Compte rendu

Commission d’enquête relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif ayant délégation de service public

– Audition, ouverte à la presse, de M. Éric Tanguy, président de la Fédération française de volley, et de M. Sébastien Florent, secrétaire général              2

– Audition, ouverte à la presse, de M. Noël Le Graët, ancien président de la Fédération française de football 15

– Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Bana, président de la Fédération française de handball, et de M. Laurent Freoa, directeur général              37

– Présences en réunion................................53


Mardi
7 novembre 2023

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 40

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
Mme Sabrina Sebaihi,
Rapporteure,
puis de
Mme Béatrice Bellamy,
Présidente de la commission

 


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La séance est ouverte à quatorze heures.

La commission auditionne M. Éric Tanguy, président de la Fédération française de volley, et M. Sébastien Florent, secrétaire général.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous accueillons M. Éric Tanguy, président de la Fédération française de volley, et M. Sébastien Florent, son secrétaire général.

Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ; les discriminations sexuelles et raciales ; les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Monsieur Tanguy, vous êtes licencié de la Fédération française de volley depuis 1982. Vous avez effectué une partie de votre carrière sportive à l’Association sportive des beaux-arts de Montpellier, où vous avez été joueur, puis entraîneur, entre 1982 et 1995, avant de devenir entraîneur de l’Association sportive des postes, télégraphes et téléphones (ASPTT) de Nice jusqu’en 2009. Vous assurez depuis 2012 la présidence de ce club omnisports. Parallèlement, vous êtes devenu secrétaire général de la Fédération française de volley en 2006, puis vice-président chargé du marketing et de l’événementiel en 2010. Vous avez été élu président de la fédération en septembre 2015. Seul candidat à votre succession, vous avez été réélu à cette fonction en décembre 2020. À ce titre, vous êtes également membre du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), où vous assumez la fonction de vice-président du bureau exécutif élargi chargé du sport en France et de l’innovation.

Monsieur Florent, vous êtes secrétaire général de la Fédération française de volley et, par ailleurs, membre de la commission sportive de la ligue de volley d’Île-de-France et trésorier du club d’Issy volley-ball.

Dans un bref propos liminaire, pouvez-vous nous indiquer quels sont les faits dans le champ de cette commission d’enquête dont vous avez connaissance et les réponses que vous y avez apportées dans les différentes fonctions que vous avez exercées ? Quelles sont les actions et l’organisation mises en place par la fédération sur les sujets qui intéressent cette commission ? Quels sont les objectifs fixés par votre contrat de délégation en la matière ? Comment ces objectifs sont-ils évalués ?

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure. »

(M. Éric Tanguy et M. Sébastien Florent prêtent successivement serment.)

M. Éric Tanguy, président de la Fédération française de volley. Je débuterai mon intervention par une présentation de la Fédération française de volley, avant de me pencher sur les points plus précis que vous venez d’évoquer.

La Fédération française de volley a été créée avant la deuxième guerre mondiale, en février 1936, pendant le Front populaire. Elle gère plusieurs sports délégués par l’État : le volley-ball, sport olympique depuis 1934, le beach volley, sport olympique depuis 1996, et le volley assis, sport paralympique depuis 1980 chez les hommes et depuis 2004 chez les femmes, dont notre fédération a la délégation depuis 2017. Il faut également mentionner d’autres disciplines comme le volley sourd, qui fait partie du parasport mais qui n’est pas olympique, et le snow volley, la variante d’hiver du beach volley, dont nous venons d’obtenir la délégation et qui n’est pas non plus un sport olympique. Désormais, notre fédération est donc à la fois une fédération de sports d’été et de sports d’hiver. Il existe en outre quelques « pratiques santé » comme le « soft volley » pour les Ehpad et le « volley care » pour les déficients mentaux.

Au dernier exercice, notre fédération compte 207 000 licenciés, contre 136 000 à la saison 2019-2020, soit une augmentation de 51 % en deux ans. Les effectifs ont fortement augmenté ces dernières années, à la suite du titre masculin obtenu lors des Jeux olympiques de 2021 à Tokyo, mais également après le plan de sortie de crise covid que nous avions mis en place en 2020.

Le budget de la Fédération s’établit à 13,3 millions d’euros, contre 8 millions d’euros en 2019-2020, soit une progression de 75 %. L’argent public, c’est-à-dire les subventions des diverses collectivités, de l’État et de l’Agence nationale du sport (ANS), représente 21 % du budget de la Fédération. Cette dernière compte par ailleurs soixante-cinq contrats de travail – CDD et CDI – représentant trente-quatre équivalents temps plein, auxquels il faut ajouter trente-quatre conseillers techniques sportifs (CTS) mis à disposition par le ministère des sports.

En matière de gouvernance, notre fédération est administrée par un conseil d’administration de trente-six membres. Le bureau exécutif est composé de dix personnes, dont le président de la Ligue nationale de volley, puisque nous sommes un sport professionnel ; la directrice technique nationale y assiste également.

Nous disposons également d’un conseil de surveillance de quatorze membres, dont l’élection est décorrélée de celle du conseil d’administration – la dernière a eu lieu en 2022. Ce conseil, dont le président assiste au bureau exécutif et au conseil d’administration, a pour mission de veiller au bon fonctionnement de la Fédération ainsi qu’au respect du budget et du projet fédéral sur lequel mon équipe s’est fait élire. Il a également le pouvoir de convoquer, à la majorité des deux tiers, une assemblée générale en cas de dysfonctionnement grave lié à la gouvernance. Il propose les éventuelles rémunérations des principaux dirigeants que sont le président, le secrétaire général et le trésorier. Il est chargé du suivi des organes déconcentrés en cas de problème de gouvernance. À l’heure actuelle, quelques ligues, notamment en outre-mer, n’ont plus d’instances dirigeantes : le conseil de surveillance assure alors une gestion provisoire, à travers un comité de gestion, jusqu’aux prochaines élections.

Pour ma part, j’ai été élu en 2015 lors d’une élection partielle, puis réélu en 2016 et une nouvelle fois en 2020. Si je me représente et suis réélu l’année prochaine, il s’agira de mon troisième mandat. Sur le plan professionnel, je suis fonctionnaire du ministère de l’éducation nationale, cadre B de la fonction publique à Sorbonne Université. Je ne suis pas rémunéré par la Fédération et ne bénéficie d’aucun complément de salaire. En revanche, je suis mis à disposition pour 80 % de mon temps auprès de la Fédération, par convention entre cette dernière et Sorbonne Université, la Fédération remboursant 80 % de mon salaire et des charges. J’ai donc conservé ma rémunération de fonctionnaire.

Le secrétaire général, Sébastien Florent, est également bénévole. Il est cadre bancaire ; nous sommes en train de discuter avec son employeur en vue d’une mise à disposition à 20 % mais le secteur bancaire est soumis à des règles encore plus strictes que la fonction publique universitaire. Notre trésorier, Christian Albe, est lui aussi bénévole : il s’agit d’un expert-comptable retraité qui accomplit les missions de directeur financier et de chef comptable à la Fédération.

En raison d’un plan de licenciement que nous avons dû mettre en œuvre en 2020, nous n’avons plus de directeur général ni de directeur depuis 2021. Ces missions sont exercées par le secrétaire général et moi-même. Le secrétaire général assure en outre les fonctions de directeur des ressources humaines, dans la mesure où il dispose d’une compétence particulière dans ce domaine.

J’aborderai maintenant quelques sujets qui intéressent plus particulièrement votre commission, notamment notre politique de lutte contre toutes les formes de violence ou de maltraitance. Lors du premier conseil d’administration de l’olympiade, le 9 janvier 2021, nous avons créé une cellule de traitement des dossiers de violence. Totalement indépendante, elle est composée de quatre personnes : un dirigeant, une ancienne fonctionnaire du ministère des sports à la retraite, un juriste et un ancien juge aux affaires familiales.

Nous disposons de trois canaux de signalement des violences. Le premier est une adresse électronique dédiée, signal-violences@ffvb.org : les courriels envoyés à cette adresse sont lus par notre service juridique et par le secrétaire général. Le deuxième canal d’entrée est la cellule Signal-sports du ministère des sports, que vous connaissez bien. Le troisième correspond aux associations spécialisées en éthique et intégrité, dont Colosse aux pieds d’argile, association avec laquelle la Fédération a signé une convention, au même titre que l’ensemble de nos ligues régionales, pour lesquelles nous payons la moitié de la cotisation annuelle. En effet, nous avons souhaité faire de cette lutte un véritable axe politique, en menant des actions concrètes.

Sur notre site internet, vous pourrez retrouver une page dédiée à la lutte contre les violences, qui présente des fiches de sensibilisation réalisées par le ministère des sports, tous les numéros de téléphone que peuvent appeler les victimes, ainsi que les différentes adresses e-mail et les canaux de signalement.

Nous avons également signé des conventions avec e-Enfance – une association de lutte contre le cyberharcèlement –, La Voix de l’enfant, la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) et Les Papillons. Cette dernière association traite des sujets de violences sexuelles, au même titre que Colosse aux pieds d’argile.

En cas de signalement, une préinstruction est menée par le référent maltraitance de la Fédération, à savoir notre responsable juridique, M. Antoine Durand. Si le dossier est très clair, avec des cas de maltraitance ou d’agression avérés, le président ou le secrétaire général engage directement des poursuites et en informe notre cellule spécifique. Si le dossier est moins évident, il est transmis à cette cellule pour avis. Lorsque nous engageons des poursuites, nous effectuons un signalement auprès du procureur de la République, nous en informons la cellule Signal-sports du ministère et nous demandons au président de notre commission de discipline de prendre une mesure conservatoire si nous disposons de suffisamment d’éléments présumant la culpabilité de la personne incriminée, afin de protéger celles et ceux qui évoluent dans son environnement.

Depuis la création de cette cellule en 2020, nous avons traité de manière disciplinaire vingt affaires de maltraitance, quinze cas de violences sexuelles, trois cas de harcèlement, un cas de violences sexistes et un cas de violences racistes. La cellule est également chargée des procédures liées au contrôle d’honorabilité, aux arrêtés d’interdiction de fonctions que les préfets nous adressent, ainsi qu’aux condamnations pénales définitives.

Le contrôle d’honorabilité, obligation ministérielle, concerne chez nous les éducateurs, les dirigeants, les arbitres et les intervenants auprès de mineurs. Nous avons créé des licences particulières pour chacune de ces catégories, afin de récolter des fichiers que nous adressons au ministère de l’intérieur pour réaliser un contrôle automatisé. En cas de contrôle positif, c’est-à-dire de manquement à l’obligation d’honorabilité, une préinstruction est menée par le service juridique : si ce manquement a un rapport avec le volley, le traitement disciplinaire est immédiat ; si tel n’est pas le cas, nous prenons des mesures administratives d’application de l’incapacité, dans la limite de ce que nous pouvons faire. Si vous le souhaitez, nous pourrons évoquer ultérieurement quelques pistes d’amélioration ou préconisations dans ce domaine.

Nous entendons par ailleurs renforcer le dispositif anticorruption au sein de notre fédération. Nous ne sommes qu’au début de cette démarche. Nos statuts, modifiés la semaine dernière en application de la loi du 22 mars 2022, imposent au président, aux vice-présidents, au secrétaire général et au trésorier de déclarer leur patrimoine auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Nous disposons également d’une commission d’appel d’offres indépendante pour nos marchés – au sein de notre budget de 14 millions d’euros, certaines dépenses excèdent évidemment le plafond de notre pouvoir adjudicateur. Cette commission examine les offres et fait des préconisations au bureau exécutif et au conseil d’administration quant au choix des prestataires, par exemple en matière d’assurance ou d’équipements. Notre gestion est transparente et nous demandons la validation du conseil d’administration, auquel nous présentons par ailleurs un budget très détaillé.

En lien avec la commission d’éthique, qui travaille sur un guide des bonnes pratiques en matière de déport, nous mettons également en place une politique de prévention des risques de conflits d’intérêts. Nous avons en outre défini une politique d’invitation, notamment en lien avec les prochains Jeux olympiques. Nous y sommes particulièrement vigilants, dans la mesure où ils précéderont la campagne pour l’élection du président de la Fédération et que nous ne voulons pas être suspectés de clientélisme. La Fédération a fait l’acquisition d’un certain nombre de places, pour un montant de 300 000 euros, que nous avons réparties entre les différents types de clubs, les membres du conseil de surveillance, du conseil d’administration et du bureau exécutif, les salariés et les cadres techniques. Ces éléments ont été votés par le conseil d’administration et nous préparons leur publication, afin que chaque club soit bien informé, en toute transparence. À titre d’exemple, chaque membre du bureau disposera de quatre places. Pour ma part, je n’aurai pas de place à distribuer. Une petite centaine de places ont cependant été conservées pour être distribuées à nos partenaires privés, qui contribuent de manière importante au financement de la Fédération.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’ai bien noté l’existence des trois canaux disponibles en matière de signalement. Chaque signalement de violences sexistes et sexuelles (VSS) effectué auprès de votre cellule est-il systématiquement renvoyé à Signal-sports ? Vous avez semblé faire un distinguo entre des cas « avérés » et des cas moins clairs. Qui décide du caractère avéré de tel ou tel dossier ? Selon quelle procédure ? Une enquête est-elle menée ? Des auditions ont-elles lieu ?

M. Éric Tanguy. Je ne traite pas directement ce type d’affaires mais je parle sous le contrôle de notre responsable juridique, présent dans la salle.

Lorsqu’une information nous parvient par le biais de Signal-sports, nous l’adressons à notre cellule dans le but d’un traitement rapide. Lorsqu’un dossier est évident, il s’agit de prendre les mesures de suspension ou de condamnation dans les plus brefs délais afin de protéger d’abord les victimes, et ensuite les dirigeants.

Si une affaire évidente est portée à notre connaissance sur l’adresse électronique que j’ai évoquée, des poursuites sont engagées dans la journée voire dans les quarante-huit heures, avant que le procureur ne soit informé. En général, notre commission de discipline peut suspendre très rapidement, au moins à titre conservatoire : la personne incriminée se voit notifier sa suspension dans la journée. Nous transmettons également les dossiers adressés à la Fédération à la cellule Signal-sports : il doit donc y avoir le même nombre de dossiers relatifs au volley de chaque côté.

De mémoire, un ou deux dossiers nous ont été transmis par Colosse aux pieds d’argile, qui avait recueilli le témoignage de victimes. Dans ce cas, la procédure a été identique et a abouti à un transfert vers Signal-sports. Si l’affaire concernait le volley et qu’elle était évidente, les suspensions ont été prononcées très rapidement.

Les dossiers qui ne sont pas forcément évidents, c’est-à-dire où le signalement n’est pas très clair, font l’objet d’un traitement plus long – même si l’instruction demeure rapide, car il s’agit d’une priorité pour nous. La cellule, qui comprend des personnalités d’expériences et d’horizons divers, est consultée et apprécie ces cas. Dans les quelques dossiers dont j’ai eu connaissance, des mesures conservatoires ont été prises le plus rapidement possible pour protéger les victimes. Dans certains cas, ces dossiers font également l’objet d’enquêtes de police ou de gendarmerie qui, elles, peuvent durer plusieurs années.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quand le signalement provient de Signal-sports, êtes-vous avertis immédiatement ?

M. Éric Tanguy. Oui.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il est intéressant de le savoir car nous avons appris que tel n’était pas le cas dans certaines fédérations.

Pourquoi avez-vous choisi de créer une cellule propre à la Fédération, en sus de la cellule Signal-sports ?

Mme Claudia Rouaux (SOC). En cas de suspicion de violences, quel est votre pouvoir vis-à-vis des entraîneurs bénévoles de club ?

M. Éric Tanguy. Notre pouvoir est plein et entier. À titre conservatoire, nous pouvons suspendre la licence, et donc l’entraîneur, durant le temps de l’enquête. Cela signifie qu’il est écarté des terrains. Nous informons Signal-sports : sa carte professionnelle est alors également suspendue. La décision de la commission de discipline est notifiée à l’entraîneur lui-même, une copie étant évidemment adressée au président du club. Il s’agit là des procédures standard applicables à toutes les sanctions émanant de la Fédération, y compris, par exemple, aux cartons rouges.

Vous m’avez demandé pourquoi nous avions créé une adresse électronique spécifique. Nous avons travaillé sur ce sujet lors de la dernière année de la dernière olympiade. À l’époque, la cellule Signal-sports n’était pas encore complètement en place et les procédures n’étaient pas aussi claires qu’aujourd’hui. La ministre de l’époque nous avait demandé de mettre en place des procédures adaptées, qui ont ensuite été renforcées par Signal-sports. Je ne peux l’affirmer avec certitude, mais il me semble que notre cellule et notre adresse électronique sont antérieures à celles du ministère. En revanche, le site internet de la Fédération mentionne bien sûr les différentes adresses. Il présente notamment les informations et les visuels du ministère sur la prévention des violences, ainsi que le numéro de la gendarmerie. C’est désormais sur l’adresse de la cellule Signal-sports que nous communiquons en priorité.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons constaté que plusieurs fédérations avaient choisi de mettre en place une cellule qui leur est propre. Le ministère a-t-il donné des consignes à ce sujet ? Il me semble pourtant que la création de Signal-sports visait à effectuer les signalements en dehors du cadre des fédérations. Je remarque toutefois que le champ de compétence de ces deux cellules n’est pas tout à fait le même – le périmètre de la cellule de la Fédération me paraît plus large que celui de Signal-sports.

M. Éric Tanguy. En effet.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons évoqué avec les associations que nous avons auditionnées la possibilité d’élargir le champ de Signal-sports, notamment aux autres discriminations telles que le racisme et l’homophobie. Avez-vous échangé à ce sujet avec le ministère ?

Par ailleurs, vous avez indiqué que vous traitiez très rapidement les dossiers entrant dans le cadre du volley. Comment agissez-vous pour les cas en dehors de cette sphère ?

M. Éric Tanguy. Nous traitons ces dossiers, mais un peu plus difficilement. L’instruction est moins évidente lorsque les personnes impliquées ne sont pas licenciées : elle est alors un peu plus longue – elle peut durer un ou deux jours de plus.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Malgré tout, vous instruisez. À quel moment déclenchez-vous la procédure de l’article 40 du code de procédure pénale ?

M. Éric Tanguy. Cette décision est prise très rapidement – en un à deux jours environ, en fonction de la situation. Nous nous efforçons d’agir vite : je n’ai pas envie qu’il arrive un drame ou que les violences s’accroissent parce que la Fédération n’a pas été assez rapide. Nous adoptons une position de « tolérance zéro » pour toute forme de violence. Nous avons par exemple été confrontés à des cris de singe en tribune, à une ou deux reprises lors des trois dernières années. Les mesures conservatoires doivent intervenir le plus rapidement possible, quitte à ce que la personne finalement innocentée soit rétablie dans ses droits. Mais le principe de précaution prime.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous échangé avec le ministère concernant les cellules « doublons » ?

M. Éric Tanguy. Pas personnellement. Notre responsable juridique et son prédécesseur ont participé à plusieurs réunions de référents au ministère : je pense que ces sujets y ont été abordés. Nous avons identifié des difficultés ainsi que quelques pistes d’amélioration. Peut-être ces dernières pourraient-elles faire l’objet d’une loi visant à rendre le système plus pertinent et plus efficace.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le ministère des sports contrôle-t-il votre dispositif de signalement, par exemple dans le cadre d’une évaluation annuelle ?

M. Éric Tanguy. Non, pas à ma connaissance.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Vous avez évoqué des cris de singe. Lors des compétitions, existe-t-il des délégués de salle qui pourraient documenter de tels incidents ? Quelles mesures préconisez-vous en pareil cas ?

M. Éric Tanguy. Lorsqu’un club accueille un match, nous lui demandons de nommer un responsable de salle, qui est le référent vers lequel se tourneront les arbitres, les entraîneurs ou toute personne en difficulté. Dans la limite de ses pouvoirs, il est chargé de faire respecter la bonne tenue des compétitions dans la salle et d’adresser à la commission de discipline, le cas échéant, un rapport sur les faits dont il a eu connaissance, lequel est ensuite utilisé pour déclencher des poursuites ou prononcer des sanctions. Fort heureusement, nous n’avons entendu des cris de singe qu’à une ou deux reprises au cours des trois dernières années – on est loin de ce qui arrive dans d’autres sports. Cela ne signifie pas pour autant que nous ne les prenons pas au sérieux.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dans le cadre de votre contrat de délégation, un bilan de vos actions est-il réalisé chaque année afin que le ministère vérifie que vos engagements sont bien tenus ?

M. Éric Tanguy. Je ne peux vous répondre, d’autant que le contrat de délégation date d’à peine un an. À ma connaissance, le ministère ne nous a rien demandé, mais je ne peux vous l’affirmer avec certitude. En revanche, nous dressons un bilan de l’activité de notre cellule – c’est pourquoi j’ai pu vous donner des statistiques très précises sur les dossiers que nous avons dû gérer.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous mis en place un comité d’éthique ?

M. Éric Tanguy. Oui : une commission mixte d’éthique chapeaute la Fédération et la ligue professionnelle, conformément à la loi Braillard du 1er mars 2017. Nous travaillons aujourd’hui à l’élargissement de ses missions, s’agissant notamment des règles de déport.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous nommé un référent en matière de VSS ?

M. Éric Tanguy. Oui : il s’agit de notre responsable juridique.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Selon vos propres chiffres, 60 % des licenciés de votre fédération ont moins de 20 ans. De quelle manière les sensibilisez-vous à la lutte contre les VSS et les discriminations ? Que pensez-vous de la plaquette de communication du ministère, que vous avez mise en ligne ? La trouvez-vous suffisamment lisible et compréhensible ? Nous-mêmes avons eu du mal à comprendre que les victimes pouvaient saisir elles-mêmes la cellule Signal-sports. Avez-vous adapté les outils de communication du ministère au sein de votre fédération ?

M. Éric Tanguy. Non : nous avons pris les outils que l’on nous a donnés ou imposés. Nous les avons diffusés le plus largement possible, par un courrier électronique envoyé à chaque club – mais pas à chaque licencié, car il y a quelques années nous avions 130 000 licenciés mais seulement 30 000 adresses électroniques valides – et sur les réseaux sociaux, notamment sur Facebook. Par ailleurs, nous avons mis en place une page dédiée à ces questions sur le site internet de la Fédération.

M. Sébastien Florent, secrétaire général de la Fédération française de volley. Sur trois réseaux sociaux, notamment sur Facebook mais aussi sur LinkedIn, nous avons effectué une communication plus personnalisée et simplifiée.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dans votre projet fédéral 2021-2024, il est indiqué que vous souhaitez promouvoir l’égalité et la lutte contre les discriminations. Comment le faites-vous, concrètement ?

M. Éric Tanguy. Dans le cadre de notre campagne d’information, nous avons voulu affirmer une « tolérance zéro » contre tous les actes racistes, sexistes ou autres et faire connaître les outils que nous avions mis en place, malgré nos moyens limités. Nous mettons aussi l’accent sur la parité, qui se manifeste notamment par le profil de nos licenciés, qui sont à 48 % des femmes ou des jeunes filles. Nous venons de voter nos nouveaux statuts, qui imposent une parité parfaite dès les prochaines élections qui auront lieu dans un an.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. M. Éric Arassus, président de la Fédération sportive LGBT+, a dénoncé l’engagement insuffisant de plusieurs fédérations dans la lutte contre l’homophobie. Il a pointé notamment les fédérations françaises de football, de basket, mais aussi de volley. Qu’en pensez-vous ? Quelles actions conduisez-vous spécifiquement pour lutter contre l’homophobie et quels moyens y consacrez-vous ?

M. Éric Tanguy. Je ne vois pas de quoi parle M. Arassus car je n’ai pas eu connaissance de problèmes d’homophobie dans notre fédération. Si nous devions être informés de tels comportements, nous les combattrions tant ils sont inadmissibles. Cette action pourrait entrer dans le champ de compétence de la cellule dont je vous ai parlé.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Par prévention, organisez-vous des campagnes de lutte contre l’homophobie ?

M. Éric Tanguy. Non.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En matière de lutte contre les VSS et contre toutes les formes de discrimination, dispensez-vous des formations spécifiques ou faites-vous appel à des structures extérieures ?

M. Éric Tanguy. Nos formations d’entraîneur dispensées par les cadres de la direction technique nationale (DTN) comportent des modules de prévention des violences sexuelles. Nous faisons notamment appel à l’association Colosse aux pieds d’argile, qui est également intervenue lors du colloque de nos cadres et de notre assemblée générale. Les militants de cette association disposent de kits de communication que nous diffusons largement – il est parfois inutile de réinventer des outils qui existent déjà.

M. Sébastien Florent. Dans le cadre de notre convention avec Colosse aux pieds d’argile, il est prévu que l’association intervienne, pour une durée d’environ trois heures, auprès des ligues régionales lorsqu’elles organisent leur rassemblement annuel.

M. Éric Tanguy. Nous avons également fait intervenir Colosse aux pieds d’argile il y a deux ans, à la demande du ministère, pour réaliser un audit de nos structures fédérales concernant les faits de bizutage. Le rapport que l’association a produit à cette occasion n’était pas particulièrement flatteur, puisqu’il a mis en évidence des cas de bizutage dans nos pôles espoirs et dans certains centres régionaux. Nous avons alors engagé des actions spécifiques, avec l’ensemble de nos présidents de ligue, notamment auprès des entraîneurs, que nous avons formés et recadrés, pour mettre fin à quelques pratiques qui pouvaient, à terme, donner lieu à de grands dérapages.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ces formations sont-elles déclinables à tous les échelons, jusqu’à celui des clubs ?

M. Éric Tanguy. Bien sûr.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous nous préciser le contenu de votre convention avec Colosse aux pieds d’argile ? Se limite-t-elle à la formation ou comprend-elle également l’accompagnement des victimes ? Quel est le coût de ces actions ? En êtes-vous satisfaits ? Travaillez-vous aussi avec d’autres associations ?

M. Sébastien Florent. Plusieurs associations nous accompagnent, mais Colosse aux pieds d’argile est la plus ancienne d’entre elles. Elle intervient auprès de l’ensemble des structures fédérales, y compris auprès des comités départementaux, sur trois volets : la formation et l’information ; l’accompagnement ; le transfert vers la Fédération des déclarations qui lui sont directement adressées. Les membres de cette association sont très proactifs et nous accompagnent lorsque nous nous posons certaines questions. Nous sommes très satisfaits de cette convention, que nous avons renouvelée l’année dernière.

M. Éric Tanguy. De mémoire, le coût de cette convention s’élève à quelques milliers d’euros – pas beaucoup plus de 5 000 euros – et intègre la cotisation de la Fédération et l’achat de kits de communication. Nous réglons également la moitié de la cotisation de chacune de nos ligues régionales.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourrez-vous nous transmettre le rapport de l’audit mené par Colosse aux pieds d’argile, que vous avez mentionné un peu plus tôt ?

M. Éric Tanguy. Nous vous le transmettrons avec plaisir.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons eu connaissance de plusieurs cas de violences sexuelles, comme celui d’un entraîneur ayant filmé une joueuse de volley mineure qui se changeait dans les vestiaires. Au-delà de l’information et de la formation, quelles mesures prenez-vous pour lutter contre de tels agissements de la part de vos entraîneurs ?

M. Éric Tanguy. Il n’y a pas d’action spécifique au-delà de l’information et de la diffusion d’outils. Il est difficile, pour une fédération, d’intervenir auprès de tous les entraîneurs. Lors des formations, nous pouvons rappeler les bonnes pratiques, comme le fait pour un homme de ne pas se changer dans le même vestiaire que celui des joueuses, a fortiori mineures. Nous nous efforçons de prononcer des sanctions fortes, pour l’exemple. En revanche, je n’ai pas eu connaissance du cas que vous venez d’évoquer.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il est pourtant évoqué dans le procès-verbal n° 11 du 10 juin 2022.

M. Éric Tanguy. Nous sommes donc concernés.

M. Sébastien Florent. Le président de la Fédération ne peut être au courant de tous les dossiers. Nous avons traité ce cas assez rapidement, en quarante-huit heures, avec l’ancienne responsable du service juridique. En lien avec la ligue et le club concernés, nous avons mené une information sur ces sujets, y compris en direction des jeunes.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Les recommandations, comme celle de ne pas se changer dans les mêmes vestiaires, sont-elles transmises par écrit ou seulement à l’oral ?

M. Sébastien Florent. Ces recommandations font partie du cycle de formation pour les entraîneurs concernés. Sinon, elles sont transmises par voie orale.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Depuis la mise en place de votre cellule et de Signal-sports, constatez-vous une évolution, qui serait par exemple marquée par une plus grande libération de la parole ?

M. Éric Tanguy. Je ne suis pas l’interlocuteur privilégié en la matière, et je ne souhaite pas l’être. Nos instances doivent fonctionner en toute indépendance et pouvoir prononcer les sanctions qui s’imposent. Je pense que nous avons connu un pic d’activité lorsque nous avons lancé notre cellule, une forme de rattrapage concernant des dossiers anciens. Colosse aux pieds d’argile a ainsi recueilli un témoignage relatif à une affaire qui datait d’une vingtaine d’années – la victime, qui était mineure au moment des faits, a déposé plainte et l’entraîneur avait entre-temps changé de région. Nous enregistrons aujourd’hui quelques dossiers.

M. Sébastien Florent. Depuis la création de cette cellule, nous constatons que les ligues et les clubs nous sollicitent davantage car ils sont plus vigilants. À chaque fois, nous leur demandons d’effectuer un signalement sur notre adresse électronique et auprès de Signal-sports. La parole s’est effectivement libérée, des freins ont été levés.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’entends bien que des présidents de ligue ou des entraîneurs vous appellent, mais constatez-vous aussi cette libération de la parole du côté des victimes ?

M. Sébastien Florent. La plupart des cas portés à notre connaissance transitent par les présidents de club, qui sont souvent nos premiers interlocuteurs. Ils préféraient initialement passer par leur président de ligue, mais ils s’adressent désormais directement à nous. Notre adresse électronique est maintenant bien connue.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Effectivement, pour un jeune qui fait du sport dans un club, la Fédération paraît très lointaine : le président du club ou l’entraîneur est sans doute la première personne à qui il souhaite s’adresser.

Êtes-vous en lien, sur ces sujets, avec vos homologues d’autres fédérations de volley en Europe ? Il arrive que les prédateurs soient mobiles, notamment en outre-mer.

Par ailleurs, avez-vous le sentiment que les collectivités sont au rendez-vous et qu’elles accomplissent leur part de travail en matière de prévention, par exemple à travers les panneaux d’affichage dans les salles de sport, les vestiaires ou les écoles ?

M. Éric Tanguy. Je me rends fréquemment dans les salles de sport mais je vois assez peu de tels panneaux d’affichage. Je me souviens malgré tout d’une campagne assez largement diffusée concernant le harcèlement. Il est vrai que les collectivités pourraient agir davantage dans ce domaine.

La Fédération française est compétente pour l’outre-mer.

Nous n’échangeons pas beaucoup sur ces sujets avec les autres fédérations en Europe. Nous nous sommes cependant posé la question, notamment dans le cadre d’un dossier en cours de traitement par la justice. Ce cas concerne un entraîneur dont la licence professionnelle a été suspendue par arrêté préfectoral et qui, en conséquence, est parti entraîner en Ukraine. Je me demande si nous devons prévenir la Fédération ukrainienne. Une enquête de police est en cours. Par ailleurs, le club ne nous a communiqué que peu d’éléments concernant l’entraîneur, qui a attaqué son employeur pour licenciement abusif – l’affaire est renvoyée aux prud’hommes.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Les cas de changements de club, mais aussi parfois de discipline et donc de fédération, ont effectivement été déjà évoqués lors de précédentes auditions. Certains entraîneurs partent quelques années à l’étranger avant de revenir en France.

Certaines victimes auditionnées nous ont fait part de leurs craintes de représailles, comme d’être écartées de certaines compétitions ou d’être mises au ban de leur club. Par conséquent, elles peuvent privilégier des signalements anonymes, mais il nous a été dit que ces derniers ne pouvaient être pris en compte par votre cellule. Est-ce toujours le cas ? De quelle manière votre fédération traite-t-elle ces témoignages anonymes ?

M. Éric Tanguy. Lorsque nous avons créé la cellule, nous avons clairement indiqué que les déclarations anonymes ne seraient pas prises en compte, pour ne pas encourager les dénonciations calomnieuses. Il faut savoir qu’une fédération comme la nôtre reçoit régulièrement des lettres anonymes, sur des sujets très divers. En revanche, notre service juridique est extrêmement précautionneux afin de garantir l’anonymat des victimes qui témoignent. Nous ne dévoilerons jamais le nom d’une personne qui a témoigné auprès de la cellule, mais celle-ci doit le faire à visage découvert et dans le respect des droits de la défense – la personne mise en cause a donc la possibilité d’être entendue par la commission de discipline. Nous voulons éviter qu’un parent mécontent que son enfant n’ait pas joué telle ou telle rencontre se venge en accusant l’entraîneur de harcèlement. Ainsi, lorsque l’adresse mise en place a été utilisée, les faits étaient généralement sérieux et étayés.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. M. Lappartient, le président du CNOSF, nous a indiqué que la justice demandait parfois de ne pas mettre à l’écart les agresseurs ou les personnes accusées. Pour illustrer son propos, il a notamment cité votre fédération. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Éric Tanguy. M. Florent pourra vous en dire davantage : c’est lui qui a reçu un appel de la gendarmerie lui demandant de ne rien faire sur un dossier afin de ne pas compromettre certaines preuves – la personne incriminée n’était pas au courant qu’une enquête de police était en cours. Les enquêteurs espéraient probablement un flagrant délit.

M. Sébastien Florent. Effectivement, dans une affaire, j’ai reçu un appel de la gendarmerie m’informant que les agissements d’un entraîneur étaient assez graves et me demandant de ne surtout pas intervenir afin de ne pas compromettre l’enquête, l’intéressé ne se doutant de rien. Cette affaire a été très difficile à gérer – je n’ai pas bien vécu cet épisode. Nous avons malgré tout suivi l’entraîneur à distance et nous nous sommes rendu compte qu’il allait changer de club car le président du premier club avait été informé de l’enquête et faisait un peu attention. Lorsque ce changement de club est devenu effectif, j’ai immédiatement rappelé la gendarmerie en leur disant que si elle ne m’adressait pas sous quelques jours un courriel me demandant expressément de ne pas agir, je soumettrais le dossier à la commission de discipline. En l’absence de courriel, j’ai donc saisi la commission de discipline. J’ignore comment l’enquête de gendarmerie a évolué mais je ne pouvais pas prendre le risque qu’il y ait des victimes dans le nouveau club.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quelles mesures ont été prises par la commission de discipline ?

M. Sébastien Florent. Nous avons immédiatement suspendu la licence de cet entraîneur. Il est ensuite passé en commission de discipline, qui l’a suspendu.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous connu des cas de personnes suspendues à titre conservatoire, qui ont ensuite fait appel voire porté plainte contre les clubs ou la Fédération ?

M. Sébastien Florent. Une seule personne a fait appel. Il s’agit de l’entraîneur qui est parti ensuite à l’étranger et que M. Tanguy a mentionné précédemment.

Pour revenir au cas où la gendarmerie nous avait demandé de ne pas intervenir, je précise que nous avons eu du mal à récupérer des informations nous permettant de prendre une décision.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En l’espèce, je comprends que la victime n’avait pas évoqué le problème avec son club mais qu’elle s’était adressée directement à la gendarmerie. Est-ce bien cela ?

M. Sébastien Florent. La victime avait sollicité son président de club, qui a eu un bon réflexe puisqu’il l’a incitée à porter plainte immédiatement. C’est ce qu’a fait la jeune femme, accompagnée de sa mère, et cela a entraîné une libération de la parole puisque d’autres joueuses ont fait de même.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous des propositions à soumettre à notre commission d’enquête ?

M. Éric Tanguy. Nous avons identifié un manque de communication entre les administrations – entre les services enquêteurs, la justice, la préfecture qui prend des arrêtés d’interdiction d’encadrement et notre unité fédérale. La transversalité n’est pas de mise, ce qui nous met parfois en difficulté. Le parquet nous demande de ne pas agir, mais il pourrait nous être reproché de n’avoir rien fait. La situation est délicate car, dans le dossier que nous venons d’évoquer, nous ne voulions pas risquer de compromettre des preuves, le nombre de victimes dans le même club étant par ailleurs assez élevé.

En matière de procédure, nous avons suggéré au ministère d’allonger les délais pour les fédérations, lesquelles ne disposent actuellement que de dix semaines pour prendre une décision sur une affaire de violences sexuelles alors que, dans le même dossier, la procédure judiciaire peut durer deux ou trois ans. Il est possible de prendre des mesures conservatoires rapidement – lorsque l’affaire est évidente, nous le faisons généralement dans la journée –, mais il faudrait ensuite avoir du temps pour mener une enquête. De plus, nous ne disposons pas toujours des éléments suffisants. Par exemple, dans le cas de l’entraîneur parti en Ukraine, le club ne veut pas nous communiquer les informations, qu’il réserve à la procédure prud’homale en cours.

Il est plus délicat d’agir quand l’affaire concerne un de nos licenciés mais intervient dans un cadre extérieur au volley. Nous avons ainsi découvert en lisant le journal que le vice-président d’un de nos clubs, qui travaille dans un institut accueillant des personnes handicapées, avait violé un certain nombre d’entre elles et qu’il avait été incarcéré. Nous avons bien sûr procédé au retrait de sa licence.

Plus généralement, comme je l’indiquais précédemment, le temps de la justice est très long. Pour les victimes, il est souvent insupportable qu’une enquête puisse durer plusieurs mois. Par ailleurs, nous avons été conduits à effectuer à plusieurs reprises des signalements au procureur de la République sur la base de l’article 40 du code de procédure pénale, mais le parquet ne nous a jamais informés, à ma connaissance, de la suite donnée à ces affaires. C’est la raison pour laquelle je suggère une meilleure coopération entre les différentes parties prenantes, par exemple sous l’égide du ministère des sports, à qui il est sans doute plus facile de dialoguer avec le ministère de la justice ou le ministère de l’intérieur.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez évoqué les mesures conservatoires que vous prenez immédiatement. Celles-ci durent fréquemment quelques mois, quand le rythme de la justice est plus lent, vous l’avez à juste titre souligné. Que se passe-t-il lorsque la mesure conservatoire s’achève ?

M. Éric Tanguy. La personne recouvre normalement ses droits, sauf si des éléments nous permettent de prolonger la mesure.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Est-il donc arrivé que vous preniez une mesure conservatoire de suspension de licence, même pour des cas avérés, et que la personne retrouve sa licence au bout de six mois, par exemple, en attendant d’être jugée ?

M. Éric Tanguy. Cela s’est peut-être déjà produit. Il est difficile de prendre des mesures conservatoires plus longues, d’autant que nous ne sommes pas forcément informés de l’avancement de l’enquête de police – nous découvrons parfois ces éléments dans la presse. Le problème se pose aussi pour les arrêtés d’interdiction d’encadrement pris par les préfets, pour une durée de quelques mois ou d’une année. Du reste, lorsque les préfectures nous envoient une notification de ces décisions, nous ne savons pas ce qui est reproché aux personnes concernées.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous prie d’excuser mon absence lors de votre audition, en raison d’un rendez-vous que j’ai dû honorer. Je vous remercie pour vos réponses, qui permettront de nourrir les travaux de cette commission d’enquête. Ils contribueront certainement à l’élaboration du rapport que nous remettrons début décembre, lequel comportera notamment des propositions.

M. Éric Tanguy. Je vous remercie de nous avoir écoutés. Nous vous transmettrons le rapport d’audit sur le bizutage réalisé par Colosse aux pieds d’argile. Nous souhaitons que les administrations comme les fédérations soient encore plus efficaces dans la lutte contre toutes les formes de violence.

La commission auditionne M. Noël Le Graët, ancien président de la Fédération française de football.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous auditionnons M. Noël Le Graët, ancien président de la Fédération française de football (FFF). Monsieur, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions. Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif en tant qu’elles ont délégation de service public le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations. Nos travaux portent sur trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif.

À partir de septembre 2022, des articles de presse ont fait état de graves difficultés de fonctionnement au sein de la FFF. Les faits évoqués portent sur la gouvernance et le management de la Fédération et sur des faits de harcèlement ou ayant trait à des violences sexuelles et sexistes au siège de la FFF comme au Centre national de football de Clairefontaine. Un rapport de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR), nécessaire, dont la synthèse a été publiée en février 2023, fait le constat d’ « une gouvernance fédérale défaillante », d’une directrice générale aux « méthodes brutales » et au « comportement jugé erratique », d’ « un président dont les dérives de comportement sont incompatibles avec l’exercice de ses fonctions et l’exigence d’exemplarité qui lui est attachée » et d’« une politique de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans le réseau fédéral ni efficace ni efficiente ».

Dans un bref propos liminaire, pouvez-vous revenir sur les dysfonctionnements qui vous sont reprochés et qui ont conduit à votre départ ?

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Noël Le Graët prête serment.)

Je vous laisse la parole durant cinq minutes pour un propos liminaire avant les questions de Mme la rapporteure et de nos collègues députés.

M. Noël Le Graët, ancien président de la FFF. Je précise que, une enquête étant en cours, je n’ai pas le droit de m’exprimer sur ce qui n’a pas été jugé.

Il me semble qu’un courrier que vous m’avez adressé précisait que mon temps de parole pour me présenter était de quinze minutes.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous pouvez vous présenter efficacement à la commission d’enquête en cinq minutes. Vous aurez ensuite l’occasion de dire tout ce que vous voulez confier à cette commission lors des questions.

M. Noël Le Graët. Je suis à votre disposition.

Je vais fêter mes 82 ans le jour de Noël. Je suis né à Bourbriac et j’ai rejoint la ville de Guingamp, toute proche, à l’âge de 4 ans avec mes parents qui y avaient trouvé un emploi digne. Je ne vais pas vous raconter toute ma vie, mais j’ai toujours eu deux passions : le football et la ville de Guingamp. J’ai commencé à jouer au foot à l’âge de 6 ans et j’ai été footballeur au club de Guingamp jusqu’à mes 30 ans. Je suis ensuite devenu son président et, en trente ans, je l’ai fait monter, grâce à un travail sérieux réalisé avec des amis – on ne fait jamais rien tout seul –, d’une petite division à la première division.

J’ai exercé deux mandats de maire de Guingamp, l’un de six ans et l’autre de sept ans, soit treize ans au total. J’ai ensuite laissé ma place à une femme, mon adjointe, qui est aujourd’hui sénatrice, avec laquelle j’ai bien travaillé et dont je garde d’excellents souvenirs. Guingamp connaît les mêmes difficultés que les autres petites villes, mais nous avons la chance d’avoir un hôpital – même si j’ai dû marier des équipes privées et publiques pour qu’il puisse continuer à fonctionner– et nous avons eu également la chance de bénéficier du plan Borloo grâce auquel nous avons pu construire un paquet de HLM. La ville est aujourd’hui relativement attractive grâce au logement et aux conditions de vie. C’est une ville dans laquelle je suis heureux.

Après ma carrière de footballeur, j’ai été VRP pendant de nombreuses années pour de grosses sociétés jusqu’à l’âge de 40 ans. J’ai alors décidé de devenir industriel et j’ai acheté une petite usine de vingt-deux salariés. Elle en compte aujourd’hui 800, et parfois même jusqu’à 1 000. J’avais l’habitude de passer deux à trois jours par semaine en Bretagne et le reste de la semaine à la Fédération. Les affaires marchent très bien – je ne suis pas venu ici pour me plaindre du fonctionnement de l’industrie agroalimentaire – grâce à des cadres de qualité, même si, comme tout le monde, nous subissons la crise de l’énergie. Toutes nos entreprises sont situées en Bretagne, principalement dans la région de Guingamp. J’ai transmis l’entreprise il y a quelques années à ma fille, qui est ici présente.

Je pense avoir pris moins de quinze minutes pour vous présenter mon parcours.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous invite à nous parler de votre parcours au sein la Fédération. Nous avons reçu un courrier de vos avocats du cabinet Kiejman et Marembert nous informant que vous ne répondrez pas aux questions concernant l’affaire en cours.

M. Noël Le Graët. J’ai été président du club de Guingamp pendant trente ans et président de la Ligue de football professionnel pendant huit ans. Je n’ai pas été réélu en raison de ma position sur un appel d’offres important. Les clubs les plus aisés voulaient plus d’argent, mais je ne voulais pas d’un écart trop important entre les petits et les grands clubs. Ces huit années ont été huit années de bonheur et je pense avoir laissé ma trace, notamment par la création de la direction nationale du contrôle de gestion (DNCG), qui fut une décision très importante pour le football français, car elle a permis de sauver plusieurs clubs de la ligue, qui étaient en difficulté, comme beaucoup d’entreprises. Cette direction existe toujours et compte des personnes encore plus performantes qu’à l’époque.

J’ai été élu à la tête de la Fédération après l’incident de Knysna. Je suis plus à l’aise sur les dossiers financiers – en douze ans, j’ai redressé les finances – et sportifs – l’équipe de France masculine, qui était classée au quinzième rang mondial à l’époque, est aujourd’hui au deuxième et l’équipe de France féminine n’est plus cette équipe moyenne qu’elle était – que sur les dossiers juridiques. Knysna, qui a été vécu comme un grand malheur, s’est révélé finalement un bonheur puisque nous avons instauré des conditions de travail très humaines pour les garçons et les filles de la Fédération.

Mon mandat devait s’achever en 2024 et le travail à la Fédération avec les cadres de grande qualité dont je pense avoir su m’entourer me manque. Je ne me suis jamais lassé de me rendre à Paris, puisque j’ai toujours habité Guingamp.

Après Knysna, les recettes manquaient car de nombreux sponsors avaient quitté la Fédération, mais la situation s’est améliorée grâce à une équipe de jeunes – cadres sportifs de très haut niveaux à Clairefontaine et cadres techniques – et la Fédération s’est modernisée. Je ne dis pas que nous avons tout réussi, mais elle dispose aujourd’hui de davantage de moyens et le nombre de licenciés a considérablement augmenté – 30 % de plus pour les garçons et trois fois plus de jeunes femmes.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous aurons l’occasion de revenir sur votre carrière dans le mouvement sportif au fur et à mesure des questions.

Pouvez-vous revenir sur la chronologie des faits qui ont conduit le comité exécutif à décider de votre mise en retrait de la FFF en janvier 2023 ?

M. Noël Le Graët. Je n’ai rien fait de mal, nulle part, à personne. Le traitement médiatique de mon cas est immérité. J’ai une famille – trois enfants et neuf petits-enfants entre 22 et 30 ans – et je ne supportais plus les articles quotidiens dans la presse locale et nationale remplis de contre-vérités. Je ne m’exprimerai pas davantage sur cette question. Mes avocats contestent le rapport et ont demandé son annulation. Je ne peux présenter de défense car je ne suis au courant de rien. Vous êtes plus au courant de moi.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous revenir sur l’enquête elle-même ? Quelles observations appellent de votre part le travail d’enquête de l’IGESR ?

M. Noël Le Graët. Je peux vous en parler en toute liberté. J’ai été entendu par la mission d’inspection dirigée par M. Béthune, qui m’a reçu pour me dire que je pouvais partir en vacances car le dossier était clos. À peine arrivé en Martinique, où j’aime passer des vacances, on m’annonce que je devais revenir à Paris en raison d’un fait nouveau. Je n’ai jamais su de quoi il s’agissait, mais aujourd’hui je ne peux répondre à toutes vos questions. Je l’aurais fait volontiers si ce n’était le signalement à la justice en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale. 

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Donc vous partez en vacances, on vous convoque et vous ne savez pas pourquoi vous devez revenir ?

M. Noël Le Graët. On m’a juste dit qu’il y avait un fait nouveau.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. On ne vous l’a pas détaillé ?

M. Noël Le Graët. Personne ne l’a détaillé. Je n’ai reçu ni courrier ni notification de rendez-vous.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Cette commission d’enquête a été créée à la demande de Mme la rapporteure à la suite de nombreux témoignages que nous avons reçus. Elle s’intéresse notamment aux violences sexuelles et sexistes, aux discriminations, au racisme, aux violences et au harcèlement. Avez-vous des faits à nous rapporter sur ces sujets ?

M. Noël Le Graët. Pas du tout, jamais. J’ai trop de respect. Je rappelle que j’ai mis des femmes à des nombreux postes : ma directrice générale était une femme – je crois que vous allez la recevoir – ainsi que ma vice-présidente, Brigitte Henriques, que vous avez déjà reçue. J’ai développé le football féminin et j’ai l’habitude de travailler avec des femmes. Je ne me fais aucun reproche.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous confirmez que vous n’avez rien à ajouter sur ces questions ? Je vous rappelle que vous avez prêté serment.

M. Noël Le Graët. Je vous rappelle que j’ai prêté serment sous réserve que nous restions dans le cadre des questions que vous devez me poser en dehors de ces éventuelles difficultés, sur lesquelles je ne m’exprimerai pas.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Toutes les questions que nous serons amenés à vous poser ne concernent pas l’affaire qui est en cours. Vous pourrez donc nous répondre, par exemple, sur ce qui a été mis en place par la FFF sous votre présidence pour lutter contre les violences sexuelles et sexistes, contre le racisme ou encore l’homophobie.

Je voudrais revenir sur les propos que Mme Brigitte Henriques a tenus lorsque nous l’avons auditionnée. Elle a évoqué devant nous des « blagues graveleuses » de votre part. Elle a également dit, je la cite : « Dans ces cas-là, j’ai toujours eu la même posture, je lui disais en rigolant : ‘‘C’est l’heure de prendre tes cachets ‘‘, car je n’acceptais pas qu’on puisse avoir ces propos au sein de réunions où les femmes étaient déjà peu nombreuses. Cela n’avait absolument pas sa place. » Confirmez-vous ces propos, que Mme Henriques a tenus sous serment ?

M. Noël Le Graët. Elle était une des femmes que je préférais à la Fédération et qui travaillait le mieux. Il est possible qu’il y ait eu une blague malheureuse, mais j’ai un profond respect pour elle. J’aurais d’ailleurs préféré qu’elle reste à la Fédération pour qu’elle m’y succède. Je n’ai rien contre Philippe Diallo, n’y voyez aucune allusion maladroite ! Elle était une vice-présidente de grande qualité et je serais étonné qu’elle m’ait critiqué.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Les auditions sont publiques, vous pouvez donc entendre ce qu’elle a dit. J’ai cité exactement ses propos.

M. Noël Le Graët. Je n’ai pas tout regardé, mais le démarrage était sympathique.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez évoqué les femmes avec lesquelles vous avez travaillé. Toutes les femmes siégeant au comité directeur (codir) ont quitté la FFF : la directrice de l’Institut de formation du football, la directrice du football amateur, la directrice des systèmes d’information, la directrice du football féminin, la directrice du business development et la directrice de la Fondation du football. Comment expliquez-vous ces départs – six depuis 2016, dont quatre depuis 2020 ?

M. Noël Le Graët. Je ne veux pas donner l’impression de répondre à côté, mais je ne m’occupais pas directement du personnel. J’ai toutefois été étonné de voir autant de départs de femmes, même si, à un moment, il y avait trop de monde à la Fédération et des départs étaient sans doute nécessaires. Je regrette certains d’entre eux. Ces femmes travaillaient très bien et je n’ai pas de reproche particulier à leur faire. Heureusement, à l’exception de l’une d’entre elles, toutes ont retrouvé du travail.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Comment expliquez-vous que toutes ces femmes qui occupaient des postes à responsabilité les aient quittés ?

M. Noël Le Graët. Il faudra demander aux responsables du personnel, que vous allez recevoir.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) adopté en 2020 a-t-il affecté des personnes travaillant dans le service de Didier Deschamps ?

M. Noël Le Graët. Donnez-moi un nom, car je ne sais pas qui a quitté Didier Deschamps. Je réponds ce que je ressens, sans quoi je risquerais de raconter une histoire qui ne tient pas la route. Je ne pense pas que Didier Deschamps se soit séparé de quelqu’un et d’ailleurs il n’en a pas vraiment le pouvoir. Il peut donner des indications à la direction du personnel ou à moi-même, puisque j’étais son employeur direct. N’oubliez pas que c’est le président qui nomme le sélectionneur et qu’ils forment un couple.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vais être plus précise : quelles étaient les fonctions de Mme Virginie Josselin au sein de la Fédération ?

M. Noël Le Graët. Je ne sais pas, mais elle devait être une professionnelle de qualité car Didier est très exigeant.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Elle a dû partir dans le cadre du PSE. Est-il possible que M. Deschamps n’ait pas été informé des détails d’un PSE qui aurait touché directement son service ?

M. Noël Le Graët. Cela m’étonnerait car sa personnalité est forte, mais il est possible qu’il ne soit pas au courant de tout. Nous avons de la chance d’avoir quelqu’un comme lui à ce poste.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous avez déposé une plainte contre la ministre des sports et des Jeux olympiques et paralympiques. Pouvez-vous revenir sur ses raisons ?

M. Noël Le Graët. L’enquête s’accélère. Si vous m’aviez reçu trois semaines plus tard, j’aurais pu vous répondre, mais je n’ai pas le droit de vous parler de cette plainte.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez pourtant fait des déclarations dans les médias concernant cette plainte.

M. Noël Le Graët. Je ne pense pas être l’auteur de ces déclarations. La personne qui les a faites devrait d’abord regarder notre travail. Je me demande de quoi elle s’occupe. En tout cas, ces déclarations ne sont pas dignes de l’homme de qualité qu’il est.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lorsqu’il était question de la succession de M. Deschamps, vous avez déclaré que vous ne répondriez même pas à M. Zidane s’il vous appelait. Plusieurs personnes de la FFF que nous avons auditionnées nous ont indiqué n’avoir été informées de votre décision de prolonger le contrat de M. Deschamps qu’après que vous l’avez prise. Pouvez-vous revenir sur cette décision que vous ne semblez pas avoir prise de manière collégiale ?

M. Noël Le Graët. Les textes permettent au président de désigner le coach sans en référer à qui que ce soit, mais vous vous doutez bien que je ne le fais pas tout seul puisque j’ai un comité exécutif (comex) de douze membres.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Certes, mais il semblerait que vous ne les ayez pas informés.

M. Noël Le Graët. Nous discutons, mais, même s’ils ne sont pas d’accord, la coutume et les textes disent que la décision finale appartient au président. Si le coach était élu par un vote national, Didier Deschamps aurait recueilli 80 % de voix.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Est-il de coutume que le président discute de sa propre succession avec le coach ? Vous avez déclaré à la presse avoir eu ces discussions avec Didier Deschamps.

M. Noël Le Graët. Je suis tout à fait d’accord. Je pense qu’il aurait fait un bon président de fédération, mais il ne le souhaitait pas.

M. Stéphane Buchou (RE). J’ai interrogé Didier Deschamps lors de son audition sur les mesures qu’il prendrait sur les questions qui intéressent la commission s’il devenait président de la FFF. Il m’a répondu que ce poste ne l’intéressait pas.

M. Noël Le Graët. J’ai cru un moment pouvoir le convaincre, mais sa réponse à votre question montre qu’il n’a pas changé d’avis. Il est un type exceptionnel, par sa connaissance du football, plus que du droit d’ailleurs. Après douze ans comme sélectionneur et une merveilleuse coupe du monde au Qatar, j’aurais aimé le voir prendre ma succession. Après l’avoir fait venir à Guingamp, lui avoir demandé mille fois, j’ai cru un moment pouvoir le convaincre, mais cela n’a finalement pas marché.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ma question n’était pas de savoir si Didier Deschamps aurait fait un bon président de fédération ou pas. Je vous ai demandé s’il est normal que vous discutiez de votre succession avec lui. La procédure normale est celle d’une élection au sein de la Fédération pour désigner votre successeur. Il me semble que ce n’est pas tout à fait celle que vous avez suivie.

Pouvez-vous préciser quelle était la fonction de M. Diallo au moment de l’élection de votre liste ? À quel moment a-t-il intégré le comité exécutif ?

M. Noël Le Graët. Je réponds très facilement à votre première question. Ce n’est pas parce qu’un candidat à la présidence est poussé par des copains qu’il est élu. L’assemblée fédérale comprend de nombreux représentants et l’élection du président et de son comité exécutif est une élection nationale. Ce n’est pas une petite élection parisienne ou régionale. J’ai moi-même été élu et à chaque fois avec de bons scores. Je pense donc que les représentants de l’assemblée n’étaient pas trop mécontents de mon travail. J’ai pu avoir des conversations avec Didier, mais il aurait de toute façon dû faire comme tout le monde et passer par l’élection nationale.

Les règles de composition du comex vont changer. Jusqu’à présent, il est composé de douze membres élus en plus du président de la Ligue de football professionnel et du président de la Ligue du football amateur. Il sera bientôt composé de vingt-huit membres – je trouve que cela fait beaucoup de monde pour prendre de bonnes décisions – et les amateurs seront plus nombreux parmi les représentants pour l’élection nationale.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Et concernant M. Diallo ?

M. Noël Le Graët. Je n’ai jamais connu quelqu’un qui ait autant de pot que M. Diallo, surtout après avoir été battu à une élection syndicale. Confronté à un départ, je juge qu’il s’exprime bien, qu’il est intelligent, qu’il connaît bien le droit et que ce ne serait pas mal de disposer d’un homme de cette qualité, même si ce point de vue n’était pas forcément apprécié. Il était alors trésorier. Après le départ de Mme Henriques, il était le seul que je pouvais nommer vice-président, les autres candidats occupant une fonction extérieure, ce qui leur interdit de briguer ce type de poste, comme ceux de secrétaire ou de trésorier. Il s’est donc retrouvé vice-président.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. À quelle date ? Quand intègre-t-il le comité exécutif ?

M. Noël Le Graët. Je n’ai aucune envie de mentir. Les dates… J’ai dû partir il y a un an et je pense qu’il devait être en poste un an auparavant. Il a été élu à deux voix de majorité mais il a été confirmé en 2023, me semble-t-il, par l’assemblée générale de la Fédération. De nouvelles élections auront lieu dans un an, mais avec des modalités différentes. Entre Deschamps et Diallo, j’ai ma préférence, mais j’ignore comment les choses se passeront.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lorsque vous êtes parti, au mois de janvier, M. Diallo était donc membre du comité exécutif depuis un an ?

M. Noël Le Graët. Oui.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La FFF a ouvert un numéro vert destiné aux victimes mais, pendant plusieurs mois, il a sonné dans le vide. Ce problème, sur lequel nous avons eu l’occasion de revenir avec M. Diallo, a été traité dans le cadre du comex. M. Diallo y siégeait-il à ce moment-là, en 2022 ?

M. Noël Le Graët. Je n’en suis pas certain. Cela n’enlève rien à ses qualités. Il y est entré parce qu’un poste s’était libéré et il a été trésorier, pendant un laps de temps. Je veux bien vous envoyer un courrier afin de vous faire part des dates précises, que je n’ai pas en tête.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Nous avons auditionné beaucoup de victimes de violences sexuelles et sexistes, d’homophobie, de racisme. Vous avez fait un certain nombre de déclarations et un certain nombre de faits qui se sont produits au sein de la FFF, lorsque vous la présidiez, ont été révélés.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des Jeux olympiques et paralympiques, a commandité un audit selon lequel la politique de la FFF en matière de violences sexuelles et sexistes n’est « ni efficace, ni efficiente ». Avez-vous pris des mesures à ce sujet ? Que répondez-vous s’agissant des nombreuses affaires dont la presse a fait état et de la remise en cause de votre façon de les gérer ?

Vous avez déclaré qu’il n’était pas nécessaire d’arrêter les matchs suite à des manifestations d’homophobie. Que pensez-vous du cyber-harcèlement subi par l’association Rouge Direct, très engagée dans la lutte contre l’homophobie dans les stades ? Vous avez également déclaré que le racisme n’existait pas, ou peu, dans le sport et dans le football en particulier. Pourriez-vous être plus précis ?

M. Noël Le Graët. Ce sont deux questions très différentes.

S’agissant de l’homophobie, je regrette d’avoir employé ces mots. Dans les stades, on ne se rend pas bien compte de la nature des mots qui sont proférés, ceux que nous connaissons tous. Lorsque je suis rentré, après cette déclaration, ma fille m’a passé un savon. J’ai ensuite rendu visite à des associations qui luttent contre l’homophobie. J’ai découvert que ce ne sont pas des gens qui vont au football. Souvent, il s’agit d’enfants abandonnés par leurs parents, qui vivent dans la rue. Je suis ressorti de cette visite très triste et j’ai considéré que j’avais été un peu maladroit d’avoir tenu de tels propos. Je suis certain que les imbéciles qui, dans les matchs de foot, hurlent les mots que vous connaissez, ne sont pas homophobes mais qu’ils sont bêtes.

S’agissant du racisme, j’ai toujours été un homme proche de l’Afrique. Je pense avoir été l’un de ceux qui a fait le plus pour que les petits puissent être ensemble dans les écoles de football. J’ai souhaité que l’on puisse organiser un match en Algérie mais je n’y ai pas réussi, ce que je regrette. C’est le seul pays avec lequel cela n’est pas possible, ce qui est honteux. L’Algérie est certes venue jouer en France mais il est très difficile, pour nous, d’aller là-bas. Grâce à la Fifa, j’ai une fonction africaine. Il y a quelques jours, j’ai été au Maroc. Je me suis également rendu en Tunisie et j’ai été plusieurs fois en Algérie. Je rejette purement et simplement le côté « race ».

J’ai dit une bêtise en affirmant que je n’arrêterais pas un match en raison de manifestations homophobes mais peut-être que j’en arrêterais un en cas de manifestations racistes. Notez que pendant les dix dernières années, aucun match n’a été arrêté. Le problème le plus grave, dans le milieu du football d’aujourd’hui, est certainement celui des bagarres entre supporters. Vous avez vu ce qui s’est passé lors du match entre Marseille et Lyon. Vous avez pu aussi entendre des cris, dans les tribunes, qui n’étaient pas les bons.

Je suis l’un des seuls à défendre les jeunes qui repartent dans leur pays. Ils sont imprégnés d’une culture française et ils jouent au foot après avoir reçu un entraînement de qualité mais, lorsqu’ils se rendent compte qu’ils ne parviendront pas à être titulaires dans une division supérieure, que leur famille est restée au pays, leur départ ne me gêne pas.

M. Stéphane Mazars (RE). Lorsque certains faits étaient commis par un éducateur ou entre sportifs, comment la FFF les traitaient-ils ? Ces informations remontaient-elles jusqu’à vous ? Si non, à quel niveau ?

M. Noël Le Graët. Je répondrai un peu comme les politiques en vous disant que c’est une bonne question. Il n’est pas possible de dire qu’il n’y a aucun problème, bien évidemment. J’ai des équipes de juristes de haut niveau, sur tout le territoire. Chaque fois que j’ai eu connaissance d’un fait grave, j’ai fait valoir l’article 40 du code de procédure pénale, sous le coup duquel je suis moi-même aujourd’hui. Je serais gêné si vous pensiez que je n’en suis pas perturbé. Il n’y a pas eu de cachotteries mais, très certainement, il y a des choses que nous n’avons pas sues. Dans tous les départements, nous avons une commission juridique, une commission sportive, une commission d’éthique auxquelles pas grand-chose n’échappe même si, je vous l’accorde, tout n’est pas parfait. Il n’en reste pas moins que la volonté est bien là.

M. Stéphane Mazars (RE). Ces informations pouvaient remonter jusqu’à vous et vous-même avez donc eu l’occasion de faire valoir l’article 40.

M. Noël Le Graët. En effet.

M. Stéphane Mazars (RE). Combien de fois ?

M. Noël Le Graët. J’ai dû le faire quatre fois.

M. Stéphane Mazars (RE). C’est peu. Pour quels types de faits ?

M. Noël Le Graët. Je ne suis pas le seul à avoir la possibilité de l’activer. Vous auditionnerez je crois dans les jours qui viennent un bien meilleur spécialiste que je ne le suis de ce genre de dossiers. Je suis gêné à l’idée de citer les noms des dames ou des messieurs concernés. L’une d’entre elle va au tribunal et gagne. Que doit-on faire ? Je l’ignore.

M. Stéphane Buchou (RE). Vous avez dit que vous avez été maladroit, en septembre 2020, lorsque vous avez répondu à la question qui vous avait été posée sur l’homophobie dans le milieu du football. Est-ce à dire que vous regrettez vos propos ? Les retirez-vous ? Je vous pose aujourd’hui la même question. Qu’y répondez-vous ?

M. Noël Le Graët. C’était une maladresse invraisemblable et je n’aurais jamais dû la commettre. Parfois, nous sommes confrontés à des manifestations d’ignorance. Je ne suis pas certain que tous ceux qui utilisent les termes que nous connaissons soient homophobes et qu’ils réfléchissent à ce qu’ils disent. J’ai rendu visite à plusieurs associations, ensuite, et je me suis dit : « Mon pauvre Noël, comment as-tu pu déclarer un truc pareil ? ». J’aurais dû me taire.

Empêcher les manifestations d’homophobie dans un stade, c’est un travail qui nous concerne tous. Lorsque le gardien de but a la balle et que des abrutis, derrière – même s’il y en a de moins en moins – emploient certains mots, ils ne savent même pas ce qu’ils disent. Si cette question m’était posée à nouveau, je répondrais différemment, cela va de soi.

M. Stéphane Buchou (RE). Vous semblez limiter l’expression de l’homophobie aux tribunes et aux stades mais elle est aussi présente dans le monde du football dans son ensemble : entre les joueurs, au sein des clubs et de la FFF elle-même. Que pouvez-vous dire à ce propos ?

M. Noël Le Graët. Je ne suis pas très au courant. Vous pourrez demander à d’autres. L’homophobie est un phénomène général, national voire mondial. C’est à chacun d’entre nous, dans la mesure de ses moyens, d’essayer de faire en sorte qu’elle diminue et que les gens comprennent ce qu’ils disent, ce qui n’est pas toujours le cas, je le répète.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Qu’est-ce qu’un comportement inapproprié à l’égard d’une femme ? Qu’est-ce que le harcèlement sexuel ?

M. Noël Le Graët. Le harcèlement sexuel, je l’ignore, je ne m’y suis jamais livré. S’agissant d’un comportement inapproprié, est-ce grave de dire à une femme qu’elle porte une jolie robe ? Aujourd’hui, oui. Les temps ont changé. J’ai 82 ans et c’est ce que je constate. Cela ne se dit plus. Il faut faire très attention, beaucoup plus aujourd’hui qu’il y a quelques années, ce qui est une bonne chose.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Selon vous, le harcèlement sexuel consiste à dire à une femme qu’elle porte une jolie robe ?

M. Noël Le Graët. Trouvez-vous que cela relève du harcèlement sexuel ?

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous pose la question.

M. Noël Le Graët. À mes yeux, dire à une femme qu’elle porte une jolie robe ne relève pas du harcèlement sexuel mais, selon vous, peut-être.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Nous avons auditionné votre responsable national de l’arbitrage, lequel nous a parlé d’un arbitre régional de la ligue d’Île-de-France qui essayait d’acheter de jeunes arbitres en faisant preuve d’un comportement particulièrement condamnable. En avez-vous été informé ? Quelles mesures avez-vous prises, en tant que tout puissant président de la Fédération ?

M. Noël Le Graët. Je l’ai appris la semaine dernière, ou la semaine précédente, suite à une audition au sein de votre assemblée. Le football compte autant de licenciés que l’ensemble des autres fédérations sportives. Est-ce un bien ou un mal ? Forcément, nous avons des lacunes. Nous disposons également d’un grand nombre de salariés susceptibles de s’occuper des problèmes de ce genre.

Le domaine de l’arbitrage est un peu « hors fédéral », mais je ne suis pas naïf. Hier soir ou avant-hier soir, je me suis laissé dire qu’il y a pu y avoir quelques problèmes. J’ai appelé le patron de la ligue de Paris-Île-de-France, lequel doit me rappeler ce soir. Je suis prêt à vous rapporter notre conversation.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). L’homophobie ne se limite pas à des mots ou à des chants entendus dans des stades. Elle est intrinsèque à certaines manières de fonctionner et s’exprime aussi à travers la banalisation de certains propos dans le monde du sport. Avez-vous lu le livre du footballeur Ouissem Belgacem, Adieu ma honte, paru en 2021 ? Son auteur a exercé au sein du centre de formation du Toulouse Football Club et raconte comment, étape après étape, il a fait son coming-out et combien les réactions à son égard ont été virulentes. Depuis, il s’efforce de sensibiliser les jeunes à cette question. Quelles actions avez-vous pu mener avec lui ou avec des associations de lutte contre l’homophobie ?

M. Noël Le Graët. Non seulement j’ai lu ce livre mais j’ai rencontré son auteur. Un joueur amateur a vécu à peu près la même chose à Arras. Il a eu beaucoup de mal à s’en remettre mais il va mieux et a trouvé un emploi. Je n’ai jamais dit qu’il n’y avait pas d’homophobie dans le football. J’ai dit qu’il y en a peut-être un peu moins que dans l’ensemble de la population. Je suis choqué, comme vous, par les manifestations d’homophobie sur un stade mais, avant, je ne savais pas, je vous avoue que je ne me rendais pas compte. J’ai rendu visite à trois associations et depuis, je vous le jure, j’ai changé. L’homophobie ne vise pas uniquement les footballeurs : elle touche aussi des gamins abandonnés, à la rue, qui n’ont pas de fric, que les parents ont chassé de chez eux parce qu’ils ne sont pas considérés comme « normaux ». J’ai passé une journée avec les membres de l’association la plus connue et j’en suis sorti très différent. Je n’utiliserais donc pas les mêmes mots et je rejoins la sensibilité qui est la vôtre.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Quelles actions avez-vous menées en tant que président de la FFF, au sein des clubs, des centres de formation, non seulement contre l’homophobie mais contre toutes les discriminations, qu’elles soient racistes ou sexistes ?

M. Noël Le Graët. J’ai donné des instructions à nos services, un peu partout. Je ne suis pas à la Fédération tous les jours. Je m’y rends deux jours et demi ou trois jours par semaine, je suis bénévole mais j’ai des équipes de grande qualité, mieux formées que je ne le suis sur des questions aussi importantes. Vous aurez, je crois, l’occasion d’auditionner certains de ceux qui y travaillent dans les jours à venir.

Je vous le répète et je vous demande de vous en souvenir : j’ai été blessé d’avoir tenu de tels propos, j’ai été blessé de ce que j’ai appris en rendant visite, pendant une journée, à l’association dont je vous ai parlé. Ces types qui hurlent dans les stades sont-ils homophobes ou bêtes ?

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Les deux.

M. Noël Le Graët. Je préfère votre réponse. Ils ne savent pas ce qu’ils disent.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Dans certaines équipes de football féminin, aux États-Unis mais, aussi, me semble-t-il, en Australie, les joueuses perçoivent un salaire égal à celui des hommes. Tel n’est pas le cas en France. Nous avons vu également ce qui s’est passé en Espagne, avec les agissements du président de la Fédération royale espagnole de football, de l’entraîneur et du sélectionneur. Pourquoi les primes ne sont-elles pas égales ?

M. Noël Le Graët. Quand on fait des appels d’offres pour les filles, elles ont 30 %, comme les garçons, même si les sommes en jeu sont très différentes. En revanche, les clubs salarient plus souvent les filles et dans de meilleures conditions. Elles n’intègrent pas comme cela l’équipe de France ! Elles jouent déjà à Lyon – dont l’équipe A ne va pas très bien en ce moment –, au Paris Saint-Germain (PSG) ou ailleurs. En l’état, le problème qui se pose est d’ordre économique. Il n’y a aucune mauvaise volonté.

M. Stéphane Buchou (RE). Il s’avère que plus la fédération sportive est importante et structurée, moins les informations remontent jusqu’à son président. La semaine dernière, nous avons auditionné Didier Deschamps, le sélectionneur que l’on sait. Vous avez été quant à vous le tout puissant président de la FFF. Comment expliquez-vous que, sous votre présidence, l’article 40 ait été utilisé à quatre reprises seulement ? D’autres affaires auraient-elles mérité qu’il le soit ? Si cela n’a pas été le cas, cela relève-t-il d’un dysfonctionnement ?

M. Noël Le Graët. D’autres que moi ont usé de l’article 40. Je ne suis pas tout seul. Les régions, aujourd’hui, peuvent le faire. Je connais des présidents de ligues, de grande qualité, qui l’ont fait.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Connaissez-vous la cellule Signal-sports ?

M. Noël Le Graët. Non.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Au sein du ministère des sports, elle recense depuis presque trois ans les signalements de violences sexuelles et sexistes notamment. Savez-vous combien de signalements ont été portés au ministère des sports concernant la FFF lorsque vous la présidiez ?

M. Noël Le Graët. Absolument pas. Je sais qu’un numéro vert a été ouvert pendant quelque temps et que ce service a été interrompu pendant quelques semaines, sans que la FFF y soit pour quoi que ce soit.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quid des signalements concernant la FFF ? On en dénombre 79 et 39 dossiers ont été ouverts en 2022, ce qui est assez conséquent. Le numéro vert a quant à lui été à l’arrêt pendant plusieurs mois, pas pendant quelques semaines. Comment expliquer un tel dysfonctionnement ? Comment vous en êtes-vous rendu compte ? Il semble que ce fut lors d’un comex, mais pouvez-vous apporter de plus amples précisions et revenir sur cette affaire ?

M. Noël Le Graët. Nous avions un prestataire – dont nous avons changé – qui n’assurait plus le fonctionnement de ce numéro vert. Il a fallu trouver un nouveau prestataire. Vous dites que cela a pris quelques mois, je pense qu’il a fallu quelques semaines.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. De mars à octobre.

M. Noël Le Graët. En tout cas, je suis persuadé que la Fédération fait beaucoup d’efforts.

Pratiquement 95 % des questions que vous m’avez adressées parlent de ce genre de choses, et vous avez sûrement raison.

Le nouveau prestataire donne satisfaction.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’entends que la FFF a fait ou fait sûrement des efforts concernant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

En l’occurrence, le numéro vert a visiblement été hors service pendant plusieurs mois et pendant cette période des victimes n’ont pas pu faire de signalement.

Ma question ne portait pas sur les raisons pour lesquelles l’association en charge de ce numéro n’était plus capable d’assurer le service, mais visait à savoir pourquoi il a fallu plusieurs mois à la FFF pour s’en rendre compte ? Comment vous en êtes-vous aperçu ?

M. Noël Le Graët. Je pense que nos services nous l’ont signalé à un moment donné, mais que ça a dû prendre un peu de temps.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Et vous avez donc traité cette affaire au niveau du comité exécutif (comex). Comment cela s’est-il passé ?

M. Noël Le Graët. Le comex a demandé de trouver le plus urgemment possible un prestataire digne de ce nom afin que cela fonctionne.

Mais le numéro vert n’orientait pas vers un service de la FFF. Il donnait accès au prestataire.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. D’après les témoignages, vous avez essayé d’appeler le numéro vert en question à l’occasion de deux comex et constaté qu’il ne fonctionnait pas. Est-ce bien cela ?

M. Noël Le Graët. À quelles dates ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. C’est très récent, puisque le numéro vert n’a pas fonctionné entre mars et octobre 2022.

M. Noël Le Graët. Je n’ai pas dit que ce n’était pas vrai. Mais en tout cas, la Fédération a fait en sorte que le nouveau prestataire donne satisfaction.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Oui, mais vous savez que cette commission s’intéresse aux dysfonctionnements qui ont pu faire que certaines affaires ou certains signalements n’ont pas pu être traités. En l’occurrence, le fait que ce numéro vert ne fonctionnait pas est un dysfonctionnement. Nous essayons de comprendre pourquoi cela est arrivé. Vous avez rétabli ce service ensuite, mais pendant plusieurs mois les victimes en ont été privées.

M. Noël Le Graët. Je ne sais pas.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Question subsidiaire : avez-vous été informé d’un événement qui a eu lieu à Moscou en 2018 pendant le Mondial et qui a conduit une salariée de la FFF à porter plainte contre son directeur financier pour agression sexuelle ? Avez-vous engagé une procédure disciplinaire à l’encontre de ce dernier ?

M. Noël Le Graët. Absolument. Il y a eu une mesure disciplinaire.

À ma connaissance, le directeur financier a été acquitté à la suite de la plainte.

À la Fédération, on lui a quand même fait des reproches relativement vifs pour que ça ne recommence pas. Mais il n’empêche que la plaignante n’a pas convaincu le tribunal.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Certes, mais qu’est ce qui a été fait par la FFF sur ce dossier ? La salariée a saisi la justice, mais des sanctions sont aussi possibles au sein de la Fédération.

M. Noël Le Graët. Il a été convoqué sévèrement et je pense qu’il a parfaitement compris que ce n’était pas bien et qu’il n’est pas à la veille de recommencer.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je ne comprends pas. Il a seulement été convoqué. Il n’y a pas eu de sanction ou de mesure disciplinaires ?

M. Noël Le Graët. La plaignante n’a pas gagné. Le tribunal a estimé que la plainte été infondée et que ce garçon n’avait rien fait.

Qu’est-ce qu’on fait ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dans certains cas, quand il y a des plaintes ou des signalements à propos d’agressions sexuelles, on peut prendre des mesures conservatoires en attendant que la justice tranche. Visiblement, cela n’a pas été le cas.

M. Noël Le Graët. En tout cas, je pense qu’il a été secoué par cette affaire. Puni, je n’en sais rien.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pensez-vous que le fait de seulement le convoquer pour lui dire que ce qu’il avait fait n’était pas bien constitue une réaction à la hauteur de la part de la FFF ?

M. Noël Le Graët. Peut-être pas. Mais n’oubliez pas que la plaignante dément formellement avoir été agressée par ce garçon. On a aussi tendance à croire la justice lorsqu’elle est juste – et il n’y avait aucune raison qu’elle ne le soit pas.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dans ce cas, pourriez-vous nous expliquer pourquoi, alors même que cette affaire a été classée sans suite par la justice, la FFF a été condamnée à verser 10 000 euros de dommages et intérêts à la victime pour avoir manqué à des obligations de sécurité ?

M. Noël Le Graët. Aucune idée.

Vous demanderez à M. Lapeyre la semaine prochaine.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous étiez quand même président de la FFF à ce moment-là. Vous devez savoir pour quelles raisons vous avez été condamné à verser 10 000 euros de dommages et intérêts ?

M. Noël Le Graët. J’ai été président de la Fédération avec beaucoup de passion et j’ai beaucoup travaillé. Il y a sûrement des choses qui m’ont échappé. Mais il n’y a sans doute pas beaucoup de présidents qui ont consacré autant de temps à une fédération où il y a autant de monde et où il peut y avoir autant de problèmes.

Je veux bien assumer le fait qu’il y a eu que quelques petites erreurs. Mais je ne veux pas non plus être accusé de tous les maux s’agissant de faits qui ne me concernent pas directement.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous étiez le président de la FFF, vous avez donc forcément la plus haute responsabilité. Toutes les personnes que nous avons auditionnées ont d’ailleurs indiqué que vous preniez les décisions et que quasiment tout reposait sur vous – et ce quels que soient les sujets dont on nous a parlé.

Je peux entendre que vous n’étiez pas au courant de toutes les affaires, mais je suppose que la FFF n’est pas si souvent condamnée de cette manière. Ma question est simple : pourquoi a-t-elle été condamnée puisque vous estimez que la justice a tranché en défaveur de la victime ?

M. Noël Le Graët. C’est une bonne question, mais je ne sais pas y répondre.

Par contre, lorsque j’ai travaillé pour la Fédération j’ai passé énormément de temps à redresser la situation financière.

Les clubs amateurs n’ont jamais touché autant d’argent, avec 104 millions l’année dernière contre 22 ou 28 millions. Chacun doit utiliser ses points forts. Je me suis bagarré avec les grands groupes français pour qu’ils reviennent vers la Fédération, après Knysna.

J’ai une autre passion : je ne rate pas un match de football. Je suis capable de vous parler de football des heures et des heures.

Mais je suis un peu moins à l’aise sur les questions que vous me posez, parce que je n’ai pas une formation de juriste. Je réponds en tout cas avec mon cœur et comme je peux.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Selon vous, est-ce que demander à une jeune femme de porter une jupe pour voyager est un comportement approprié ?

M. Noël Le Graët. Je ne réponds pas à cette question.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Et d’une manière générale ?

M. Noël Le Graët. Je n’ai pas à répondre à cette question. Je vous vois venir…

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je souhaite revenir sur l’affaire Angélique Roujas, qualifiée d’« emblématique » par le rapport de l’IGESR.

M. Noël Le Graët. Vous n’avez pas d’autres questions au sujet de la FFF ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il y en aura. Ne vous inquiétez pas. L’audition n’est pas terminée.

Vous avez rappelé que vous aviez vous-même effectué un signalement au procureur de la République de Versailles le 30 octobre 2013, à l’issue d’une enquête interne. Pouvez-vous nous préciser la date à laquelle cette enquête a été lancée ?

Les atteintes et les violences sexuelles dénoncées par des joueuses féminines se sont déroulées entre 2005 et 2013. Quand avez-vous eu connaissance de ces faits ?

M. Noël Le Graët. J’ai eu connaissance de cette affaire très tard. Elle avait été jugée. Il me semble que cette affaire remonte à onze ou douze ans.

Je ne sais même pas ce que vous me demandez. Qu’est-ce que j’ai fait ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez vous-même effectué le signalement au procureur.

Pouvez-vous préciser la date à laquelle l’enquête interne a été lancée et quand vous avez eu connaissance des faits ?

M. Noël Le Graët. Il faut que je consulte mes papiers…

La FFF a licencié Angélique Roujas en 2013. Un signalement a été effectué au titre de l’article 40. L’affaire a été classée sans suite par la justice.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Comme à chaque fois…

M. Noël Le Graët. Je n’y peux rien. Je n’invente rien, je lis les informations qui m’ont été fournies.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. L’affaire a été classée sans suite car les faits étaient prescrits.

M. Noël Le Graët. Je ne suis pas responsable de la justice. Elle est comme ça.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. C’était un simple constat.

M. Noël Le Graët. Je vous remercie, madame.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous nous indiquer ce qu’est devenue Mme Roujas après son licenciement par la Fédération ?

M. Noël Le Graët. Il semblerait qu’elle ait travaillé au FC Metz. Je ne sais pas ce qu’elle est devenue ensuite.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. À la suite de son licenciement pour faute grave intervenu le 25 octobre 2013, Mme Angélique Roujas est devenue manager général de la section féminine du FC Metz.

Plusieurs joueuses du club l’ont accusée de comportements déplacés et de favoritisme. L’une d’entre elles a déclaré à un titre de presse : « Je pensais avoir une carrière dans le foot. Mais Angélique Roujas est une personne qui fait en sorte que la vie ne se passe pas comme on le souhaiterait. Elle peut te détruire ta vie. Nous étions toutes mineures, à part une ou deux qui venaient d’avoir 18 ans. Très vite, on a vu du favoritisme envers une joueuse alors qu’elle nous parlait à toutes les autres comme à des merdes. »

D’autres dysfonctionnements ont été pointés.

Mme Roujas quitte le FC Metz en 2019, puis devient manageuse générale de l’ESO Football Vendée de La Roche-sur-Yon – fonction qu’elle occupe encore à notre connaissance.

Mme Roujas est ainsi toujours en charge de mineurs.

M. Noël Le Graët. J’avais demandé ce dossier avant de venir, car je me doutais que vous alliez me parler de cette dame : 2013, l’article 40… Par contre il n’est pas mentionné qu’il y avait prescription. C’est bien dommage.

Vous me dites qu’elle travaille désormais en Vendée. On va se renseigner pour savoir où elle est.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. L’affaire a en effet été classée sans suite, mais des sanctions disciplinaires prises par la FFF auraient pu éviter qu’elle devienne manager ou entraîne dans un autre club.

La FFF a-t-elle prononcé des sanctions disciplinaires malgré le fait que la justice ait classé sans suite ? Si oui, lesquelles ?

Mme Roujas a travaillé à la FFF, mais elle est ensuite partie dans d’autres clubs où elle a semble-t-il eu également des comportements inappropriés et posant problème. Peut-être est-ce en raison du fait qu’elle n’a pas fait l’objet d’une sanction disciplinaire.

M. Noël Le Graët. Qu’est-ce qu’on pouvait faire ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lui retirer sa licence, par exemple.

M. Noël Le Graët. Je note.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous notez, mais vous avez présidé la FFF pendant des années. Cela veut-il dire qu’il n’y a jamais eu de retrait de licence ou de sanction disciplinaire ?

M. Noël Le Graët. Cela me gêne toujours de citer le nom des personnes qui ont fait l’objet de sanctions disciplinaires, parce qu’elles ont très souvent été pour ainsi dire graciées par la justice.

Élisabeth Loisel a entraîné l’équipe de France féminine pendant pas mal de temps. Elle a gagné au tribunal.

La Fédération a licencié David San José pour faute grave en 2012. Il a porté plainte et je ne suis pas sûr que nous allons gagner.

Et je le regrette vivement. Je ne défends pas du tout ces personnes, il faut que cela soit clair.

Vous me posez des questions, j’essaie d’y répondre avec les renseignements dont je dispose.

M. Stéphane Mazars (RE). Pour les mêmes faits portés à votre connaissance, il peut y avoir deux temps. D’une part, celui des poursuites pénales. D’autre part, celui des mesures d’urgences que doit prendre la Fédération. Sous votre présidence, y avait-il une doctrine bien établie s’agissant des poursuites disciplinaires et de mesures provisoires lorsque les faits faisaient aussi l’objet de poursuites pénales ?

M. Noël Le Graët. Sûrement, mais j’ai une équipe de très bonne qualité pour traiter ces sujets.

M. Stéphane Mazars (RE). Comment était-ce organisé ?

M. Noël Le Graët. Vous aurez peut-être des réponses la semaine prochaine, parce que je crois que vous recevez son directeur.

M. Stéphane Mazars (RE). Vous étiez président de la FFF. Ce n’est pas le club de pétanque du coin…

M. Noël Le Graët. Je vous jure que j’ai beaucoup travaillé.

M. Stéphane Mazars (RE). Il s’agit de sujets importants qui concernent l’organisation interne…

M. Noël Le Graët. On a l’impression qu’il n’y avait que ce genre d’affaires à la Fédération !

N’a-t-on pas fait progresser des gamins et des équipes ?

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Ce n’est pas l’objet de cette commission d’enquête.

M. Stéphane Mazars (RE). Peut-être qu’à votre niveau vous ne saviez pas comment tout cela fonctionnait et que vous aviez délégué ces responsabilités à d’autres.

Mais il me semble qu’en tant que président vous deviez tout de même savoir comment les choses étaient organisées, qui faisait quoi, avec quelle célérité les choses étaient traitées, si les plaintes pénales étaient suivies par la Fédération et si elle se constituait partie civile. Tout cela relève d’un président de la FFF.

M. Noël Le Graët. Je vous assure que nous avons des personnels qualifiés pour répondre à votre question.

M. Stéphane Buchou (RE). Il est un peu agaçant d’entendre des propos du type : « J’ai des collaborateurs ou des présidents de commissions disciplinaire ou d’éthique qui font leur travail. Circulez, il n’y a rien à voir. Moi je ne suis pas au courant. » Cela est revenu régulièrement lors des auditions que nous avons menées et nous sommes confrontés au même problème avec vous.

Vous avez dit à mon collègue Stéphane Mazars que vous trouviez qu’on ne parlait que de ces affaires et pas des résultats sportifs. Mais ces derniers ne sont pas l’objet de cette commission. Beaucoup de députés présents sont passionnés par le sport et connaissent très bien le football. Nous ne remettons pas en cause les résultats obtenus par l’équipe de France sous votre présidence, avant vous et – nous l’espérons tous –après vous.

Cette commission traite des sujets qui ont été rappelés par la présidente et par la rapporteure. Je suis étonné que des commissions censées s’occuper d’un certain nombre de sujets au sein d’une fédération donnent le sentiment qu’elles sont complètement en roue libre et que vous n’ayez été au courant de rien en tant que président. C’est difficile à entendre.

M. Noël Le Graët. On ne peut pas dire que je n’étais au courant de rien. On est quand même au courant de beaucoup de choses.

Je crois que si j’avais été à la place de Deschamps, nous n’aurions rien gagné du tout. On a besoin de gens compétents dans tous les domaines.

Si je vous ai donné l’impression de ne pas avoir été attentif, je pense que cette réunion servira et que mon successeur tiendra compte des remarques qui sont faites.

Je m’engage même à l’aider s’il en a envie.

Ce n’est pas que des questions me gênent, c’est que je n’ai pas forcément la réponse s’agissant de choses un peu compliquées.

M. Stéphane Buchou (RE). Encore une fois, c’est bien le problème : vous n’êtes pas en mesure de répondre à des questions relativement simples et que nous pouvons reformuler le cas échéant.

Qu’est-ce qui a été mis en place au sein de la Fédération et au sein de cette commission de discipline – qui a vocation à traiter les affaires dans des délais différents de ceux de la justice ? Avez-vous pris des mesures conservatoires ?

Le président de la FFF que vous avez été doit être en mesure de nous répondre.

M. Noël Le Graët. J’ai déjà dit que cela avait été le cas dans un ou deux cas. Mais tout ne me remonte pas.

Franchement, je vous jure qu’on ne peut pas tout faire.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Comme mes collègues, je suis plus qu’ennuyée. Nous avons entendu plusieurs personnes en lien avec la FFF – MM. Diallo, Deschamps et Borghini. Ils ont été unanimes pour dire que vous décidiez quasiment de tout au sein de la Fédération.

M. Borghini nous a notamment parlé du fait que vous aviez choisi de prolonger le contrat de M. Deschamps sans en discuter au préalable avec le comex. Nous avons appris que M. Deschamps n’était au courant de rien au sujet du plan social. M. Diallo nous a dit qu’il n’était au courant de rien en ce qui concerne la lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) et contre le racisme, mais qu’il allait mettre en place un nouveau plan et tout changer au sein de la FFF.

Comprenez que nous soyons un peu surpris de vous entendre dire que vous n’étiez pas informé et que vous ne connaissiez pas les procédures – alors qu’au contraire on a plutôt le sentiment que vous preniez les décisions et que vous étiez au courant de tout ce qui se passait au sein de la FFF.

Ce n’est pas une petite fédération. Elle compte plus de deux millions de licenciés et dispose d’importants moyens financiers et humains.

Nous sommes quand même assez surpris de vos réponses à nos questions au sujet de ce que vous avez mis en place pour lutter contre les VSS ou sur ce qui caractérise un comportement inapproprié envers les femmes.

Quel était le budget destiné à la lutte contre l’homophobie ?

M. Noël Le Graët. La FFF y a consacré 3 millions ces derniers temps.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pour quel type d’actions ?

M. Noël Le Graët. La lutte contre l’homophobie.

Pourquoi ceux qui étaient avec moi sont-ils restés s’ils étaient aussi malheureux ?

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous pouvez répondre à cette question que vous nous posez. Je suis certaine que vous avez la réponse.

M. Noël Le Graët. J’étais très fier de travailler avec eux et la plupart étaient très fidèles. Mais pas tous, c’est comme partout.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. À mon avis, votre réponse est incomplète. La question que vous aviez vous-même posée était différente : pourquoi toutes ces personnes avaient continué à travailler avec vous ?

M. Noël Le Graët. J’ai l’impression qu’ils étaient heureux avec moi.

En tout cas, ils ne faisaient pas de reproches et ils votaient de façon régulière au comex lorsqu’il y avait un sujet.

Mme Claudia Rouaux (SOC). À vous écouter, j’ai le sentiment que vous gériez votre fédération comme un chef d’entreprise, c’est-à-dire que vous vous appuyiez sur un secrétaire général ou un directeur général des services. Quelles étaient vos relations avec ces personnes ? Est-ce que vous les voyiez régulièrement pour savoir ce qui se passait au sein de la Fédération ? Ou bien déléguiez-vous tout ce qui concerne les ressources humaines à un membre du comex ?

M. Noël Le Graët. Il y a évidemment un peu de ça, parce qu’une fédération avec autant de licenciés a besoin de gens compétents. Je n’ai donc pas tout fait seul. J’avais des gens de qualité, je le répète.

Dans mon entreprise, qui compte près de 1 000 personnes, je vous jure que nous avons fait des choses parfaitement bien.

Mais restons-en à la Fédération. On aurait pu mieux faire. Je n’ai pas dit que nous avions tout bien fait – si je vous ai donné cette impression, elle n’est pas bonne.

J’ai dit par exemple que je regrettais mes paroles au sujet de l’homophobie car elles n’étaient pas dignes et pas biens.

Je ne suis pas d’accord avec les condamnations dont j’ai fait l’objet à la suite de mes propos sur le racisme, parce que je ne suis pas raciste. J’ai tout fait pour que les joueurs puissent intégrer un centre, quelle que soit leur couleur, et qu’ils puissent jouer ou bien repartir lorsqu’ils étaient mieux formés.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Des réunions étaient-elles parfois organisées pour traiter des questions relatives à la lutte contre l’homophobie, contre les VSS ou au sujet de problèmes dans l’arbitrage ? Ou bien déléguiez-vous toutes ces questions concernant la vie de la Fédération à d’autres ?

M. Noël Le Graët. Vous avez dit quelque chose de juste : je considérais la Fédération comme une entreprise normale. Il n’y avait pas de raison de ne pas le faire, notamment en raison des difficultés budgétaires qu’elle a rencontrées pendant un moment.

Un comex avait lieu tous les mois et un de ses membres avait été désigné pour suivre chaque sujet. Cela ne fonctionnait pas si mal. Le travail pouvait aussi être confié à l’un des salariés de très bon niveau de la Fédération. N’oubliez pas qu’elle emploie 300 salariés à Clairefontaine-en-Yvelines et à Paris.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lors de l’audition de M. Borghini, nous avons abordé une autre affaire : celle des messages de M. Galletti. Ces derniers montraient clairement qu’il sollicitait des faveurs sexuelles en échange de ses services et de sommes d’argent. Est-ce que vous aviez connaissance de ces copies d’écrans ?

M. Noël Le Graët. Non. M. Borghini a été entendu ici il y a quelques semaines. Évidemment, il y a eu quelques commentaires au sein de la Fédération sur ses déclarations.

Je n’étais pas au courant et personne ne l’était au sein de la FFF.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous découvrez donc cette affaire lors de l’audition de M. Borghini ?

M. Noël Le Graët. Oui.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Savez-vous quelles ont été les mesures prises par la FFF après cette audition ? L’autorité judiciaire a-t-elle été saisie ?

M. Noël Le Graët. Je ne suis plus président de la FFF. Malgré moi.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. S’agissant du dossier Jacky Fortépaule, condamné en mars 2022 pour harcèlement moral et sexuel par le tribunal correctionnel d’Orléans, Mme Henriques a déclaré devant notre commission : « Je n’ai en aucun cas contribué à valoriser une personne qui a été condamnée par la suite. L’attestation de moralité que j’ai rédigée, en aucun cas je ne l’aurais écrite si j’avais été en connaissance de cause. »

Qu’en pensez-vous ?

M. Noël Le Graët. Excusez-moi, de qui me parlez-vous ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. De M. Fortépaule.

M. Noël Le Graët. Je n’ai pas grand-chose sur lui.

J’ai des notes sur Galletti, Pottier, San José, Loisel et Roujas. Je n’ai rien d’autre.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. M. Fortépaule est un dirigeant emblématique du football, président de la ligue Centre-Val-de-Loire en 2017 et 2018. Il a été mis en cause pour harcèlement au travail en 2018 par plusieurs employés de cette ligue, laquelle a été condamnée par le conseil de prud’hommes en mai et en novembre 2019 à indemniser les victimes.

M. Fortépaule a été condamné en mars 2022 pour harcèlement moral et sexuel par le tribunal correctionnel d’Orléans. Une lettre du 4 octobre 2018 de Mme Brigitte Henriques, alors vice-présidente de la FFF, atteste de l’engagement de M. Fortépaule en faveur de la Fédération. Elle est manifestement rédigée pour fournir un témoignage de bonne moralité.

Par ailleurs, lors du procès pénal de M. Fortépaule en 2022, la ligue Centre-Val-de-Loire ne se constitue pas partie civile alors qu’elle a dû indemniser les victimes.

C’était pour vous rappeler cette affaire. Vous n’en aviez pas connaissance ?

M. Noël Le Graët. Je sais qu’il y a eu une affaire Fortépaule, mais je suis incapable de vous en expliquer le début et la fin comme vous l’avez fait.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’en viens à l’affaire concernant M. Bachir Nehar. Est-ce que cela vous parle ?

M. Noël Le Graët. Monsieur ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Bachir Nehar, qui est intendant de l’équipe de France de football tout en étant salarié d’une entreprise qui gère la carrière de joueurs.

M. Noël Le Graët. Je crois qu’il n’est plus intendant. J’ai l’impression qu’il a été écarté après la Coupe du monde en Russie.

Est-ce la même personne ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Selon nous, il est toujours intendant de l’équipe de France.

M. Noël Le Graët. Impossible si c’est le même.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En 2021, un article paru dans le journal Le Monde a parlé d’un conflit d’intérêts résultant du fait que M. Nehar était intendant de l’équipe de France alors qu’il travaillait aussi dans une société qui gère la carrière de joueurs. Je crois que la FFF n’est jamais intervenue pour mettre fin à ce conflit d’intérêts. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Noël Le Graët. Je ne suis pas certain qu’il n’y ait pas eu de sanctions. Vous verrez après-demain.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Qu’entendez-vous par sanction ? La logique voudrait qu’il ne soit plus intendant ou qu’il ne soit plus salarié par une entreprise qui gère la carrière de joueurs.

M. Noël Le Graët. Il me paraît impossible qu’il puisse continuer. Il n’a pas le droit.

La Fédération aurait pris des sanctions.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Savez-vous de quelles sanctions il s’agit ? Les faits remontent à décembre 2021, sous votre présidence. Lui avez-vous demandé de choisir entre ses deux fonctions ?

Ce que je peux dire, c’est qu’il était toujours intendant de l’équipe de France le 1er janvier 2023.

M. Noël Le Graët. Il me paraît impossible qu’un agent fasse en même temps partie du personnel de l’équipe de France. Voilà ma réponse : impossible.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Et moi je vous dis que c’est le cas. Sous votre présidence.

M. Noël Le Graët. Oui, enfin, en 2021 je commençais déjà à…

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. M. Nehar figure encore sur le site de la FFF en tant qu’intendant.

Vous ne savez pas s’il a été sanctionné lorsque l’affaire est sortie en 2021 ?

M. Noël Le Graët. Je n’y suis plus. En 2021 j’ai déjà pratiquement quitté la Fédération.

Je vais vérifier.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. C’est bien parce que nous avons vérifié que nous vous posons la question.

M. Noël Le Graët. Je vous enverrai une réponse écrite si vous le voulez bien.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ma dernière question portera sur un contrat qui aurait été passé par la FFF pour offrir des montres aux joueurs de l’équipe de France en 2018. Pourriez-vous revenir sur ce contrat et sur la manière dont il a été négocié ?

M. Noël Le Graët. Chaque joueur a dû recevoir une montre à ce moment-là.

Ce contrat a été signé par la directrice générale.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous n’étiez donc pas au courant du montage de ce contrat ?

M. Noël Le Graët. C’est une accusation ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ce n’est pas une accusation. Vous dites que la directrice générale a signé le contrat. Je vous demande simplement si vous étiez au courant du montage financier retenu pour offrir ces montres aux joueurs de l’équipe de France.

M. Noël Le Graët. Je n’étais pas forcément d’accord.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous alors fait part de votre désaccord ?

M. Noël Le Graët. C’était trop tard.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Merci monsieur Le Graët. Nous vous souhaitons une bonne fin de soirée.

La commission auditionne M. Philippe Bana, président de la Fédération française de handball, et M. Laurent Freoa, directeur général.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions.

Le 20 juillet dernier, nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif. L’Assemblée nationale a décidé de la création de cette commission à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs, et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations. Nos travaux portent sur trois domaines : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ; les discriminations sexuelles et raciales ; les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif.

Monsieur le président, vous avez été professeur d’éducation physique et sportive (EPS), conseiller technique régional, entraîneur du Stade Marseillais Université Club puis, de 1999 à 2020, directeur technique national (DTN) de la Fédération française de handball (FFHB). Vous avez d’ailleurs présidé l’association des directeurs techniques nationaux de 2005 à 2020. Le 28 novembre 2020, vous avez été élu président de la Fédération avec 57,54 % des suffrages exprimés.

Monsieur Laurent Freoa, vous avez été nommé directeur financier de la Fédération en juillet 2018 et en êtes le directeur général depuis juillet 2021.

Dans un bref propos liminaire, pouvez-vous nous indiquer de quels faits, entrant dans le champ de cette commission d’enquête, vous avez eu connaissance, et nous préciser les réponses que vous y avez apportées dans les différentes fonctions que vous avez exercées ? Quelles actions et quelle organisation la Fédération a-t-elle mises en place sur les sujets intéressant cette commission ? Quelles sont les obligations fixées par votre contrat de délégation en la matière, et comment leur respect est-il évalué ?

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Philippe Bana et Laurent Freoa prêtent successivement serment.)

M. Philippe Bana, président de la Fédération française de handball. Comme on peut l’imaginer de la part d’une fédération ayant signé un contrat de délégation, nous sommes animés par une grande humilité et par la volonté de partager notre action. À la faveur de la charte des sports de 1940 et de la loi de 1984 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, modifiée par celle de 2000, nous disposons de prérogatives de puissance publique déléguée. Cela a pour nous un sens très profond : au-delà du contrat qui nous lie, l’État témoigne ainsi de sa confiance en notre capacité, en tant qu’organisme fédéral, à être un acteur de coéducation.

Nous n’avons néanmoins aucune vertu particulière. Nous vivons dans la même société que les autres acteurs. Peut-être avons-nous simplement la chance d’avoir une culture éducative pour fondement.

J’en viens aux champs qui intéressent la commission, au sujet desquels nous sommes très heureux d’échanger avec vous aujourd’hui. Nous avons beaucoup agi historiquement, et davantage encore depuis 2020, pour combattre toutes les formes d’incivilités et de violences. Vous en avez cité certaines. Permettez-moi de mentionner celles contre lesquelles nous nous sommes tous battus : les incivilités, le racisme, le bizutage, les violences numériques, sexuelles, LGBTphobes ou encore à l’encontre des arbitres et des éducateurs.

Je vous transmettrai les supports des campagnes de communication que nous avons lancées à partir de 2020 en nous appuyant sur des associations comme Colosse aux pieds d’argile, France Victimes ou encore Log.in-Prévention, s’agissant des violences numériques et nomment du harcèlement à l’école. En tant qu’énorme « usine à champions », accueillant un grand nombre d’enfants, nous avons affiché notre volonté de nous battre contre toutes les formes de violences. Bien sûr, ce que nous avons accompli est perfectible. Nous n’avons pas de meilleure solution que les autres acteurs, mais nous nous battons dans cet état d’esprit.

Comme toutes les fédérations, la Fédération française de handball a élaboré des plans de prévention des violences, une échelle de sanctions et des conventions avec les acteurs associatifs. Elle a développé des actions de formation avec les acteurs déconcentrés, avec ses cadres d’État et ses cadres publics. L’ensemble de ces actions nous permettent d’essayer de dresser un rempart contre les violences.

Je précise que les campagnes de communication ont été soutenues par les joueurs internationaux et par les équipes de France. Nous sommes une usine de performance de haut niveau, mais notre métier de base est plutôt la performance sociale et sociétale.

Nous avons utilisé une multitude d’outils, qui ne sont pas forcément les meilleurs. Nous avons notamment mis en application l’article 40 du code de procédure pénale. À partir de 2020, nous avons choisi de nous porter partie civile avec les victimes, lors des procès au pénal. Cela a concerné une petite dizaine d’affaires jusqu’à maintenant, et cela traduit une volonté délibérée de la Fédération de passer à une autre culture – même si, sur le plan du droit, nous n’étions pas toujours à l’aise. Nous considérons en effet que l’activité des licenciés justifie que la Fédération se porte partie civile et engage des poursuites. C’est risqué en termes politiques, stratégiques et juridiques, mais c’est notre choix. Au-delà des poursuites judiciaires, nous traitons aussi ces affaires sur le plan disciplinaire.

Nous avons recueilli, au cours des trois dernières années, soixante-dix signalements que nous avons transmis au ministère des sports et des Jeux olympiques et paralympiques. Nous avons constitué une cellule fédérale de signalement, composée de quatre personnes : un élu, deux salariés et un membre de la direction technique d’État. Nous disposons également d’un référent intégrité dans chaque territoire : tout en reprenant le contrôle au niveau national, nous avons territorialisé le traitement des violences. Le but est de donner à l’ensemble de nos acteurs la capacité d’agir sur le plan juridique, de permettre l’écoute des victimes et la libération de la parole. Nous prenons aussi en charge l’accompagnement psychologique des victimes le cas échéant.

La cellule fédérale rédige puis transmet des rapports au président, en vue de l’ouverture systématique de procédures. Ces rapports sont transmis à la cellule Signal-sports, puis le service départemental à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (SDJES) compétent est saisi en vue de l’ouverture d’une procédure administrative. S’agissant de la prise de contact avec les services judiciaires, il m’est arrivé de me rendre moi-même dans un commissariat, accompagné de la directrice juridique. Nous avons d’ailleurs adressé des propositions à la ministre, que nous pourrons vous transmettre, s’agissant de l’élargissement des sanctions à un périmètre plus large que celui de notre fédération. Certaines personnes peuvent en effet commettre des frais répréhensibles dans d’autres fédérations.

Je citerai enfin le déploiement des certificats d’honorabilité et les croisements de fichiers, pour les encadrants et les éducateurs.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. En quelle année avez-vous mis en place lesdits croisements, et à partir de quand la Fédération a-t-elle pris les responsabilités que vous évoquez sur le plan juridique ?

M. Philippe Bana. Nous avons déployé nos actions de façon massive à partir de l’année 2020, qui fut réellement celle d’un changement de posture – y compris sur le plan juridique, en dépit des risques et des difficultés que nous avons rencontrées.

Nous avons mis en place les certificats d’honorabilité à partir de 2021 pour les encadrants et les éducateurs, et croisons nos données avec le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles et violentes (Fijaisv) ; les cartes professionnelles des éducateurs du service public nous permettent également d’effectuer des contrôles.

En matière de formation, de sensibilisation et d’accompagnement, nous avons des relations contractualisées avec des associations spécialisées comme Log.in-Prévention, que j’évoquais tout à l’heure et qui apporte une réelle valeur ajoutée sur le sujet des violences numériques à l’école, au collège ou dans les clubs. Cela nous a permis d’accompagner la Fédération en termes de sensibilisation des clubs et des pôles espoirs, qui rassemblent nos athlètes de 13 à 18 ans : nous avons pu y expliquer les dangers du numérique, du dopage et de la professionnalisation, par exemple.

Nous avons également créé des sanctions disciplinaires spécifiques. Pour les soixante-dix dossiers que nous avons eus à traiter depuis 2020 – violences sexuelles, psychologiques, déviances, messages inappropriés, bizutage, qui sont malheureusement le lot quotidien du handball comme de tous les autres sports –, nous avons engagé des poursuites devant la commission de discipline, pris des mesures conservatoires, menées des auditions et pris des sanctions allant jusqu’à la radiation définitive. À cet égard, je le répète : une prise en compte aux actes commis dans d’autres fédérations permettrait de mieux se prémunir des personnes dangereuses. Nous nous sommes constitués partie civile sur cinq dossiers, et avons coopéré avec la justice en cas de réquisitions. À date, nous avons deux dossiers relevant de l’article 40. Nous coopérons également avec les SDJES et menons des contrôles d’honorabilité sur la plateforme ministérielle – entre autres.

Sur le sujet de la probité, nous avons conduit un travail avec l’Agence française anticorruption (AFA). Même si nous en sommes restés au premier niveau de contrôle, nous avons eu un plan de recommandations : nous avons travaillé sur le passage de la charte au code, sur le code de conduite lié à la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite Sapin 2, ou encore sur l’élaboration de la cartographie des risques, sujet sur lequel nous étions en retard. Nous avons veillé à nous mettre en conformité très rapidement, dans la volonté d’être toujours aux avant-postes de la bataille pour la probité et contre les violences. La plateforme unique que nous avons créée nous a permis de centraliser les signalements de l’ensemble des acteurs, quels qu’ils soient.

Après un appel d’offres, nous avons choisi le prestataire Ethisport. Au total, la mise en conformité faisant suite à notre travail avec l’AFA a coûté 120 000 euros à la Fédération. Nous n’avons pas hésité à les investir, considérant qu’il était extrêmement important de pouvoir nous appuyer sur un déontologue apportant sa vision des plateformes et des circuits de diffusion.

J’en viens à la gouvernance, sujet sur lequel une idée m’est apparue dans les années quatre-vingt-dix. À l’époque, les fédérations bénéficiaient de ce que l’on appelait les statuts B des associations loi 1901, prévoyant un conseil de surveillance. Cette organisation, qui favorise la démocratie, les échanges et la pluralité, pourrait être reprise aujourd’hui. J’ai évoqué cette idée auprès de Marie-George Buffet à l’occasion d’une autre commission à laquelle nous avons récemment contribué. Nous nous sommes par ailleurs emparés de la parité comme d’un symbole et, grâce à Joël Delplanque et à d’autres acteurs, nous avançons sur le chemin de la gouvernance paritaire.

Joël Delplanque succéda à Valérie Fourneyron à la tête de notre commission d’éthique fédérale. Je recommande, à cet égard, de ne pas mettre en place une multitude de commissions mais d’en avoir une seule, mutualisée.

L’assemblée générale de 2023, qui vient de se tenir, a adopté des modifications statutaires de la commission. Il nous fallait encore renforcer son indépendance et avancer dans la désignation de membres issus du secteur professionnel, en subdélégation – une procédure complexe, sur laquelle nous sommes actuellement en discussion avec la ministre. Les membres de la commission sont élus pour un seul mandat de six ans, non cumulable, et sont renouvelés par tiers tous les deux ans. Il nous fallait également élargir les compétences de la commission et mettre en place, avec la saisine de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), un traitement des déclarations. Cette commission s’appellera désormais commission d’éthique, de déontologie et de prévention des conflits d’intérêts.

Je me permets, en toute humilité, de vous soumettre à nouveau l’idée d’une commission mutualisée pour le mouvement sportif : celui-ci a besoin en effet de structures mutualistes solides face à ces phénomènes complexes à gérer.

Voici les quelques éléments que je souhaitais partager avec vous, illustrant le combat que nous menons depuis 2020.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Merci. Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Freoa ?

M.  Freoa, directeur général. Non, je n’ai rien à ajouter.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous avez été pendant quinze ans, monsieur Bana, le président de l’association des directeurs techniques nationaux, dont nous avons auditionné le président en exercice le 17 octobre dernier. Selon vous, quels devraient être le rôle et les missions d’un DTN ? Ces missions ne sont pas définies de façon précise par la loi. L’article R. 131-16 du code du sport dispose : « La mission de directeur technique national est de concourir à la définition de la politique sportive fédérale, de veiller à sa mise en œuvre et de contribuer à son évaluation. Dans le cadre de l’accomplissement de sa mission, il dirige et anime la direction technique nationale de la fédération. » Les missions du DTN ne devraient‑elles pas être précisées ? Seriez-vous favorable à la création d’un véritable statut ?

M. Philippe Bana. J’ai effectivement été président de cette association pendant plusieurs années. Le mouvement sportif n’a jamais eu autant besoin de l’État. Il est essentiel d’avoir des agents publics – ils sont aujourd’hui environ 1 400 – pour appliquer les politiques publiques. Les directeurs techniques nationaux, justement, sont de véritables agents publics placés auprès des fédérations sportives. Oui, nous pourrions encore améliorer leur statut. J’ai proposé récemment, au directeur des sports et à la ministre notamment, que soient renforcées les conventions relatives à l’utilisation de ces agents par les fédérations : aujourd’hui, ils sont plus que jamais nécessaires au fonctionnement du monde sportif. Vous avez donc entièrement raison.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Patrick Karam suggère que la mise en œuvre des politiques publiques figure dans leur lettre de mission.

Caroline Pascal, cheffe de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR), nous dit : « L’Inspection avait régulièrement pointé le problème qui peut exister quand le directeur technique est le directeur général des services (DGS) ou le directeur général (DG) des fédérations. Ces deux fonctions sont parfois occupées par la personne, mais nous considérons que ce n’est pas souhaitable. Il est en effet important que le DTN conserve un regard qui est celui de l’État, avec une fonction interne, presque de contrôle, alors que le DGS ou le DG sont plus impliqués dans la politique menée par la fédération. » Qu’en pensez-vous ?

M. Philippe Bana. J’ai l’impression de me lire ! Depuis que j’ai eu la chance d’en prendre la présidence, la FFHB est organisée exactement de la sorte : aux côtés de Laurent Freoa, Pascal Bourgeais est directeur technique en charge tout le mouvement sportif du handball, allant de l’arbitrage à la performance sociale. De toute évidence, c’est une obligation et je ne peux que souscrire à ce que vous venez de dire.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Ne trouvez-vous pas problématique qu’un DTN puisse accéder à la présidence de la fédération sportive au sein de laquelle il a travaillé ? Rétrospectivement, ne pourrait-on pas considérer la fin de ses fonctions de DTN sous l’angle du conflit d’intérêts ? Ne pourrait-on pas mettre en cause l’indépendance du DTN par rapport au président de la fédération concernée ? De la même façon, est-il incompréhensible qu’un DTN soit aussi directeur général d’une fédération ?

M. Philippe Bana. S’agissant de la direction générale, je vous rejoins complètement. Il faut travailler sur le périmètre des missions des agents de l’État. Je vous rejoins pour considérer qu’ils ne doivent pas être employés à toutes fonctions utiles. Nous sommes bien dans le cadre de l’application de politiques publiques déléguées de services associatifs. En ce sens, vous avez entièrement raison.

Pour le reste, il existe des textes, des règles et des commissions. J’ai moi-même enchaîné plusieurs des fonctions que vous avez évoquées, et je m’étais mis en disponibilité bien avant la campagne électorale, pendant l’année 2020. Aujourd’hui, l’enjeu est le non-cumul. Certaines commissions fonctionnent très bien, jouant leur rôle d’organismes de régulation. J’ai quant à moi abandonné ma carrière administrative, mes missions et ma retraite. J’ai été passé au crible toutes les commissions existantes pour que mon éligibilité soit validée. À cet égard, la commission de surveillance des opérations électorales possède une vraie valeur ajoutée ; les inspecteurs généraux qui en sont membres ont veillé à la validité de l’ensemble des opérations. Une telle commission mutualisée au niveau national aurait encore davantage de force et permettrait de traverser les périodes électorales avec sérénité.

J’ajoute que ma candidature est également passée au crible de la commission déontologique des ministères sociaux qui, en s’appuyant sur des juristes qualifiés, a vérifié mon éligibilité et la comptabilité du poste avec mon parcours.

Il existe donc aujourd’hui des textes clairs, et des filtres : ce qui est impossible, c’est le cumul des mandats. Ma recommandation serait de renforcer les structures auxquelles j’ai eu à faire face, qui étaient légitimes : je pense à une commission d’État de surveillance des opérations électorales, à une commission de conciliation ou encore à une commission d’éthique unique.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lorsque vous étiez DTN, qui assurait votre rémunération : l’État ou la Fédération ?

M. Philippe Bana. Aujourd’hui, l’ensemble des agents de l’État sont rémunérés par le ministère, et les fédérations leur versent, de façon conventionnelle, des compléments de salaire faisant l’objet de déclarations fiscales et sociales. J’ai été pour ma part agent public à partir de 1981 mais certains DTN sont liés au ministère par des contrats de droit privé. Aujourd’hui, les salaires complémentaires et régimes indemnitaires sont assez transparents. Lorsqu’il était directeur des sports, Thierry Mosimann a réalisé de ce point de vue un extraordinaire travail de clarification, y compris sur le plan législatif.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous ne répondez pas tout à fait à mes questions. Étiez-vous payé par le ministère et par la Fédération ?

M. Philippe Bana. Oui, j’avais un salaire de conseiller technique et pédagogique supérieur (CTPS) assorti d’un complément de salaire fédéral, comme c’est le cas de la plupart des agents concernés.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le fait d’être payé par le ministère et par la Fédération ne fait-il pas naître un risque de conflit de loyauté ?

M. Philippe Bana. L’ensemble de ces outils est bien géré par la direction des sports. Depuis une dizaine d’années, le centre de gestion opérationnelle des cadres techniques sportifs (CGOCTS) veille à ce que les agents ne s’égarent pas, comme vous semblez le craindre. Aujourd’hui, ce n’est plus un sujet : encore une fois, le travail effectué par le ministère ces dernières années sur le management des agents d’État a permis un progrès important par rapport à ce qui se passait dans les années quatre-vingt-dix et deux-mille, même si tout n’est pas encore parfait.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Perceviez-vous des éléments de rémunération liés aux résultats de l’équipe de France de handball, ou votre rémunération en était-elle totalement décorrélée ?

M. Philippe Bana. Nous avions à l’époque des régimes d’indemnités déclarées et la Fédération établissait une déclaration annuelle des données sociales (DADS) pour tous les agents publics et cadres placés auprès d’elle.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En tant que DTN, avez-vous participé à des activités professionnelles avec la Fédération européenne ou la Fédération internationale ?

M. Philippe Bana. Oui, il m’est arrivé d’y être mandaté sur certaines fonctions. C’est le cas d’un certain nombre d’agents, dans le périmètre que l’action fédérale leur accorde : toute activité supplémentaire nécessite une validation de la Fédération et de l’État.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dans le cadre des activités pour lesquelles vous étiez mandaté, perceviez-vous des rémunérations ?

M. Philippe Bana. J’ai perçu des commissions déclarées, relativement modiques.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ces sommes apparaissaient-elles dans les comptes de la Fédération ?

M. Philippe Bana. Non. Sur ce sujet, il faudrait interroger Joël Delplanque. De mémoire, elles sont versées aux agents en direct, sans transiter par la Fédération.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Puisqu’ils ne transitent pas par la Fédération, ces financements provenant de l’étranger sont-ils déclarés au ministère ?

M. Philippe Bana. Oui, bien sûr.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous connaissance de l’arrêté du 31 juillet 2015 portant adoption du code de déontologie des agents de l’État exerçant les missions de conseiller technique sportif auprès d’une fédération sportive agréée ?

M. Philippe Bana. Oui.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Estimez-vous, eu égard à mes questions précédentes, que votre situation en tant que DTN était conforme à cet arrêté ?

M. Philippe Bana. Il me semble, oui.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Savez-vous que cet arrêté impose à l’agent une obligation de neutralité dans ses activités, après la cessation de ses missions de CTS ?

M. Philippe Bana. Tout à fait, oui. Ce sont les principes de base.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Au regard de ces éléments, pouvez-vous nous indiquer combien de temps avant les élections vous avez annoncé votre candidature à la présidence de la Fédération, et dans quelle position professionnelle statutaire vous étiez alors.

M. Philippe Bana. J’ai annoncé ma candidature en fin d’année 2019. L’ensemble de mes fonctions ont cessé, et je n’ai plus été agent public à compter du 1er octobre 2020. C’était plus de deux mois avant les élections, et cela correspondait à la période de la campagne électorale. Auprès de la direction des sports, je me suis alors mis en situation de disponibilité totale, c’est-à-dire sans salaire et sans retraite administrative, à l’écart de la fonction publique. C’était un risque à prendre pour tenter d’apporter quelque chose à ce sport qui était difficulté.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Au moment où vous avez annoncé votre candidature, vous étiez donc encore DTN ?

M. Philippe Bana. Oui.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. L’arrêté dispose que l’agent exerçant les missions de conseiller technique sportif s’interdit de prendre parti dans les débats concernant la vie politique et élective de la fédération et des structures qui lui sont affiliées. Ne pensez-vous pas qu’un problème s’est posé de ce point de vue, sachant que vous étiez encore officiellement DTN lorsque vous avez annoncé votre candidature à la présidence de la Fédération ?

M. Philippe Bana. Je reconnais que cette situation n’était pas forcément en accord avec l’arrêté. Mais j’en ai discuté avec le président de la Fédération de l’époque et, à partir de mon départ en disponibilité, je me suis tenu totalement à l’écart des discussions.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le ministère et votre autorité hiérarchique étaient-ils informés de votre candidature ? Vous ont-ils adressé des remarques, quant au fait que vous occupiez encore des fonctions de DTN ?

M. Philippe Bana. Tout à fait. J’ai discuté avec le directeur des sports Gilles Quénéhervé du devoir de réserve qui allait m’incomber pendant un an. Je me suis mis en disponibilité et j’ai abandonné toute carrière administrative avant la campagne électorale à sa demande.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Des sanctions ont-elles été prononcées à votre encontre, compte tenu du fait que vous n’auriez pas dû vous porter candidat à la présidence de la Fédération à ce moment-là ?

M. Philippe Bana. Non, nous avons eu un débat sur le droit de réserve que je me suis astreint à respecter jusqu’à mon départ en disponibilité, deux mois avant les élections.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous nous préciser les fonctions qu’exerce aujourd’hui l’ancien président de la Fédération ?

M. Philippe Bana. Il est aujourd’hui vice-président de la Fédération internationale de handball, président de la commission d’éthique, de déontologie et de prévention des conflits d’intérêts. Nous avons en effet considéré qu’ayant été notamment directeur des sports et directeur de la préparation olympique, il présentait d’excellentes garanties du point de vue éthique, dans la droite ligne de Valérie Fourneyron. Peut-être était-ce une erreur. Nous avons travaillé, avec l’AFA, à l’amélioration de l’indépendance de la commission d’éthique, en réfléchissant notamment aux incompatibilités en termes de nominations. Encore une fois, nous ne sommes pas parfaits.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous nous préciser à quel moment vous vous êtes mis en disponibilité de vos fonctions professionnelles, avant les élections ?

M. Philippe Bana. Le 1er octobre 2020, pour être très précis. Je tiens à votre disposition le rapport détaillé du comité de déontologie des ministères chargés des affaires sociales, déclarant cette éligibilité totalement valide.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Un article de L’Équipe, en lien avec votre candidature, fait état de l’utilisation de moyens professionnels fournis par la Fédération pour faire campagne. Est-ce vrai ? Saviez-vous que c’était interdit par le code de déontologie ? Des sanctions ont-elles été prises, le cas échéant ?

M. Philippe Bana. On ne peut pas bâtir une réglementation sur la lecture de L’Équipe. Aucun outil personnel fédéral n’a été mis à disposition de ma campagne.

Pour mémoire, la Fédération française de handball souhaitait mettre à disposition de chacune des trois listes la somme de 15 000 euros. Les deux autres listes ont utilisé cette somme, alors que nous n’y avons pas touché. Pour la campagne 2024, la Fédération n’octroiera plus de tels moyens. Il serait intéressant, pour la commission, de se pencher sur ces périodes électorales et de réfléchir à la façon de les rendre plus robustes.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Selon des informations qui nous ont été transmises, le bureau du directeur de la Fédération a validé sur votre proposition, juste après l’élection, un contrat de prestation avec une entreprise dont votre fils est salarié. Est-ce exact ?

M. Philippe Bana. Excusez-moi, mais je ne vois pas de quoi vous parlez. Ce n’est plus dans L’Équipe, là…

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le sujet de la rémunération des dirigeants d’associations, qui est encadré par la loi, est loin de faire consensus au sein du mouvement sportif. En tant que président de la Fédération, êtes-vous rémunéré aujourd’hui ?

M. Philippe Bana. Non. Aujourd’hui, aucun des dirigeants du conseil d’administration fédéral, composé de quarante-cinq membres, n’est rémunéré. Nous sommes tous bénévoles, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Nous avons tous été ébranlés et sidérés par l’affaire Martini. Sans mettre qui que ce soit en cause, la Fédération a-t-elle pris des mesures pour éviter, à l’avenir, de passer à côté de quelque chose d’aussi grave ?

M. Philippe Bana. Le terme « sidération » est le terme adéquat. Comme vous le savez, l’affaire est en cours. Nous avons mis en application le principe de la tolérance zéro, dut‑il s’appliquer à l’endroit de personnes que nous connaissions bien et avec lesquelles nous travaillions. La sanction judiciaire est tombée assez rapidement.

En 2020, en signant le contrat de délégation, nous sommes engagés à lancer en outre des poursuites disciplinaires systématiques même si cette démarche peut parfois nous mettre en difficulté. Nous avons la volonté de faire quelque chose d’exemplaire dans le domaine du sport.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Je voudrais vous poser une question que nous posons de façon récurrente, à laquelle les fédérations nous ont apporté des réponses très différentes. Dites-vous aux présidents des petits clubs que la Fédération ne peut tolérer les faits de harcèlement, même si les faits ne concernent que quelques SMS ? Les alertez-vous sur la nécessité de signaler ces faits ?

M. Philippe Bana. Comme je l’ai expliqué tout à l’heure, nous nous efforçons de favoriser l’écoute, de systématiser la formation, et nous incitons à activer les canaux existants : mise en application de l’article 40 du code de procédure pénale ou signalement à la cellule fédérale. La tolérance zéro, c’est tous les jours : nous avons encore reçu tout à l’heure deux signalements supplémentaires. Nous essayons d’être exemplaires. Le fait que soixante-dix affaires soient remontées en trois ans indique bien que la parole a été libérée.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En application de l’article 3 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, la FFHB doit, en tant qu’association reconnue d’utilité publique, mettre en place un dispositif de prévention et de détection des atteintes à la probité. Pouvez-vous nous préciser la date à laquelle sa plateforme de signalement a été déployée, et nous en présenter le fonctionnement ? Ne pensez-vous que son titre « Tous unis face aux violences » risque d’induire en erreur ?

M. Philippe Bana. Cet intitulé renvoie à la campagne que nous avions lancée initialement. Après un travail réalisé avec notre déontologue, nous avons ensuite monté en un temps record une plateforme globale, signal.ffhandball.fr, destinée à recevoir l’ensemble des signalements. Nous disposons ainsi d’un outil central de diffusion et de collecte couvrant l’ensemble des sujets, des violences jusqu’aux atteintes à la probité. Je rappelle qu’il nous a coûté 120 000 euros : toutes les fédérations n’en ont pas forcément les moyens.

Le nombre de signalements valide cette stratégie volontariste du conseil d’administration de la FFHB. Le fait que soixante-dix cas aient été signalés montre que le tuyau fonctionne et qu’à l’évidence, c’était une bonne idée.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lors de votre propos liminaire, vous avez évoqué le recours à l’article 40. Pouvez-vous préciser sur quels types d’affaires ?

M. Philippe Bana. Par exemple, lorsque des faits de violences sexuelles nous sont rapportés par des dirigeants, des présidents de ligue et des cadres – qui en l’occurrence font très bien leur travail. Je ne peux pas m’étendre sur ces affaires, mais notre directrice juridique pourra vous transmettre des éléments plus précis si vous le souhaitez. Notre expérience est difficile, mais riche.

Je me permets d’émettre un avis. L’article 40 ne permet pas de tout gérer. Les victimes ne sont pas toujours prêtes à ce que le procureur soit saisi ; d’autres outils – le fait pour la Fédération de se constituer partie civile, par exemple, sont parfois plus adaptés.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. À quel moment estimez-vous que les signalements nécessitent saisir le procureur, en application de l’article 40 ?

M. Philippe Bana. Nous avons eu ce débat. Si les plaignants y sont prêts, nous y allons. Si c’est un seuil que vous voulez connaître, sachez qu’il est minimal. Pour nous, dès qu’il y a présomption, il y a action, même s’il peut nous arriver de nous mettre parfois en difficulté sur le plan du droit.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Si je vous pose la question, c’est parce qu’il est indiqué, sur le site du ministère dédié aux signalements : « Si vous êtes agent de l’État, dans les services déconcentrés, établissements et fédérations sportives et que des faits de violence, notamment à caractère sexiste et sexuel, sont portés à votre connaissance par la victime ou par une personne à qui la victime s’est confiée, vous devez signaler immédiatement les faits au procureur de la République sur la base de l’article 40 du code de procédure pénale. » Ce que je comprends c’est que l’on doit, dès que l’on est informé, adresser un signalement au procureur.

M. Philippe Bana. Oui. Aujourd’hui, les deux cas dont le procureur a été saisi sont des faits d’agression sexuelle qui auraient été commis par des dirigeants. Il est important de souligner que plus souvent, les plaintes des victimes sont déjà déposées au pénal.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lors de votre propos liminaire, vous avez évoqué soixante-dix signalements, n’est-ce pas ?

M. Philippe Bana. De mémoire – et je parle sous contrôle de la directrice juridique – nous avons soixante-dix affaires au total, dont celles qui ont donné lieu à un signalement au procureur.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Cela signifie que sur soixante-dix affaires, vous avez saisi deux fois le procureur, sur le fondement de l’article 40 ?

M. Philippe Bana. Oui.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quel était l’objet des autres affaires, s’il ne s’agissait pas de violences sexistes et sexuelles (VSS) ? S’agissait-il de discriminations, de racisme, d’homophobie ?

M. Philippe Bana. Si j’ai élargi la question à l’ensemble des sujets tout à l’heure, c’est parce que nous sommes confrontés à toutes sortes de faits, pas seulement à des VSS : bizutage, violence ordinaire, racisme. Nous sommes soumis au même régime que les autres fédérations, car nous combattons une violence sociale extrêmement forte. Certains cas ne relèvent pas forcément du pénal ; ce sont plutôt des comportements inappropriés au regard de la déontologie.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je voudrais être sûre de comprendre : à chaque fois que des violences sexistes et sexuelles vous ont été signalées, vous avez déclenché la mise en application de l’article 40 ?

M. Philippe Bana. Je parle sous contrôle de la directrice, et ma réponse est oui. Si la commission souhaite le détail précis de chaque affaire, nous vous fournirons ces éléments avec plaisir : étant allés au charbon, nous pouvons vous ramener des nouvelles du front.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ce pourrait être utile aux travaux de notre commission. Nous constatons en effet que les différentes fédérations n’utilisent pas les mêmes outils et ne prennent pas en charge les affaires de la même façon. Ce qui nous intéresse est de comprendre où se situent les dysfonctionnements. Plusieurs victimes ont témoigné devant nous du fait que leur plainte n’avait pas été traitée correctement, ou que l’article 40 n’avait pas été déclenché immédiatement.

Sur les soixante-dix signalements, deux concernaient des cas de VSS et ont conduit la mise en œuvre de l’article 40, tandis que les autres concernaient d’autres types de faits. Comment procédez-vous en interne lorsque vous faites face à des accusations de racisme ou d’homophobie ? Une commission disciplinaire est-elle réunie ?

M. Philippe Bana. Nous suivons la procédure que j’ai décrite tout à l’heure. La cellule fédérale de signalement est composée de quatre personnes : un élu, deux salariés et un membre de la direction technique nationale à temps complet. Nous avons aussi un référent intégrité dans chacun des treize territoires, ainsi qu’en outre-mer. Aujourd’hui, les signalements sont envoyés à une adresse e-mail dédiée – demain, ils passeront par la plateforme – et sont immédiatement traités par la cellule. Je rappelle également que nous veillons à l’écoute des victimes, que nous proposons de prendre en charge l’accompagnement psychologique et que nous travaillons avec des associations comme Log.in-Prévention, un acteur professionnel très efficace.

Les rapports élaborés par la cellule me donnent, en tant que président de la Fédération, la capacité d’ouvrir une procédure disciplinaire immédiate. La transmission à la cellule Signal-sports du ministère est une obligation. Viennent ensuite la saisine de la SDJES, l’ouverture de la procédure administrative par la préfecture et le contact avec les services judiciaires en cas de plainte pénale –  ce qui est fréquent. Nous avons consacré beaucoup de temps et de moyens à l’élaboration de notre logiciel et à la création du certificat d’honorabilité, pour lequel nous nous sommes battus et que nous croisons avec d’autres fichiers. Nous obtenons ainsi de bons résultats.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous eu des échanges avec le ministère au sujet des affaires sur lesquelles vous êtes intervenu ? Avez-vous reçu des conseils quant aux procédures à mettre en place ?

M. Philippe Bana. Oui, la cellule de la direction des sports est assez efficace. Il y a en permanence une passerelle entre la FFHB et les cellules compétentes, qui permet de transmettre les signalements et les alertes. Un véritable réseau s’est mis en place – presque autant un réseau humain qu’un réseau de tuyaux. La directrice juridique y passe deux heures par jour, et notre cadre, qui est une ancienne inspectrice de la jeunesse et des sports (IJS) y consacre tout son temps. Au-delà de l’investissement financier, l’investissement humain est réel aussi.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La plateforme de signalement de la FFHB ne propose pas de contacter directement la cellule Signal-sports et ne mentionne même pas son existence. Pourquoi ce choix ?

M. Philippe Bana. Il ne s’agit pas d’un choix. Encore une fois, nous sommes en réseau et en délégation de service public, et sommes en train de changer de plateforme pour agréger l’ensemble des dispositifs. Je vous le répète : le contact avec la cellule Signal-sports est quotidien.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Informez-vous les licenciés de votre Fédération ou des clubs de la possibilité qu’ils ont de saisir directement la cellule Signal-sports, sans passer par la cellule ou la plateforme de signalement de la FFHB ?

M. Philippe Bana. Oui. Nous avons travaillé ce sujet. Si vous le souhaitez, nous pouvons vous adresser les documents d’information à ce sujet. La Fédération relaye l’ensemble des dispositifs d’État, qui sont complémentaires.

La famille du handball a réagi de façon positive à la création de notre nouvelle plateforme ; il est parfois plus facile de faire circuler l’information et de faire des signalements en son sein, plutôt que d’utiliser un numéro générique.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous utilisez vous-même le terme de famille. D’autres ont eu des mots plus durs, parlant de secte ou d’omerta. La cellule Signal-sports doit justement permettre aux victimes de passer par le ministère plutôt que par la Fédération, où les choses sont moins faciles car tout le monde se connaît. Ne croyez-vous pas que certaines victimes se sentent moins libres de parler en interne, de peur d’être mises au ban et exclues de leur club ?

M. Philippe Bana. Vous avez entièrement raison. La complémentarité entre les différents canaux est essentielle. Et puis il existe aussi de bonnes familles ; peut-être est-ce le cas de la nôtre. Nous nous efforçons d’accompagner les personnes le mieux possible.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Au démarrage de cette commission d’enquête, nous avons lancé une plateforme visant à recueillir des témoignages de victimes. J’ai sous les yeux deux témoignages de personnes inscrites dans des clubs de handball, mettant en cause deux entraîneurs pour des faits de violences sexuelles et de viol. Il semble qu’après avoir alerté la Fédération, elles n’ont pas été entendues, ou pas écoutées d’une oreille suffisamment attentive. Elles sont aujourd’hui en état de détresse, raison pour laquelle elles ont répondu à notre appel. Je voulais porter l’existence de ces témoignages à votre connaissance. C’est la preuve que même si l’on agit, il peut subsister des souffrances dans les différents clubs.

M. Philippe Bana. Je vous remercie, madame la présidente, de nous en avoir fait part. Comme je l’ai dit plusieurs fois, personne n’est parfait. Nous n’avons pas la prétention d’avoir inventé quelque chose d’extraordinaire. Nous nous sommes efforcés de nous mettre en réseau le plus vite possible, avec l’ensemble des acteurs, mais il peut arriver que nous rations un signalement. Veuillez avoir la gentillesse de nous communiquer ces témoignages, afin que nous puissions nous en occuper dès demain matin.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Non, nous n’en aurons pas la possibilité.

M. Philippe Bana. Dommage !

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. C’est pour cette raison que nous soulignons combien il est important, pour libérer la parole, de mettre plusieurs outils à disposition des personnes. En quelques semaines, nous avons recueilli plus de cent témoignages tandis que la cellule Signal-sports, qui existe depuis trois ans, en avait déjà enregistré plus de mille. Les victimes ont estimé qu’en dehors du mouvement sportif, leur témoignage avait plus de chances d’être entendu.

Au demeurant, la Fédération de handball n’est pas la seule à avoir fait le choix de développer un outil qui lui soit propre. Nous avons identifié la multiplication des canaux comme étant un sujet que nous devions traiter.

Peut-être pouvons-nous évoquer rapidement une affaire en particulier. En janvier 2023, Bruno Martini, ancien président de la Ligue nationale de handball, a été condamné par la justice à un an de prison avec sursis pour corruption de mineur et enregistrement d’images pédopornographiques. Pouvez-vous revenir sur la façon dont la FFHB a géré cette affaire ? Des sanctions disciplinaires ont-elles été prises, en plus de la sanction pénale ?

M. Philippe Bana. Je l’ai évoquée tout à l’heure, mais peut-être un peu rapidement. Comme pour toutes les affaires auxquelles nous avons eu à faire face, nous avons immédiatement appliqué le principe de tolérance zéro. Nous avons décidé le jour même, en accord avec la Ligue, que quelles que soient les suites judiciaires de l’affaire, nous engagerions des poursuites disciplinaires. La procédure disciplinaire a été enclenchée. Elle a parfois avancé lentement, car les dossiers nous étaient transmis longtemps après que notre avocat les avait réclamés. Quoi qu’il en soit, le dispositif n’a pas failli.

Je vous le répète : nous avons fait le choix de procédures disciplinaires systématiques, même si les faits s’étaient déroulés en dehors de la Fédération. C’est au premier chef en matière disciplinaire que nous exerçons notre délégation de service public.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Votre Fédération a conclu des conventions avec les associations Colosse aux pieds d’argile et France Victimes, spécialisées dans la prévention des violences et dans l’accompagnement des victimes. Quel bilan tirez-vous de ces partenariats ? Quelles actions ont été conduites ? Que contiennent précisément les conventions que vous avez signées ?

M. Philippe Bana. Ces conventions nous ont beaucoup occupés à partir de 2020. Colosse aux pieds d’argile travaille sur l’écoute et l’accompagnement. Sur cette phase, notre satisfaction est totale. En contrepartie d’un engagement financier, ces conventions prévoient des actions de conseil, de formation, d’écoute, ainsi que la mise à disposition de personnels et d’un réseau. Nous sommes satisfaits sur tous ces points. La limite de cette association, c’est le travail avec les victimes. Sur ce point, nous avons travaillé avec France Victimes.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Combien d’heures de travail la convention prévoit-elle, et pour quel montant ?

M. Philippe Bana. Le montant total de la convention avec Colosse aux pieds d’argile s’élève à 20 000 euros annuels. Je comprends votre question…

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Non, n’interprétez pas la question. C’est une question que je pose systématiquement aux fédérations.

M. Philippe Bana. Très bien. Je voudrais, au-delà du sujet des conventions, préciser que France Victimes n’intervient qu’en cas de procédure pénale. Or, considérant que certains comportements inadmissibles pour nous n’étaient pas forcément caractérisés par une infraction pénale, nous avons estimé avoir besoin d’autre chose. C’est la raison pour laquelle nous avons créé la cellule de signalement.

Nous vous transmettrons ultérieurement le contenu et le coût des autres conventions, dont nous ne disposons pas ici. Dès le début, les personnes en charge de ces dossiers en interne ont veillé à la qualité de ce travail associatif. Il est vrai que l’investissement est considérable. Nous sommes une petite fédération, dont le budget est véritablement impacté par un investissement de 100 000 ou de 200 000 euros.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Cette commission d’enquête permet de prendre conscience de la persistance de VSS et de la difficulté de parler. D’après les témoignages poignants que nous avons entendus de la part de licenciés de votre fédération, il faudrait, dans le sport de haut niveau, savoir se taire. Chacun d’entre nous doit donc rester vigilant.

M. Philippe Bana. Nous exerçons cette vigilance au plus haut point. Nos éducateurs sont constamment contrôlés, et nos cinquante agents publics ont tous compris que leur mission consistait aussi à lutter contre ce type de comportements. Nous pouvons aussi, si vous le souhaitez, détailler ce que nous faisons contre les violences LGTBphobes, contre les bizutages ou contre d’autres comportements. Quoi qu’il soit, nous avons bien reçu votre message. Nous sommes parfaitement conscients de ce que vous venez de dire. C’est essentiel pour nous.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous l’entendons parfaitement. Ce qui nous intéresse, c’est d’identifier les leviers d’amélioration de la prise en charge des victimes et d’éviter les failles dans le traitement des affaires, quelle qu’en soit la nature : VSS, racisme, homophobie, discrimination, absence de probité ou corruption financière.

Deux questions me sont venues en vous écoutant. D’abord, êtes-vous accompagné par le ministère ou par d’autres acteurs, comme le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) ? Par ailleurs, avez-vous déjà eu à vous porter partie civile aux côtés d’une victime ? Quel accompagnement proposez-vous aux victimes lorsque des affaires concernent votre fédération ?

M. Philippe Bana. Nous sommes allés jusqu’à prendre en charge l’accompagnement psychologique des victimes. Ce sont des moments très difficiles ; à un moment donné, nous nous sommes même demandé s’il ne fallait pas accompagner la cellule de signalement.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. L’accompagnement psychologique se fait-il au cas par cas où s’agit-il d’un dispositif généralisé ? La Fédération française de tennis a augmenté de 2 euros le montant de ses licences, afin de pouvoir assurer un accompagnement juridique en cas de difficultés.

M. Philippe Bana. Nous procédons comme la Fédération française de tennis. Il nous est rapidement apparu essentiel de proposer un accompagnement psychologique, que nous avons donc intégré à notre modèle économique.

En 2019-2020, j’ai fait partie des premiers à recueillir des témoignages dans des affaires de violences sexuelles. Je le répète : nous avons très bien mesuré la nécessité d’un accompagnement. En tant que DTN, j’ai personnellement appelé des familles de victimes. Le pas que nous avons franchi en 2020 est énorme, et l’on ne mène pas une telle bataille sans un modèle économique robuste.

Vous m’avez interrogé sur l’accompagnement des différents acteurs. Oui, le ministère des sports et la ministre se battent au quotidien avec nous. Nous travaillons en réseau, organisé par le CNOSF. Mais c’est nous qui sommes en contact direct avec les 550 000 licenciés et les 2 400 clubs. Aujourd’hui, le travail est effectué par la cellule, par nos agents d’État et nos dirigeants. Les fédérations sont au cœur de la démarche, raison pour laquelle je pense que votre bataille est la bonne : ce sont elles qui, à condition de se transformer encore davantage, pourront apporter des réponses aux questions sociétales auxquelles elles sont confrontées.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Étiez-vous au courant de la dédicace qu’a faite Claude Onesta – que nous avons auditionné – à Didier Dinart ?

M. Philippe Bana. Non. Je crois me souvenir que cette affaire date d’octobre 2020 ; j’étais parti, à l’époque. Je n’ai jamais observé chez Claude Onesta la moindre manifestation de racisme à ce moment-là, et je n’ai pas eu à gérer cette situation.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous pose la question, car la dédicace est bien plus ancienne que sa médiatisation.

M. Philippe Bana. Je suis désolé, mais je n’avais pas eu cette information. Lorsqu’elle est sortie, je n’étais plus aux affaires et j’avais d’autres soucis en tête. Ce que je peux vous dire aujourd’hui, c’est ce que j’ai vécu avec Didier Dinart et Claude Onesta. Je reste proche d’eux et cette dédicace ne reflète en rien les valeurs que je les ai vus véhiculer pendant des années.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous vous remercions. N’hésitez pas à revenir vers nous si vous avez des compléments d’information ou des propositions à nous soumettre.

M. Philippe Bana. Je vous remercie, madame la présidente, ainsi que tous les membres de la commission. Si vous me le permettez, je vais vous offrir le maillot que nous avons fait fabriquer au moment du lancement de la campagne « Tous unis contre les violences » avec l’ensemble de l’équipe de France. Je l’offre à la commission, en témoignage de ce que les fédérations sportives essayent modestement de faire.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Merci. Nous gardons aussi les affiches que vous nous avez transmises. Nous vous serions également reconnaissants de bien vouloir nous transmettre les documents que nous avons demandés, s’agissant notamment des soixante-dix signalements que vous avez évoqués et du traitement qui leur a été apporté.

La séance s’achève à dix-huit heures trente-cinq.

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Membres présents ou excusés

Présents.  Mme Béatrice Bellamy, M. Stéphane Buchou, M. Hadrien Ghomi, M. Stéphane Mazars, Mme Sophie Mette, M. François Piquemal, Mme Claudia Rouaux, Mme Sabrina Sebaihi

Assistait également à la réunion. – M. Karl Olive