Compte rendu
Commission d’enquête relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif ayant délégation de service public
– Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Rousselot, président de section à la 3e chambre, M. Dominique Lefebvre, M. Laurent Le Mercier et Mme Lise Fechner, magistrats à la Cour des comptes 2
– Audition, ouverte à la presse, de M. Ghani Yalouz, ancien directeur général de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), Mme Audrey Peyrusin, ancienne directrice générale adjointe en charge de la politique sportive, et M. Denis Avdibegovic, ancien directeur général adjoint en charge de l’administration 15
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Roxana Maracineanu, secrétaire générale de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof), ancienne ministre déléguée chargée des sports et ancienne sportive de haut niveau, et de Mme Cécile Mantel, ancienne conseillère de la ministre en charge de l’éthique, de l’intégrité et des relations internationales 28
– Présences en réunion................................56
Jeudi
19 octobre 2023
Séance de 9 heures
Compte rendu n° 28
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
Mme Sabrina Sebaihi,
Rapporteure
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La séance est ouverte à neuf heures quinze.
La commission auditionne M. Philippe Rousselot, président de section à la 3e chambre, M. Dominique Lefebvre, M. Laurent Le Mercier et Mme Lise Fechner, magistrats à la Cour des comptes.
Mme Sabrina Sebaihi. Nous accueillons M. Philippe Rousselot, président de section à la 3e chambre, M. Dominique Lefebvre, M. Laurent Le Mercier et Mme Lise Fechner, magistrats à la Cour des comptes.
Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions. Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif, le 20 juillet 2023.
L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.
Nos travaux se déclinent donc autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif.
La 3e chambre a rédigé plusieurs rapports, dont certains n’ont pas été rendus publics. Le rapport public annuel 2018 comportait une partie intitulée « L’État et le mouvement sportif : mieux garantir l’intérêt général », dans laquelle la Cour estimait que les modalités d’intervention de l’État n’avaient été que très peu rénovées depuis un rapport thématique de janvier 2013.
Un nouveau rapport sur l’Agence nationale du sport (ANS) et la nouvelle gouvernance a été publié en juillet 2022. Il dresse un bilan de la création de l’ANS, s’intéresse à l’articulation de ses missions avec celles de la direction des sports, traite de la politique du haut niveau, du développement des pratiques sportives et réalise un état des lieux de la mise en œuvre de la nouvelle gouvernance territoriale du sport. Pourriez-vous nous présenter les principaux constats formulés par la Cour susceptibles d’intéresser notre commission d’enquête dans le cadre des différents contrôles qu’elle a réalisés dans le domaine du sport ?
Nos auditions font apparaître une gouvernance d’une grande complexité, caractérisée par ce qui pourrait être qualifié de « mille-feuille » : il n’est pas toujours évident d’identifier les responsabilités de chacun. Quelle est l’appréciation portée par la Cour sur cette gouvernance et les préconisations qu’elle formule dans ce domaine ?
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Philippe Rousselot, M. Dominique Lefebvre, M. Laurent Le Mercier et Mme Lise Fechner prêtent successivement serment.)
M. Philippe Rousselot, président de section à la 3e chambre. Nous vous remercions d’avoir sollicité la Cour dans le cadre de vos travaux. Nous appartenons tous les quatre à la 3e chambre. Son portefeuille est très large puisqu’il comprend l’enseignement supérieur, la recherche, la culture, l’éducation nationale, la jeunesse et les sports. Je préside la 2e section qui est en charge de l’éducation nationale, de la jeunesse, de la vie associative et du sport.
Je suis accompagné de M. Lefebvre, conseiller maître, rapporteur général de la formation interjuridiction sur les Jeux olympiques et paralympiques, mais également rapporteur de longue date sur les questions sportives. M. Le Mercier est responsable du secteur sport, jeunesse et vie associative au sein de la section. Mme Fechner est conseillère référendaire en service extraordinaire.
Notre activité dans le domaine sportif est constante. Nous avons produit une trentaine de rapports ces dix dernières années, sans compter ceux que nous avons produits récemment sur les Jeux olympiques et paralympiques. Ces derniers sont d’une problématique différente de celle qui nous occupe aujourd’hui. Ils sont néanmoins appelés à contribuer largement au renforcement du monde sportif.
Les pouvoirs publics doivent garantir, notamment par le contrôle du mouvement sportif, un environnement propice à l’épanouissement des pratiquantes et pratiquants. Comme le prescrit le code des juridictions financières, la Cour est compétente pour contrôler le mouvement sportif, et notamment les fédérations sportives, du fait de l’octroi d’une subvention et surtout de la délégation de service public.
L’ensemble de rapports que vous avez cités, portant notamment sur les fédérations sportives, n’ont pas été publiés jusqu’à présent. Cette pratique, autrefois courante n’existe plus aujourd’hui. Depuis le 1er janvier 2023, tous nos rapports sont en effet publiés.
Nous avons contrôlé treize fédérations ces dix dernières années, soit un peu plus d’une par an (tennis, volley-ball, golf, football, rugby, sports de glace, handisport…).
Je vous rappelle aussi l’existence des travaux des chambres régionales des comptes. Celles-ci sont habilitées à contrôler, à leur niveau et selon leurs compétences, les clubs de sport, les centres de ressources d’expertise et de performance sportive (Creps) et diverses régies sportives. Leurs travaux sont publiés depuis toujours et accessibles sur le site internet de la Cour.
Avant de répondre à votre question, j’attire votre attention sur le fait que tous nos travaux sont datés. Certains contiennent vraisemblablement des observations d’ordre structurel qui sont toujours valables. D’autres ont donné lieu à des corrections et améliorations. Il convient d’en tenir compte dans le profil général que je vous présenterai. De nombreuses recommandations que nous avions émises ont été mises en œuvre ou sont en cours de mise en œuvre.
Mon exposé sera organisé autour de trois points. Le premier concernera les fédérations (gestion, transparence financière, gouvernance). Le deuxième concernera le rôle que doit jouer l’État. Enfin, un dernier développement, plus bref, aura trait à la question spécifique des conseillers techniques sportifs.
Dans notre rapport public de 2018, nous avons assez largement examiné la situation des fédérations. Les fédérations sont au cœur du mouvement sportif français. Parce qu’elles sont sous le régime associatif, elles sont autonomes et indépendantes. Cette indépendance doit respecter certains grands principes : le fonctionnement démocratique, la transparence de la gestion et un égal accès des hommes et des femmes aux responsabilités.
Nos observations sur la gouvernance nous conduisent au constat de synthèse suivant. La gouvernance interne des fédérations est trop lourde, coûteuse et peu contrôlée.
Le premier point que nous avons observé est que la démocratie interne est souvent diluée et éparse dans les fédérations. Les clubs sont très rarement appelés à l’élection des instances dirigeantes. Ils élisent des représentants départementaux, lesquels choisissent les représentants régionaux, lesquels élisent les représentants nationaux.
Au sommet de la pyramide, les bénévoles sont moins nombreux. La relation démocratique entre la base et le sommet est très lâche. La comitologie foisonnante rend les organigrammes complexes et favorise la multiplication de responsabilités. Sans doute prestigieuses, celles-ci confèrent à chaque intéressé un rôle de dirigeant fédéral.
Cette multiplication des postes à responsabilité est forcément coûteuse. Elle permet à chacun de ces grands électeurs de bénéficier d’invitations à des manifestations ou à de grands événements qui, sur le fond ne prêtent pas à commentaires, mais entraînent nécessairement un coût.
De fait, une fois élu, l’exécutif fédéral évolue dans un système qui ne connaît pas de contre-pouvoir manifeste.
Tout d’abord, les minorités ne sont pas systématiquement représentées dans les instances de gouvernance des fédérations. Les assemblées fédérales n’exercent pas le contrôle qu’elles seraient susceptibles d’exercer sur la fédération.
Nos rapporteurs qui contrôlent les fédérations sportives saisissent rapidement les conséquences de cette absence de pression ou de contrôle. Nous relevons très souvent des facilités de gestion, telles que des usages généreux de carte bancaire, de frais de déplacement et de logement. Ces phénomènes que nous qualifions de facilités de gestion mériteraient peut-être d’être mieux interrogés. De fait, ils ne le sont jamais, du fait du défaut de contrôle interne et de vigilance démocratique.
Au titre des contrôles que nous exerçons, nous rappelons que les responsables fédéraux sont responsables de la gestion des fédérations, à titre personnel, devant les juridictions financières.
La loi de 2022 visant à démocratiser le sport a conduit à certaines améliorations. De réels progrès ont été réalisés, notamment sur la parité imposée dans les instances dirigeantes et le renforcement des obligations de transparence. Toutefois, la vigilance reste de mise en la matière.
Deuxièmement, par un effet miroir, nous constatons une très forte autonomie territoriale dans les fédérations. Nous relevons de façon récurrente que les réseaux territoriaux des fédérations demeurent très indépendants dans leur fonctionnement.
Le principe d’autonomie du mouvement sportif s’impose à tous les échelons territoriaux. Cette autonomie de droit ne doit toutefois pas faire obstacle à la vigilance et la capacité d’évaluation et de suivi de gestion de la part de l’instance fédérale.
Or, de manière générale, force est de constater que les fédérations connaissent très peu la situation financière et la trésorerie des organisations locales. Les fédérations peinent à maîtriser les organisations et à imposer, à l’échelon territorial, certaines de leurs mesures, notamment d’ordre organisationnel ou comportemental.
Comme les situations financières de l’échelon territorial sont mal connues, elles sont peu ou très rarement consolidées. Face à cette connaissance floue des situations financières, budgétaires et organisationnelles de l’échelon territorial, notre enquête de 2022, publiée au rapport public annuel sur les conséquences de l’épidémie du covid dans le monde sportif, a montré que nous ne savions pas déterminer les échelons territoriaux qui avaient le plus besoin des aides distribuées par les fédérations et l’État.
La répartition des aides s’est donc opérée sur un mode généreux, mais plutôt égalitaire, et restait peu ciblée sur les échelons dont les besoins étaient les plus manifestes.
Si ce constat peut paraître sévère, j’ajoute qu’au fil de nos contrôles et des réponses que nous recevons, le mouvement sportif en général prend en compte très régulièrement nos observations et nos recommandations. Certains sujets appellent, de notre part et de manière assez récurrente, des demandes d’améliorations.
Concernant la gouvernance, il importe d’alléger le coût de fonctionnement des instances fédérales. Les instances et les comités sont trop nombreux. Il convient de simplifier ces modes de fonctionnement et de raffermir le pouvoir des fédérations sur les réseaux territoriaux par le biais d’un contrôle et d’une capacité d’évaluation de l’échelon territorial.
Concernant le fonctionnement financier et administratif des fédérations, ces dernières doivent se doter de véritables directions financières disposant d’outils informatisés, compatibles entre eux et fiables. Étant donné l’étendue de certaines fédérations, cette recommandation s’impose. Elle est de bon sens. Elle n’est malheureusement pas toujours appliquée. Les fédérations doivent par ailleurs se doter d’un contrôle interne et d’un audit interne. Cette demande s’appuie sur de très nombreux constats. Les fédérations doivent également se doter d’une stratégie pluriannuelle budgétaire et financière comprenant des plans de trésorerie, mais aussi et surtout des inventaires physiques. Elles doivent aussi doter de règlements financiers. Cette recommandation peut paraître une évidence. Pour certaines fédérations, elle reste à appliquer.
Des textes internes doivent formaliser l’emploi des cartes bancaires, des frais de déplacement et des invitations. Ces aspects doivent être encadrés et transparents. Il en va de même pour les marchés publics et la commande publique. Dans leurs réponses, les fédérations contrôlées ont toutes pris acte, sans exception, de ces pistes d’amélioration.
Mon deuxième point concernera le rôle de l’État. Depuis la création de l’ANS en 2019, la place de la direction des sports s’est trouvée relativisée et redéfinie. Il n’en demeure pas moins que l’État et la direction de Creps restent garants de l’intérêt général.
Depuis 2013, la Cour appelle à une adaptation de la stratégie de l’État par une concentration de ses moyens autour de priorités et par un cadre d’action coordonné entre l’État et les acteurs du mouvement sportif. Cette question est ancienne et récurrente.
La création de l’ANS a modifié la situation. Elle traduisait l’engagement pris par le Président de la République de donner davantage d’autonomie et de responsabilités au mouvement sportif.
Lors de son contrôle sur la gouvernance du sport mené en 2021 et publié en 2022, la Cour a contrôlé la direction des sports et l’ANS. Ce contrôle, mené en 2021/2022, a donc été effectué au moment où le système nouveau se mettait en place. Les acteurs et nous-mêmes manquions naturellement de recul pour émettre des observations définitives. Il n’en reste pas moins que nous avons ouvert des perspectives dont je vais vous dresser un rapide bilan.
Concernant le statut juridique du groupe d’intérêt public (GIP), la Cour constate qu’il n’a aucun contenu financier et opérationnel, alors même que cette agence fonctionne exclusivement sur les moyens affectés par l’État.
Au stade de notre enquête, nous n’avons pu observer aucune mutualisation des moyens ou coordination des politiques publiques en faveur du sport. « La gouvernance partagée à responsabilités réparties » ne semblait pas encore avoir conduit à une clarification des compétences des uns et des autres.
En ce qui concerne la relation entre l’Agence et la direction des sports, la Cour avait relevé des carences qui pénalisaient l’action de l’État en direction des fédérations. En effet, le recentrage voulu de la direction des sports sur ses missions régaliennes et sur des fonctions de pilotage stratégique paraissait au départ cohérent avec la création d’un opérateur chargé de la mise en œuvre d’une politique publique. Cependant, de nombreuses difficultés subsistent sur la capacité de la direction des sports à exercer ses nouvelles missions d’une part et sur l’équilibre et la clarté des missions respectives de l’un et de l’autre d’autre part. L’exercice indispensable de la tutelle stratégique de l’État sur le mouvement sportif reste donc à clarifier.
Une première observation consécutive à cette observation générale concerne la contractualisation. La Cour étudie et analyse les contrats d’objectifs et de performance (COP) des fédérations. Ces COP sont bien souvent des documents-cadres très généraux déconnectés des situations particulières et spécifiques à chaque fédération. Ils ne tiennent pas compte des difficultés, des forces et des performances des fédérations.
Depuis la création de l’ANS, la situation nous paraît susceptible de créer une complication puisqu’il n’existe plus un seul COP, mais quatre nouveaux contrats : le contrat de délégation et le contrat des emplois à la charge de la direction des sports, les contrats de performance et les contrats de développement et des projets sportifs fédéraux à la charge de l’ANS.
L’intention de départ était une meilleure organisation. La Cour constate qu’il est toutefois plus difficile de préciser et d’observer la relation qui existe entre l’évaluation et le montant des subventions. Ce que donne l’État ne paraît pas encore bien connecté à une analyse serrée et évaluative des uns et des autres.
La Cour s’interroge donc, dans une de ses recommandations, sur la nécessité de pouvoir disposer, au-delà de ces quatre nouveaux contrats, d’un document de cadrage unique par fédération. Il faudrait néanmoins que la direction des sports dispose de moyens adéquats pour exercer, notamment, ses fonctions de contrôle et d’audit.
La délégation paraît être le vrai cœur de la relation entre l’État et le mouvement sportif. Cette délégation est un acte juridique majeur, par lequel l’État, indépendamment des subventions, délègue un service public à des bénéficiaires qui vont, dès lors, disposer d’un monopole pour la délivrance des titres nationaux, l’organisation des compétitions internationales et la gestion et la mise en œuvre des équipes nationales.
La capacité de l’État à consentir cette délégation en échange d’une capacité évaluative et de contrôle semble faire défaut. L’État doit s’assurer que les fédérations et l’opérateur appliquent les lignes générales de la politique sportive dans tous les domaines, à savoir la gestion, le respect de l’éthique et des valeurs sportives, la parité, ainsi que les sujets qui occupent votre commission.
Depuis que la Cour a émis ce constat, la situation a évolué. La ministre a réuni l’ensemble des acteurs après la publication de notre travail. Des décisions ont été prises. La Cour n’est pas encore en état de voir si ses premières recommandations méritent d’être réitérées. La loi prévoit un bilan en 2025. Cette date ne mérite pas de devoir être avancée, du simple fait de la présence des Jeux olympiques et paralympiques entre-temps.
Parmi nos recommandations figurent la nécessité de clarifier le rôle et les responsabilités des collectivités territoriales dans le mouvement sportif ainsi que la nécessité de s’interroger sur les moyens dont disposent aujourd’hui les services déconcentrés de la jeunesse et des sports.
Je termine par un bref développement sur les conseillers techniques et sportifs (CTS). La Cour s’intéresse à ces agents de l’État depuis longtemps, non seulement pour le rôle qu’ils jouent, mais pour aussi l’important poids financier qu’ils représentent – en moyenne 120 millions d’euros. Cette somme importante s’entend hors subvention.
Sans détailler toutes nos interrogations relatives à ces conseillers, j’en retiendrai deux. La Cour s’interroge encore aujourd’hui sur la répartition des CTS. Nos derniers travaux montrent que qu’ils restent concentrés sur certaines disciplines. Si 77 fédérations disposent de CTS, dix d’entre elles concentrent la moitié des CTS. Ce type de répartition ne permettra pas de développer une politique en faveur de toutes les disciplines.
À cette remarque sur la répartition entre disciplines s’ajoute une remarque sur la géographie. 80 % des CTS sont concentrés dans cinq régions et 50 % des CTS exercent en Île‑de‑France. Ces pourcentages posent question.
Nous poursuivrons nos travaux sur les Jeux olympiques et paralympiques. L’année prochaine, nous proposerons à la Cour une note de synthèse sur le mouvement sportif en France. Nous poursuivrons nos contrôles des fédérations et nous lancerons une réflexion de plusieurs années sur le modèle économique des fédérations et du mouvement sportif en général.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous remercie de ce propos liminaire très clair qui confirme plusieurs de nos auditions, dont celles de l’ANS et du Comité national olympique et sportif français (CNOSF). Nous retrouvons cette difficulté d’empilement des structures. Les responsabilités des uns et des autres sont difficiles à identifier.
L’État doit normalement garder le contrôle. Nous avons identifié que l’ANS attribuait des subventions aux fédérations sans qu’il existe de contrôle. Cela rend plus complexes le travail et l’exercice ces responsabilités par les uns et les autres. Cela complexifie aussi le travail et la formation sur la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (VSS).
Vous avez évoqué plusieurs aspects : une dispersion des responsabilités, des assemblées fédérales qui n’exercent pas de contrôle, des facilités de gestion (sur les paiements par carte bancaire, le logement, etc.). Pouvez-vous nous citer les fédérations dans lesquelles vous avez pu observer ces dysfonctionnements ?
Nous avons identifié une absence de critères d’attribution des financements par exemple. Vous évoquez une autonomie territoriale et une distribution d’aides aux fédérations qui en avaient le plus besoin, sans connaître les critères ou la forme d’attribution de ces financements. Quels fédérations, clubs ou associations ont-ils le plus bénéficié de ces fonds ?
Votre point de vue sur l’ANS a-t-il par ailleurs évolué ? Nous avons auditionné quelques personnes. Certaines expliquent que les relations avec elle ne sont pas simples. D’autres questionnent son utilité.
Vous avez évoqué le mode de fonctionnement du GIP. Le Medef possède 10 % des voix au sein du conseil d’administration. L’idée était de trouver un autre financement du mouvement sportif. Même si l’État y contribue, le financement repose encore aujourd’hui sur les collectivités territoriales, notamment par la construction et l’entretien des équipements sportifs. Quel regard portez-vous sur l’évolution du conseil d’administration et des pouvoirs et moyens des uns et des autres ?
Vous avez évoqué la limite de l’action de l’État au niveau du contrôle et de l’audit. Cette limite dans l’action de l’État est-elle due à un manque de moyens humains et financiers ou de volonté politique ?
S’agissant des contrats d’objectifs, quels contrôles sont aujourd’hui mis en œuvre ? Ces contrats sont-ils évalués ? Dans l’affirmative, qui les évalue et en référence à quelle grille et selon quels critères ?
À quoi consent l’État en échange d’une délégation ? La question est intéressante. Nous percevons aujourd’hui cette difficulté. Quand la ministre est intervenue, les fédérations ont rappelé leur indépendance vis-à-vis du ministère. Nous sommes très interrogatifs parce que nous finançons des fédérations qui sont censées mettre en place des formations ou un cadre devant permettre à chacun de pouvoir pratiquer une activité sportive dans des conditions satisfaisantes.
L’ANS nous a indiqué que 17 % des fédérations ne possédaient toujours pas de comité d’éthique. Or ces comités sont prévus par la loi. Comment pouvons-nous contraindre les fédérations à mettre en place ce que prévoit la loi, comme les formations et les comités d’éthique ?
S’agissant de la répartition des CTS, pouvez-vous nous indiquer les dix fédérations qui concentrent 50 % des CTS ? Vous avez indiqué que 50 % des CTS étaient en Île-de-France. S’agit-il des fédérations qui comptent le plus de licenciés et/ou le plus de moyens ? La concentration est-elle uniquement géographique ?
M. Philippe Rousselot. Je ne souhaite pas citer de manière précise les fédérations qui ont mis en place des facilités de gestion car il existe une probabilité pour que cela soit réglé. Par ailleurs, nous vous avons transmis hier soir tous nos rapports dans lesquels figurent ces points.
Je laisserai M. Lefebvre et M. Le Mercier répondre sur les critères d’octroi des aides. Je me suis peut-être mal exprimé car je n’ai pas retrouvé dans votre question ce que je souhaitais expliquer sur les aides attribuées à la suite du covid-19.
M. Dominique Lefebvre, magistrat à la Cour des comptes. Je laisserai M. Le Mercier répondre sur ce point.
Je me rappelle avoir conduit l’enquête sur l’Agence nationale du sport et les Jeux olympiques et paralympiques à la demande de la commission des finances de l’Assemblée nationale.
La plupart des contrôles dont nous présentons la synthèse sont antérieurs ou concomitants à la loi sur la démocratisation du sport d’une part et à la création de l’Agence d’autre part.
Les arbitrages rendus à l’occasion de la création de l’Agence nationale du sport et des dispositions de la loi sur la démocratisation du sport sont au cœur d’enjeux politiques complexes.
Le principe fondamental d’autonomie du mouvement sportif est protégé au niveau international. De facto, il limite l’action des États vis-à-vis des fédérations sportives et pose un certain nombre de questions. Les normes souvent imposées par le mouvement sportif mondial s’appliquent aux fédérations sportives françaises Nous avons pu l’observer à diverses reprises, notamment lors de notre contrôle sur l’Euro 2016 dont les enjeux financiers avec l’UEFA étaient particuliers. Nous le constatons aujourd’hui sur les Jeux olympiques et paralympiques.
Le mouvement sportif, par définition, est un mouvement de bénévoles. Ce bénévolat est une force. Il est exigeant. Les cadres locaux, voire départementaux et régionaux, offrent une très forte disponibilité, similaire à celles des maires ou des parlementaires, sur le terrain, le soir et le week-end.
La question des contreparties se pose forcément. Souvent elle se pose en termes de performance. La performance valorise le bénévole. Ensuite, elle se pose à toutes les échelles de la fédération. La comitologie et les gratifications sont la résultante d’un système proche du système politique dans lequel il existe des éléments de valorisation. En fonction de la façon dont les instances sont élues au sein des fédérations, le système peut être qualifié de diverses manières. Il produit ses effets.
Quand nous avons contrôlé la concession du Stade de France et le consortium qui en assure l’exécution, nous avons constaté que les deux fédérations délégataires de service public que sont la Fédération française de football et la Fédération française de rugby (et pour lesquelles ce stade a été en partie créé) sont les éléments essentiels de l’équilibre économique du stade : elles sont les seules titulaires des droits commerciaux issus de la délégation de service public qui leur a été accordée par l’État. Cela n’a cependant pas empêché la Fédération française de football d’engager contre l’État un contentieux devant les juridictions administratives. Si cette fédération n’avait pas retiré son action, elle aurait d’ailleurs probablement gagné.
Quand nous avons interrogé le ministre alors en fonction sur la question de savoir pourquoi il avait laissé une fédération qui dispose d’une délégation de service public ester en justice contre l’État sur un tel sujet, il nous a expliqué qu’il était face au président d’une fédération de deux millions de licenciés. Même s’il existe de nouvelles règles sur la durée des mandats des présidents de fédération, ces derniers restent longs. Les ministres des sports changent en revanche souvent. Ceci crée un déséquilibre.
Le rapport sur l’ANS que nous avons présenté à la commission des finances, en septembre 2022, montre bien que les arbitrages rendus reflètent ces enjeux, ces difficultés et ces ambiguïtés politiques. La mission préparatoire l’avait d’ailleurs déjà montré.
La Cour a constaté que, avec la création de l’ANS, le système n’avait pas été simplifié.
S’agissant de l’Agence, nous décelons plusieurs problèmes structurels. Faute de clarification des compétences des uns et des autres, notamment parmi les collectivités territoriales et leurs différents niveaux et parce que son financement est pour l’essentiel supporté par l’État alors que la gouvernance du GIP est « partagée », celui-ci n’en est pas vraiment un. L’ambition d’une gouvernance partagée à responsabilités réparties n’a pas été atteint. La Cour a également constaté une forme de découplage entre l’Agence nationale du sport et la direction des sports.
En juillet 2022, la ministre a acté dans le séminaire qu’elle a organisé avec l’ensemble des acteurs plusieurs recommandations que la Cour avait émises : clarifier et resserrer les rapports entre l’Agence et la direction des sports, assurer une tutelle plus effective du ministère sur l’Agence qui reste uniquement financée par l’État. Au moment où nous avons remis notre rapport, nous savions pertinemment que la mise en œuvre d’un certain nombre de nos recommandations seraient reportées après les Jeux olympiques et paralympiques. Le bilan qui sera mené en 2025 conformément aux dispositions de la loi ayant créé l’ANS sera donc essentiel.
La réforme de l’ANS comporte des éléments intéressants, mais qui complexifient le système. Le principe de fixer des objectifs et des indicateurs d’évaluation dans les contrats fédéraux de performance et de développement n’est pas mauvais. Mais il existe quatre contrats. Les uns sont pilotés par l’Agence. La direction des sports pilote pour sa part la délégation de service public avec les sujets régaliens extrêmement importants. L’Agence pilote les moyens et la direction des sports pilote in fine les emplois.
Le système existant doit-il perdurer ainsi en associant tous les acteurs ? Cette question est politique. Le rôle des collectivités locales, notamment pour le financement des échelons locaux, est extrêmement important. Le mouvement sportif doit être responsabilisé.
Une des clés pour concilier l’autonomie du mouvement sportif et la délégation de service public est le renforcement des mécanismes de responsabilité des fédérations. Le mouvement sportif doit être en capacité d’opérer sa propre régulation. Nos propositions sur la gestion financière ont avancé. Les dirigeants des fédérations sportives doivent maintenant renseigner une déclaration d’intérêt à la haute autorité.
Les problèmes sont connus. La principale limite aux évolutions est la difficulté à rendre des arbitrages politiques sur ces questions de l’articulation du mouvement sportif et de l’État et de l’articulation de l’État et des collectivités locales. Tant que nous sommes dans cette confusion, nous prenons des mesures qui permettent d’avancer, mais qui ne règlent généralement pas complètement le problème.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Qui peut opérer cette responsabilisation du mouvement sportif ? Lors de notre audition de l’ANS, M. Frédéric Sanaur nous a indiqué qu’il était théoriquement possible de sanctionner financièrement les fédérations lorsqu’elles ne suivaient pas de formations sur les violences sexistes et sexuelles. Dans les faits, ces sanctions ne sont jamais prononcées. Si l’ANS, le CNOSF et le ministère ne prononcent pas ces sanctions, qui les prononcera ?
M. Dominique Lefebvre. Le retrait de la délégation est l’arme nucléaire de l’État. Cette arme dissuasive a été vaguement évoquée dans l’affaire récente de la Fédération française des sports de glace.
La Cour a émis ses recommandations en son temps sur le Stade de France et sa concession. Nous verrons in fine le résultat de l’appel d’offres. Les contribuables devront-ils continuer à payer ? Les fédérations délégataires et titulaires à ce titre de droits commerciaux contribueront-elles à la bonne activité et à la rentabilité du Stade de France ? Nous ne devons pas méconnaître ces enjeux.
Lorsque la Cour a contrôlé l’Agence nationale du sport, nous avons constaté des situations acquises, avec des phénomènes de reconduction. Ce n’est pas très différent du financement de la dotation globale de fonctionnement (DGF) versée aux collectivités locales et des questions de péréquation et de redéploiement.
Les projets fédéraux qui débouchent sur des contrats de développement d’une part et les contrats de haute performance d’autre part créent les bases.
S’agissant de la haute performance, nous avons pointé que les problèmes relationnels entre la direction des sports et l’Agence devaient être réglés. Les outils disponibles doivent permettre de réaliser des redéploiements et de réduire la subvention versée à une fédération si les objectifs ne sont pas atteints. Les outils existent. La question est de savoir s’ils sont appliqués.
Des contrôles sont en cours sur des fédérations. Nous en ouvrons et nous en ouvrirons prochainement. Nous observerons les conditions dans lesquelles les dispositions de la loi de démocratisation sont mises en place. Nous étudierons le fonctionnement financier. La Cour a l’avantage de pouvoir observer le point de vue de la direction des sports et de l’ANS mais aussi de pouvoir interroger la fédération sur la qualité de son dialogue avec l’Agence, la prise en compte de ses objectifs et la qualité du dialogue entre les fédérations et l’État. Les outils existent, ils ne demandent qu’à être utilisés.
Les modèles économiques des fédérations sont néanmoins très différents. Nous venons de terminer le contrôle de la Fédération française de gymnastique. Nous engageons celui du cyclisme. Nous contrôlerons bien évidemment le GIP Paris 2023 et la Fédération française de rugby. Nous avions contrôlé la Fédération française de football il y a trois ou quatre ans. Ces mondes sont assez différents.
Un point sur lequel nous avons émis des observations ne demeure pas clair. Nous l’avons aussi vu sur l’ANS. Nous sommes incapables de disposer de tableaux consolidés des financements parce que l’autonomie conférée aux ligues régionales ou aux comités départementaux gêne fortement cette consolidation. La question peut être de savoir comment la fédération exerce son pouvoir de contrôle financier et disciplinaire sur ses instances locales, fédérales ou régionales.
La Fédération de football dispose d’un modèle économique particulier avec une faible subvention de l’État et un petit nombre de CTS. La situation d’un certain nombre de ligues, telles que la Ligue Île-de-France, nous a fait remarquer que l’argent était un peu partout sans que chacun comprenne ce qui se passe. Les ligues régionales et les ligues départementales disposent de leurs propres sources de financement via des subventions des collectivités. Le mécanisme de contrôle financier de la Fédération passe par la licence.
Les modèles économiques peuvent être très différents selon les fédérations. Il convient de disposer d’un cadre général suffisamment ferme, mais également suffisamment souple pour s’adapter à ces différences.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je reviens sur la carence dans la relation entre l’ANS et le ministère des sports. Le ministère peut-il imposer à l’ANS de sanctionner certaines fédérations lorsqu’elles ne remplissent pas les objectifs en matière de formation ou d’autres dispositifs ? Cela fait-il partie des carences que vous avez pu identifier ?
M. Dominique Lefebvre. Le rapport sur l’Agence décrit parfaitement le fonctionnement du groupement d’intérêt public : l’État n’est pas majoritaire alors que l’essentiel des financements de l’Agence relèvent de l’État et l’État dispose d’un droit de veto sur plusieurs sujets, dont le sujet budgétaire.
Le directeur général de l’Agence est nommé par la ministre sur proposition du conseil d’administration du GIP. L’État dispose donc des leviers de contrôle.
La Cour avait, dans ses précédents rapports, pointé le fait que la direction des sports exerçait une gestion extrêmement administrée. Les COP étaient reconduits avec des capacités de contrôle limitées, la direction des sports n’étant pas l’administration centrale la plus puissante de l’État.
À la création de l’Agence, la volonté était de distinguer l’ANS, qui s’occupait des moyens, de la direction des sports qui s’occupait du régalien et de la stratégie. L’ANS a prétendu s’occuper aussi de la stratégie. Cela a créé une confusion. La gestion « administrée » a évolué dans un sens plus qualitatif et certaines fédérations le reconnaissent. Sur la haute performance, par exemple, plusieurs fédérations reconnaissent avoir désormais de véritables experts face à elles.
Lorsque nous avons mené des enquêtes décentralisées, nous avons relevé le sujet systémique des directions régionales de la jeunesse et des sports (Drajes) qui ont été placées sous l’autorité des recteurs des régions académiques, comme les directions départementales de la jeunesse et des sports (DDJS) ont été placés sous l’autorité des directeurs des services départementaux de l’éducation nationale. Ces services ont beaucoup perdu en effectifs.
La question des violences sexistes et sexuelles était auparavant contrôlée par les DDJS et les inspecteurs des sports.
Quand nous interrogeons les directeurs régionaux de la jeunesse et des sports sur leurs capacités réelles de contrôler, sur le terrain, la sécurité des équipements sportifs, les conditions d’accueil des jeunes, etc., ceux-ci relèvent que leurs capacités d’exercer cette mission régalienne ont été drastiquement limitées.
De facto, les moyens de ces services ont été réduits. Nous l’avons souligné dans le rapport sur l’Agence nationale du sport et dans l’enquête sur la direction des sports.
Le basculement des services de la jeunesse et des sports des préfectures vers les rectorats s’est fait avec une certaine difficulté.
Des protocoles ont été passés entre les préfets et les recteurs, dont les compétences se chevauchent. Même si les Drajes ont été placées sous l’autorité des recteurs, le préfet, dans sa mission de garant de l’ordre républicain, peut contrôler une activité sportive pendant l’été.
À la question de savoir si l’État dispose des moyens suffisants pour contrôler un mouvement sportif à sa base, la réponse est que les effectifs ont diminué et que la nouvelle articulation entre les recteurs et les préfets n’a pas aidé. Un bilan devra être tiré pour savoir comment l’État peut assurer ces contrôles.
M. Philippe Rousselot. Quel est le rapport de force ? L’expression d’arme nucléaire utilisée par M. Lefebvre s’agissant de la délégation est excellente. Cette arme reste encore théorique, mais serait à fort effet.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. À la question du rapport de force s’ajoute celle de l’articulation entre les différentes strates. Sur la question des VSS, l’ANS a dépensé près de 13 millions d’euros l’an dernier, comme l’État. Comment s’articulent ces deux entités pour travailler sur un même sujet alors que l’ANS ne dispose pas de pouvoir coercitif sur les fédérations ?
M. Philippe Rousselot. Je pense que vous trouverez la réponse à cette question dans les travaux que nous avons menés sur l’ANS.
La Cour en elle-même ne peut pas répondre à la question de savoir si notre avis a évolué sur l’ANS. Il évoluera de manière certaine le jour où nous réaliserons une instruction sur ce point. Dès l’année prochaine, nous nous lancerons dans la rédaction d’une note de synthèse sur le mouvement sportif.
M. Le Mercier répondra sur les critères de financement dans le cadre du covid.
M. Laurent Le Mercier, magistrat à la Cour des comptes. Nous avons mené, en 2021 et 2022, une enquête auprès de la direction des sports, de l’ANS, du CNOSF et d’un échantillon de fédérations sportives. Nous avons constaté que le mouvement sportif s’était plutôt bien organisé pour répondre à la crise. Subsistait le problème de la connaissance de la situation financière des clubs et des réseaux territoriaux.
L’ANS et la direction des sports ont mis en place des crédits pour aider les différentes structures. Le CNOSF, les collectivités et les fédérations ont également mis à disposition des crédits pour leurs clubs, de façon souvent indifférenciée, via des petites subventions, sans forcément tenir compte de la situation plus ou moins fragile des clubs ou des entités puisque cette connaissance sur la fragilité éventuelle n’existe pas.
Nous sommes allés dans les Drajes car elles ont instruit les dossiers d’attribution des subventions. Parmi les dossiers, nous avons pu constater que des subventions avaient été attribuées alors que les pièces justificatives manquaient ou que les pièces fournies ne correspondaient pas suffisamment aux critères, lesquels n’étaient pas toujours très caractérisés ou objectivés.
La raison en est que les services déconcentrés manquent de personnel. Ce manque est connu, tant pour les contrôles de terrain que pour les contrôles administratifs. Le temps d’instruction était par ailleurs très court, lié à la crise.
Nous ne sommes pas en mesure, rétrospectivement, de vous faire la liste des fédérations qui ont le plus bénéficié d’aides. Quelques dizaines de millions d’euros de subvention ont été accordés au tissu local.
Le dispositif appelé « fonds de compensation des pertes de billetterie » s’est par ailleurs élevé à plus de 200 millions d’euros. Cette mesure sectorielle est la plus importante de l’État dans le domaine du sport. Ce fonds était destiné aux ligues ou clubs professionnels qui avaient perdu de l’argent du fait de l’absence des manifestations sportives. Les plus importants clubs et ligues professionnels ont touché des dizaines de millions d’euros. Ils ont effectivement perdu de l’argent durant cette situation de covid. L’État devait-il compenser les pertes d’argent des clubs et des lignes dont la situation financière leur permettait de survivre ou devait-il utiliser cet argent différemment ?
Lors de la dernière note d’exécution budgétaire que nous rédigeons annuellement, nous avons constaté que ce dispositif, assez coûteux pour l’État, comprenait un système de rattrapage. S’il s’avérait, rétrospectivement, que ces entités n’avaient pas perdu tant d’argent que cela, elles devaient rembourser une partie de l’aide. Il y a un an, nous avons constaté que la direction des sports n’avait toujours pas récupéré l’argent indûment perçu.
Ce n’est pas tant une mauvaise volonté de la direction qu’un manque de moyens. La création de l’ANS a eu pour conséquence une baisse d’effectifs à la direction des sports. Celle-ci était censée devenir une direction d’état-major (une direction stratégique) tandis que l’ANS gérerait l’opérationnel.
Lors de notre dernier contrôle, il y a deux ou trois ans, nous avions constaté que la direction des sports ne possédait pas de moyens de contrôle et d’audit. Cette mission était déléguée à des prestataires chargés de mener des audits flash sur certaines fédérations : ces prestataires étudient notamment si, comptablement, les fédérations flèchent bien les crédits donnés via les conventions. Ce n’est peut-être pas le cœur du sujet. Le cœur du sujet devrait être la situation financière des fédérations : ainsi, l’aide de l’État serait adaptée à la situation des fédérations. Cette expertise doit être internalisée au sein de cette direction stratégique. Je ne suis pas sûr que ce point soit réglé aujourd’hui, mais nous le contrôlerons.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous remercie de ces réponses précises. Nous vous transmettrons peut-être d’autres questions par écrit. Je vous souhaite bon courage pour les prochains contrôles et audits.
M. Philippe Rousselot. Vous devrez prendre connaissance des quarante documents que nous vous avons adressés hier. Tous ou presque n’ont pas été publiés. Laurent Le Mercier a très justement fait référence à la note d’exécution budgétaire. Ce document annuel contient des observations susceptibles de vous intéresser. Il est en ligne sur le site de la Cour. Nous sommes évidemment à votre disposition pour toute question complémentaire.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous remercie d’attirer notre attention sur ce document que nous ne manquerons pas d’étudier. Nous lirons avec attention vos recommandations. Merci.
La commission auditionne M. Ghani Yalouz, ancien directeur général de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), Mme Audrey Peyrusin, ancienne directrice générale adjointe en charge de la politique sportive, et M. Denis Avdibegovic, ancien directeur général adjoint en charge de l’administration.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous recevons M. Ghani Yalouz, ancien directeur général de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep) accompagné de M. Denis Avdibegovic, ancien directeur général adjoint en charge de l’administration.
Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions. Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif, le 20 juillet 2023.
L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.
Nos travaux se déclinent donc autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif.
Après une carrière de lutteur professionnel, vous avez été, monsieur Yalouz, directeur des équipes de France de lutte, puis directeur technique national (DTN) de la Fédération française de lutte, puis de la Fédération française d’athlétisme (FFA). En 2017, vous avez été nommé directeur de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), poste que vous avez occupé jusqu’en août 2021.
Pouvez-vous revenir sur les faits de violences sexuelles et sexistes, de racisme et discrimination dont vous avez eu connaissance dans les différentes fonctions que vous avez exercées, et en particulier à la tête de l’Insep ?
Pouvez-vous nous présenter la politique que vous y avez mise en œuvre pour prévenir, détecter, signaler et sanctionner ces violences ?
Nous avons entendu l’actuel directeur général de l’Insep. Il a reconnu que des marges de progression existaient en matière d’information et de prévention. Qu’en pensez-vous ?
Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Ghani Yalouz et M. Denis Avdibegovic prêtent successivement serment.)
M. Ghani Yalouz, ancien directeur général de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep). Avant de répondre à vos questions, je souhaite revenir brièvement sur mon parcours car il peut apporter un éclairage dans le cadre de cette commission d’enquête.
Je suis arrivé en France à l’âge de cinq ans. J’ai eu la chance d’être élevé dans un environnement familial et social qui m’a permis de grandir, d’apprendre et, surtout, de réaliser mes rêves. Mes parents m’ont transmis des valeurs solides. J’ai commencé le sport par le football. Puis j’ai découvert la lutte avec mon grand frère. J’ai très vite progressé dans cette discipline grâce à mon club de Besançon, aux bénévoles et aux entraîneurs. J’ai obtenu de très bons résultats nationaux. Après plusieurs titres internationaux, je suis devenu vice-champion olympique aux Jeux d’Atlanta de 1996. J’ai commencé ensuite une carrière à la Fédération française de lutte en devenant entraîneur. J’ai franchi toutes les étapes jusqu’à devenir DTN. J’étais alors le plus jeune DTN du sport français.
En 2009, juste après avoir obtenu, en tant que DTN, deux belles médailles olympiques pour la lutte, faisant de la France la deuxième nation mondiale aux Jeux olympiques dans cette discipline, j’ai été appelé comme DTN à la fédération française d’athlétisme. C’était là encore une exception. Personne n’envisageait en effet que le DTN d’une petite fédération devienne celui d’une des plus grandes fédérations françaises. Avec le soutien du président de l’époque, M. Bernard Amsalem, et grâce à des athlètes extraordinaires, nous avons atteint des résultats historiques aux olympiades de Londres 2012, puis de Rio 2016, où nous avons terminé avec six médailles.
Jusque-là, je n’avais jamais été réellement confronté au racisme – en tout cas, je n’en étais pas conscient. En 2017, j’ai été nommé directeur général de l’Insep. À 49 ans, je serai un des plus jeunes directeurs de l’histoire de cet établissement. Ce fut une grande fierté pour moi et ma famille.
C’est alors que ma vie va réellement basculer : je vais être victime, à la fois de dénonciation calomnieuse et raciste, de harcèlement et d’isolement institutionnel. Quelques semaines après ma nomination, l’Inspection générale de la jeunesse et des sports a considéré que celle-ci n’était pas valable. En effet, la procédure de nomination du directeur par le ministère n’avait pas été mise en conformité réglementaire depuis 2012. Mais mon prédécesseur, dans la même situation, n’avait pas été mis en cause. J’ai donc dû reprendre le processus de candidature pour être nommé une deuxième fois.
Dans la même période, un premier courrier raciste circule à la Fédération française d’athlétisme, signé « Yalouz le flouze », me faisant passer pour un homme vénal, bling-bling et communautariste. En ayant déjà reçu beaucoup du même ordre, je n’ai pas prêté attention à ce courrier. Mais, en octobre 2018, un nouveau courrier anonyme est envoyé, cette fois, à la direction des sports, au cabinet de la ministre, au Canard Enchaîné et à Mediapart. Ce courrier malveillant dénonce une gestion désastreuse de l’Insep, mon mode de vie et des abus financiers – autant de mensonges et d’affirmations détestables. Je suis alors tout à ma tâche pour engager des changements profonds à l’Insep, assainir la politique des marchés publics, restaurer des relations sociales apaisées avec des agents et ouvrir un programme de financement privé jusqu’alors inédit.
C’est lorsque la directrice de cabinet de la ministre m’a sommé d’apporter des explications sur son contenu que j’ai été particulièrement affecté. Avec l’aide de mes équipes et de mon avocat, j’ai rassemblé toutes les informations requises mais je n’ai reçu aucune réponse du cabinet. Les premières fuites médiatiques sont alors apparues.
Quelques mois plus tard, une enquête de routine de l’Inspection générale s’est déroulée à la Fédération française d’athlétisme. Des rumeurs circulent. L’enquête sera centrée sur ma personne. De nouvelles fuites surviennent très vite dans les médias : l’Inspection générale aurait relevé de graves dysfonctionnements dans ma gestion à la DTN de l’athlétisme, des comportements inappropriés, des problèmes concernant mes notes de frais et mon train de vie.
En juin 2019, un véritable emballement médiatique s’opère. Une dépêche de l’AFP et des dizaines d’articles viennent salir mon nom et ma réputation. Une procédure sur le fondement de l’article 40 du code de la procédure pénale est déclenchée à mon encontre par un inspecteur général et, semble-t-il, par la ministre des sports elle-même. La brigade de répression de la délinquance économique, la BRDE, est saisie. Je comprends alors que je dois me protéger, que je dois protéger le nom de mes parents et de ma famille. Je choisis comme conseil un grand cabinet d’avocats parisiens.
La ministre des sports déclenche par ailleurs une enquête administrative à mon encontre pour, selon elle, me protéger. Cette enquête est menée à nouveau par l’Inspection générale.
Il faut savoir que le rapport de l’Inspection générale sur la Fédération d’athlétisme que nous nous sommes procuré, alors que la tutelle avait refusé de nous le transmettre, ne comprenait finalement que quelques lignes à mon sujet. Je ne comprenais pas ce qui m’était reproché et ce qui pouvait conduire au déclenchement d’un article 40 contre moi.
Je reçois en outre une convocation étonnamment concomitante de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) sur des violations récentes de règles antidopage dans l’athlétisme, alors que j’ai quitté la Fédération d’athlétisme depuis plus de deux ans. Vous pourrez lire, dans le procès-verbal de l’audition, comment l’AFLD opère un lien direct entre mes origines marocaines et la réputation d’un système de dopage au Maroc.
J’apprendrai plus tard, par mes avocats, qu’une demande d’enquête sur la radicalisation de mon entourage avait été formulée dès 2017. Cette enquête n’a pas abouti.
Durant toute l’enquête administrative diligentée par la ministre, des fuites régulières se sont produites dans les journaux. Malgré la pression de mon entourage, je ne me suis pas exprimé dans les médias. Je pensais que je finirai par être lavé de tout soupçon par ma hiérarchie.
En décembre 2019 tombe enfin le rapport contradictoire de l’enquête administrative. Il concerne principalement le remboursement de mes frais à la Fédération française d’athlétisme et mes déclarations de cumul d’activités. Je réponds point par point et apporte toutes les explications possibles sur une période de neuf ans, entre 2008 et 2017. Là encore, je n’obtiendrai jamais le rapport final ni aucun retour officiel. Je n’obtiendrai jamais d’éléments pour me défendre.
La menace de l’enquête judiciaire plane cependant – et m’est rappelée à chaque instant. Je me sens poussé à la démission. Ces moments sont très difficiles à vivre. Heureusement, j’ai pu compter sur mes adjoints, grâce auxquels nous avons atteint les objectifs que j’avais fixés pour l’Insep.
Compte tenu du décalage des Jeux olympiques de Tokyo en raison du covid, je suis resté en poste grâce au soutien du ministre de l’éducation nationale, qui chapeaute alors les sports.
En septembre 2021, mon contrat n’a pas été pas renouvelé, alors que je suis candidat pour être prolongé. Je n’ai aucun point d’atterrissage. Je crois être le seul directeur général de l’Insep à avoir subi ce traitement. Il me semble que tous les directeurs généraux de l’Insep ont été nommés à l’Inspection générale. Je suis une exception.
Fin 2021, je suis enfin entendu par la police, suite aux articles 40 qui ont été déposés à mon encontre. Durant deux heures, je donne toutes les explications aux questions posées. Le même jour, trois heures plus tard, mon avocat m’annonce que le procureur a classé mon dossier sans suite. Trois ans d’acharnement et deux heures d’audition se sont soldés par un classement sans suite ! Mais le mal est fait. Les articles de presse sont toujours en ligne et ma réputation est entachée pour de longues années. J’ai dépensé près d’une vingtaine de milliers d’euros en frais d’avocat pour me défendre.
Je suis aujourd’hui rattaché à la direction des sports, qui m’a confié la rédaction d’un rapport sur la détection des jeunes talents dans la perspective 2024-2028. J’ai rendu ce rapport en décembre 2022, non sans difficulté. J’y formule des propositions concrètes. Mais je n’ai reçu aucun retour. Aucune proposition ne semble avoir été étudiée, à quelques mois des Jeux olympiques à Paris. Je crois pourtant avoir une expérience à partager. Je suis confiné à des missions administratives alors que, chacun le sait, je suis un homme de terrain.
Aujourd’hui, je pense être victime d’un système qui n’accepte pas que des personnes comme moi, issues d’un petit sport, immigrées, grimpent trop vite les échelons du sport français. Tant que j’étais champion ou que nous réussissions avec les équipes de France dont j’avais la charge, j’étais accepté. Le jour où j’ai occupé la direction générale de ce grand établissement public qu’est l’Insep, je suis devenu trop visible, certainement trop envié et sûrement trop différent. Ce système cohabite pourtant avec le système républicain, qui m’a permis d’atteindre les plus hautes marches des podiums internationaux et de l’État.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le périmètre de cette commission comprend aussi les discriminations et le racisme au sein du mouvement sportif. Nous l’avions envisagé sur le champ des sportifs. Vous apportez ici un éclairage un peu différent sur lequel nous pourrons revenir mais je souhaite surtout insister sur l’Insep et la FFA.
Pouvez-vous donner le nom de la ministre qui a déclenché cet article 40 ? Qui était l’inspecteur qui menait l’enquête de routine ? Vous indiquez avoir été victime de discrimination. Pourquoi pensez-vous que cet article 40 a été déclenché par la ministre sans aucun fondement ?
M. Ghani Yalouz. Je n’avais pas accès aux dossiers. J’étais dans l’inconnu, alors que j’étais en poste ; je gérais l’Insep avec l’échéance des Jeux et je procédais à une refonte de nombreux aspects de l’établissement. L’inspecteur général était M. Hervé Madoré. Je ne me souviens plus du nom de l’autre personne. La ministre des sports était Mme Roxana Maracineanu.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous eu connaissance de ce rapport finalement ?
M. Ghani Yalouz. Au début, je ne disposais de rien. Nous avons envoyé des demandes avec mes avocats. Cela a traîné.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quand vous avez obtenu le rapport, que s’y trouvait-il ?
M. Ghani Yalouz. Le rapport relatait toutes les difficultés de la Fédération française d’athlétisme et ne comprenait que deux lignes sur ma personne. Je ne m’en souviens même plus. Je peux vous le transmettre.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous ne savez donc pas sur quoi vous avez été mis en cause dans ce rapport.
M. Ghani Yalouz. Après le rapport, une autre inspection générale a été diligentée à la demande de la ministre avec deux autres inspectrices. Elles ont été bienveillantes. J’ai donné tous les éléments. Un deuxième rapport est donc sorti par la suite, exigé par Mme Maracineanu.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Sur ce deuxième rapport, disposez-vous des éléments sur lesquels vous avez été mis en cause ?
M. Ghani Yalouz. Nous avons obtenu un rapport contradictoire. Cela a pris du temps. Je gérais l’Insep en parallèle et je me devais d’être présent pour mes équipes. Nous avons attendu ce deuxième rapport pour le présenter à mon avocat.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Que vous était-il reproché exactement ?
M. Ghani Yalouz. Il m’était reproché d’être malhonnête ; mes frais et cumuls d’activités étaient pointés.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous estimez que ces deux rapports demandés par la ministre sont dénués de fondements.
M. Ghani Yalouz. J’ai été auditionné deux fois. J’ai vu une différence entre l’audition de M. Madoré et celle de Mmes Fabienne Bourdais et Julien. Dans la première, j’ai été poussé dans mes retranchements. Mes décorations étaient questionnées, de même que mon ascension rapide, mon salaire et mes déplacements. J’étais directeur et sélectionneur. Être DTN implique d’être sur le terrain et de gérer l’humain. L’athlète est un radar affectif. Un athlète a besoin d’être écouté et accompagné. La performance, l’excellence sportive et le Graal olympique passent surtout par de la bienveillance, et non par de l’assistanat.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Que vous était-il reproché s’agissant du cumul d’activités ?
M. Ghani Yalouz. Rien ne m’était reproché au final. En huit ans, j’ai dû justifier 7 000 euros durant la deuxième audition. Un DTN voyage en permanence. Mes frais de fonctionnement et de déplacement oscillaient en moyenne entre 900 et 1 000 euros par mois. Nous avons identifié, lors de la deuxième inspection, un montant de 7 000 euros dont ils ne retrouvaient pas les justificatifs. Je les ai recherchés avec mes avocats et je les ai fournis. Je ne suis pas parvenu à retrouver les justificatifs pour 400 euros de frais en huit ans. Je les ai bien évidemment remboursés. Mme Bourdais l’a bien compris lors de la deuxième audition.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourrez-vous nous transmettre le rapport que vous avez obtenu de votre côté ? Nous étudierons de notre côté les autres rapports.
Quand vous étiez directeur général de l’Insep, vous avez créé un poste et une cellule dédiée à la prévention des différentes formes de violence. Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de le faire?
M. Ghani Yalouz. Il était important de créer cette cellule. Je suis arrivé à l’Insep à 14 ans. J’y ai connu la vie en internat. Mme Laurie Champin m’avait énormément sensibilisé sur le sujet ; elle était une fervente défenseure de la lutte contre les violences sexuelles. Un an après mon arrivée, nous lui avons donc proposé de prendre le poste pour instaurer des échanges, du dialogue, pour fournir de l’information à tous les mineurs et tous les athlètes qui étaient sur place.
M. Denis Avdibegovic, ancien directeur général adjoint en charge de l’administration. De nombreuses séquences de prévention avaient déjà été organisées depuis plusieurs années par les prédécesseurs de M. Yalouz. Le recrutement a permis de commencer à écrire les procédures, à les préciser et à les mettre à jour. Cela a abouti, en septembre 2019, à deux séances d’information et de formation assurées avec le concours de l’association Stop aux violences sexuelles. L’ensemble des agents de l’Insep, des coachs et des responsables des pôles sportifs ont dû y assister, M. Yalouz ayant rendu ces séances obligatoires.
M. Ghani Yalouz. Nous avons engagé cette action avant que le ministère nous en transmette la demande. Nous avons anticipé.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La cellule a assuré des formations. Comprenait-elle un dispositif d’écoute et de recueil pour les victimes ? De quels moyens bénéficiait-elle ? À votre connaissance, cette cellule existe-t-elle toujours à l’Insep ?
M. Ghani Yalouz. Denis et Audrey Perusin étaient totalement investis, mais nous ne disposions pas de moyens spécifiques. L’essentiel était de recevoir la parole et de transmettre les informations.
Quand je dirigeais cet établissement, j’ai insisté pour trouver des solutions, et faire en sorte de ne plus rendre ce sujet tabou. Nous regroupions, une fois par mois, les responsables de toutes les fédérations et de tous les pôles hébergés à l’Insep, pour traiter de tous les sujets et surtout anticiper. Qui est mieux placée qu’une personne de la Fédération qui suit au quotidien les athlètes sur la performance, mais aussi sur l’internat et la formation pour me donner des informations ? Pendant plus de quatre ans, mes équipes et moi-même avons écouté ces acteurs. Instaurer un échange mensuel était essentiel. C’est à partir de là, et ensemble, que nous pouvions anticiper.
M. Denis Avdibegovic. La cellule n’existe plus puisque la personne qui était à sa tête est partie. En revanche, nous avons profité du temps de sa présence pour organiser ce qui s’est passé par la suite : nous avons en effet recruté une personne responsable de la santé et de la sécurité au travail, dont une des activités porte sur ce sujet. Elle est aujourd’hui une des deux référentes qui reçoit la parole : l’une recueille celle des agents ; l’autre, une infirmière, Mme Isabelle Dounias, s’occupe du médical et des sportifs.
Je ne sais pas ce qu’il en est aujourd’hui. En tout cas, lorsque M. Yalouz était en poste, ces deux personnes étaient bien chargées de recevoir la parole et avaient été recrutées à cette fin.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Savez-vous si le temps d’échanges mensuel que vous aviez instauré existe toujours à l’Insep ? Par ailleurs, avez-vous effectué des signalements au procureur de la République au titre de l’article 40 et dans l’affirmative, sur quel type d’affaires ?
M. Ghani Yalouz. J’ai découvert cet article et ce qu’il impliquait. J’ai effectué deux signalements au titre de l’article 40 s’agissant de violences sexuelles : l’un concernait le harcèlement sexuel d’un entraîneur de gymnastique, l’autre un escrimeur sur une question de consentement.
Nous avons ensuite précisé notre organisation pour multiplier les personnes extérieures capables de recueillir la parole. Il était important de pouvoir échanger avant le déclenchement de l’article 40 et de s’appuyer sur davantage d’associations pour la prise de décision.
M. Denis Avdibegovic. M. Yalouz, en tant que directeur général de l’établissement, avait en outre la responsabilité de conduire une procédure disciplinaire si l’affaire impliquait un élève ou un agent. Celle-ci a été conduite concomitamment, avec le concours des fédérations. M. Yalouz a en effet immédiatement – dans les quinze minutes ! – convoqué l’ensemble des personnes concernées pour ensuite prendre une décision éclairée. J’ai beaucoup appris au contact du directeur général. Tous les éléments ont été transmis et partagés avec les fédérations.
M. Ghani Yalouz. Il existait une procédure-type. Dans un premier temps, la parole était recueillie par une personne qualifiée. Il fallait ensuite identifier des personnes mises en cause, contacter la Fédération, prendre une mesure conservatoire pour éviter que les personnes concernées se rencontrent et aussi protéger la victime et les autres potentielles victimes. Puis une exclusion de l’agresseur présumé était opérée à titre conservatoire et enfin, nous réalisions une enquête administrative en interne et un signalement au parquet.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le laps de temps était très court. Tous les signalements ont-ils donné lieu au déclenchement de l’article 40 ?
Nous avons auditionné le nouveau directeur de l’Insep, M. Canu. Il lui a fallu plusieurs mois pour déclencher l’article 40. Comment expliquez-vous cette différence de temporalité ? Confirmez-vous qu’un directeur général est en mesure d’écarter la personne mise en cause ?
M. Ghani Yalouz. Nous l’avons fait. Mais c’est plus compliqué pour les majeurs.
Les réunions mensuelles étaient importantes car elles créaient de la proximité et de l’échange. Elles facilitaient le dialogue et la réactivité. Les présidents, les DTN, les entraîneurs étaient immédiatement disponibles. Pour ma part, je n’ai rencontré aucun souci sur ce point. Les responsables de pôles à l’Insep nous transmettaient aussi des informations.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ces réunions mensuelles existent-elles toujours à l’Insep ?
M. Ghani Yalouz. Oui.
M. Denis Avdibegovic. La procédure peut être enclenchée à partir du moment où la personne mise en cause est identifiée. La libération de la parole est au cœur de la procédure. La victime doit se sentir libre et doit pouvoir s’ouvrir auprès de plusieurs interlocuteurs, le but étant de l’amener à identifier son agresseur. C’est crucial puisque, sans identification, nous ne pouvons rien enclencher.
Les quinze minutes évoquées démarraient à partir du moment où une identification avait été effectuée. Un témoignage écrit nous permettait d’enclencher la procédure disciplinaire au sein de l’Institut et la procédure judiciaire au pénal, le cas échéant. Il fallait aller au bout de la procédure disciplinaire puisqu’il s’agissait de protéger la victime présumée, mais éventuellement d’autres personnes sur le site.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez indiqué découvrir l’article 40. Avez-vous été formés sur le processus de déclenchement ?
On nous a expliqué qu’un risque existait d’être attaqué en retour pour diffamation. La hiérarchie vous soutient-elle en cas de déclenchement ?
M. Ghani Yalouz. Je n’ai pas été formé sur l’article 40, mais je l’ai découvert et j’ai pu compter sur mon équipe.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Et la hiérarchie ? Des signalements ont-ils par ailleurs été effectués sans recours à l’article 40 ?
M. Ghani Yalouz. Oui, des signalements ont été opérés sans article 40. Et lorsqu’il était déclenché, j’en prenais la décision avec mes équipes et j’en informais le directeur des sports, M. Gilles Quénéhervé.
M. Denis Avdibegovic. Le directeur général est censé tout connaître et tout savoir. Tel n’est pas le cas. Il est entouré d’une équipe. Ma responsabilité était de conseiller M. Yalouz. Pour ma part, je connaissais parfaitement l’article 40 et les procédures qui en découlaient. Mon homologue du côté sportif jouait quant à lui son rôle en matière disciplinaire. Nous pouvions donc travailler ensemble sur le sujet ; chacun apportait son expertise.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourquoi certains signalements n’ont-ils pas entraîné de déclenchement de l’article 40 ? S’agissait-il d’affaires précises sur lesquelles il n’était pas justifié ?
Est-il par ailleurs habituel que le ministère des sports vous donne son avis sur l’opportunité de déclencher l’article 40 ?
M. Ghani Yalouz. Je n’ai pas le souvenir que le ministère m’ait donné un avis. Il était en revanche essentiel pour moi d’informer mon supérieur hiérarchique.
M. Denis Avdibegovic. Nous prévenons la hiérarchie et nous mettons aussi en œuvre toute la procédure sur Signal-sports. Pour aboutir, la procédure doit être précise : elle doit mentionner la personne mise en cause et préciser les situations et les éventuels témoignages. L’article 40 n’est pas déclenché quand nous ne parvenons pas à identifier les personnes mises en cause. Le signalement est en revanche effectué sur Signal-sports et auprès de la hiérarchie.
M. François Piquemal (LFI-NUPES). Vous commencez donc à prendre connaissance de l’article 40 quand vous arrivez à la direction de l’Insep. Cela signifie que les DTN, puisque vous avez occupé ce poste pendant huit ans, n’ont pas de formation à cet égard.
Par ailleurs, nous avons reçu un témoignage, hier, à propos d’un athlète médaillé qui a été contrôlé positif au dopage et qui a continué ses activités. Aviez-vous connaissance de cette situation ? Comment l’expliquez-vous ?
Enfin, vous expliquez avoir été l’objet de racisme. Comment le caractérisez-vous ? À quel moment est-ce advenu ? Comment l’avez-vous vécu et ressenti ?
M. Ghani Yalouz. S’agissant de la première question, nous n’avons pas eu de notification à propos de Teddy Tamgho. Je n’ai pas eu de retours. Il ne s’est pas présenté à trois contrôles. Je l’ai découvert hier en suivant vos auditions. C’est un grand champion. Aujourd’hui, il est un grand entraîneur. Le risque de non-présentation est lié à la géolocalisation. Il est toujours un peu compliqué pour les athlètes de se géolocaliser. Cela peut arriver. Tout le monde ne triche pas. Tout le monde n’est pas malhonnête.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous n’avez pas reçu la notification de sa suspension.
M. Ghani Yalouz. Non, je n’étais même pas au courant de ce qui se passait. Il est parti. Nous étions avec le président et avec des jeunes. À ce moment-là, il n’y avait rien.
M. François Piquemal (LFI-NUPES). Quelle est la formation des DTN s’agissant notamment de l’article 40 ?
M. Ghani Yalouz. Je n’en ai pas reçue. Mais j’ai été DTN au début des années 2000, les choses ont sans doute évolué depuis. Je connaissais bien sûr l’article 40, mais je n’y avais jamais été exposé.
M. François Piquemal (LFI-NUPES). Comment le racisme que vous évoquez s’est-il caractérisé pour vous ?
M. Ghani Yalouz. Je vous ai donné l’un des titres des lettres anonymes que j’ai reçues : « Yalouz, le flouze. » Ce n’est pas bienveillant, non ? C’était quotidien. Cela s’est produit lorsque j’ai pris des responsabilités. C’est sans doute que je ne devais pas être là…On ne m’a pas facilité la tâche. J’ai toujours dû faire plus, prouver. Dans des lettres anonymes, il m’a même été reproché de loger ma fille chez moi à l’Insep. Or, c’était ma maison de fonction. Recevoir des lettres anonymes n’est pas grave. J’en ai reçu beaucoup. Le problème est qu’elles ont été transmises à la directrice de cabinet et que celle-ci m’a convoqué sur cette base. Pourquoi ? J’ai toujours eu l’impression d’être sous une épée de Damoclès. J’ai été nommé deux fois à la tête de l’Insep. Je suis le seul dans ce cas. On avait invoqué un vice de procédure. C’est simplement qu’en 2009, l’Insep avait pris le statut de grand établissement. Pourquoi la nomination de mon prédécesseur n’a-t-elle pas été remise en cause pour ce même motif ? Pourquoi dois-je faire toujours exception ?
Le racisme, qui plus est à l’écrit, cela fait mal. Quand vos enfants lisent ces mots, cela fait mal. Quand j’ai rapporté ma médaille des Jeux olympiques, j’ai entendu en retour : « On ne veut pas de ta médaille, sale bougnoule. » Cela vous donne un aperçu.
M. Stéphane Buchou (RE). Je reviens à votre situation actuelle. Vous considérez être dans une sorte de placard. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
M. Ghani Yalouz. Vous employez le terme de placard. Je ne l’ai pas utilisé. J’ai été prolongé quand M. Kanner était ministre des sports. Mais une menace planait. Au final, les trois ans de procédure ont débouché sur deux heures d’audition. Ces événements m’ont beaucoup affecté.
Je ne suis pas dans un placard : je suis fonctionnaire au ministère des sports, comme je l’ai toujours souhaité. Pour moi, transmettre des valeurs était important. L’humain est ma priorité. On dit souvent que donner du temps est la plus belle des générosités. Eh bien, je donnais du temps aux personnes qui étaient autour de moi, à mes athlètes, à tous ceux qui en avaient besoin, allant jusqu’à mettre en difficulté ma vie personnelle.
L’athlétisme exige de travailler le week-end, à l’instar de nombreux autres sports. Le métier de DTN est difficile et implique de nombreuses responsabilités : la gestion des conflits, des ego, des agents et des élus – des bénévoles qu’il faut accompagner. J’étais dans le consensus « politique » entre les bénévoles, le président de la Fédération et la direction technique que je chapeautais avec des équipes. Ce travail prend beaucoup de temps. Pour de nombreux DTN, il s’agit vraiment d’une priorité.
Non, je ne suis pas dans un placard mais je ne suis pas là où je devrais être. Je suis actuellement directeur de projets. Mme Fabienne Bourdais est très bienveillante à mon égard. Mme la ministre Oudéa-Castéra, qui ne me connaissait pas, m’a interrogé à son arrivée. Je lui ai expliqué. J’ai été nommé directeur de projet. Je n’ai pas eu de nombreux retours sur le rapport que j’ai rédigé. Mais ce n’est pas grave. Il était important, je le sais. Des actions sont mises en place par l’Agence nationale du sport sur la détection des talents. J’en suis très heureux.
Aujourd’hui, je suis dans une administration dont les codes ne sont pas les miens. J’étais sur le terrain, dans la proximité et l’échange. La performance est mon métier. C’est toute ma vie en tant qu’athlète, puis en tant qu’entraîneur et dirigeant. Je sais qu’ils s’efforcent au maximum de me trouver un poste. La situation est néanmoins compliquée car je ne peux pas aller à l’Agence du sport, ni au Cojop. J’ignore pourquoi.
M. Stéphane Buchou (RE). Pourquoi ne pourriez-vous pas aller dans ces instances ? Quelle est la suite pour vous ?
M. Ghani Yalouz. Quand mon contrat à l’Insep a pris fin, après qu’il eut été prolongé en raison du décalage des Jeux olympiques de 2020 à 2021, j’ai été reçu à Matignon par M. Cadot. Il m’a écouté et a été bienveillant. Je suis allé voir tous les acteurs importants du sport, dont le Comité olympique. Je leur ai exposé ce que je souhaitais faire. Je suis un pur produit du système français. J’ai obtenu des résultats à la Fédération française de lutte de 2001 à 2009, à la Fédération d’athlétisme de 2009 à 2016 et à l’Insep de 2017 à 2021. J’ai pu travailler sereinement car mon travail s’est inscrit dans la durée. Les résultats étaient là, sur le plan tant sportif qu’humain. L’image de l’union sacrée de la Fédération française d’athlétisme était restaurée.
Les athlètes ne sont pas des enfants. Vous ne pouvez pas les bercer d’illusions. Il faut juste leur dire la vérité. J’aurais voulu qu’il en soit ainsi quand j’étais athlète. C’est donc ce que j’ai essayé de faire dans mes différents postes jusqu’à l’Insep.
M. François Piquemal (LFI-NUPES). Teddy Tamgho est un grand champion et un grand entraîneur. Dès juin 2014, un article du journal Le Monde annonçait qu’il était suspendu. Or, il a participé, en tant qu’entraîneur, aux championnats du monde junior en juillet et à des stages homologués en décembre. Comment n’avez-vous pas pu être informé de sa suspension ?
Par ailleurs, vous avez souligné que vos postes de DTN et de directeur de l’Insep nécessitaient un consensus politique. Ce point traverse toute nos auditions. Diriez-vous qu’être directeur de l’Insep ou DTN est une question politique ? Certaines personnes sont-elles parfois promues ou reléguées en fonction de considérations politiques ? Quel est votre avis sur ce point ?
M. Ghani Yalouz. Concernant Teddy Tamgho, je ne pouvais pas tout gérer au sein de la grande Fédération française d’athlétisme. Aussi, je responsabilisais mes collègues. Je disposais d’un manager général et de neuf managers des spécialités (lancer, sprint, demi-fond, sauts, etc.). Le manager général chapeautait le tout et s’y prenait de manière très satisfaisante.
Vous insistez sur Teddy Tamgho. Supposez-vous une infraction ? Il a purgé sa peine d’un an. Nous n’avons pas été notifiés. J’essaie de me remémorer les échanges avec Bernard Amsalen : je ne me souviens pas de débat. Je pense que Lamine Diack, qui n’est plus de ce monde, a voulu que Teddy Tamgho purge sa peine.
M. François Piquemal (LFI-NUPES). Vous avez parlé de consensus politique. Les postes de dirigeant de l’Insep et de DTN sont-ils politiques ? Les promotions et les relégations s’opèrent-elles en fonction des circonstances politiques ?
M. Ghani Yalouz. Un consensus politique dans le sport ne renvoie pas à la vraie politique. La politique est un métier, et ce n’est pas le mien. Je parlais de consensus parce qu’il s’agit de pouvoir travailler en étroite collaboration et en confiance. Dans le sport, les « politiques » sont souvent des bénévoles. Il fallait que tout se passe de manière satisfaisante et que nous puissions échanger. Les réunions et les échanges étaient réguliers pour répondre et satisfaire aux besoins de la Fédération. C’était parfois éprouvant.
Évoquez-vous l’idée d’une méritocratie pour accéder à ces postes « politiques » ?
M. François Piquemal (LFI-NUPES). Non. Pensez-vous que ce qui vous est arrivé s’explique par des changements de ligne politique ? Pouvez-vous citer d’autres exemples que le vôtre ?
M. Ghani Yalouz. Non. Aujourd’hui, vous êtes dans le sport grâce à ce que vous avez accompli et aux diplômes. Je me suis formé : à 26 ans, j’ai repris des études. L’Insep m’a formé. Ce système de formation est très performant et il me tient à cœur. Un sportif, c’est aussi un cerveau. Il était important de me former. Ma maman, qui était institutrice, m’a inculqué des valeurs. Dans le système français, l’absence de diplôme empêche d’accéder à des postes à responsabilités.
J’ai été nommé sous tous les mandats politiques, de 2000 sous Jean-François Lamour jusqu’à aujourd’hui. Je n’ai pas de problème politique, bien au contraire.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je reviens sur la sécurisation du site de l’Insep. Lorsque nous avons auditionné M. Canu, il nous a indiqué y existait désormais un dispositif de contrôle par caméras. Était-ce déjà le cas lorsque vous étiez directeur général ? Le cas échéant, étiez-vous inquiet de l’absence de caméras ? En aviez-vous alerté le ministère des sports ? Aviez-vous obtenu des moyens pour sécuriser le site ? Nous savons qu’à la question de la prévention auprès des majeurs s’ajoute celle de la sécurisation du site, notamment pour les mineurs qui y sont présents le soir, les week-ends.
M. Ghani Yalouz. J’ai mené un audit dans le cadre d’un mécénat, en 2018, qui a abouti à l’installation de caméras après mon départ. Nous nous sommes également restructurés en interne car nous ne disposions pas d’effectifs supplémentaires. Nous avons requalifié des postes pour en créer deux supplémentaires : un premier en santé et sécurité au travail et un second de responsable de la sécurité du site. Nous avons retiré la prestation du partenariat public privé (PPP) pour qu’elle soit directement liée à la direction générale, sans intermédiaires.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous préciser quel est ce PPP ?
M. Denis Avdibegovic. Un partenariat public-privé avait fait l’objet d’une contractualisation mise en route par le ministère en 2006.
M. Ghani Yalouz. Il était important que le lien soit direct avec ce partenaire privé. Nous avons pu ajouter une personne sur la sécurité incendie et l’aide aux personnes et deux sur la sûreté intérieure.
M. Denis Avdibegovic. Le PPP a été engagé en 2006 pour trente ans. La sécurité du site relève du chef d’établissement, comme partout ailleurs – nous n’avons pas changé la règle sur ce sujet. Le PPP portait sur certaines prestations.
Quand M. Yalouz est devenu directeur général de l’Insep, nous n’avons pas reçu d’effectifs supplémentaires pour renforcer la sécurité – mais nous n’avons pas non plus subi de baisse. Pour requalifier des postes et les orienter vers la sécurité, il a donc fallu attendre le départ de certains agents ou la fin de contrat de contractuels. Cela a pris du temps. En 2018, nous avons pu engager un audit, via un mécénat, car aucun investissement n’était prévu sur le sujet. L’audit a été long. Nous avons ensuite enchaîné avec le covid. L’installation des caméras a donc été tardive.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. M. Canu nous a expliqué que le bâtiment I ne disposait pas de dispositif de contrôle de badge et que des rondes étaient nécessaires le soir. Ces dispositifs avaient-ils été envisagés et mis en place à l’époque ?
M. Ghani Yalouz. Du fait de son parcours, Denis m’avait sensibilisé sur ce point. Nous avons souhaité reprendre la main. Nous avons mis davantage de sécurité en place, a fortiori dans la perspective des échéances et de la présence de délégations étrangères.
M. Denis Avdibegovic. J’ai effectivement travaillé dix ans à la direction de l’administration de la police nationale, où, au contact des policiers, j’ai été sensibilisé de manière accrue à la sécurité et la sécurisation. Cela m’a permis de conseiller au mieux M. Yalouz.
Les badges ont été mis en place. En outre, dès lors que nous avons pu renforcer les équipes de sûreté la nuit, grâce à l’affectation d’une personne supplémentaire, les rondes ont été plus fréquentes. C’était le cœur de nos préoccupations, s’agissant particulièrement des mineurs. M. Yalouz avait eu l’occasion de le faire savoir dans les journaux. Je précise que tout cela a été piloté avec Audrey Perusin.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Comment sont contrôlées les personnes qui sont sur le site de l’Insep ? Est-il possible de vérifier le volet deux du casier judiciaire et le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv) ? Ces contrôles étaient-ils systématiques et obligatoires ?
M. Ghani Yalouz. Le principe de base consistait à disposer du casier judiciaire de tous les agents recrutés. Pour les prestataires, nous étions soumis également à une obligation, dans le cadre des marchés. S’agissant des coachs qui représentent les fédérations, leur contrôle relevait principalement de la fédération.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Comment être certain que les fédérations ont contrôlé les personnes qu’elles mettent à disposition ?
M. Denis Avdibegovic. Le lien est assuré par le ministère. Toutes les personnes qui sont contrôlées doivent le faire valoir auprès du ministère. L’information était ensuite transmise par l’intermédiaire de la responsable de la politique sportive. Celle-ci disposait de ces informations pour tous les employés de la fédération. Ces vérifications et ces contrôles ont donc été réalisés de manière systématique. Pour le recrutement, la vérification du volet deux du casier judiciaire était aussi systématique.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Monsieur Yalouz, votre expérience dans le mouvement sportif est grande. Dans le cadre de nos travaux, nous avons pu entendre des victimes nous faire part de leur désarroi ; elles ont souligné l’omerta qui régnait dans le mouvement sportif et les difficultés à pouvoir libérer la parole.
Nous cherchons, au sein de cette commission, à formuler des propositions concrètes pour améliorer l’existant, pallier certains dysfonctionnements et avancer sur la question du racisme, des discriminations, de l’homophobie, mais aussi des violences sexuelles et sexistes.
Quelles seraient vos recommandations ? En avez-vous mises certaines en œuvre, notamment à l’Insep ?
M. Ghani Yalouz. Il faut toujours en revenir à l’humain. C’est une question non pas seulement de moyens, mais de volonté. Il faut les bonnes personnes et du temps pour recueillir l’information. Il faut rassembler tous les acteurs. L’essentiel, c’est d’avoir des interlocuteurs qui connaissent leur fédération et leurs athlètes même si, bien sûr, nous sommes toujours particulièrement attentifs aux mineurs et à ce qui peut se passer dans les vestiaires.
L’Insep, et c’est une chance, regroupe sur place, la formation, les hébergements, les soins et la recherche. Il fait partie des quatre meilleurs établissements au monde. C’est un joyau. J’étais très fier d’être à sa tête.
Aujourd’hui, je suis prêt à échanger sur mes propositions. Il convient de renforcer l’humain, mais aussi de rendre obligatoire la formation et la prévention. Mettons encore plus d’humain pour éviter ces dérives qui empoisonnent notre vie et celle de nos enfants.
M. Denis Avdibegovic. Faut-il rendre ces formations obligatoires ? Souvent les acteurs nous expliquent qu’ils n’ont pas pu obliger les personnes qui fréquentent l’établissement à les suivre. Mais dès lors que nous sommes d’accord avec les fédérations et que ces formations sont déclarées obligatoires, qui pourra s’y opposer ?
Nous n’invitons pas les gens à aller voir un film ou à assister à une conférence. Il s’agit véritablement d’apprendre à se défendre dans ce type de situation. La parole des victimes présumées, dès lors qu’elle se manifeste, dénote déjà une grande souffrance. Or, dans neuf, voire dix cas, sur dix, c’est l’expression de la vérité. Nous devons franchir ce pas aujourd’hui.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Merci de nous avoir consacré ce temps d’échange. Si vous souhaitez partager d’autres recommandations ou propositions avec la commission, n’hésitez pas à nous les faire parvenir par mail.
La commission auditionne Mme Roxana Maracineanu, secrétaire générale de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof), ancienne ministre déléguée chargée des sports et ancienne sportive de haut niveau, et Mme Cécile Mantel, ancienne conseillère de la ministre en charge de l’éthique, de l’intégrité et des relations internationales.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous accueillons Mme Roxana Maracineanu, secrétaire générale de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof), ancienne ministre déléguée chargée des sports et ancienne sportive de haut niveau.
Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions. Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif, le 20 juillet 2023.
L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.
Nos travaux se déclinent donc autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif.
Vous avez été nommée ministre des sports le 4 septembre 2018. Vous avez occupé cette fonction jusqu’au 20 mai 2022. Votre passage au ministère des sports aura été marqué par un mouvement sans précédent de la libération de la parole au sein du milieu sportif. Le témoignage, notamment, de Sarah Abitbol, a constitué une véritable déflagration et de nombreux autres témoignages ont suivi. Tous les témoignages que nous entendons le confirment : il existe un avant et un après.
Pouvez-vous revenir sur la situation que vous avez trouvée en arrivant à la tête de ce ministère sur les sujets qui intéressent notre commission ? Pouvez-vous revenir sur la manière dont vous avez vécu ce moment historique et dont votre ministère a répondu ?
Votre passage au ministère des sports aura été marqué par de nombreuses évolutions : création de l’Agence nationale du sport (ANS), transformation et repositionnement sur des missions régaliennes de la direction des sports, lancement des conventions nationales de prévention des violences dans le sport, création de la cellule Signal-sports, renforcement du contrôle d’honorabilité des éducateurs sportifs. Quel bilan en tirez-vous ? Quels sont les éventuels blocages ou résistances auxquels votre action s’est heurtée ?
Vous aviez déclaré : « Nous avons levé l’omerta sur les violences sexuelles et amélioré les outils de contrôle. » Pensez-vous que l’omerta soit complètement levée aujourd’hui ? Existe-t-il des réformes ou des évolutions que vous regrettez de ne pas avoir pu mettre en œuvre ?
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Roxana Maracineanu prête serment.)
Mme Roxana Maracineanu, secrétaire générale de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof), ancienne ministre des sports puis ministre déléguée chargée des sports et ancienne sportive de haut niveau. Je vous remercie de m’auditionner dans le cadre de cette commission d’enquête et de me laisser ainsi revenir sur ce qui est advenu depuis mon arrivée au ministère le 4 septembre 2018.
J’ai pris mes fonctions en septembre 2018 suite à un remaniement. Trois semaines plus tard, le journal 20 minutes m’a appelée pour une interview sur l’existence d’une omerta dans le sport au sujet des violences sexistes et sexuelles. Le journal évoquait l’affaire Larry Nassar, le médecin de l’équipe américaine de gymnastique, condamné à perpétuité pour avoir agressé sexuellement au moins 265 gymnastes.
D’emblée, dans cette interview, j’ai répondu que le sport ne pouvait être préservé de ce fléau qui touche l’ensemble de la société, parce que le corps est au cœur de l’activité et parce qu’il accueille des enfants.
Quelques semaines plus tard, j’ai rencontré Colosse aux pieds d’argile, une association que vous avez auditionnée. Celle-ci m’a alertée sur le nombre de signalements qu’elle recevait et sur la nécessité de mettre en place un contrôle d’honorabilité des éducateurs bénévoles. Ce contrôle n’était pas mis en œuvre, alors qu’il était pourtant déjà inscrit dans le code du sport à l’époque.
J’ai immédiatement lancé, avec Colosse aux pieds d’argile, un tour de France des Creps et des établissements du ministère, dont l’Insep, pour sensibiliser les éducateurs et les sportifs à ces violences. Ce tour de France s’est déroulé tout au long de l’année 2019, y compris dans les territoires ultramarins.
À la fin de l’année 2019, vous évoquez, madame la rapporteure, une déflagration. Le média Disclose publie en effet une enquête qui révèle des dizaines de cas de violences graves subies par les sportives et les sportifs dans le cadre de leur pratique. J’ai alors mis en route un dispositif d’urgence ; j’ai jugé indispensable d’agir tout de suite. J’ai mobilisé la direction des sports pour constituer la cellule Signal-sports. Cette cellule devait traiter ces cas, les instruire, enclencher des enquêtes administratives et, le cas échéant, les signaler au procureur.
Au début de l’année 2020, j’ai été contactée par Sarah Abitbol quelques jours avant la publication de son ouvrage écrit avec Emmanuel Anizon. Elle m’a raconté son histoire. J’ai pu, de fait, prendre connaissance de graves manquements à son égard de la part de la Fédération des sports de glace. Les enquêtes, publiées par L’Obs, L’Équipe, Le Parisien et d’autres journaux, ont montré que le cas de Sarah n’était pas isolé et que de nombreuses autres victimes existaient dans les sports de glace. J’ai rencontré de nombreux athlètes qui ont décrit un fonctionnement clanique, des méthodes d’entraînement très violentes et des soupçons de malversations. Un bras de fer a débuté avec le président de cette fédération et j’ai demandé sa démission. J’avais conscience d’être sur une ligne de crête car une fédération, certes sous tutelle du ministère, reste une association de droit privé. Il m’a toutefois paru indispensable de ne pas laisser passer ce cas.
Cet épisode m’a profondément marquée et m’a motivée à sonner la mobilisation générale pour lutter contre ce fléau, mais aussi à engager des transformations profondes de la gouvernance des fédérations et de la relation entre le ministère et les fédérations. Un véritable contrat de délégation entre le ministère des sports et les fédérations a été mis en place qui érige en priorité la protection de l’intégrité des athlètes.
Dès février 2020, nous avons organisé une première convention nationale sur les violences dans le sport. D’autres ministres étaient présents, comme Adrien Taquet, secrétaire d’État à la protection de l’enfance, Nicole Belloubet, ministre de la justice, et Marlène Schiappa, ministre de l’égalité femme-homme. Durant cette période, une nouvelle affaire de violence remontait chaque semaine au ministère ou dans les médias.
Cette convention de février 2020 a été pérennisée. Chaque année, le ministère y rend compte de l’activité de la cellule, des suites données aux signalements et du nombre d’interdictions d’exercer prononcées.
À chaque fois, j’ai mobilisé plusieurs ministres du gouvernement. Il me paraissait essentiel de mettre en lumière le travail mené avec les autres ministères pour répondre à ce fléau. Un très important travail a été conduit par l’ensemble des agents du ministère des sports, aussi bien en administration centrale qu’en services déconcentrés. Nous avons lancé des enquêtes administratives sur tous les clubs de sports de glace, mais aussi sur tous les clubs concernés par les signalements. À chaque fois qu’un signalement était étayé, les préfets ont pris leurs responsabilités en prononçant des mesures d’interdiction d’exercer.
Ensuite est arrivée la période du covid, qui a ralenti les activités des différents ministères. Notre ministère est toutefois resté mobilisé sur cette question. Cela n’était pas simple. Je suis aujourd’hui très fière de savoir que nos agents ont continué à travailler sur ce sujet, prioritaire selon moi. Nous avons quand même dû ajourner des enquêtes de terrain en raison du confinement.
Durant mon ministère, j’ai diligenté quatre enquêtes de l’Inspection générale sur la thématique des violences sexuelles : sur les sports de glace, la moto, le judo et l’équitation.
S’agissant de la Fédération des sports de glace, j’avais demandé un complément d’enquête sur les aspects financiers. Ce complément a été rendu sous l’actuelle ministre Amélie Oudéa-Castéra.
La thématique des violences sexuelles dans le sport a, selon moi, fortement influencé les élections qui ont eu lieu après les Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo en 2021. Un renouvellement important des présidents de fédérations s’est opéré. Le sujet de la protection de l’intégrité des pratiquants a irrigué toute la campagne.
Avant la fin de mes fonctions ministérielles, j’ai tenu à mettre en œuvre deux évolutions très importantes qui découlent de cette mobilisation, mais aussi des engagements pris par le Président de la République dans sa campagne électorale dès 2017.
La première a été d’instaurer un contrat de délégation qui lie le ministère aux fédérations. Auparavant, en échange du monopole accordé à une fédération pour être la seule fédération dans sa discipline et de l’octroi de prérogatives de puissance publique, le ministère n’émettait aucune exigence extrasportive. Les seules exigences portaient sur la réglementation sportive, les règles dans le sport, les sélections en équipe de France et l’attribution d’un titre de champion de France. J’ai voulu créer, pendant mes fonctions ministérielles, un contrat entre le ministère des sports et ses fédérations pour y inclure, notamment, des obligations de lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Nous avons inscrit, dans la loi visant à démocratiser le sport de mars 2022, des évolutions importantes en matière de prévention des violences et de renouvellement de la gouvernance du sport français.
Les deux lois les plus importantes sur le sujet des violences sexuelles dans le sport sont donc celles du 24 août 2021 et du 2 mars 2022.
Je peux vous citer quelques évolutions amenées par ces lois. S’agissant des violences sexuelles dans le sport, le contrôle d’honorabilité a été inscrit dans la loi pour toutes les personnes intervenant au contact des mineurs, au-delà des seuls éducateurs sportifs et des exploitants d’établissements sportifs. Auparavant, ces personnes n’étaient pas soumises à ce contrôle.
Il est par ailleurs désormais possible de suspendre, jusqu’au procès, un éducateur mis en cause par un mineur. Ce point est important. Auparavant, le préfet pouvait prononcer une procédure de mise à l’écart. Aujourd’hui, lorsqu’une procédure judiciaire est ouverte, le préfet doit prononcer cette mesure qui s’étend jusqu’au procès.
Les fédérations sont aussi tenues aujourd’hui de proposer à leurs adhérents une assurance en cas de violences sexuelles et sexistes, avec prise en charge psychologique et juridique.
Parmi les évolutions sur la gouvernance, la dernière loi prévoit une limitation du nombre de mandats pour les présidents, tant pour les fédérations que pour les ligues régionales et professionnelles. La limite est fixée à trois mandats, soit douze ans au maximum. Une plus grande place est par ailleurs accordée aux clubs dans le scrutin au moment des assemblées générales électives. Enfin, une parité femme-homme est portée aujourd’hui à 50 % pour le niveau national et le niveau régional. Le combat a été difficile sur ce point, notamment avec le CNOSF.
J’ai également souhaité inscrire le sport dans la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. La protection de l’intégrité des sportives et des sportifs a été élevée au rang de principe de la République.
Nous avons souhaité placer le contrat d’engagement républicain pour que les fédérations en soient signataires également. Dans ce texte, nous avons complètement refondé la relation de l’État au mouvement sportif. Ce texte acte en effet l’autonomie de ce dernier, mais il renforce aussi ses prérogatives. Dans ce cadre, nous avons bâti le nouveau contrat de délégation. J’ai tenu à signer ces deux nouveaux contrats avec les 80 fédérations sportives des sports d’été avant la fin de l’exercice de mes fonctions ministérielles.
Je suis à votre disposition pour d’autres questions.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. L’affaire Sarah Abitbol a constitué un véritable tournant pour de nombreuses victimes entendues au sein de cette commission. Vous avez évoqué la Fédération des sports de glace. Mme Abitbol nous a indiqué avoir alerté le ministère, dont le ministre, M. Jean-François Lamour. Ce dernier lui aurait demandé d’oublier l’affaire. Monsieur Lamour a indiqué qu’il n’avait pas souvenir de cette conversation téléphonique. De quelles informations disposez-vous sur la gestion de ce dossier par le ministère ?
M. Gilles Beyer était cadre technique d’État. Existait-il un dossier sur lui au ministère ? Mme Abitbol nous a indiqué qu’un dossier existait. Elle n’a toutefois jamais pu en prendre connaissance. Savez-vous ce que contenait ce dossier ?
Mme Roxana Maracineanu. J’élargirai vos questions aux autres cas. Quand j’ai décidé de prendre en charge le sujet au niveau du ministère, je me suis en effet très vite rendue compte que ce sujet était inexistant, aussi bien au sein de la direction des sports que dans nos services déconcentrés et dans les missions des 1 600 cadres techniques sportifs placés auprès des fédérations.
Un guide avait été rédigé par la direction des sports, mais il n’était pas très connu des fédérations et pas du tout diffusé aux cadres techniques qui étaient censés s’occuper de ces missions régaliennes au sein des fédérations. Le ministère des sports n’était pas identifié par les autres ministères, dont celui de l’éducation nationale, pour la remontée des cas. Aucune action précise et prioritaire n’était menée sur le sujet.
Face à la situation d’urgence de Sarah Abitbol et des nombreuses autres victimes, je n’ai pas cherché à regarder dans les dossiers des précédents ministres ni des autres ministères. J’ai souhaité agir. De mon point de vue, nous partions de rien.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous ne savez donc pas si le ministère des sports était informé de la situation, malgré les propos de Mme Abitbol, et s’il existait un dossier sur ce cadre technique.
Mme Roxana Maracineanu. Vous indiquez qu’elle en aurait parlé à un ministre, ce qui ne signifie pas que le ministère en ait été informé. Je ne peux pas me prononcer à la place de M. Lamour. J’ai souhaité impliquer toutes les fédérations sur le sujet, particulièrement celle des sports de glace, pour mettre fin à la situation. Selon les témoignages reçus, M. Gilles Beyer était encore, à ce moment-là, au sein de cette fédération et de différents clubs. J’ai voulu agir pour que cette situation prenne fin.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. N’existait-il aucun dossier sur Gilles Beyer ni aucune enquête administrative ?
Mme Roxana Maracineanu. Dans l’inspection que j’ai mandatée sur les sports de glace, les inspecteurs généraux ont transmis ce qui était connu sur Gilles Beyer. Ces éléments ont été versés à l’enquête en cours et pris en considération.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Des personnes étaient donc bien informées de cette situation au ministère.
Mme Roxana Maracineanu. Cette personne était à l’éducation nationale initialement. Elle y a été replacée, sans contact avec les mineurs.
Quand je suis arrivée, nous avons souhaité agir pour qu’une plainte soit déposée. Sarah Abitbol n’a pas déposé plainte en raison de la prescription. D’autres plaintes ont été déposées et cette personne est passée devant la justice. Cette affaire n’avait pas été traitée avant que je m’en occupe.
Vous pourrez avoir connaissance du rapport de l’Inspection générale qui mentionne les éléments dont vous avez eu connaissance par Sarah et qui ont été versés au dossier. Aucune action n’avait été menée auparavant.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Comment expliquez-vous que cette affaire n’ait pas été traitée avant votre arrivée, dans la mesure où ce dossier de l’inspection existait ?
Mme Roxana Maracineanu. Je ne sais pas. J’ai souhaité traiter le sujet.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. S’agissant de la Fédération d’équitation, vous avez émis à plusieurs reprises des doutes quant à sa gouvernance. En avril 2022, vous avez convoqué Serge Lecomte, président de cette fédération, suite à la publication d’un article dans Mediapart faisant état de faits de pédocriminalité dans sa fédération. En effet, le 16 septembre 2013, Loïc Caudal, un éducateur dans un club d’équitation, a écopé de quinze jours de prison avec sursis pour atteinte sexuelle sur une mineure. Le 20 novembre 2017, il a été condamné pour agression sexuelle sur trois mineurs à un an de prison avec sursis et une mise à l’épreuve. Loïc Caudal a travaillé dans le centre équestre de Serge Lecomte. Il en était le président. Il apparaît que M. Lecomte était au courant des faits et les aurait couverts. Aucun signalement n’a été déposé par la Fédération. Loïc Caudal a pu continuer à travailler pour le club concerné et à faire des victimes. Vous avez rencontré M. Lecomte qui a indiqué que la réunion de travail s’était très bien passée.
Suite à cette réunion, avez-vous saisi l’Inspection générale ? Avez-vous réalisé un signalement ? Qu’avez-vous concrètement entrepris en découvrant cette affaire et considérez-vous que cela a été suffisant ?
En décembre 2020, vous avez annoncé vouloir un renouveau démocratique dans les fédérations. Or, en avril 2021, Serge Lecomte est réélu à la tête de la Fédération française d’équitation. Vous étiez ministre à l’époque. Quel regard portez-vous sur sa réélection et considérez-vous que l’État aurait dû intervenir, compte tenu des scandales le visant ?
Mme Roxana Maracineanu. La personne avait déjà été condamnée, ce qui n’était pas le cas dans l’affaire de la Fédération des sports de glace. L’inspection menée auprès de la Fédération d’équitation portait spécifiquement sur ce cas. Nous sommes ensuite entrés dans une période d’élection. Le sujet avait été médiatisé. En tant que ministère, nous ne pouvions qu’accorder notre confiance au choix des électeurs. Ces questions de gouvernance sont aussi liées à ce sujet.
Ce président a été réélu dans des conditions qui ne contreviennent pas à la démocratie inscrite aujourd’hui dans le code du sport. Ce code a été modifié pour que les élections soient plus démocratiques et que les électeurs des fédérations soient informés des faits connus. Des articles étaient sortis avant les élections. Les adhérents ont souhaité réélire cette personne à la tête de la fédération. Le ministre ne peut pas démettre de ses fonctions un président élu démocratiquement.
Quand j’ai demandé au président de la Fédération des sports de glace de démissionner, nous étions dans une situation inconfortable.
J’ai reçu ce président à de nombreuses reprises ; il s’est exprimé sur le sujet. Nous avons mandaté l’Inspection générale, mais l’affaire avait été jugée.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’entends parfaitement le fait qu’il ait été réélu après que les adhérents aient été informés. En revanche, de nombreuses victimes auditionnées par cette commission ont expliqué que d’autres personnes, informées de ce qui se passait, n’avaient jamais été inquiétées.
Un président de fédération qui couvre des faits aussi graves que des agressions sexuelles n’est pas inquiété et peut continuer à présider une fédération sportive.
Mme Roxana Maracineanu. J’ai voulu faire appel à la responsabilité des fédérations, au niveau d’un vote tout d’abord. Il est important que le sujet des violences sexuelles soit inclus dans les campagnes électorales, que tous les nouveaux présidents soient élus sur pièce et que tous les adhérents soient informés des agissements des uns et des autres.
Nous avons mis en place un contrat dans lequel les fédérations doivent s’engager et produire des plans d’action de prévention et de résolution des problèmes et de signalement de ces faits. Elles doivent bien identifier toutes les personnes impliquées pour traduire ces faits en justice, mais aussi en enquêtes administrative et disciplinaire.
Ce cas précis avait déjà été jugé par la justice. Je suppose que la justice a demandé des pièces. Si ces personnes n’ont pas été inquiétées par la justice, cela signifie qu’il n’existait pas d’autres éléments à rechercher. La justice avait déjà été rendue.
En tant que ministre, je me suis occupée de l’avenir. J’ai posé une nouvelle relation d’exigence et de contrôle du ministère des sports sur ces sujets. L’essentiel désormais est d’appliquer la loi. Si vous trouvez qu’il manque encore des éléments dans la loi, il est important d’en discuter. Je pourrai vous donner mon avis sur la question. Les lois où ce sujet a été inscrit de manière directe ou indirecte sont aujourd’hui très fournies. Il est désormais important de faire appliquer la loi et de veiller à ce que ce contrôle et cette exigence vis-à-vis des fédérations soient effectivement appliqués.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez évoqué la convention nationale qui s’est tenue en février de 2020. Dans le cadre de cette convention, un rapport d’évaluation des violences sexuelles dans le sport a été présenté. Pouvez-vous revenir sur ce rapport ? Nous avons été étonnés pour deux raisons. Premièrement, ce rapport ne figurait pas dans ceux qui nous ont été transmis par l’Inspection générale. Nous avons découvert son existence lors de l’audition de M. Karam puisqu’il nous a indiqué avoir travaillé sur ce rapport. Lorsque nous l’avons redemandé à l’Inspection générale, celle-ci nous a répondu qu’il s’agissait d’un brouillon. À la troisième demande, nous avons obtenu le document. Il ne semble pas être un brouillon puisqu’il compte quatre-vingts pages et trente-huit préconisations.
Mme Roxana Maracineanu. J’espère que M. Karam vous a indiqué qu’il est inspecteur général. Il lui incombait de rédiger ce rapport. Il nous en a fait part au moment de la première convention. Il s’agissait alors d’un rapport d’étape. Il ne me l’a jamais remis en mains propres. Il n’est jamais venu me l’exposer. J’imagine qu’à votre insistance, l’Inspection générale a pressé M. Karam de le terminer ou a terminé de le rédiger elle-même.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Au moment de sa présentation lors de la convention, qu’en ressortait-il ?
Mme Roxana Maracineanu. Il en ressortait un état des lieux déjà connu partiellement. M. Karam nous a exposé l’état des violences dans le sport et a alerté le monde sportif présent. L’Inspection générale, dont il faisait partie, et nous-mêmes, agents du ministère, souhaitions mettre à l’épreuve le mouvement sportif présent. Très peu de présidents ont assisté à cette première convention. Ils ont été plus nombreux aux conventions suivantes et ont expliqué ce qu’ils commençaient à mettre en place dans leurs fédérations.
Fabienne Bourdais avait elle-même rédigé un rapport sur les violences dans le sport et dans le champ de la jeunesse des années auparavant. La contribution de M. Karam a aussi été importante. Nous disposions d’un état des lieux pour agir dans les situations d’urgence.
L’association Colosse aux pieds d’argile est venue à notre rencontre après l’interview que je mentionnais antérieurement. Son dirigeant nous a expliqué que l’association existait depuis cinq ou six ans et que lui-même avait été victime. L’association était ravie de pouvoir compter sur notre écoute. Elle voulait être utile pour libérer la parole et repérer les violences et demandait ensuite que le ministère agisse par le biais de ses services déconcentrés et centraux, ouvre enfin des enquêtes administratives et saisisse la justice.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourquoi ce rapport ne vous a-t-il jamais été remis ?
Mme Roxana Maracineanu. J’imagine que M. Karam ne l’a jamais terminé ; il ne m’a jamais sollicitée pour me le remettre.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Un travail est confié à un inspecteur et ce dernier peut ne pas le terminer et ne pas le remettre à la ministre sans que cela pose problème.
Mme Roxana Maracineanu. Demandez-lui. Il est l’inspecteur général en charge de ce sujet. Il possède d’autres mandats.
J’ai mandaté d’autres inspections qui me paraissaient beaucoup plus utiles puisque nous disposions déjà d’un état des lieux, notamment celui rédigé par l’actuelle directrice des sports. Je l’avais nommée déléguée ministérielle aux violences. Les préconisations qu’elle avait émises ont été inscrites dans la loi. La mesure conservatoire de mise à l’écart n’était que de six mois dans le sport. Pour la jeunesse, la loi prévoyait déjà qu’elle pouvait courir jusqu’au procès du potentiel agresseur. Dans la loi sur la démocratisation du sport, nous avons donc repris cette possibilité.
Nous avons commandé des rapports à l’Inspection générale pour vérifier des cas bien précis, suite à des alertes de sportifs ou autres. Ils nous ont été rendus à temps. J’en ai pris connaissance et je m’en suis servi.
Ce n’est pas moi qui ai demandé le rapport à M. Karam. Quand un état des lieux est rendu plus de trois ans après avoir été demandé, il ne sert plus à rien. L’état des lieux était connu : il nous a été donné par les associations que nous avons mandatées pour se rendre dans nos établissements sportifs et par les autres inspections des fédérations les plus touchées.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je suis très surprise car le rapport va au-delà d’un état des lieux. Il émet des préconisations très précises pour faire évoluer le sujet des violences sexuelles et sexistes. Nous avons retrouvé ces préconisations dans le cadre de nos auditions : le contrôle d’honorabilité et sa généralisation à tous les bénévoles via le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv). Je suis étonnée que ce rapport ait été considéré comme un brouillon et qu’il n’ait jamais été exploité.
Mme Roxana Maracineanu. Ce que vous mentionnez est déjà inscrit dans la loi. Le contrôle des bénévoles via le Fijaisv est déjà effectif.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Est-il étendu à tous les bénévoles ?
Mme Roxana Maracineanu. Il est généralisé aux deux millions de bénévoles. Voulez-vous que je vous l’explique ?
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Toutes les personnes que nous avons reçues ont éprouvé des difficultés à nous expliquer ce qu’était le contrôle d’honorabilité. Il est difficile pour les clubs de le mettre en place.
Mme Roxana Maracineanu. Il n’est pas simple en effet de contrôler l’honorabilité de deux millions de personnes en France. Nous avons mis en place ce dispositif avec Mme Nicole Belloubet avant qu’elle n’achève ses fonctions. Nous avions détecté, grâce à Colosse aux pieds d’argile, la nécessité de contrôler les éducateurs bénévoles de la même manière que les éducateurs professionnels. Ce point était déjà inscrit dans la loi, mais n’était pas appliqué par les fédérations.
Au début, sans élargir le périmètre de la loi, nous avons demandé aux fédérations d’être très actives sur les diplômes fédéraux qu’elles délivraient. À l’époque, le contrôle d’honorabilité s’opérait uniquement lors de la délivrance de la carte professionnelle des éducateurs sportifs par l’État.
Toute association peut aujourd’hui réaliser ce contrôle en ligne puisqu’il est automatisé. Il est possible de contrôler aussi bien le bulletin n° 2 (B2) du casier judiciaire que le Fijaisv pour les éducateurs dont le diplôme sportif est délivré par l’État.
Les diplômes délivrés par les fédérations tombent aujourd’hui sous le coup de la loi, tout comme le contrôle d’honorabilité des bénévoles impliqués auprès des enfants dans le cadre des fédérations.
La loi a élargi aussi ce périmètre aux éducateurs de e-sport, aux surveillants de baignade qui se trouvent dans les piscines ou sur les plages et qui peuvent être facilement au contact d’enfants. Ces derniers ne tombent pas sous le coup du code du sport puisqu’ils dépendent aussi du ministère de l’intérieur.
Ce contrôle automatisé a été mis en place avec le ministère de la justice. Il permet de croiser de manière automatique, par blocs, les noms envoyés par les clubs aux fédérations. Un certain nombre d’heures sont consacrées chaque jour à ce croisement de fichiers. Une personne y est dédiée. Le contrôle est donc effectif. Il est inscrit dans la loi comme une obligation. Il est effectif entre le ministère des sports et le ministère de la justice.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons auditionné de nombreuses personnes depuis le début de cette commission. Il nous a été indiqué que certaines personnes n’étaient pas contrôlées. Les contrôles d’honorabilité sont réalisés par cercle. Moins les bénévoles sont en contact avec les enfants, moins ils sont contrôlés. Il n’existe donc pas d’obligation, pour les photographes notamment.
Par ailleurs, il nous a été précisé que l’accès au Fijaisv n’était pas aisé. La demande doit être envoyée au département.
Nous demanderons une note précise au ministère sur ce qu’est le contrôle d’honorabilité, parce que nous en avons entendu autant de définitions que de personnes auditionnées.
S’il est obligatoire pour tous les bénévoles, qu’apporte la proposition de loi qui vient d’être votée au Sénat et qui généralise le contrôle d’honorabilité ? Je ne comprends pas comment ce contrôle est compris par les clubs et les fédérations qui doivent le mettre en œuvre.
Mme Roxana Maracineanu. Puis-je donner la parole à ma collaboratrice pour qu’elle réponde sur le sujet ?
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il faut que vous la présentiez et qu’elle prête serment.
Mme Cécile Mantel. J’étais conseillère au cabinet de la ministre Roxana Maracineanu de mars 2020 à juin 2022, en charge notamment de l’éthique et de l’intégrité sportive.
(Mme Cécile Mantel prête serment.)
Le dispositif est un peu technique. Il est normal que les fédérations n’accèdent pas au Fijaisv, qui est un bulletin du casier judiciaire. En revanche, les fédérations accèdent à la plateforme informatique qui permet de croiser les données d’identité avec les données du Fijaisv. Cet outil informatique a été créé avec le ministère de la justice. Les résultats de la consultation du Fijaisv reviennent à la direction des sports en cas de résultat positif.
Ainsi, lorsque l’inscription d’une identité est vérifiée au Fijaisv, le ministère des sports procède à une double vérification : il consulte à nouveau individuellement le Fijaisv sur l’identité concernée et consulte par ailleurs le B2. Après cette seconde vérification nominative, si le résultat s’avère toujours positif, l’information est transmise aux services déconcentrés du ministère des sports qui notifient l’incapacité ou l’interdiction d’exercer à l’intéressé, à son club et, le cas échéant, à son employeur.
S’agissant du périmètre des personnes dont les antécédents judiciaires sont vérifiés, nous sommes strictement limités par le code du sport aux éducateurs et aux exploitants d’établissements d’activités physiques et sportives (EAPS). Ce périmètre a été étendu par différentes lois précitées aux personnes qui accompagnent les mineurs, aux surveillants de baignade, aux éducateurs sportifs dans le jeu vidéo et l’e-sport. Nous ne pouvions pas l’étendre à tous les licenciés d’une fédération. La récente loi sur les Jeux olympiques a sécurisé une interdiction d’exercer suite à la consultation du Fijaisv. Cette consultation peut être automatisée, alors que la consultation du B2 ne l’est pas compte tenu de l’antériorité du logiciel.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La situation est-elle différente pour les Creps ? Nous avons auditionné un responsable de Creps qui nous expliquait devoir émettre une demande de consultation du Fijaisv aux services départementaux. Il déplorait que cela prenne autant de temps. Cette année, il a choisi de ne pas demander cette consultation au vu du délai de réponse.
Mme Roxana Maracineanu. Si ce sont des éducateurs sportifs diplômés d’État, cette consultation s’opère en ligne ; elle est immédiate. Elle doit être systématique.
Il se peut que l’éducateur fédéral ne soit pas diplômé d’État et dans ce cas, la situation est plus compliquée. J’ai dû rappeler aux fédérations que seuls les éducateurs diplômés d’État pouvaient exercer moyennant rémunération et qu’elles devaient vérifier l’honorabilité de ces personnes.
Hier, certaines fédérations mettaient à des postes à responsabilité, y compris en équipe de France, des éducateurs dont l’honorabilité n’avait pas été contrôlée. Le dispositif existe ; il faut qu’il soit appliqué par les présidents de fédération et les cadres techniques du ministère des sports mis à leur disposition. Il est également de la responsabilité des fédérations de placer des personnes diplômées aux postes à responsabilités.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Les contrats de délégation comprennent énormément d’obligations. Les fédérations doivent-elles rendre des comptes au ministère des sports et au CNOSF sur les contrôles d’honorabilité ? Doivent-elles rendre des comptes à l’ANS sur les formations relatives aux VSS ?
Vous mettez en place des obligations dans le cadre de ces contrats. Nous ne comprenons pas très bien si ce contrôle ressort toujours du ministère de sports. Où s’opère ce contrôle ? Par qui est-il réalisé ?
Mme Roxana Maracineanu. Quand j’ai expliqué tout à l’heure que ma volonté était de recentrer l’administration centrale sur ses missions régaliennes, vous venez d’en citer une très importante, celle d’être exigeant dans la délégation de service public que nous donnons à une fédération et de se donner les moyens de contrôler ces contrats de délégation. Cela nous ramène à l’organisation du sport en France que vous avez évoquée tout à l’heure, avec la création de l’Agence nationale du sport qui a été effective en 2019. Elle a repris une part des missions de l’administration centrale et du CNDS (Centre national pour le développement du sport), l’organe qui distribuait l’argent aux fédérations et aux associations sportives.
Cette création a aussi permis de libérer des agents. Nous avons pu mobiliser des agents de la direction des sports sur la lutte contre les violences sexuelles, tant dans l’aspect préventif que dans les relations aux fédérations. L’idée était de responsabiliser les fédérations.
Nous avons travaillé sur ce contrat de délégation. Il n’existait pas avant. Nous l’avons instauré grâce à la loi du 24 août 2021. Nous avons travaillé avec l’Afnor, des présidents de fédération, des personnes du CNOSF, du Comité paralympique et sportif français (CPSF) et de la direction des sports, afin de mettre du contenu et de permettre à ces fédérations de comprendre comment établir leur contrat de délégation à partir d’une norme édictée par l’Afnor. Ce cahier des charges va pouvoir aider les fédérations dans l’écriture de ce contrat.
Le rôle de la direction des sports est de vérifier en amont ce contrat, avant le contrôle, dans une discussion en gré à gré avec les présidents de fédérations. Cette vérification s’opère au moment de l’octroi de la délégation et au moment de l’octroi de l’agrément. La délégation vaut pour quatre ans et l’agrément vaut pour huit ans. Il existe beaucoup de fédérations aujourd’hui, mais nos agents doivent consacrer ce temps à lire ce que les fédérations ont produit, notamment en matière de prévention et de traitement des violences dans le sport. Il n’existe pas que ce sujet, mais il s’agit d’une priorité.
Ensuite, vient le temps du contrôle. Ce contrôle ne doit pas se faire une fois tous les quatre ans ou une fois tous les huit ans. La relation instaurée entre la fédération et le ministère des sports doit être régulière. Pour cela, un certain nombre de personnes sont désignées au sein des fédérations, salariées ou bénévoles, pour s’occuper de ces sujets. Il existe par exemple des référents citoyenneté et lutte contre la radicalisation. Des référents sont habilités sur un certain nombre de missions sur les violences sexuelles et la protection de l’intégrité des sportifs.
Ce contrôle s’opère avec l’aide de ces référents, au sein d’instances qui sont animées par la direction des sports, dans une discussion permanente et dans une prédisposition responsable et volontaire des fédérations.
Si une fédération est complètement réfractaire et écrit trois lignes dans son contrat de délégation, le ministère des sports peut désormais choisir d’octroyer ou pas la délégation. Avant, il ne pouvait que retirer la délégation. Maintenant, il peut conditionner cette délégation à la signature de ce contrat entre la fédération et le ministère.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons auditionné la Cour des comptes ce matin. Elle a évoqué la question des moyens dont dispose le ministère des sports. Pouvons-nous considérer que le ministère est assez doté aujourd’hui pour exercer sa mission de contrôle sur l’ensemble de ses fédérations ?
Vous avez parlé de la bonne volonté des fédérations. Que se passe-t-il si une fédération ne met pas en place de dispositifs de prévention et de lutte contre les violences sexuelles ou sexistes par exemple ou ne réalise pas de signalements ? Jusqu’à présent, jamais aucun retrait de délégation n’a eu lieu au niveau des fédérations.
Mme Roxana Maracineanu. Effectivement, comme je l’expliquais tout à l’heure. Avant, dans toutes ces lois dont je vous ai parlé, seule la possibilité de retirer des délégations existait. Il n’était pas possible de ne pas donner de délégation. Maintenant, si ce contrat n’est pas signé ou s’il n’est pas suffisamment exigeant, le ministère peut ne pas donner la délégation, l’agrément ou les prérogatives de politique publique à une fédération qui en aurait ensuite le monopole. Avant, ce n’était pas possible. D’ailleurs, la Cour des comptes a préconisé de nombreuses fois que cette tutelle de l’État sur les fédérations, qui était très floue, se transforme en une contractualisation telle que nous l’avons engagée.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Concrètement, le ministère des sports peut-il sanctionner une fédération ?
Mme Roxana Maracineanu. Il peut ne pas la laisser continuer à être une fédération. L’année prochaine, en 2024, des délégations seront données. Si les contrats que produisent les fédérations ne sont pas suffisants au vu de ce que le ministère exige, le ministère peut très bien ne pas donner la délégation ou retarder l’octroi de délégation jusqu’à ce que la fédération se conforme à ce que le ministère lui demande. Il s’agit d’une avancée majeure puisqu’avant, il était seulement possible de retirer la délégation. C’était très compliqué de retirer une délégation en cours de mandat, une fois qu’elle avait déjà été accordée.
Il faut attendre les quatre années, mais, à partir de maintenant, si le ministère a suffisamment de monde et de conviction pour mettre toutes ses fédérations en situation de responsabilité, il peut le faire par le biais d’un moyen légal et des contrats qui ont été rédigés avec du contenu. Il faut être exigeant. Il faut faire appliquer la loi.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’avais compris que le contrôle était annuel, en lien avec les fédérations. Si nous attendons les quatre ans, cela veut dire qu’en cours de mandature, le ministère ne peut pas retirer une délégation à une fédération.
Mme Roxana Maracineanu. Il peut désormais la retirer. Il y a un contrôle annuel. Ce retrait sera beaucoup plus motivé qu’avant. Quand j’ai menacé la Fédération des sports de glace de lui retirer sa délégation, nous étions en situation d’urgence ; nous avons regardé le code du sport et nous n’avions à notre disposition que la possibilité de retrait de la délégation. L’intégrité des pratiquants était mise en cause. Encore fallait-il démontrer que tout le monde dans la fédération était concerné par cette problématique. J’ai souhaité mettre en avant ce retrait de délégation, mais ce n’était vraiment pas simple.
Dorénavant, étant donné qu’il existe ce contrat qui lie les deux parties, il sera plus facile de retirer la délégation. Cela se rapproche beaucoup plus de ce que peut faire un autre ministère qui donnerait délégation à une autre entité pour appliquer un cahier des charges. Nous avons créé ce cahier des charges ; il porte notamment sur l’éthique et l’intégrité dans les fédérations, la gouvernance, la protection des publics et des événements sportifs. Il existe d’autres thématiques qui concerne le sport, comme l’engagement sur le développement durable.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lorsque des fédérations ne respectent pas la loi en ne mettant pas en place de comités d’éthique, comme c’est le cas dans 17 % des fédérations, sont-elles sanctionnées ? Comment cela se passe-t-il pour elles ?
Mme Roxana Maracineanu. S’agissant de votre question précédente, je précise que l’article R. 131-30 du code du sport a été modifié par un décret du 24 février 2022 qui met à jour tous les motifs de retrait de délégation. Ces motifs sont beaucoup plus fournis qu’avant. Il est donc possible de retirer la délégation.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. 17 % des fédérations ne disposent pas de comité d’éthique. Le retrait de délégation a été qualifié tout à l’heure d’arme atomique. Existe-t-il d’autres types de sanctions pour ces fédérations qui ne respectent pas la mise en place du comité d’éthique ?
Mme Roxana Maracineanu. Dans l’article de loi qui touche les comités d’éthique, nous avons insisté aussi pour qu’ils soient indépendants. Ce n’était pas le cas. Il existait des comités d’éthique un peu factices, à la main de la fédération. Nous avons mis en place une animation beaucoup plus forte de ces comités d’éthique et un lien plus fort avec le CNOSF et le CPSF. De notre point de vue, ces derniers devaient être l’animateur de ces comités d’éthique. À plusieurs reprises a été évoquée, lors de vos auditions, la question de la pertinence de créer une instance extérieure indépendante qui traiterait de ces cas.
Ma préconisation en la matière – j’ai eu l’occasion de la partager à plusieurs reprises avec la présidente du CPSF et le président du CNSOF – était plutôt de dire que nous avons besoin d’une entité supra-fédérale avec des personnes des fédérations. Cette entité pourrait, à l’image du tribunal arbitral du sport qui est indépendant du CNOSF, mais placé auprès de lui, prendre des décisions qui pourraient être homogénéisées à l’échelle de toutes les fédérations. En matière disciplinaire, il existe en effet beaucoup de disparités entre les décisions qui sont prises par les fédérations. Cette instance pourrait aussi discuter des bonnes pratiques au sein de chaque fédération. Elle pourrait animer les comités d’éthique.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. N’est-ce pas déjà le rôle du CNOSF que de veiller à l’éthique dans ces fédérations ? Nous éprouvons des difficultés à comprendre ce monde sportif. Les structures s’empilent parfois les unes aux autres. Si le CNOSF ne joue pas ce rôle, à quoi sert-il ?
Mme Roxana Maracineanu. Je tiens à vous remercier d’avoir créé cette commission d’enquête, parce que cela a permis à la population entière, y compris à vous, membres de l’Assemblée nationale, de voir ce que j’ai vécu dans l’enceinte de mon bureau pendant quatre ans. Il s’agit effectivement du rôle du CNOSF. Il est important aujourd’hui que chacun reste à sa place et joue son rôle.
Il serait intéressant que le CNOSF n’ait pas l’intention de jouer le rôle d’un ministère des sports et que le ministère des sports impulse et donne la direction. Le CNOSF est lié au ministère des sports par une convention financière annuelle de 10 millions d’euros. Les moyens du CNOSF sont par ailleurs augmentés du fait des Jeux olympiques et paralympiques en France. Ils auront des moyens financiers supplémentaires cette année.
Je ne crois pas que le CNOSF puisse affirmer aujourd’hui qu’il va faire table rase de tout ce qui a été fait par le ministère des sports et réinventer la roue en réalisant un état général des lieux des violences dans le sport. Nous l’avons déjà réalisé et nous connaissons la situation. Nous avons déjà énormément modifié la loi, notamment dans cette relation entre l’État et les fédérations.
Il faut maintenant que le CNOSF trouve sa place et que cette place lui soit accordée, par le biais de la convention financière qui le lie au ministère des sports et grâce aux moyens supplémentaires qu’il aura obtenus une fois les Jeux en France terminés.
Si le CNOSF souhaite s’impliquer véritablement sur le sujet, il dispose des moyens nécessaires pour le faire, y compris financiers et humains. Il dispose surtout de la prérogative nécessaire puisque le CNOSF est aujourd’hui le représentant des fédérations. Ce n’est pas une entité à part qu’il faudrait convaincre. Les présidents des fédérations sont impliqués et élus au sein du CNOSF. Il faut élire les bonnes personnes pour que le sujet puisse infuser au sein des fédérations. Il faut que ces personnes s’impliquent sur le sujet, connaissent tout ce que je viens de dire et aient envie d’avancer.
Les auditions que vous avez menées avec un certain nombre de présidents de fédérations impliquées dans le CNOSF laissent à penser que ce n’est pas vraiment le cas aujourd’hui.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous nous préciser pourquoi vous considérez que le CNOSF souhaite aujourd’hui jouer le rôle d’un ministère des sports ? Nous savons que les membres du CNOSF ont un avis sur cette commission d’enquête et sur le travail des parlementaires ; ils nous l’ont fait savoir. Nous n’avions pas en tête qu’ils voulaient peut-être remplacer le ministère des sports.
J’aimerais aussi connaître votre regard sur la commission de lutte contre les VSS qui existe au sein du CNOSF. Comment travaille-t-elle avec le ministère des sports ? Je vais préciser ma question. Nous avons reçu le coprésident de cette commission ; il nous a indiqué qu’il n’avait pas été reçu au ministère des sports depuis janvier 2021. Cela fait deux ans. Sur un sujet aussi éminemment important au sein du mouvement sportif, quel est votre regard sur cette commission qui existe au sein du CNOSF ?
Mme Roxana Maracineanu. Je pense que l’action du CNOSF doit être complémentaire de celle du ministère des sports. Ils ne doivent pas recommencer éternellement les mêmes débats, mais plutôt avoir des liens resserrés avec la ministre des sports actuelle. Avant, c’était évidemment le cas. Je pense que c’est le cas encore aujourd’hui. Je déjeunais ou petit-déjeunais tous les quinze jours, voire toutes les semaines, avec les deux présidents du CNOSF et du CPSF pour être au courant de tout ce qu’ils faisaient et les informer de tout ce que nous faisions.
Ce n’est pas pour autant que l’attitude du CNOSF était complémentaire. Tous les chantiers que nous engagions, il souhaitait aussi les engager, en repartant de zéro et en souhaitant bénéficier de moyens supplémentaires pour le faire. L’enjeu n’est pas là. L’enjeu est de savoir ce que réalise le CNOSF pour compléter l’action du ministère ou pour impulser de nouvelles actions en propre, en demandant des financements éventuellement au ministère des sports. Le CNOSF dispose déjà chaque année de financements conséquents pour pouvoir exercer sa mission.
Je ne doute pas aujourd’hui que la nouvelle gouvernance du CNOSF que vous avez aussi auditionnée soit sensible au sujet des violences. La preuve en est qu’ils ont créé une commission. Catherine Moyon de Baecque a été proposée à la tête de cette commission de lutte contre les violences. Elle sait de quoi elle parle. Elle a pu sensibiliser la gouvernance à ce sujet. Encore faut-il que les propositions émises soient complémentaires de celles du ministère des sports.
Vous disposez aujourd’hui des documents pertinents. Regardez où en sont les préconisations du CNOSF par rapport aux articles de loi déjà promulgués et à toutes les actions du ministère. Vous pourrez juger par vous-même si elles sont complémentaires ou si elles recommencent un travail déjà fait en reprenant les mêmes items. Je déplore que le CNOSF rédige des documents qui permettent juste de montrer qu’il coche la case.
Quant à la personne que vous citez et qui préside une commission, il me semble qu’il s’agit du président de la Fédération française de canoë kayak. Vous l’avez auditionné. M. Zoungrana est venu au ministère des sports avant la fin de mon mandat, en mai 2022, pour signer son propre contrat de délégation.
Je l’ai reçu pour cela et nous avons évoqué d’autres thématiques qui concernaient sa fédération. S’il avait souhaité me parler de ce qu’il réalise au CNOSF sur le sujet, vous pensez bien que je l’aurais accueilli les bras ouverts. Il ne m’en a pas parlé. Vous m’apprenez qu’il est président d’ailleurs de cette commission. J’ai eu l’occasion, en revanche, d’échanger avec Catherine Moyon de Baecque à plusieurs reprises au moment de la convention pour qu’elle m’explique comment elle traitait le sujet.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous les avons auditionnés. Ils nous ont indiqué ne pas avoir de pouvoir sur les fédérations. C’est l’une des difficultés que nous avons pu rencontrer.
Mme Roxana Maracineanu. Ils sont les fédérations. L’organe CNOSF représente les fédérations dans le paysage global du sport. Il n’y a donc pas à avoir de pouvoir.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ils indiquent qu’ils ne peuvent rien imposer aux fédérations, notamment sur la question des comités d’éthique. L’ANS nous a également indiqué qu’elle ne pouvait pas imposer de dispositifs ou de formations aux fédérations sur les VSS, malgré le fait qu’elle leur donne des subventions.
Mme Roxana Maracineanu. J’aimerais revenir sur ce point, parce qu’il fait partie des préconisations que je n’ai pas eu le temps de mettre en place. Avec cette nouvelle gouvernance, vous avez effectivement compris que le levier financier qui lie l’État aux fédérations est aujourd’hui au sein de cet opérateur de l’État. Je le répète : il est aujourd’hui au sein de cet opérateur de l’État qu’est l’Agence nationale du sport, même si son format est un GIP. Quand je suis arrivée, l’arbitrage sur la création de cette agence était déjà acté ; je n’ai fait que mettre en œuvre cette commande. Je l’ai fait avec beaucoup d’intérêt.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Comme l’arbitrage était déjà acté, qu’en avez‑vous pensé ?
Mme Roxana Maracineanu. Je suis une travailleuse acharnée. Quand une commande m’est passée, j’en comprends les tenants et les aboutissants. J’ai trouvé intéressant que l’argent qui était dans le CNDS sur les territoires soit distribué aux associations en cohérence avec les projets des fédérations. L’idée était que cette somme financière soit rapatriée des territoires vers le national et que les fédérations proposent une manière de la distribuer au sein de leurs propres associations sportives affiliées. Je trouve que ceci est plus cohérent et plus responsable. C’était un moyen aussi d’entamer une discussion sur la responsabilité des fédérations avec ces entités : « Nous vous donnons plus de prérogatives. Dites-nous sur quels appels à projets fédéraux vous souhaitez distribuer cet argent. »
L’ANS contrôlera bien sûr la distribution de cet argent, puisqu’il reste aux mains de l’ANS. Plus de moyens nécessitent plus de responsabilités. Nous, ministère des sports en tant qu’administration centrale, allons vous demander d’être plus responsables. Nous avons engagé les contrats de délégation qui portent notamment sur ce sujet des violences.
Si j’avais été ministre des sports encore quelques années, j’aurais souhaité – et je ne doute pas que la ministre actuelle le souhaite également – une meilleure articulation entre l’argent qui est donné spécifiquement par l’Agence nationale du sport aux fédérations et le volet éthique et intégrité qui est décliné dans le cadre des subventions générales aux fédérations. Ce volet peut se décliner en appel à projets auprès des associations qui bénéficient de l’argent de l’ANS au sein des fédérations. J’aurais souhaité que cet argent puisse être mis en relation avec les contrats de délégation. Une fédération qui fait très bien son travail devrait pouvoir obtenir un bonus de l’Agence nationale du sport.
J’ignore s’il existera des moyens supplémentaires, mais dans l’enveloppe actuelle, il est déjà possible de bien distinguer ce qui est distribué pour l’éthique et l’intégrité de ce qui est distribué pour la performance sportive ou pour le sport pour tous. C’est déjà le cas. Ce sont des enveloppes différentes. Il suffit juste que les personnes se parlent, celles qui sont dans la cellule intégrité et éthique dans l’administration centrale et celles qui distribuent l’argent à l’Agence nationale du sport. Cela ne doit pas être un problème aujourd’hui. La ministre des sports a renforcé et finalisé ce travail de la gouvernance au sein du ministère des sports avec une autorité plus forte sur l’ANS.
Lors de la création de l’ANS, les tiraillements extérieurs ont été nombreux de la part des collectivités et des fédérations. Les entreprises privées étaient contentes d’être dans la gouvernance de l’ANS. Les territoires ont voulu jouer un rôle important. Le CNOSF est arrivé dans une gouvernance partagée au sein de l’ANS. Il s’est dit qu’il pourrait jouer la place du ministère des sports beaucoup plus facilement parce qu’il disposait de l’argent. Il était important que la nouvelle ministre rétablisse cette autorité sur l’Agence.
Il est important aussi que nous saisissions toute l’envergure de l’organisation des grands événements sportifs en France. Les Jeux et tous les autres dépendent, en interministériel, de la Dijop (délégation interministérielle aux Jeux olympiques et paralympiques) et de la Diges (délégation interministérielle aux grands événements sportifs). Aujourd’hui, les Jeux olympiques et paralympiques sont dans le portefeuille de la ministre. Il me paraît important que cela continue, y compris après les Jeux en France et que le ou la ministre des sports puisse avoir l’ensemble de ce champ à sa main. Les violences sexuelles concernent les fédérations, mais aussi tous les événements sportifs organisés sur le territoire français.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Par rapport à la création de cette agence, pourquoi n’a-t-il pas été choisi que la direction des sports, en lien avec les collectivités, gère finalement cet argent ? Pourquoi cet acteur a-t-il été créé en plus, même si l’arbitrage avait été fait au moment de votre arrivée ?
Deuxièmement, pourquoi le bonus-malus n’est-il pas encore mis en place aujourd’hui ? Lorsque nous avons auditionné l’ANS, nous n’avons pas très bien compris ses critères d’évaluation pour les subventions qu’elle accorde aux fédérations. C’était très complexe. Nous n’avons pas compris comment cet argent est ventilé entre les différentes fédérations.
Mme Roxana Maracineanu. Je peux vous confirmer que les ressources humaines qui existent aujourd’hui se consacrent à ces évaluations. Cela prend peut-être beaucoup de temps de vous l’expliquer dans une audition, mais, à coup sûr, l’Agence nationale du sport est en capacité de vous expliquer comment elle distribue l’argent. Son rôle est d’expliquer aux fédérations, à nous-mêmes et aux territoires comment elle distribue cet argent.
La partie éthique et intégrité est nouvelle. Le directeur de l’Agence nationale du sport et son président, M. Michel Cadot, ont souhaité accompagner l’action du ministère des sports sur ces sujets. Ils ont ainsi proposé de créer cette enveloppe « éthique et intégrité ». Mais ce travail d’articulation entre le service qui doit évaluer les fédérations sur la partie éthique et intégrité et l’Agence nationale du sport n’était pas encore fait quand j’étais ministre. La création de l’Agence était récente. La mise en valeur de ce sujet au sein de la direction centrale était aussi récente.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourquoi le choix a-t-il été pris d’externaliser ? Nous avons l’impression qu’un opérateur donne des moyens aux fédérations tandis que le ministère contrôle. Nous avons le sentiment d’avoir deux acteurs qui jouent des rôles très différents.
Mme Roxana Maracineanu. Je me permets de revenir sur le mot « externalisé ». Pourquoi avons-nous créé cette agence en gouvernance partagée ? Nous nous sommes dits qu’à trois ans des Jeux en France, il était important de valoriser l’engagement financier des territoires sur le sport. Il était intéressant, pour montrer de la considération au mouvement sportif, de l’associer à la gouvernance. Aujourd’hui, au sein de l’ANS, le mouvement sportif, les territoires, mais aussi le secteur privé du sport, ont la possibilité de donner leur avis, de participer et de voter à voix égales avec l’État le budget accordé au sport.
Il existe une volonté commune de pérenniser les moyens du ministère des sports à l’approche des Jeux en France. Plus nous sommes nombreux à plaider en ce sens auprès du ministère du budget, du Premier ministre et du Président de la République, plus nous serons forts. Notre devise était « mieux faire ensemble ». La grande famille du sport – les territoires, le mouvement sportif, l’État et les entreprises qui œuvrent dans le champ du sport – s’est rassemblée. Nous avons voulu lancer ce signal. Il est effectif dans la gouvernance.
Le pot commun au sein de l’ANS n’est en revanche pas effectif. Seul le ministère des sports finance concrètement l’Agence. Il n’en demeure pas moins que les collectivités mettent énormément d’argent ; elles ont souhaité garder les cordons de la bourse. La gouvernance partagée de l’Agence facilite le travail de recherche de sponsors et de participants à sa politique.
Je peux vous évoquer un sujet particulier que j’ai également porté : la lutte contre les noyades. Pendant le covid, un acteur du monde privé, un constructeur de piscines, a vu son activité augmenter. Cette entité est venue au ministère pour nous dire : « Écoutez. Nous avons une somme d’argent que nous aimerions consacrer au déploiement de cette politique de prévention des noyades, parce qu’aujourd’hui il y a plus de piscines qu’avant dans les résidences privées. Nous aimerions participer à cette politique. Nous mettons une certaine enveloppe à votre disposition. Vous nous dites ce que nous devons faire avec cet argent. »
Comme il est aujourd’hui difficile d’avoir de l’argent du monde privé, nous leur avons expliqué la politique qu’il fallait mettre en place pour lutter activement contre les noyades dans le secteur privé. Cela porte ses fruits, mais cela doit évoluer.
Cela n’a pas privé la direction des sports de moyens, au contraire, puisque l’argent au global a été augmenté par l’effet des Jeux olympiques et paralympiques. L’enveloppe des politiques mises en place par les fédérations qui ne touchent pas directement aux Jeux, que ce soit sur le haut niveau ou sur la pratique pour tous, a aussi nettement augmenté ces dernières années. Nous souhaitons évidemment que ces montants puissent être pérennisés une fois les Jeux olympiques et paralympiques en France passés.
J’y ai aussi vu une opportunité de repositionner de manière plus forte nos agents de l’administration centrale et des services déconcentrés sur les sujets régaliens, dont la préservation de l’éthique et de l’intégrité dans le sport. Une attention plus particulière est portée sur le réseau des établissements que la direction des sports continue de financer.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lors de nos auditions, nous avons beaucoup parlé de la cellule Signal-sports. Il nous a été expliqué que quatre agents étaient dédiés à cette cellule au sein du ministère. Au vu du nombre de signalements, ces effectifs vous semblent-ils suffisants ?
Nous avons aussi des interrogations sur le périmètre de cette cellule. Nous pensions qu’il portait uniquement sur les VSS et des violences physiques. Nous n’avons pas compris si la question de l’homophobie, des discriminations et du racisme en faisait partie. Si ce n’est pas le cas, la question s’est-elle posée d’intégrer les discriminations, le racisme et l’homophobie à son périmètre ?
Nous pensions que cela ne faisait pas partie de son périmètre. Mais lorsque nous avons auditionné des associations qui luttent justement contre l’homophobie dans le sport, elles nous ont indiqué avoir réalisé un signalement auprès de cette cellule. Elles ont été contactées la veille de leur audition sur le traitement de leur signalement, alors même que la lutte contre l’homophobie ne fait pas partie du périmètre de la cellule Signal-sports. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Tout au long des auditions, très peu de personnes connaissaient l’existence de cette cellule. Selon vous, qu’est-ce qui permettrait d’augmenter sa visibilité ?
La Fédération de canoë kayak a sur, son site, un onglet qui s’appelle « Stop violences » qui ne renvoie pas à la cellule Signal-sports du ministère : elle traite en interne les affaires qui lui arrivent et décide ensuite de les transmettre ou non à la cellule Signal-sports. N’est-ce pas censé être uniforme pour toutes les fédérations ?
Mme Roxana Maracineanu. J’ose imaginer que son site renvoie à Signal-sports.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quand les signalements arrivent sur « Stop, violences » à la fédération, les six cadres d’État se déplacent ou pas en fonction des affaires. Ils examinent la question une première fois et décident ou non de transmettre à Signal-sports.
Mme Roxana Maracineanu. Le périmètre de la cellule est effectivement uniquement axé sur les violences sexistes et sexuelles, ce qui inclut aussi le bizutage puisqu’il y a des violences sexistes et sexuelles dans le bizutage entre jeunes.
Pour le racisme et l’homophobie, ce champ revient aux fédérations et nous avons beaucoup insisté sur ce point. Je pourrai vous préciser la manière dont cela fonctionne sur ces thèmes si cela vous intéresse. Nous avons voulu nous consacrer, avec les agents de la cellule, aux violences sexistes et sexuelles. Il y en a beaucoup. Après cinq ans d’existence, nous sommes à plus de mille signalements auprès de cette cellule.
Nous pouvons effectivement déplorer qu’elle ne soit pas plus connue encore. J’ai participé à une formation auprès des étudiants Staps qui seront les futurs éducateurs et professeurs de sport. Sur une assemblée de cinq cents étudiants, cinq connaissaient Signal-sports. Il y a donc très peu de connaissance. Nous devons activer, dans le cadre de différentes formations, la publicité autour de cette plateforme.
Il n’empêche que nous sommes passés, en cinq ans, de zéro à mille. Tout le monde trouve ceci extraordinaire. Cela veut malheureusement dire qu’il y a beaucoup d’affaires. Ce sont d’anciennes affaires qui, aujourd’hui, ont trouvé un moyen de s’exprimer et d’être traitées. Ce n’est pas une simple plateforme de signalement. Nous ne pouvons pas empêcher des gens de signaler. Par exemple, cette association de lutte contre l’homophobie a fait des signalements. Comme ce n’était pas l’objet de la cellule, les personnes qui s’occupent de relever les signalements les ont contactées par acquit de conscience la veille de l’audition.
Toutes les fédérations sont libres de retranscrire Signal-sports sous un autre nom ou de s’adjuger les services d’autres associations qui œuvrent dans le champ plus large des violences et d’en faire leurs opérateurs. Il est important, quand elles s’adressent à une association qui sous-traiterait une ligne d’écoute, d’informer ce sous-traitant de l’existence de Signal-sports.
Il faut combattre aujourd’hui l’arrivée de signalements à différentes entités qui n’auraient pas connaissance du traitement que nous avons mis en place au ministère des sports et du report à la justice. Plus il existe d’endroits et de plateformes pour parler de ce sujet et le signaler, mieux c’est. J’encourage le développement de plateformes de signalement. Il faut en revanche que tout soit centralisé sur le même circuit, non pas parce que nous sommes heureux d’avoir beaucoup de cas sur Signal-sports, mais parce que ces cas-là sont traités.
Des agents et des inspecteurs sont mandatés pour faire des enquêtes administratives au sein des clubs sujets à signalement. Il y a ensuite un report systématique à la justice quand cela est nécessaire. Les fédérations reçoivent un retour du ministère des sports pour agir à leur niveau et exercer leur pouvoir disciplinaire. Malheureusement, il n’est pas exercé de manière idéale par toutes les fédérations. Vous avez pu vous en rendre compte vous-mêmes dans les auditions que vous avez menées.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quid des moyens humains de la cellule Signal-sports ?
Mme Roxana Maracineanu. Elle comprend quatre personnes pour mille signalements sur cinq ans, soit deux cents signalements par an. Ces quatre personnes sont dédiées aujourd’hui à 100 % à cette tâche. Elles ne sont pas les seules à agir, puisque, lorsque le signalement concerne un club ou un territoire, le service déconcentré en question prend le relais.
Je crois que Fabienne Bourdais vous l’a précisé lors de son audition : un renforcement des effectifs a eu lieu sur ce sujet dans chaque service départemental. Une personne par service y est affectée. Ces cent personnes en France s’ajoutent aux quatre qui ont la prérogative de récolter les signalements et de le redistribuer aux agents du ministère des sports afin qu’ils fassent leur travail en services déconcentrés.
Auparavant, la procédure passait de l’association au service déconcentré. La direction des sports et, de fait, le ou la ministre, pouvaient donc ne pas avoir connaissance des cas signalés si le cas était caché, soit parce que la personne du service déconcentré avait auparavant été dans le club en question, soit parce que l’entraîneur du club était quelqu’un de renom avec énormément de médailles et qu’il était peut-être bien de ne pas l’embêter.
Maintenant, tout remonte en central de manière à ce que la direction des sports et le ou la ministre connaissent tous ces sujets, que nous transférons à la fédération. Le président ne peut plus venir dire qu’il ne savait pas ce qui se passait dans tel club très loin de chez lui.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La ministre est informée de chaque signalement sur la cellule Signal-sports où les affaires dont elle est informée sont triées puis redescendues au niveau des fédérations.
L’onglet « Stop violences » mis en place par une fédération crée un filtre avant la cellule Signal-sports et nous semble complexifier le système pour les victimes. Nous sommes très interrogatifs sur cet onglet.
Nous avons auditionné la direction de l’Insep dans le cadre de cette commission d’enquête. Elle a évoqué la question de la sécurisation du site et la manière dont elle réalisait les signalements. Nous avons évoqué la cellule Signal-sports. Nous avons compris, en voyant les plaquettes de communication de l’Insep, mais aussi le site du ministère des sports, qu’il n’était pas clair que les victimes puissent directement saisir la cellule Signal-sports.
Sur la plaquette de communication de l’Insep, il est indiqué que les victimes ont un entretien avec une personne référente et que le compte rendu de cet entretien est envoyé ou non à la cellule. Or, nous avions compris que la victime pouvait elle-même déposer un témoignage sur Signal-sports. Ce n’est pas indiqué sur les plaquettes d’information.
Mme Roxana Maracineanu. Je profite de cette audition pour le dire publiquement : toute personne qui s’estime victime de violences sexuelles ou sexistes dans le sport peut le signaler directement à cette cellule.
Nous partons de l’hypothèse que toutes les personnes qui se sont engagées avec nous dans ce combat sont des personnes honnêtes, responsables, qui ne filtrent pas les cas. Nous présupposons que ni l’Insep ni la fédération en question ne viendront à nouveau remettre des cas sous le tapis ou cacher des choses. Ils vont peut-être d’eux-mêmes prioriser ou faire un filtre, s’ils pensent que cela peut relever uniquement d’une sanction disciplinaire et non d’une enquête administrative ou de justice.
Tout ce qui est envoyé à la cellule Signal-sports l’est sous le sceau de la confidentialité. Pour réussir à mettre en place ce système de signalement, nous avons mobilisé la justice sur ces trois systèmes procéduraux. Il était important que la procédure disciplinaire des fédérations et la procédure administrative de l’État puissent se coordonner avec la procédure judiciaire, qui doit être considérée pour ce qu’elle est. Le recueil de preuves dans le cadre d’un témoignage fait à la fédération ou sur la cellule Signal-sports doit avoir un niveau d’exigence et de crédibilité suffisant par rapport à la justice.
Il ne sera évidemment pas le même quand la victime ou les personnes incriminées sont auditionnées par la justice, mais il faut que nous puissions réaliser ce recueil de preuves de manière à pouvoir le produire devant la justice. Même si ces instances font des auditions avant, elles doivent obligatoirement le reporter à la cellule Signal-sports.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le dernier rapport de l’Inspection que nous avons reçu concernant le contrôle de l’Insep date de 2016. Pouvez-vous nous confirmer qu’aucun contrôle n’a été demandé sur l’Insep depuis 2016 ?
Mme Roxana Maracineanu. Je n’ai pas mandaté de rapport sur l’Insep quand j’étais ministre.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pour revenir à cette cellule Signal-sports, je vais vous lire ce qui est écrit sur le site du ministère. Nous avons mis du temps à comprendre. Il est écrit : « Si vous êtes agent de l’État dans les services déconcentrés, établissements et fédérations sportives et que des faits de violence, notamment à caractère sexiste et sexuel, sont portés à votre connaissance par la victime ou par une personne à qui la victime s’est confiée, vous devez saisir le procureur ; engager une procédure ; informer la direction du ministère par le biais de la cellule Signal-sports. »
Je répète qu’il n’est indiqué nulle part qu’une victime peut elle-même saisir la cellule Signal-sports. Je le porte à votre attention, parce que nous avons été plusieurs à nous poser la question et il nous a fallu trois mois de commission d’enquête pour comprendre que les victimes pouvaient saisir la cellule.
Mme Roxana Maracineanu. Auparavant, des agents de l’État, pourtant soumis à l’article 40 du code de procédure pénale, n’en faisaient pas usage. Nous avons donc voulu mettre en avant le fait que les cadres d’État placés auprès des fédérations avaient cette obligation. Ils sont soumis à l’article 40, même s’ils sont sous l’autorité partielle d’un président de ligue ou de fédération. Ce sont des agents de l’État. Ils doivent le mentionner.
Il serait bon de souligner en gras que tout le monde peut faire des signalements à cette cellule. Mais il faut déjà connaître la connaître pour y aller. Je pense donc que l’information sur le nom de la cellule peut être faite de manière beaucoup plus large. Cette commission d’enquête que vous menez aujourd’hui – et je vous en remercie personnellement – a eu cette vertu de populariser ce nom.
Dans la mission interministérielle dont je m’occupe aujourd’hui, nous avons la prérogative de travailler sur la formation à la prévention des violences faites aux femmes, et aux enfants plus largement. Je ne m’interdis pas d’aller sur le champ des enfants pour créer des outils de formation. La formation des éducateurs sportifs, des futurs professeurs d’EPS (éducation physique et sportive), y compris des bénévoles et des parents qui inscrivent leurs enfants dans ces associations, est aujourd’hui un véritable chantier. J’ai souhaité m’y atteler dans mes nouvelles fonctions. Signal-sports, parce que nous l’avons créé, sera un des flambeaux de ma mission.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le déclenchement de l’article 40 se fait normalement sans délai. Ce délai peut être quelques heures, quelques jours ou quelques mois parfois. Nous avons eu le cas ici lors d’une audition. Comment traduisez-vous cette notion de « sans délai » pour le déclenchement de l’article 40 ? Est-il courant que les responsables et le ministère des sports échangent pour savoir s’il faut ou non déclencher l’article 40 ?
Mme Roxana Maracineanu. Je ne peux m’en référer qu’à la loi. Nous devons le faire dans les plus courts délais. Tout fonctionnaire détenant une autorité de service public doit utiliser cet article 40. Cela vaut pour tous les fonctionnaires d’État, l’Inspection générale, les personnes qui sont au sein des fédérations et qui sont fonctionnaires d’État, mais aussi les personnes qui font partie de la fonction publique territoriale et qui sont informées de faits. Elles ne pensent pas être soumises à l’article 40 parce qu’elles ne sont pas fonctionnaires d’État et que la loi les concerne un petit peu moins. Or, tout le monde doit le faire.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. À votre arrivée, des agents ne déclenchaient pas forcément cet article 40. Quels en étaient la proportion et le motif ?
Le directeur général de l’Insep a mis plusieurs mois à déclencher l’article 40. Encore aujourd’hui, la procédure de l’article 40 n’est pas claire.
Mme Roxana Maracineanu. Au sein de l’Insep ou d’une fédération, un cadre technique qui doit déposer un article 40 doit solidifier le dossier. Ce temps de latence est peut-être dû à cela. Je ne remets pas en question la bonne volonté des fédérations qui sont engagées. Le meilleur moyen de les engager plus avant est de les mettre devant leurs propres responsabilités, comme vous avez très bien su le faire dans cette commission. Vous avez aussi fait prendre connaissance au grand public de propos irresponsables ou imprécis et vous avez montré que des personnes à des postes à responsabilités sont insuffisamment informées.
Nous sommes repassés par un exercice de pédagogie sur l’article 40 auprès des fonctionnaires d’État, qu’ils soient dirigeants d’établissements sportifs ou cadres techniques au sein des fédérations. La lettre de mission qui relie le ministère aux cadres techniques sportifs mentionne explicitement les missions. Jusqu’à maintenant, il n’y avait que des missions sportives. Rien ne touchait à la protection de l’intégrité des pratiquants. Nous pensons que les agents de l’État doivent être repositionnés sur ces missions.
Je me permets d’attirer votre attention sur la situation dans laquelle je suis arrivée au ministère des sports. Il était question que les fédérations récupèrent les agents du ministère des sports – les 1 600 cadres techniques – pour qu’ils deviennent des agents salariés de ces fédérations. Malgré un accord qui semblait trouvé entre le mouvement sportif et l’État, j’ai fortement souhaité me saisir de ce sujet pour garder ces cadres techniques au sein de l’État et les positionner sur le sujet. Il est bien de disposer d’un ministère et de services déconcentrés, mais il n’y a rien de mieux que cette relation privilégiée entre les fédérations et les cadres techniques d’État à l’intérieur des fédérations. S’ils prennent toute la mesure de leurs missions, de leurs devoirs et de leurs prérogatives, ils pourront être les vigiles et les vigies de cette thématique au sein des fédérations. Cela n’exclut pas la responsabilité des fédérations, des bénévoles et des éducateurs sportifs qui travaillent dans ces fédérations.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Les cadres ont-ils un module de formation obligatoire sur l’utilisation de l’article 40 et sur la lutte contre les VSS ? Dans le cadre de nos auditions, il nous a été expliqué que deux heures de modules concernaient les VSS. Où en sommes-nous aujourd’hui des dispositifs de formation ?
Mme Roxana Maracineanu. Je pourrai vous transmettre la lettre de mission type d’un cadre d’État aujourd’hui. Elle inclut deux éléments qui n’existaient pas avant. Ils ont désormais le devoir, en qualité d’agent de l’État, de mettre en œuvre les politiques publiques prioritaires du ministère chargé des sports, c’est-à-dire la protection de l’éthique, l’intégrité physique et morale des pratiquants, notamment la lutte et la prévention de toutes les formes de violences, y compris sexuelles ; la promotion des principes de la République française – liberté, égalité, fraternité – impliquant notamment la prévention et la lutte contre toutes les formes de discriminations fondées sur le genre, l’origine, l’orientation sexuelle et le handicap. « Ces obligations relèvent de votre responsabilité professionnelle individuelle et vous engage indépendamment du cadre d’autorité hiérarchique. » Dans cette dernière phrase, nous faisons référence à l’article 40 du code de procédure pénale.
Vous me questionnez sur la formation. Il existe un chantier énorme sur l’éducation et la formation à la prévention de tous ces publics. La ministre des sports n’aura pas la capacité de le faire seule.
Je suis maintenant dans cette mission interministérielle. Il est dans mon périmètre de continuer à œuvrer sur le sujet de la formation spécifiquement. Je commence à m’y atteler en lien avec le ministère des sports et d’autres ministères. Il est aussi de la responsabilité des autres ministères, de leurs agents ou des fédérations, de continuer ce combat que nous avons initié dans le cadre de la grande famille sportive et que vous contribuez aujourd’hui à externaliser en dehors de la famille sportive.
Il faut, aujourd’hui, à l’occasion des Jeux en France, que toutes les instances en prennent la mesure, y compris les collectivités. J’insiste sur ce point parce que cela me paraît aussi important que vous portiez, en tant que parlementaires, ce sujet-là sur le territoire et que chaque collectivité ou instance régionale, départementale ou municipale s’en saisisse.
Les clubs ne pratiquent pas dans l’espace. Ils sont dans des gymnases, des piscines et des installations sportives qui sont gérés par les collectivités. Tous les instruments, que je n’ai pas pu vous présenter, de prévention, d’information et de publicité sur Signal-sports prennent la forme d’affiches, de flyers, etc. Il suffit de mettre des moyens complémentaires pour les imprimer au niveau d’une mairie ou d’une région. Il serait possible de les placarder dans tous les équipements sportifs. Je peux vous assurer que toute victime potentielle aura, à hauteur d’enfant – puisque nous avons réfléchi à des outils à hauteur d’adulte et à hauteur d’enfant –, les informations sur Signal-sports, le 3919 et la possibilité d’alerter en tant que victime.
Nous avons déjà travaillé. Des affiches sont spécifiquement consacrées à cela. Le Réglo’Sport est un outil formidable qui permet d’expliquer aux enfants, y compris ceux en situation de handicap, les violences dont ils sont victimes, pour qu’eux-mêmes soient acteurs de leur propre sécurité. Ces outils existent, mais il faut que ceux qui peuvent les diffuser le fassent.
Quand nous avons demandé à nos interlocuteurs, au sortir du covid, de nous aider à les diffuser via les fédérations, il nous a été dit que ce n’était pas la priorité et qu’ils allaient plutôt parler de la reprise de l’activité sportive en France que des violences sexuelles dans le sport. Nous avons fait quelques flyers qui ont été cachés sous la table des associations.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lors de son audition, M. Canu a reconnu des lacunes sur l’information relative à la cellule Signal-sports et sur la sécurisation du site (à laquelle il a travaillé avec ses équipes). Aviez-vous été informée, au moment où vous étiez encore ministre, de ces difficultés de sécurisation, de formation et d’information au sein de l’Insep ?
Mme Roxana Maracineanu. J’ai pris connaissance de cette audition avec beaucoup de tristesse et un peu de surprise.
J’avais toutes les informations qui me laissaient penser que l’Insep était mobilisé sur ce sujet. Je pense qu’il l’est. Je pense que cette audition n’avait pas été extrêmement bien préparée par le directeur, M. Canu. J’espère qu’en vous plongeant dans ce sujet, vous découvrirez que l’Insep fait le nécessaire pour que ces violences puissent être signalées et traitées.
Tous les établissements de l’État ne sont pas des hôtels et des restaurants pour les fédérations sportives. Ce sont des endroits où nos jeunes sportifs s’entraînent, découvrent une autre vie et accèdent à des moyens mis en place par l’État, principalement, et les régions. Ils visent à leur permettre d’embrasser une carrière sportive de qualité et, surtout, de s’épanouir dans leur vie. Les violences sexuelles ne sont pas acceptables dans ces établissements.
J’attendais, en tant que ministre, que tous ces directeurs et directrices d’établissement se positionnent sur le sujet. J’ai pu, à de nombreuses reprises, aller dans les territoires, le constater, y compris à l’Insep. Je pense que vous n’avez pas eu, au moment de cette audition, la vraie photographie de ce qui se passe aujourd’hui dans ces établissements. Je l’espère et je le souhaite.
J’espère que les sportifs et les sportives voient qu’il y a un changement d’attitude de tout le monde et une vigilance accrue sur ce sujet-là.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je suis revenue sur la question de la formation des cadres parce que, lors de cette audition, nous avons été assez surpris. Ce qui nous a le plus surpris est cet agent de sécurité qui, à l’entrée du site, a agressé une jeune sportive. Il n’y a pas eu de signalement. Il a été demandé à l’entreprise de le déplacer sur un autre site, mais il n’y a pas eu plus que cela. Ceci est quand même très surprenant.
Est apparue, pendant cette audition, non pas une méconnaissance, mais une imprécision sur la notion de consentement. Est-ce que cela doit faire partie de la formation de ces cadres ?
Mme Roxana Maracineanu. Bien sûr. Plusieurs aspects m’ont sauté aux yeux. Je pense qu’il faut travailler beaucoup plus sur cette notion d’emprise, que les éducateurs et les personnels qui tournent autour des sportifs peuvent avoir sur les sportifs et bien définir ces notions de limites qu’un professionnel, en responsabilité, doit avoir avec les sportifs. Il faut réexpliquer ces limites.
Il faut aussi replacer le débat sur des violences sexuelles dans le sport dans un cadre plus large. Le sport n’est pas le seul domaine concerné par ce mal. D’autres secteurs d’activités sont beaucoup moins mobilisés que nous. La réaction de certaines personnes en responsabilité peut être défensive : « Mais pourquoi venez-vous nous chercher dans le sport alors que dans la culture et la santé ces dangers existent aussi et sont beaucoup moins pris en considération, médiatisés et traités ? »
Un autre aspect sur lequel j’ai dû me battre avec les présidents des fédérations, mais aussi d’autres personnes du champ sportif, est qu’au nom de la performance et de la recherche de médailles et de résultats, nous cherchons, encore maintenant, à minimiser des cas, voire à justifier la lutte contre les violences au nom de la performance.
Je pense qu’il n’y a pas de lien à établir entre la lutte contre les violences et la performance. « C’est très bien que nous traitions les violences sexuelles, parce que sinon il va être moins performant. » En fait, cela n’a rien à voir. Inversement, pour qu’un sportif soit performant, il vaut mieux minimiser les violences, parce que, sinon l’entraîneur va perdre son poste ou être déstabilisé. « Il vaut mieux le laisser sur cette belle lancée de résultats et peut-être ne pas revenir sur des choses qui pourront être nuisibles, et pour lui et pour les fameuses valeurs du sport. »
Les fameuses valeurs du sport ont été mon cheval de combat face à ces présidents de fédérations qui me disaient : « Mais madame la ministre, aujourd’hui, à deux ans des Jeux en France, vous ne pouvez pas mettre ce sujet-là dans le débat public. Ce n’est pas de cela que nous avons envie d’entendre parler à deux ans des Jeux. Cela doit être la grande fête. »
Comme la ministre Oudéa-Castéra l’a déjà dit, l’atteinte de la performance ne doit pas se faire à n’importe quel prix, et surtout pas au prix de la santé, de l’intégrité des sportives et des sportifs, même s’ils sont en lice pour aller chercher des médailles. Selon moi, la performance ne peut arriver que si un individu est pleinement épanoui. Elle ne peut pas arriver s’il est contraint ou sous emprise. Ce combat participe à l’épanouissement de l’individu qui, lui-même, participe à l’atteinte de la performance. Il y a un lien, effectivement, mais il doit être vu uniquement dans ce sens-là. Les personnes en responsabilité, à la tête des fédérations ou des établissements sportifs, n’ont pas encore intégré totalement cet item. S’il y a quelque chose à mettre dans une formation, c’est simplement cela. C’est redonner un peu de sens au sport.
Le sport peut être aussi un vecteur de réhabilitation pour des victimes, qu’elles aient été victimes dans le champ sportif ou ailleurs. Reprendre contact avec son corps, avoir un accompagnement bienveillant – celui qui est dispensé dans le sport au quotidien – participent aussi de la réhabilitation et de la réparation pour un bon nombre de victimes, de femmes ayant vécu des violences, d’enfants ayant vécu des violences dans leur passé personnel.
Cela permettra de faire sortir ce débat du champ sportif où les gens se sentent agressés et de faire en sorte que les valeurs qui les habitent soient ces valeurs-là. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas parler des valeurs du sport, mais des valeurs des gens qui organisent et qui font le sport en France. Le point cardinal de ces valeurs doit être la préservation de l’éthique et l’intégrité, et surtout l’intégrité physique et morale des pratiquants. Il n’y a rien d’autre. Quand j’inscris mon enfant dans un club sportif, c’est ce que j’attends du club.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Considérez-vous que l’omerta n’existe plus au sein du mouvement sportif ?
Mme Roxana Maracineanu. Je considère qu’avec les mesures d’urgence que nous avons prises et les mesures pérennes que nous avons inscrites dans la loi, l’omerta ne peut plus exister dans le monde du sport.
Ces dispositifs et ces décrets d’application de la loi prennent du temps. Je fais confiance à l’actuelle ministre, aux présidents et présidentes des fédérations, au nouveau président du CNOSF et à la présidente du CPSF pour être engagés dans cette lutte, malgré les maladresses que vous avez pu constater au moment des auditions. Je pense qu’il ne faut pas remettre en question leur engagement. Il faut les aider et les accompagner dans la mise en œuvre de la loi. La ministre doit veiller à l’application stricte de la loi et au contrôle des décrets. Nous aurons déjà fait un grand pas vers un monde meilleur dans le sport.
Face à l’omerta qui existait dans le sport, j’incite vraiment tous les secteurs d’activité à aller dans ce sens. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Il faut que les ministres se saisissent de ces questions et que nous ne laissions plus rien passer, nulle part.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous semblez dire que tout est dans les textes aujourd’hui. Sur le papier, tout semble prêt pour que cette omerta n’existe plus, même si cela dépend aussi de la bonne volonté et de l’engagement des uns et des autres dans ce mouvement sportif. C’est ce qui permettra ou pas de lever définitivement l’omerta dans ce mouvement sportif.
Pour conclure cette audition, vous auriez aimé aller plus loin si vous étiez restée ministre des sports un peu plus longtemps. Quelles sont vos autres recommandations ou préconisations pour cette commission d’enquête aujourd’hui ?
Mme Roxana Maracineanu. J’ai pu en évoquer quelques-unes tout à l’heure parmi lesquelles cette commission supra-fédérale qui permettrait d’harmoniser les décisions des fédérations. Il pourrait aussi s’agir d’une plus grande vigilance interne des fédérations pour que les personnes condamnées ne puissent plus être au contact d’enfants et de jeunes et que leur parcours puisse être suivi d’une manière ou d’une autre.
La formation doit par ailleurs infuser à tous les niveaux, que ce soit dans la formation des diplômes fédéraux, des diplômes d’État, de ceux de la fonction publique, ou encore dans le parcours des sportifs.
Les établissements qui accueillent les jeunes sportifs en formation ont un certain nombre d’obligations que je n’ai pas détaillées et qui sont plus ou moins mises en place. Il faut avoir ce contrôle pour que tout ce qui est écrit dans les textes soit appliqué. Tel est le rôle de la direction des sports aujourd’hui.
J’aimerais aussi que, vis-à-vis de la justice, les personnes se positionnent pour montrer qu’elles sont engagées.
Je crois dans le travail que nous avons fait. C’est pour cela que je me suis permise d’émettre cette hypothèse d’engagement de la part de tous les acteurs. Mais évidemment, nous avons besoin de preuves. Comme dans toute relation, nous avons besoin de preuves.
Quand une fédération ne se constitue pas partie civile et n’est pas aux côtés des victimes dans un procès, je trouve cela problématique. J’ai récemment entendu une victime qui a été lâchée par sa fédération – la Fédération d’équitation – alors que la personne a été condamnée.
Je souhaite que, sur toutes ces affaires de violences sexuelles, mais aussi de racisme, d’antisémitisme, d’homophobie, les fédérations se constituent partie civile. Elles ont la possibilité de le faire. Les associations peuvent aussi depuis 2022, dans le cadre de la lutte contre l’homophobie, se constituer partie civile. Ces associations sous-traitent le positionnement de la fédération sur ces sujets-là. Il faut regarder les textes. J’incite aussi tous les parlementaires à le faire aujourd’hui.
Il faut accompagner, suite à cette commission d’enquête, les personnes qui ne seraient pas encore conscientes de tout ce que la loi propose et impose. Si nous appliquons tout ce que nous avons mis en place, ce sera un grand pas en avant.
Il y aura sans doute encore des dysfonctionnements. Il faudra encore agir ; le combat n’est pas terminé. Mais le message que nous portons et que vos travaux contribuent à porter est de dire que nous sommes tous concernés et tous responsables sur cette question. Nous devons être dans une vigilance de tous les instants. Cette vigilance doit être bienveillante à l’égard des personnes et des enfants qui parlent. Il faut entendre les enfants qui parlent, en respectant le droit de la présomption d’innocence et suivre l’ensemble de la procédure.
Il faut que les présidents de fédérations puissent se positionner clairement et dire de quel côté ils sont, dans le respect de la loi. Quand je les ai reçus il y a quatre ou cinq ans, ils n’étaient pas tellement concernés par le sujet.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Très bien. Je vous remercie beaucoup de votre disponibilité. Cette audition a largement dépassé l’heure initialement prévue, mais il était très intéressant de vous entendre.
M. Stéphane Buchou (RE). Je vous remercie du temps que vous nous avez consacré et de la précision avec laquelle vous avez répondu aux questions.
Je n’ai pas de question particulière, mais je ferai une première observation. Vous avez évoqué à plusieurs reprises la grande famille du sport. J’entends aussi dans vos propos une forme de nuance. J’ai cru comprendre que les relations entre le ministère, le CNOSF et les fédérations étaient un petit peu compliquées. Je souhaite qu’avec l’ensemble des outils qui ont été mis en place et qui ont été votés dans le cadre de la loi sous la précédente mandature, nous puissions avancer rapidement sur ces sujets compliqués.
J’ai deux remarques. Premièrement, je n’ai pas bien compris les éléments sur le rapport qui aurait dû être remis et qui ne l’a jamais été. Le ministère a laissé faire. Je trouve cette situation un peu particulière vis-à-vis de l’inspecteur qui devait vous remettre ce rapport.
Deuxièmement, je voulais revenir sur une des premières phrases que vous avez prononcées dans votre propos liminaire et qui m’a interpellé. Je ne sais pas si c’est une erreur. Vous avez dit : « En ce qui concerne les violences sexuelles et sexistes, le corps ne peut pas être préservé de ce fléau. » Ce n’est pas du tout une mise en cause, surtout après tout ce que vous nous avez dit après, mais cela m’a un peu choqué.
Mme Roxana Maracineanu. Je n’ai pas dit cela. Je peux le répéter. Le corps est au cœur de l’activité sportive. De fait, ce fléau, qui touche toute la société, touche le sport inévitablement. À l’époque, le journaliste me questionnait sur : « Pensez-vous qu’il y a une omerta dans le sport ? » et j’ai dit : « Oui. Je pense qu’il y a une omerta dans le sport, puisqu’à ce jour, il n’y a que trois ou quatre cas qui ont été connus de la justice et traités par la justice. » Ce n’est pas possible que ce fléau n’existe pas dans le sport, alors que le corps est au cœur de l’activité et qu’il y a un isolement entre les entraîneurs et les sportifs – plus nous montons vers le haut niveau, plus cette cellule est resserrée. Ceci s’est avéré être le cas deux ans plus tard avec ce que nous a raconté Sarah Abitbol. Ce fléau touche toute la société : il n’y a pas de raison qu’il ne touche pas l’ensemble du monde du sport. Nous avons vu par la suite qu’il était touché.
Pour revenir au rapport de l’Inspection générale, je ne sais pas si vous avez déjà auditionné la cheffe de l’Inspection générale. Celle-ci nous présente un calendrier de rapports qu’ils souhaitent faire. Nous avons la possibilité de demander un certain nombre de rapports. S’agissant des rapports que j’ai demandés moi-même, j’ai été très prompte à en demander un retour. Je les ai eus en temps et en heure à chaque fois.
Je pense que ce rapport faisait partie du calendrier habituel, puisque cela faisait déjà un petit moment que M. Karam avait démarré ce rapport. Il ne nous a jamais été présenté finalement.
Comme l’objet de ce rapport était un état des lieux des faits, nous avons demandé un point d’étape en faisant intervenir M. Karam à la première convention du sport et il nous a donné ses premiers éléments. Comme il ne nous a pas été remis par la suite, je n’avais plus de raison de demander trois ans après un état des lieux des violences dans le sport, puisque je le connaissais, à mon avis, suffisamment bien et que j’avais d’autres priorités d’action à ce moment-là.
Quant à votre propos introductif sur la grande famille du sport, ne le prenez pas de manière ironique. Je crois en cette famille du sport. Les pouvoirs publics ont choisi – ce qui n’était pas le cas avant – de mettre le nez dans ce qui se passe au sein des familles, que ce soit au niveau de l’inceste ou des violences intrafamiliales. Comme dans toute grande famille, je pense que l’État devait et doit regarder ce qui s’y passe de près.
Cette grande famille doit être en ordre de marche, rassemblée, réunie et en accord avec ses valeurs, pour aborder la période olympique qui s’ouvre à nous. L’année prochaine, nous accueillons les Jeux. Il me paraît essentiel que la France montre une image du sport et de la société en accord avec ses valeurs et ses priorités.
Il faut aussi que la grande famille du sport arrive à être performante et produise de magnifiques résultats l’année prochaine, en respectant ses valeurs qu’elle a vocation à étendre partout, dans le monde entier, via cette belle vitrine que nous offrent les Jeux. Je crois en cette belle famille du sport.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Merci.
Mme Roxana Maracineanu. Je voulais vous remercier à mon tour de cette audition.
La séance s’achève à quinze heures quarante.
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Stéphane Buchou, M. François Piquemal, Mme Sabrina Sebaihi
Excusée. – Mme Béatrice Bellamy