriété. En revanche, pendant une durée qui peut aller jusqu’à soixante ans, c’est la collectivité qui décide de la destination de ce bien, et en particulier de sa gestion sur le plan agricole. Ça se gère comme un acte foncier. L’ORE donne lieu à une indemnisation en bloc et en une seule fois, au moment de la conclusion du contrat. Ensuite, la collectivité a la maîtrise du terrain pendant une période de vingt à soixante ans.
M. Dominique Potier, rapporteur. Il est intéressant que vous nous rappeliez l’esprit de cet outil. On ne touche pas au droit de propriété, mais on le conditionne très fortement. Je suppose que le propriétaire touche une indemnité significative. Pendant un certain nombre de décennies, il n’est plus maître de son terrain. S’il est propriétaire exploitant, il peut lui-même l’exploiter, mais selon un cahier des charges qui a force de loi. Par exemple, il n’a pas le choix de son assolement, de ses rotations et de ses pratiques. Autrement dit, il devient en quelque sorte le métayer de la collectivité sur ses propres terres. En fait, c’est un peu l’équivalent d’un bail environnemental puisque les contraintes sont très fortes.
J’entends que les ZSCE sont communes dans la région de monsieur Choisy, où elles sont pratiquées et admises, tandis qu’elles ne sont pas mises en place chez monsieur Vatin. Cela pose la question de l’État territorial. La mise en place d’une ZSCE dépend du préfet, mais de quoi le discernement du préfet dépend-il ? De la pression économique, des influences et de l’ambiance locales ? Qui a autorité sur une question aussi sensible que l’eau ? Pourquoi serait-ce possible en Garonne, mais pas en Artois ? L’État territorial doit mettre en œuvre l’intérêt général, où qu’il soit. C’est le principe même de l’État républicain.
M. Guillaume Choisy. Je précise que chez nous, les ZSCE ont été mises en place avec qu’a été posé le constat d’une situation insatisfaisante sur les premiers captages, où les actions étaient uniquement mises en œuvre sur la base du volontariat. On ne parvenait pas à emmener l’ensemble des agriculteurs présents dans cette dynamique. Par la suite, cela a permis d’avoir une politique commune entre l’État et l’agence, notamment en conditionnant les aides de cette dernière.
Pour autant, ça n’a pas été simple. Lorsqu’on a mis en place la conditionnalité il y a cinq ans, nous n’avons pas eu le soutien de l’ensemble des préfets. En outre, il faut savoir que la mise en place de ces ZSCE représente une charge de travail assez considérable pour les directions départementales. Ça s’est concrétisé parce qu’il s’agissait d’une condition au financement. Sous la pression des fermetures de captages, chacun a participé à l’élaboration d’un plan de planification.
M. Thierry Vatin. Il faut savoir que la moitié des captages n’ont toujours pas de périmètre d’aire d’alimentation défini. Et la moitié de ceux qui en ont un n’ont pas établi de plan de gestion. Enfin, la plupart des plans de gestion, lorsqu’ils existent, ne sont pas à la hauteur de l’enjeu. Il conviendrait maintenant de prendre les choses un peu plus au sérieux. Ce sont les collectivités qui sont compétentes et responsables de la protection des captages.
Dans notre bassin, la pression vient essentiellement des cultures agricoles. La difficulté, c’est que les collectivités ont du mal à contraindre les agriculteurs à un changement de culture. Dans les zones d’infiltration prioritaires parmi les plus vulnérables d’une aire d’alimentation – elles ne représentent pas forcément la totalité de la surface – ce n’est pas d’une évolution marginale des pesticides et des nitrates dont nous avons besoin. Il faut passer directement à des cultures à très bas niveaux d’intrants, et cela implique des pertes énormes en termes de revenus agricoles.
Par conséquent, les collectivités et les préfets essaient d’aider et d’inciter depuis des années, mais n’osent pas faire pression sur les revenus agricoles en appliquant l’outil de la ZSCE. D’ailleurs, il faudrait un cahier des charges très ambitieux pour passer à un très bas niveau d’intrants. Sur un secteur de 500 à 1 000 hectares, le rendement agricole chuterait énormément. Le sujet est donc aussi celui de l’impact économique, qui explique l’hésitation des préfets.
M. Dominique Potier, rapporteur. Autrement dit, il n’y a pas de politique d’État unifiée pour accompagner les outils législatifs qui ont été votés. Les agences de l’eau sont plutôt alignées, étant porteuses de l’intérêt général lié à l’eau. En revanche, la perception des préfets est variable d’un département ou d’une région à l’autre. Avez-vous fait établi un bilan entre le coût de dépollution de l’eau et le coût de compensation économique pour le changement de pratiques agricoles, monsieur Vatin ? Y a-t-il un équilibre ou un déficit ? Est-ce que la compensation aboutirait à renchérir le coût de l’eau ?
M. Thierry Vatin. Nous ne sommes pas sûrs du coût du traitement. Nous savons qu’il est très élevé : la mise en place d’une unité de traitement coûte plusieurs millions d’euros. Mais l’on n’est pas certain que ça puisse traiter l’ensemble des polluants à terme, dont les pesticides. Le fonctionnement est aussi extrêmement cher, puisqu’il faut remplacer les filtres à charbon très souvent. La seule certitude, c’est que c’est la collectivité qui paie, alors que le revenu agricole est pour l’agriculteur. Ce n’est pas conforme au principe du pollueur payeur.
Pour reprendre l’exemple du bassin Artois-Picardie, nous sommes disposés à mettre dans notre prochain plan une dizaine de millions d’euros par an sur une quinzaine de captages dans les zones les plus rapprochées. Je pense que la dépollution coûterait beaucoup plus cher, à la fois pour le contribuable et la collectivité.
M. Dominique Potier, rapporteur. Disposez-vous d’études qui permettraient de modéliser ce que représenterait la compensation de pertes de revenu agricole sur certaines parties des aires d’alimentation, pour les agriculteurs qui changeraient de pratiques ? Nous pourrions ainsi établir une comparaison avec le coût de la dépollution. Dans les deux cas, nous parlons d’argent public.
M. Thierry Vatin. Nous pourrions effectivement faire ce calcul.
M. Dominique Potier, rapporteur. J’entends que nous ne sommes pas certains des résultats que nous pouvons atteindre par la dépollution, laquelle coûte, en tout état de cause, plusieurs millions d’euros. Et ce, en raison d’effets cocktail ou de la présence de micropolluants dont on ne maîtrise pas l’impact aujourd’hui.
Pour ce qui est de la maîtrise du foncier, nous avons avec les ORE des mesures qui se rapprochent de baux emphytéotiques ; il s’agit de mesures de contrainte négociées et compensées.
L’État territorial tremble au moment de mettre en place les outils réglementaires. Les collectivités hésitent également à le faire puisqu’il en va de la vie économique du territoire. Or, la ressource en eau constitue un intérêt général vital. L’outil de l’expropriation ne devrait-il pas être envisagé sur des périmètres pertinents, lorsqu’il se justifie, avec une visée dissuasive ? Il y a effectivement des mesures plus douces et plus respectueuses du droit de propriété, mais la question est de savoir si le droit de propriété ne devrait pas connaître une limite au nom de l’intérêt général.
C’est déjà le cas lors de la construction d’une infrastructure publique prioritaire : une voie ferrée, une voie fluviale, un hôpital, etc. On exproprie alors de certains terrains. Cette arme juridique ne devrait-elle pas être mise à la disposition de la puissance publique afin de sauver les captages et l’alimentation en eau potable de nos concitoyens, lorsque c’est nécessaire ? À ma connaissance, ça n’existe pas à ce jour dans la loi, sauf pour le périmètre immédiat.
M. Marc Hoeltzel. Effectivement, ça n’existe que pour le périmètre immédiat. En revanche, un nouveau droit de préemption foncière a été édicté par une loi récente.
M. Dominique Potier, rapporteur. Tout à fait. C’était en 2022, dans le cadre de la loi sur la liberté des territoires. Mais pour mobiliser ce droit de préemption, on peut avoir à attendre cinquante ans ! Ce n’est pas du tout en phase avec la décennie critique annoncée par Matignon à travers la planification écologique.
Plutôt que de préemption, je parle en l’occurrence d’expropriation, lorsque cela est pertinent. Les syndicats agricoles et l’assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) savent parfaitement négocier des compensations foncières au bon niveau pour les propriétaires expropriés. Il y a des règles précises en la matière. Par ailleurs, le foncier agricole ne manquera pas dans les années qui viennent : 30 % du foncier va changer de mains avec les départs en retraite massifs des agriculteurs.
La voie de l’expropriation ne devrait-elle donc pas être explorée, non pas pour être mise en œuvre systématiquement, mais plutôt comme une arme de dissuasion et de négociation, voire d’action en derniers recours, lorsque les autres voies ont échoué ? Bien évidemment, ce n’est pas forcément nécessaire sur l’ensemble des captages. J’aimerais que chacun d’entre vous apporte une réponse précise sur ce point, qui pourrait faire l’objet d’une proposition de la commission.
M. Marc Hoeltzel. Les textes dont nous disposons aujourd’hui ne nous permettent effectivement pas d’aller au-delà du périmètre immédiat. Sur le périmètre rapproché, on en revient aux limites des arrêtés de DUP : il faut être en mesure de démontrer qu’une parcelle crée un risque pour la qualité de l’eau en l’absence d’une destination spécifique. Je précise que nous rencontrons déjà des difficultés avec l’ARS, rien que pour imposer la couverture des sols sur ces périmètres. Et il y a un monde entre la couverture des sols et l’expropriation ! Avant de parler d’expropriation, je pense qu’il faudrait faire évoluer le contenu des arrêtés de DUP.
M. Dominique Potier, rapporteur. Il est tout de même stupéfiant que l’ARS ne soit pas en phase avec l’agence de l’eau sur le diagnostic de ce qu’il convient de faire ! Ce problème d’alignement semble incompréhensible, compte tenu des enjeux. Comment peut-on expliquer ces carences et ce dysfonctionnement entre deux agences de l’État, qui sont pourtant toutes les deux extrêmement précieuses ?
M. Marc Hoeltzel. Ce n’est pas une question de personnes ou d’organismes. Ça tient simplement à la manière dont le code de la santé publique est libellé. On parle de « pollution accidentelle » pour édicter les périmètres de DUP. D’ailleurs, c’est l’acception qui est mise en œuvre par les hydrologues agréés lorsqu’ils définissent un périmètre. Or, nous sommes plutôt sur la prévention des pollutions diffuses agricoles. Ce sont deux notions différentes, qui font que l’on ne définit pas les périmètres de la même manière.
M. Thierry Vatin. Passer à l’expropriation, ce serait utiliser l’arme atomique ! Si je peux me permettre de faire une recommandation, je pense qu’il faudrait avant tout imposer les ZSCE partout, sur des périmètres assez larges, portant sur les zones vulnérables, et pas simplement sur le périmètre rapproché. Les cahiers de charges devraient prévoir une très forte baisse d’intrants. Ça ne laisserait plus matière à discussion et dissiperait les hésitations des préfets. On pourrait aussi élargir la DUP.
M. Guillaume Choisy. Que vous répondre de plus ? Je ne suis même pas certain qu’on soit à la hauteur du débat. En réalité, on n’a quasiment rien fait. Les captages les plus urgents sont ceux qui ont été identifiés lors du Grenelle de l’environnement : parfois, on a à peine délimité les périmètres ! Dans la plupart des cas, il n’y a pas eu de plan d’action. Voilà la situation au niveau national. Certes, les choses se sont beaucoup accélérées depuis trois ou quatre ans. Le plan eau porte une ambition en ce sens, puisque 185 millions d’euros sont prévus sur ces enjeux-là. Mais est-ce à la hauteur des besoins et est-ce que les seuls moyens financiers suffiront ? La réponse est non.
Un cadre régalien plus fort est nécessaire. L’expérimentation des ORE peut effectivement être intéressante. Nous en avons également fait quelques-unes de notre côté. Je pense que l’obligation de la ZSCE ne doit pas faire débat puisque c’est une nécessité. Nous devons garantir une cohérence d’action avec les ARS, dont la compétence porte sur l’eau potable, et non sur la ressource, qui est davantage notre préoccupation. Nous avons besoin de parler d’une même voix ; ce n’est pas encore le cas toujours et partout.
La nécessité de travailler sur la prévention constitue un enjeu fort. Plus que l’investissement, c’est le coût de fonctionnement du traitement de l’eau qui devient exorbitant, voire parfois insoutenable. Le cadre législatif et réglementaire doit nous permettre d’accélérer les choses. Il existe un certain nombre d’outils, mais qui restent fondés sur le volontariat, avec une activation au cas par cas. Une massification est nécessaire, compte tenu des enjeux.
Il faut concentrer l’action sur les captages les plus prioritaires. Je pense malheureusement qu’on sera plus prompt à les fermer qu’à les préserver. C’est relativement inquiétant car il n’y a pas toujours de ressource alternative. Il y a donc des enjeux immédiats, et je pense que le gouvernement les a bien saisis. Nous devons aujourd’hui avoir l’ambition des résultats que nous voulons obtenir. Cela implique qu’on ne reste pas sur le rythme des dernières années.
Par ailleurs, ça ne se fera pas sans les filières. Il faut investir sur les bonnes priorités. Dans le cadre d’Ecophyto, l’action a été trop dispersée, pas assez ciblée. Nous devons parvenir à emmener tous les acteurs du territoire dans une même dynamique : collectivités locales, Etat et filières.
Parfois, pour réussir la transition dans certaines filières, il faut sécuriser la quantité et la qualité de l’eau. Ça va de pair. On le voit notamment avec les effets de la sécheresse. Pour diversifier les cultures, il est nécessaire d’avoir des ressources en eau, notamment au mois d’août, lorsqu’il y en a le moins. La sécurisation des ressources en eau, qui peut passer par des stockages, peut ainsi contribuer au changement de pratiques des agriculteurs. Votre commission d’enquête porte sur la question des pesticides, mais il convient d’avoir une vue d’ensemble des enjeux.
Je ne pense pas qu’il y ait un manque de volonté pour mettre en œuvre les mutations nécessaires sur le plan agricole. Pour autant, il faut donner du temps – en sachant que nous n’en avons pas beaucoup –, un cadre et des échéances réalistes et ambitieuses. Je pense que, par le passé, nous nous sommes donné assez de moyens, financiers ou réglementaires, pour atteindre nos ambitions.
M. le président Frédéric Descrozaille. J’aimerais que vous reveniez sur la distinction entre pollution accidentelle et pollution diffuse. Pour ma part, je suis atterré par ce que l’on entend. L’intention du législateur a été de confier à l’exécutif la mission de déployer des dispositifs en vue, in fine, de protéger la santé de nos concitoyens. La situation que vous nous décrivez pose un problème de confiance important.
Vous nous dites que pour un problème de légistique, il n’y a pas d’accord possible entre les agences de l’eau et les agences régionales de santé, sur un enjeu aussi fondamental que la captation de l’eau. Et ce, simplement parce que la loi a été mal écrite, tout comme peut-être les mesures d’application. Les bras m’en tombent ! Je vous rappelle que les députés ne sont pas des juristes et que, bien souvent, nous n’écrivons pas les lois que nous votons. C’est d’ailleurs un sujet global que celui de l’autonomie, de l’expertise et de la compétence du Parlement.
Par conséquent, je vous demanderai de nous remettre des recommandations les plus précises possible sur les plans technique et juridique. Il s’agit de réécrire ce qui doit l’être dans le code de la santé publique. Nous pourrons ainsi les intégrer dans les recommandations de la commission.
Mme Mélanie Thomin (SOC). Je souhaite évoquer le désarroi des collectivités lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre les plans d’action pour les zones de protection. J’ai bien compris que nous avions pris du retard. Seuls 50 % de ces plans sont aujourd’hui opérationnels sur le territoire national. Je partage bien évidemment le constat du manque d’outils et de réglementations. Je m’interroge également sur le contrôle de la qualité des eaux. L’ARS a aujourd’hui la charge de contrôler si la qualité de l’eau potable est bonne.
Par ailleurs, je me questionne sur la capacité de notre police de l’eau à bien veiller à la protection des captages. On nous dit souvent que les moyens humains de l’Office français de la biodiversité (OFB) ou des gendarmes de l’environnement sont insuffisants pour opérer convenablement.
Vous constatez tous dans vos propos que la qualité de l’eau se dégrade dans notre pays. Il y a une forte augmentation des quantités de pesticides, voire même des molécules CMR. J’aimerais donc savoir si vous jugez cette police de l’eau suffisante.
D’autre part, je me demande s’il ne faudrait pas prévoir un cadre interministériel pour mettre en cohérence les travaux de l’ARS et ceux de l’agence de l’eau.
Je voudrais également évoquer la responsabilité de l’industrie agroalimentaire. Monsieur Vatin a parlé tout à l’heure de la pression exercée sur les cultures agricoles et leur rentabilité. Nous savons que les cahiers des charges de l’agro-industrie sont très contraignants pour les agriculteurs. En tant qu’agences de l’eau, quels liens entretenez-vous avec les acteurs de l’industrie agroalimentaire ? Y a-t-il des mesures envisageables pour que cette dernière accompagne elle aussi la protection de la qualité de nos eaux ?
M. Thierry Vatin. Je vous avouerai que nous rencontrons des difficultés en la matière. Au niveau de la chambre régionale d’agriculture et des chambres départementales, nous travaillons sur ces questions de filière. Mais nous avons assez peu prise sur les grands groupes de l’industrie agroalimentaire. C’est une action que nous souhaitons mener parce que le lien avec les agriculteurs est insuffisant. Nous avons également tenté de les approcher dans le cadre des paiements pour services environnementaux (PSE), qui ont été mis en place il y a deux ou trois ans. Il s’agissait de voir s’ils pourraient être partie prenante ; mais nous n’avons pas réussi pour l’instant.
M. Marc Holter. En ce qui concerne le volet de la police de l’eau, ça dépend de ce que comporte l’arrêté de DUP en termes de prescriptions réglementaires. Le contrôle est généralement effectué par les agents de l’OFB. Ils contrôlent l’adéquation entre ce qu’ils observent sur le terrain et les prescriptions de l’arrêté de DUP. À ma connaissance, dans mon bassin, il n’y a pas d’arrêté de DUP qui aille jusqu’à l’obligation de changement de la couverture des sols. Tant qu’on ne fera pas évoluer les arrêtés de DUP, la police de l’eau ne sera pas le bon vecteur pour toucher au lien entre les pratiques agricoles et la diffusion des produits phytosanitaires.
Sur la question de l’industrie agroalimentaire, je ne suis pas dans le même cas de figure que mon collègue. Sur la base du volontariat, nous essayons de faire en sorte d’embarquer l’industrie agroalimentaire dans des filières à bas niveau d’impact. Les réactions sont plutôt positives. Nous arrivons parfois à montrer que l’industrie agroalimentaire peut être un moteur pour faire changer les pratiques : le lait bio, etc. Néanmoins, je pense que ce n’est pas tout à fait votre angle d’attaque, du moins, sur le volet réglementaire.
M. Guillaume Choisy. La question est de savoir si nous estimons que l’accès à l’eau potable est un enjeu de société primordial. Si oui, il faut se demander si l’on reste sur une logique de volontariat ou s’il faut passer à une logique réglementaire afin d’aller plus loin.
Aujourd’hui, la concertation interministérielle existe. Mais il nous faut un cadre commun : il est de la responsabilité de tous d’agir sur la prévention et la diminution des pollutions plutôt que sur le traitement. Or, les ARS sont actuellement plus soucieuses du traitement de l’eau que des mesures préventives. Si, demain, on met en place un cadre réglementaire prévoyant une prévention obligatoire, pouvant aller jusqu’à des mesures de réquisition foncière, on entrera alors dans une autre dimension. Et la police de l’eau pourra s’exercer : si on a un cadre réglementaire, il pourra y avoir des contrôles. Aujourd’hui, le cadre étant incitatif, les contrôles sont assez compliqués.
S’agissant de ce que nous pouvons faire avec l’industrie agro-alimentaire, nous avons quelques expériences en Adour-Garonne, notamment dans la filière viticole. Le cognac a réussi à transformer ses pratiques en trois ans, en mettant en place des systèmes racinaires qui diminuent efficacement les impacts sur la qualité de l’eau. Il y a également des travaux et des coopérations sur la filière céréalière avec, notamment, la création de nouvelles filières de diversification.
Cela entraîne souvent des changements de long terme. Il faut compter plusieurs années pour la mise en place de ces filières. Cela suppose d’installer un nouveau marché et une nouvelle organisation, ce qui se planifie. Il faut donc mettre en place un cadre réglementaire et planifier la transition. Je pense que les acteurs économiques n’y sont absolument pas réfractaires. D’ailleurs, nous avons des échanges très constructifs avec eux ; ils sont dans cette dynamique-là. C’est donc une question de temporalité et de cadre commun pour pouvoir le faire.
Mme Laurence Heydel Grillère (RE). Je m’interroge sur les données disponibles quant à la qualité de l’eau. J’ai consulté les sites respectifs des différentes agences de l’eau afin de voir si des données étaient publiées sur la teneur en pesticides. Je regrette de ne pas en avoir trouvé de très récentes. Vous serait-il possible d’en transmettre de plus récentes à la commission ? La qualité de l’eau a sans doute évolué entre 2007 – date des dernières données pour l’agence Artois-Picardie – et 2023.
Ma question n’est pas sans lien avec la définition de la potabilité, qui ne dépend évidemment pas que des pesticides. On constate dans les eaux la présence d’autres molécules, dont certaines sont en forte progression, avec des différences importantes d’un bassin à l’autre. Lorsque je regarde mon propre bassin – Rhône-Méditerranée-Corse – un grand nombre de données me montrent des augmentations sur certains produits – HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques), métaux lourds – qui ne sont pas toujours des pesticides. S’agissant des pesticides, on retrouve des molécules dont l’utilisation est pourtant interdite – pour certaines d’entre elles, depuis très longtemps. Tout cela me conduit à m’interroger sur l’efficacité d’une politique centrée sur des obligations contraignant les usages actuels de l’agriculture, si l’objectif est de garantir la potabilité de l’eau.
Concernant les différents périmètres de protection que vous avez évoqués, serait-il possible d’avoir une idée de ce que cela représente à l’échelle du pays ? Vous avez notamment mentionné les ZSCE. Où sont-elles présentes dans le pays ? Depuis quand ? Comment fonctionnent-elles ? Il s’agirait d’avoir des éléments nous permettant de voir si ça a évolué, si on a avancé grâce à ce dispositif.
M. Thierry Vatin. Il faut bien distinguer deux choses. D’une part, la qualité de l’eau que nous surveillons globalement dans le bassin. Il s’agit de l’ensemble des masses d’eau qui sont dans les nappes souterraines et dans les rivières, pour lesquelles nous avons des données globales. D’autre part, il y a la question de la qualité de l’eau à la sortie du captage, que l’ARS contrôle très régulièrement, et pour laquelle elle publie des données. Si vous souhaitez avoir une vue d’ensemble sur la qualité des eaux au niveau des captages, il faut consulter les bases de données de l’ARS.
Quinze ans se sont écoulés depuis le Grenelle de l’environnement. C’est tout de même un constat d’échec. On a fondé nos actions sur la base du volontariat et l’on constate qu’il y a très peu de résultats. Aujourd’hui, il faut vraiment accélérer. Vous dites que nous retrouvons des substances qui sont interdites depuis longtemps. Je pense notamment à l’atrazine. Il faut savoir que les substances de pollution diffuse présentes dans les aires de captage peuvent mettre entre vingt et trente ans à atteindre la nappe. Il faut donc de changer de braquet.
Il y a urgence à protéger immédiatement les zones les plus vulnérables de ces captages, en ne se cantonnant pas aux actions volontaires. Ce n’est pas la totalité des aires d’alimentation qui sont concernées et, d’ailleurs, c’est très variable d’un captage à l’autre. Il faut passer à une obligation réglementaire très forte pour assurer la protection de ces zones. On retrouvera peut-être encore dans vingt ans une molécule comme le chlorothalonil, interdite en 2020. C’est la raison pour laquelle il faut agir tout de suite.
M. Marc Hoeltzel. Il arrive effectivement que l’on retrouve des pesticides interdits. Je pense notamment à un herbicide pour les betteraves, dont les métabolites dépassent les normes. C’est la preuve de la sensibilité des captages aux pollutions diffuses agricoles. Il faut donc traiter ce problème de manière préventive. Or, on observe que la mise en place d’un traitement de l’eau est démobilisatrice. La profession agricole dit elle-même que le jour où il y aura une barrière avec un traitement ultime, on ne parviendra plus à reconquérir le captage. Aujourd’hui, dans notre politique d’aides, nous refusons fermement de soutenir le traitement de l’eau. On espère bien pouvoir tenir.
Les DUP portent sur les trois périmètres réglementaires tandis que la ZSCE porte sur l’aire d’alimentation du captage (AAC). C’est donc beaucoup plus large. Mais, pour cela, il faut déjà que les AAC soient délimitées. Comme c’est le cas dans mon bassin, nous pourrions mettre en place une ZSCE. Je pense que si l’on envisage une généralisation complète de ce dispositif, il faudrait définir un seuil à partir duquel on demande à l’autorité administrative de déclencher une ZSCE.
Nous pourrons alors mettre en place un plan d’action. S’il est efficace, nous le rendrons réglementaire. Il faudra cependant s’assurer que les obligations s’appliqueront aux exploitants agricoles de manière individuelle, afin qu’on ne retombe pas dans des objectifs collectifs qui ne permettraient pas d’aller jusqu’au bout de la logique réglementaire.
M. le président Frédéric Descrozaille. Vous n’avez pas répondu à la question de ma collègue sur les autres molécules que l’on trouve dans les eaux : antibiotiques, anti-inflammatoires, hormones, etc. Comment est-ce que cela évolue, sachant que nos moyens de détection sont de plus en plus fins ?
M. Guillaume Choisy. Nous avons organisé un colloque scientifique de portée nationale avec l’OFB il y a un peu plus d’un an en Adour-Garonne. Il en est ressorti que l’on retrouve à peu près un million de molécules différentes dans les eaux brutes de surface de nos rivières et de nos fleuves. C’est assez considérable. Mais toutes les molécules ne sont pas aussi rémanentes.
Les conclusions de notre comité de bassin du mois de juillet, qui s’est tenu en présence du préfet, du directeur de bassin et des deux directeurs d’ARS d’Adour-Garonne, c’est qu’il y a tout de même un rapport assez direct entre ce que les agriculteurs utilisent et la qualité des eaux brutes et des eaux potabilisées que l’on surveille.
On retrouve l’atrazine depuis vingt ans, à une concentration qui reste stable. On pourrait donc remplacer la surveillance de cette molécule par des PFAS ou le chlorothalonil, qu’il serait peut-être utile de surveiller aujourd’hui. Il faudrait donc remettre en adéquation les molécules utilisées dans le monde agricole et ce que nous surveillons au quotidien.
Un autre enjeu concerne notre capacité à regarder le coût du traitement, qui devient important aujourd’hui. Je pense que l’eau est toujours de bonne qualité, mais on n’a pas d’autre choix que de traiter dans certains territoires. Pour cette raison, il nous arrive d’aider à financer des unités de traitement dans des territoires pour lesquels il n’y a pas d’autre solution. Même lorsqu’on met en place des mesures assez fortes, comme les ZSCE, il faut tout de même compter plusieurs années avant d’avoir des résultats.
Dans ce cas, il y a une proportion assez importante d’aides aux investissements pour des systèmes d’osmose inversée, de filtrage charbon, d’ultraviolets, etc. Pourtant, même avec ces aides, nous ne parvenons pas à maîtriser le prix de l’eau. L’enjeu pour les collectivités locales est d’avoir de l’eau potable, mais aussi un prix qui reste convenable. Le problème, c’est que le coût de fonctionnement est rédhibitoire, notamment dans les zones rurales. Ainsi, lorsqu’on ne gère pas le problème à la source, mais qu’on mise tout sur les traitements, cela crée un problème d’équité pour l’accès à l’eau potable.
M. Marc Hoeltzel. On retrouve les substances médicamenteuses dans les eaux de surface, mais c’est beaucoup moins probable de les retrouver dans une nappe. Le vecteur de transmission des médicaments est ainsi lié au réseau d’eaux de surface. D’où l’importance de préserver au maximum les eaux souterraines, via une action préventive et réglementaire très forte. Partout où l’on peut maîtriser l’accès à l’eau potable par les eaux souterraines, l’effet de filtration et d’étanchéité par rapport à d’autres agressions environnementales sera d’autant plus efficace.
M. Guillaume Choisy. L’agriculture n’est pas seule en cause. Il y a aussi la question des eaux résiduelles urbaines. Nous pourrons vous faire parvenir les études que nous avons menées avec l’OFB sur le bassin Adour-Garonne. On y retrouve majoritairement du plomb, du paracétamol et des produits de traitement cancéreux. Il y a sans doute des choses à inventer ou des pratiques à faire évoluer pour réduire les impacts : tout ne se traite pas dans les stations d’épuration. Le plus important reste tout de même le plomb, issu des voitures, via les eaux de ruissellement sur les chaussées. Aujourd’hui, avec le changement climatique, après de longues périodes de sécheresse, les premières pluies sont généralement chargées de ces substances.
M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Vous évoquez la nécessité de passer d’une politique de moyens à une politique de résultats. Il est clair que la politique de résultats ne peut pas écarter une politique de moyens et de contrôles, dans la mesure où l’on est sur du long terme. Nous rencontrons le même problème pour le contrôle des politiques européennes. Le contrôle se fait sur des pratiques et sur des données qu’on peut enregistrer, mais il est très compliqué de contrôler les résultats obtenus, car on se situe sur un temps long. Vous avez même évoqué une durée de vingt à trente ans avant de constater les impacts.
Lors de mon mandat précédent, j’avais fait un rapport sur la sécurité alimentaire. Je pense que l’industrie agroalimentaire se concentre sur la sécurité alimentaire de ses produits. Je ne lui fais pas de procès d’intention. Il me semble ressortir de vos propos que le cahier des charges est fondé sur la qualité du produit, la compétitivité et des objectifs économiques à atteindre en termes de production. Pour autant, il n’intègre pas les conséquences environnementales. Il pourrait être intéressant d’auditionner un groupe comme Limagrain, afin de savoir ce qu’ils mettent dans leurs cahiers des charges.
Vous êtes en contact avec les structures gestionnaires de l’eau. Il y a parfois des petites régies municipales pour des communes de 200 à 300 habitants. On trouve des syndicats intercommunaux sur des territoires beaucoup plus importants. En 2026, cette compétence va passer aux communautés de communes. C’est quelquefois porté par de grandes agglomérations. Constatez-vous que la prise en compte et le traitement de ces problèmes se font de manière différenciée en fonction de la structure gestionnaire ? Je crois que ça pourrait également nous éclairer dans les débats que nous pouvons avoir en termes d’évolutions législatives.
M. Thierry Vatin. On sait qu’il existe environ 100 000 micropolluants. Par ailleurs, il y en a environ 1 000 qui sont produits chaque année par l’industrie chimique. On en connaît environ 30 % et on en suit 500. Autrement dit, il y en a 70 % qu’on ne connaît pas. Le problème est donc beaucoup plus large que celui des pesticides. En termes de pollutions diffuses, il y a des pollutions domestiques, des pollutions industrielles et des pollutions agricoles.
Les agences de l’eau savent assez bien traiter les effluents domestiques et industriels maintenant. Il existe même des stations d’épuration industrielles. On sait cerner les rejets, même si on ne sait pas tout traiter. Pourquoi parle-t-on des pollutions agricoles ? Parce qu’on ne peut pas mettre une station d’épuration à la sortie de chaque champ. Les pollutions diffuses agricoles ne peuvent se traiter que par de la prévention et par la réduction des intrants.
C’est un sujet majeur pour le bon état écologique des masses d’eau. On n’arrive pas à faire baisser ces pollutions diffuses agricoles. Tandis que pour le reste des micropolluants, on peut prendre des mesures législatives et réglementaires sur un certain nombre de substances : les médicaments, les cosmétiques, etc. Pour information, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024, nous avons tenté de faire passer une taxe sur les cosmétiques, mais nous n’avons pas réussi. Pourtant, ils comportent beaucoup de PFAS.
En ce qui concerne l’industrie agroalimentaire, les cahiers des charges sécurisent généralement la production. Ils intègrent des niveaux de passages ou de quantités de pesticides, et de nitrates qui sont bien au-delà du raisonnable. Le plan Écophyto a montré, avec l’expérimentation des fermes Dephy, qu’on pouvait utiliser 30 ou 40 % de pesticides en moins avec la même production. Or, ce n’est pas la logique de l’industrie agroalimentaire, qui sécurise une production et une normalisation de produits. Tout cela implique des logiques complètement différentes de celle d’une économie de moyens.
Les zones urbaines parviennent généralement mieux maîtriser la pollution des eaux. Il y a un niveau de moyens et de maîtrise d’ouvrage beaucoup plus fort, en particulier dans les grandes agglomérations. Dans les zones rurales, la gouvernance de l’eau est, par endroits, très insuffisante. Il y a encore des services d’eau à la commune, en l’absence de regroupement intercommunal. Les services d’eau et d’assainissement sont donc très éparpillés. D’ailleurs, c’est tout le sujet de la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (Gemapi). Et l’horizon de l’obligation d’intégrer une structure intercommunale recule d’année en année...
M. Marc Hoeltzel. Dans notre bassin, l’industrie agroalimentaire demande une certaine conformité de production agricole. Cela crée une pression sur le monde agricole, qui n’a alors d’autre choix que de recourir à des produits phytosanitaires.
Il peut y avoir un autre type de pression de la part de l’industrie agroalimentaire. Par exemple, la production de maïs crée un marché avec une forte valeur ajoutée. Or, l’industrie agroalimentaire n’a pas forcément connaissance d’une sensibilité plus grande du milieu naturel à certains endroits. Il y a donc des effets indirects qui peuvent être difficiles à appréhender.
Le fait de mettre en place une animation sur une aire d’alimentation de captage n’a rien d’évident pour une petite collectivité, d’autant que ce sont tout de même des surfaces très importantes. Si l’on veut recourir à des outils incitatifs pour faire évoluer le monde agricole, notamment avec les paiements pour services environnementaux (PSE), ce n’est pas accessible pour une petite collectivité. Nous avons également parlé des outils fonciers. Il s’agit de notions juridiques très fines. Pour mettre en place une protection préventive et bien gérer son captage, il est nécessaire d’avoir des structures assez bien charpentées : soit une structure intercommunale dans le domaine rural, soit des structures plutôt urbaines.
M. Guillaume Choisy. Les syndicats sont aujourd’hui encore plutôt communaux sur les têtes de bassin. Sur les territoires en aval, ils sont plutôt organisés à l’échelle départementale ou intercommunale. Autrement, ils ne pourraient pas faire les types d’investissements que nous évoquons ici. Les coûts et les périmètres sont au-delà de l’échelle communale ; il fait avoir une taille qui soit adaptée à cet enjeu-là. En 2022, lorsqu’on a connu de grandes ruptures d’eau potable, qui ont beaucoup été médiatisées, 82 % des 400 collectivités concernées sur le bassin Adour-Garonne étaient des structures communales.
Je pense que les choses évoluent très vite sur le champ de l’agroalimentaire depuis quelques années. Les attentes sociétales ne sont certainement plus celles du passé. L’enjeu est de pouvoir évaluer l’impact environnemental de la production, notamment pour les entreprises qui font de l’export. Nous allons d’ailleurs lancer une étude sur ce sujet. Demain, cette considération sera certainement aussi importante que la qualité gustative ou nutritive. Aujourd’hui, ils sont probablement très avancés sur ces aspects, beaucoup moins sur l’impact environnemental. On les sent très en demande d’une évaluation de cet impact, qui va au-delà de l’eau puisque cela intègre également souvent le carbone. Pour autant, la question du carbone est certainement plus mature que celle de l’impact sur l’eau et la biodiversité.
La filière viticole a avancé rapidement sur ce sujet parce que ces critères ont été nécessaires dans le cadre des exportations. Les producteurs devaient démontrer qu’ils limitaient les impacts sur l’eau et l’environnement ; cela constituait un enjeu économique.
Je pense donc que les attentes et les enjeux des acteurs économiques de l’agroalimentaire ne sont plus les mêmes. Aujourd’hui, nous rencontrons plutôt des alliés très offensifs. Je vous assure que ces acteurs innovent et mettent des moyens financiers colossaux pour avancer sur ces questions. C’est moins vrai pour les agriculteurs, qu’il faut encore accompagner dans cette transition.
Mme Nicole Le Peih (RE). Je souhaitais vous interroger sur l’épandage des boues des stations d’épuration des collectivités, des métropoles et des villes, qu’elles soient petites ou moyennes. Cet épandage, qui est fait en lien avec les agriculteurs, respecte-t-il les périmètres de captage ? Au-delà de ça, je m’interroge plus largement sur ces épandages, sachant que certaines coopératives refusent aujourd’hui des récoltes de produits, du fait de la présence de métaux lourds dans les légumes.
À titre personnel, je ne reçois plus de boues d’épandage de la ville la plus proche. Sinon, je mettrais en péril mon exploitation, mon revenu financier et le revenu des salariés de mon entreprise. Je me pose donc la question du risque juridique à long terme, en lien avec ces épandages.
On m’a dit que sur le lac Léman, on retrouve 10 % de pesticides et, pour le reste, seulement des médicaments et des métabolites de produits pharmaceutiques. Qu’en est-il ?
M. Dominique Potier, rapporteur. Pour ma part, je voudrais aborder la question de la crise du financement des mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec) : les agences de l’eau sont-elles coupables ou non ? Il serait dommage de ne pas évoquer ce sujet d’actualité.
La question des épandages de boues, telle que soulevée par madame Le Peih, touche au sujet de la méthanisation. À ma connaissance, il n’y a pas d’infographies permettant de croiser les plans d’épandage des exploitations agricoles, ceux des stations d’épuration et ceux des méthaniseurs à caractère industriel. Cette absence de croisement des cartographies est-elle une réalité ? Le cas échéant, y avez-vous remédié ? Cela pourrait faire l’objet d’une proposition très pratique de notre commission.
M. Marc Hoeltzel. Il y a effectivement un sujet lié à la présence de métaux lourds dans les épandages de boues d’épuration. C’est pour cette raison que cet épandage a fait l’objet d’un encadrement réglementation. Dans ce cadre, doivent être traitées la compatibilité avec l’épandage, la destination agricole des sols et la protection des captages. On pourrait éventuellement renforcer cet encadrement réglementaire.
Par ailleurs, je vous confirme qu’il n’y a pas d’infographies. Nous ne disposons pas de cartes permettant de croiser l’ensemble des plans d’épandage de boues de station d’épuration, de digestats agricoles, etc. D’ailleurs, je trouverais étonnant qu’il n’y ait pas de superpositions. C’est effectivement une attente et un besoin que nous exprimons depuis assez longtemps.
En ce qui concerne les Maec, je ne pense pas qu’on soit coupable. Nous faisons beaucoup d’efforts et nous dépannons nombre de nos collègues des Draaf. D’ailleurs, nous sommes souvent un élément facilitateur dans la conclusion des plans de financement des Maec.
M. Guillaume Choisy. Depuis le Covid, il faut savoir que la réglementation a beaucoup évolué sur la question de l’épandage des boues. L’enjeu est aussi de pouvoir récupérer un maximum d’éléments. Je pense qu’on va rencontrer demain de vrais problèmes en termes de ressources de phosphore.
Sur l’enjeu des Maec, nous ne sommes certainement pas coupables. En revanche, nous sommes mis à contribution de manière très importante. Dans le plan stratégique national (PSN) que la France a déposé, les agences sont amenées à contribuer pour 70 millions d’euros supplémentaires dès l’année 2023. Je pense que nous serons au rendez-vous.
Pour autant, il y a une véritable problématique de cadrage. Nous avons nous-mêmes élargi largement nos critères, tant sur la biodiversité que sur les Maec de transition eau. Pour l’instant, il y a très peu de dossiers qui nous parviennent. Il y a donc un retard assez important ; nous allons voir comment cela va évoluer au fil des mois. D’après les sondages qui nous reviennent, la question budgétaire risque effectivement de se poser.
M. Thierry Vatin. Je pense qu’il est aujourd’hui extrêmement urgent de passer de politiques de moyens, d’incitation ou de volontariat à des mesures réglementaires très fortes. À défaut, on va devoir faire face à un scandale sanitaire d’ampleur. L’Anses a produit une liste de 80 métabolites de pesticides il y a deux ou trois ans. Cette liste va s’allonger. La moitié de notre bassin était contaminée par le chloridazone en 2022. Les communes ont eu l’interdiction de produire de l’eau potable, mais une grande partie d’entre elles ont obtenu une dérogation.
Et il ne s’agissait que d’un métabolite. Ça ne va pas s’arrêter. Il est donc urgent que l’État dise : « On arrête de jouer ! ». Il y a des mesures très fortes et obligatoires qui s’imposent dans des périmètres assez larges autour du captage. Ce n’est pas forcément sur toute l’aire, mais dans les zones les plus vulnérables. Il s’agit de prendre la mesure du fait que les quinze années de politiques post-Grenelle n’ont pas donné grand-chose.
M. Guillaume Choisy. Nous avons beaucoup parlé de l’enjeu réglementaire. Il y a peut-être des enjeux auxquels il conviendrait de donner un cadre national, avec une application par les préfets de sous-bassin. Les molécules et les enjeux ne sont pas forcément les mêmes d’un territoire à l’autre ; cela dépend des cultures et des pratiques culturales. Il y a donc aussi un enjeu de territorialisation. Il s’agit de faire tenir tout cela dans un cadre national qui soit extrêmement contraignant et qui ne repose pas sur le volontarisme. Par ailleurs, avec le plan « eau », des moyens financiers ont été mis sur la table pour accompagner cette transition.
Puis, la commission procède à l’audition de M. Benoît Vallet, directeur général de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), accompagné de Mme Jovana Deravel, chargée de mission auprès de la directrice du pôle Produits réglementés de l’ANSES.
M. le président Frédéric Descrozaille. Nous accueillons maintenant, pour la deuxième fois, des représentants de l’Anses. Nous avions acté la nécessité de vous revoir dès la première audition. Dans l’intervalle, ont été soulevées certaines questions que nous souhaitons approfondir avec vous. Je suis donc heureux d’accueillir monsieur Benoît Vallet, directeur général de l’Anses et madame Jovana Deravel, chargée de mission auprès de la directrice du pôle produits réglementés.
Nous évoquerons notamment un enjeu central : la confiance de nos concitoyens dans les méthodes d’homologation et dans les fondements scientifiques de l’approche du risque et de sa gestion. Certaines de nos auditions sont allées assez loin dans la remise en cause de ces méthodes, tant sur la question de l’indépendance que sur celle des fondements scientifiques de ce qui constitue la preuve d’un danger, d’une toxicité ou d’une écotoxicité. Les problématiques de la collégialité dans la prise de décision et de l’interprétation des études et des tests ont également été soulevées. Nous ne sommes pas des scientifiques : nous n’avons pas le niveau de connaissances nécessaire pour maîtriser parfaitement ces enjeux.
Par ailleurs, lors de nos auditions, le transfert à l’Anses, en 2014, de l’analyse et de la gestion du risque en matière d’autorisation des produits phytosanitaires a été critiqué à plusieurs reprises. La gestion du risque implique nécessairement de tenir compte de beaucoup de paramètres, lesquels ne sont pas uniquement scientifiques. Pour dire les choses de manière profane, lorsqu’on passe à la gestion du risque, on bascule de l’analyse du risque à l’appréciation du risque acceptable. Cette appréciation est désormais confiée à une agence indépendante ; elle est ainsi complètement sortie du champ politique. L’intervention d’une agence indépendante est un gage de confiance pour les citoyens. Mais la déresponsabilisation du politique sur la définition du risque acceptable peut paradoxalement participer de la crise de confiance dans nos institutions. Enfin, il ressort de bon nombre de nos auditions que l’harmonisation de la gestion du risque – actuellement confiée aux États membres – au niveau européen serait probablement un horizon intéressant. Nous aimerions savoir comment vous analysez ces enjeux.
Je précise que cette audition est ouverte à la presse, qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure ».
(M. Benoît Vallet et Mme Jovana Deravel prêtent serment.)
M. Benoît Vallet, directeur général de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Je souhaiterais tout d’abord rappeler que je suis médecin. J’ai donc un regard assez particulier sur les questions que vous évoquez. Je suis également un chercheur et j’ai, à ce titre, beaucoup travaillé, au cours des dix dernières années, sur l’analyse de données massives. Par ce canal, je suis entré progressivement dans l’utilisation des données du service national des données de santé.
Par ailleurs, j’ai été directeur général de la santé de 2013 à 2018. Cela m’a amené à m’intéresser aux questions de santé environnementale et à suivre les travaux de l’Anses. Lors de la crise du Covid-19, j’ai été directeur général de l’ARS Hauts-de-France pendant deux ans. Dans le cadre de ces fonctions, j’ai été confronté à la question des métabolites de chloridazone. C’est en tant que gestionnaire du risque que je me suis penché sur cette question, afin de déterminer comment les agences de l’eau et d’autres partenaires – je pense en particulier aux préfets, qui peuvent prendre des mesures d’interdiction sur l’eau destinée à la consommation humaine – devaient assurer la protection de nos concitoyens.
Enfin, j’accompagne l’Anses depuis maintenant plus d’un an : j’ai été nommé directeur général au mois de novembre 2022. Mais auparavant, j’avais été président de son conseil d’administration pendant deux ans. Cela m’a permis d’avoir une approche tout à fait intéressante et intéressée, en particulier dans le suivi de ces travaux.
Depuis que je suis directeur général, mon regard sur l’organisation de notre responsabilité en matière d’autorisations de mise sur le marché, d’évaluation des risques et de recherche dans ce domaine est devenu plus aigu et plus proche de la réalité de l’action de notre agence. Il s’agit notamment de garantir la confiance des citoyens, dont l’un des moteurs essentiels est l’expertise collective indépendante.
L’Anses doit évaluer la sécurité et l’efficacité des produits phytosanitaires. La question de l’efficacité doit également figurer dans les dossiers : il ne s’agit pas d’autoriser des produits qui auraient éventuellement des effets indésirables et dont l’efficacité ne serait prouvée. Je précise que les dossiers répondent à des critères réglementaires qui conditionnent leur mise sur le marché. Nous évaluons également d’autres produits réglementés, comme les médicaments vétérinaires.
Je ferai une analogie entre la pharmacovigilance pour les produits de santé humaine ou animale et la phytopharmacovigilance, qui est la surveillance de la santé des plantes et des effets que pourrait induire la protection par les produits phytopharmaceutiques de la santé des plantes. Les enjeux sont bien évidemment multiples et complexes. Nous devons avoir le souci de la protection de la santé humaine, animale et végétale tout en protégeant les plantes de ravageurs et d’événements qui pourraient menacer, in fine, l’alimentation de nos concitoyens.
Le travail d’évaluation de l’agence s’inscrit très clairement dans la législation européenne. C’est aujourd’hui le cadre général de notre action. Dans le même temps, des exigences spécifiquement françaises peuvent être prises en compte. Par exemple, la protection des abeilles constitue chantier particulier mis en place au niveau national. Je pense également à l’évaluation de la protection des riverains, avec la mise en place de distances de sécurité. Ces dispositions, qui ont initialement proprement françaises, peuvent ensuite évoluer et être reprises dans des réglementations qui deviennent européennes.
Nous avons ici un travail de proximité à conduire, soit avec l’autorité de la sécurité alimentaire au niveau européen (Efsa), soit en appui scientifique auprès de nos organisations gouvernementales au sein du comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l’alimentation animale de la Commission européenne (CPVADA). Nous sommes bien évidemment présents pour appuyer le ministère de l’agriculture de notre expertise scientifique. Nous avons donc plusieurs voies d’approche afin que la voix de la France se fasse entendre au niveau européen.
Nous évaluons les risques, en particulier pour les riverains. L’appréciation du danger correspond également à une évaluation qui est faite à l’agence. Quand nous regardons aujourd’hui les valeurs toxicologiques de référence pour des produits comme les métabolites de pesticides ou les perfluoroalkylées, qui commencent à poser un certain nombre de questions pour la consommation humaine, nous estimons un danger potentiel et nous définissons une valeur maximale de référence afin de protéger ceux qui en font la consommation et qui y sont exposés.
La différence entre le danger et le risque, c’est que le danger existe dans l’absolu tandis que le risque se manifeste lorsque l’exposition intervient. Notre évaluation des risques se fait à l’endroit des riverains mais aussi pour ceux qui appliquent le produit. L’Anses est en effet également une agence de santé au travail : c’est l’un des enjeux que nous regardons parmi beaucoup d’autres. Il y a aussi des préoccupations liées au transfert du produit vers le sol ou vers l’eau, voire aux résidus dans les aliments. Pour apprécier le risque associé à ces résidus, il convient de regarder si l’exposition dépasse cette valeur sanitaire qu’est la limite maximale de résidus. Des modèles par anticipation ont été développés par les laboratoires accompagnant les industriels dans le dépôt de leurs dossiers, sur les fondements d’observations réalisées sur des organismes animaux ou végétaux. C’est cette évaluation ex ante qui permet de délivrer ou non une autorisation pour un produit.
Nous conduisons aussi une évaluation ex post. Une fois qu’un produit est sur le marché, on surveille l’épidémiologie éventuelle, le risque lié à l’exposition pour nos concitoyens. Des questions se posent aujourd’hui sur la surveillance qui nous sommes en mesure de conduire. L’épidémiologie est en regard, en raison d’un manque de renseignement sur les données d’exposition. La question est de savoir si l’on serait à même d’observer des pathologies en croisant les données d’exposition.
L’agence sanitaire mobilise de nombreuses compétences dans le domaine qui vous intéresse, qui représentent ce qu’elle est structurellement. Nous venons d’aborder la compétence portée par le pôle des produits réglementés, avec un volet évaluation des risques et un volet autorisation.
Par ailleurs, l’agence mobilise également le pôle des références et de la recherche. L’établissement de références repose sur des laboratoires nationaux qui ont des mandats particuliers aux niveaux national et européen, voire international. Cela concerne des sujets très spécifiques dont l’agence a l’expertise de façon unique. Par exemple, elle a le mandat de l’Europe pour un certain nombre de pathogènes animaux sur lesquels elle est à même de rendre à la fois des avis d’expertise et des avis sur les méthodes utilisées pour le diagnostic. Ces mandats peuvent être internationaux, notamment en lien avec l’organisation internationale des épizooties.
Enfin, la recherche qui est menée à l’agence peut porter sur des questions de typologie de diagnostics ou sur des méthodologies pouvant être utilisées par la suite. Dans notre unité de Sophia-Antipolis, la question de la manière dont les pollinisateurs sont affectés par le recours aux produits phytosanitaires est extrêmement scrutée. Cela peut induire des propositions pour faire évoluer la réglementation.
Le troisième pôle de l’agence est celui des sciences pour l’expertise. On y retrouve l’expertise collective indépendante. Elle repose sur 800 experts qui travaillent dans différents types de collectifs. Il y a notamment des collectifs d’expertise scientifique (CES) permanents, mais aussi des groupes de travail, voire des groupes de travail en urgence. Ces derniers sont mobilisés pour approfondir certains sujets lorsque c’est nécessaire et que les CES ont besoin de s’entourer de compétences supplémentaires.
Au total, l’agence compte 1 400 personnels dont 700 dédiées à la recherche, et mobilise 800 experts collectifs à l’occasion de différents travaux.
Je partage tout à fait ce que vous avez dit sur la confiance et sur l’importance de pouvoir donner à nos concitoyens la preuve d’une science complète, indépendante des pressions et des influences, qui utilise les méthodologies attendues pour faire valoir la protection sanitaire humaine, animale ou végétale. Pour cela, il doit y avoir dans les dispositifs proposés ou mis en place des éléments présents, documentés et qui correspondent aux bonnes pratiques des laboratoires.
Cette science est qualifiée de réglementaire. Elle régit le contenu des dossiers qui doivent être documentés parfaitement et dans lesquels on retrouve tous les éléments susceptibles d’éclairer les décideurs que nous sommes en vue de délivrer des autorisations.
Elle ne doit pas être opposée à la science académique, qui est constituée par les travaux menés par des chercheurs dans le monde entier. Ces derniers prennent parfois les sujets phytopharmaceutiques comme des objets d’intérêt. Cette science est prise en compte, notamment par nos collectifs d’experts, lorsqu’ils font une analyse pour les produits réglementés ou pour d’autres sujets concernant l’agence. Science académique et science réglementaires sont ainsi complémentaires.
Mais il est très important de comprendre que les périmètres d’information sur des produits phytopharmaceutiques doivent se faire de manière cohérente. Si la littérature scientifique porte sur un produit associé à des formules non complémentaires ou non caractérisées sur le plan de leur définition chimique, il est très difficile de la comparer à des dossiers dont les produits sont parfaitement caractérisés. On peut donc observer des contradictions entre les résultats obtenus par la science académique et la science réglementaire.
M. Dominique Potier, rapporteur de la commission d’enquête sur les produits phytosanitaires. Puisqu’il s’agit de notre deuxième audition, nous ne reviendrons pas sur le fonctionnement de l’Anses que nous avons bien compris. Votre propos liminaire a néanmoins permis de faire un rappel et d’aborder cette question cruciale qu’est la confiance.
Hier, nous avons auditionné des députés européens qui nous ont fait part des évolutions en cours à l’échelle européenne. Parmi les questions posées par les commissaires présents, il y avait notamment celle de la séparation entre l’évaluation des produits et celle des molécules, entre l’analyse du risque et la gestion du risque. Dans l’absolu, pourrait-on imaginer que l’Europe dispose un jour de l’ensemble des compétences en matière d’analyse du risque et de gestion du risque, à la fois pour les molécules et les produits ? La situation actuelle induit des distorsions de concurrence. Les Etats membres n’ont pas tous les mêmes appréciations. Les agences ne sont pas toutes équipées du même code de déontologie ni de la même armature scientifique ; par conséquent, elles ne tirent pas toutes les mêmes conclusions. Certaines sont parfois sous influence tandis que d’autres non. Les décisions de certains pays sont parfois politiques. Pourrait-on ainsi imaginer demain une unification européenne en matière de sécurité sanitaire, pour remédier à ces disparités ?
M. Benoît Vallet. La question est en réalité de savoir si l’intégralité d’un dossier phytopharmaceutique ne pourrait pas être traitée au niveau européen, par analogie avec le médicament humain. Pour un produit humain, la question de la posologie ne se pose pas d’un État membre à un autre. D’ailleurs, il n’y a qu’une seule agence européenne du médicament. En revanche, on n’a pas encore une agence d’évaluation européenne qui serait l’équivalent de notre Haute autorité de santé. Pour autant, je pense qu’on en prend le chemin.
Il est cependant assez difficile de transposer intégralement ce système aux produits phytopharmaceutiques. En réalité, les zones sud, centre et nord de l’Europe sont assez différentes, s’agissant des pratiques agricoles et des typologies d’agricultures. Les zones agropédoclimatiques répondent à des logiques très spécifiques, qui ne sont bien évidemment pas les mêmes partout en Europe.
M. Dominique Potier, rapporteur. Cela ne nous a pas échappé. On pourrait avoir une politique européenne qui tienne compte des zones agropédoclimatiques et des systèmes de cultures. D’ailleurs, les frontières des Etats ne correspondent pas à ces zones, à commencer par celles de la France, qui englobent à la fois une zone méditerranéenne et une zone septentrionale.
M. Benoît Vallet. Lille est proche de la Belgique ; pourtant, elle n’appartient pas à la même zone pour ce qui concerne les autorisations. Il y a toujours ainsi des effets de frontières. Je pense quand même c’est plus adapté de procéder comme nous le faisons pour des questions de logique agricole. Les produits répondent à des logiques de proximité. Le système actuel garde donc à ce jour une certaine cohérence.
Ce n’est pas parce que nous donnons des autorisations que nous sommes gestionnaires du risque. Le gestionnaire reste l’utilisateur et, en l’occurrence, aussi le ministère de l’agriculture. Nous n’avons pas de séparation entre l’autorisation et l’évaluation du risque. L’agence qui évalue les risques est certainement bien placée pour délivrer des autorisations sur les produits, sachant qu’il y a de toute façon une évaluation ex post régulière.
M. Dominique Potier, rapporteur. Il y a sans doute une incompréhension. Il peut effectivement y avoir plusieurs zones au sein d’un même pays. Lille pourrait très bien être traitée comme la Belgique au plan européen. Le problème que je pointe, c’est la capacité d’un pays à avoir une gestion du risque différente pour un même produit, laquelle engendre une distorsion de concurrence. Ce sujet revient en permanence dans les auditions que nous conduisons. J’envisage ainsi une centralisation de l’évaluation des produits au sein d’une agence européenne qui s’appuierait sur les connaissances et les expertises des agences nationales. Cet horizon est-il souhaitable ?
M. Benoît Vallet. Une agence nationale peut prendre une décision qui anticipe ou complète l’usage d’un produit et peut aller jusqu’à l’interdire ; un signalement est alors envoyé au niveau européen, afin que les autres États membres s’emparent de la question telle qu’elle a été posée par cette agence.
Par ailleurs, les agences sanitaires des différents pays travaillent ensemble. J’ai rencontré des organisations homologues avant-hier, réunies entre Amsterdam et Copenhague. Nous mettons en place des travaux convergents qui permettent de faire des propositions au niveau européen afin de faire avancer un certain nombre de dossiers.
De toute façon, cette complémentarité souhaitable au niveau européen s’inscrit dans la logique que vous revendiquez. Lorsqu’un produit est interdit dans un pays, cela devrait être le cas partout. C’est un mécanisme qui est sous-jacent à la façon dont les agences sanitaires des différents pays européens communiquent entre elles et avec l’Efsa et l’agence européenne des produits chimiques (Echa), qui évalue des dossiers selon les réglementations Reach et CLP.
M. Dominique Potier, rapporteur. Nous avons bien mesuré toutes les interactions de l’Anses avec l’Efsa. Pour autant, le système des autorisations de mise sur le marché (AMM) zonales fonctionne plutôt mal. Il y a peu de transpositions. Dans ce contexte, l’horizon d’une AMM européenne apparaît souhaitable pour un certain nombre de petites cultures qui subissent des concurrences violentes, de nature à les faire disparaître dans certains pays.
J’en viens à une question philosophique. Il ressort de toutes les auditions que nous avons pu mener jusqu’à présent qu’on ne sait pas, qu’on ne trouve que ce qu’on recherche et qu’on trouve d’autres choses en cherchant. Les chercheurs nous disent avec humilité qu’on n’est pas au bout des questions de combinaison, d’exposome et d’impact des molécules et des produits à long terme.
Certains disent : « Étant donné qu’on ne sait pas tout, il faut arrêter d’autoriser et tout interdire ». D’autres disent : « Dans ce cas, on arrête de produire et on meurt de faim ». Je simplifie un peu les choses, mais ces deux discours existent. Avez-vous théorisé cette question ? Comment pourrait-on éviter d’être dans cet antagonisme et réussir à dire : « On ne sait pas tout, mais on en sait suffisamment pour prendre une décision humble qui pourra être révoquée ultérieurement sur la base d’un constat qui serait fait sur le terrain » ? Comment cette incomplétude de la science permet-elle néanmoins de continuer à avancer dans un climat de confiance ?
M. Benoît Vallet. Le principe de précaution n’est pas le principe d’interdiction. Nous avons besoin d’un certain nombre de ces produits, tout comme nous avons besoin des produits de santé humaine pour traiter des pathologies. Comme vous le savez, ces produits de santé humaine sont dangereux. En tant que tels, ils représentent des dangers. C’est leur utilisation aux bonnes doses et surtout avec les bonnes indications qui permet de sécuriser leur usage.
D’une certaine manière, il en va de même pour les produits phytopharmaceutiques. Tout comme des essais cliniques en santé humaine interviennent préalablement aux autorisations de mise sur le marché, il est indispensable de faire une évaluation ex ante des risques associés aux dangers potentiels présentés par ces molécules avant d’autoriser la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. Il s’agit de regarder à qui nous les délivrons, les terrains qui les utilisent, la destruction d’un certain nombre de ravageurs. Ceux qui les utilisent peuvent se contaminer eux-mêmes. De la même façon, nous prenons des précautions extrêmes lorsque des produits humains sont préparés pour lutter contre le cancer.
Il y a ensuite toute une analyse ex post. Que deviennent ces produits une fois qu’ils ont été mis sur le marché ? Présentent-ils des risques qui auraient été ignorés ? de la même manière qu’on fait de la pharmacovigilance en santé humaine, en matière de phytopharmacie, on fait de la phytopharmacovigilance. On regarde par exemple les risques qui peuvent concerner les eaux. C’est dans ce cadre que nous avons interdit les produits contenant du S-métolachlore entre février et mai, parce que ces produits ont été retrouvés dans les eaux souterraines et qu’ils présentaient un risque pour les nappes phréatiques et l’évolution de nos ressources en eau potable.
La phytopharmacovigilance concerne également l’air. C’est ainsi que des signalements mettant en évidence la présence de prosulfocarbe dans l’air ont permis de déclencher un réexamen au niveau national. Dans ce cadre, l’agence a pris la décision de renforcer l’usage des buses anti-dérive à 90 % sur une période de six mois, au terme de laquelle nous demandons à l’industriel – qui s’est engagé à le faire – des données probantes sur l’exposition des riverains, qu’il s’agisse d’adultes ou d’enfants. Cela figure désormais sur les autorisations de mise sur le marché modifiées. Si ces données ne nous sont pas fournies au mois de juin, ces produits seront tout simplement retirés du marché.
Il est aujourd’hui tout à fait indispensable de saisir le concept de pharmaco-épidémiologie. En quoi cela consiste-t-il ? Pour la santé humaine, il s’agit de tirer parti des données massives dont nous disposons dans le cadre du système national des données de santé (SNDS). Lorsqu’un vaccin est mis sur le marché, grâce au SNDS, nous disposons d’informations très rapides et en très grand volume. Par exemple, lors de la crise du Covid-19, des millions de personnes ont été vaccinées. Nous regardons les signalements qui ont été effectués auprès de l’assurance-maladie en matière de soins qui doivent être délivrés en raison d’effets indésirables. Cela nous permet ainsi d’avoir une approche épidémiologique des pathologies induites par un produit de santé.
Cela a été fait pour de très nombreux produits. Vous vous souvenez sans doute de l’affaire Dépakine. Lorsque des femmes enceintes avaient malheureusement pris de la Dépakine pendant leur grossesse, nous avons regardé les effets que cela pouvait avoir sur les enfants à naître. Aujourd’hui, des liens ont pu être établis entre l’exposition de la maman et l’enfant à naître ou le nouveau-né.
La pharmaco-épidémiologie permet ainsi de renseigner des bruits très faibles. Il faut pour cela avoir un ensemble de données très important. On pourrait appliquer le même concept à la phytopharmacovigilance et faire de la phyto-pharmaco-épidémiologie. Il faudrait pour cela instaurer dans notre pays une traçabilité des produits phytopharmaceutiques utilisés à la parcelle, qui permettrait de géolocaliser de manière précise l’usage de ces produits phytopharmaceutiques.
La loi l’impose aujourd’hui, pour cinq ans, sous forme de registres papier ou électroniques. Pour autant, le renseignement de ces données n’est pas uniformisé. Si ces données étaient uniformisées, renseignées, collectées et saisies au niveau national, cela permettrait de faire de la phyto-pharmaco-épidémiologie.
On pourrait alors croiser des données de santé et des données d’exposition, sous réserve de faire un registre à vie. En effet, l’épidémiologie ne se déclenche pas en cinq ans ; du moins, c’est très rare. En règle générale, l’observation ne peut se faire que sur des périodes d’une durée minimale de quinze à vingt ans. Il faudrait donc aller un peu plus loin que ce qui figure actuellement dans la loi.
M. Dominique Potier, rapporteur. Nous en arrivons à un point nodal de notre commission d’enquête, où nous allons être amenés à traiter avec vous certains points qui ressortent de critiques émises notamment par Mme Laurence Luc et par Secrets toxiques.
Laurence Huc a notamment pointé du doigt une institution internationale, l’ILSI (international life sciences Institute), qui jouerait un rôle très important sur la normativité et la taxonomie à l’échelle européenne. Ce serait un lieu d’influence des grands opérateurs de la phytopharmacie ou de la chimie en général sur le monde scientifique. Que pouvez-vous nous dire au sujet de cette institution ? Nous interrogerons également l’Efsa à ce sujet et, plus généralement, sur l’influence du lobbying de l’industrie phytopharmaceutique dans la création des normes en matière de recherche.
M. Benoît Vallet. Cette institution est sponsorisée par Coca-Cola, Danone et de très nombreux industriels. Elle n’entre pas dans notre champ de connaissances ou d’échanges. Ce que dit Laurence Huc doit être regardé avec attention. Si la démonstration était faite que l’ILSI influençait des intervenants responsables de l’évolution de la réglementation, ce serait très problématique. Je pense qu’à cet égard, votre audition de l’Efsa sera intéressante.
Le lobbying en matière phytopharmaceutique pourrait être mieux régulé en s’inspirant de ce qui a été fait pour les produits de santé humains. En 2016, la transparence santé a été fortement renforcée par la ministre Marisol Touraine. Elle a mis en place la base de données publiques Transparence – Santé, qui impose aux entreprises de renseigner toutes les informations concernant les liens d’intérêts établis avec des experts, ce qui permet de savoir s’ils sont influencés par l’industrie pharmaceutique. Tout un chacun peut consulter les rémunérations et avantages perçus par ces experts.
On pourrait, selon les mêmes modalités, voir si certains experts sont influencés par les lobbys industriels en matière phytopharmaceutique. Nous le faisons déjà par le biais des déclarations auxquelles sont tenues les experts. Mais l’avantage de la base transparence santé, c’est qu’elle est renseignée par les industriels eux-mêmes. Nous pourrions ainsi nous assurer que les collectifs d’experts qui déclarent ne pas être influencés ne le sont pas en réalité. Nous sommes très soucieux de renseigner les déclarations publiques d’intérêts de tous nos experts ; nous pourrions croiser les informations. L’Anses reste vigilante sur ce point.
M. Dominique Potier, rapporteur. D’après le député européen Pascal Canfin, il serait souhaitable, dans le cadre du projet de règlement européen « SUR », de s’inspirer de la réglementation américaine, laquelle oblige les industriels à transmettre toutes leurs évaluations de toxicologie, alors que l’usage européen est de leur demander de transmettre seulement ce qui leur paraît pertinent. J’avais compris que l’Efsa imposait un cahier des charges aux industriels. Ce serait utile de préciser les différences entre les réglementations américaine et européenne. Il conviendrait peut-être de s’inspirer de l’exhaustivité de la première. Par ailleurs, on nous dit que nous n’avons pas les moyens humains d’exploiter complètement les dossiers fournis par les industriels, que ce soit à l’Efsa ou dans les agences nationales.
Tout cela induit une perte de confiance terrible pour le citoyen. Demande-t-on les bons documents aux industriels ? Est-ce laissé à leur libre arbitre ? A-t-on le temps de les exploiter ? Rassurez-nous !
M. Benoît Vallet. Fort heureusement, ça ne relève pas du libre arbitre. Autrement, ils pourraient nous présenter seulement ce qu’ils estiment être pertinent, qui pourrait ne pas correspondre à la réglementation, laquelle est pourtant claire. Le cahier des charges est extrêmement extensif. Beaucoup de champs sont explorés en matière d’évaluation de risques et de classification du danger. Tous les éléments en termes d’effets sont renseignés de façon particulièrement exhaustive. Pour ma part, je n’ai pas le sentiment que des choses soient laissées de côté dans ce que les industriels doivent fournir.
Mais par ailleurs, tout benchmark est bon à prendre. S’il y a des différences si importantes entre les dossiers européens et les dossiers américains, nous demandons à en prendre connaissance. Bien évidemment, ces informations seront regardées avec intérêt.
Dans le cadre de la procédure d’autorisation, une étape de pré-soumission est prévue. Globalement, les industriels se plaignent d’ailleurs de ne pas avoir un accès suffisant à l’Anses – en réalité, c’est un gage de protection. Afin d’éviter d’instruire des dossiers qui ne seraient pas complets, lors de cette pré-soumission, nos équipes regardent si tous les éléments demandés sont présents. À défaut, le dossier sera rejeté. Il n’y a donc pas d’inquiétude à avoir sur ce point.
On pourrait arguer que les industriels ne nous donnent pas toutes les données. Fort heureusement, nous examinons également les données brutes obtenues par les laboratoires. Elles sont réexaminées par les experts de l’agence, qui sont pleinement compétents pour ce faire. Ensuite, ces éléments sont fournis à un collectif d’experts qui analyse le dossier et détermine s’il y a lieu d’autoriser ou de demander des éléments complémentaires, dans le cas où le dossier tel qu’instruit apparaît insuffisant. C’est ainsi qu’il y a eu deux allers-retours sur le prosulfocarbe.
La réglementation et les éléments de documentation peuvent toujours être améliorés. Cela rejoint les travaux effectués par l’agence au niveau européen pour approfondir des tests qui seraient encore insuffisants aujourd’hui – je pense notamment à des éléments relatifs à la neurotoxicité, qui sont compliqués à renseigner.
M. Dominique Potier, rapporteur. La question des moyens a été posée par Nicole Le Peih et André Chassaigne, qui ont fait un déplacement à Parme dans le cadre d’une autre mission parlementaire sur le plan stratégique national (PSN). L’Efsa n’a pas assez de moyens : elle dispose de 150 millions d’euros pour des missions qui sont capitales à l’échelle européenne. Faut-il renforcer l’Efsa ? Est-ce que les besoins de l’Anses sont eux aussi insatisfaits ? Certaines limites budgétaires ont été levées dans la loi. Disposez-vous des moyens suffisants pour examiner correctement tous les dossiers qui vous sont fournis par les industriels ?
M. Benoît Vallet. L’Anses a un budget de 160 millions d’euros. C’est donc une grande agence. J’insiste sur ce point, car une partie de l’enjeu pour l’Efsa est ce qu’on appelle aujourd’hui le partnership. Il s’agit de travailler de manière encore plus étroite avec les différentes agences sanitaires des États membres, pour renforcer la capacité à agir et à évaluer les risques des contaminants. Si chaque pays fait le travail de son côté, c’est une perte d’efficience.
Un groupe de travail est actuellement en cours d’installation au niveau européen ; il vise à faire en sorte que chaque pays s’intéresse plus particulièrement à certains PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées), de façon à ce que la charge de travail soit partagée.
L’Efsa n’est pas limitée en moyens financiers, mais plutôt en ressources humaines. La disponibilité en expertise n’est pas toujours simple à assurer. D’où l’importance du partnership et du networking, c’est-à-dire du rapprochement des agences sanitaires des États membres avec l’Efsa – sous réserve que les méthodologies soient harmonisées.
S’agissant de l’Anses, les taxes prévues pour l’enregistrement des dossiers phytopharmaceutiques n’ont pas été actualisées par rapport à l’évolution du coût de la vie. Nous sommes ainsi un peu en décalage par rapport à ce que nous dépensons pour évaluer ces dossiers. Cependant, nous avons un très bon dialogue avec le ministère de l’agriculture sur ce sujet. Dans le cadre de la prochaine loi de finances, il est question, a minima, d’asseoir l’évolution de ces taxes sur l’inflation.
Un effort tout particulier a été fait pour la promotion du biocontrôle, qui se traduit notamment par des taxes beaucoup moins importantes que pour les produits phytopharmaceutiques. De ce fait, pour le biocontrôle, nous sommes très en décalage par rapport à l’investissement que cela suppose en termes de ressources humaines. Lorsqu’on procède à l’examen d’un dossier de biocontrôle, on le fait de manière aussi sérieuse et complète que pour un dossier phytopharmaceutique. Sur ce sujet, nous avons également un dialogue avec le ministère de l’agriculture, pour faire en sorte qu’une compensation soit prévue pour chaque année budgétaire, afin de ne pas avoir à augmenter les taxes.
M. Dominique Potier, rapporteur. Ma dernière question est d’ordre politique. Il y a le marché et l’opinion. Il y a également la science et la démocratie. Hier, en commission des affaires européennes, Delphine Batho a rendu un rapport de mission sur le glyphosate en concluant qu’il s’agissait ni plus ni moins de choisir si on devait autoriser « un poison » en France. Cela a donné lieu à une discussion passionnée. Ainsi, tous les efforts de pédagogie que nous faisons se heurtent en permanence à une défiance et une certaine radicalité des positions. Ce constat d’échec peut sembler désespérant.
C’est dans ce contexte que je vous soumets l’une des questions centrales à l’origine de cette commission d’enquête. Pensez-vous que nous puissions remettre en cause la loi de 2014 – qui donne les prérogatives que nous connaissons à l’Anses en matière d’autorisation – sans retomber dans une sorte de prééminence de l’opinion ou du marché, laquelle induirait une pression économique importante sur les décideurs politiques ?
M. Benoît Vallet. La controverse sur le glyphosate résulte de la différence des périmètres de littérature scientifique analysés par le centre international de recherche sur le cancer (Circ) et par l’Efsa. Il faut savoir que la classification du Circ n’est pas complètement probante ; elle correspond à l’équivalent d’une cancérogénicité suspectée, c’est-à-dire de niveau 2 dans la classification CLP.
Les travaux qui ont ensuite été conduits par notre homologue allemand, le BFR, et par l’Efsa, ont conduit à une réapprobation du glyphosate en 2017, pour une période limitée. Ces travaux ont analysé une littérature plus complète que celle prise en compte par le Circ ; et la suspicion de cancérogénicité n’a pas été démontrée. L’expertise collective sur le glyphosate a été très exhaustive.
La position revendiquée par le gouvernement français est originale. Nous travaillons avec des organisations de recherche, en particulier l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), qui a fourni une évaluation comparative. Il en ressort qu’il est possible d’utiliser, pour un certain nombre d’usages, des alternatives au glyphosate. Cependant, cette substance n’était pas candidate à la substitution, d’où l’originalité du dispositif utilisé. Grâce aux travaux qui ont été effectués par l’Anses et l’Inrae, l’autorisation a été maintenue pour un certain nombre d’usages pour lesquels il n’y avait pas d’alternative chimique ou mécanique.
Il y a également la question du délai d’autorisation. Comme il ne s’agit pas d’une substance candidate à la substitution, elle n’a pas vocation à disparaître et doit être réautorisée pour une période de dix ans. La France plaide pour une durée moins longue pour cette réapprobation. Comme vous le savez, le débat est toujours en cours.
L’Anses n’est pas responsable de la limitation des usages des produits phytopharmaceutiques. L’Inrae s’inspire notamment des fermes Dephy, qui sont réparties dans la France entière et dont les usages sont regardés avec beaucoup d’attention. Nous n’avons pas toujours les renseignements nécessaires sur l’usage de ces produits, sauf dans un certain nombre de sites qui sont volontaires. Si l’on considère l’écart entre les meilleures et les moins bonnes pratiques en matière phytopharmaceutique, un alignement sur les bonnes pratiques diminuerait globalement les usages de 40 %. Mais ce n’est pas l’Anses qui peut le faire. Cela nécessite des travaux complémentaires et des réglementations additionnelles en matière d’utilisation de ces produits.
Il faut également renforcer l’agriculture de précision. Je me réfère ici au travail effectué par l’agence sur le prosulfocarbe ; l’utilisation de buses extrêmement performantes permet de réduire la dérive de 90 %. Ce n’est ni un problème technique ni un problème de financement. Il s’agit simplement de décider de s’orienter vers quelque chose de plus précis en termes d’utilisation des produits phytopharmaceutiques. Il faut donc combiner les approches quantitatives et qualitatives.
Nous avons supprimé beaucoup d’autorisations de mise sur le marché. Un grand nombre de substances n’ont pas été renouvelées ces dernières années. Pour autant, la quantité baisse peu dans l’absolu : on passe en réalité d’un produit chimique à un autre. Si l’on souhaite répondre aux impératifs d’Écophyto, il faut aussi qu’il y ait globalement une modification des usages.
M. Dominique Potier, rapporteur. Peut-on sortir de la loi de 2014 sans tomber dans une forme de dictature de l’opinion ?
M. Benoît Vallet. Il m’est difficile de répondre à cette question. Il me semble que l’agence est la mieux placée pour mesurer les risques et émettre des autorisations avec le plus de conscience possible quant aux risques pris en matière de santé humaine, animale et végétale. Il serait sans doute regrettable de revenir sur les décisions qui ont conduit à transférer à l’Anses les autorisations de produits phytopharmaceutiques en 2014 et de produits biocides en 2016.
Le ministère de l’agriculture conserve la possibilité de recourir au mécanisme de dérogation dit « des 120 jours » pour contrer des périls imminents sur les cultures. Cela permet d’utiliser des produits qui auraient été interdits, notamment face à une présence exceptionnelle de ravageur. Cette dérogation a vocation à s’appliquer lorsqu’une mesure d’autorisation est appropriée de façon globale mais non appropriée dans un contexte spécifique. Par exemple, lorsque des moustiques extrêmement envahissants étaient présents et vecteurs de pathologies comme le paludisme, en particulier en Guyane, certains biocides ont été utilisés de façon dérogatoire pour répondre à une mise en péril de la santé humaine. C’est à la main des autorités de gestion et de régulation.
M. le président Frédéric Descrozaille. J’ai deux questions. La première concerne la remise en cause de la scientificité, de la crédibilité et de la confiance qui peut être accordée aux travaux que vous conduisez sous la responsabilité de l’Anses.
Je ne vous demanderai pas d’explications sur des points que nous ne sommes pas en mesure de juger, n’ayant pas les connaissances scientifiques nécessaires. Par exemple, Laurence Huc nous a dit que les collectifs d’experts étaient parfois incomplets car certaines compétences spécialisées sont trop peu représentées pour être vraiment prises en compte. Elle a cité l’exemple de la cancérogénicité des molécules, en expliquant que l’on étudie leur impact sur le noyau et l’ADN, mais pas leur impact indirect sur les mitochondries et la perméabilité des membranes. Ainsi, les effets épigénétiques seraient beaucoup trop peu pris en compte. On entre ici dans un niveau de détail scientifique qui n’est probablement pas adapté au cadre de cette audition ; il serait néanmoins intéressant que vous nous envoyiez des éléments écrits sur cette question.
Par ailleurs, il n’y a rien de pire pour ruiner la confiance qu’une autorité qui s’exerce de manière incohérente. Les gens entendent que les scientifiques ne sont pas d’accord entre eux ; cela a un effet dévastateur. Ne pensez-vous pas qu’il serait utile d’organiser une controverse avec les scientifiques qui expriment des désaccords, avant que cela n’éclate dans les médias ? Je ne remets pas en cause l’intégrité intellectuelle et morale de Laurence Huc. Je fais au contraire l’hypothèse de sa sincérité et de la pertinence de ses propos. Pour autant, elle intervient dans les médias et des collectifs affirment que l’on autorise aujourd’hui des produits dont le danger n’est pas contrôlé, en raison des mécanismes précédemment évoqués. On sait que la science avance avec le doute et la contradiction, mais procéder par médias interposés sur des questions aussi émotionnelles est catastrophique.
J’en viens à votre responsabilité dans le contexte de la loi de 2014. Vous aviez été auditionné avec madame Grastilleur par la commission des affaires économiques, sur la question de la phosphine. Il s’agit d’un produit dont la toxicité et la dangerosité sont très importantes ; son utilisation est donc très réglementée. La stratégie consistant à limiter les usages a un impact sur la capacité des céréaliers à exporter. Je n’en discute pas le fondement puisqu’il y a un enjeu moral, éthique, économique et sanitaire.
Cependant, lorsque vous prenez une telle décision, dans la mesure où vous êtes un organe indépendant, vous êtes institutionnellement responsables de votre personnel. Devant qui répondez-vous de cette décision ? À un moment donné, la loi vous a confié le soin de prendre des décisions qui ne sont pas uniquement fondées sur des faits vérifiables et objectifs, mais également sur l’interprétation d’une incidence économique, sociale, sociétale, etc. Pour autant, vous n’êtes pas tenus de rendre compte de vos appréciations devant un conseil d’administration ou une instance délibérative élue. Par exemple, on a substitué l’acide pélargonique au glyphosate pour désherber les voies ferrées. Le coût du traitement est ainsi passé de 110 à 270 millions d’euros. Or, j’ai cru comprendre que l’écotoxicité de cette molécule était supérieure à celle du glyphosate. Qui dit si c’est mieux ou si c’est moins bien ?
M. Benoît Vallet. Pour l’instant, le glyphosate n’est pas interdit pour les travées de chemin de fer. La substitution que vous évoquez relève d’un choix de la société nationale.
La phosphine a vu son autorisation de mise sur le marché (AMM) rénovée en octobre 2022. Il avait alors été demandé que la fumigation ne se fasse pas au contact des grains. En effet, le dossier fourni n’était pas assorti d’éléments d’information suffisants pour s’assurer que la limite maximale de résidus n’était pas dépassée. Le pétitionnaire nous a indiqué qu’il ne pouvait pas nous transmettre ces données. C’est la raison pour laquelle cet usage particulier n’a pas été autorisé. Ceci ne pose aucun problème du point de vue de l’organisation européenne.
En revanche, cela pose un problème à l’export : les pays vers lesquels ces grains partaient n’étaient pas en accord avec la nouvelle technique de fumigation. En réalité, la réglementation européenne ne prévoit pas de limite maximale de résidus à l’exportation vers des pays tiers. En l’occurrence, l’autorisation telle que donnée par l’agence ne posait pas de problème pour les transporteurs. Le ministère de l’agriculture nous a demandé de faire un simple renvoi aux textes européens dans notre autorisation de mise sur le marché, afin que les contrôleurs des services de l’agriculture et les transporteurs puissent l’utiliser sans avoir le sentiment de déroger à une règle. Cela ne change rien à l’AMM puisque l’usage reste le même. Cette affaire a pu donner l’impressions d’une mise en péril des activités économiques, du fait des décisions de l’agence. Mais ce n’est pas le cas dans la pratique.
La souveraineté alimentaire et la nécessité d’une alimentation correcte pour nos concitoyens font partie de nos préoccupations. Ce n’est pas ce qui va guider notre main en termes de sécurité sanitaire mais nous prenons tout de même en considération les difficultés techniques que cela engendre pour les agriculteurs. J’en reviens au prosulfocarbe : ce n’est pas une molécule à danger élevé aujourd’hui, sa classification ne pose pas problème. C’est sa dispersion dans l’air qui est problématique.
Nous avons des collectifs de représentation des domaines concernés par nos autorisations. Je pense notamment au comité de suivi des autorisations de mise sur le marché. Nous avons par ailleurs, au sein même de l’organisation de l’agence, des experts dans ces domaines qui sont capables d’apprécier les difficultés pour les agriculteurs.
Même si nous sommes des décideurs, nous rendons des comptes devant la représentation nationale. Pour le S-métolachlore, nous avons été convoqués devant plusieurs commissions, au sujet des décisions que nous nous apprêtions à prendre. Nous avons rendu compte devant le législateur des obligations qui étaient les nôtres, face à la menace sur la santé environnementale. Il s’agissait de prouver que nous avions des éléments de pharmacovigilance et d’exposition des eaux souterraines justifiant ce retrait. D’ailleurs, le S-métolachlore est également en retrait à l’échelle européenne à présent, avec des délais de grâce plus courts que ceux que nous avions donnés à l’époque, ce qui fait qu’il n’y aura pas de distorsion de concurrence dans le cas particulier de ce produit.
Quant à l’organisation de la controverse, nous avons justement une représentation pluridisciplinaire dans nos collectifs d’experts pour répondre aux questions qui ont été soulevées par madame Huc. Nous le faisons avec une pondération extrêmement précise des compétences et des champs d’activité de ces différents experts.
Nous avons notamment travaillé avec madame Huc sur les inhibiteurs de la succinate déshydrogénase. Ses compétences dans le domaine ont été utilisées et ses expertises ont été intégrées dans l’étude sur l’éventuel caractère de perturbateur endocrinien de ces molécules. Elle a exprimé un certain nombre d’avis divergents, aussi bien sur des éléments scientifiques que sur la conduite des travaux.
Cela figurera dans le rapport qui sera rendu, puisque l’agence fait toujours état des avis divergents. L’Anses laisse toujours une place centrale au collectif d’experts dans le cœur de l’avis. Dans la conclusion, qui est aux mains de l’agence, on explique le contexte, la saisine qui a été faite et les demandes qui ont été exprimées. Nous reprenons les conclusions des experts, soit en les endossant complètement, soit en les nuançant. Il faut savoir que certaines recommandations des experts trouvent difficilement un champ d’application dans les politiques publiques. Même si c’est assez rare, cela peut arriver.
Les groupes pérennes d’expertise collective de l’agence sont des comités d’experts spécialisés. Ils agrègent de nombreuses compétences. Mais pour des travaux sur des sujets très spécifiques, tels que les inhibiteurs du succinate déshydrogénase, l’agence et ses CES s’entourent de groupes de travail supplémentaires afin de s’enrichir de compétences nouvelles.
Il est également important de souligner qu’il peut y avoir en cours de travail un ajustement par rapport aux éléments de saisine initiaux. Il peut d’ailleurs s’agir d’une auto-saisine, comme c’est le cas dans ce dossier. Un certain nombre d’éléments peuvent apparaître et nécessiter la consultation d’experts supplémentaires. Il est également possible que certains membres demandent des auditions supplémentaires et qu’il ne soit pas toujours donné suite.
Il y a un terme important dans « collectif d’experts », c’est « collectif ». Il arrive parfois que les scientifiques se contredisent entre eux. C’est d’ailleurs l’une des richesses de la science puisqu’elle évolue aussi grâce à ces contradictions. À un moment, il est pourtant nécessaire d’avoir le sens général le plus commun, qui fait courir le moins de risques possible à nos compatriotes. C’est ainsi que ces groupes travaillent et progressent.
M. Grégoire De Fournas (RN). À propos de la loi de 2014, vous dites que l’agence qui évalue est sans doute la mieux placée pour prendre la décision. Lors de votre audition devant la commission des affaires économiques, il m’avait semblé comprendre que vous reconnaissiez aussi les limites de la prise en compte de la dimension politique. Vous aviez également rajouté que vous étiez responsable des décisions sur le plan pénal.
Il nous a été précisé que l’agence n’avait pas de latitude politique pour aménager la décision. Il s’agit donc bien d’une décision fondée sur des éléments scientifiques. Pour autant, vous ne prenez pas en compte les distorsions de concurrence et les différentes conséquences. Pourriez-vous donc nous repréciser ce que vous avez dit à ce sujet devant la commission des affaires économiques ?
M. Benoît Vallet. La responsabilité pénale est effectivement la mienne puisque c’est au nom des collectifs que je prends un certain nombre de décisions. Si, dans cinq ou dix ans, on a des éléments d’évaluation permettant d’estimer que certaines décisions n’auraient pas été appropriées dans le domaine de l’agence, c’est-à-dire celui de la sécurité sanitaire, c’est sur ce point qu’on me demandera de rendre des comptes.
Ce ne sont pas des décisions légères. Elles sont au contraire compliquées à prendre. Nous avons conscience des difficultés que cela peut engendrer pour les utilisateurs. Pour autant, mon champ de compétence est celui de la sécurité sanitaire et, telles qu’elles sont bâties aujourd’hui, les autorisations de mise sur le marché ne sont pas censées prendre en considération des intérêts économiques ou des intérêts de filière. Il peut néanmoins y avoir des intérêts nutritionnels ou d’alimentation ; les dérogations à la main du ministère de l’agriculture peuvent apporter une solution sur ce point.
Je précise que nous avons aussi une direction spécialisée dans les sciences économiques et sociales. Les sujets liés à la protection des personnes ou de l’environnement engendrent souvent des difficultés de perception et des conséquences économiques et sociales. Ces aspects supposent aussi une expertise qu’il est très important de cultiver.
Nous avons également des comités de dialogue, en particulier sur les biotechnologies, et des plates-formes, notamment dans le contexte des produits phytopharmaceutiques, qui permettent aux différentes parties prenantes de se retrouver sur des sujets d’intérêt. On y trouve notamment des représentants des organisations de protection de l’environnement, des pétitionnaires et des acteurs du domaine sanitaire. C’est donc une représentation très complète des interférences sociétales.
M. Grégoire De Fournas (RN). Vous dites que vous ne prenez pas en compte la dimension économique dans vos décisions. La coopération agricole nous disait hier que la production de protéines végétales était au point mort, du fait du retrait de certaines molécules. Le fait que certaines productions ne peuvent plus être réalisées en France – c’est, par exemple, le cas de la cerise – n’entre donc pas en considération dans vos décisions.
En ce qui concerne le glyphosate, l’agence a mis en place des restrictions d’usage en 2020. On a l’impression que cela suivait la position du gouvernement, que vous avez rappelée. L’avis rendu par l’Efsa va-t-il vous amener à reconsidérer votre décision ? Je suis viticulteur. L’alternative à la restriction du glyphosate dans la viticulture est la flumioxazine, qui est un produit CMR. Autrement dit, certains viticulteurs se sont mis à réutiliser un produit CMR pour compenser la restriction d’usage d’un produit qui n’est pas classé comme tel. Ne s’agit-il pas là d’une aberration ?
M. Benoît Vallet. Vous avez raison. C’est pour cela que j’indiquais tout à l’heure que nous ne travaillons pas seuls. Aujourd’hui, plusieurs ministères et acteurs se réunissent pour regarder les substances actives qui vont être retirées et les alternatives disponibles, en particulier non chimiques. C’est donc le travail d’un collectif d’acteurs, au sein duquel l’Anses peut prendre sa place au titre des autorisations de mise sur le marché et de leur évolution.
Par ailleurs, la réduction des produits phytopharmaceutiques ne passe pas simplement par la gestion des autorisations de mise sur le marché. De très nombreux produits ont été retirés ces dernières années. Pour autant, les volumes stagnent ; on recourt à d’autres molécules qui sont parfois plus préoccupantes que celles qui sont retirées. Il est important d’avoir une vision holistique de toutes les molécules. Il faut faire évoluer nos pratiques, ce que l’Anses ne peut pas faire seule. Cette logique n’est pas dans les mains de l’agence. Elle a déjà une grande responsabilité sur la façon dont les produits sont autorisés, et également à travers les travaux de recherche qu’elle conduit.
Nous sommes ainsi coordinateurs pour un projet qui s’intitule Parc (partenariat européen pour l’évaluation des risques liés aux substances chimiques). Il a été lancé en 2022, pour une durée de sept ans. Il est doté d’un budget de 400 millions d’euros, dont la moitié provient de la Commission européenne. Il permettra sans doute de donner des informations plus importantes sur les intrants présents dans le corps humain. Cela concerne plusieurs produits et d’autres environnements chimiques, dans une prise en considération globale de l’exposome, c’est-à-dire de l’exposition complète de la personne et de son génome.
La question de l’épigénétique a été évoquée tout à l’heure. Il s’agit du transfert générationnel de modifications génétiques. L’agence travaille également sur ces sujets-là. Elle a notamment fait une étude sur le glyphosate et les truites, qui démontre la transmission générationnelle d’un certain nombre d’anomalies, à des doses environnementales qui étaient sans doute appropriées. Cette étude a été prise en compte pas le collectif d’examen pour la réapprobation de la molécule. Ce sont donc des travaux utiles.
M. Laurence Heydel Grillère (RE). Mes questions sont en lien avec des réponses qui nous ont été faites concernant les biocides et les pesticides. Leur objectif est le même : tuer de la vie. Dans ce contexte, pourquoi avoir établi une réglementation distincte pour chaque catégorie ? Pourquoi les raisonnements ne sont-ils pas les mêmes en termes d’application ? On se permet notamment des pulvérisations de biocides dans des zones touristiques.
Par ailleurs, certaines personnes auditionnées ont fait allusion à des produits de biocontrôle qui seraient autorisés dans d’autres pays européens, mais pas en France. Pourquoi aucune décision n’a été prise les concernant ? Que pourraient faire les producteurs pour en disposer ? Je pense notamment à l’insecte stérile pour la cerise.
Mme Mélanie Thomin (SOC). Nous avons reçu tout à l’heure les directeurs de certaines agences de l’eau. Ils nous ont rappelé que, si nous ne passions pas d’une politique de moyens à une politique réglementaire ambitieuse, nous courions le risque d’un scandale sanitaire concernant la qualité des eaux. Étudiez-vous dans le cadre de vos travaux la propension d’une molécule à se diffuser, à garder sa toxicité dans l’eau et à polluer nos réseaux d’eau potable ?
Vous dites que les industriels sont dans l’obligation de vous remettre des données sur l’exposition des riverains dans le cadre de l’autorisation de mise sur le marché d’un produit particulier. Si ces résultats ne sont pas transmis, le produit sera retiré de la vente. Lorsqu’un produit est retiré du marché, que fait-on des produits qui ont déjà été vendus et qui se trouvent entre les mains des agriculteurs ?
M. Benoît Vallet. Il s’agit finalement de la surveillance des décisions qui sont prises. Elle ne relève pas de l’agence mais du ministère de l’agriculture. Cela pose aussi la question de la disponibilité des informations, que j’évoquais tout à l’heure. Pour évaluer une réduction effective des produits phytopharmaceutiques dans notre pays, on ne peut pas prendre en compte que les données de vente. Il faut aussi regarder les usages – dont les dosages – qui en sont faits à la parcelle. Il importe ainsi d’évaluer l’efficacité des politiques publiques. Le ministère de l’agriculture procède aujourd’hui à des contrôles pour savoir si les retraits sont bien suivis d’effets.
Nous nous intéressons effectivement à la toxicité des molécules présentes dans l’eau. Cette dimension est intégrée au dossier de toxicologie demandé ex ante, avant l’autorisation de mise sur le marché. Il s’agit d’observer, à des doses environnementales, les effets sur la faune aquatique. Y a-t-il aujourd’hui des métabolites ou des pesticides en circulation ? La réponse est oui. Pourquoi les a-t-on laissés ? Ce n’était peut-être pas un point de réglementation particulier à l’époque.
Ce n’est pas parce qu’une molécule est présente que les risques associés le sont eux aussi. Il y a un danger potentiel, mais le risque n’est pas avéré dans l’ensemble des situations. Il s’agit de le documenter. C’est tout le travail qui est fait actuellement avec le renseignement de valeurs sanitaires de référence pour un certain nombre de métabolites de pesticides et les travaux sur la génotoxicité.
Certains métabolites sont issus de produits qui ne sont plus utilisés. La chloridazone a été arrêtée il y a maintenant plusieurs années. Pourtant, les métabolites sont toujours présents. L’industriel qui en avait la responsabilité n’est plus en charge. D’ailleurs, le produit a été arrêté spontanément ; il n’a pas été interdit à l’époque, son autorisation n’a tout simplement pas été renouvelée.
De la recherche doit donc être faite soit avec les industriels, soit avec des laboratoires de référence. Il s’agit d’analyser les éléments de génotoxicité, de mutagénécité, etc. Nous pourrons alors être équipés de financements qui nous permettront de solliciter des chercheurs pour faire ces évaluations. Elles prendront un peu de temps mais il n’y a pas de risque aigu. Le cas échéant, ce sont des risques chroniques à de très nombreuses années.
Même si les périls ne sont pas imminents, ils doivent néanmoins être examinés. Entre les valeurs sanitaires maximales et les normes de qualité, l’ordre de grandeur est gigantesque. C’est souvent un facteur multiplicateur supérieur à 100. S’agissant des normes de qualité, la valeur habituelle est de 0,1 microgramme par litre. Ce sont des valeurs de détection extrêmement basses qui n’ont pas de signification sanitaire. En revanche, il faut savoir expliquer à nos concitoyens que si des moyens vont être mis en place en cas de dépassement de ces normes de qualité, notamment par les agences de l’eau et par les collectivités, ce n’est pas parce que le risque sanitaire est présent, c’est justement pour anticiper et ne pas laisser l’accumulation s’accroître.
Le plan « Eau » énonce les priorités du Gouvernement pour l’interconnexion des réseaux d’eau et la mise en place de moyens de traitement. Les agences de l’eau sont, dans ce cadre, des acteurs majeurs sur les différents territoires. Nous avons des bassins territoriaux très spécifiques pour l’eau. La réglementation peut agir sur les sources captantes et les outils à la disposition des préfets pour interdire des captages trop proches de risques chimiques. Cette réglementation existe déjà ; il faut l’améliorer si nécessaire.
Mme Jovana Deravel, chargée de mission auprès de la directrice du pôle produits réglementés de l’Anses. Je réponds à votre question sur les produits de biocontrôle. Pour autoriser un produit, il faut déjà qu’on ait un dossier de demande d’autorisation de mise sur le marché. Nous n’avons peut-être pas reçu les dossiers dont vous parlez ; cela peut expliquer pourquoi le produit est utilisé dans un autre État membre de l’UE et pas en France.
Par ailleurs, il faut savoir que la notion de biocontrôle est spécifiquement française. Les macro-organismes constituent effectivement une solution de biocontrôle mais, pour autant, l’Anses ne délivre pas d’autorisation de mise sur le marché pour cette solution. Lorsqu’une demande est faite, il y a une évaluation, mais l’autorisation se fait par un texte réglementaire pris conjointement par les ministères de l’agriculture et de l’environnement, sur la base de l’évaluation préalablement transmise.
M. Benoît Vallet. Pour ce qui est des biocides et des pesticides, c’est la même organisation qui prend en charge les deux sujets réglementaires. À l’agence, c’est le cœur de métier du pôle des produits réglementés.
Mme Mélanie Thomin (SOC). Est-il selon vous justifié qu’il y ait deux règlements différents ?
Mme Jovana Deravel. Ces deux règlements sont tout à fait justifiés. Dans les pesticides, il y a les produits phytopharmaceutiques et les produits biocides. Ces deux types de pesticides relèvent de deux réglementations différentes.
Mme Mathilde Hignet (LFI-NUPES). Il ressort de l’audition précédente que nous sommes à la traîne depuis le Grenelle de l’environnement, notamment en matière de préservation de la qualité de l’eau, et que seules la loi et des mesures ambitieuses pourront accélérer la transition. Si vous devez rendre des comptes devant la représentation nationale alors que la loi est peu ambitieuse, je me demande si ça ne constitue pas finalement un frein à l’avancée de vos recherches. Cela peut également créer un décalage entre l’état des connaissances scientifiques et la réglementation.
M. Benoît Vallet. Dans la pratique, nous nous inscrivons dans le cadre d’une réglementation européenne. La directive eau s’impose à nous. En réalité, elle est ambitieuse en matière de surveillance. C’est sans doute l’un des milieux les plus surveillés qui existe. Des données sont remontées tous les ans. Nous avons des points de mesures sur l’ensemble du territoire national. Les laboratoires qui contrôlent la qualité de l’eau sont agréés par l’agence sur les bonnes mesures et les bonnes pratiques mises en place.
Les agences régionales de santé demandent la surveillance d’un certain nombre de produits. Cela représente entre 200 et 400 molécules à surveiller tout au long de l’année, sachant que les pratiques agricoles ne sont pas forcément les mêmes d’une région à une autre, non plus que les industries. Par exemple, les pratiques des industriels du couloir rhodanien ne sont pas identiques à celles observées au cœur du Massif central. Il y a donc des spécificités qui sont liées à l’organisation de l’agriculture ou de l’industrie. Par conséquent, les besoins de mesures ne sont pas forcément les mêmes.
En revanche, dès qu’une nouvelle molécule apparaît, la réglementation impose qu’elle figure dans l’information aux consommateurs. C’est la raison pour laquelle la mention d’un certain nombre de métabolites présents figure dans les factures d’eau, assortie de la mention « sans risque sanitaire », soit parce que la norme de qualité n’est pas dépassée, soit parce qu’il existe une valeur sanitaire supérieure à la norme de qualité, si elle est dépassée.
En l’absence de valeur sanitaire, des valeurs guides permettent aux décisionnaires – les agences régionales de santé et les préfets – de se positionner sur le fait de laisser boire de l’eau destinée à la consommation humaine. Le principe de précaution est la règle dans ces situations. Même s’il n’y a pas forcément d’éléments sanitaires et que les valeurs guides sont très basses, il peut y avoir quelques interdictions pour des raisons de protection des personnes. Fort heureusement, c’est très minoritaire.
D’ailleurs, ce sont plutôt des éléments de microbiologie qui sont l’origine des coupures de l’alimentation en eau. Ils engendrent en effet des syndromes intestinaux assez redoutables pour les consommateurs. Cela impose souvent des fermetures de quelques jours seulement, le temps d’avoir procédé à la réparation nécessaire sur le circuit d’eau qui a été contaminé ou d’avoir écarté l’organisme responsable des problèmes rencontrés sur la source captante.
J’ajoute que les exigences sur la qualité de l’eau en France et en Europe sont très importantes par rapport à d’autres pays dans le monde. Au regard de nos responsabilités, je pense donc que nous n’avons pas de difficultés à répondre de notre engagement vis-à-vis de la représentation nationale. Pour autant, il est nécessaire de travailler sur ces questions-là.
Il existe aujourd’hui deux solutions pour améliorer la qualité de l’eau. Pour faire de la dilution, il faut avoir des réseaux d’eau qui se connectent. Pour faire du traitement, que ce soit par charbon ou par résines échangeuses d’ions, les processus s’avèrent coûteux. Il y a en la matière une responsabilité collective pour engager des moyens de financement afin d’améliorer les réseaux.
Dans une situation de dérèglement climatique, avec une baisse de nos ressources dans les nappes phréatiques, la qualité est encore plus préoccupante pour nous, du fait de ces questions de dilution. Moins il y a d’eau, plus la dilution est difficile. D’où l’importance de préserver nos nappes phréatiques. C’est une préoccupation européenne, comme l’illustre la décision prise sur le S-métolachlore. Il s’agit d’éviter de condamner nos nappes phréatiques avec des produits qui viendraient à l’avenir rendre l’eau impropre à la consommation humaine, ce qui nécessiterait en particulier des moyens de traitement supplémentaires. Si on veut préserver nos réserves, encore faut-il qu’elles soient préservées sur le plan chimique.
M. le président Frédéric Descrozaille. Nous allons clore cette audition, même si les débats pourraient tout à fait se prolonger. Vous venez notamment d’évoquer un écart de perception assez fascinant entre le risque chimique et le risque bactériologique. C’est un sujet qui me pose question depuis des années, en raison de sa difficulté d’interprétation. Je vous remercie pour le temps que vous nous avez accordé et le sérieux avec lequel vous nous avez répondu.
La séance est levée à douze heures vingt.
———
Présents. – Mme Anne-Laure Babault, M. André Chassaigne, M. Frédéric Descrozaille, M. Grégoire de Fournas, Mme Laurence Heydel Grillere, Mme Mathilde Hignet, Mme Nicole Le Peih, M. Dominique Potier, Mme Mélanie Thomin