Compte rendu
Commission d’enquête relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif ayant délégation de service public
– Audition, ouverte à la presse, de M. Didier Deschamps, footballeur international, sélectionneur de l’équipe de France de football 2
– Audition, ouverte à la presse, de M. Florian Grill, président de la Fédération française de rugby (FFR), et de M. Laurent Gabbanini, directeur général 16
– Présences en réunion................................37
Jeudi
2 novembre 2023
Séance de 14 heures
Compte rendu n° 39
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
Mme Béatrice Bellamy,
Présidente
— 1 —
La séance est ouverte à quatorze heures.
La commission auditionne M. Didier Deschamps, footballeur international, sélectionneur de l’équipe de France de football.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Chers collègues, nous accueillons M. Didier Deschamps, ancien footballeur international, entraîneur et sélectionneur de l’équipe de France de football depuis 2012.
Monsieur, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions.
Nous avons entamé le 20 juillet dernier les travaux de cette commission d’enquête. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.
Nos travaux portent donc sur trois axes : premièrement, les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, deuxièmement, les discriminations sexuelles et raciales, et troisièmement, les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif.
Monsieur, vous avez été formé au FC Nantes. Vous avez ensuite joué à l’Olympique de Marseille, qui a remporté la Ligue des champions en 1993. Vous avez également joué à la Juventus de Turin, à Chelsea et à Valence. Vous avez été sélectionné 103 fois en équipe de France, et vous en avez été le capitaine à cinquante-quatre reprises, entre 1989 et 2000. Vous avez participé à la victoire de la Coupe du monde en 1998 et à celle du championnat d’Europe en 2000. Vous avez été entraîneur de l’AS Monaco, de la Juventus de Turin et de l’OM. Vous avez été nommé entraîneur et sélectionneur de l’équipe de France en 2012. Votre contrat arrive à expiration en 2026.
Si le sport, en particulier le football, peut être un formidable vecteur d’émancipation et de cohésion, il a été marqué ces dernières années par de nombreuses affaires en lien avec le champ de cette commission, qui ont pu ternir son image. À partir de septembre 2022, des articles de presse ont fait état de graves difficultés de fonctionnement au sein de la Fédération française de football (FFF). Les faits évoqués portent sur la gouvernance et le management de la Fédération, et sur des faits de harcèlement ou ayant trait à des violences sexuelles et sexistes au sein de la FFF comme au Centre national du football de Clairefontaine.
Un rapport de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR) publié en février 2023 fait le constat d’une « gouvernance défaillante », d’une « directrice générale aux méthodes brutales et aux comportements jugés erratiques », d’un « président dont les dérives de comportements sont incompatibles avec l’exercice de ses fonctions et l’exigence d’exemplarité qui leur est attachée », d’une « une politique de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans le réseau fédéral ni efficace ni efficiente ».
Avez-vous eu connaissance de ces dysfonctionnements ? À quel moment ? Quel regard portez-vous sur la grave crise de gouvernance qui a touché la FFF ? Plus généralement, pouvez-vous exposer les faits auxquels s’intéresse notre commission d’enquête, à savoir le racisme, les violences, les discriminations de toutes natures et l’atteinte à la probité, dont vous avez eu connaissance au cours de votre carrière dans le football, en tant que joueur, puis en tant qu’entraîneur ? Quel bilan tirez-vous de vos observations du milieu du foot depuis le début de votre carrière ? Diriez-vous que la situation a empiré ou qu’elle s’est au contraire améliorée concernant les situations de violence, de discrimination et la gouvernance des instances nationales et internationales ? Quelle est votre appréciation des actions mises en place pour lutter contre ces fléaux, ainsi que de leur efficacité ?
Cette audition est ouverte à la presse. Elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Didier Deschamps prête serment.)
M. Didier Deschamps, footballeur international, sélectionneur de l’équipe de France de football. Merci, madame la présidente, pour votre invitation. Avant de répondre à vos questions, je souhaite préciser le cadre dans lequel j’interviens en tant que sélectionneur de l’équipe de France A masculine.
J’exerce fréquemment au Centre technique national du football de Clairefontaine, un lieu bien particulier surnommé « le château », qui est complètement isolé du bâtiment administratif et des autres secteurs de formation et de préformation. Je suis présent à Clairefontaine pendant les périodes de stage et de préparation aux matchs de l’équipe de France A, dont le calendrier est fixé par les instances internationales, à savoir l’Union européenne des associations de football (UEFA) et la Fédération internationale de football (Fifa).
Dans le cadre de mes fonctions, je me déplace pour des matchs dans des stades en France, en Europe et partout dans le monde. Chaque saison sportive, cinq rendez-vous fixes sont inscrits au calendrier, correspondant aux plages internationales pour toutes les équipes nationales. De plus, tous les deux ans, deux compétitions internationales ont lieu, le championnat d’Europe et la Coupe du monde. L’organisation de ces compétitions est attribuée à différents pays par les instances internationales. Dernièrement, pour la Coupe du monde, nous étions au Qatar en 2022 et en Russie en 2018. Le prochain championnat d’Europe aura lieu en Allemagne.
Entre ces dates, mon activité de sélectionneur se concentre essentiellement sur le suivi de mes joueurs, lors des matchs dans leurs clubs français ou étrangers. Depuis que je suis sélectionneur, j’ai été sollicité pour intervenir auprès des partenaires commerciaux de la Fédération et pour me déplacer dans les ligues ou les districts, au plus près du football amateur, qui constitue le socle de notre football – je sais d’où je viens, je suis passé par là, donc il est important pour moi de conserver des relations avec eux. Par ailleurs, compte tenu de mon expérience, j’ai été ponctuellement amené à intervenir auprès de la direction technique nationale pour former des cadres.
En conclusion, si je suis bien évidemment salarié de la FFF, je ne suis présent ni quotidiennement ni régulièrement au siège. J’y ai un bureau, mais je ne m’y rends que ponctuellement, lorsque je dois communiquer des listes de joueurs ou quand je suis sollicité par mon président. Au cours d’une année sportive, je ne suis pas impliqué dans le fonctionnement classique de la FFF.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quel regard portez-vous sur les graves incidents de dimanche dernier, en marge de la rencontre sportive entre l’OM et l’OL ? Plusieurs personnes ont été blessées. Le déchaînement de violence d’une centaine d’individus a conduit à l’annulation du match. Qu’en pensez-vous ? Avez-vous des commentaires ?
M. Didier Deschamps. Ces images sont horribles, bien évidemment. Elles n’ont pas leur place dans un cadre sportif, dans une enceinte sportive, ou même dans la vie de tous les jours. Malheureusement, les faits ont eu lieu. Toutes les forces et tous les pouvoirs de décision doivent faire en sorte que cela n’arrive plus. Aujourd’hui, malheureusement, la sphère sportive, en particulier le football, un sport très populaire, sont le reflet de notre société. Nous y retrouvons exactement les mêmes problèmes que dans le reste de la société, avec, en supplément, la résonance médiatique du football.
Un stade de football doit être un lieu familial. Les familles, particulièrement les enfants, doivent pouvoir venir voir un spectacle, participer et encourager les équipes en toute tranquillité, sérénité et sécurité. Malheureusement, il suffit de quelques individus qui ne viennent pas pour ces raisons-là et qui se servent du stade comme lieu d’exutoire. Cela arrive certainement aussi dans d’autres disciplines, mais l’impact médiatique est beaucoup plus important lorsqu’il s’agit d’un match du dimanche soir entre deux équipes prestigieuses du championnat de France. Je ne souhaite pas minimiser ce qui s’est passé. Cela est inacceptable. Il convient de faire en sorte que cela n’arrive plus.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Selon vous, est-ce que cela aurait pu être évité ? Comment ?
M. Didier Deschamps. Là, vous me demandez quelque chose qui ne dépend pas de mes fonctions. Dans l’absolu, tout peut être évité. Je pense que les gens qui sont responsables de l’organisation et de la sécurité font en sorte que tout se passe bien.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quel est votre regard sur le partage des responsabilités entre l’Association nationale des supporters, la Ligue de football et le ministère ?
M. Didier Deschamps. Je ne vais pas dire que c’est plus la faute de l’un ou de l’autre. Tous doivent réunir leurs forces pour que cela n’arrive plus. Cela passe certainement par la prévention et par des sanctions lourdes. Je ne suis pas sûre que les personnes qui commettent de tels actes ont la capacité de réfléchir. Cela n’a pas lieu d’être ni dans la vie de tous les jours ni dans une enceinte sportive.
À titre personnel et au titre de mes fonctions, je n’ai pas de capacité d’influence. Je pense qu’il existe des gens suffisamment responsables. Ils savent ce qu’ils peuvent faire et ce qu’ils doivent faire. C’est en rassemblant tous ces pouvoirs de décision que nous pourrons revenir à une situation normalisée.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il y a quelques mois, l’ancien président de la FFF, Noël Le Graët, indiquait que le racisme n’existait pas dans le football. Force est de constater, et nous l’avons vu lors d’événements sportifs récents, notamment lors de matchs de football, que des propos racistes sont tenus.
Vous avez une longue carrière dans le monde du football. Avez-vous déjà été témoin de ou confronté à ce type de propos ? Diriez-vous que ce phénomène a augmenté ? Est-il plus visible aujourd’hui dans le monde du football ?
Vous avez évoqué des sanctions. Nous avons auditionné l’association des supporters. Ils sont complètement opposés à l’idée d’arrêter les matchs, car ils sont contre les punitions collectives. Cependant, ce week-end, nous avons constaté que des supporters lyonnais interdits de stade à Lyon pouvaient être au stade à Marseille. Pouvez-vous préciser à quels types de sanctions vous pensez ?
M. Didier Deschamps. Je vais vous répondre, mais les sanctions ne relèvent pas de moi. Je peux vous donner mon avis, mais ce sera l’avis du sélectionneur de l’équipe de France ; or je ne pense pas qu’il relève de mon rôle de donner un avis à ce sujet. Je pense qu’il faudrait des sanctions plus lourdes et plus sévères. Quant à déterminer s’il faut interdire ou non l’accès aux stades et si des supporters interdits d’accès à leur stade peuvent se déplacer ou non dans un autre stade, il existe des gens responsables qui doivent prendre ces décisions, en échangeant avec les différents organismes, les clubs, les associations de supporters, les pouvoirs publics, la Ligue, la Fédération. Cela relève de leur responsabilité.
Concernant le racisme, durant toute ma carrière, j’ai été dans de nombreux vestiaires et stades en France et à l’étranger. En toute sincérité, je n’ai pas été confronté dans le cadre de mon activité sportive à des situations de ce type. Je ne vais pas dire que le racisme n’existe pas dans le football. Le football, qui est un sport très populaire, est un reflet de la société, donc vous allez y retrouver tous les bons côtés et tous les mauvais côtés de la société.
À titre personnel, j’ai malheureusement été victime de racisme, lorsqu’en 2016, ma maison en Bretagne a été taguée. Je peux vous assurer que c’est une violence sans nom, avec des conséquences importantes pour moi et pour ma famille.
En tant que joueur, puis en tant qu’entraîneur et sélectionneur, je me suis toujours élevé contre toute forme de discrimination. Aujourd’hui, on entend certainement beaucoup plus parler de racisme, grâce à la libération de la parole, qui est une très bonne chose en ce qui concerne le racisme et les autres formes de discrimination. Cela permet de lancer des alertes et d’amener des personnes à assumer leurs responsabilités. Évidemment, je ne voudrais pas que le football soit plus stigmatisé qu’une autre discipline sportive. Le monde du sport n’est pas épargné par ces problèmes. Lorsque le racisme arrive dans la sphère footballistique, même ceux qui ne sont pas forcément au courant le perçoivent, car la résonance médiatique est beaucoup plus importante et – comme quand nous rencontrons des succès – le partage d’émotions prend beaucoup de place. Le fait qu’aujourd’hui, les gens ont la possibilité de parler, de communiquer et d’alerter est essentiel. Il est certain que cela était beaucoup moins le cas auparavant.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous dites que durant votre carrière, vous n’avez jamais été confronté à des faits de racisme concernant quelque personne que ce soit autour de vous, qu’il s’agisse d’un sportif ou de quelqu’un dans l’environnement du sport.
M. Didier Deschamps. Oui, je vous le confirme. Je suis l’actualité quotidienne relative aux actes de racisme. Je suis allé dans de nombreux stades, vestiaires et pays, mais, personnellement, je n’ai pas été témoin d’une scène de ce type.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Même si vous n’y étiez pas, on aurait pu vous rapporter des propos ou des paroles.
M. Didier Deschamps. Je préfère ne parler que quand j’ai entendu les choses et que je les ai vues de mes propres yeux. Face à ce qui peut être dit ou écrit, il est difficile de faire la part des choses.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Durant votre carrière, avez-vous été confronté à des violences sexuelles ou sexistes ou à des discriminations en tous genres ?
M. Didier Deschamps. Non, je n’y ai pas été confronté. J’ai été informé de certains agissements qui auraient eu lieu à Clairefontaine ou ailleurs. Au moment des faits, les personnes ne se sont pas exprimées ou ne pouvaient pas s’exprimer. Il est difficile de savoir, à moins d’avoir été présent, mais ce n’est pas mon cas.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lorsque vous avez été informé de cette situation, comment a-t-elle été traitée en interne à la FFF ?
M. Didier Deschamps. Je ne sais pas. Je n’interviens pas dans le traitement de ces dossiers. J’en ai été informé comme le public.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Il s’agit simplement de savoir si vous avez été informé, si vous avez suivi les différents dossiers en cours.
M. Didier Deschamps. Non. J’ai été informé, mais pas directement. Des actions judiciaires sont en cours. Cela ne fait pas partie de mon domaine de compétences. J’ai été informé par les médias. Je ne joue dans ce domaine aucun rôle au sein de la Fédération.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez évoqué le tag sur votre maison en 2016. Je suppose que vous faites référence à la non-sélection de Karim Benzema, qui avait dit : « Deschamps a cédé sous la pression d’une partie raciste de la France. » Pouvez-vous revenir sur cette affaire ?
Pouvez-vous également revenir sur les raisons ayant conduit à la non-participation de Karim Benzema au Mondial au Qatar ? Certains commentateurs ont avancé que la déchirure musculaire dont il avait été victime n’était pas de nature à l’empêcher de participer à certains matchs. Comment répondez-vous à ces propos ? M. Benzema avait-il émis le souhait de participer aux matchs de l’équipe de France ? Quelle a été la teneur de vos échanges ?
Vous avez déclaré dans la presse plus tôt dans l’année : « Quand je me lève le lendemain matin, on me dit qu’il est parti. Il avait décidé de partir par un vol commercial. Je lui envoie un SMS, il m’a répondu quand il a atterri. C’est la vérité, il n’y en a qu’une seule et c’est celle-là […]. Karim m’a dit lui-même qu’il n’aurait pas été prêt. » M. Benzema a commenté ces propos sur Instagram par les mots : « mais quelle audace ». Il vous a implicitement traité de menteur. Comment lui répondez-vous ?
M. Didier Deschamps. Je ne sais pas si le tag sur ma maison est lié ou non à la non‑sélection de Karim Benzema. D’ailleurs, je ne sais pas qui en est l’auteur, puisqu’il n’a pas été identifié.
Je rappelle que je suis sélectionneur de l’équipe de France. Je sélectionne donc des joueurs qui ont la nationalité française. Mes choix sont des choix sportifs. Vous interprétez un peu ce qui a pu être dit ou écrit. Je veux bien entrer dans les détails, mais je ne sais pas si cette audition est le lieu pour refaire l’histoire de ce qui s’est passé lors de la Coupe du monde à Doha. Je me suis exprimé et vous avez repris certains de mes propos. Je reprendrai ma propre formule : « Dans chaque situation, il n’y a qu’une vérité, mais il y a plusieurs versions. » Je ne vous amènerai pas d’éléments pour confirmer que ce que j’ai dit est la vérité. C’est factuel. J’ai dit ce qui s’est passé. Cela s’est déroulé exactement ainsi. Si vous voulez plus de détails, je peux vous communiquer des échanges de SMS, mais je ne pense pas que cela fera avancer les choses.
J’ai une procédure judiciaire en cours contre un journaliste qui s’est permis d’affirmer des choses. La justice rendra son verdict. Je n’ai pas inventé des histoires. Entre ce que vous pouvez lire ou entendre et ce qui s’est passé, à qui allez-vous accorder du crédit ? Lorsque je prends la parole, je ne suis pas là pour faire rire. Je m’exprime sur un point bien précis et je dis ce qui s’est passé, en donnant plus ou moins de détails. Je ne suis pas là pour argumenter, d’autant plus qu’une procédure est en cours, donc je ne peux pas me permettre de donner des éléments détaillés.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La question n’est pas de vous croire ou non. Vous êtes sous serment, donc nous partons du principe que vous dites la vérité.
Lorsque vous avez évoqué la question de la sélection, vous avez dit : « Je sélectionne des joueurs qui ont la nationalité française. » La question portait sur Karim Benzema. N’aurait-il pas la nationalité française ? Pouvez-vous préciser les choses ?
M. Didier Deschamps. J’ai porté le maillot de l’équipe de France. C’est la plus belle chose qui soit arrivée dans ma vie professionnelle. J’ai toujours considéré que la diversité dans le sport, et surtout dans le football, qui est un sport populaire, est une force et une richesse. N’associez pas à Karim Benzema mes propos sur le fait de prendre des joueurs de nationalité française. Il est français, comme tous les joueurs que je sélectionne. Certains joueurs binationaux ont la liberté de choisir un pays plutôt qu’un autre. C’est une liberté qu’ils ont toujours eue. Lorsque je dis que je sélectionne des joueurs qui ont la nationalité française, je parle de mes choix, qui sont des choix sportifs. Je n’ai pas de critère autre que l’aspect sportif pour sélectionner ou non un joueur.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous remercie pour cette précision, qui est importante.
La gestion du plan social qui a eu lieu à la Fédération française de football en 2021 a été très critiquée par l’IGÉSR. Quel est votre avis sur ce plan social ? Comme vous l’avez précisé vous-même, vous êtes salarié de la FFF. Le plan social ne vous concernait pas directement, mais il concernait des salariés de la FFF.
M. Didier Deschamps. Oui, je suis un salarié de la Fédération, mais j’occupe une fonction particulière, donc si vous m’interrogez sur le contenu du plan, je suis incapable de répondre. Le nouveau président Philippe Diallo a aussi engagé un plan social. Je n’ai pas connaissance de son contenu, donc je ne peux pas réagir. Mes propos en début de séance ne visent pas à éluder vos questions. Je ne suis pas impliqué dans le quotidien de la fédération. J’occupe une fonction bien particulière de sélectionneur, qui s’exerce presque exclusivement à l’extérieur du siège. Je reçois évidemment des courriels du personnel. Je ne lis pas tout, parce que je ne suis pas concerné par tout ce qui se passe. Je ne veux pas me différencier des autres, mais en tant que sélectionneur de l’équipe de France, cela ne relève pas de mon ressort ni de mon domaine de compétences. Il appartient aux dirigeants, au président, au vice-président et au comité exécutif de participer à ces décisions. Moi, je reste à ma place de salarié, sachant que je ne suis bien évidemment pas un salarié comme les autres.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Savez-vous à quel moment M. Diallo est devenu vice-président de la Fédération et à quel moment il a intégré le comité exécutif ?
M. Didier Deschamps. Non. Je sais qu’à un moment il a été trésorier, mais je suis incapable de dire quand il est devenu vice-président ou quand il a intégré le comité exécutif. Avant d’être confirmé en tant que président de la Fédération, il a été président par intérim. Je ne dispose pas de ces éléments. En tant que sélectionneur, cette partie ne m’intéresse pas et je n’ai pas été confronté à ces domaines-là.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Est-ce que vous et votre staff avez été gênés dans vos missions par les dysfonctionnements et l’implosion du tandem composé de M. Le Graët et de Mme Hardouin ?
Pourquoi vous et votre staff avez, en quelque sorte, rompu avec Mme Hardouin lors de l’Euro 2021 ?
M. Didier Deschamps. Je rigole, mais je ne devrais pas rigoler, parce que ce que vous dites dans votre deuxième question est grave. Je ne sais pas comment vous pouvez arriver à cette interprétation.
Dans le fonctionnement, M. Le Graët avait délégué à Mme Hardouin des missions relatives à l’équipe de France A masculine. Je ne dirai pas de mal de Mme Hardouin et du temps qu’elle a passé avec nous en équipe de France. C’était une décision du président Monsieur Le Graët. Nous avons connu une période de perturbations lorsque le fonctionnement a changé sur décision du président. Mon maître mot est de m’adapter. Avec mon staff, je me suis bien évidemment adapté.
J’ai oublié la deuxième partie de la question.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Elle concernait les relations avec Mme Hardouin lors de l’Euro 2021.
M. Didier Deschamps. Il s’agit d’une décision du président. Mon pouvoir de décision concerne le choix des joueurs. Personne ne va me dire qui il faut prendre ou qui il ne faut pas prendre. De même, le président décide. Il n’y a aucune démarche de ma part, malgré ce qui a pu être dit ou écrit sur le fait que j’aurais demandé qu’elle ne soit plus avec nous. Il s’agit d’une décision du président de l’époque. Je n’ai pas à la discuter. Aujourd’hui également, si le nouveau président dit quelque chose, je n’ai pas à le commenter. Cela ne relève pas de mon ressort. En tant que président, il prend des décisions. Qu’elles me plaisent ou non, elles sont de son ressort.
Le choix des joueurs m’appartient. Depuis que je suis sélectionneur, j’ai un staff. Je peux proposer les personnes qui sont, à mon sens, les plus compétentes pour travailler à mes côtés, mais si mon président me dit que cela n’est pas possible pour une personne, je ne la prends pas. Comme dans tout domaine professionnel, il existe une hiérarchie. Depuis que je suis sélectionneur, je fais en sorte de rester dans mon domaine. Mon pouvoir de décision concerne les aspects sportifs. Je ne vais pas m’immiscer dans d’autres domaines ne relevant pas de mes compétences, ne serait-ce que par respect pour la hiérarchie, notamment le comité exécutif et la directrice générale. Des changements ont eu lieu récemment parce qu’ils ont été décidés ainsi.
M. Stéphane Buchou (RE). Vous affirmez ne jamais avoir été, durant votre belle et longue carrière, témoin de violences sexuelles ou sexistes, de propos racistes ou homophobes, et en avoir pris connaissance, comme beaucoup d’entre nous, par le biais des médias.
Une fois que vous avez eu connaissance de ces affaires touchant le football et d’autres sports, en tant que sélectionneur de l’équipe de France, avez-vous mis en place, avec l’aide de votre staff, des actions de sensibilisation ? Une fois que ces affaires sont sorties, y a-t-il eu des échanges avec la direction de la Fédération, en l’occurrence son président et sa directrice générale, pour savoir si des actions devaient être menées au sein de l’équipe ? Autrement dit, une fois que tout cela a été connu, est-ce qu’il y a eu des actions particulières ou est-ce que les choses ont continué comme avant ?
M. Didier Deschamps. Il n’est pas facile de répondre. Je vous confirme que dans l’enceinte d’un club ou dans un vestiaire, en tant que joueur et en tant qu’entraîneur, cela ne m’est pas arrivé. Les moments d’immense joie que nous avons connus montrent que le sport et le football ont la capacité de fabriquer des émotions, mais surtout de réunir, au-delà de la diversité. Cela dure le temps que cela dure, mais nous ne sommes malheureusement pas là pour régler les problèmes quotidiens de chaque Français et de chaque Française.
Porter le maillot de l’équipe de France de football est un privilège et un honneur. Cela implique évidemment beaucoup de devoirs. Les joueurs ne sont pas là pour recevoir. Bien évidemment, ils partagent les joies et les émotions lors des succès, mais ils ont des devoirs relatifs à l’image communiquée et à la nécessité d’être de bons exemples pour la jeune génération, ce qui est important pour moi. Je peux vous assurer qu’ils en ont tous bien conscience. Ils ont la liberté de s’engager et ils sont très engagés dans différentes causes, chacun selon sa sensibilité.
L’image qui me tient le plus à cœur et que l’équipe de France doit communiquer est une image d’unité et de solidarité, sur le terrain et en dehors. Ce sont des joueurs français bien évidemment, mais avec des cultures et des histoires différentes. Un mot important dans notre société, même s’il n’a plus beaucoup de place de nos jours, est « tolérance ». Il faut pouvoir accepter la différence.
Dans le vestiaire de l’équipe de France, il n’y a pas eu à intervenir, car le problème n’y existe pas. Le groupe est composé de joueurs différents avec des cultures différentes, des religions différentes, des opinions politiques différentes et des sensibilités différentes. Cela les concerne dans leur quotidien. En équipe, ils se retrouvent pour porter le maillot. L’objectif sportif est le plus important. Lorsque nous partons pour de grandes compétitions, nous vivons en groupe, pendant un mois et demi ou deux mois en comptant la préparation. Au cours de cette période, nous sommes ensemble vingt-quatre heures sur vingt-quatre. En plus de leurs qualités de footballeurs, il est donc important qu’ils soient capables de vivre ensemble. Il n’y a pas de sujet tabou. Depuis que je suis sélectionneur, à aucun moment je n’ai interdit à un joueur de parler d’un sujet. J’ai avec eux des discussions collectives et j’ai des entretiens individuels. Je fais en sorte de les connaître le mieux possible sur le plan humain, pour connaître leurs parcours et leurs histoires.
M. Pierre-Henri Dumont (LR). Merci pour votre présence, pour vos propos, et pour ce que vous avez fait depuis de nombreuses années à la tête de l’équipe de France.
Je pense qu’il ne relève pas du rôle de la commission d’enquête de juger des sélections ou des non-sélections de joueurs. Sans jugement de valeur, les meilleurs résultats lors des grandes compétitions ces dernières années ont été obtenus sans la personne évoquée.
Vous affirmez que lors de votre carrière, vous n’avez pas été confronté à des faits de racisme. Nous savons que l’Italie peut malheureusement être en pointe dans ce domaine, avec parfois, dans les stades, des attaques, des cris de singe, des propos racistes et des chants racistes ou homophobes. Lorsque vous étiez joueur ou entraîneur à la Juventus de Turin, avez-vous été témoin de ce genre de chose ?
Vous dites que vous voulez mieux connaître vos joueurs sur le plan humain. Certains de vos joueurs jouent actuellement en Italie. Le gardien de l’équipe de France, Mike Maignan, qui est dans ce cas, s’est exprimé fortement contre le racisme dont il a fait l’expérience dans les stades. En avez-vous parlé avec lui ? Le poste de gardien de but est un poste compliqué, car il est le dernier rempart de l’équipe. Selon vous, le fait d’être confronté au racisme peut-il avoir une incidence sur les performances des joueurs ?
Votre relation avec l’ancien président de la FFF M. Le Graët était-elle une simple relation d’employeur à employé ? Est-ce qu’une relation un peu plus forte s’est tissée, du fait de votre longévité au poste de sélectionneur ? Nous pourrions le comprendre. Ne pensez-vous pas que M. Le Graët vous a utilisé comme paravent au moment où il était fragilisé, par exemple en vous proposant une prolongation de contrat jusqu’en 2026, alors que la tradition veut que le contrat aille de grande compétition en grande compétition ? La prolongation qui vous a été attribuée à l’issue de la Coupe du monde au Qatar aurait pu, selon les normes habituelles, s’arrêter après le prochain Euro en Allemagne.
M. Didier Deschamps. Concernant le racisme, le nombre d’incidents a beaucoup augmenté ces derniers temps. Je ne sais pas si auparavant, il n’y en avait pas, ou si nous n’en parlions pas. Je réaffirme que dans ma carrière de joueur, je n’ai pas été personnellement et spécifiquement confronté à de telles situations. Aujourd’hui, je ne suis pas déconnecté, je regarde les matchs. Ponctuellement, il y a un problème de racisme.
Vous avez cité Mike Maignan. Vos conclusions sont un peu hâtives par rapport à ses performances, même si vous avez sans doute la capacité de juger de la performance des joueurs. Les joueurs de football ne sont pas des robots, mais des êtres humains. Pour avoir été joueur pendant de longues années, je sais que le manque de confiance et les problèmes dans le domaine privé affectent la performance sur le terrain.
À travers mes discussions en tête-à-tête avec les joueurs, il m’arrive fréquemment d’aborder des sujets qui sortent du domaine sportif. Je le dois au fait d’avoir tissé avec eux une relation de confiance, et ils savent que la discussion reste entre eux et moi. Je ne suis pas là pour les conseiller. Tout au plus, je leur donne mon avis compte tenu de mon vécu et de mon expérience, mais cela reste toujours leur décision, car c’est de leur carrière qu’il s’agit. Il peut arriver qu’ils me demandent ce que j’en pense, mais je réponds toujours que la décision leur appartient.
S’agissant de ma relation avec mon ancien président, Noël Le Graët, depuis le départ, nous avons eu une relation professionnelle. En tant que président, il m’a choisi comme sélectionneur. Au fil des années, à force de se voir et de discuter, une relation autre s’est créée, vu ce que nous avons réalisé ensemble et qui a permis à l’équipe de France les résultats qu’elle a obtenus. Toutefois, je ne l’ai jamais considéré différemment, même s’il m’est parfois arrivé de déjeuner avec lui – on parlait de football. Il est fréquemment venu à Clairefontaine et il était présent à nos côtés lors de toutes les compétitions, toujours pour parler football. Dans mon esprit, il a toujours été mon président. Certains m’ont reproché de dire « mon président », mais il était le président de tous les salariés de la Fédération, comme Philippe Diallo est aujourd’hui mon président. Il m’appréciait et je l’appréciais, nous avions une relation de confiance, mais je ne me suis jamais permis de le tutoyer. Il était toujours le président de la FFF.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Selon nos informations, la prolongation jusqu’en 2026 de votre contrat serait intervenue sans que le comité exécutif ou l’assemblée générale de la FFF soient consultés. Une personne auditionnée par cette commission l’a dit. Pouvez-vous revenir sur les conditions de la prolongation ? La personne auditionnée a dit que M. Le Graët vous avait reçu et avait indiqué qu’il souhaitait prolonger votre contrat alors qu’il n’avait pas demandé l’avis du comité exécutif ou de l’assemblée générale de la FFF.
M. Didier Deschamps. Je ne peux pas vous dire si le président doit aviser le comité exécutif. Cela n’est pas de mon ressort.
L’assemblée générale a été avisée, puisqu’elle s’est tenue le lendemain ; elle compte 600 membres, incluant le monde du football amateur. Le président voulait annoncer ma prolongation à l’occasion de cette assemblée générale. Je participe régulièrement aux assemblées l’hiver. L’été, je suis aux championnats d’Europe ou en Coupe du monde.
Concernant la prolongation, si les choses s’étaient passées comme elles se sont toujours passées depuis que je suis sélectionneur, je n’aurais pas eu besoin d’une prolongation de contrat, puisque celle-ci était toujours prévue avant que je ne parte en compétition. Cela a été le cas en 2014, en 2016, en 2018 et en 2021. En effet, le président tenait compte du fait que pour un sélectionneur qui part en compétition, savoir qu’il va s’arrêter après la compétition rend la gestion et le management des joueurs plus difficile. Vous allez rétorquer que cela ne nous a pas empêchés d’être vice-champions du monde au Qatar. Et en effet, les joueurs savaient très bien qu’après cette compétition, je n’avais plus de contrat. Cette situation a amené à une prolongation, qui relève de la décision du président. Ce dont vous parlez, il l’a fait les années précédentes. Là, il ne l’a pas fait. Je pense que vous pourrez lui demander directement pourquoi il a modifié sa position avant la Coupe du monde. Il vous répondra.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous nous avez dit que vous n’aviez jamais assisté à des faits de racisme dans le football. Si je cite le nom de Joseph-Antoine Bell, est-ce que cela vous rappelle quelque chose ?
M. Didier Deschamps. Oui, j’ai eu l’occasion de jouer au moins une année avec lui aux Girondins de Bordeaux.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous rappelez-vous que lors d’un match au stade Vélodrome, des bananes lui ont été lancées ? Vous étiez sur le terrain.
M. Didier Deschamps. J’y étais, c’est vrai, maintenant que vous le dites. J’ai commencé le football professionnel en 1985. J’ai participé à beaucoup de matchs dans des stades. Je jouais des matchs tous les trois jours. Il est possible qu’il y ait eu à un moment un incident dans un stade. Quand je dis que je n’y ai pas été personnellement confronté, je veux dire au cœur de mon activité, que ce soit en tant que joueur, dans un vestiaire, du fait d’un problème entre deux joueurs d’origines différentes, ou en tant qu’entraîneur et sélectionneur.
Je me suis peut-être mal exprimé. Cela a pu arriver dans l’enceinte d’un stade ou autour d’un stade alors que j’étais présent. Je ne minimise pas l’impact que cela a pu avoir et l’importance que cela prend aujourd’hui. Je parlais vraiment de mon environnement proche, qui concerne le vestiaire et l’équipe.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lorsque j’ai posé la question, l’objectif était de savoir si vous aviez été témoin de faits de racisme dans le football. Je pense que nous trouverons d’autres exemples. Lors des auditions de certains sportifs, ce qui revient régulièrement est le fait qu’ils sont laissés seuls face à ce qu’ils subissent en tant que sportifs, lorsque surviennent des cris de singe, des jets de bananes ou des chants homophobes. Il est demandé aux sportifs de porter plainte seuls, sans accompagnement de la Fédération. Nous évoquons aujourd’hui avec vous le football, mais cela concerne d’autres disciplines.
De votre point de vue, devrait-il y avoir un dispositif ou un accompagnement pour ces sportifs à qui il est demandé de performer sur le terrain alors qu’ils y subissent parfois des propos racistes auxquels ils n’ont pas forcément le réflexe de réagir ? N’est-il pas envisageable de se constituer partie civile et de porter plainte systématiquement ? En tant que sélectionneur, vous avez des joueurs sous votre responsabilité.
M. Didier Deschamps. Cela peut être envisagé. Les joueurs ont la liberté de porter plainte et il me semble logique qu’ils soient accompagnés. Lorsque je dis que je m’élève contre toute discrimination, il s’agit d’un principe que je m’applique d’abord à moi-même. Bien évidemment, des choses doivent être améliorées. Mais il appartient à chacun, selon son ressenti, d’aller ou non jusqu’à engager des actions en justice. Les instances jouent évidemment un rôle important.
Lorsque de tels faits surviennent, je vous assure qu’en interne, les joueurs font preuve de soutien et de solidarité, mais cela ne peut pas aller au-delà. Il relève de la responsabilité des institutions de les accompagner et de réduire, puis d’éradiquer ce problème le plus tôt possible.
M. François Piquemal (LFI-NUPES). Vous avez dit, et je vous rejoins, que, dans notre pays, l’équipe de France de football est plus que l’équipe de France de football. Vous y avez votre part de responsabilité, de manière heureuse, car la victoire à la Coupe du monde de 1998 a créé de nouvelles attentes sociétales et sociales au sujet de l’équipe de France.
Nous l’avons constaté lors de différents épisodes. Nous nous souvenons tous de Knysna et des problèmes au niveau sportif, évidemment, mais également de l’intervention de personnalités politiques dans ce qui aurait pu rester un épiphénomène sportif.
Depuis que vous avez repris l’équipe de France, elle est revenue au centre du football mondial, avec la victoire de 2018 et les excellents résultats depuis cette date. En vous écoutant, j’ai l’impression que vous ne sortez pas de votre rôle de sélectionneur. Cependant, aux yeux de beaucoup de personnes, vous êtes plus que cela. Vous êtes une figure nationale connue, populaire, discutée et critiquée, comme toutes les personnes publiques. Or vous vous placez dans une position de subordination. Elle est certainement réelle au vu de votre contrat ; cependant, je pense que votre nom sera parmi les premiers à sortir si nous demandons à tout un chacun qui représente la FFF.
Face aux cas de racisme, d’homophobie, de discrimination et de violences sexuelles et sexistes en tous genres, alors que la parole se libère et qu’un sentiment d’urgence se manifeste, comme nos auditions le montrent, votre rôle n’est-il pas d’être plus qu’un sélectionneur ? Ne faut-il pas donner plus de visibilité, au niveau de l’équipe de France masculine, à des actions contre le racisme, contre l’homophobie et contre les violences sexuelles et sexistes ?
M. Didier Deschamps. Vous êtes un peu déconnecté ! Les joueurs de l’équipe de France sont amenés à faire des actions, collectivement ou à titre personnel, la dernière en date ayant été organisée avec les Restos du Cœur. Cela dit, il existe beaucoup d’associations : les joueurs sont impliqués, mais il est impossible de répondre à toutes les sollicitations.
Évidemment, au-delà du sport, le football joue un rôle sociétal. En cas de victoire, tout va bien. Cela a duré beaucoup plus longtemps en 1998 qu’en 2018. Mais nous n’allons pas régler les problèmes du quotidien.
J’occupe la fonction de sélectionneur de l’équipe de France, qui s’accompagne d’une responsabilité que j’assume. Je prends des décisions et j’ai des principes, qu’on les aime ou non. Je suis avant tout un citoyen français. À ce titre-là, j’ai la liberté de m’exprimer ou non. Vous ne m’entendez jamais parler de politique depuis que je suis dans le milieu du sport. Cela ne signifie pas que je n’ai pas d’idées ou de convictions, mais j’estime, peut-être bêtement, que ce n’est pas mon rôle de les exprimer. J’occupe un rôle dans le domaine du sport. Lorsque je m’exprime devant vous, ce n’est pas le citoyen qui parle et dont certaines phrases seront reprises ou interprétées. J’ai bien conscience du fait que je m’exprime en tant que sélectionneur de l’équipe de France et que mes propos n’engagent pas que moi. Je dissocie ma vie professionnelle et ma vie privée. C’est mon choix. J’ai cette liberté.
S’agissant des joueurs, à titre personnel aussi, je m’investis. J’ai une certaine sensibilité. Lorsqu’il m’a été demandé de participer à un film sur l’homophobie, je l’ai fait, mais si on me demande de participer à des actions tous les trois mois, je ne peux pas. Je m’engage particulièrement dans une cause qui me tient à cœur, celle des enfants. Je participe à des actions telles que l’opération Pièces jaunes, parfois sans médiatisation. Je ne dis pas que les autres causes ne méritent pas d’être défendues, au contraire, mais j’agis beaucoup pour cette cause, car la chose la plus importante pour moi, c’est le sourire d’un enfant. Ils ont tous le droit de sourire, mais malheureusement ils ne le peuvent pas tous. Je ne vais pas résoudre tous les problèmes, mais j’y accorde le temps que je peux et je mets à profit ce que ma fonction me permet.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous l’avez dit, le sport n’a pas de couleur politique. Ce groupe de travail est transpartisan. Toutes les colorations politiques de l’Assemblée nationale y sont représentées, à part le RN qui a souhaité quitter la commission d’enquête.
Concernant les discriminations, M. Le Graët s’était prononcé contre le port d’un brassard de soutien à la cause LGBT, craignant de faire passer les joueurs pour des donneurs de leçons. Étiez-vous personnellement favorable au port de ce brassard ? En avez-vous discuté avec M. Le Graët ? Avez-vous regretté que la Fifa décide finalement d’interdire le port d’un tel brassard, au motif qu’il n’était pas fourni par elle ?
M. Didier Deschamps. Lors d’un match de Ligue des nations, toutes les équipes nationales et tous les capitaines s’étaient mis d’accord, et l’UEFA avait décidé du port du brassard arc-en-ciel. Nous avons été abandonnés avant la Coupe du monde. La responsabilité appartient aux instances. Certaines décisions n’ayant pas été prises, chacun se positionnait librement, jusqu’au tout début de la compétition, où nous avons été confrontés à ces sujets.
Lorsque la décision d’organiser la Coupe du monde au Qatar a été prise, en 2010, je n’étais pas sélectionneur et M. Le Graët n’était pas président de la Fédération. Vu l’importance de cette compétition, des sujets non sportifs ont été abordés et il a été demandé aux acteurs de prendre position dans ces domaines, où les sensibilités diffèrent selon les pays et les cultures. En Coupe du monde et en championnat d’Europe, les équipes doivent suivre les recommandations de la Fifa. Les actions collectives et générales sont préférables pour avoir le plus d’impact possible.
Je n’avais pas connaissance de tous ces éléments. Je peux vous assurer qu’avant une grande compétition, je m’occupe de suffisamment de choses en interne et les journées sont parfois déjà trop courtes.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. En mars 2022, soit huit mois avant la Coupe du monde de football au Qatar, Yoann Lemaire a rencontré à Clairefontaine les joueurs de l’équipe de France. Il s’agissait de tourner un clip contre l’homophobie dans le football. Seuls trois joueurs auraient accepté : Jonathan Clauss, Jules Koundé et Hugo Lloris. Les autres joueurs n’auraient pas souhaité participer.
M. Didier Deschamps. C’est archifaux. Au niveau de l’équipe de France, c’est la Fédération qui décide. Les joueurs ne décident pas à titre individuel, puisqu’ils portent le maillot. Et si nous devions faire des clips et des photos pour toutes les associations, nous n’aurions plus le temps nous entraîner et de jouer. Pour ce clip, M. Lemaire a eu trois joueurs. Ce n’est pas que les autres n’ont pas voulu participer. Nous ne le leur avons pas interdit. Certains avaient d’autres obligations et répondaient à d’autres sollicitations. Parmi les trois joueurs en question figurait tout de même Hugo Lloris, capitaine de l’équipe de France. Les autres joueurs n’étaient pas contre, mais ils sont investis dans d’autres associations. Aucun joueur ne va dire que l’homophobie ne l’intéresse pas.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie pour votre réponse et pour la nuance que vous y apportez.
M. Didier Deschamps. J’ai été joueur. Aujourd’hui, évidemment, les joueurs jouent un rôle sociétal. Ils reçoivent un grand nombre de sollicitations des associations. Heureusement qu’elles existent et toutes méritent d’être défendues, mais nous ne pouvons pas toujours faire plaisir à tout le monde.
De même, lorsque nous organisons un entraînement ouvert à Clairefontaine, l’accès est limité, donc il y aura toujours une personne qui n’aura pas pu obtenir l’autographe de Kylian Mbappé. Pour cette personne, c’est scandaleux. Toutefois, les joueurs y passent le temps qu’ils peuvent. Ils ont d’autres obligations. Il est impossible de satisfaire tout le monde.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. S’agissant du tournage du clip M. Lemaire a qualifié les propos d’Hugo Lloris de « surréalistes » et, lors de son audition, de « très surprenants ». Leur teneur aurait poussé la FFF à ne pas diffuser le clip. Selon M. Lemaire, Hugo Lloris aurait déclaré que certaines insultes homophobes répandues dans les tribunes appartenaient au langage du foot. Avez-vous eu connaissance de ces propos ? Comment les avez-vous accueillis ? Ce clip n’a-t-il finalement pas été diffusé ?
M. Didier Deschamps. Je n’ai pas eu connaissance du contenu du tournage. Je ne gère pas cette partie-là. Je ne veux pas fuir votre question. Je connais bien Hugo Lloris, notamment ses qualités de gardien de but, mais également l’être humain qu’il est, avec une belle famille et des valeurs. Toutefois, je ne sais pas ce qu’il a pu dire. Il est difficile de réagir à des propos qui ont été rapportés.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je précise que cela a été raconté par M. Lemaire lors de son audition par cette commission, alors qu’il était sous serment. Il ne s’agit pas de propos rapportés de l’extérieur.
M. Didier Deschamps. Je m’exprime également sous serment. Je ne suis pas là pour mentir. Il vous a dit cela, mais je ne peux pas vous dire ce qu’il s’est passé. Ce n’est pas de mon ressort. Je ne connais pas le contenu de l’intervention d’Hugo Lloris. Je n’aurais même pas été incapable de nommer les trois joueurs concernés.
Parmi les salariés de la Fédération, au-delà du staff qui exerce au quotidien en stage avec moi, il existe un staff élargi, qui travaille notamment sur le marketing. Nous sommes sollicités par énormément d’associations. Des choix sont faits. Ils sont peut-être injustes et critiquables. Pourquoi cette association ? Pourquoi pas une autre ? Pourquoi telle école a été invitée plutôt qu’une autre ? Lorsque les enfants sont là, nous sommes contents, nous pouvons leur donner le sourire et nous essayons de faire le mieux possible, au nom de l’image que nous devons renvoyer à la jeune génération. Parfois, nous commettons des impairs. Les joueurs ont le droit à l’erreur, alors ils s’excusent et je fais en sorte d’en discuter avec eux. Je fais la différence entre le fait de tout mettre en œuvre pour être un bon exemple et le fait d’être exemplaire. Je n’utilise pas ce dernier terme, car je ne connais personne qui fait tout parfaitement et qui n’a jamais commis d’erreur. Les joueurs peuvent commettre des erreurs sans pour autant être de mauvaises personnes.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous l’entendons tout à fait. L’objectif de cette commission d’enquête est d’identifier les dysfonctionnements relatifs aux différents sujets abordés, à savoir les violences sexuelles et sexistes, le racisme, les discriminations, l’homophobie. L’objectif est d’étudier comment travailler avec le mouvement sportif dans son ensemble pour remédier à la situation. Sur la question du racisme et de l’homophobie, le football est particulièrement touché, notamment parce qu’il compte plus de deux millions de licenciés. L’objectif est d’identifier des solutions pour avancer. Il pourrait s’agir de sanctions plus sévères, de la prévention ou de temps d’échange avec les joueurs et les associations de supporters. Nous essayons de travailler sur cela pour avancer.
M. Didier Deschamps. Très bien. Je ne remets pas en cause votre travail. Il y a certainement besoin de prévention, de sanctions plus importantes et d’une participation des sportifs. Je ne saurais pas affirmer qu’il existe plus de problèmes dans le monde du football ; mais lorsqu’il arrive quelque chose dans le football, tout le monde en a connaissance et tout le monde en parle. Je ne sais pas s’il existe plus ou moins de difficultés dans d’autres disciplines sportives.
Les événements à Marseille que vous avez évoqués ont eu lieu un dimanche soir, à l’occasion d’un match télévisé et très attendu opposant deux grands clubs français. La résonance médiatique est importante et l’événement prend beaucoup de place. Est-ce que cela prendrait la même place dans d’autres disciplines ? Je ne le pense pas, alors qu’il y existe certainement autant de problèmes que dans le football.
M. Stéphane Buchou (RE). En septembre 2020, Noël Le Graët a déclaré qu’il n’y avait pas de racisme dans le football. Comment avez-vous réagi à ce moment-là en tant que sélectionneur ? J’ai bien entendu que vous dissociez le sportif du sélectionneur.
M. Didier Deschamps. Oui, à tort ou à raison. J’applique encore ce principe aujourd’hui, et je l’ai clairement réaffirmé lorsque M. Philippe Diallo a été officialisé en tant que président. Par principe, lorsque le président s’exprime, je n’ai pas à commenter ce qu’il dit. Je peux avoir mon propre avis, mais en tant que sélectionneur, le président est mon patron. Je n’ai pas à commenter ce que peut dire mon patron. Maintenant, si vous me demandez s’il existe du racisme dans le football, je répondrai ce que j’ai répondu précédemment. Pourquoi n’y en aurait-il pas ? Comme je l’ai dit, on retrouve dans le sport tout ce qui existe dans la société. Évidemment, il y a du racisme, et certainement trop, car un seul incident est un incident de trop. Par principe, je n’ai pas à commenter les sorties médiatiques de mon supérieur hiérarchique. J’estime que cela n’est pas mon rôle.
M. Stéphane Buchou (RE). C’est entendu. Je vous posais aussi cette question car vous avez dit que vous vous concentriez sur les aspects sportifs – encore bravo pour tous les résultats obtenus dans ce domaine – et que je pense que les déclarations de ce type peuvent avoir un impact sur les performances sportives des personnes concernées par ce genre d’acte.
J’ai déjà posé la question suivante à une personne qui a été auditionnée et qui est aussi l’un des glorieux vainqueurs de la Coupe du monde de 1998. Compte tenu des sujets que nous avons abordés et de ceux dont s’est emparée cette commission d’enquête, si vous deveniez président de la FFF, quelles seraient les mesures à prendre pour ne plus avoir, à terme, à évoquer ces sujets ?
M. Didier Deschamps. Je ne peux pas répondre, parce que je ne le serai pas. J’ai la fonction de sélectionneur et j’y suis épanoui, parce que j’ai eu l’opportunité de faire de ma passion mon métier. Je n’ai jamais pensé qu’il s’agissait d’un travail. Occuper un rôle politique ne correspond ni à mes envies, ni à mes désirs, ni à mes compétences.
Beaucoup de choses ont déjà été faites, notamment pour le football amateur, qui est essentiel : sans football amateur, le football professionnel n’existe pas. Est-il possible d’en faire plus ? Oui. Le président Philippe Diallo et le comité exécutif ont présenté un plan sociétal. Il est toujours possible de faire plus. Des sommes colossales sont attribuées. Est-ce suffisant ? Certainement pas. Il est toujours possible de s’améliorer. Cependant, je ne peux pas laisser dire que rien n’a été fait. Des choses ont été faites. Elles ont peut-être été mal faites et elles auraient peut-être pu être faites différemment. Compte tenu du nombre de licenciés et de clubs, la FFF a une responsabilité importante concernant différents sujets sociétaux, avec pour locomotive les équipes de France A, masculine et féminine.
Je n’ai pas la capacité de jouer un rôle dans ce domaine, et je ne pense pas que je l’aurai à l’avenir. Cela ne m’attire pas et je ne pense pas en avoir les compétences.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie pour votre présence. Il est dommage de ne pas avoir pu prolonger ces échanges d’une demi-heure ou d’une heure, car je vous sentais bien chaud pour répondre à toutes nos questions et de plus en plus à l’aise.
M. Didier Deschamps. Je ne suis pas chaud, je suis calme ; et oui, je suis à l’aise !
Mme la présidente Béatrice Bellamy. J’espère que vous garderez un bon souvenir de cette audition. Si tel est le cas, n’hésitez pas à inviter toutes les personnes présentes au prochain match de l’équipe de France. Nous nous ferons un plaisir de vous y rejoindre.
M. Didier Deschamps. Pour cela, il faut passer par mon président ! Je vous remercie aussi. Je me souviendrai de cette audition, car je n’étais encore jamais venu dans ce contexte. J’espère que vos conclusions amèneront des améliorations dans les différents domaines que vous étudiez.
La commission auditionne M. Florian Grill, président de la Fédération française de rugby (FFR), et M. Laurent Gabbanini, directeur général.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Chers collègues, nous accueillons à présent M. Florian Grill et M. Laurent Gabbanini, respectivement président et directeur général de la Fédération française de rugby (FFR). Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité.
La commission d’enquête relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif en tant qu’elles ont délégation de service public (DSP) a entamé ses travaux le 20 juillet dernier.
L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques, par des sportives et des sportifs, de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.
Nos travaux suivent trois axes : les violences physiques, sexuelles et psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales, les problèmes de gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif.
Monsieur le président, vous intégrez le comité directeur de la FFR en décembre 2016, puis êtes élu en juin 2017 président du comité Île-de-France de rugby, qui deviendra la ligue régionale Île-de-France de rugby du fait de la réforme territoriale de la FFR. Vous prenez cette présidence alors que le président de la FFR de l’époque, M. Bernard Laporte, soutenait la liste concurrente, menée par M. Jean-Loup Dujardin.
En octobre 2020, vous menez une liste d’opposition pour l’élection au comité directeur de la FFR, face à celle de Bernard Laporte.
En janvier 2023, vous quittez le comité directeur de la FFR, de même que l’ensemble des élus de votre liste, à la suite de la démission du président Laporte.
En votre qualité de président de la ligue régionale Île-de-France de rugby, vous continuez à siéger au comité directeur de la FFR, sans voix délibérative. Vous réintégrez le comité directeur en mai 2023, lors d’une élection partielle, et êtes élu président de la FFR le 14 juin 2023.
M. Gabbanini, vous êtes directeur général de la FFR depuis janvier 2017. Vous avez été nommé par Bernard Laporte, après son élection, à la tête de la FFR en décembre 2016. Fin septembre 2023, la FFR a annoncé votre départ d’ici la fin de l’année 2023.
Dans un bref propos liminaire, pourriez-vous tous deux commencer par revenir sur les affaires relatives à la gouvernance de M. Bernard Laporte, qui ont marqué l’actualité de la FFR ?
Vous étiez respectivement membre du comité directeur et directeur général de la Fédération lorsque l’affaire Laporte-Altrad a éclaté. De quelles informations avez-vous eu connaissance ? Comment avez-vous réagi aux faits graves portés à la connaissance du comité directeur en 2017 ?
Monsieur le président, l’image de la FFR a été particulièrement écornée par ces affaires et vous avez conduit une liste d’opposition à M. Laporte en octobre 2020, qui n’a pas recueilli une majorité des suffrages. Quelles étaient vos propositions pour renforcer la probité et la prévention des conflits d’intérêts au sein de la FFR ? Qu'en est-il de leur mise en œuvre depuis votre élection à la présidence de la FFR en juin 2023 ?
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.
Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Je vous invite donc, chacun à votre tour, à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(M. Florian Grill et M. Laurent Gabbanini prêtent successivement serment.)
M. Florian Grill, président de la Fédération française de rugby. Je suis un jeune président de fédération, en poste depuis seulement quatre mois et demi. Néanmoins, j’ai siégé dans l’opposition au comité directeur de la FFR.
Je ne souhaite pas réellement commenter les affaires de justice évoquées. Je peux simplement expliquer ma position, en tant que membre du comité directeur.
J’ai d’abord considéré que la FFR se devait de se porter partie civile dans ce procès, pour, le cas échéant, se défendre. Elle a effectivement eu à le faire après plusieurs demandes en ce sens.
Je me suis, par la suite, étonné, après la condamnation de Bernard Laporte en première instance, que les frais de justice liés à ce procès n’aient pas été remboursés à la FFR. Je pouvais comprendre que ces frais de justice aient pu être avancés, mais je considérais que, après une condamnation en première instance, il était nécessaire de les rembourser immédiatement.
Lorsque j’ai été élu président de la FFR, le 14 juin 2023, j’ai appris que, le même jour, avait été signé un protocole avec Bernard Laporte, lui permettant de rembourser ces frais, au terme potentiel du procès. Il m’appartient donc d’honorer la signature de la FFR, mais j’ai fait savoir que le principe d’un tel protocole ne m’agréait pas.
S’agissant du contenu des affaires, j’ai fait campagne sur le fondement d’un projet positif pour le rugby français : transformer la FFR en fédération à mission, en assumant évidemment son rôle sportif, mais également une fonction éducative. Je pense que le rugby a beaucoup de choses à apporter à la société.
Ce sport est né à l’école et a été inventé pour ses vertus pédagogiques. Mon souhait est donc de voir le rugby et ses valeurs fortes se diffuser au sein de la société.
Le rugby doit également pouvoir assumer un véritable rôle citoyen, avec le développement de sections de rugby adaptées pour des jeunes en situation de handicap, ou encore de sections de rugby santé pour des femmes en rémission du cancer du sein. L’idée est également d’intégrer les quartiers prioritaires de la ville ou les zones de revitalisation rurale, afin de lutter contre les discriminations.
L’équipe qui m’entoure et moi-même avons la ferme volonté de transformer la FFR en fédération à mission, en lui conférant ce triple rôle sportif, éducatif et citoyen.
M. Laurent Gabbanini, directeur général de la Fédération française de rugby. Je souhaiterais dire, en préambule, que je me réjouis d’être auditionné par la représentation nationale ce jour.
Les fédérations sportives jouent un rôle majeur dans la société, comme le président Grill l’a rappelé à l’instant. C’est en tout cas notre mission et notre objectif que de dépasser le seul apprentissage du sport, afin de contribuer humblement à l’éducation à la citoyenneté et aux valeurs.
Notre sport, le rugby, porte en son sein, par nature, des valeurs qui se trouvent ou qui devraient se trouver dans le champ républicain. Ce constat nous confère une responsabilité. Cette responsabilité est d’ailleurs activée par le contrat d’engagement républicain que nous avons signé, et par la DSP qui nous lie au ministère des sports.
Je précise que je ne suis devenu directeur général qu’en juillet 2021. J’étais auparavant, depuis janvier 2017, directeur général adjoint.
Vous évoquez une affaire qui a effectivement défrayé la chronique. Cette période a été particulièrement longue et compliquée, puisque l’affaire Laporte-Altrad a éclaté en août 2017. À partir de ce moment, la FFR a souvent été évoquée au prisme de cette affaire, qui impliquait personnellement le président de la Fédération de l’époque, en l’occurrence Bernard Laporte.
Cette période était d’autant plus compliquée que nous mettions par ailleurs en œuvre un projet susceptible de donner lieu à des controverses, dans la mesure où nous évoluons dans un champ très démocratique, où s’expriment une majorité et une opposition, ce qui est très sain. Notre projet était relativement réformateur, tant sur le plan statutaire – il entendait apporter davantage de démocratie interne – que des points de vue sportif et éducatif.
Cette affaire, survenue seulement quelques mois après la prise de présidence de M. Laporte, n’a pas été facile à traiter. Nous avons néanmoins été obligés de surmonter cette difficulté, ce qui n’a pas empêché la FFR de se développer, d’augmenter le nombre de ses licenciés et de ses partenariats et de bâtir une candidature pour la Coupe du monde, qui s’est soldée positivement par l’événement que nous venons de vivre.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je voudrais revenir sur quelques questions qui ont été posées par la présidente Bellamy dans son introduction.
À la suite de la signature en 2018 du contrat de sponsoring liant le groupe Altrad et la FFR, Altrad est devenu le premier sponsor maillot de l’équipe de France de rugby. À notre connaissance, ce partenariat est toujours en vigueur. Pouvez-vous nous le confirmer et nous expliquer pourquoi ? Au vu des conditions dans lesquelles il a été conclu, ce partenariat ne porte-t-il pas atteinte à l’image de la FFR ?
M. Florian Grill. Ce partenariat n’est plus en vigueur. Un nouvel appel d’offres a été publié. Cet appel est parfaitement cadré et prévoit la possibilité pour plusieurs entreprises de faire apparaître leurs marques sur le textile, à savoir sur le devant ou sur le dos du maillot, ou sur le short. Plusieurs candidats se sont manifestés, parmi lesquels figure la société Altrad.
La choisir comme partenaire à l’issue de cette procédure porte-t-il atteinte à l’image de la FFR ? Je rappelle qu’une condamnation en première instance a été prononcée. Il ne s’agit donc pas d’une condamnation définitive. Dès lors que l’appel d’offres a été dûment mené, il n’était pas illégitime que la société Altrad puisse devenir partenaire de la FFR, par le biais du contrat maillot.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ce n’est donc plus le même partenariat qui est en vigueur. Un nouvel appel d’offres a été organisé.
M. Florian Grill. Effectivement, il s’agit d’un nouvel appel d’offres, lancé avant ma prise de présidence de la FFR. La décision de choisir un partenaire textile pour le devant de maillot, le dos de maillot et le short est également intervenue préalablement à mon élection à la présidence.
L’appel d’offres a été réalisé dans les règles de l’art. Il n’y avait donc pas de raison rationnelle de refuser la candidature d’une société bénéficiant de la présomption d’innocence.
En outre, s’agissant de la condamnation en première instance de Bernard Laporte, j’ai également toujours respecté la présomption d’innocence. Je n’ai pas changé de position. J’avais seulement contesté la prise en charge des frais d’avocat de M. Laporte par la FFR et le fait qu’ils n’aient pas été remboursés une fois prononcée sa condamnation en première instance.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Une convention a été conclue entre la FFR et M. Laporte, prévoyant une avance de ses frais d’avocat et leur paiement par la FFR, dans l’hypothèse où M. Laporte ne serait pas condamné en appel.
Pouvez-vous nous confirmer que cette convention a été signée après le 13 décembre 2022, soit après la condamnation en première instance de M. Laporte ?
M. Laurent Gabbanini. Je me permets de préciser, en réponse à la question précédente, que le contrat de partenariat en vigueur que nous avons passé avec le groupe Altrad est toujours le premier contrat, qui arrive à échéance le 31 décembre 2023. Le nouveau contrat débutera le 1er janvier 2024. Nous sommes donc dans une phase de transition entre l’ancien et le nouveau contrat.
Concernant les frais d’avocat, des décisions formelles ont été prises par le bureau fédéral, qui s’est réuni en septembre 2022, à deux reprises, afin de décider de l’activation de la protection fonctionnelle, sous réserve d’une absence de condamnation en dernière instance. Cela exclut du périmètre de prise en charge de l’avance des frais d’avocat de M. Laporte et de M. Simon – qui était alors vice-président – tout acte accompli en dehors du cadre de leurs mandats respectifs de président et de vice-président.
La convention que vous évoquez a été signée postérieurement au rendu du jugement de première instance et permet de recouvrer les frais d’avocat. Nous avons en effet adressé à M. Laporte, dès le mois de janvier 2023, une lettre de recouvrement, afin de lui demander le remboursement de ses frais d’avocat. Ses avocats nous ont répondu par la négative, arguant du fait qu’ils souhaitaient attendre le jugement de deuxième instance, puisqu’ils avaient fait appel du jugement de première instance.
L’avocat de la FFR a alors proposé cette convention, qui constitue une forme de reconnaissance de dette. À l’époque, le bureau fédéral avait le choix entre une procédure en recours contentieux à l’encontre de M. Laporte, dans le but de recouvrer ses frais d’avocat, et l’obtention d’une forme de reconnaissance de dette devant notaire. C’est cette deuxième solution qui a été retenue. Cette convention a finalement été signée au mois de juin 2023, juste avant l’élection de M. Grill.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La convention relative à l’avance des frais est donc votée avant la condamnation, mais signée après.
M. Laurent Gabbanini. Le principe en est voté avant la condamnation. La forme d’obligation pour M. Laporte de rembourser ces frais en cas de condamnation définitive est signée après cette condamnation.
M. Florian Grill. En tant que membres du comité directeur, nous n’avions pas connaissance de cette convention, qui a été votée par le bureau fédéral et non par le comité directeur.
En revanche, lorsque nous avons eu connaissance de cette convention – qui ne couvre pas forcément les frais encourus pendant les premières années de l’affaire, puisque cette dernière a démarré en 2017 –, nous avons demandé que la FFR se porte partie civile dans le procès puis, lorsque la condamnation en première instance a été matérialisée, qu’il soit procédé au remboursement des frais d’avocat.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. À votre prise de fonction, vous n’aviez donc pas connaissance de cette convention ?
M. Florian Grill. Deux conventions existent. Une première convention a été votée par le bureau fédéral, qui prévoyait la prise en charge des frais d’avocat. Le comité directeur n’était pas au courant de cette convention.
Par la suite, le 14 juin 2023, date de mon élection à la présidence de la FFR, une deuxième convention est intervenue, permettant à Bernard Laporte de régler ses frais d’avocat, au terme du deuxième appel en cours. Il existe donc deux conventions différentes.
M. Laurent Gabbanini. La première convention est une convention d’honoraires. Il s’agit d’une autorisation donnée par le bureau, par vote, de couvrir l’avance des frais d’avocat. Nous avons effectivement validé le paiement des frais d’avocat, pour M. Laporte et pour M. Simon, pour le cas où ils ne seraient pas condamnés.
La deuxième convention a pour objet le recouvrement des frais d’avocat avancés, à la suite de la condamnation du 13 décembre 2022. À cet égard, la FFR s’est heurtée à une réponse négative des défenseurs de M. Laporte. Une solution devait donc être trouvée, afin de pouvoir recouvrer l’ensemble de ces frais.
Plutôt que d’engager un contentieux long, lourd et potentiellement inefficace, nous avons décidé, avec l’avocat de la FFR, de demander une reconnaissance de dette officielle à M. Laporte, afin qu’il puisse rembourser ses frais d’avocat, si toutefois il était condamné en appel.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je parlais, pour ma part, de la convention qui concernait l’avance des frais d’avocat. Cette convention a-t-elle bien été votée en novembre 2022 et signée après le 13 décembre 2022, donc après la condamnation en première instance ?
M. Laurent Gabbanini. La décision de conclure cette convention est bien antérieure à la condamnation. Dès que le bureau fédéral a pris cette décision – les procès-verbaux du bureau fédéral sont également lus en comité directeur, ce qui leur confère une force exécutoire –, nous avons eu l’autorisation d’avancer ces frais d’avocat. Nous avons signé des conventions d’honoraires avant la condamnation.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez donc signé la convention d’avance de frais avant la condamnation. Pourriez-vous nous transmettre les documents afférents ?
Mme la présidente Béatrice Bellamy. La FFR dispose d’une commission de discipline, de même que la Ligue nationale de rugby (LNR) et que ses instances régionales. La FFR a-t-elle mis en place un dispositif de suivi des décisions prises par les commissions disciplinaires de première instance et d’appel ?
M. Laurent Gabbanini. Effectivement, comme toutes les fédérations, nous sommes dotés de commissions de discipline. Suivant le règlement sportif général, les décisions de notre commission de discipline peuvent faire l’objet d’un appel. Dans un tel cas, une commission d’appel interne à la Fédération intervient.
Si un nouvel appel survient, le dossier est porté devant la chambre des conciliateurs du Comité national olympique et sportif français.
Un suivi précis des décisions prises se met en place, car elles sont exécutoires dans le champ disciplinaire sportif. Elles sont immédiatement mises en application, si elles ne sont pas frappées d’appel.
De son côté, le comité d’éthique et de déontologie du rugby français est commun à la FFR et à la LNR. Il s’agit d’un organe régalien et statutaire, qui a été activé aux alentours de 2017. Ce comité est composé de sept membres, dotés de compétences différentes. Une partie de ses membres sont conseillers d’État et mettent à son service leurs compétences juridiques. D’autres compétences sont liées aux domaines médical ou encore sportif. Il est important que les personnalités de ce comité puissent aussi analyser l’objet de leur saisine ou de leur autosaisine, sur le fondement de notre objet social.
Le comité d’éthique et de déontologie du rugby français a pour objectif de veiller à ce que les règles de déontologie, de protection et de conformité soient bien respectées, dans l’ensemble des décisions prises par la Fédération. Par ailleurs, ce comité joue un rôle préventif, dans le domaine des conflits d’intérêts, mettant en œuvre un règlement général de prévention du conflit d’intérêts et de traitement de ce dernier.
Ce comité est totalement indépendant. Pour renforcer cette indépendance, le comité directeur de la FFR ne nomme plus ses membres à l’issue des nouvelles élections fédérales, mais les nomme par tiers, de manière à les renouveler progressivement. Ainsi, leur mandat n’est pas associé à une mandature politique de la Fédération.
Cet organe, qui fonctionne particulièrement bien, peut être saisi par n’importe quel acteur de la Fédération, qu’il s’agisse d’un élu fédéral, régional ou départemental, ou simplement d’un club. Ce comité peut également s’autosaisir de questions qui lui semblent importantes.
Il a permis la création, en 2020, d’une plateforme de déclaration des intérêts personnels pour l’ensemble des membres du comité directeur de la FFR et de la LNR. Ce dispositif s’étend progressivement à l’ensemble des acteurs, y compris aux dirigeants salariés.
Les déclarations d’intérêts personnelles sont également analysées par ce comité. En fonction des déclarations, du parcours, de l’action et des responsabilités des personnalités déclarantes, il rédige un rapport individuel, afin de prévenir d’éventuels conflits d’intérêts avec les partenaires et les entreprises avec lesquels nous sommes en relation, dans le cadre de leurs mandats et missions.
Le comité d’éthique et de déontologie du rugby français a désormais beaucoup d’importance dans la vie fédérale. Il joue aussi un rôle important dans la conduite des élections et des campagnes électorales. En effet, nous lui confions le soin d’analyser et de surveiller l’ensemble des opérations électorales, du début à la fin.
Il est donc doté de nombreuses missions. Nous le sollicitons souvent. Ses membres agissent de manière bénévole. Leur travail, particulièrement chronophage, est extrêmement utile pour la Fédération.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. La FFR a-t-elle été confrontée, au cours de ces dernières années, à des faits d’atteinte à la probité ? A-t-elle mis en place un dispositif global de prévention et de détection de ces atteintes ?
M. Laurent Gabbanini. Nous avons déployé une plateforme sécurisée dédiée aux lanceurs d’alerte, permettant à tout acteur de la Fédération, quel que soit son niveau, de lancer une alerte relative à des faits de cette nature. Depuis la mise à disposition de cette plateforme, des alertes ont été lancées sur d’autres sujets, comme les violences ou les violences sexuelles. En revanche, aucune n’a concerné de potentielles atteintes à la probité.
Nous mettons donc en place des dispositifs de prévention. Le règlement de prévention des conflits d’intérêts, distribué et lu par chaque élu, à chaque nouvelle mandature, a aussi son importance.
L’ensemble des acteurs du rugby français est particulièrement au courant de ces questions, et y est sensible et sensibilisé.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous nous en dire davantage sur les témoignages dont vous avez pris connaissance concernant des faits de violences sexuelles et sexistes ? Comment ces sujets sont-ils traités ?
M. Laurent Gabbanini. Nous avons créé une cellule de prévention et de protection des populations rugby (C3PR). Elle s’inscrit dans le cadre de la lutte contre toute forme de violence, car la FFR n’entend tolérer aucune forme de violence. En effet, la violence est destructrice des valeurs intrinsèques et fondamentales de notre sport. Aucune forme de violence ou de discrimination ne peut être acceptée.
La commission anti-discrimination et égalité de traitement réalise également un travail exceptionnel dans toutes ses dimensions.
La création de la C3PR est concomitante de la diffusion, il y a déjà trois ans, dans l’ensemble de notre réseau, d’une information dévoilant un plan d’action et l’ensemble des numéros d’urgence nécessaires pour que les acteurs puissent bénéficier de l’assistance d’un correspondant immédiat. Il s’agit d’une plateforme digitale, joignable également par le biais d’un téléphone portable. Une personne sera en mesure, 24 heures sur 24, de répondre aux alertes ou de formuler des conseils.
L’observation et la formation des acteurs sont essentielles pour mener à bien ce travail. Dans le traitement de la violence, et notamment des violences sexuelles, la formation des dirigeants et des dirigeants de proximité – de club, de département ou encore de ligue – joue un rôle crucial. Une convention avait été signée à cet égard avec l’association Colosse aux pieds d’argile qui a notamment formé l’ensemble de nos équipes techniques régionales. Tous les cadres techniques ont donc reçu une formation, par le biais de sessions physiques ou numériques organisées par cette association.
La C3PR propose également un accompagnement des structures, lorsqu’un phénomène de violence se produit. Le suivi de ces phénomènes se caractérise par une observation et une prise en compte immédiates. Les codirecteurs juridiques de la Fédération traitent les alertes par la suite, en fonction de la gravité des faits signalés, qu’ils soient réels ou supposés. Les autorités judiciaires peuvent être immédiatement saisies, afin qu’une enquête soit ouverte.
Si le degré de gravité des faits en question est relativement faible, ils seront traités sur le plan disciplinaire, au sein de la Fédération, par la saisine des commissions de discipline. Le président ou le secrétaire général de la FFR peuvent ainsi les saisir, par exemple en cas d’atteinte à l’intérêt supérieur du rugby et aux valeurs du sport, ce qui permet une action immédiate.
M. Florian Grill. Du point de vue de sa démocratie interne, il me semble que la FFR fonctionne correctement. Les clubs en son sein votent directement. Une correction pourrait néanmoins être apportée à ce fonctionnement, en permettant aux candidats aux différentes élections d’avoir la garantie d’être reçus dans les ligues régionales et les comités départementaux, afin de pouvoir présenter leurs programmes. Pour avoir été dans l’opposition, je sais à quel point il est parfois difficile de trouver des clubs pour accueillir des candidats d’opposition. Une amélioration consisterait donc à obliger les ligues régionales et les comités départementaux, qui doivent être neutres, à recevoir les candidats.
Par ailleurs, la gouvernance de la FFR fonctionne également correctement. En revanche, ses statuts apparaissent désormais anciens. Nous avons aujourd’hui un comité directeur qui, sur le papier, est censé prendre les décisions, mais qui, statutairement, a l’obligation de se réunir trois fois par an. Comment voulez-vous qu’une fédération dotée d’un budget de 130 millions d’euros puisse fonctionner de façon optimale, avec un comité directeur qui se réunit seulement trois fois par an et qui est composé de plus de quarante personnes, auxquelles s’ajoutent des membres invités ?
Dans la réalité, c’est plutôt le bureau fédéral qui est amené à prendre les décisions. Nous sommes donc en train de travailler à une réforme statutaire permettant que le bureau fédéral, ou son équivalent demain, décide. La composition du bureau fédéral devra alors respecter une forme de proportionnalité. En effet, tous les courants doivent pouvoir être représentés dans une instance décisionnaire. Le comité directeur doit prochainement voter sur ce point.
Par ailleurs, il me semble que la FFR est correctement équipée pour faire face aux questions de probité, de violence et de discrimination. Laurent Gabbanini a mentionné le comité d’éthique et de déontologie, que nous avons nous-mêmes saisi sur les frais d’avocat ou la constitution de partie civile en justice. La C3PR réalise également un travail de qualité.
Enfin, la commission antidiscrimination et égalité de traitement (Cadet) lutte contre les problèmes de racisme, d’antisémitisme, d’homophobie ou encore de transphobie, de manière extrêmement efficace.
Au-delà des commissions, un travail opérationnel est également mené sur la violence. Nous avons récemment rappelé que, suite à des propos homophobes, racistes ou antisémites, l’arbitre a la possibilité de faire sortir immédiatement un joueur du terrain, avec un carton rouge. Nous avons également rappelé que, quand un événement de ce type survient dans les tribunes, l’arbitre peut interrompre le match, convoquer les deux présidents de club, les faire descendre sur la pelouse et, éventuellement, mettre un terme à la rencontre.
L’arsenal à notre disposition est globalement satisfaisant, même si des améliorations peuvent encore être apportées à la gouvernance et à l’organisation de la vie électorale, afin de permettre à tous les candidats de se présenter en bonne et due forme aux clubs.
M. François Piquemal (LFI). Je vous remercie pour vos propos liminaires. Quelles sont, selon vous, les valeurs du rugby ?
M. Florian Grill. Ma culture m’incite à être discret sur les valeurs, estimant qu’il est plus important de les exercer que de les déclamer. Pour autant, je suis sincèrement convaincu que le rugby porte en lui des valeurs fortes.
La première d’entre elles est le respect. J’ai récemment dû rappeler la nécessité de respecter l’arbitre. Le respect de l’arbitre et de l’adversaire s’affiche comme une valeur forte de ce sport, qui est apprise aux enfants, au sein des écoles de rugby.
Une autre valeur du rugby est la solidarité. Dans le rugby, chaque joueur sait qu’il est dépendant des autres. Le respect et la solidarité sont donc inhérents à notre sport.
En outre, le principe de fraternité vit également au sein des stades et des 1 950 clubs qui constituent des lieux d’entraide et de solidarité, en plus d’être des lieux éducatifs et potentiellement citoyens.
M. François Piquemal (LFI). De nombreux clubs de rugby jouent effectivement un rôle social, certaines associations œuvrant sur le terrain. Néanmoins, comme dans d’autres sports, le problème du racisme est présent au sein du rugby. Nous avons l’impression que des incidents racistes interviennent régulièrement lors des matchs de rugby, amateurs ou professionnels. Il suffit de regarder rapidement les articles de presse existant à ce sujet sur internet pour s’en convaincre.
Le dernier incident en date, ayant eu un écho relativement important, a eu lieu lors d’une rencontre entre deux clubs d’Occitanie. L’association SOS Racisme a qualifié les faits de « ratonnade ». La ligue Occitanie de rugby s’est donc vu infliger des sanctions disciplinaires. Néanmoins, la caractérisation raciste des agressions concernées n’a pas été retenue, notamment dans la qualification des sanctions. Je souhaiterais connaître votre avis sur cet événement.
Une autre affaire a touché un joueur ayant été sélectionné dans le XV de France : M. Chalureau. Condamné en première instance pour des faits de racisme qu’il nie, il a interjeté appel et il est donc présumé innocent. La première sélection de M. Chalureau remonte à novembre 2022. Or, à aucun moment, lors de sa première sélection, un cadre de communication publique n’a été établi, afin que ce joueur puisse s’exprimer et donner sa version des faits et pour que la FFR puisse déminer le terrain et réaffirmer au nombre de ses valeurs l’antiracisme qui lui est cher.
M. Florian Grill. Le racisme n’a pas sa place dans le rugby, qui est un sport d’inclusion par excellence et par essence. Même si ce sport a été inventé pour des « mâles blancs bien éduqués », une forme de diversité est présente dans son ADN. Ses joueurs peuvent notamment présenter de grandes différences physiques.
Le rugby s’est réellement ouvert à la diversité, en recrutant dans les quartiers prioritaires de la ville et en se féminisant. La proportion de licenciées féminines est passée en peu de temps de 8 % à 13 %. La FFR est en pointe en termes d’ouverture et de diversité.
Malheureusement, comme toute fédération, nous reflétons également dans une certaine mesure l’état de la société, et des dérapages peuvent exister. Nous avons donc souhaité diffuser un message extrêmement ferme destiné aux arbitres, en rappelant l’arsenal à leur disposition, y compris la possibilité d’interrompre les rencontres. Les arbitres sont soutenus dans cette démarche.
Par ailleurs, lorsque j’étais président de la ligue Île-de-France, mes équipes et moi-même avons mis en place une application mobile simple « e-arbitre », permettant à un arbitre d’évaluer à chaque rencontre le capitaine, le banc de touche et la tribune, en leur attribuant une mention parmi plusieurs : « pas bien », « bien » ou « très bien ». Ce dispositif va au-delà de la feuille de match et révèle davantage de ce qui se passe sur le terrain. Dans les catégories jeunes, l’excitation du terrain peut provenir d’un banc de touche ou d’une tribune énervée. Le rugby, qui est un sport de combat, nécessite une régulation de ces éléments.
2 700 arbitres interviennent pratiquement tous les week-ends. Ce nombre important facilite le recueil rapide de données. Ces données permettent l’envoi de représentants fédéraux, de manière ciblée, auprès de clubs ou d’équipes qui débordent régulièrement. Nous sommes en train d’étendre cette application « e-arbitre » à l’ensemble des ligues régionales, et pas simplement à la ligue Île-de-France.
De son côté, Bastien Chalureau a reconnu des faits de violence pour lesquels il a été condamné. En revanche, il a toujours nié tout propos raciste. La présomption d’innocence doit donc être respectée. Je n’étais pas encore président de la FFR lorsque M. Chalureau a été sélectionné pour la première fois. Il semblait par la suite nécessaire de respecter la présomption d’innocence, dès lors qu’il niait tout propos raciste. En revanche, des décisions seront prises en cas de condamnation.
M. Laurent Gabbanini. Vous avez eu raison de nous demander de rappeler les valeurs du rugby, car elles ne présentent aucun intérêt si elles sont uniquement déclamées. Les atteintes à l’intégrité physique ou intellectuelle des acteurs du rugby sont à rejeter en bloc.
Vous avez probablement relevé des faits qui peuvent s’apparenter à du racisme sur les terrains, car la Fédération souhaite également agir en transparence. Il n’est pas question de cacher quoi que ce soit : nous souhaitons relever l’ensemble des incidents se produisant sur les terrains. Plusieurs milliers de rencontres ont lieu chaque semaine, et les incidents qui se produisent sont immédiatement traités en commission de discipline.
Les commissions de discipline, régionales ou fédérales – donc nationales –, décident de façon indépendante de leurs modes d’instruction et de décision, car une différence existe entre l’exécutif et le disciplinaire. Le principe de la tolérance zéro est appliqué.
La Cadet a notamment travaillé, dans un premier temps, sur la transphobie et l’homophobie, mais s’intéressera également à la grossophobie et à l’application d’une charte de la laïcité, ainsi qu’à toutes les questions liées à la discrimination, au racisme, et à l’antisémitisme. Cette commission doit avoir les moyens de fonctionner, afin que ces valeurs soient respectées dans les faits et non seulement affirmées, et que l’ensemble des acteurs puisse faire preuve d’exemplarité.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons eu l’occasion d’auditionner M. Bakary Meité, qui a porté plainte pour des faits de racisme à l’encontre d’un entraîneur du club Rugby Entente du Cabardès dans l’Aude. Cet entraîneur a été licencié.
À votre connaissance, d’autres sanctions disciplinaires ont-elles été prises contre cet entraîneur ? Est-il toujours licencié de la FFR ? Selon M. Meité, cette personne aurait cherché un emploi dans un autre club de l’Aude. Quelles sont vos informations à ce sujet ?
Par ailleurs, lors de son audition, M. Meité nous a indiqué qu’il n’avait jamais été informé par la FFR des comportements à adopter face à une situation de racisme. Il a déploré un manque d’accompagnement. En particulier, la FFR n’inciterait pas ses licenciés victimes de racisme à porter plainte. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
En outre, M. Meité, après avoir eu connaissance des propos racistes tenus à son encontre en son absence, n’a pas bénéficié d’un accompagnement et il ne lui a pas été proposé de porter plainte. Il a démissionné de son poste à la suite de cet événement. Je crois que son club n’a pas alors compris sa décision, alors qu’il avait vécu très durement les propos rapportés à son sujet.
M. Florian Grill. Je ne connaissais pas cette affaire. Je connais Bakary Meité et je lui ai d’ailleurs récemment parlé d’un projet d’accompagnement du développement du rugby sur le continent africain, en collaboration avec l’Agence française de développement. Ce projet vise plusieurs pays et a pour but d’y envoyer des éducateurs et des arbitres. Il cible également les populations féminines et le rugby à sept, traitant d’enjeux de santé et de nutrition. Bakary Meité pourrait tout à fait jouer un rôle dans ce programme, car c’est quelqu’un de très bien.
Je ne savais pas que des faits de racisme à son encontre avaient eu lieu. Concernant l’accompagnement face à ce type d’agissements, la cellule C3PR existe, peut être sollicitée et l’est de fait, notamment s’agissant de violences sexuelles ou de racisme. Une meilleure communication pourrait être envisagée dans ce domaine.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Les faits en question ont été rapportés dans la presse, dès janvier 2023.
M. Florian Grill. De nombreux événements ont eu lieu depuis cette date. Je n’ai pas souvenir de cette affaire. Il s’agit probablement d’un oubli de ma part et je vous prie de m’en excuser.
M. François Piquemal (LFI). M. Bakary Meité est une personnalité expérimentée du monde du rugby, qui se trouve être victime de faits de racisme. Lors de son audition, en dépit de son expérience, il a indiqué ne pas connaître les procédures permettant la mise en place d’un accompagnement de la part de FFR. Nous pouvons donc nous demander si ces procédures existent et si elles sont réellement connues de la plupart des pratiquants du rugby.
Avez-vous une réflexion à formuler à ce sujet ? Souhaitez-vous mettre en œuvre des mesures complémentaires dans ce domaine ?
M. Laurent Gabbanini. Nous sommes désolés que M. Meité n’ait pas pu trouver le cheminement à suivre pour effectuer un signalement et être accompagné par la Fédération. Il s’agit probablement d’un problème de communication fort regrettable, d’autant plus qu’il a été un joueur de grande qualité et que son parcours a été assez exemplaire.
Un accompagnement est effectivement nécessaire, et un effort semble souhaitable en matière de communication. Nous avons formé l’ensemble des cadres techniques qui maillent le territoire français. Néanmoins, notre maillage n’est peut-être pas encore suffisamment serré pour pouvoir informer l’ensemble des acteurs. Il est, en effet, étonnant qu’un acteur aussi éminent que M. Meité se trouve en dehors de ce filet de protection.
La C3PR ne doit en tout cas pas être considérée comme un gadget. Cette cellule a reçu entre 130 et 140 alertes depuis sa création. Certaines alertes nécessitent la saisine des autorités administratives ou des autorités judiciaires. Les actes de racisme supposés ne peuvent pas uniquement faire l’objet d’une sanction disciplinaire. Une autorité judiciaire doit être immédiatement saisie.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le président Grill vient de nous indiquer qu’il n’était pas informé de cette affaire. Monsieur Gabbanini, en étiez-vous informé ?
M. Meité a expliqué n’avoir jamais été contacté par la FFR. Il a eu l’occasion de discuter de ce sujet avec les présidents du club en question, lorsqu’il a annoncé sa démission, après avoir pris connaissance des propos qui avaient été tenus contre lui. Il a décidé de porter plainte, mais aucune procédure disciplinaire ne semble avoir été mise en œuvre, même si l’entraîneur en question a été licencié. Aviez-vous connaissance de ces faits ?
M. Laurent Gabbanini. J’ai pris connaissance de cette affaire dans la presse. Nous aurions probablement pu nous autosaisir à la suite de la lecture de cet article. Une élue, membre de la C3PR, est généralement particulièrement rigoureuse s’agissant des saisines consécutives aux faits de cet ordre et transmet l’information afférente au bureau fédéral. Elle lance elle-même les alertes auprès de la C3PR. Malheureusement, cette affaire est visiblement passée entre les mailles du filet.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Face à des faits graves de racisme, un entraîneur a donc été laissé à lui-même. Il est étrange que ce qui est arrivé à ce personnage que vous évoquez, visiblement un grand professionnel et un excellent entraîneur, n’ait pas eu davantage d’écho au sein de la Fédération, qui aurait normalement dû faire preuve d’une plus grande écoute et d’une attention particulière à son égard.
M. Laurent Gabbanini. Il est effectivement fort dommageable que nous soyons passés à côté de ce cas, qui fait également l’objet d’une audition au sein de votre commission. Nous en sommes réellement désolés. Pour autant, j’espère que vous ne ferez pas de ce cas une règle générale, car notre combat contre l’ensemble des phénomènes de ce type est réel et palpable, et se matérialise par des actions extrêmement concrètes, tant préventives que répressives.
Sur les questions de racisme ou de violences sexuelles, nous nous donnons également le droit de suspendre les licences des personnes potentiellement incriminées ou ensuite condamnées.
Nous devons le reconnaître, nous n’avons pas relevé ce cas précis. Il ne correspond en revanche pas à une règle générale.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Plusieurs articles de presse ont évoqué cette affaire. Un raté semble donc s’être produit, y compris dans la veille effectuée par la FFR.
M. Meité nous a également indiqué que l’entraîneur incriminé cherchait un emploi dans un autre club de rugby. Cette personne, qui a tenu des propos racistes d’une extrême violence, est probablement en poste actuellement dans un autre de vos clubs, où il pourrait tenir à nouveau des propos similaires vis-à-vis de sportifs ou de collègues.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous pourriez peut-être revenir vers nous ultérieurement, afin d’apporter des éléments de réponses supplémentaires aux questions de Mme la rapporteure.
M. Florian Grill. Effectivement, nous examinerons ce dossier avec attention. Néanmoins, le travail de la C3PR reste de qualité. Cet exemple n’est pas représentatif des efforts effectués dans ce domaine.
M. François Piquemal (LFI). Au sujet du rugby féminin, j’ai eu l’occasion de discuter avec une dirigeante de club. Elle m’a fait part de ses difficultés. Elle manque en particulier de moyens pour organiser des déplacements. Ces moyens proviennent notamment des bénévoles. Quelles mesures envisagez-vous de prendre pour le développement du rugby féminin et pour permettre aux clubs de s’en sortir ?
M. Florian Grill. Je ne parle pas de rugby féminin, mais de pratique féminine, car il n’y a qu’un seul rugby.
Le potentiel de développement de la pratique féminine est considérable. Le premier facteur limitant de la pratique est la proximité. Selon qu’un club se trouve à plus de 20 km ou à moins de 10 km, le pourcentage d’individus pratiquant le rugby dans une commune donnée peut passer du simple au triple. Or les 1 950 clubs de France ne proposent pas tous de la pratique féminine. Certaines filles ne font donc pas de rugby, non pas par choix, mais par manque de solution de proximité. En outre, celles qui pratiquent le rugby doivent parcourir pour ce faire de plus grandes distances que les garçons.
Un énorme travail reste donc à réaliser afin de développer la pratique féminine partout, ce qui suppose, le cas échéant, de pratiquer un rugby à effectif réduit. Le cinq constitue une manière simple de s’initier à ce sport. Il est plus facile de créer une équipe de cinq joueuses ou de sept que de quinze. Toutes ces pratiques doivent faire l’objet d’un développement.
Par ailleurs, il est également nécessaire de féminiser les encadrements, qu’il s’agisse des dirigeantes, des éducatrices ou encore des arbitres femmes. Nous sommes en retard dans ce domaine : nous ne comptons que 7 à 8 % d’arbitres femmes, contre 13 % de licenciées féminines. Un réel effort reste à consentir à cet égard.
Tous les clubs de rugby, féminins ou masculins, existent grâce au bénévolat. Les clubs de rugby sont des entités extrêmement fragiles, qui vivent notamment des subventions de leurs collectivités. Il faut courir une sorte de course contre la montre pour convaincre les collectivités du rôle éducatif et citoyen du rugby.
J’affirme les valeurs de ce sport, car je pense que les élus doivent se rendre compte du rôle du rugby dans notre société. Les clubs de rugby constituent probablement les derniers endroits qui socialisent réellement leurs adhérents. Or les clubs de rugby sont parfois enfermés dans la case « sport ». Le rugby joue pourtant un rôle essentiel dans le bien-vivre-ensemble et les subventions que lui accordent les collectivités ne doivent pas être réduites. Le club de rugby, au-delà de sa dimension sportive, représente un enjeu éducatif et citoyen absolument majeur.
Malheureusement, bien des clubs vivent dans des conditions spartiates et dépendent grandement du bénévolat. De plus, le statut des bénévoles est précaire. Les systèmes d’indemnisation des éducateurs sont extrêmement bancals.
Il faut encore travailler à faire comprendre le rôle d’un club dans la société, ainsi que la dimension éducative qui est la nôtre. Ce constat peut également être fait s’agissant des autres sports. Le rugby ne doit pas être uniquement vu comme un sport. Les clubs de rugby permettent de mélanger les habitants des villes et des villages, de toutes les catégories socioprofessionnelles, classes d’âge et religions. Le club de rugby amateur est extrêmement fragile et ce constat vaut pour les pratiques féminine et masculine. Les bénévoles sont heureusement présents pour faire vivre ces clubs.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En matière de violences sexuelles et sexistes, de racisme et de discrimination, vous avez évoqué le numéro de téléphone disponible à plein temps.
Des affiches d’information faisant connaître les dispositifs de prévention et de signalement à disposition des licenciés sont-elles présentes dans tous les clubs ? L’affichage mis en place mentionne-t-il la cellule Signal-sports ? Connaissez-vous cette cellule ? M. Meité a indiqué, lors de son audition, ne pas la connaître. Les cellules de communication ou d’information renvoient-elles à Signal-sports ? Par ailleurs, les signalements de violences sexuelles et sexistes sont-ils systématiquement rapportés à la cellule Signal-sports et au ministère des sports ?
M. Laurent Gabbanini. Ces incidents sont effectivement signalés à la plateforme. Un kit a été distribué à l’ensemble des clubs. En revanche, je ne peux pas affirmer que tous les clubs l’ont affiché. Nous essayons de sensibiliser nos élus territoriaux, dans les départements et dans les régions, afin qu’ils puissent mener cette tâche à bien. Nous formons également à cette fin des référents violence dans chacun des territoires.
De surcroît, nous disposons d’un levier de vérification, par l’intermédiaire des conseillers techniques de clubs. Nous sommes la seule fédération à avoir créé 162 postes de conseillers techniques qui maillent le territoire et qui ont pour mission de former les éducateurs bénévoles dans les clubs. Ces personnes sont diplômées d’État et peuvent également effectuer un travail de vérification.
Nous disposons d’une affiche qui rappelle le numéro de téléphone portable à appeler en cas de besoin. Elle fait figurer une adresse électronique, sosviolence@ffr.fr, et un certain nombre de numéros de téléphone : ceux du Service national d’accueil téléphonique pour l’enfance en danger, le 119, de l’association Colosse aux pieds d’argile, du Comité éthique et sport, du Comité national contre le bizutage et de SOS Addictions. Ces numéros font partie des informations que nous donnons aux clubs.
Ce travail d’information doit être constamment réitéré pour être réellement efficace. Nous devons nous servir de notre réseau territorial afin de rappeler régulièrement ces renseignements et nous assurer que notre réseau de référents est particulièrement actif et vigilant, au plus près du terrain.
M. Florian Grill. Les 162 cadres techniques de clubs, ainsi que les cadres techniques des ligues, ont tous été formés par l’association Colosse aux pieds d’argile. Nous travaillons avec cette association afin que nos 18 000 éducateurs diplômés puissent suivre une formation digitale au sujet des violences sexuelles. Une convention est en cours de signature avec Colosse aux pieds d’argile.
Nous venons d’arriver à la tête de la FFR et nous avons voulu étendre les dispositifs déjà en place, en formant l’ensemble des éducateurs diplômés.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Les formations dispensées seront-elles obligatoires ?
M. Florian Grill. Oui : notre objectif est que la formation en ligne fasse partie du brevet fédéral.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous nous préciser le nombre d’heures de formation qui doivent, selon cette convention, être délivrées par Colosse aux pieds d’argile ou le coût global de leurs prestations ?
M. Florian Grill. Je ne me souviens plus des chiffres précis.
M. Laurent Gabbanini. Je viens d’interroger notre directeur juridique au sujet de l’affaire Meité. Il me confirme que ce cas a donné lieu à un signalement à la C3PR, qui a débouché à son tour sur un signalement au procureur et sur une procédure disciplinaire, à l’issue de laquelle l’entraîneur a été suspendu pour une période de cinquante-deux semaines.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Il serait bon d’en informer le principal intéressé, qui ne semble pas au courant de ces démarches.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En mai 2022, Le Canard enchaîné a révélé que l’ancien président de la ligue Sud-Paca, M. Henri Mondino, qui siège toujours au sein du comité directeur de la ligue, avait refusé de transmettre les comptes détaillés de la ligue, pendant la période allant de juillet 2017 à juin 2019, à deux dirigeants d’un club affilié.
M. Mondino a épuisé toutes les voies de recours permettant de faire obstacle à cette demande : Commission d’accès aux documents administratifs, tribunal administratif, Conseil d’État. Ces démarches auraient coûté 19 000 euros de frais d’avocat à la ligue Sud-Paca. Le Conseil d’État, par sa décision du 28 décembre 2021, a rejeté le pourvoi de la ligue Sud-Paca, qui a donc dû transmettre aux dirigeants des clubs en question ses comptes détaillés.
Le comité directeur de la FFR est-il au courant de cette affaire, qui a commencé en juillet 2020 ?
M. Laurent Gabbanini. Les deux dirigeants qui ont demandé ces documents demandent également de façon très régulière d’autres documents à la Fédération française de rugby. En particulier, ils ont récemment demandé un certain nombre de pièces ayant trait à l’administration du groupement d’intérêt public France 2023.
Nous sommes donc au courant des nombreuses demandes de ces deux dirigeants. Concernant la gestion de leur sollicitation par la ligue Sud-Paca, nous en avons également connaissance. Néanmoins, la ligue régionale jouit d’une forme d’autonomie : elle constitue une entité juridique indépendante, même si elle est affiliée à la FFR, étant son émanation territoriale dans une région donnée. Elle dispose donc d’une liberté de répondre comme elle l’entend aux sollicitations de ses clubs, à partir du moment où cette réponse n’est pas contraire à l’intérêt supérieur du rugby.
M. Florian Grill. J’ai demandé qu’une suite positive soit donnée à toutes les demandes de ces deux dirigeants dès que j’ai été élu, afin qu’ils puissent obtenir l’intégralité des documents requis, dans le format adéquat.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il s’agit donc d’un changement survenu lorsque vous avez pris la présidence. En juin 2022 encore, le tribunal administratif de Versailles, saisi par les dirigeants d’un club varois, avait jugé illégal le refus de la FFR de communiquer certains documents comptables. Si je comprends bien, vous transmettez désormais systématiquement les documents comptables sollicités par les ligues et par les clubs.
M. Florian Grill. Je le confirme. Ces documents sont transmis à la demande, suivant un objectif de transparence.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Les comptes de la ligue Sud-Paca, transmis aux dirigeants du club qui en avaient fait la demande, sont-ils entachés d’irrégularités ? Si c’est le cas, lesquelles ? Le cas échéant, un signalement au titre de l’article 40 du code de procédure pénale a-t-il été effectué ?
M. Laurent Gabbanini. À ma connaissance, il n’y a pas d’irrégularité dans les comptes de cette ligue. Toutes les ligues transmettent leurs comptes annuels à la Fédération.
Nous avons établi une relation de projet avec nos ligues, qui est aussi une relation conventionnelle. En effet, nous signons des conventions pluriannuelles avec elles, sur le fondement d’un projet d’orientation stratégique. Cela donne lieu à un financement partiel de la part de la FFR, en fonction d’un certain nombre de critères et d’objectifs partagés. Nous avons besoin, pour verser ce financement, des comptes arrêtés des ligues. Tous les comptes arrêtés sont certifiés par un commissaire aux comptes, sans exception.
À notre niveau, les comptes de la ligue Sud-Paca n’ont pas été frappés d’irrégularité. À ma connaissance – qui est aussi celle de notre direction financière, qui m’aurait alerté dans le cas contraire – aucune irrégularité majeure n’a été constatée dans ces comptes.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dans ce cas, qu’est-ce qui explique, selon vous, le refus par la ligue Sud-Paca, de transmettre ses documents comptables ?
M. Laurent Gabbanini. Il est difficile de vous répondre à la place du président de cette ligue. Sa ligne de conduite a certainement été validée par son bureau et par son comité directeur.
Les demandes formulées ne sont pas totalement anodines. Nous évoluons dans un secteur qui devient particulièrement politisé. Il s’agit, en un sens, d’une bonne nouvelle, car la démocratisation des fédérations permet justement cet effort de transparence que nous devons à l’ensemble de notre réseau.
Pour autant, l’entrée dans un champ politique engendre une forme de pression et de suspicion, ainsi que l’apparition de camps opposés. Ces demandes répétées revêtent peut-être une dimension politique ou politicienne.
Il faudrait demander aux dirigeants locaux pourquoi ils ont pris cette décision, au lieu de transmettre les documents immédiatement, surtout s’ils ne présentaient pas d’irrégularité.
M. Stéphane Buchou (RE). Je souhaite revenir sur le sujet du sponsoring maillot et du nouvel appel d’offres. Compte tenu de la condamnation en première instance survenue dans le cadre de l’affaire Altrad-Laporte, n’était-il pas possible de mettre fin au contrat liant Altrad et la FFR aux termes mêmes de ce contrat ? M. Gabbanini a précisé que le nouvel appel d’offres portait sur la période commençant le 1er janvier 2024. Compte tenu des faits et de ce qu’ils peuvent représenter pour la FFR, je souhaiterais savoir ce qui a pu en être dit dans les instances de la Fédération.
Ma seconde question concerne les frais d’avocat. Certains médias ont évoqué de « petits arrangements entre amis ». Le principal intéressé a argué du fait qu’il avait été un président bénévole pour justifier la prise en charge de ses frais. La fonction de président que vous occupez est-elle toujours bénévole ou est-elle rémunérée ? Quel est le montant de cette rémunération, si elle existe ?
M. Florian Grill. Je suis un président bénévole, car j’ai la chance d’avoir construit une carrière d’entrepreneur depuis trente ans. J’ai créé ma société et je n’ai donc pas besoin du rugby pour vivre. Je travaille le lundi et le mardi au sein de ma société. Je me rends à Marcoussis le mercredi et le jeudi, et je réalise un tour de France le vendredi, le samedi et le dimanche.
En revanche, compte tenu de l’importance de leur fonction, le fait d’accorder, demain, une rémunération aux présidents de la FFR ne me choquerait pas. En ce qui me concerne, le rugby a toujours relevé du bénévolat et j’ai souhaité qu’il continue d’en être ainsi.
S’agissant de votre première question, j’en reste à ma réponse antérieure. Le contrat actuel nous lie à Altrad. Le prochain contrat entrera en vigueur le 1er janvier 2024, après un appel d’offres réalisé en bonne et due forme. La société Altrad y a répondu.
Une condamnation en première instance ne permet pas de lever la présomption d’innocence. Rien, juridiquement, ne permet donc de remettre en cause le contrat passé. Formellement, je pense qu’il est important, dans ce pays, de respecter la présomption d’innocence. L’appel d’offres et la réponse à cet appel sont cadrés, et la présomption d’innocence doit être respectée.
M. Stéphane Buchou (RE). Ma question ne portait pas sur l’appel d’offres qui a été remporté par cette société pour le contrat qui démarrera au 1er janvier 2024, mais sur sa condamnation en première instance.
Je suis également particulièrement attaché à la présomption d’innocence, qui est l’un des fondements de notre état de droit et de notre justice.
Compte tenu des conséquences possibles de tels choix, notamment en matière d’image, sur la FFR et sur le rugby en général, les caractéristiques du cahier des charges des appels d’offres ne permettent-elles pas de mettre fin aux contrats en cas de condamnation, même en première instance ?
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous nous rappeler le montant de l’appel d’offres ayant trait à la période 2018-2023 et le budget de la Fédération de rugby ?
M. Laurent Gabbanini. Le montant annuel dépensé dans le cadre de ce contrat de partenariat est d’environ 6,5 millions d’euros par an, sur un budget global de la Fédération qui varie en fonction des années, se situant aux alentours de 130 millions d’euros par an.
Ce contrat est important et sera encore plus généreux à partir du 1er janvier 2024, car la pyramide de nos partenariats a été modifiée afin que le volume de produits liés à ces partenariats puisse être supérieur. Nous avons effectivement besoin de ressources complémentaires.
Par ailleurs, la FFR s’est portée partie civile dans le procès de M. Laporte. Nous n’avons pas encore reçu le jugement de première instance. Pour autant, dans la synthèse du jugement qui nous a été transmise, le contrat de partenariat entre la FFR et le groupe Altrad n’a pas été mis en cause et n’a suscité aucune condamnation. L’acte de corruption condamné en première instance était lié à un contrat personnel entre M. Laporte et M. Altrad, et à une intervention supposée en commission d’appel.
Le contrat de partenariat passé entre la FFR et le groupe Altrad a quant à lui été réputé et jugé conforme, au juste prix, par les enquêteurs, qui faisaient en l’occurrence partie de la Brigade de répression de la délinquance économique, sous l’autorité du Parquet national financier.
La Fédération ne pouvait donc pas remettre en cause ce contrat, totalement conforme aux règles du droit de la concurrence et au juste prix. Ainsi, le contrat actuel, comme le contrat futur, ne pouvait pas être dénoncé.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Selon la présidente du tribunal, la procédure de mise en concurrence a été suivie de telle sorte que seule la société Altrad formule une proposition. Ce contrat et cette procédure semblent donc avoir été remis en question.
M. Laurent Gabbanini. Je ne dispose pas de cette précision, car nous n’avons pas reçu le jugement définitif de première instance. La Fédération s’est efforcée de démontrer qu’elle avait mis en concurrence cette ouverture de droits. Il s’agissait bien d’une ouverture car, pour la première fois, la face avant du maillot était ouverte à un sponsoring, donc à un partenariat. Tous les partenaires majeurs de la FFR avaient été consultés à ce sujet et n’avaient pas souhaité répondre. Un appel d’offres a été lancé par la suite, de manière à obtenir la meilleure des offres possibles.
Le montant du contrat annuel qui arrive à échéance au 31 décembre 2023, a été qualifié de « juste prix ». En outre, à la lecture des notes de nos conseils juridiques, internes et externes, toutes les procédures ont été suivies de manière tout à fait conforme. La justice ne semble en tout cas avoir prononcé aucune injonction de casser ce contrat, car il n’a pas été considéré comme un objet de corruption.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Il a également été porté à la connaissance de la commission d’enquête que, entre 2016 et 2022, la masse salariale de la FFR avait augmenté de plus de 50 % et ses effectifs de 71 %. La rémunération de certaines fonctions administratives serait de 30 à 45 % plus élevée que la moyenne constatée dans les entreprises du secteur privé. Or les résultats d’exploitation de la FFR sont déficitaires depuis 2017.
Accorder de telles rémunérations n’est-il pas contraire aux bonnes pratiques de gestion ? Pouvez-vous nous indiquer, monsieur Gabbanini, le salaire que vous percevez au titre de vos fonctions ? Confirmez-vous disposer d’une résidence familiale en région Paca ?
M. Laurent Gabbanini. Je ne dispose pas des chiffres qui ont été portés à votre connaissance. Nous n’avons peut-être pas le même point de référence. L’augmentation de 71 % des effectifs que vous évoquez doit correspondre à leur progression pendant les vingt ou vingt-cinq dernières années. Les effectifs n’ont pas du tout augmenté de 71 % durant les cinq ou six dernières années.
La masse salariale de la FFR a augmenté pendant les quatre dernières années de 26 %, ce qui correspond à une augmentation des effectifs de 26 %. Par la suite, nous avons gelé toute forme d’augmentation de la masse salariale, et ce gel dure depuis deux ans.
Le salaire moyen au sein de la Fédération se situe aux alentours de 45 000 euros bruts annuels. Me concernant et en totale transparence, ma rémunération brute annuelle est de 100 000 euros. Il s’y ajoute une prime de fin de saison qui peut atteindre 20 % de cette rémunération annuelle brute. Ma rémunération annuelle totale s’élève donc au maximum à 120 000 euros. Ma résidence en région Sud-Paca est ma résidence personnelle, et n’a aucun lien avec la Fédération.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. D’après les informations à notre disposition, entre les saisons 2016-2017 et 2021-2022, la masse salariale de la FFR a augmenté de 52,4 %. Les effectifs ont quant à eux augmenté de 71,7 %, sans qu’une gestion prévisionnelle des emplois et compétences ne soit mise en œuvre par la FFR.
M. Laurent Gabbanini. Je me permettrai de vérifier ces chiffres.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je précise que l’information relative à la procédure de mise en concurrence et la déclaration de la présidente du tribunal ont été publiées dans la presse. Je suis étonnée que vous n’en ayez pas été informés. Il est écrit noir sur blanc : « La procédure de mise en concurrence a été conduite afin que seule la société AIA (Altrad) formule une proposition ».
M. Laurent Gabbanini. Je préfère fonder ma vérité sur la réalité de ce que j’ai vécu au sein de la Fédération, plutôt que de lire dans la presse ce qui serait une réalité. La réalité est que les procédures de mise en concurrence ont été réelles et prouvées. Une perception ou une interprétation différente des faits est possible, mais je ne pourrai pas affirmer devant vous qu’il a été mis en œuvre autre chose qu’une réelle mise en concurrence.
L’Inspection générale des finances (IGF) nous a inspectés pendant trois mois au printemps. Avec l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, elle n’a conclu à l’existence d’aucune irrégularité manifeste dans notre gestion des six dernières années. Il s’agit, selon moi, d’une référence importante, car les inspecteurs de l’IGF se sont montrés extrêmement rigoureux.
Nous ne sommes pas un pouvoir adjudicateur. L’IGF l’a précisé dans son rapport d’inspection. À ce titre, nous ne sommes pas soumis au code des marchés publics. Pour autant, nous devons respecter l’ensemble du droit de la concurrence, qu’il soit français ou européen. Depuis que je suis en situation de direction, je peux affirmer devant cette commission que nous avons respecté au maximum, et en totale conformité, l’ensemble des procédures d’achat, afin de respecter ce droit de la concurrence.
M. Florian Grill. Il existe effectivement une situation de déficit d’exploitation cumulé, pendant toutes les années du mandat. Cette réalité met, à mon sens, la Fédération française de rugby en difficulté. Pour la saison 2022-2023, nous nous attendons par exemple à un déficit d’exploitation de l’ordre de 16 millions d’euros.
Pour la saison 2023-2024, nous avons commencé à prendre un certain nombre de mesures, afin de réguler le déficit d’exploitation. Ce déficit est couvert par les revenus exceptionnels de la vente du Tournoi des six nations au fonds d’investissement CVC. Cependant, j’estime que nous ne devons pas utiliser des revenus exceptionnels pour couvrir des déficits d’exploitation. En l’occurrence, nos revenus exceptionnels devraient plutôt nous servir à investir qu’à boucler nos fins de mois.
Les revenus issus de la vente à CVC s’étaleront encore pendant deux saisons. Nous sommes donc engagés dans une course contre la montre pour retrouver un résultat d’exploitation positif. L’équipe en place s’efforce de trouver des ressources additionnelles grâce à des partenariats, grâce aussi au projet de fédération à mission, qui permet que les revenus de la Fédération ne proviennent pas seulement de l’octroi de droits de marketing ou de retransmission télévisée. Nous devons aussi réaliser un certain nombre d’économies.
Il nous faut trouver environ 15 millions d’euros, soit approximativement 5 millions d’euros issus des partenariats, 5 millions d’euros liés à la fédération à mission et 5 millions d’euros d’économies.
Parmi ces 15 millions d’euros figurent également 3 millions d’euros de dépenses additionnelles que nous souhaitons consacrer aux ligues régionales et aux départements. En effet, le rugby est le deuxième sport en France, en termes de médiatisation, mais seulement le dixième en termes de nombre de licenciés. Nous avons donc besoin de faire augmenter ce nombre, afin d’aider les clubs amateurs en difficulté, notamment dans les catégories jeunes.
Notre objectif est donc d’octroyer plus de moyens localement, sur le terrain, aux clubs. Or cela suppose de retrouver une forme d’équilibre budgétaire ne reposant pas sur des revenus exceptionnels.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie pour votre témoignage et l’ensemble des informations que vous nous avez apportées. Nous ne manquerons pas de revenir vers vous si nos futurs travaux donnent lieu à des questions complémentaires.
La séance s’achève à seize heures quarante.
Présents. – Mme Béatrice Bellamy, M. Stéphane Buchou, M. Pierre-Henri Dumont, Mme Sophie Mette, M. François Piquemal, Mme Sabrina Sebaihi