Compte rendu
Commission d’enquête
sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire
– Audition de M. Guilhem de Sèze, chef du département « production des évaluations du risque » de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) 2
– Présences en réunion................................16
Mercredi
8 novembre 2023
Séance de 10 heures 30
Compte rendu n° 28
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Frédéric Descrozaille,
Président de la commission
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Mercredi 8 novembre 2023
La séance est ouverte à dix-sept heures trente.
(Présidence de M. Frédéric Descrozaille, président de la commission)
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La commission procède à l’audition de M. Guilhem de Sèze, chef du département « production des évaluations du risque » de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa).
M. le président Frédéric Descrozaille. Nous concluons cette demi-journée avec une nouvelle audition de l’Efsa et, en particulier, de M. Guilhem de Sèze, que nous avons déjà eu l’occasion d’entendre le 20 septembre dernier.
Par son positionnement au cœur du régime d’autorisation des produits phytopharmaceutiques, l’Efsa est un acteur central dans les politiques publiques visant la réduction de ces produits. À cet égard, il n’est pas évident de bien comprendre la distinction entre danger et risque, entre analyse et gestion du risque, et de bien appréhender les prérogatives exactes de l’Efsa. Il lui revient d’approuver ou non une substance, mais non d’autoriser ou d’interdire des produits, ce qui est du ressort des États membres.
Il est important pour nous d’aborder certaines critiques régulièrement formulées à l’encontre de l’Efsa, qui peuvent être de nature à remettre en cause la confiance des citoyens dans les institutions et dans les décisions publiques.
Vous êtes notamment critiqués sur le contenu des études que vous fournissent les industriels, sur lesquelles vous fondez vos évaluations. Vous nous avez déjà expliqué pourquoi cela ne changerait rien que ces études soient réalisées par l’agence elle-même, en lien avec des laboratoires publics. Vous avez souligné que les industriels fournissaient les résultats des tests que vous leur dictiez. Pourtant, certains acteurs, y compris des scientifiques, nous disent que ces tests sont incomplets, qu’ils ne seraient pas faits ou alors pas demandés. Par exemple, s’agissant du glyphosate, nous avons entendu parler de la problématique de la respiration mitochondriale, qui ne serait pas étudiée. Il y a un niveau de scientificité critique, y compris dans les tests que vous décidez de demander aux industriels pour évaluer le risque d’un principe actif. Il est important pour nous de comprendre comment vous produisez ces cahiers des charges, s’ils sont accessibles au public, et comment ils sont soumis à la contradiction.
Il sera également utile de préciser les moyens dont vous devriez disposer, a fortiori si votre rôle devait être élargi au niveau européen, pour être parfaitement à l’aise dans la conduite des missions qui sont les vôtres.
Je vous rappelle, avant de vous donner la parole, que cette audition est ouverte à la presse, retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et que vous êtes tenu de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité, en vertu de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».
(M. Guilhem de Sèze prête serment.)
M. Guilhem de Sèze, chef du département « production des évaluations du risque » de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa). Nous apprécions beaucoup votre volonté de bien comprendre. À la fin de notre première audition, la question s’était posée d’estimer nos besoins en ressources humaines et financières, pour conduire notre analyse dans le domaine des pesticides. Cette question s’était déjà posée dans le contexte des discussions européennes relatives au glyphosate ; le Parlement européen nous avait alors fait la même demande.
De notre point de vue, les pesticides se trouvent très souvent au cœur du débat politique au niveau de l’Union européenne et dans les États membres, mais la question des ressources pour avoir les ambitions politiques nécessaires à leur évaluation est beaucoup moins présente.
Nous travaillons de concert avec nos collègues des États membres sur l’évaluation des substances actives et le processus de revue par les pairs. Les ressources dont nous disposons nous permettent seulement d’appliquer le cadre règlementaire tel qu’il est défini aujourd’hui. Nous ne disposons pas de ressources suffisantes pour développer les nouvelles méthodologies dont nous aurions besoin pour permettre une transition vers des systèmes d’alimentation durables. Nous n’avons pas davantage la capacité d’accélérer la cadence de nos évaluations, ce qui serait pourtant souhaitable, en particulier pour l’évaluation de substances non chimiques ou à moindre risque, lesquelles peuvent constituer des alternatives aux substances plus dangereuses. Pourtant, cette volonté est affichée dans la proposition de règlement de la Commission européenne sur l’utilisation durable des pesticides (dit « règlement SUR »).
Pour répondre aux attentes des citoyens, nous devons augmenter notre capacité à évaluer des substances qui constituent des alternatives potentielles et accroître la vitesse à laquelle nous pouvons développer de nouvelles méthodologies d’évaluation, à mesure que la science avance.
Le débat relatif au glyphosate n’est pas nouveau ; c’est simplement que le glyphosate attire davantage la lumière que d’autres substances. Ce débat a mis en lumière le fait que le cadre réglementaire était incomplet pour l’évaluation des questions relatives à la biodiversité. Il faudrait pouvoir développer des méthodologies plus complètes, plus systématiques. Le même constat vaut pour le microbiote humain, la santé des sols ou des plantes. Nous n’avons pas de méthodologie réglementaire qui permette de suivre les développements scientifiques en cours. C’est également le cas en matière de toxicité humaine, de maladies neurodégénératives. Il y a beaucoup d’avancées en ce moment au niveau mécanistique. Mais nous avons besoin de ressources pour intégrer ces données dans un cadre réglementaire formel.
La note que nous vous avons fait parvenir résume ces propos. Aujourd’hui, comme je le disais la dernière fois, une soixantaine de personnels de l’Efsa sont dédiés à l’évaluation des pesticides. Nous estimons nos besoins humains à une cinquantaine de personnes en plus. Un constat similaire s’applique au budget : une enveloppe de 15 millions d’euros est consacrée aux pesticides, il faudrait la doubler pour avancer vers la transition agro-écologique.
Ces ressources supplémentaires doivent servir à accompagner et soutenir les ambitions politiques de la Commission. Je ne veux pas semer le doute sur la capacité actuelle de l’Efsa à appliquer le cadre réglementaire en vigueur. L’exemple du glyphosate montre que nous en sommes tout à fait capables, à moyens constants : nous avons ainsi pu mobiliser une centaine d’experts pendant environ trois ans pour répondre à l’ensemble des exigences du cadre réglementaire.
M. Dominique Potier, rapporteur de la commission d’enquête sur les impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale. Cette deuxième audition va nous permettre d’approfondir les questions budgétaires mais aussi le champ des investigations.
Je reviens quand même sur la question des moyens. Vous proposez de doubler le budget consacré aux pesticides agricoles. J’ai compris que c’était pour vous permettre d’évaluer plus de molécules, notamment des solutions à moindre impact environnemental. Vous auriez la capacité de recruter une cinquantaine de personnels supplémentaires ; la ressource humaine serait disponible à l’échelle européenne. Si l’Union européenne prenait cette décision, à quelle échéance pensez-vous qu’elle produirait des résultats ?
M. Guilhem de Sèze. Il faudrait réfléchir un peu à la transition. C’est possible de trouver cinquante experts dans le domaine des pesticides, même si l’expertise disponible est limitée. Je pense qu’il faudra une année ou deux pour arriver à les recruter. Pour vous donner un exemple, en 2021, le règlement visant à accroître la transparence de l’évaluation des risques dans la chaîne alimentaire est entré en vigueur. Grâce à ce règlement, l’Efsa a obtenu un peu plus d’une centaine de nouveaux postes. Il nous a fallu identifier et recruter ces experts, cette fois dans tous nos domaines de compétences. Au total, cela nous a pris environ deux ans.
M. Dominique Potier, rapporteur. En douze à vingt-quatre mois, on recrute une cinquantaine d’experts, ce qui permet d’aller deux fois plus vite pour chercher des solutions nouvelles. C’est vraiment un effort qui semble évident. Ce sera bien sûr l’une de nos recommandations. Nous la porterons avec force et, je pense, de façon unanime.
Je voudrais continuer à explorer la question des moyens. Lors de nos précédentes auditions, on a laissé entendre que vous n’aviez pas les moyens matériels d’analyser l’ensemble des pièces que fournissent les industriels, ce qui génèrerait une forme d’insécurité.
M. Guilhem de Sèze. Aujourd’hui, l’Efsa procède à l’évaluation complète des dossiers qui lui sont présentés. Comme je le disais, sur le glyphosate, nous avons pu mobiliser une centaine d’experts entre les États membres, les experts et le personnel de l’Efsa. Cette expertise est disponible pour l’Efsa. Ce qui pourrait être amélioré, c’est la vitesse à laquelle nous travaillons. Pour le glyphosate, nous avons été submergés par la taille du dossier, riche de 180 000 pages, sans compter l’importance des soumissions dans les consultations publiques. Nous avons dû demander un allongement des délais réglementaires.
De la même façon, nous savons que dans les États membres, de nombreux dossiers sont en attente et pourraient être examinés si la ressource était disponible. Cependant, chaque dossier est évalué exactement selon les préconisations du cadre réglementaire.
M. Dominique Potier, rapporteur. Pensez-vous qu’un examen plus rapide des molécules qui vous sont soumises aurait globalement un effet positif sur ce que nous recherchons, c’est-à-dire une diminution de l’impact des produits phytopharmaceutiques ?
M. Guilhem de Sèze. Un examen plus rapide permettrait de mettre plus rapidement sur le marché des substances alternatives, avec des risques plus faibles.
M. Dominique Potier, rapporteur. La somme de 15 millions d’euros paraît modeste à l’échelle européenne. Vous dites qu’elle permet cette accélération de l’examen des dossiers ?
M. Guilhem de Sèze. Nous évaluons une quinzaine d’alternatives aux substances chimiques. Nous pourrions multiplier ce chiffre par trois grâce aux cinquante postes supplémentaires.
M. Dominique Potier, rapporteur. Je vais vous poser une question peut-être plus fondamentale encore, celle de la nature des pièces sollicitées auprès des industriels. On nous a laissé entendre que la réglementation américaine obligeait les industriels à fournir toutes les pièces en leur possession sur une molécule donnée. Vous avez dit que le système européen était fondé sur un cahier des charges établi à destination des industriels. La Commission européenne s’est-elle demandé si le système américain n’était pas plus performant, ne permettait pas d’avoir une vision plus exhaustive ?
M. Guilhem de Sèze. Non, nous ne croyons pas à l’Efsa que le système américain soit plus performant. Il est difficile de comparer les deux systèmes car ils n’ont pas la même philosophie. On ne peut donc pas se contenter de comparer une à une les données demandées. Le système américain est fondé sur une approche avec plusieurs voies différentes pour traiter les produits chimiques. Nous travaillons avec nos collègues américains de l’US Environmental Agency et avons une bonne connaissance de ce qu’ils font. Rien ne permet de penser que leur système est plus solide.
Je pense que cette remarque que vous rapportez vient d’une discussion en cours sur la neurotoxicité développementale, qui a peut-être fait l’objet d’une amplification médiatique. Un chercheur suédois avec qui nous travaillons nous a fait remarquer, lors de la consultation publique sur le glyphosate, que, dans le cadre règlementaire américain, une étude standard de neurotoxicité développementale était demandée d’office, alors que, dans le cadre règlementaire européen, elle n’est demandée que si des signaux indicateurs d’une neurotoxicité possible sont visibles dans certains autres tests, qui font partie des tests obligatoires standards.
La discussion est la suivante : si ces tests sont disponibles pour les Américains, ce qui implique que les industriels les ont fournis, pourquoi ne sont-ils pas exigés dans le cadre règlementaire européen ? Même si ces tests ne font pas partie des demandes obligatoires, le règlement 1107/2009 précise que toute étude disponible qui renseigne sur la toxicité de la substance doit être présentée dans le dossier. Nous avons donc eu une discussion avec les industriels à ce sujet. Ils ont été convoqués au Parlement européen pour répondre aux questions de la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire (ENVI). La Direction générale de la santé de la Commission européenne était présente, ainsi que les deux agences européennes, l’Efsa et l’Echa. Le message était très clair : les industriels étaient en faute sur ce point. Ils auraient dû soumettre ces données disponibles aux États-Unis, qui n’avaient pas été jointes à leur dossier en Europe.
M. Dominique Potier, rapporteur. J’ai peut-être du mal à comprendre. Aux États-Unis, les industriels sont obligés de transmettre toutes les données disponibles sur la molécule ou le produit qu’ils entendent mettre sur le marché. En Europe, ils répondent à un cahier des charges, à une série de demandes. Vous les sommez par ailleurs de transmettre toute autre pièce qui aurait trait à la molécule et que vous n’auriez pas citée dans vos demandes. Est-ce cela ?
M. Guilhem de Sèze. Oui.
M. Dominique Potier, rapporteur. Quel est l’inconvénient du système américain ? Y a-t-il trop de documents ? La logique, si l’on poursuit un objectif de transparence, pousserait à demander les documents et à procéder ensuite au tri. Pourquoi ne pas envisager un système qui obligerait l’industriel à tout fournir ?
M. Guilhem de Sèze. En réalité, il n’y a pas de différence entre le système américain et le système européen. Les deux cadres réglementaires prévoient des études obligatoires à fournir, qui suivent des protocoles bien définis par les agences réglementaires. Je cite par exemple les documents guides de l’OCDE. Il y a les données obligatoires qui sont demandées et il y a toujours cette obligation de fournir toute information pertinente pour l’évaluation du risque de la substance. Dans les deux cadres juridiques, nous trouvons donc les mêmes exigences.
Sur le point précis de neurotoxicité développementale, il existe une approche légèrement différente des deux législateurs. Aux États-Unis, le cadre réglementaire obligatoire demande un test de neurotoxicité avancé, alors qu’en Europe, ce test est demandé s’il y a des signaux montrant que la neurotoxicité pose un problème pour cette molécule. C’est une approche pas à pas.
M. Dominique Potier, rapporteur. Pourquoi ne pas demander d’emblée aux industriels de fournir tout ce dont ils disposent ?
M. Guilhem de Sèze. Nous le demandons. Les industriels ont l’obligation de fournir tout ce qu’ils ont. Il faut être clair là-dessus. Cela a été répété devant le Parlement européen, par la Commission européenne, par les agences. Le cadre juridique est très clair.
M. Dominique Potier, rapporteur. Redites-moi la différence entre les systèmes européen et américain.
M. Guilhem de Sèze. Ce sont deux systèmes complexes, qui suivent deux philosophies différentes. Il serait compliqué de les comparer point par point. La rumeur qui veut que le cadre américain soit plus strict, exige davantage de données, est née de la remarque de ce chercheur suédois.
M. Dominique Potier, rapporteur. J’ai bien compris ce point mais, par ailleurs, dans le cadre de nos auditions, plusieurs personnes ont indiqué qu’elles avaient une préférence pour le système américain. Vous dites que c’est trop compliqué de les comparer. Je reste un peu sur ma faim.
M. Guilhem de Sèze. Il faudrait peut-être que les personnes qui considèrent que le système américain est meilleur donnent leurs raisons, parce que ce n’est pas ce que nous constatons. Nous pensons même que sur certains points, le système européen est plus strict. Par exemple, en Europe, nous nous fondons sur le danger de la substance et pas seulement sur le risque, alors que le système américain ne se fonde que sur le risque. En Europe, une substance cancérigène, toxique pour la reproduction ou mutagène ne peut pas être utilisée comme pesticide, alors que cette interdiction n’existe pas aux États-Unis. Les néonicotinoïdes sont interdits en Europe mais toujours disponibles sur le marché aux États-Unis. Nous ne pouvons donc pas dire que le système américain est plus strict.
M. Dominique Potier, rapporteur. Voyez-vous aujourd’hui la possibilité d’élargir vos recherches sur l’exposome, sur les combinaisons de molécules, sur les effets cumulés entre les substances actives et les co-formulants – bref, d’explorer d’autres champs ? Cette démarche nécessiterait-elle des moyens scientifiques de recherche et de développement ? Ce que je vise, c’est une expertise scientifique qui serait plus exposée, plus exhaustive et qui répondrait à toutes les inquiétudes manifestées, notamment par les organisations environnementales, mais aussi par le monde de la santé.
M. Guilhem de Sèze. C’est effectivement un domaine très important, qui se développe et sur lequel le cadre réglementaire doit évoluer. L’Efsa travaille depuis de nombreuses années – environ dix ans – sur la question de la toxicité des mélanges, qui peut prendre différentes appellations : « effets cocktails » ou « effets de risques cumulatifs ». Comment des molécules peuvent-elles interagir et avoir des effets de toxicité combinés sur l’organisme ou dans l’environnement ?
Nous avons produit un document guide à ce sujet. Dans le domaine des pesticides en particulier, depuis quelques années, nous avons publié le compte rendu de notre travail, qui permet de regrouper les substances qui ont une toxicité commune pour des organes précis. Si je me souviens bien, nous avions commencé avec la toxicité pour la thyroïde, puis le système nerveux central, puis les déformations crânio-faciales et ainsi de suite. Tous les ans, nous avançons, nous explorons et nous produisons des documents guides sur l’évaluation combinée de la toxicité des pesticides. Quels sont les pesticides qui, ensemble, vont avoir une toxicité combinée pour différents organes humains ? Ces éléments sont utilisés dans notre rapport annuel sur les résidus de pesticides dans l’alimentation humaine. Tous les États membres contribuent au rapport. Nous regardons de quelle manière les résidus de pesticides pourraient s’associer et leur toxicité se combiner. C’est un premier pas vers une analyse de l’exposome, qui est évidemment beaucoup plus complexe.
C’est une fois que les substances sont sur le marché que l’on commence à regarder les effets combinés. La prochaine étape à laquelle nous travaillons consiste à utiliser ces effets combinés, cette analyse de risques dans les effets combinés avant la mise sur le marché, pour savoir quels niveaux de résidus peuvent être autorisés.
M. Dominique Potier, rapporteur. C’est l’observation in situ de l’exposome qui permettrait de renseigner les autorisations à venir, voire de retirer des molécules.
M. Guilhem de Sèze. Aujourd’hui, une molécule est évaluée a priori comme si elle était la seule à être sur le marché. Évidemment, les résultats des tests sont interprétés avec des facteurs de sécurité, mais nous testons une substance après l’autre et nous l’autorisons sans considération sur l’environnement qu’elle va trouver quand elle arrive sur le marché. Nous gérons cette incertitude avec des facteurs de risque.
L’idée serait d’avoir une connaissance plus précise des autres molécules déjà sur le marché, qui vont se retrouver dans la même assiette, et d’avoir une analyse plus fine du risque.
M. Dominique Potier, rapporteur. Pouvez-vous le faire à moyens constants ?
M. Guilhem de Sèze. Nous avons publié il y a cinq ans nos premiers groupes d’évaluation combinée. Nous avançons d’un ou deux groupes tous les ans. Nous voudrions accélérer, et c’est l’objet de la note que nous avons transmise, qui explique qu’avec plus de ressources, nous pourrions avancer deux à trois fois plus vite sur la production de ces documents guides. Nous avons précisé une petite liste de documents qui nous semblent prioritaires, parmi lesquels se trouve l’évaluation des risques combinés et des effets de mélange.
M. Dominique Potier, rapporteur. Nous avons été alertés à propos d’un lobby de l’agroalimentaire travaillant à l’échelle européenne, l’International Life Sciences Institute (Ilsi). Voyez-vous de quoi il s’agit ?
M. Guilhem de Sèze. Oui.
M. Dominique Potier, rapporteur. Nous avons été informés du fait que ce lobby pourrait jouer un rôle d’influence important dans l’élaboration des méthodologies d’évaluation de l’Efsa. Que vous pouvez-vous nous dire sur ce point ?
M. Guilhem de Sèze. Les acteurs ayant des intérêts particuliers dans le système alimentaire ne peuvent pas prendre part aux travaux de l’Efsa. Il faut être absolument catégorique sur ce point. L’Efsa s’appuie sur un système de gestion des conflits d’intérêts mis en place il y a une douzaine d’années et qui s’est renforcé avec le temps. Il est évalué par de nombreuses autorités compétentes, dont le médiateur européen, le Parlement européen, la Cour des comptes européenne. Notre système de gestion des conflits d’intérêts est considéré comme étant l’un des plus stricts. Un expert indépendant ne peut pas travailler avec l’Efsa s’il déclare des intérêts concurrents. Quelqu’un qui travaillerait pour l’industrie, même en tant que consultant, ne pourrait pas travailler avec l’Efsa. Un chercheur d’un institut public dont une partie du budget trop élevée viendrait de fonds privés ne pourrait pas travailler avec l’Efsa. Il n’y a pas du tout de risque de conflit d’intérêts sur les méthodologies que l’Efsa développe.
M. Dominique Potier, rapporteur. Pour améliorer ce verrouillage et cette sécurité par rapport à des jeux d’influence, nous avons suggéré l’obligation pour les industriels eux-mêmes, de façon croisée et complémentaire, de déclarer les personnes avec qui ils ont pu collaborer ou avoir des intérêts financiers. Cela permettrait un double contrôle, au moyen de la déclaration que les chercheurs font chez vous, mais également de la déclaration réalisée par les industriels.
M. Guilhem de Sèze. C’est la première fois que j’entends cette proposition. Nous pouvons y réfléchir. Cela fait écho à ce que nous faisons maintenant, dans le cadre du nouveau règlement sur la transparence, sur les études de toxicité. Les industriels sont obligés de nous déclarer les études de toxicité qu’ils entreprennent. Les laboratoires qui les conduisent sont aussi obligés de nous déclarer ces études. Nous pourrions penser à un système équivalent avec les experts.
Pour l’instant, notre système, en place depuis plus d’une dizaine d’années, renforcé à plusieurs reprises, est très solide et jugé comme tel par toutes les autorités indépendantes.
Je travaille à l’Efsa depuis sept ans et je n’ai jamais vu l’Ilsi. Je sais que, dans le passé, la question des relations avec l’Ilsi a pu se poser. C’est l’une des raisons pour lesquelles ce système très strict de contrôle des intérêts concurrents a été mis en place.
L’Efsa travaille non seulement avec les documents guides que nous avons élaborés, mais aussi avec les documents guides internationaux réalisés par d’autres instances, en particulier l’OCDE, qui se trouve à l’origine de documents guides, de méthodologies, de tests pour beaucoup d’autorités réglementaires en Europe, mais également aux États-Unis. Je suis allé regarder comment l’OCDE gère la possibilité d’influences externes. L’institution bénéficie d’un système similaire à celui de l’Efsa. Les industriels peuvent participer à l’élaboration de documents guides en tant qu’observateurs, mais quand il s’agit de prendre des décisions sur différents points de ces documents guides, et en particulier en ce qui concerne l’adoption de ces documents, seuls les États membres de l’OCDE disposent du droit de vote. Ce vote doit se faire par consensus, à l’unanimité. Tout membre de ces groupes de travail qui aurait l’impression que quelque chose n’a pas été fait dans les règles peut bloquer l’adoption d’un document guide de l’OCDE.
Nous avons beaucoup de garanties concernant l’indépendance de ce qui est produit par l’OCDE. Nous avons parcouru un long chemin ces vingt dernières années, mais des rumeurs subsistent sur ce qui s’est passé il y a quinze ou vingt ans.
M. Dominique Potier, rapporteur. Nous nous sommes interrogés, avec le Président, sur une perspective d’harmonisation du régime d’autorisation à l’échelle européenne, bien sûr en tenant compte des zones géographiques, des conditions d’application, des contextes pédoclimatiques, etc. Dans le contexte du marché unique, alors que nous avons d’ores et déjà des politiques sanitaires convergentes, puisque vos expertises sont fondées sur des expertises des États membres qui coopèrent entre eux, nous nous sommes demandé s’il n’y aurait pas un bénéfice à rendre des décisions uniques à l’échelle européenne, pour les substances et pour les produits, avec une différenciation géographique dans la mise en œuvre.
Actuellement, les lignes directrices pour l’évaluation des produits phytopharmaceutiques sont très diversement appliquées d’un pays à l’autre. Cela donne lieu à des concurrences, dont les conséquences sont certes parfois exagérées, mais qui nuisent au récit d’une Europe puissance normative, protectrice des consommateurs et de l’égalité entre producteurs à l’échelle de l’Union.
Cette perspective a-t-elle d’ores et déjà été esquissée ? Est-ce une idée futuriste ou idiote ?
M. Guilhem de Sèze. Cette idée n’est pas nouvelle, nous avions d’ailleurs contribué à certains rapports sur le sujet. Par exemple, le Scientific advice mechanism, qui exerce un conseil scientifique auprès de la Commission européenne, avait, dans un rapport sur la gestion des pesticides dans l’Union européenne, émis des recommandations en ce sens. Nous avions travaillé avec eux. Je crois que ces idées étaient aussi revenues, sous un angle un peu différent, dans le rapport de la Commission d’enquête « Pest » du Parlement européen, présidée par M. Andrieu.
Nous pensons effectivement qu’une plus grande harmonisation serait souhaitable, tout en gardant bien sûr la compétence au niveau national. Le système des zones a beaucoup d’avantages mais, sur certains aspects, l’évaluation pourrait se faire à un niveau centralisé. Par exemple, l’évaluation du danger des substances actives est déjà centralisée ; il n’y a aucune raison que le danger des coformulants soit évalué de manière différente par chaque État membre.
M. Dominique Potier, rapporteur. Cela pourrait être une étape. Mais les coformulants avec la substance active, cela s’appelle un produit. De façon générale, l’unification du régime d’autorisation sanitaire à l’échelle européenne ne serait-elle pas un progrès ? Les zones géographiques ne correspondent pas aux frontières des États. Dans l’absolu, est-ce qu’on ne pourrait pas concevoir un effacement des États sur cette question de l’autorisation des produits phytosanitaires ?
M. Guilhem de Sèze. Je ne vais pas m’engager trop loin parce que vous me faites sortir de mon domaine de compétences. Ces décisions ont vocation à être prises par les États membres. D’un point de vue scientifique et technique, il existe évidemment une compétence qui ne peut être située qu’au niveau national. Lorsqu’on trace des frontières, on ne colle jamais parfaitement à la réalité physique, nationale ou géologique. Il serait clairement possible d’harmoniser le système, de centraliser certaines choses, comme l’évaluation des co-formulants, l’évaluation des effets de synergie entre co-formulants et substances actives. On le fait d’ailleurs dans notre domaine de compétences, pour l’évaluation des produits qui figurent dans nos dossiers de substances actives. Nous avons commencé à mettre en place une banque de données ouverte pour que les États membres puissent en profiter. Cette banque de données pourrait permettre à tous les États membres de mettre en commun leurs évaluations et de cheminer progressivement vers une harmonisation.
Cela nous est apparu de façon très claire quand nous avons travaillé sur les alternatives aux substances chimiques il y a quelques années, je crois que c’était 2021. Nous avions un mandat de la Commission européenne pour étudier les autorisations d’urgence octroyées par certains États membres sur des pesticides interdits. En l’occurrence, il s’agissait des néonicotinoïdes pour la culture de la betterave. Nous avions alors constaté que des États membres – parfois frontaliers, avec des caractéristiques similaires – adoptaient des approches différentes.
Il y aurait ainsi un bénéfice certain à rendre visibles les meilleures pratiques, pour que chacun puisse apprendre et comparer. La transparence est toujours un très bon désinfectant.
M. le président Frédéric Descrozaille. Si vous pouviez nous détailler par écrit, sous forme de note, les quelques points que vous venez d’évoquer, cela nous aiderait beaucoup.
Je souhaiterais mettre en avant certaines critiques portées par des personnalités scientifiques. Je pense en particulier à une chercheuse que nous avons auditionnée. Nous n’avons aucune raison de douter de son intégrité intellectuelle, de son niveau de compétences. C’est une directrice de recherche qui participe au débat public. Mais elle émet des critiques très profondes, largement relayées par les médias. Et les personnes qui reçoivent ce message n’ont absolument pas le niveau de connaissances scientifiques pour en juger. Ce qui ressort, c’est une dissonance avec ce que disent les autorités. Nous savons, depuis les expériences de Milgram et d’Asch, qu’il n’y a rien de tel, pour saper la confiance dans l’autorité, qu’un conflit au sein de l’autorité.
Ma question est de savoir comment vous pouvez et comment nous pouvons vous aider à mieux mettre en valeur le consensus scientifique entre l’Efsa et les autorités de réglementation des États membres, en montrant que vous intégrez la contradiction. Il y a une totale transparence quand la contradiction est apportée et qu’elle est traitée, et qu’elle permet d’arriver à un consensus qui n’est pas une unanimité – en sciences, on sait qu’il n’y a jamais d’unanimité. Il s’agirait de montrer que, sur le plan institutionnel, il existe un canal d’expression de la contradiction. Sans cela, c’est dévastateur, parce qu’on entend que l’Efsa autorise des produits dangereux pour la santé des citoyens. Cette chercheuse que nous avons auditionnée nous a ainsi déclaré qu’elle pouvait prouver, par des expériences dans les laboratoires, que certains principes actifs autorisés dans des produits mis en marché avaient un impact sur la santé.
Dans le prolongement de cette question, les 15 millions d’euros que vous demandez représentent, à l’échelle de l’Union européenne et des budgets des États membres, un niveau ridicule. J’ai envie de vous faire une suggestion. Ne pourrait-on pas pousser cette enveloppe pour qu’elle intègre un budget de vulgarisation scientifique ? Étienne Klein est beaucoup intervenu après la gestion de la crise sanitaire, notamment sur la question de la vaccination ; il a critiqué le rôle joué par les scientifiques, en interrogeant ce qui avait abouti à une telle mise en cause de la connaissance par le public. Il y a un enjeu à vulgariser ce que vous faites, à apprendre à parler dans les médias, en étant précis dans son langage. Il faudrait pouvoir faire des recommandations pour rétablir la confiance dans la science.
M. Guilhem de Sèze. Je partage entièrement votre point de vue. Nous avons entendu les commentaires de cette chercheuse : c’est dévastateur et d’autant plus triste qu’on poursuit en fait exactement la même mission. Nous partageons le même ADN de scientifiques. Nous nous fondons sur des faits, des protocoles, des études, nous partageons la même passion pour la santé publique, la protection des citoyens et l’environnement. Nous ne demandons qu’à intégrer cette chercheuse dans le débat d’une façon constructive.
Il faudrait mettre en place une façon de canaliser la dissension, la contradiction, pour que cela soit fait de manière compréhensible, constructive. Dans cet esprit, le peer review process inclut des étapes de consultation du public. Nous avons reçu de nombreux commentaires lors de la consultation publique sur le glyphosate. L’Inserm, qui était critique et l’est peut-être toujours, nous a soumis un certain nombre de commentaires qui ont tous été évalués. Nous avons apporté toutes les réponses. Tout est public. Quatre cents commentaires d’institutions scientifiques sont venus enrichir l’évaluation du glyphosate. Il existe donc un mécanisme pour les scientifiques qui veulent participer, qui savent comment participer. Il ne faut pas rater la fenêtre de tir quand la consultation publique est ouverte. Avec l’Inserm, nous avons échangé dans le cadre de la consultation publique et le débat continue. Je crois qu’ils nous rendent visite bientôt ou vice-versa. À l’écart du débat public et du bruit médiatique, la coopération et la discussion constructive avec l’Inserm existent. C’est aussi le cas avec l’Inrae. Certains collègues de l’Efsa participent par ailleurs au groupe de travail du Circ.
La coopération au niveau scientifique existe ainsi, loin du bruit médiatique. Je suis d’accord avec vous, le bruit médiatique est quelquefois très dommageable à la crédibilité du travail que nous faisons, au gestionnaire du risque, au décideur politique, dès lors que le doute a été instillé.
Il convient donc de mieux communiquer, éduquer, vulgariser, de faire preuve de plus de pédagogie. Nous y travaillons, mais peut-être avec peu de moyens, si l’on compare aux budgets des grandes firmes internationales de l’alimentaire, Coca-Cola, Nestlé et les autres ; nous ne pouvons pas rivaliser.
Dans votre introduction, vous avez évoqué la toxicité mitochondriale. Il illustre parfaitement les difficultés de la discussion. Je crois qu’il y a un problème de compréhension de ce que représente le cadre réglementaire. Nous essayons de réduire cette barrière entre le monde académique – celui de la recherche publique – et le monde réglementaire.
Cette barrière n’est pas complètement imperméable. Nous sommes en train de renouveler nos comités d’experts : 75 % des candidats de la liste finale proviennent d’universités ou d’instituts de recherche publique. Malgré cela, on entend régulièrement que l’Efsa et les agences réglementaires ne prennent pas en compte la recherche académique, que les études ne sont pas traitées comme elles devraient l’être, qu’on ne leur donne pas un poids suffisant. Dans le cadre de la stratégie pour la durabilité dans le domaine des produits chimiques – l’une des stratégies du Green Deal de la Commission européenne –, on travaille à une meilleure intégration des travaux de recherche académique dans l’évaluation des risques réglementaires. Plusieurs collègues de l’Efsa et l’Echa travaillent, au sein d’un groupe de travail de l’OCDE, à l’élaboration d’un document guide, en partie destinée au monde de la recherche académique.
S’agissant de la respiration et la toxicité mitochondriales, quand on fait de la recherche, on voit beaucoup de signaux sur des mécanismes qui sont indicateurs ou non d’un effet néfaste ultime. Mais le cadre réglementaire nous enjoint de regarder quels sont ces effets néfastes ultimes. On regarde ensuite les mécanismes qui pourraient indiquer un effet néfaste ultime et, si on arrive à établir un lien de cause à effet, on déduit que ce mécanisme a toutes les chances d’avoir un effet néfaste. Mais si l’on n’arrive pas à établir cette causalité, on ne peut pas lui donner beaucoup de poids dans le cadre réglementaire. Le niveau de preuve dont on a besoin pour pouvoir tirer des conclusions réglementaires contribue au fossé entre le monde de la recherche et le monde académique.
M. le président Frédéric Descrozaille. En effet, il y aura toujours un écart entre ce qui est décidé pour la communauté et la vérité scientifique. C’est exactement là que se loge le politique, dans l’appréciation de ce qui est acceptable ou de ce qui ne l’est pas.
Mme Mélanie Thomin (membre de l’intergroupe NUPES) (SOC). Je partage entièrement le point de vue du président sur l’enjeu de rétablir la confiance à l’égard des agences scientifiques indépendantes.
Je souhaitais revenir avec vous sur la place occupée par certains groupes comme l’Ilsi à Bruxelles et leur influence sur les décisions européennes. Vous avez dit qu’ils n’influencent pas – ou plus – l’Efsa. Sont-ils en capacité d’influer aujourd’hui à d’autres niveaux, par exemple auprès des parlementaires européens, lorsqu’ils se prononcent sur des sujets essentiels comme la réduction des produits phytosanitaires ?
Vous avez aussi indiqué que vous aviez mis en œuvre, au sein de l’Efsa, un système de gestion des conflits d’intérêts. Je m’interroge sur les moyens de mieux valoriser ce travail destiné à contrer l’influence des lobbies, afin de prouver davantage l’intégrité du travail des scientifiques.
M. Guilhem de Sèze. Je ne sais pas répondre à votre première question sur l’influence de l’Ilsi ou d’autres groupes auprès de la Commission européenne. Nous sommes à Parme, et ceci est vraiment en dehors du champ de l’Efsa.
Je peux revenir sur notre politique de gestion des conflits d’intérêts, que j’ai brièvement expliquée. Elle est très stricte et quelquefois, on se demande même si elle ne l’est pas trop. Nous procédons actuellement au renouvellement de nos comités d’experts scientifiques externes. J’ai vu plusieurs cas d’experts qui nous paraissaient très intéressants du point de vue de la compétence, notamment dans des domaines de pointe pour lesquels on recherche de l’expertise, mais que nous ne pouvons malheureusement pas recruter parce que nos critères sont très stricts. Leur laboratoire de recherche a reçu des financements privés au-dessus des 25 %, ce qui correspond à notre limite ; ou alors ils ont été, il y a plusieurs années, consultants pour une entreprise privée.
C’est un équilibre subtil. D’un côté, il existe ce mécanisme de subvention de la recherche européenne qui pousse les chercheurs académiques et des instituts de recherche publique à travailler en partenariat avec la recherche privée, pour s’assurer que leurs résultats vont trouver des débouchés. De l’autre côté, quand ils viennent pour exercer leur compétence dans le cadre réglementaire, on leur dit qu’ils ne sont plus suffisamment « purs » pour travailler avec nous.
Nous pensons avoir trouvé le bon équilibre pour l’instant, mais il ne faut pas jamais perdre de vue qu’il a un coût, puisque nous perdons de l’expertise scientifique. Nous essayons de la retrouver avec des observateurs, avec des gens qui viennent pour des auditions, mais ce n’est évidemment pas la même chose.
Mme Mélanie Thomin (membre de l’intergroupe NUPES) (SOC). Tout à l’heure, il me semble que vous avez dit que les groupes d’influence comme l’Ilsi n’influençaient plus l’Efsa. Était-ce différent il y a quelques années ?
M. Guilhem de Sèze. J’essayais d’expliquer pourquoi on parle encore de l’Ilsi quand on parle de l’Efsa. Cela fait sept ans que je travaille ici et je n’ai jamais vu un papier de l’Ilsi, ni rien entendu de tel. Je sais qu’il y a peut-être dix ou quinze ans, des experts sont passés de l’Efsa à l’Ilsa, ou vice-versa. Mais depuis douze ans, la politique de gestion des conflits d’intérêts de l’Efsa est très solide et reconnue par toutes les autorités institutionnelles.
M. Loïc Prud’homme (LFI-NUPES). Je voudrais revenir sur une phrase que vous avez prononcée. Quand le rapporteur vous questionnait sur les différences de procédures entre les États-Unis et l’Europe, vous avez dit qu’en Europe, on demande des compléments sur la neurotoxicité si des problèmes de ce genre se font jour. Comment peut-on justifier que les populations soient les cobayes qui permettent de voir survenir ce genre de problèmes, avant que des compléments d’études ne soient demandés ?
M. Guilhem de Sèze. Je voudrais clarifier ce point, nous nous sommes mal compris. Il s’agit d’un principe de base, dans l’approche réglementaire, qui n’est pas seulement applicable à la neurotoxicité. C’est ce que l’on appelle une approche partielle : on fait un premier test relativement simple, par exemple des tests généraux de toxicité sur des animaux. Si nous voyons apparaître des signaux de toxicité et de trouble du développement neurodéveloppemental, un test plus sophistiqué, plus précis sera demandé. Il ne s’agit surtout pas de laisser passer une molécule s’il y a le moindre doute.
M. Loïc Prud’homme (LFI-NUPES). Ma deuxième question est relative à l’intervention de cette chercheuse, Laurence Huc, sur la mise en danger de la santé des consommateurs. Je vous cite sa réponse : « Ce que je constate de mes travaux menés avec mes collègues, et non pas toute seule, c’est qu’actuellement, il y a des cancérigènes, des perturbateurs endocriniens et des neurotoxiques parfaitement légaux et autorisés par l’Efsa et l’État, oui. » Vous qualifiez donc cette réponse de « bruits médiatiques », en expliquant que les travaux collectifs menés par des toxicologues aboutissent à cette conclusion ?
M. Guilhem de Sèze. En matière de toxicité neurodéveloppementale, un test simple de base est demandé dans le package de tests obligatoires en Europe. En fonction des résultats, on demande des tests plus sophistiqués. Il y a donc bien des demandes obligatoires.
J’ai beaucoup de respect pour tous les scientifiques qui se dédient à la santé publique. Nous ne demandons qu’une chose, c’est d’interagir avec eux, de travailler avec eux, de réduire ce fossé qu’il y a entre le monde de la recherche publique et le monde réglementaire. Quand je parle de bruits médiatiques, je pense que vous savez ce que je veux dire. Je ne parle pas de certains résultats d’études ou de certaines observations scientifiques qui méritent d’être discutés. Le bruit médiatique vient quand, à partir d’une information partiellement vraie, partiellement approfondie, toute une histoire est montée.
Y a-t-il des substances dangereuses sur le marché ? Oui, les pesticides ne sont pas des substances inertes, ce sont des substances dangereuses qui doivent être manipulées avec précaution. Dans certains cas, même des pesticides présentant un danger important peuvent, avec des utilisations restreintes, être admis sur le marché. C’est une question d’évaluation du risque. Par exemple, certains pesticides dangereux sont utilisés sous serre, parce qu’on juge que l’exposition de l’environnement, des opérateurs et des commanditaires y est suffisamment réduite.
Sur la question des perturbateurs endocriniens, il y a eu des progrès réglementaires. En 2018, le Parlement européen a approuvé les critères d’évaluation des perturbateurs endocriniens. Un document guide a ensuite été développé pour conduire cette évaluation, entre l’Efsa et l’Echa. Désormais, on réévalue tous les pesticides qui sont sur le marché lors du processus de renouvellement des autorisations, ce qui permet d’identifier certains effets de perturbation endocrinienne et de retirer des substances autorisées du marché. Le cadre réglementaire se renforce donc progressivement. À travers le mécanisme européen de l’évaluation des substances actives, nous avons retiré plus de neuf cents substances du marché.
L’Efsa évalue le risque et établit ses conclusions. Il revient ensuite au gestionnaire du risque, au niveau européen, mais aussi au niveau national, de décider comment il peut utiliser les pesticides.
Mme Nicole Le Peih (RE). Je viens de recevoir un signalement de la part de l’association locale d’UFC-Que Choisir du Morbihan qui évoque une récente étude américaine particulièrement inquiétante, laquelle relève un risque accru de dégâts neurologiques en relation avec l’exposition au glyphosate en population générale. L’UFC-Que Choisir dit que votre évaluation semble avoir laissé de côté toute une série d’analyses scientifiques prouvant la dangerosité de l’herbicide. Quel regard portez-vous sur cette étude en particulier ?
M. Guilhem de Sèze. Je ne connais pas cette étude. Ce que je peux dire, c’est que l’Efsa, avec tous les États membres qui participent à l’évaluation, produit une conclusion sur une substance pesticide en général. Cette conclusion est utilisée par le gestionnaire de risque pour décider de son autorisation ou pas et dans quelles conditions. Une autorisation est donnée pour plusieurs années. Cela dit, à n’importe quel moment, des études qui verraient le jour et qui identifieraient un danger ou un risque donneraient lieu à une remise en cause et à une réévaluation de l’autorisation et des conditions d’utilisation. Ce n’est pas parce qu’une conclusion a été émise que rien ne va se passer pendant la période où la substance est autorisée. La réglementation prévoit la possibilité de rouvrir à tout moment une évaluation, sur la base de nouvelles informations.
En matière de neurotoxicité, nous sommes en fait en discussion avec des chercheurs dans différents domaines. Concernant la neurotoxicité développementale, je mentionnais nos interactions au Parlement européen au mois de juillet avec un chercheur suédois, avec qui nous travaillons pour savoir comment on pourrait faire entrer ces nouveaux signaux dans le cadre réglementaire. De la même façon, sur les maladies neurodégénératives, nous sommes aussi en discussion avec un chercheur aux Pays-Bas. La connaissance scientifique, comme toute connaissance, est en développement constant.
M. Dominique Potier, rapporteur. Nous avons en France, depuis 2014, un système vraiment efficace, avec le dispositif de phytopharmacovigilance post-autorisation de mise sur le marché. Vous avez évoqué les observations in situ. Ne faudrait-il pas envisager l’extension de ce dispositif à l’échelle européenne dans le cadre du projet de règlement Sur, et donner à l’Efsa la capacité de reprendre l’étude d’une molécule dès lors qu’il existe une alerte significative ?
M. Guilhem de Sèze. Nous avons déjà discuté, par le passé, avec les collègues de l’Anses de ce système de phytopharmacovigilance, très intéressant, qui pourrait trouver une application plus large au niveau européen. Il serait très important d’avoir des signaux de ce qui se passe après la mise sur le marché d’une substance, par exemple au moment d’une autorisation.
M. Dominique Potier, rapporteur. Nous formulerons une proposition en ce sens. Le projet de règlement Sur vient-il conforter l’harmonisation européenne ? Vient-il conforter l’expertise scientifique et les moyens qui lui sont alloués ? Avez-vous le sentiment que la réglementation va vers une sorte de consolidation du régime d’autorisation ? Pensez-vous que sur ces points, nous pourrions profiter de cette commission d’enquête pour faire quelques suggestions qui vous tiennent à cœur dans cette perspective ?
M. Guilhem de Sèze. Je ne suis pas un spécialiste du projet règlement Sur. Ce qui est clair, c’est qu’on va vers plus d’harmonisation au niveau européen en passant de Sud à Sur, d’une directive à un règlement européen. Je crois que le règlement cherche à établir des critères communs, des objectifs communs de réduction des pesticides par exemple. Comment pourrait-on encore progresser vers plus d’harmonisation au niveau européen ? Il convient d’y réfléchir un peu.
M. Dominique Potier, rapporteur. Je tiens à vous remercier pour le dialogue que l’on a entretenu avec vous. Notre satisfaction serait complète si, dans les jours qui viennent, vous pouviez nous adresser une note détaillant vos recommandations pour aller vers une plus grande harmonisation. La France a plutôt été leader dans l’expertise scientifique et la rigueur de l’expertise scientifique. Nous avons la chance d’avoir un plan Écophyto qui sera finalisé fin 2024, et un règlement Sur dont on espère qu’il sera adopté dans cette mandature. Nos propositions, si nous les portions et qu’elles étaient adoptées par le gouvernement, auraient peut-être des chances d’aboutir.
M. Guilhem de Sèze. S’agissant du projet de règlement Sur, la question des ressources nous a été posée par le Parlement européen. Nous avons documenté cet aspect lors du débat qui y a été organisé.
M. le président Frédéric Descrozaille. Cette question des moyens, vous pouvez nous faire confiance pour la relayer en ayant la main lourde.
La séance est levée à dix-neuf heures cinq.
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Présents. – Mme Anne-Laure Babault, M. Frédéric Descrozaille, Mme Nicole Le Peih, Mme Marie Pochon, M. Dominique Potier, M. Loïc Prud’homme, Mme Mélanie Thomin
Excusé. – M. Jean-Luc Bourgeaux