Compte rendu
Commission d’enquête relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif ayant délégation de service public
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Lucile Gangloff, ancienne secrétaire générale du comité régional Occitanie de canoë-kayak – (en visioconférence) 2
– Audition, ouverte à la presse, de M. Julien Pontes, porte-parole du collectif Rouge Direct, et de Me Adrien Reymond, avocat de l’association Stop Homophobie 14
– Audition, ouverte à la presse, de M. Nadir Allouache, président de la Fédération française de kickboxing, muaythai et disciplines associées (FFKMDA) – (en visioconférence) 33
– Présences en réunion................................57
Mercredi
8 novembre 2023
Séance de 13 heures 30
Compte rendu n° 41
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
Mme Béatrice Bellamy,
Présidente
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La séance est ouverte à treize heures trente.
La commission auditionne Mme Lucile Gangloff, ancienne secrétaire générale du comité régional Occitanie de canoë-kayak.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Mes chers collègues, nous accueillons Mme Lucile Gangloff, ancienne secrétaire générale du comité régional Occitanie de la Fédération de canoë-kayak et actuellement membre du conseil fédéral de la Fédération de canoë-kayak. Madame, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions.
Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier.
L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs, de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations. Nos travaux portent sur trois axes, à savoir les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif.
Madame, vous avez été secrétaire générale du comité régional Occitanie de canoë‑kayak, poste dont vous avez démissionné en février 2022. Actuellement vous êtes toujours licenciée auprès de la Fédération française de canoë-kayak et pratiquante hors compétition.
Dans un bref propos liminaire, pouvez-vous nous indiquer quels sont les faits dans le champ de cette commission d’enquête dont vous avez eu connaissance et les réponses que vous y avez apportées dans les différentes fonctions que vous avez exercées ?
Pouvez-vous revenir sur votre démission du poste de secrétaire générale et les raisons qui vous y ont conduite ?
Quelles sont les actions et organisations mises en place par la Fédération sur les sujets qui intéressent cette commission et comment le respect en est-il évalué ?
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(Mme Lucile Gangloff prête serment.)
Mme Lucile Gangloff, ancienne secrétaire générale du comité régional Occitanie de la Fédération de canoë-kayak. J’ai préparé un texte de sorte à cadrer l’ensemble de la situation et à vous donner la vue la plus complète possible même si elle n’est pas exhaustive. Sa lecture ne tenant pas dans les cinq à dix minutes, je vais tenter de synthétiser mon propos.
Ce dossier contient plusieurs éléments intriqués, plusieurs signalements, des dépôts de plainte, etc., qui, finalement, feront intervenir les différentes institutions du sport, à savoir la Fédération aux niveaux régional et national, la cellule Stop violences des acteurs tels que l’association Colosse aux pieds d’argile, Signal-sports et la délégation régionale académique à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (Drajes). Ces différents éléments correspondent aux trois axes qui intéressent le travail de cette commission d’enquête.
J’ai intégré le comité régional Occitanie de canoë-kayak en 2017, au moment de la fusion des régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon, notamment parce qu’à l’issue du départ de notre conseiller technique régional (CTR) de l’époque et du président de Midi-Pyrénées, je craignais que l’héritage Midi-Pyrénées disparaisse. Telle fut la raison de mon implication initiale, sachant que parallèlement, je m’inscrivais dans une démarche de reconversion professionnelle en Espagne, donc à distance. Cela me permettait néanmoins de démarrer avec un rôle d’observation et d’intégrer le comité afin d’y mener autant que possible des actions.
Très rapidement, j’ai détecté un climat peu respectueux et sexiste en général. Au-delà, des propos qui me semblaient inappropriés ont été tenus en ma présence ou à mon égard. À titre d’exemple, s’adressant à moi, l’ancien trésorier m’appelait « ma grande ». Je lui ai indiqué que, trésorière adjointe, je ne l’autorisais pas à m’appeler ainsi et il m’a alors répondu « je t’appelle ma grande si je veux ». De même, à l’issue de mon élection fin 2017, lors de notre première rencontre, le président du comité régional Occitanie de canoë-kayak m’a demandé si j’avais un petit ami. Je lui ai répondu que, vivant en Espagne, cela ne me semblait pas une bonne idée. Il m’a alors rétorqué : « J’espère que tu te touches parce que sinon, ça fait quand même drôlement long quatre ans. » Issue d’une école d’ingénieurs, je suis accoutumée aux blagues un peu lourdes. Je n’y faisais pas très attention et, surtout, je n’en prenais pas note. Néanmoins, de la part du président du comité régional, cet homme que je ne connaissais pas et que je rencontrais pour la première fois, de tels propos m’ont beaucoup dérangée. J’ai également été très interpellée par la familiarité du trésorier ainsi que par la condescendance et le mépris qui émanaient de ses propos.
De plus, je constatais des défauts de gouvernance. Les interlocuteurs qui auraient dû être informés de certaines réunions classiques du comité régional n’étaient pas invités et ne recevaient pas les comptes rendus. J’ai noté également des défauts de communication. Je découvrais parfois que des décisions avaient été prises en dehors des réunions, sans avoir fait l’objet d’un vote. À titre d’exemple très concret, j’ai été mise devant le fait accompli de l’embauche d’un salarié à temps partiel via un groupement interentreprises.
À la fin de l’année 2021, une crise a éclaté lorsqu’un conseiller technique régional a exigé l’exclusion d’un athlète d’une formation de juge au motif qu’il avait eu une altercation avec lui plusieurs années auparavant pour laquelle il avait déposé deux plaintes. Ayant malheureusement déjà subi des agressions verbales de ce CTR dans le passé, je me suis inquiétée de la légitimité de cette exigence d’exclusion, qui aurait pu s’apparenter à un règlement de comptes. J’ai mené une enquête et interpellé le service juridique de la Fédération. Il s’est avéré qu’aucune procédure disciplinaire n’avait eu lieu. Dès lors, accéder à cette demande pouvait s’avérer discriminatoire. Nous avons approfondi notre enquête et nous avons découvert de vieilles histoires relatant des faits préoccupants, des humiliations d’athlètes, des propos déplacés, etc., assez comparables à ce que j’avais moi-même vécu et entendu. Nous avons également eu écho de l’anorexie d’anciennes athlètes ; d’abord deux, puis une demi-douzaine, voire davantage. Dès lors, je me suis vraiment inquiétée d’un possible problème systémique, peut-être lié à cet entraîneur, peut-être plus large. J’apprendrai plus tard que le problème s’étendait bien au-delà et que plusieurs personnes étaient probablement concernées. C’était peut-être un peu culturel.
Le bureau du comité régional ne fonctionnait plus en raison d’une opposition forte quant au mode de fonctionnement et à la vision, et je me trouvais confrontée à des faits préoccupants. J’ai donc demandé conseil au directeur technique national (DTN) en lui relatant certains des éléments dont je disposais. Il a été surpris et m’a conseillé d’agir en mon âme et conscience. Après réflexion, courant décembre 2021, j’ai décidé de faire un signalement à ma fédération en passant par la cellule Stop violences.
Dès que mon signalement a été connu, un mois plus tard, la situation s’est dégradée. Le signalement initial portait uniquement sur le climat sexiste et les défauts de gouvernance du comité régional et, afin de rétablir un climat de travail apaisé, je sollicitais une médiation, une aide à la structuration du comité régional et une formation sur les discriminations. Dès lors, une véritable stratégie s’est organisée contre moi de sorte à décrédibiliser mes propos et à me faire passer pour folle, pour un harceleur agresseur, avide de pouvoir, etc. A posteriori, j’ai constaté que cette stratégie visait à faire monter la pression pour que je craque. Le CTR en partie concerné par mon signalement a déposé une demande de protection fonctionnelle auprès de sa Drajes qui nous a convoqués, le président, le trésorier et moi-même, à Montpellier pour nous sermonner et nous encourager à organiser une médiation avec l’ancien athlète et à faire pression sur lui afin qu’il présente ses excuses.
J’ai découvert par la suite qu’il ne s’agissait pas réellement d’une convocation du président et de son bureau initiée par le responsable des sports, mais d’une démarche organisée conjointement entre les deux. Je l’ai d’ailleurs ressenti dans le déroulement de cette réunion pendant laquelle le casier judiciaire complet de l’athlète concerné a été détaillé. Le président du comité régional me l’avait d’ailleurs détaillé précédemment lors d’un entretien téléphonique. Le référent éthique de la Drajes nous a dépeint un psychopathe dangereux. Or les échos transmis par des personnes qui le connaissaient ne cadraient pas vraiment avec cette image. La situation s’avérait vraiment gênante et générait un profond malaise.
Le lendemain matin, nous avons présenté au CTR les modalités de cette médiation. Seul le président a pris la parole et lorsque j’ai demandé au CTR ce qu’il en pensait, il a explosé. Le président a été déconnecté de la visioconférence et le CTR a hurlé contre moi, décrétant qu’il ne voulait plus avoir quelque contact que ce soit avec moi. J’ai tenté d’expliquer que j’avais simplement sollicité une médiation, mais il me coupait systématiquement la parole et je n’ai pas pu m’exprimer.
Je suis sortie très choquée de cette réunion. À l’époque, je travaillais à temps plein et nous avions fait l’aller-retour dans la soirée du lundi de sorte à nous présenter à la Drajes de Montpellier, à savoir sept heures de route pour ma part et neuf heures de route pour le trésorier. En parallèle, je devais préparer, assez seule par défaut d’investissement du président, l’assemblée générale du samedi suivant, le président refusant de m’aider. Chaque jour, je devais intégrer des demandes supplémentaires telles qu’une intervention de la Drajes, des invitations supplémentaires, etc. La pression que j’ai subie au cours de cette semaine-là a été extrême. Le samedi matin, à huit heures, était organisée une réunion avec le CTR au cours de laquelle nous devions l’assurer de notre soutien sans faille et collectif. Suivaient le colloque des présidents à neuf heures, le comité directeur à treize heures et l’assemblée générale à quatorze heures.
Lors de la réunion avec le CTR, la configuration de la salle me donnait l’impression d’être cernée. Le CTR se trouvait à ma gauche, un autre était assis dans mon dos, le président me faisait face à droite et le vice-président était installé en face de moi. Mon seul « allié » dans la pièce, le trésorier, se trouvait dans le coin le plus éloigné. Le président a tenu des propos passionnés, son regard noir rivé sur moi et dans une posture fermée, expliquant à mots couverts, mais fermes, qu’à la fin de la journée, le CTR ne devait pas redouter qu’on lui plante un couteau dans le dos. Peut-être à tort, j’ai interprété ses propos comme un message subliminal m’intimant de retirer mon signalement. J’ai donc répété les propos que j’avais tenus à la Drajes le lundi soir, à savoir que je souhaitais que nous maintenions ce CTR, mais qu’il convenait d’améliorer nos façons de travailler ensemble. Le président a alors explosé ; il a hurlé, il s’est levé et a frappé du poing sur la table basse qui nous séparait, au point qu’elle s'est soulevée de dix centimètres avant de retomber. Il a déclaré qu’il en avait assez d’entendre parler de travail. J’ai été choquée ; je me suis levée et je me suis effondrée en pleurs. J’ai annoncé ma démission et suis partie envoyer la lettre de démission que j’avais préparée auparavant. J’étais très abattue. Je me sentais vraiment en danger. Deux personnes m’ont raccompagnée jusqu’à ma voiture.
Ensuite, les procédures s’enchaîneront, mais aucune ne se déroulera de façon normale. Le signalement initial que j’ai déposé ne mentionnera jamais ces éléments, et sera présenté au bureau exécutif de la Fédération avec la seule mention de « propos sexistes du président du comité régional ». À ma connaissance, les problématiques de gouvernance n’ont pas été évoquées, ni le rôle des autres personnes. La cellule Stop violences m’a confirmé qu’à aucun moment, les représailles que j’ai dû subir, notamment les menaces qui ont conduit à ma démission, n’ont été retracées.
À l’issue de l’analyse par la cellule Stop violences et de sa présentation au bureau exécutif, aucune saisine de commission disciplinaire ne sera sollicitée contre les personnes qui me faisaient face. Je précise que le vice-président aussi m’a hurlé dessus au cours de cette réunion, m’encourageant à partir. Plus tard, il avouera devant témoins que cela visait à me conduire à démissionner.
Je n’ai pas été accompagnée suffisamment par la cellule Stop violences de la Fédération qui ne propose un accès ni à un psychologue ni à un juriste, mais une simple écoute. Je me suis alors tournée vers Colosse aux pieds d’argile qui m’a indiqué que je pouvais faire un signalement sur les faits qui m’avaient été rapportés. J’ai donc enclenché une démarche liée aux faits préoccupants mettant en cause le CTR. J’ai évoqué la complicité des personnes qui peuvent éventuellement l’avoir couvert. Je m’appuie sur la convergence des témoignages, puisque plusieurs personnes différentes et de confiance m’avaient donné des informations non seulement inquiétantes, mais également cohérentes avec les comportements que j’avais constatés.
Ce signalement a aussitôt été transmis à Signal-sports par « Colosse » avec mon accord. Signal-sports n’a pas réagi pendant plusieurs mois, jusqu’à ma relance en septembre.
La façon dont il sera traité par la Drajes Occitanie est absolument anormale. En effet, les personnes mises en cause ont reçu mon signalement en main propre. Le vice-président, notamment, a indiqué à un tiers que le CTR l’avait reçu de sa hiérarchie. En outre, l’ancien binôme de ce CTR a contacté un témoin en lui citant mot pour mot les extraits qui le concernaient et en lui en demandant confirmation. Cet ancien binôme, désormais cadre à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), a adressé un courrier de dénonciation calomnieuse contre moi dans lequel il s’appuyait sur les imprécisions contenues dans mon courrier pour affirmer que je mentais. Il indiquait avoir interrogé deux témoins, mais il semble n’avoir contacté aucune victime. Il affirmait que les témoins revenaient sur leurs propos objectant qu’ils ne les avaient jamais tenus. Un témoin m’a néanmoins confirmé ses propos.
Cette enquête sera bien sûr classée sans suite. Lorsque je me suis inquiétée auprès du directeur régional des raisons pour lesquelles les personnes mises en cause avaient reçu mon signalement, il m’a renvoyé assez sèchement à la Fédération puisqu’il s’agissait d’une simple enquête RH. Lorsque je lui ai indiqué qu’il se trompait peut-être en confondant les deux signalements, il ne m’a pas répondu.
En revanche, le référent éthique de la Drajes, qui était présent lors de notre réunion en février, a demandé à la juriste de Colosse aux pieds d’argile de lui transmettre mon dépôt de plainte. En effet, au cours de l’été, le président aurait frappé sa conjointe. Ces faits s’avéraient suffisamment inquiétants pour que, de mon côté, je décide de déposer plainte pour les violences verbales que j’avais subies. Étonnamment, cette plainte sera classée sans suite en trois jours.
Bref, des plaintes sont anormalement classées sans suite ; le signalement auprès de la Fédération reste sans réponse ; le signalement auprès de « Colosse » et de Signal-sports a été traité par la Drajes d’une façon stupéfiante.
Aucune information n’a été diffusée aux clubs de la région.
Mon signalement à la Fédération portait sur les violences verbales, le sexisme et les dysfonctionnements de la gouvernance. La conjointe du président a fait un signalement contre lui pour violences physiques. Elle était bénévole et elle a démissionné. Enfin, le nouveau trésorier a appris que le président du comité régional avait acheté son camion personnel avec la trésorerie du comité. Il disposait des éléments factuels tels que la facture et les mouvements bancaires correspondants. Ces faits font l’objet d’un troisième signalement, qui déclenchera cette fois une saisine de la commission disciplinaire par la Fédération. Je n’ai pas pu assister à cette commission disciplinaire, mon avocate non plus, en raison de défauts d’organisation de la commission disciplinaire.
À l’issue de cette audition, la conclusion relative à mon signalement a été que la divergence des versions ne permettait pas d’établir les faits avec précision. Pour ce qui concernait la conjointe, ils seront considérés comme relevant de la sphère privée. En revanche, le détournement de fonds publics étant avéré, le président a été sanctionné de cinq ans d’inéligibilité.
J’ai reçu le compte rendu comme l’ensemble des membres du comité directeur Occitanie ainsi que le bureau exécutif de la Fédération et le DTN. À ma connaissance, bien que le détournement de fonds publics ait été confirmé, l’article 40 n’a pas été déclenché.
Au regard des niveaux de réponse des différentes procédures, j’ai saisi le Défenseur des droits. Je disposais de suffisamment d’éléments concrets et écrits pour étayer mes propos et conduire le Défenseur des droits à déclencher une action qui, à ce jour, n’est pas encore terminée.
En septembre 2023, donc très récemment, j’ai appris, dans un compte rendu du bureau exécutif de la Fédération publié sur son site, que j’avais été visée par un signalement pour harcèlement et volonté de nuire. La description des faits me conduit à penser qu’il s’agit bien d’un signalement contre moi. Je n’ai jamais été entendue ni contactée ni informée. J’ai récemment demandé des précisions au président de la Fédération, mais je n’ai toujours pas de réponse. C’est à la suite de cette découverte que j’ai pris contact avec la commission d’enquête pour l’informer du contenu de mon dossier.
En janvier 2023, quinze jours avant l’assemblée générale, les clubs n’étaient pas informés que leur président avait été suspendu à titre conservatoire par la commission disciplinaire. Puisque le comité directeur s’y refusait, j’ai donc pris l’initiative, risquée, d’informer par courriel les clubs de la région de la suspension du président et des problématiques rencontrées. J’avais démissionné depuis un an mais je ne m’étais encore jamais exprimée. Naïvement, je pensais que les gens comprendraient ce qui se passait, mais je me suis rendu compte qu’il n’en était rien. À l’issue de la diffusion de mon courriel, deux plaintes pour diffamation ont été déposées. J’ai moi-même porté plainte pour diffamation puisque le lendemain, l’ancien trésorier a diffusé un courriel me traitant « d’ignominieuse » et expliquant que j’avais « démissionné pour les problèmes psychologiques que nul n’ignorait ».
Voici donc une synthèse d’un dossier complexe dont les éléments partent dans plusieurs directions.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Dans vos propos, vous mettez en cause le président du comité régional Occitanie et vous nous indiquez qu’il a été condamné par la commission disciplinaire de la Fédération française de canoë-kayak (FFCK) à une inéligibilité de cinq ans, mais qu’il n’aurait pas respecté cette peine. Pouvez-vous préciser ?
Mme Lucile Gangloff. Plus précisément, ce n’est pas cette peine-là qu’il n’a pas respectée, mais la mesure conservatoire. En effet, il a été reçu le 11 avril 2023 en audition et la décision de la commission disciplinaire a été écrite et transmise le 25 avril. Cela signifie que la mesure conservatoire était applicable jusqu’au 25 avril et correspondait à une suspension de licence. Or, entre le 20 et le 22 avril, il a animé une formation de sécurité auprès de jeunes licenciés du comité départemental de l’Hérault, qu’il représentait ce jour-là. J’en ai informé le président de la Fédération, mais j’ignore les suites données à cette information.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous n’avez donc eu aucun retour d’information quant au suivi de vos signalements.
Mme Lucile Gangloff. Non. J’ai alerté sur le fait que le règlement disciplinaire ne mentionne aucune procédure applicable quand une personne condamnée à une sanction disciplinaire ne la respecte pas. Il s’agit d’un manque dans le règlement de la Fédération française de canoë-kayak. Avec le recul, je pense que ma démarche est complexe parce qu’elle ne relève pas d’un problème classique. À titre d’exemple, le traitement d’une bataille entre deux personnes lors d’une compétition est très cadré. En revanche, dès lors que les faits concernent soit des CTR, soit des dirigeants, soit des structures, on ne sait plus de quelle manière gérer le problème. Il existe des filtres à différents niveaux. Dans le cas présent, par exemple, la cellule Stop violences, peut-être de bonne volonté et avec sincérité, m’a semblé avoir énormément filtré le contenu de mon dossier. Dès lors, le bureau exécutif a pris une décision qui n’était peut-être pas très éclairée, puisqu’il ne disposait probablement pas de l’ensemble des éléments. Cela montre la difficulté qui existe à prendre les bonnes décisions, sachant que ce n’est pas la cellule Stop violences qui saisit la commission disciplinaire. Elle propose et le bureau exécutif décide. Dès lors, l’interconnexion entre les signalements et les sanctions disciplinaires est inexistante. À l’époque, j’avais signalé ce problème et on m’avait répondu qu’il n’était pas possible d’agir en l’absence de décision au pénal. J’avais objecté que le bureau exécutif de la Fédération ne dépendait pas d’une décision pénale et qu’il était de sa responsabilité de faire respecter son règlement intérieur dont j’avais surligné des extraits pertinents. Plusieurs points n’étant pas respectés, il pouvait saisir une commission disciplinaire et éventuellement décider de sanctions si nécessaire. Je n’ai eu aucune réponse.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons eu l’occasion d’entendre M. Zoungrana au cours d’une audition de cette commission d’enquête. Avez-vous eu l’opportunité de visionner cette audition ? Dans l’affirmative, qu’en avez-vous pensé ?
Mme Lucile Gangloff. J’ai en effet visionné cette audition. Une partie concernait la commission dédiée à ces sujets au sein du Comité national olympique et sportif français (CNOSF). Dans ce cadre, les recommandations sont pertinentes et je souscris complètement, notamment, à la nécessité d’externaliser le traitement des signalements. Je pense d’ailleurs qu’au-delà de la fédération, il serait souhaitable que les signalements soient traités en dehors non seulement de la fédération concernée mais surtout du monde sportif parce qu’il existe de nombreux liens entre les fédérations et le ministère des sports, ce qu’on retrouve notamment dans le traitement de mon signalement par la Drajes.
L’autre partie de l’audition de M. Zoungrana concernait la FFCK. J’ai été un peu déçue par certains silences ou manques. Néanmoins, M. Zoungrana n’a probablement pas la même vision que moi puisque nous ne nous situons pas du même côté. Il dispose donc d’avis différents du mien.
Je pense que la cellule Stop violences de la Fédération n’est pas totalement fonctionnelle, non pas qu’elle soit de mauvaise volonté, mais les six personnes qui l’animent travaillent à temps partiel sur ces sujets et assurent parallèlement de nombreuses autres missions. Elles ne sont donc pas suffisamment disponibles. En outre, elles ont suivi une formation minimale, mais je doute qu’elles aient toutes les compétences requises pour recevoir la parole des victimes et mener des enquêtes. En outre, cette équipe est constituée de conseillers techniques (CT). On reste donc dans de l’entre-soi puisque mon dossier mettait en cause des CT. Dans quelle mesure les intervenants de la cellule parviennent-ils à rester neutres ?
À l’époque, la présidente de la cellule Stop violences me semblait tout à fait à la hauteur de la situation, mais elle est partie au ministère des sports. Son successeur paraît très compétent sur le sujet, mais il a pris un poste comportant de nombreuses fonctions au sein de la Fédération et n’a probablement pas été en mesure de s’emparer pleinement du sujet.
J’aurais aimé que, lors de son audition, Jean Zoungrana reconnaisse la nécessité de faire progresser cette cellule de sorte qu’elle soit à la hauteur de la situation.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lors de son audition, M. Zoungrana a évoqué des déports sur certains dossiers en raison, en effet, de liens éventuels. Pourriez-vous préciser votre pensée à ce sujet ?
Mme Lucile Gangloff. Je suppose que par « déport » vous entendez la transmission d’un dossier à une personne plutôt qu’à une autre afin d’éviter les connivences. Ces déports sont réalisables dès lors qu’un nombre suffisant de personnes différentes est disponible. Les conseillers techniques d’une toute petite fédération se connaissent tous. Les déports sont illusoires, car le dossier sera toujours confié à quelqu’un qui connaîtra quelqu’un qui connaîtra quelqu’un, etc.
Dans le cas qui me concerne, je sais que des échanges se sont déroulés en dehors des réunions. Le binôme théorique s’est transformé en un trinôme. Je n’ai eu aucun contact avec la troisième personne, et donc j’ignore ce qu’elle a entendu, mais je suppose qu’elle s’est entretenue avec les deux autres interlocuteurs, à savoir le président et le CTR. Je sais que le président avait demandé ses coordonnées téléphoniques avant de s’entretenir avec elle dans le cadre des enquêtes.
Lorsque les affaires se déroulent dans des milieux trop restreints, c’est presque un jeu de dupes.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous avez mentionné la cellule Stop violences de la Fédération, mais connaissez-vous la cellule Signal-sports du ministère des sports ?
Mme Lucile Gangloff. À l’époque, je ne la connaissais absolument pas. Lorsque j’ai cherché des informations relatives à cette cellule, telles qu’elles étaient présentées, j’ai compris qu’elle traitait essentiellement des violences sexuelles. Je ne me sentais donc pas concernée par cette cellule.
En réalité, j’ai découvert Signal-sports lorsque « Colosse » lui a transmis mon signalement. À l’époque, j’ai d’autant moins bien compris son rôle que ses représentants m’ont indiqué qu’ils n’étaient pas compétents sur mon dossier. J’ai donc eu peu de contacts avec eux.
J’ai compris le fonctionnement de Signal-sports par le biais de votre commission d’enquête.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous nous expliquer à nouveau le déroulement des faits. Vous avez fait un signalement à Signal-sports par l’intermédiaire de Colosse aux pieds d’argile. Est-ce exact ?
Mme Lucile Gangloff. Oui. En fait, j’ai déposé un signalement sur le site de « Colosse », car il propose une plate-forme très sécurisée, si sécurisée que je ne peux plus accéder au contenu de mon signalement de l’époque puisqu’il a été clôturé. Ensuite, « Colosse » a transmis le signalement à Signal-sports. Je ne disposais d’aucun visuel relatif à cette transmission, mais simplement d’une information préalable. Aucune copie ne m’a été adressée. Le signalement a été transmis mi-avril 2022. N’ayant aucune nouvelle, en septembre 2022, j’ai envoyé un courriel à Signal-sports afin d’obtenir un point de situation. Il m’a été répondu que mon signalement avait été transmis à la Drajes.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je veux être sûre de bien comprendre vos propos. Est-ce bien Signal-sports qui a transmis votre dossier à la Drajes Occitanie ?
Mme Lucile Gangloff. Oui, mais sans m’en informer.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. La Drajes Occitanie a-t-elle pris contact avec vous ?
Mme Lucile Gangloff. Non, la Drajes ne m’a jamais appelée.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Rappelez-nous le déroulement des événements ensuite. Comment avez-vous eu connaissance du signalement de Signal-sports à la Drajes ?
Mme Lucile Gangloff. En septembre 2022, n’ayant aucune nouvelle, j’ai adressé un courriel à Signal-sports afin de m’assurer qu’ils avaient bien reçu mon signalement et, dans l’affirmative, de faire un point de situation. Ils m’ont confirmé avoir reçu mon signalement et l’avoir transmis à la Drajes. Après avoir repris contact avec la Drajes, ils m’ont recontactée par courriel pour m’indiquer que le traitement du dossier suivait son cours. C’est en octobre 2022 que j’ai appris que mon signalement avait non seulement été transmis, mais qu’il était également entre les mains du CTR, du vice-président, et de l’ancien partenaire sportif du CTR, qui était aussi son ancien supérieur hiérarchique. Ce moment a été extrêmement angoissant pour moi. J’ai alors décidé de me tourner vers des personnes susceptibles de me conseiller stratégiquement, ainsi que de m’adresser à une psychologue, une avocate, etc. Je me suis inquiétée non seulement à l’évocation d’un courrier pour dénonciation calomnieuse, mais également en mesurant l’ampleur de la diffusion de mon signalement.
J’ai constaté qu’aucune confidentialité n’avait été respectée alors que mon signalement contenait le nom de l’ensemble des victimes. Je n’avais pas personnellement pris contact avec ces jeunes femmes parce que je ne les connaissais pas et que cela me semblait inapproprié, voire indélicat. Je pensais qu’à l’issue de ce signalement, un professionnel formé les interrogerait de sorte à recueillir la parole des victimes, à enquêter et à faire la part des choses. Il convenait de déterminer si l’anorexie dont elles étaient victimes provenait de problèmes survenus dans le cadre de leur activité sportive, dans la structure dans laquelle elles évoluaient, ou bien dans leur vie personnelle, si le problème était lié spécifiquement à une personne, etc. J’ai craint que ces femmes soient approchées de façon totalement inappropriée, sous forme d’une pression visant à les faire taire, et qu’elles en souffrent. Heureusement, il semble qu’au cours de cette pseudo-enquête, seuls deux témoins hommes aient été contactés. J’ai été soulagée qu’ils n’aient pas remué le couteau dans la plaie du côté de ces jeunes femmes.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous transmis le suivi du dossier à Colosse aux pieds d’argile ?
Mme Lucile Gangloff. Non, pas totalement. Quand la juriste m’a informée que le référent éthique de la Drajes avait demandé le contenu de ma plainte, j’ai été choquée qu’elle lui ait éventuellement donné des éléments de mon dossier sans mon autorisation préalable. Dès lors, j’ai perdu confiance dans « Colosse ». Par la suite, je les ai tenus un peu informés. Je crois leur avoir fait part de la décision disciplinaire, à quoi ils m’ont répondu qu’ils étaient au courant parce qu’ils étaient en contact régulier avec la Fédération aux termes d’une convention cosignée. En réalité, j’avais pris mes distances parce que je n’avais plus confiance.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lorsque vous avez adressé votre témoignage à Colosse aux pieds d’argile, ils l’ont transmis à la plateforme Signal-sports. Est-ce exact ?
Mme Lucile Gangloff. Oui.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Disposez-vous d’une copie du témoignage qui a été transmis à Signal-sports ? Savez-vous quels témoignages Signal-sports a transmis à la Drajes ? L’équipe de Signal-sports a-t-elle pris contact avec vous pour vous informer de la réception de ces témoignages ? Savez-vous au moins quel est le contenu des signalements ?
Mme Lucile Gangloff. Je n’ai été informée directement ni par Signal-sports ni par « Colosse » puisque je n’ai pas été mise en copie des procédures. Pour ma part, j’avais adressé un court texte sur la plate-forme numérique, auquel j’avais joint mon signalement en fichier PDF. L’équipe de Signal-sports ne m’a jamais contactée directement, mais elle a répondu à mes questions. En revanche, de façon très indirecte, je sais exactement ce qu’elle a transmis, à savoir le fichier PDF, puisque le fameux binôme du CTR, qui se trouve avoir été également son ancien responsable hiérarchique, le joint au courrier de dénonciation calomnieuse qu’il rédige contre moi et qu’il envoie aux deux témoins avec lesquels il a pris contact. D’ailleurs, dans ce courrier, il écorche mon nom. Il joint donc mon signalement initial, qui a été imprimé et où quelques mots figurent en surligné. Ce courriel de dénonciation calomnieuse prouve que mon signalement a bien été diffusé.
Mme Claudia Rouaux (SOC). Je vous remercie pour votre témoignage et pour votre courage parce que nous sommes conscients du stress que cela représente pour vous. Disposez-vous des noms des intervenants de Colosse aux pieds d’argile et de Signal-sports. Dans l’affirmative, je vous invite à les transmettre à la rapporteure et à la présidente. En effet, votre récit est tout de même étrange.
Mme Lucile Gangloff. Je dispose des noms des intervenants de « Colosse », mais pas de ceux des intervenants de Signal-sports. Je crois que les courriels sont signés par une signature générique.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous avez évoqué des irrégularités lors de la dernière assemblée générale de la Fédération. Faites-vous référence à l’assemblée générale convoquée le 1er avril dernier ? Pouvez-vous préciser ces irrégularités ?
Mme Lucile Gangloff. Il s’agissait de l’assemblée générale du comité régional. J’ai peut-être été imprécise. Ces irrégularités concernent l’assemblée générale du comité régional Occitanie canoë-kayak de mars 2023.
Statutairement, le comité régional est tenu d’envoyer les invitations et l’ordre du jour au moins quinze jours avant la tenue de l’assemblée générale. Cinq jours avant la date retenue, le bureau souhaitait ajouter une élection afin d’intégrer deux membres supplémentaires au comité directeur, mais cette élection n’était pas inscrite à l’ordre du jour, dont je ne me souviens plus s’il a été modifié dans ce délai des cinq jours. Il n’en reste pas moins que ce n’était pas réglementaire. Pendant l’assemblée générale, le vice-président, devenu président puisque l’ancien président avait été suspendu, a imposé cette élection. Un membre du bureau exécutif de la Fédération et un DTN adjoint, présents à cette assemblée générale, lui ont conseillé de ne pas procéder à cette élection non réglementaire. Le président n’en a pas tenu compte. Il a soumis la tenue de l’élection au vote des membres présents. Ce vote ayant été favorable, il a procédé à l’élection. Les deux personnes ont donc intégré le comité directeur et le bureau. D’après ce que je perçois, ces deux personnes étaient en opposition avec ma posture, mais aussi et surtout avec le trésorier actuel qui est intègre et qui tente de limiter la dégradation du fonctionnement.
Le membre du bureau exécutif de la Fédération qui était présent a indiqué au président que cette assemblée générale n’était pas régulière et qu’il en référerait à la Fédération. Toutefois, le compte rendu de cette assemblée générale n’est toujours pas rédigé. Statutairement, à la Fédération française de canoë-kayak, il est normal que le compte rendu d’une assemblée générale ne soit transmis qu’un an plus tard, après sa validation lors de l’assemblée générale suivante. Tant qu’il n’y a pas de compte rendu, il n’y a pas de problème.
Mme Claudia Rouaux (SOC). Certes, statutairement il y a la Fédération, mais il y a aussi la loi. Il me semble qu’à l’issue d’une assemblée générale, elle impose d’informer le préfet de la composition du bureau, du nombre de personnes présentes à l’assemblée, afin de s’assurer de la légalité de cette assemblée générale.
Est-ce que vous confirmez que les présidents de club et les personnes présentes à l’assemblée générale n’ont à aucun moment été informés de la mise à pied du président pour prise illégale d’intérêts ou, en tout cas, pour détournement de fonds du comité ?
Mme Lucile Gangloff. Les clubs n’ont pas été informés. Deux assemblées générales sont intervenues dans des périodes de bouleversements.
Celle de 2023 a été organisée alors que le président était suspendu à titre conservatoire et, à ce moment-là, les clubs n’étaient pas informés. Quand un membre du bureau demandait au président par intérim d’en informer les clubs, celui-ci refusait sous le prétexte de ne pas faire de vagues. J’ai donc décidé de diffuser cette information, ce qui m’a valu une plainte pour diffamation. Ces plaintes n’ont eu aucune suite puisque je n’ai rien reçu et qu’il y a désormais prescription.
En 2023, dans un premier temps, seul le comité directeur du comité régional a été informé des mesures disciplinaires prises à l’encontre du président, et donc de son inéligibilité. Ce dernier n’ayant pas respecté la mesure conservatoire, trois mois plus tard, le président de la Fédération a fini par informer les clubs et comités départementaux de cette sanction. Je ne me souviens plus exactement des dates, mais je pense que cette information est intervenue préalablement à l’assemblée générale de mars 2023.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je comprends donc que vous ne disposez pas du compte rendu de l’assemblée générale parce qu’il n’a pas été rédigé. Est-ce exact ?
Mme Lucile Gangloff. Je ne sais pas s’il y a eu une ébauche de compte rendu. Lors de cette assemblée générale, il n’y avait aucun secrétaire général. Un membre du bureau a assuré ce poste par intérim après mon départ.
J’ai démissionné le 12 février 2022. Le secrétaire général adjoint de l’époque n’était pas du tout impliqué sur son poste et a fini par démissionner à l’automne suivant. Le comité a été privé de secrétaire général jusqu’à l’assemblée générale suivante. Un membre du bureau a été désigné pour assurer l’intérim jusqu’à cette assemblée générale. L’une des deux personnes dont l’élection a été forcée devait rédiger le compte rendu mais j’ignore si quelqu’un a été missionné pour cette tâche. Il existait tant de lacunes de gouvernance à tous les niveaux que je ne suis pas sûre qu’ils se soient même souciés de savoir si quelqu’un rédigerait un compte rendu. Jusque-là, je m’en chargeais et j’ai rédigé l’ensemble des comptes rendus.
Une nouvelle secrétaire générale a été élue lors de cette élection de mars 2023. Toutefois, elle a démissionné au mois de septembre.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Connaissez-vous les raisons de sa démission ?
Mme Lucile Gangloff. Il semble que ce soit pour des raisons de disponibilité qui l’ont conduite à privilégier son club.
Je reviens donc sur ce que j’ai dit auparavant : l’assemblée générale de 2023 était prévue au mois de février et elle a été décalée d’un mois. Il s’agit bien de cette assemblée générale irrégulière au cours de laquelle les membres n’avaient pas été prévenus de la suspension du président. Ils ont été informés par mon courriel, qui a été extrêmement mal perçu et qui a fait l’objet de courriels très agressifs en retour.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Comment se reconstruit-on après un tel parcours ?
Mme Lucile Gangloff. Par chance, la Fédération compte également et heureusement de nombreuses personnes intelligentes, bienveillantes et qui affichent des valeurs intègres. J’ai bénéficié de soutiens et, autour de moi, nombreux sont ceux que ces événements ont choqués. Leur surprise, leur étonnement et leur inquiétude face à mon récit me rassurent quant à mon ressenti. Dans ces situations-là, on doute en permanence de la pertinence et de la justesse de son analyse. On craint de se tromper et d’exagérer. Mais les événements ont pris une telle ampleur que je n’ai plus douté. Nombreux sont ceux qui m’ont conseillé de passer à autre chose, de lâcher l’affaire, etc., mais le sport est quelque chose qui a toujours eu beaucoup d’importance pour moi. J’avais grandi dans un autre sport dans lequel je n’avais pratiquement jamais eu de problème. J’avais eu des modèles dans ma carrière de sportive qui étaient extrêmement positifs et sains, des modèles de structures qui fonctionnaient de façon tout à fait normale. Le club de kayak de Toulouse, par exemple, est une structure associative qui fonctionne de façon totalement normale. J’ai le sentiment que le comité régional Midi-Pyrénées fonctionnait également très bien. À l’issue de la fusion avec le comité du Languedoc-Roussillon, j’ai découvert un monde qui marchait à l’envers d’un point de vue associatif.
Je suis rassurée de constater que de nombreuses personnes confirment mes propos et me soutiennent. Grâce à elles, je me suis sentie capable de faire un signalement. Je n’aurais jamais osé le faire si je n’avais pas eu des personnes suffisamment solides autour de moi pour considérer qu’on ne pouvait pas laisser faire. Face à ces comportements humiliants et dégradants, au non-respect des lois, est-ce qu’on doit fermer les yeux et se taire ? Passer à côté constitue la solution de facilité, mais est-ce que c’est le monde dans lequel nous souhaitons vivre ? Ma conscience ne me permet pas de faire comme si de rien n’était et je n’ai donc pas eu d’autre choix que de me battre.
J’ai traversé des moments extrêmement difficiles, mais je suis quand même quelqu’un de solide. La psychologue est toujours épatée chaque fois qu’elle me voit par les ressources extraordinaires qui sont les miennes. J’ai malgré tout traversé des crises d’anxiété et de dépression lorsque j’ai été attaquée de toutes parts et ils ont été si créatifs dans leurs attaques que c’en était extrêmement inquiétant.
Je me suis éloignée. J’ai renoncé à un projet personnel et professionnel pour mettre de la distance parce que j’avais réellement peur. Lorsque j’ai fait mon signalement, je savais très bien que je risquais de devoir renoncer à mon sport, mais je n’ai aucune ambition ni en tant qu’athlète ni en tant que dirigeante. Je peux donc m’exprimer pour d’autres.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous eu un contact avec le DTN en tant que cadre d’État ? A-t-il déclenché des démarches telles qu’un article 40 ?
Mme Lucile Gangloff. À ma connaissance, il n’a déclenché aucun article 40 dans mon dossier. Je ne suis pas juriste, mais je pense que certains faits relevaient effectivement du code pénal. J’ai l’impression que l’état d’esprit consiste à s’assurer d’abord que les faits soient avérés et seulement après, si on a des preuves dans tous les sens et qu’il ne subsiste aucun doute, on fait un signalement. Selon moi, ils prennent les choses à l’envers. J’ai ainsi pu lire certains commentaires dans le compte rendu faisant état d’un signalement contre moi indiquant que le « climat était devenu délétère » et que « l’image des sports de pagaie en était affectée ».
Je pense que le souhait de « surtout ne pas faire de vagues » est prégnant. Cette volonté a été clairement exprimée au niveau régional, mais je pense qu’elle existe également au niveau national. En réalité, les agresseurs font plus peur que les victimes. Dès lors, on limite les sanctions contre des agresseurs potentiellement virulents.
Les Jeux olympiques approchent et il n’est pas souhaitable que des dossiers entachent des réputations. Notre président est très occupé par son double mandat et il manque de disponibilité pour traiter certains sujets nationaux ou régionaux.
À l’issue de l’assemblée générale irrégulière, le membre du bureau exécutif et le DTN adjoint présents ont avoué en off auprès d’un élu que le comité régional était dysfonctionnel et mériterait une mise sous tutelle, conformément aux statuts de la FFCK, mais que par manque de disponibilité à cause des Jeux olympiques et du double mandat du président, ce n’était pas possible.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous informé d’autres personnes, au-delà du DTN, des irrégularités de cette assemblée générale ?
Disposez-vous des échanges que vous auriez pu avoir par courriel avec le DTN ?
Mme Lucile Gangloff. Les échanges se sont déroulés par téléphone. Au-delà, je dispose des courriels que j’ai envoyés, mais le plus souvent, ils sont restés sans réponse et je ne peux donc pas prouver qu’ils ont été lus.
Par ailleurs, je n’étais pas présente à l’assemblée générale de mars 2023. Je tiens mes informations de personnes qui y ont assisté.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie pour ce témoignage. N’hésitez pas à revenir vers nous si vous souhaitez nous transmettre un complément d’information. Nous disposons de votre dossier et son contenu contribuera bien évidemment aux propositions qui figureront dans le rapport que nous publierons au cours de la deuxième semaine de décembre. Je vous renouvelle nos remerciements pour ce témoignage très poignant.
Mme Lucile Gangloff. Au-delà de l’externalisation du traitement des signalements, il serait souhaitable d’étendre le statut de lanceur d’alerte au domaine du sport de sorte à assurer la protection des personnes qui dénoncent des faits.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous prenons note de cette suggestion. Merci.
La commission auditionne M. Julien Pontes, porte-parole du collectif Rouge Direct, et Me Adrien Reymond, avocat de l’association Stop Homophobie.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Mes chers collègues, nous accueillons à présent M. Julien Pontes, porte-parole du collectif Rouge Direct et Me Adrien Reymond, avocat du collectif.
Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions.
Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier.
L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations. Nos travaux portent sur trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif.
Monsieur Pontes, vous êtes cofondateur et porte-parole du collectif Rouge Direct. Vous avez longtemps présidé le Paris foot gay, association fondée en 2003 pour lutter contre l’homophobie dans le foot et dissoute en septembre 2015.
Rouge Direct a été fondé dans le contexte de la cessation d’activité du Paris foot gay. Rouge Direct se décrit comme lanceur d’alerte contre l’homophobie dans le foot et plus largement dans le sport. Le collectif souhaite dénoncer, informer et alerter le plus grand nombre possible de personnes et apporter une aide et un soutien aux victimes d’homophobie. Il ne perçoit aucune subvention.
Dans un communiqué de presse du 31 octobre 2023, Rouge Direct annonce être contraint de suspendre ses activités – je cite – « face à un déclenchement de haine homophobe, sur le conseil de ses avocats et par mesures élémentaires de sécurité ». Il dénonce les injures homophobes subies sur les réseaux sociaux toute l’année « avec une intensité redoublée depuis les événements au Parc des Princes, le 24 septembre dernier, et depuis les incidents graves lors du match opposant l’Olympique de Marseille (OM) à l’Olympique Lyonnais (OL), dimanche 29 octobre ».
Rouge Direct dénonce également « un échec total et coupable des instances du football, fédération française de football (FFF) et ligue de football professionnel (LFP) dont l’inaction, l’incurie concernant la lutte contre l’homophobie nous ont conduits en responsabilité à nous exposer publiquement ». Les membres du collectif expliquent craindre pour leur sécurité personnelle et avoir subi des menaces de mort.
Enfin, le collectif demande à la ministre des sports « de tout mettre en œuvre afin de faire cesser ces attaques et menaces à l’encontre de ses membres en signalant ces faits au procureur de la République en lien avec ses avocats ».
Pouvez-vous tout d’abord revenir sur les raisons qui ont conduit votre collectif à suspendre ses activités et nous préciser où en sont vos échanges avec le ministère des Sports ?
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
M. Julien Pontes et Me Adrien Reymond prêtent serment.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous cède la parole pour un propos liminaire de cinq à dix minutes. Ensuite, nous vous poserons nos questions.
M. Julien Pontes, porte-parole du collectif Rouge Direct. Vous m’interrogez sur les raisons de la suspension de nos activités.
Le collectif Rouge Direct est actif depuis 2016. Nous avons mené une lutte acharnée et quotidienne contre les manifestations d’homophobie dans le football, en lien avec d’autres associations, notamment Stop homophobie, qui est représentée aujourd’hui par Me Adrien Reymond, avocat. C’est un travail épuisant et nous prenons beaucoup de coups, notamment sur les réseaux sociaux. Nous avons enregistré plusieurs centaines d’injures violemment homophobes ainsi que des menaces de mort. On me propose « de me mettre une balle dans la gueule », pas un ballon, mais « une balle dans la gueule ». Ces menaces de mort sont extrêmement difficiles à vivre. Je suppose que vous pouvez tous le comprendre.
Nous attendions un soutien public de la ministre des sports puisque des militants qui se battent pour le respect des droits humains sont menacés de mort. Nous avons eu des échanges avec son cabinet et nous avons malheureusement essuyé le refus d’une expression de soutien public de la part de la ministre. La ministre a fini par twitter, un peu « à l’arrache », une sorte de message assez ambigu et assez polémique nous reprochant d’avoir refusé une aide technique pour effectuer un signalement sur Pharos. Menacé de mort, je ne fais pas un signalement sur Pharos, mais je demande à mes avocats de me défendre. Nous sommes donc dans l’incompréhension. Une telle situation – être menacé de mort – est suffisamment pénible pour ne pas se voir, en plus, accusé de refuser une aide. C’est ridicule. Il nous semblait naturel que la ministre diffuse un message de soutien et nous étions suffisamment naïfs pour croire qu’elle déposerait un signalement auprès du procureur, au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, mais elle ne l’a pas fait. Pour nous, cela aggrave encore ce sentiment d’abandon dans la lutte très difficile que nous menons.
J’espère avoir répondu à votre question.
Dans ces conditions, nous avons évidemment suspendu nos activités. Nous menons une réflexion au sein de notre groupe. Les avis sont partagés quant à l’abandon total de nos activités. Personnellement, je suis partisan de renoncer. Je pense que nous avons mené notre mission de lanceurs d’alerte à son terme.
En outre, dernière trahison, la ministre n’a pas tenu les engagements qu’elle avait pris, devant d’autres témoins associatifs, le 31 août quand elle nous avait reçus au ministère des sports, sur des propositions concrètes que nous lui avions présentées. C’est à ce moment-là que j’ai proposé à mes collègues d’arrêter notre action parce qu’on ne peut pas se battre en étant systématiquement abandonnés et lorsque les promesses d’action ne sont pas tenues.
Les événements homophobes se sont multipliés. Notre rôle consiste à les dénoncer. Qui les dénonce, à part nous ? Cela nous conduit à nous exposer : nous dénonçons et nous demandons des sanctions. Nous faisons alors l’objet de centaines et de centaines d’injures homophobes et nous recevons des menaces de mort. Dans ces conditions, il importe de s’interroger sur l’utilité de poursuivre notre action.
Personnellement, je suis fatigué. Je pense qu’il est nécessaire de réfléchir aux actions qui peuvent être menées collectivement. Nous nous concertons et certains membres souhaitent continuer. Nous vous tiendrons informés.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourriez-vous revenir, s’il vous plaît, sur les différentes actions menées par le collectif Rouge Direct, qui se définit comme un lanceur d’alerte contre l’homophobie dans le foot, et plus généralement, dans le sport, afin d’assurer la bonne compréhension non seulement des députés présents, mais également des personnes qui nous suivent en direct sur le site de l’Assemblée nationale ?
M. Julien Pontes. Il nous semble important que vous sachiez ce qu’est un chant homophobe.
M. Julien Pontes diffuse un enregistrement à partir de son téléphone portable.
Ce chant homophobe « Il faut tuer ces pédés de Lyonnais » est chanté par les supporters de l’OM depuis au moins une dizaine d’années. Il est aussi disponible sur YouTube et sur toutes les plateformes sans que cela gêne qui que ce soit. Enfin, cela ne gêne pas l’OM de laisser des supporters chanter un tel chant, par centaines et à chaque match.
Dès lors, Rouge Direct donne à entendre et à voir. Il signale sur la plateforme de la LFP, en partenariat avec la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra). Me Adrien Reymond tient votre disposition des dizaines de signalements de ces chants homophobes via la Licra. Nous ignorons les raisons pour lesquelles nous devons passer par la Licra et pourquoi la LFP ne sanctionne pas d’elle-même. C’est une vraie question que nous posons à la commission d’enquête : pourquoi il ne se passe rien à la suite des signalements ?
Estimez-vous normal de chanter « il faut tuer ces pédés » ? Est-ce que cela ne tombe pas sous le coup de la loi ? Est-ce que la loi s’arrête aux portes d’un stade de football ? Non, la loi s’applique partout. La banalisation et l’impunité de l’homophobie dans un sport aussi populaire que le football, qui affiche deux millions de licenciés, banalisent l’homophobie dans l’ensemble de la société. N’est-il pas temps de réagir ? Que font la LFP et la FFF, ces instances qui agissent par délégation de service public ? À ce niveau, nous pointons la responsabilité du ministère des sports.
Vous rencontrerez la ministre et nous voudrions savoir s’il ne serait pas souhaitable de conditionner l’octroi de la délégation de service public sous certaines conditions.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Notre commission d’enquête a été créée justement parce que nous estimons que les faits que vous relatez ne devraient plus exister et qu’il est nécessaire de sanctionner très fortement et très fermement de tels agissements dans les stades. Nous avons reçu en audition plusieurs autres associations telles que la Licra ou SOS Racisme. Nos intervenants ont fait état devant nous de réunions au ministère au cours desquelles se sont déroulées des discussions qui semblent assez lunaires sur le fait, par exemple, que certains considéraient que le mot « enculé » n’était pas homophobe. Cela s’est déroulé dans un passé récent et démontre que nous en sommes encore là.
Nous essayons de déterminer les responsabilités d’action dans les dysfonctionnements, d’identifier ceux qui doivent intervenir et agir de sorte que les dysfonctionnements ne se reproduisent plus.
L’association des supporters, les associations qui luttent contre l’homophobie, les acteurs du monde du sport, etc. se renvoient la balle, estimant qu’il appartient à l’autre d’agir. Face à cette situation, nous essayons de déterminer à quel endroit exactement il est nécessaire d’agir pour que les faits ne se produisent plus.
Vous nous avez indiqué que lors de votre rencontre avec la ministre, fin août, vous lui aviez présenté des propositions et qu’en retour, elle avait pris des engagements envers vous. Pouvez-vous nous apporter des précisions quant à ces promesses ?
Dans le préambule du document que vous nous avez transmis, vous indiquez que le président de la Fédération française de football, M. Philippe Diallo, ne discerne aucun problème d’homophobie dans le football. Pouvez-vous nous expliquer à quoi vous faites référence ?
M. Julien Pontes. Avec votre accord, je vais d’abord répondre à la deuxième question.
Nous avons été stupéfaits, en effet, d’apprendre que M. Philippe Diallo, président de la Fédération française de football, considérait qu’il n’existait aucun problème d’homophobie dans le football. D’autres instances du football ont fait des déclarations tout aussi ulcérantes. Nous discernons très clairement une défiance de la part des instances du football par rapport à leur autorité de tutelle représentée par la ministre des sports.
En juin 2023, la ministre des sports a déclaré la nécessité d’une tolérance zéro contre les discriminations parmi lesquelles figure l’homophobie. Quelques jours plus tard, M. Diallo a pris la parole dans la presse pour déclarer qu’il n’existait aucun problème d’homophobie dans le football. Cela dénote cette défiance vis-à-vis de la ministre. Quelques jours encore plus tard, dans Le Parisien, la LFP et ses partenaires associatifs représentant les lesbiennes, les gays, les bisexuels et les transgenres (LGBT), censés lutter contre l’homophobie, déclarent d’une seule voix que « les sanctions sont inutiles en cas de manifestations d’homophobie ». C’est factuel. Non seulement c’est scandaleux parce que la loi et les règlements sportifs doivent s’appliquer, mais il est également inadmissible de tenir des propos aussi irrespectueux par rapport à leur autorité de tutelle. Nous interprétons ces déclarations comme un sentiment de toute-puissance de la FFF et de la LFP et nous estimons que cette défiance et cette toute-puissance doivent cesser. Rappelons-nous de la pauvre Roxana Maracineanu, rabrouée par M. Noël Le Graët alors qu’elle avait dénoncé des chants homophobes en 2019.
J’en viens à votre question relative aux engagements de la ministre. Nous l’avons rencontrée le 31 août, en présence de Flag, l’association des agents des ministères de l’intérieur et de la justice, de M. Jean-Baptiste Montarnier, le président de l’association des supporters LGBT de l’équipe de France de football, et d’un représentant de l’Union des familles laïques (Ufal 57). Me Adrien Reymond était présent également pour « Stop homophobie ». Nous avons présenté les propositions que nous avions préalablement envoyées au cabinet de la ministre. Nous disposons de documents attestant la véracité de mes propos. J’avoue que, pour moi, c’était un petit peu la dernière chance. Je considérais que si la ministre acceptait notre proposition concrète nous continuerions notre action ; dans le cas contraire, j’avais décidé d’arrêter.
Nous avons principalement proposé la mise en place, pendant les matchs de football, d’un dispositif tripartite entre le ministère de l’intérieur – en l’occurrence, la division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH) –, les directeurs sécurité des clubs et des associatifs LGBT. Ce dispositif tripartite devait constituer une commission d’observation pendant les matchs.
En effet, il semble que les délégués de la Ligue, les arbitres, les joueurs, etc., n’« entendent pas » les chants et les insultes homophobes… Les joueurs portent des maillots arc-en-ciel et on nous dit que c’est fantastique parce que cela les sensibilise à l’homophobie. Force est de constater que, pendant les matchs, aucun ne va trouver l’arbitre pour lui demander de faire cesser les insultes homophobes, voire d’arrêter le match.
Nous avons donc proposé à la ministre la mise en place de ce dispositif collectif constitué de la DNLH, des directeurs sécurité des clubs et des associatifs LGBT. Un tel dispositif avait fonctionné au Parc des Princes en 2010 et des dispositions similaires se pratiquent en Angleterre en Premier League. Les supporters sont identifiés, traduits en justice et condamnés à une interdiction de club.
La ministre nous a écoutés et a validé la proposition. Raisonnablement, nous avons alors décidé d’expérimenter le dispositif dans trois clubs du championnat de France. En collaboration avec son directeur de cabinet et Me Adrien Reymond, nous choisissons le FC Metz, le club de Saint-Étienne et l’OM. Nous rédigeons un compte rendu commun que nous adressons au cabinet de la ministre.
Nous informons alors la ministre de notre intention de nous appuyer sur la Fédération LGBT qui regroupe tous les centres LGBT de France, en sorte de faciliter le déploiement du dispositif et d’identifier des militants associatifs qui seraient présents pendant les matchs. Après les matchs, nous organiserions des debriefings à l’issue desquels les groupes de supporters ayant lancé des insultes homophobes seraient convoqués par les directeurs de sécurité des clubs. Bref, nous avons tenté de nous organiser intelligemment. Nous n’avons eu aucun retour.
Le 12 octobre, la ministre a envoyé aux clubs un courrier cosigné par le président de la Fédération française de football et LFP et l’Union des clubs professionnels de football (UCPF) leur intimant de renforcer la prévention. « Renforcer la prévention » est un leitmotiv que nous entendons depuis dix ans, mais qui s’avère être un vœu pieux. La prévention est tellement efficace que nous sommes confrontés aux agissements constatés dans les stades de football.
En 2018, on nous répondait déjà « prévention ». Nous avons joint au dossier que nous vous avons transmis les courriers de mise en demeure que nous avons adressés à la présidente de la LFP de l’époque, lui demandant expressément d’exercer son pouvoir de police administrative et de sanctionner les chants homophobes. Elle nous a répondu qu’elle ferait préférentiellement de la prévention.
L’homophobie étant interdite, elle doit faire l’objet de sanctions. À défaut, cela n’a aucun sens.
Quoi qu’il en soit, bien que la prévention soit évoquée depuis 2018, aucun moyen n’a été mis en œuvre pour l’assurer. Les instances dirigeantes s’entourent d’associations très peu critiques sur les faits d’homophobie. Nous qualifions cela de pink washing et nous le dénonçons.
Le 12 octobre 2023, nous sommes encore gratifiés des mêmes éléments de langage sur la prévention. Nous refusons.
Nous comptons fermement sur votre commission pour que la situation évolue réellement et qu’une prise de conscience s’opère. Le dispositif fonctionne en Angleterre. Franchement, la France est une lanterne rouge en la matière et cela ne peut plus durer.
Me Adrien Reymond, avocat de l’association Stop Homophobie. Je prie la commission d’excuser la violence des propos que je vais employer. Lors de notre entretien du 31 août dernier, nous avions signalé à la ministre que les chants homophobes étaient souvent considérés comme un folklore. En 2018, Mme Nathalie Boy de La Tour, alors présidente de la LFP, avait employé ce terme et considérait que ce n’était pas grave. Remplacez « il faut tuer ces pédés de Parisiens » par « il faut tuer ces youpins de Parisiens » et vous êtes au cœur de l’Allemagne du IIIe Reich. À six mois des Jeux olympiques, c’est intolérable et telle est la gravité du problème.
Chaque jour, des jeunes LGBT se suicident. Lundi dernier, nous avons assisté à une relaxe par la cour d’appel de Nancy dans l’affaire du petit Lucas qui, à treize ans, s’est suicidé parce qu’il ne se voyait pas vivre dans une société homophobe. C’est intolérable. Tel est le constat et si vous le voulez bien nous nous appuierons sur ce constat.
Une fois que le constat est posé et qu’on a décrit la violence des chants et des attaques dont font l’objet les membres des associations de défense des droits de l’homme, il importe d’en revenir au droit, d’autant plus devant l’Assemblée nationale. Tel est mon discours d’avocat. Le principe juridique est clair. Il a été posé par le Conseil d’État en 2007 : « Les clubs ont une obligation de sécurité de résultats dans l’organisation des matchs et des rencontres sportives. » Cela signifie qu’il appartient aux clubs de gérer la rencontre et de faire en sorte qu’aucun incident ne soit déploré.
Nous ne comprenons pas la défiance dont font preuve les fédérations sportives à notre encontre. Nous vivons dans le pays des droits de l’homme, dont la devise est formidable « Liberté, Égalité, Fraternité » et à laquelle nous nous référons. Nous ne sollicitons pas des cours d’éducation à la sexualité et nous ne sommes pas du tout des prosélytes en matière de sexualité. Chacun vit comme il l’entend et chacun a droit à du respect. Dès lors, dans un lieu public, il n’est pas possible d’autoriser des chants pénalement répréhensibles.
Quelles sont les actions que nous menons, nous, les associations ? Notre principal moyen d’action consiste à rencontrer directement la ministre. Le 31 août dernier, très gentiment, au bout de cinq minutes de réunion, elle nous a demandé quelle action elle pouvait concrètement mettre en œuvre pour lutter contre les chants homophobes. Nous lui avons répondu qu’elle ne disposait d’aucune statistique relative aux chants homophobes. Dès lors, comment, au XXIe siècle, étudier un problème public sans statistique, sans une étude concrète ? Il importe donc commencer par faire des études sérieuses et de mettre en place des systèmes de signalement et de recensement des faits d’homophobie et de racisme dans les dans les enceintes sportives.
Ensuite, les fédérations sportives se comportent comme au Moyen-Âge, comme des roitelets de province, et elles s’arrogent des pouvoirs dont elles ne disposent pas. Je rappelle qu’au regard du droit, les fédérations sportives sont simplement des associations privées, chargées d’une mission de service public, ce que le Conseil d’État a rappelé en juin dernier. Ces associations sont sous la tutelle du ministre des sports et elles obéissent à ses ordres et à ses directives. Il appartient donc au ministre de décrocher son téléphone, d’appeler les directeurs de clubs et de leur communiquer son accord pour déployer tous les moyens dont ils disposent lorsque des incidents sont à prévoir en raison de publics particulièrement violents. Il relève également de la responsabilité du ministre de leur rappeler leur obligation sécurité de résultats pour éviter tout incident.
Après avoir rencontré l’administration et obtenu les réponses qui nous ont été apportées, nous nous sommes adressés aux juridictions, notamment administratives. Nous avons attaqué les décisions de la LFP, qui refusait de sanctionner les clubs pour avoir laissé proférer des chants homophobes. Nous saisissons le tribunal administratif de Paris, arguant que ce refus est illégal et en rappelant non seulement les statuts de la LFP, mais également le barème des sanctions qui sont prévues dans un tel cas. Surprise, la juridiction vient nous chercher sur notre intérêt à agir, argumentant qu’une association de lutte contre l’homophobie n’a pas d’intérêt à agir contre des chants homophobes. Pourtant, nous sommes les seuls à agir en cette matière. Le tribunal a indiqué comme motif que s’il ouvrait l’intérêt à agir à de telles associations, il générerait une action populaire, c’est-à-dire une action ouverte à tous, et tout le monde pourrait contester n’importe quoi et tout le temps. Je vous rappelle un simple point d’histoire, à savoir que, depuis 1864, le recours pour excès de pouvoir est ouvert à toute personne, sans nécessité des services d’un avocat. Nous disposons de cette chance incroyable en France de pouvoir contester toutes les décisions de l’administration via un recours sur papier libre pour dénoncer une décision illégale et demander son annulation.
Nous avons bien sûr fait appel de la décision. La cour administrative d’appel de Paris nous invoque ce même principe et le Conseil d’État n’admet pas notre pourvoi au motif qu’il ne l’intéresse pas.
La porte pour les associations est donc fermée devant les juridictions administratives, à part pour une seule association à Paris, à savoir l’association des supporters gays du Paris‑Saint‑Germain (PSG).
Dans le cadre des débats parlementaires pour la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France, nous avons fait adopter des amendements autorisant les associations de lutte contre le racisme, l’homophobie et l’antisémitisme à se constituer partie civile. Cependant, pour se constituer partie civile, il est nécessaire de consigner une somme ; or nous sommes une association de bénévoles et nous ne disposons d’aucuns fonds. En outre, il n’appartient pas aux associations de dépenser de l’argent qu’elles n’ont pas pour consigner des sommes en vue d’actions qui relèvent du ressort de la ministre des sports. La ministre a en effet la possibilité d’utiliser les pouvoirs qu’elle tient de l’article 40 du code de procédure pénale, lequel dispose que tout fonctionnaire et toute personne dépositaire de l’autorité publique doivent transmettre immédiatement au procureur les faits délictueux dont ils ont connaissance.
Donc, la porte est fermée non seulement devant les juridictions administratives, mais également devant les juridictions pénales. Par ailleurs, au-delà de la consignation, les associations doivent pouvoir justifier de trois ans d’existence avant d’être autorisées à engager la moindre action alors qu’en matière d’urbanisme, une association peut faire un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire si elle justifie seulement d’un an d’existence. À croire qu’en France l’aménagement du territoire est mieux protégé que les libertés publiques.
Des militants des droits de l’homme sont directement attaqués et font l’objet de violences physiques, et notre ministre ne répond pas, ne prend pas ses responsabilités et ne rappelle pas à l’ordre ses fédérations qui se situent dans des zones de non-droit.
Dans ce cadre, le 24 septembre dernier, des chants homophobes sont proférés lors d’une rencontre entre le PSG et l’OM. La ministre annonce que des sanctions seront prises. La LFP, censée prendre des sanctions, ne rédige absolument pas ces décisions de sanction, mais indique simplement le sens des décisions. Par comparaison, en matière d’aménagement du territoire, la commission nationale d’aménagement commercial dispose de l’ensemble des décisions et des avis disponibles pour chaque projet d’hypermarché depuis 2009. Ces documents sont consultables et constituent une jurisprudence issue d’un organisme autre qu’un ministère.
Il serait donc souhaitable de commencer déjà par faire rentrer du droit dans les fédérations sportives en leur imposant de motiver leurs décisions, de les rendre accessibles et d’en faire une base de jurisprudence. Nous disposerions ainsi d’un suivi des sanctions qui sont infligées.
En outre, les sanctions s’avèrent absolument dérisoires puisque les chants homophobes font simplement l’objet d’une interdiction de stade ou plus exactement d’une fermeture de tribune pour un match ferme.
Il importerait de revoir l’ensemble du système en remettant les éléments dans le bon ordre. Il appartient au ministère de transmettre les ordres et non pas aux fédérations de dicter au ministère la politique qu’il doit suivre.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quelles sont vos relations avec la Licra ?
Me Adrien Reymond. Comme indiqué dans notre dossier documentaire, en mai 2022, M. Idrissa Ghana Gueye a refusé de porter le maillot aux couleurs arc-en-ciel.
Vous n’êtes pas sans savoir que le 17 mai a été décrété journée internationale de lutte contre l’homophobie. Les clubs ont décidé de faire porter un maillot arc-en-ciel aux joueurs. Nous ne discuterons pas de l’opportunité de cette mesure qui nous paraît dérisoire et s’apparente à du pink washing. Nous ne demandons absolument pas de voir des joueurs porter un maillot arc-en-ciel. Cette mesure est absurde.
Quoi qu’il en soit, M. Idrissa Ghana Gueye a refusé de porter ce maillot, sans se justifier. Il aurait très bien pu dire qu’il respectait les personnes LGBT, mais que cette cause n’était pas la sienne et qu’il ne voulait pas porter ce maillot. Il aurait tout à fait pu le dire et cet argument aurait été pertinent. Mais il ne s’est pas exprimé et cela a déclenché une vague terrible de haine anti-LGBT sur les réseaux sociaux. Cette vague a pris de telles proportions que nous avons écrit non seulement aux clubs et aux fédérations, mais également à la ministre des sports et à la Licra. La Licra nous a indiqué au téléphone qu’elle n’avait absolument pas connaissance de cet incident. Nous lui avons transmis le courrier que nous avions adressé à la ministre, aux clubs et aux fédérations. La Licra n’a jamais répondu à notre demande de rendez-vous datée du 8 juin et qui figure dans le dossier.
M. Julien Pontes. Pourtant les menaces de mort étaient aussi à prendre au sérieux. On voulait nous « kalacher comme à Charlie Hebdo, sale animal ». Cela méritait peut-être que les autorités de l’État nous reçoivent pour nous apporter un soutien, un accompagnement juridique, mais cela nous a été refusé. C’est une anomalie vraiment grave.
M. Stéphane Mazars (RE). Le périmètre actuel du droit vous semble-t-il suffisant ? Est-ce qu’à droit constant, en nous en donnant les moyens, nous pourrions faire cesser ce type d’infractions commises dans les stades ?
Quand on a l’habitude de fréquenter les stades, il est assez aisé de constater la commission des infractions. Vous nous avez fait écouter un enregistrement qui est assez édifiant. Des plaintes sont-elles transmises au procureur de la République territorialement compétent, à l’issue immédiate du match, sur la base de constats dressés dans une enceinte sportive ? Dans l’affirmative, que deviennent ces plaintes ?
Votre association a-t-elle eu l’occasion de se constituer partie civile dans le cadre de poursuites au pénal ? La caution de partie civile a-t-elle été déclarée recevable ? Votre intérêt à agir a-t-il été reconnu ? Avez-vous pu faire valoir vos droits ?
Sur le plan pénal, pensez-vous qu’il soit nécessaire d’aller chercher la personnalité morale du groupe de supporters ou celle du club ou bien est-il préférable de rechercher la responsabilité personnelle qui serait identifiée après un minimum d’investigations par les autorités compétentes ?
Vous nous avez indiqué que lorsque vous voulez vous constituer partie civile, vous étiez tenus de consigner une somme d’argent dont vous ne disposez pas. Si vous faites une citation directe ou une plainte avec constitution de partie civile avec obligation de consigner, peut-être qu’une personne morale qui n’a pas de fonds est éligible à l’aide juridictionnelle et être alors dispensée de consignation. Certes, les démarches sont complexes, longues et fastidieuses, mais elles peuvent constituer un moyen de pousser certains dossiers lorsque les affaires le méritent.
Me Adrien Reymond. S’agissant de l’arsenal législatif, en France, on a tendance à empiler les normes. Or l’arsenal législatif est largement suffisant. La loi de 1881 est la base textuelle à laquelle nous nous référons depuis presque cent cinquante ans. Les injures, la diffamation et autres délits font l’objet d’une grande jurisprudence et sont parfaitement identifiés. Il n’est donc pas utile de faire intervenir le législateur pour légiférer à nouveau sur cette question particulière.
En revanche, nous avions proposé de codifier de la jurisprudence pertinente, notamment la jurisprudence du Conseil d’État que j’ai évoquée précédemment et qui impose une obligation de sécurité de résultat aux clubs. Nous avions proposé de l’introduire dans le code du sport, mais l’amendement n’a pas été retenu. Il serait néanmoins important de rappeler fermement aux clubs que le texte prévoit une obligation de sécurité de résultat et qu’il leur appartient de prendre leurs responsabilités.
En ce qui concerne les injures, une loi déjà très ancienne, une des très grandes lois de la IIIe République, a fait ses preuves.
S’agissant du processus de constitution de partie civile, j’oserai dire qu’il y a le droit et qu’il y a la vie. Les textes prévoient des dispositions, mais leur mise en œuvre s’avère, comme vous l’indiquez, très fastidieuse. L’aide juridictionnelle impose de constituer un dossier et de prendre un avocat. Stop Homophobie est un collectif d’avocats qui agissent bénévolement, raison pour laquelle le collectif Rouge Direct s’est adressé à nous. Nous sommes des collaborateurs du service public, en quelque sorte, et nous intervenons pro bono pour ces collectifs qui sont dans la peine et qui ne sont pas entendus. Nous agissons gratuitement, mais tous mes confrères n’agiront pas pro bono pour des associations en province qui voudraient se constituer partie civile. Pour une procédure pénale, les frais d’avocat s’élèvent à environ trois mille euros. Au regard du nombre de chants homophobes proférés dans l’ensemble des stades de France chaque semaine, ces frais représenteraient plusieurs millions d’euros à la charge des associations pour lutter contre ce problème. C’est pourquoi nous insistons à chacune de nos réunions avec l’administration sur ce merveilleux mécanisme que constitue l’article 40 du code de procédure pénale qui vous impose, à vous fonctionnaires dépositaires de l’autorité publique, d’agir en notre nom. Nous, nous sommes des collaborateurs du service public ; nous sommes des lanceurs d’alerte et nous vous transmettons ces alertes. Ensuite, il vous appartient, à vous ministres, à vous parlementaires, de transmettre ces signalements au procureur compétent. Au-delà, il relève de la responsabilité du procureur de la République de décider de donner suite à ces incidents. Pour les dix premiers incidents, il estimera que ce n’est pas très grave. Pour les cent incidents suivants, il considérera qu’il existe un problème public. Peut-être que lorsqu’un millier d’incidents auront été transmis, les magistrats finiront par considérer qu’il est temps de prendre leurs responsabilités et d’infliger les sanctions prévues par la loi.
M. Julien Pontes. En 2019, une vidéo montre un chant homophobe : « Oh V.A. bande de pédés ! », c’est-à-dire « Oh Valenciennes bande de pédés ! » lancé contre le club de Valenciennes dans la tribune Marek du stade de Lens. Nous avons publié cette vidéo qui a été reprise par 20 minutes. Le rôle de lanceurs d’alerte des journaux et des journalistes est très important dans ces histoires. Nous comptons également beaucoup sur eux.
20 minutes publie donc une information relative à ce chant homophobe. Le préfet du Nord est informé d’un délit d’homophobie au stade Bollaert et il fait un signalement au titre de l’article 40 au procureur de Béthune. Miracle : on a appliqué la loi pour des faits d’homophobie dans le football. C’était en 2019 et je crois que l’instruction est encore en cours. Nous souhaiterions savoir où en est cette instruction et nous apprécierions que la commission d’enquête s’en inquiète auprès du parquet de Béthune.
Votre question relative à la responsabilité individuelle est très importante. Lorsque nous avons dénoncé ce chant homophobe et que les responsables ont été identifiés, nous avons initié un échange avec la direction du club de Lens. Nous favorisons ces discussions avec les clubs qui permettent de mesurer leur état d’esprit. La direction du club de Lens nous indique alors que le capo est un jeune père de famille, dévasté par ce qui lui arrive, et que la situation sera très compliquée pour lui si nous déposons plainte contre lui. Humainement, nous décidons de ne pas prendre la responsabilité de porter plainte contre cette personne. En revanche, nous demandons à nous entretenir avec lui. En accord avec le club de Lens, nous nous rendons au stade Bollaert afin de rencontrer les supporters. Malheureusement, ces supporters n’ont pas souhaité nous rencontrer. Ce constat interroge quant aux actions de prévention menées par la LFP et ses partenaires en direction des supporters. Si des actions étaient mises en œuvre, les conditions seraient réunies pour instaurer un dialogue. Pourtant, nous avions renoncé à porter plainte contre ce supporter qui avait commis un délit odieux. Nous ne sommes pas des fous furieux et nous considérons que dans le cadre d’une sensibilisation, il appartenait aux clubs et à la LFP de prévenir les supporters de ce que risquait ce jeune homme assez stupide pour crier « bande de pédés ». Faute d’avoir prévenu les supporters des risques de problèmes avec la justice, notre collectif considère que la responsabilité incombe à la LFP.
Mme Claudia Rouaux (SOC). J’ai écouté votre enregistrement et je reconnais qu’on entend cela dans quasiment tous les stades. Je suis de Rennes, mais j’entends la même chose.
Hier, M. Noël Le Graët a dit à plusieurs reprises : « Ils le disent, mais ils ne pensent pas ce qu’ils disent. » Vous l’avez probablement entendu. Je pense qu’il serait simple d’interdire certains chants et on devrait le faire.
Puisque vous les avez mentionnés, quelles mesures les Anglais ont-ils prises pour y remédier ?
M. Julien Pontes. Les parlementaires anglais ont mené le même travail d’enquête que vous sur le niveau d’homophobie dans le football. Ils ont ensuite fait des préconisations qu’on peut résumer à un objectif : tolérance zéro.
Il existe des différences culturelles entre le football anglais et le football français. En Angleterre, la culture est plus communautariste. Les groupes LGBT se retrouvent d’une manière affinitaire et communautaire sous un drapeau ou un symbole. Ils ont une beaucoup plus grande visibilité que nous dans les stades. Il existe de très nombreux clubs de supporters LGBT en Angleterre qui sont beaucoup plus visibles que nous. À titre d’exemple, l’entraîneur de Liverpool, Jürgen Klopp, n’hésite pas à donner de la visibilité à ses supporters LGBT et il discute avec eux. En quelque sorte, il banalise le caractère LGBT et considère que ces supporters doivent être respectés.
En France, nous souhaiterions que les présidents de clubs, les entraîneurs, les capitaines rencontrent des clubs de supporters LGBT de manière naturelle et spontanée, et montrent que l’on peut écouter les LGBT, que c’est possible.
En Angleterre, la banalisation permet de faire réfléchir certains qui ne se rendent pas compte que l’injure homophobe est violente, même quand elle n’est pas forcément consciente.
Il existe donc des actions très simples à mettre en place.
Les joueurs de l’équipe de France ont refusé de prendre position pendant la coupe du monde au Qatar alors que le Qatar est un pays qui persécute les personnes LGBT, passibles de la peine de mort. La Fédération et les joueurs de l’équipe de France ont été absolument incapables de demander le port du brassard « One Love » alors que sept fédérations européennes se sont battues pour porter le brassard « One Love ». Ce fut encore une occasion de constater le retard considérable accusé par la France dans la lutte contre l’homophobie dans le football. À l’époque, M. Le Graët s’était vanté dans Le Figaro d’avoir été « un des leaders contre le port du brassard “One Love” ». M. Le Graët semble avoir eu une prise de conscience très spectaculaire.
Hugo Lloris, le capitaine de l’équipe de France, nous a quand même dit qu’il fallait respecter la culture du pays hôte. Est-ce que tuer les LGBT ou les condamner à mort relève de la culture ou d’une atteinte gravissime aux droits de l’homme ? Force est de constater le défaut de formation et sensibilisation tant au niveau de la FFF qu’à celui de la LFP. Le terme de pink washing est bien adapté.
La LFP et ses partenaires associatifs LGBT se vantent de l’opération liée aux maillots arc-en-ciel. Néanmoins, les refus de porter ce maillot arc-en-ciel sont de plus en plus nombreux parce que cette opération est mal organisée. Il serait souhaitable que la commission d’enquête s’inquiète de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) au sein de la LFP : qui en a la charge ? Depuis combien de temps ? Quel est son bilan ?
Le port du maillot arc-en-ciel est imposé aux joueurs la veille du match de la journée des gays, le 17 mai. Certains ont des convictions d’ordre religieux et cette exigence leur pose problème parce que nul n’ignore qu’il existe des problèmes entre l’homosexualité et la religion, quelle qu’elle soit. Certains joueurs du championnat de France sont connus pour être croyants et très pieux. Si la LFP et ses partenaires faisaient un travail intelligent de sensibilisation, la démarche liée aux maillots arc-en-ciel pourrait être intéressante. Cependant, il est nécessaire d’anticiper six mois à l’avance et d’expliquer que le port du maillot arc-en-ciel représente une démarche de solidarité avec LGBT. Si cela pose des problèmes à certains joueurs, probablement peu nombreux, il importe de prendre le temps de les accompagner et de travailler avec eux sur leur blocage par rapport au port du maillot arc-en-ciel.
À titre d’exemple, il est possible de leur proposer de rencontrer les membres de l’association Le Refuge, qui recueille des jeunes LGBT chassés de chez eux par leurs parents du jour au lendemain. Ils sont âgés de seize ou dix-sept ans et ils se retrouvent à la rue parce qu’ils sont LGBT. Il serait pertinent que ce ne soit pas toujours les associations qui viennent rencontrer les stars, que les joueurs de football réfractaires se déplacent et qu’ils écoutent l’histoire de ces jeunes gens chassés de chez eux. Peut-être que, quelles que soient leurs convictions religieuses, la plupart d’entre eux comprendraient qu’humainement, il est nécessaire et indispensable de défendre les personnes LGBT. Peut-être que, même au bout de quelques mois, d’autres seront toujours réfractaires et refuseront toujours de porter le maillot le 17 mai. Il sera alors possible de considérer que ce refus représente une faute grave par rapport au contrat de travail. Ils auront été prévenus, six mois à l’avance, et accompagnés. Dès lors, un refus pourra faire l’objet d’un licenciement. Ce n’est pas grave puisque, dans quatre-vingts pays dans le monde, l’homosexualité est pénalement répréhensible. Ces joueurs réfractaires n’auront donc aucune difficulté à intégrer un autre championnat dans le monde. Ils pourront jouer au Qatar, en Arabie Saoudite, pays qui, en ce moment, recrutent beaucoup. Cependant, on les aura prévenus, on aura fait de la sensibilisation intelligente, ce que la LFP ne fait évidemment pas.
M. Stéphane Buchou (RE). J’attendais avec impatience, monsieur, la fin de votre propos parce que, aussi facile qu’il soit de le dire entre nous, je me demandais si nous ne prenions pas le sujet « par le petit bout de la lorgnette ». En effet, des actions de sensibilisation seraient probablement pertinentes, mais au bout d’un moment, si des joueurs refusent in fine de porter le maillot arc-en-ciel après s’être rendus dans des associations, quelle attitude convient-il d’adopter ?
Sur d’autres sujets de cette commission d’enquête, nous avons pu constater que la quête de la médaille ou du titre balaie tout sur son passage et dépasse tout. Ne serait-il pas nécessaire, selon vous, de prendre des décisions drastiques à l’encontre des joueurs ? Vous évoquez le contrat de travail. Votre expérience et votre expertise vous conduisent-elles à penser que les clubs de football professionnels ont aujourd’hui la maturité suffisante nécessaire pour mettre en œuvre les sanctions que vous mentionnez ?
M. Stéphane Mazars (RE). Vous avez évoqué la RSE – responsabilité sociétale des entreprises – de la Ligue. Elle devrait se décliner dans l’ensemble des structures et notamment dans les clubs. Les droits de retransmission télévisée constituent un élément important. Leur répartition ne pourrait-elle pas être assortie d’une obligation pour les clubs de se mobiliser sur un certain nombre de sujets tels que celui-ci ?
M. Julien Pontes. Vous n’imaginez pas à quel point votre question est pertinente. Je vais vous répondre très précisément.
La Ligue de football professionnel – c’est-à-dire les clubs – organise le championnat de France des clubs de football professionnels. Cette année, la licence club, celle que la LFP accorde aux clubs pour disputer le championnat de France et obtenir des droits de diffusion télévisée, a fait l’objet d’une réforme. Le journal L’Équipe a publié un article à ce sujet. La LFP s’est vantée d’avoir modifié le barème et d’avoir introduit, dans le cadre de la RSE, la question des discriminations.
Pour obtenir la licence club, les clubs doivent remplir certains critères qui valent un certain nombre de points dont le total s’élève à dix mille points. L’obtention de la licence impose de totaliser sept mille points. L’état de la pelouse compte pour mille trois cents points et un atelier de sensibilisation à l’homophobie ou au racisme, qui sont deux ateliers différents – si bien que vous pouvez ne faire aucun atelier de sensibilisation à l’homophobie –, rapporte cent points. Cela signifie que, pour la LFP, le respect des LGBT a treize fois moins de valeur que l’état de la pelouse. Il s’agit bien d’un indicateur chiffré du mépris de la LFP et des clubs pour la question de l’homophobie.
En 2013, le Paris Foot Gay a mené une enquête parmi les joueurs de football professionnel. Cette enquête a montré que 41 % des footballeurs professionnels et 50 % des jeunes dans les centres de formation – qui sont les joueurs actuels – affichaient des opinions homophobes. À l’époque, nous avions tiré le signal d’alarme quant à ce niveau alarmant d’homophobie parmi les joueurs professionnels. Dix ans plus tard, nous ne disposons d’aucun indicateur relatif à ce niveau d’homophobie. C’est en lien avec l’état d’esprit des clubs par rapport à la lutte qu’ils veulent mener contre l’homophobie ou pas.
S’agissant des faits d’homophobie, la plupart du temps les clubs ne répondent pas à nos alertes et nous ignorent. Le PSG ne nous répond jamais. L’OM ne nous répond jamais. En revanche, nous avons eu des discussions avec M. Jean-François Soucasse, le président du club de Saint-Étienne, qui déteste ces chants homophobes récurrents à Saint-Étienne. Ils affichent leur volonté d’agir, mais ils ne savent pas comment parce que, individuellement, si une direction de club s’impose auprès des supporters et menace de fermer une tribune, les supporters redoubleront de provocation. Nous avions donc indiqué notre intention de porter plainte si ces chants perduraient, ce que M. Soucasse avait parfaitement compris. Nous avons également proposé à Saint-Étienne d’identifier quelques clubs qui sont dans le même état d’esprit – tels que Lille, par exemple – et qui avaient signé la charte contre l’homophobie dans le football. Nous avons donc suggéré que ces clubs de bonne volonté adressent un courrier commun au président de la LFP afin de régler un problème qu’ils ne pourront pas traiter individuellement. Il est nécessaire que le président de la LFP organise une rencontre de sorte à mener une action coordonnée pour amplifier la prévention et le dialogue avec les supporters et pour mettre en place un système coordonné de sanctions. Les actions ponctuelles telles la fermeture d’une tribune ou une amende de 5 000 euros ne sont pas efficaces. Il importe de trouver une cohérence et que la LFP assume son rôle d’organisateur.
Telle fut notre proposition, à savoir que les clubs de bonne volonté se rassemblent, s’unissent pour mener une action coordonnée sous l’égide de la LFP. Elle est restée lettre morte, mais elle pourrait être réactivée si le président de la LFP décidait d’agir de manière intelligente. On ne sait jamais, cela pourrait arriver.
Me Adrien Reymond. Votre commission d’enquête s’intéresse aux défaillances des fédérations sportives. Vous avez employé précédemment l’expression « prendre le problème par le petit bout de la lorgnette ». Effectivement, l’homophobie est le petit bout de la lorgnette. Il s’agit d’un problème comme un autre. L’homophobie existe comme le racisme, l’antisémitisme et toutes les violences commises dans les stades. Le constat est plus général et c’est bien à ce niveau que se situe le problème.
Vous vous intéressez aux défaillances des fédérations sportives. Je pense que vous ne pouvez pas dissocier ce problème de la défaillance des fédérations sportives, de la défaillance plus générale de nos institutions. Nous l’avons clairement exprimé à Mme la ministre, le 31 août dernier. Mme la ministre est de bonne volonté – il n’y a pas à en douter. Elle nous a demandé de lui faire des propositions concrètes d’actions qu’elle pourrait mener de sorte à mettre fin à ces problèmes. Je lui ai suggéré de décrocher son téléphone. Il existe une dimension psychologique dans les politiques publiques. Il ne faut pas oublier qu’un directeur de club au niveau local n’agira jamais de son propre chef. Il a besoin que sa ministre lui tape sur l’épaule et l’autorise à sévir puisqu’il dispose de l’arsenal législatif adapté. Les textes existent et il appartient aux avocats de faire intervenir la jurisprudence pour faire progresser la situation. Nous avons besoin d’une manifestation de volonté et d’autorité. Je vous prie d’excuser ce mot qui fait toujours peur, mais il importe de revenir à ces bons principes d’une époque où un ministre disposait d’un véritable pouvoir. Les fédérations sont de simples organismes chargés d’une mission de service public, mais elles se comportent comme des roitelets de province. C’est intolérable. Vous ne parviendrez pas à mater ces fédérations si vous ne remettez pas du droit et si vous ne faites pas appliquer des principes qui existent.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je précise que le périmètre de la commission d’enquête s’élargit au-delà des fédérations puisqu’elle vise à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations sportives, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance. Ce large périmètre nous permet de travailler et d’établir une corrélation avec la question du ministère de tutelle. En effet, nous avons également identifié des dysfonctionnements à ce niveau-là. Notre objectif consiste à avancer sur tous les fronts en parallèle, y compris d’ailleurs avec la multiplication des acteurs dans le mouvement sportif puisque nous avons eu l’occasion de recevoir l’Instance nationale du supportérisme (INS), le Comité national olympique et sportif français (Cnosf), le Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojo), etc.
Vous avez déclaré dans le journal Le Monde que la FFF et la LFP faisaient régner l’impunité contre l’homophobie dans le monde du football et que cette cause ne les intéressait pas. Dans le courrier que vous nous avez adressé en amont de l’audition, vous expliquez que la FFF a toujours refusé d’entrer en contact avec vous. Ces propos entrent en résonance avec ceux tenus par M. Lemaire, président l’association Foot ensemble, devant notre commission d’enquête : « En ce qui concerne la FFF, je pense que le départ de Noël Le Graët était sans doute la meilleure chose qui puisse se produire, du moins sur le sujet de la lutte contre l’homophobie et les discriminations, en sachant qu’il ne s’y intéressait absolument pas, en tout cas jusqu’à hier, puisque visiblement il semble avoir pris la pleine de mesure et conscience du problème de l’homophobie dans le foot. » Partagez-vous ce constat ? Pensez-vous qu’une prise de conscience s’est opérée au sein de la FFF depuis le départ de M. Le Graët ?
Nous avons compris qu’en matière de lutte contre les déviances dans les stades, il n’est pas aisé de distinguer les responsabilités respectives du ministère de l’intérieur, de la FFF, de la LFP et du ministère des Sports. Quel regard avez-vous porté sur les graves incidents du dimanche 29 octobre, lors de ce fameux match qui opposait l’OL à l’OM ? Le ministre de l’Intérieur s’était exprimé et avait indiqué que cela n’était pas de son ressort. Qu’en avez-vous pensé ?
Avez-vous pris connaissance du plan d’engagement présenté par le président de la FFF, le 19 octobre, qui vise en priorité à renforcer la lutte contre toutes les formes de violences dans le football, à savoir sexistes, sexuelles, homophobes et racistes ? La FFF a notamment annoncé le renforcement des moyens humains et financiers de sa politique de promotion de l’éthique dans le milieu du football ainsi que la création d’une direction de l’engagement et d’un comité stratégique comprenant un organisme de certification des actions conduites. Lorsque nous avons reçu M. Diallo, nous l’avons interrogé quant au lien avec les associations et il n’a pas été capable de nous répondre. Depuis sa présidence, avez-vous noué des relations avec la FFF ?
M. Julien Pontes. Depuis qu’il est président, M. Diallo a récemment déclaré qu’il n’existait aucun problème d’homophobie dans le football. Il s’inscrit donc dans la droite ligne de Noël Le Graët. Nous n’identifions aucun changement. M. Diallo est membre de la FFF depuis de très nombreuses années. Il agira éventuellement sous la pression, mais à la marge.
Le comité exécutif de la FFF a pour mission de définir le football d’aujourd’hui et de demain. La FFF dispose de gros moyens. Dès son élection, et sous l’impulsion éventuelle du ministère, M. Diallo aurait pu réfléchir à la gouvernance et envisager d’intégrer des associations de lutte contre les discriminations de sorte à faire évoluer les statuts, les objectifs, les missions et les moyens de la FFF. Aucun travail de réflexion visant définir un projet pour le football de demain n’a été mené. La FFF reste dans son conservatisme et elle n’en sort pas.
S’agissant du match de l’OM contre l’OL, nous avons mis en évidence des chants homophobes de supporters de l’OM contre Lyon. Ces chants sont avérés ; ce sont des faits matériels. Nous avons à nouveau été abasourdis en entendant que le procureur de la République de Marseille, M. Nicolas Bessone, poursuivrait uniquement les faits de racisme des supporters lyonnais. Il a raison de condamner le salut nazi, cependant, pour quelle raison la justice française ne prend-elle pas en compte des délits d’homophobie matériellement prouvés ? Pouvez-vous nous l’expliquer ?
Les faits se sont déroulés dans le stade Vélodrome, pas à l’extérieur. Que la FFF, la LFP et le ministre de l’intérieur se renvoient la responsabilité ne nous regarde pas. Nous évoquons des faits d’homophobie qui ont eu lieu dans le stade Vélodrome.
La ville de Marseille est propriétaire du stade Vélodrome : pourquoi M. Benoît Payan, le maire de Marseille, ne réagit-il pas contre les chants homophobes entonnés par les supporters de Marseille ? La remarque vaut également pour Mme Hidalgo dans le cadre des faits d’homophobie constatés lors de la rencontre entre le PSG et l’OM. Pourquoi ne déclenchent-ils pas un signalement article 40 ? Est-ce que cela ne les intéresse pas ? Il conviendrait de s’interroger quant à la responsabilité des maires des villes propriétaires des équipements sportifs où se déroulent des faits d’homophobie et qui n’agissent pas.
S’agissant du plan d’engagement, nous verrons. Apparemment, certaines associations sont sur les rangs. En effet, les 6 millions d’euros proposés sur trois ans sont susceptibles d’intéresser des associations en mal de subventions. Nous ne sommes pas candidats. Sans subvention, nous pouvons rester indépendants. En outre, il nous suffit d’avoir des ordinateurs et un abonnement Prime vidéo qui nous permettent de publier des communiqués de presse et, surtout, de travailler, de beaucoup travailler.
Nous n’avons que des coups à prendre. Pour autant, nous ne refusons pas de travailler avec le ministère des sports, de rencontrer la ministre et de lui présenter des propositions. Malheureusement, nous sommes bien déçus. Il est important de constater que les lanceurs d’alerte ont une utilité. Nous verrons bien ce que les associations qui veulent travailler avec la FFF proposeront.
Je souhaite leur faire une proposition. La finale de la Coupe de France se déroulera le 25 mai 2024, une semaine après le 17 mai, journée mondiale de lutte contre l’homophobie. Si, tout à coup, cette lutte contre l’homophobie intéresse M. Philippe Diallo, je lui suggère d’organiser une action d’envergure, pas en catimini, bien préparée et qui ait du sens, lors de la finale de la Coupe de France. Il s’agit d’une proposition officielle à destination de M. Philippe Diallo.
Me Adrien Reymond. La situation n’a pas évolué et les fédérations restent sur leur droite ligne. Nous vous avons communiqué un courrier que nous avons adressé au président de la LFP le 23 février dernier pour lui signaler que, le 26 février suivant, un match OM contre PSG allait se tenir et que des chants homophobes sont toujours chantés lors de ce type de match. Très respectueux, notre courrier visait à lui rappeler ses obligations et l’obligation de résultat qui est à la charge des clubs selon la jurisprudence du Conseil d’État précitée. Le lendemain, un courrier de la LFP daté du 24 février – seul et unique courrier qu’en tant que conseil j’ai reçu de la LFP – me prie de cesser d’adresser ce type de courrier comminatoire et m’accuse en outre d’être dans une stratégie de dénigrement systématique du travail de la LFP. Ce courrier précise qu’il serait préférable que nous organisions des actions de terrain concrètes. Nous avons répondu le 28 février suivant en décrivant les très nombreuses actions concrètes que nous menons sur le terrain et en rappelant simplement la loi. Notre objectif ne consiste pas à polémiquer. Nous voulons faire appliquer la loi et les circulaires de la Fédération internationale de football association (FIFA).
Vous avez mentionné les propos de M. Le Graët, ces paroles un peu christiques de type « pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». C’est encore une manière de banaliser totalement ce type de propos et, finalement, de valider le constat selon lequel les stades représentent des défouloirs d’opposition aux valeurs républicaines et des zones de non-droit.
J’ai évoqué précédemment l’absolue nécessité de créer une base de jurisprudences pour la LFP. Il importe que la LFP rédige le texte de ses sanctions et qu’elle le rende disponible afin que nous puissions nous référer à une ligne établie de sanctions.
Nos propos évoquent des sanctions parce que nous sommes lassés des vœux pieux relatifs à des actions de prévention, des milliers de plans d’action dont se targuent les ministères. C’est une honte parce qu’ils n’existent pas.
M. François Piquemal (LFI-NUPES). Je vous remercie pour votre témoignage et pour votre travail. J’aimerais essayer de finir cette audition en éclaircissant l’horizon, si c’est possible.
Je suis originaire de Toulouse et notre club de football s’appelle le Toulouse football club (TFC). Un groupe d’ultras, les Indians, rebaptisés Invaders, a célébré ses trente ans d’existence. À cette occasion, un article est paru dans la presse et je vous cite les déclarations de l’un des représentants de ce groupe : « En voyant que certaines personnes sont dérangées par telle ou telle catégorie de la population, on a décidé d’afficher sur une banderole dans tout le virage pour que, quelles que soient ta religion, ton orientation sexuelle ou ton origine, tu aies ta place. »
Existe-t-il d’autres groupes de supporters, d’autres acteurs du football qui ont une action volontariste visant à lutter contre l’homophobie ? En avez-vous connaissance ? Disposez-vous d’exemples sur lesquels nous pourrions nous appuyer aussi au niveau des institutions et autres afin de progresser tous ensemble ?
M. Julien Pontes. Nous sommes très heureux d’apprendre l’initiative des ultras de Toulouse que nous félicitons évidemment, puisque notre rêve consisterait à aller au stade, à faire la fête avec les supporters, dans le respect de chacun.
Au niveau des institutions, il existe l’Instance nationale du supportérisme, créée en 2016 ou 2017 et qui est réunie par la ministre des sports. Depuis longtemps, nous sollicitons une audition de la part de cette instance afin d’expliquer nos objectifs.
Au sein de cette instance nationale du supportérisme siège l’association nationale des supporters (ANS), avec laquelle nous entretenons des relations complexes. Ils représentent les interlocuteurs principaux du ministère et des instances du football pour essayer de trouver des solutions. Cependant, les clubs ne sont pas tous représentés au sein de l’ANS. Marseille, par exemple, n’en fait pas partie et il s’avère regrettable qu’un interlocuteur tel que l’ANS ne représente pas l’ensemble des ultras. Dès lors, nous estimons que l’ANS campe sur des positions beaucoup trop conservatrices et elle ne souhaite pas « qu’on embête les supporters avec des histoires de pédés ». Elle souhaite surtout que les supporters aient la joie, le droit, de craquer des fumigènes. C’est essentiel pour beaucoup d’entre eux. Elle a néanmoins des revendications un peu plus sérieuses auxquelles nous adhérons qui concernent les interdictions de déplacement, les interdictions administratives parfois arbitraires qu’il importe de revoir et de faire cesser. Nous sommes prêts à défendre ces revendications avec eux, mais parallèlement, il faut qu’ils entendent que l’homophobie nous fait beaucoup de mal.
Je reviens sur la mission menée par Mme Marie-George Buffet et M. Sacha Houlié pour apporter une précision. Dans le rapport, la LFP déclare que soixante-quinze mille supporters sont affiliés à des clubs de supporters, parmi lesquels quarante-sept mille ultras, uniquement pour la Ligue 1. Il existe donc une masse considérable de supporters en France et une véritable sensibilisation et la protection des supporters qui s’exposent à des plaintes nécessiteraient de dégager des moyens humains et matériels importants.
Nous souhaiterions être ponctuellement associés aux travaux de l’INS, mais nous avons toujours essuyé des refus.
Dernièrement, le cabinet de la ministre m’a refusé le soutien que je sollicitais en regard des menaces de mort dont nous avons fait l’objet. J’ai également demandé que nous soyons reçus par l’INS qui se réunit le 18 décembre et j’ai encore essuyé un refus catégorique. Toutes nos demandes sont refusées.
Est-il possible de progresser dans de telles conditions ? Il est essentiel que nous puissions dialoguer avec les supporters. Nous ne sommes pas si différents les uns des autres.
M. Stéphane Mazars (RE). Connaissez-vous un pays qui, selon vous, gère bien mieux la situation que la France ? Vous avez précédemment évoqué l’Angleterre. Nous savons que l’Angleterre a mené une lutte acharnée contre les hooligans. Dès lors, force est de constater que les stades sont devenus très aseptisés. Connaissez-vous un exemple de football aussi populaire que le football français, comptant de vrais groupes de supporters, de vrais ultras, mais où les dérives seraient moins prégnantes que dans notre pays ?
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons également reçu des représentants de l’ANS en audition. Ils nous ont indiqué qu’ils n’entretenaient pas non plus de lien avec la FFF et n’y sont pas reçus. L’accès aux instances du football représente donc peut-être un combat que vous pourriez mener en commun afin de progresser sur les questions qui vous occupent.
Nous avons évoqué avec eux la sanction qui consisterait à stopper les matchs. Ils n’adhèrent pas parce qu’il s’agirait d’une sanction collective. Pourriez-vous nous proposer une gradation des sanctions qu’il serait possible d’imaginer en regard des actes d’homophobie ?
Je reviens sur le match qui a opposé l’OM à l’OL. J’ai compris que les ultras lyonnais faisaient l’objet d’une interdiction de stade à Lyon, mais pas d’une interdiction de stade à l’échelle nationale et pouvaient se rendre au stade de Marseille. Existe-t-il une subtilité sur laquelle il serait nécessaire de progresser ? Qui délivre les interdictions de stade ? Est-ce de la responsabilité du ministère de l’intérieur ou de celle des ligues ?
M. Julien Pontes. Certains pays sont plus en avance que la France à ce niveau-là, ce qui n’est pas très compliqué. Nous avons choisi le nom « Rouge Direct » en raison d’une décision arbitrale intervenue en 2015, lors du championnat de Norvège. Un joueur a injurié un autre joueur sur une thématique homophobe et l’arbitre a directement sorti un carton rouge, expulsant ainsi le joueur injurieux. Ce dernier s’est excusé, mais il a été sanctionné par le club.
Nous avons travaillé avec l’avocate du président de la fédération hollandaise, pays qui a pris le problème très au sérieux. Ils rencontraient également de nombreux problèmes d’antisémitisme. Ils ont mis en place un système de tolérance zéro qui est très bien passé et ils ont également mené des actions de visibilité. À titre d’exemple, la fédération hollandaise de football possède un char à la Marche des fiertés. Nous aurions apprécié de voir Noël Le Graët sur un char à la Gay Pride. Tout est possible à condition d’en avoir la volonté. Ces actions de sensibilisation ne sont pas particulièrement onéreuses.
Si Kylian Mbappé et Jules Koundé prenaient la parole pour affirmer que l’homosexualité d’un coéquipier ne les dérange pas tant qu’il joue bien au football, ils sensibiliseraient d’un seul coup des millions de jeunes et cela ne coûterait rien.
Le magazine allemand 11Freunde, équivalent de France Football a dernièrement publié en couverture six cents professionnels du football allemand qui affichaient leur soutien aux LGBT. Pas un professionnel du football en France ne s’y risquerait.
Pendant la Coupe du monde au Qatar, sept fédérations européennes telles que le Danemark, les Pays-Bas, l’Écosse, etc. ont porté le brassard « One Love ». Le retard du football français par rapport à l’homophobie est inacceptable. C’est une honte.
Nous serions d’autant plus heureux d’entamer un dialogue avec l’ANS qu’ils nous envoient des messages désagréables sur les réseaux sociaux.
La sanction qui consisterait à arrêter un match ne serait pas opportune parce qu’elle sanctionnerait tout un stade. Néanmoins, il existe une procédure en trois temps : d’abord un avertissement, ensuite une interruption de match pendant vingt minutes si l’avertissement n’est pas efficace, et enfin l’arrêt définitif du match. Ce n’est pas satisfaisant, mais il faut bien trouver des solutions pour faire cesser les cris de singes parce qu’un match ne peut pas se poursuivre dans de telles conditions. Il y a des enfants dans les stades et devant les écrans de télévision.
Nous avons d’ailleurs porté plainte contre Amazon, le diffuseur des matchs de la Ligue 1, parce que nous considérons que les diffuseurs ont une responsabilité. S’ils ne l’exercent pas, nous demanderons des arrêts de match et nous les ferons condamner. Dès lors, ils vendront un milliard d’euros des droits de diffusion télévisée pour des matchs qui ne seront pas diffusables.
S’agissant des arrêts de match, la circulaire FIFA 16-82 est toujours en vigueur. En juillet 2019, le Président de la République avait décrété une tolérance zéro pour homophobie et pour racisme. Noël Le Graët a refusé d’arrêter les matchs pour homophobie, mais il a accepté les arrêts pour racisme. Il s’était ainsi exprimé sur France Info. Nos avocats avaient écrit à la FFF pour qu’il retire ses propos parce qu’une instruction, même orale, d’un président de fédération aux arbitres vaut règlement. M. Noël Le Graët a retiré ses propos. Notre action n’est donc pas si inutile.
Si le travail de sensibilisation avait été réalisé, comme on nous le promet depuis de nombreuses années, la situation ne serait pas ce qu’elle est.
S’agissant de la gradation des sanctions, le règlement de la LFP est très bien fait. Il établit une gradation et une individualisation des sanctions. Il suffit de l’appliquer.
J’ajouterai qu’il serait souhaitable d’intégrer des associations LGBT dans les commissions disciplinaires.
M. Stéphane Buchou (RE). Comment expliquez-vous qu’encore aujourd’hui, en 2023, aucun joueur du monde professionnel n’ose faire son coming out ? Il pourrait, de ce fait, aider la cause et faire œuvre utile contre l’homophobie dans le football.
Me Adrien Reymond. Nous ne demandons pas aux joueurs de faire leur coming out. Cela concerne leur vie privée. S’ils ont envie de s’exprimer dans la presse sur ce point, c’est positif, mais ils ont le droit de préserver leur vie privée.
S’agissant du dispositif des arrêts de match, lors du quatrième set de l’US Open de tennis, un joueur autrichien a entendu dans une tribune un spectateur qui a eu le très mauvais goût de chanter l’hymne nazi. Il a ordonné à l’arbitre d’interrompre le match le temps d’évacuer le spectateur, et il a obtenu l’exclusion du spectateur. Nous souhaiterions que les joueurs de foot agissent de la même manière. Kylian Mbappé doit pouvoir prendre ses responsabilités quand il entend des chants racistes ou des chants homophobes ou des chants sexistes et déclarer qu’il refuse de jouer dans de telles conditions. La devise de la France est « Liberté, Égalité, Fraternité ». Si la fraternité ne règne pas dans le stade, il peut refuser de jouer. Nous demandons simplement aux joueurs d’exprimer cette sensibilité républicaine.
M. Julien Pontes. Au-delà, les conditions ne sont pas réunies pour qu’un joueur fasse son coming out parce que cela signifierait la fin de sa carrière. Lorsque vous avez reçu Ouissem Belgacem dans cette commission, il vous a exprimé tout le bien qu’il pensait de la LFP et du responsable RSE. Il est impossible de faire un coming out compte tenu du niveau élevé d’homophobie. Faire beaucoup de prévention aiderait. Nous estimons également que des sanctions plus amplement appliquées aideraient un joueur qui souhaiterait faire son coming out. Lorsque le joueur de football américain Robbie Rogers a fait son coming out, le président Barack Obama l’a félicité à la télévision et a loué son courage. Tous ses coéquipiers étaient présents et tout s’est bien passé. Cela ne coûte rien et il relève de la responsabilité du président d’un pays d’avoir une parole publique inclusive et bienveillante pour les LGBT : Barack Obama en a fait la démonstration.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie, Messieurs. Avez-vous déjà entendu parler d’homophobie dans le volley ?
Me Adrien Reymond. Non.
M. Julien Pontes. Nous sommes vraiment spécialisés dans le football, beaucoup moins dans le volley-ball.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie.
La commission auditionne M. Nadir Allouache, président de la Fédération française de kickboxing, muaythai et disciplines associées (FFKMDA)
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Mes chers collègues, nous accueillons à présent M. Nadir Allouache, président de la Fédération française de kickboxing, muaythai et disciplines associées (FFKMDA).
Monsieur, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions. Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a décidé de créer notre commission à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations. Nos travaux portent sur trois axes, les violences physiques, sexuelles et psychologiques, les discriminations sexuelles et raciales ainsi que les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance.
La fédération que vous présidez a fait l’objet de graves accusations devant la commission d’enquête. Ont été évoqués des méfaits très nombreux – la présence de gens fichés au grand banditisme, l’existence d’un système de prostitution et de chantage sexuel dans un club d’Aulnay-sous-Bois, le recours aux services de prostituées en Thaïlande et en Algérie par des dirigeants fédéraux et des faits de trafic d’armes, de trafic de drogue et de détournement de fonds publics. En réponse à ces propos, vous avez annoncé avoir porté plainte pour diffamation, et le ministère des sports a saisi la justice. Pouvez-vous nous dire quelles observations appellent de votre part les accusations qui ont été formulées devant notre commission d’enquête ?
Je précise que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Par ailleurs, l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Nadir Allouache prête serment.)
M. Nadir Allouache, président de la FFKMDA. Je suis ravi de me trouver devant la représentation nationale à la suite de ma demande d’audition et je compte bien répondre à vos questions en toute transparence.
Lors de son audition devant cette commission le 20 juillet, une personne condamnée par la justice pour diffamation a cru bon de porter des accusations gratuites et blessantes contre la fédération que je préside, et une série de trente et une questions qui m’avaient été adressées par e-mail ont ensuite été diffusées sur le web. Le traitement violent dont nous avons été l’objet ne s’appuie sur aucune preuve, mais reflète l’époque actuelle, celle des approximations et des fake news qui portent atteinte à la réputation. Nous nous sommes constitués partie civile contre le youtubeur en question, qui est visé par une dizaine de plaintes pour diffamation, et j’ai confiance dans la justice de mon pays.
Permettez-moi de saluer, à l’opposé, votre commission et sa volonté de lutter contre de mauvaises pratiques qui doivent disparaître. En tant que président de fédération et père de famille, les sujets sur lesquels vous travaillez me tiennent à cœur.
Permettez-moi aussi de vous signaler que les élus et moi-même avons transformé la Fédération. En 2015, début de mon premier mandat, elle accusait un déficit très important, ne disposait pas d’un siège social et ne comptait que sept employés pour 32 000 licenciés. Notre situation financière est désormais très saine. Par ailleurs, la Fédération dispose d’un siège où travaillent quatorze permanents, au service de 60 000 licenciés, et les résultats sportifs sont très bons. Nos élus, les dirigeants de nos 1 400 clubs et moi-même sommes animés par la volonté d’offrir un espace de bien-être pour nos pratiques sportives et de créer du lien social – selon moi, c’est la plus grande force du mouvement sportif français.
J’ajoute, pour votre information, que j’appelle depuis longtemps tous nos dirigeants et les licenciés à la plus grande vigilance concernant le comportement dans les clubs et en compétition. Cet appel a été entendu, puisque notre fédération s’est récemment adressée au procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale et a fait des signalements par l’intermédiaire de la cellule Signal-sports.
Je me tiens à votre disposition pour répondre à toutes vos questions.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous préciser les conditions dans lesquelles le contrat de délégation entre le ministère des sports et votre fédération a été négocié ? La direction des sports vous a-t-elle demandé des engagements précis ?
M. Nadir Allouache. Pour tout vous dire, je ne suis pas trop ces dossiers : mon directeur général s’en occupe. Le ministère des sports formule, bien sûr, des exigences, par exemple en matière d’achat éthique, d’honorabilité, de résultats et de respect de la délégation. Nous pourrons vous envoyer des éléments si vous le souhaitez.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. L’article 13-3 du contrat de délégation prévoit que, chaque année, un bilan de l’exécution est réalisé conjointement par le ministère des sports et la FFKMDA. Un premier bilan a-t-il été réalisé, et dans quelles conditions ?
M. Nadir Allouache. Le bilan a été réalisé, avec les cadres d’État et dans les conditions souhaitées par le ministère.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Il faudra nous répondre par écrit : il me semble que vous ne disposez pas de toutes les informations nécessaires. Par ailleurs, nous souhaitons recevoir le bilan.
M. Nadir Allouache. Très bien, madame la présidente.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En application du contrat de délégation, votre fédération doit élaborer une stratégie relative à la transparence financière, à la lutte contre les différentes formes de corruption et à la prévention des conflits d’intérêts. Connaissez-vous le guide sur la prévention des atteintes à la probité qui a été publié par l’Agence française anticorruption à l’intention des fédérations sportives ? Comment avez-vous mis en œuvre les recommandations qui ont été faites en la matière ?
M. Nadir Allouache. Notre fédération établit désormais une comptabilité analytique, qui est suivie par les cadres d’État et le directeur général. Chaque année, nous présentons les bilans au ministère des sports. Nous pourrons vous envoyer des écrits à ce sujet.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quel est le rôle de M. Karim Stambouli, qui travaille dans votre équipe ?
M. Nadir Allouache. M. Stambouli est le nouveau directeur général. Il a rejoint notre fédération en mars dernier.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous nous parler de sa rémunération ?
M. Nadir Allouache. Elle est de 4 200 euros brut.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Selon mes informations, cette rémunération s’établit à 5 200 euros auxquels s’ajoute une prime de plus de 20 000 euros. Le confirmez-vous ?
M. Nadir Allouache. C’est faux, madame la présidente. La comptabilité de la fédération pourra le prouver. Jamais il n’y a eu de primes de 20 000 euros.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous voudrez bien nous apporter, là aussi, une réponse par écrit.
M. Nadir Allouache. Oui, bien sûr, madame la présidente.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le contrat de délégation conclu par l’État et la fédération prévoit la désignation d’un référent chargé de suivre la mise en œuvre d’une stratégie de lutte contre les faits de violence, de discrimination et de harcèlement. Ce référent a-t-il été désigné et quelles sont ses attributions ?
M. Nadir Allouache. Oui, un référent harcèlement a été désigné.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quelles sont ses missions ?
M. Nadir Allouache. Il a pour mission de suivre les directives du ministère au sujet du harcèlement sexuel et des violences au sein du sport.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Qui est ce référent ? S’agit-il d’un cadre d’État ?
M. Nadir Allouache. C’est un élu. Il s’agit du vice-président de la Fédération, M. Patrice Santero.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La question des violences sexistes et sexuelles a-t-elle fait l’objet d’un traitement spécifique au sein de votre fédération, comme le prévoit le contrat de délégation ?
M. Nadir Allouache. Oui. Nous pourrons vous envoyer des écrits portant spécifiquement sur ce sujet.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous devez tout de même avoir une idée des actions qui ont été mises en place.
M. Nadir Allouache. Nous avons déployé un système qui contrôle et suit ces agissements au sein de nos clubs. Nous pourrons vous envoyer les détails par écrit.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Dans le cadre de vos fonctions de président de la fédération, recevez-vous une rémunération ?
M. Nadir Allouache. Oui, madame la présidente.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quel est le montant de cette rémunération ?
M. Nadir Allouache. Elle est de 7 000 euros brut.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous déjà fait appel aux services d’un avocat pour vous accompagner ?
M. Nadir Allouache. Non, madame la présidente. En revanche, la Fédération a un avocat, qui est rémunéré au forfait.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Qui paie les frais d’avocat ?
M. Nadir Allouache. C’est la Fédération. Mais je n’ai jamais fait appel à l’avocat de la Fédération à des fins personnelles.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous conclu des conventions avec des associations spécialisées dans la prévention des violences et l’accompagnement des victimes, comme Colosse aux pieds d’argile ?
M. Nadir Allouache. Oui. Nous faisons partie des membres de Colosse aux pieds d’argile.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quelle est votre convention avec cette association ? Pouvez-vous nous donner des détails sur le nombre d’heures prévues et votre participation ?
M. Nadir Allouache. La participation de la Fédération, en tant qu’adhérente, s’élève à 200 euros annuels.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Est-ce la cotisation que vous versez ?
M. Nadir Allouache. Tout à fait.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. À raison de 200 euros par an, vous ne devez pas bénéficier d’un service particulier en matière d’accompagnement.
M. Nadir Allouache. La Fédération est membre de cette association. Je pourrai vous communiquer des éléments, notamment notre comptabilité et la convention qui a été signée.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je ne comprends pas très bien ce que vous entendez par « adhérent ». Colosse aux pieds d’argile est une association qui travaille en lien avec le ministère des sports et peut établir des partenariats avec des fédérations telles que la vôtre pour mener des actions de prévention, de sensibilisation et d’accompagnement des victimes.
M. Nadir Allouache. Colosse aux pieds d’argile réalise un énorme travail en ce qui concerne le harcèlement sexuel et les violences dans le sport. Nous avons mis en place une convention dans le but d’être éclairés, aidés si la Fédération reçoit des signalements. C’est pour cela que nous avons adhéré à l’association et que nous lui versons une cotisation.
Je vous communiquerai des éléments qui seront préparés par notre directeur général. J’ajoute simplement que j’ai eu l’occasion de m’entretenir de ces questions avec le président de Colosse aux pieds d’argile dans le cadre de la Confédération des sports de combat.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Monsieur le président, vous êtes entendu sous serment et je rappelle que c’est vous qui avez demandé à être auditionné par cette commission d’enquête : vous vouliez avoir un droit de réponse. J’espère que vous avez quelques éléments à nous fournir, au lieu de nous renvoyer systématiquement à un e-mail à venir ou à votre équipe dirigeante.
M. Nadir Allouache. Tout à fait, madame la présidente. Je sais que je suis sous serment, et nous vous enverrons tous les éléments.
M. Stéphane Buchou (RE). Je comprends votre souhait d’être auditionné par la commission, compte tenu des accusations qui ont été portées à l’encontre de votre fédération. Étant donné que cette audition se tient à votre demande, nous imaginions que vous auriez des éléments factuels, concrets, objectivés à nous présenter. Or en réponse à chaque question précise qui vous est posée, vous nous renvoyez à votre directeur général et à des écrits. Est-ce à dire que le président de fédération que vous êtes n’est au courant de rien ou n’est pas en mesure de répondre concrètement à nos questions ? Par ailleurs, compte tenu de votre rémunération, je pense que vous passez un peu de temps au sein de la Fédération. Je suis donc assez surpris que vous ne puissiez pas nous apporter des réponses plus précises.
M. Nadir Allouache. Vous avez raison, monsieur le député, je passe beaucoup de temps à la Fédération, y compris les week-ends. J’ai demandé à être auditionné par votre commission à la suite des accusations qui ont été portées le 20 juillet. J’aurais pu préparer les éléments évoqués par Mme la présidente, Mme la rapporteure et vous-même, mais nous vous les communiquerons. Je m’attendais à des questions portant sur les accusations de trafics et de détournements à l’égard de la Fédération.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Cette commission d’enquête n’est pas une tribune destinée à vous permettre de vous opposer à ce qu’a dit M. Molina. Vous avez déposé une plainte, qui sera examinée par la justice. Vous êtes ici auditionné en tant que président d’une fédération, et nous avons des questions très larges à vous poser, dans le périmètre de la commission d’enquête. Vous avez peut-être eu l’occasion de prendre connaissance d’auditions de présidents d’autres fédérations, et vous deviez vous attendre à des questions portant sur la délégation qui vous a été confiée par le ministère des sports, notamment sur les actions menées en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, les discriminations et le racisme. Ce sont des questions que nous posons à quasiment tous les dirigeants reçus dans le cadre de cette commission d’enquête. Si vous êtes venu pour nous dire « M. Molina ment », je vous invite à reprendre ses accusations point par point et à apporter des éléments prouvant qu’il a menti. Par ailleurs, vous devrez répondre aux questions que nous vous posons. Vous ne pouvez pas vous contenter de dire que vous allez nous transmettre des documents.
M. Nadir Allouache. En ce qui concerne la tolérance, le sexisme et les agressions, oui, nous avons mis des choses en place.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous vous demandons quelles sont les actions menées. Avez-vous créé, par exemple, un site internet comportant une page qui explique comment signaler des faits ?
M. Nadir Allouache. Oui, il y a un numéro qui permet d’entrer directement en contact. Par ailleurs, des explications ont été apportées à tous nos adhérents au sujet de Signal-sports, cellule créée il y a plus de deux ans. Je suis très attaché à la lutte contre les discriminations, le racisme ou l’homophobie, ainsi qu’à la notion de tolérance.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous avez indiqué avoir déclenché un article 40. À quelle date et au sujet de quel événement ?
M. Nadir Allouache. Je l’ai fait il y a une dizaine de jours à propos d’une athlète. Je me rends souvent sur les lieux de compétition et j’échange beaucoup avec les responsables des clubs et les sportifs. Une personne s’est mise à avoir confiance en moi au bout d’un certain temps et elle a donc fini par se confier – certains n’osent pas trop parler, ni revenir sur leur passé. Elle m’a expliqué sa situation et j’ai alors alerté le ministère, signal-sports et le procureur de la République.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous avons besoin de réponses précises. Quelle était cette situation ?
M. Nadir Allouache. Cette personne, qui est prête à témoigner, s’exerçait dans un club parisien depuis l’âge de quatorze ans. Un des entraîneurs s’est longtemps montré attentionné envers elle : il la considérait comme sa fille, se comportait un peu comme son protecteur et essayait de la soutenir. À ses dix-huit ans, elle a remarqué un changement de regard. Lors d’un entraînement qui se déroulait pendant la crise du covid, elle s’est trouvée un peu grippée et l’entraîneur, en qui elle avait confiance, m’a-t-elle dit, s’est mis à la masser avec un produit, à la poitrine, afin qu’elle respire mieux. Puis il a commis un geste qu’il n’aurait pas dû faire : il est descendu vers ses seins. J’ai demandé à la demoiselle pourquoi elle ne l’avait pas arrêté : elle m’a dit qu’elle ne l’avait pas fait parce qu’elle parvenait à mieux respirer et qu’elle pensait qu’il ne faisait que son travail. Ensuite, il a un peu dépassé la limite, puisqu’il lui a demandé de retirer sa brassière pour prendre des photos – cela devient plus sérieux. J’ai répondu à la jeune fille que j’espérais qu’elle ne l’avait pas fait, mais elle m’a dit que si, parce qu’il avait ajouté que les entraîneurs avaient besoin de voir le corps de leurs athlètes pour déterminer s’ils étaient prêts. Il l’a donc forcée à soulever sa brassière et l’a prise en photo, puis il a demandé à voir ses fesses. Elle lui a répondu que ce n’était pas nécessaire, parce qu’elle était en short et qu’elle n’avait pas de gras. Il a insisté, en disant qu’elle devait se sentir à l’aise et qu’il s’agissait juste de prendre des photos, pas plus. Elle l’a écouté, la pauvre, et elle a ôté son short. L’entraîneur lui a alors dit d’enlever complètement ses vêtements pour qu’il puisse voir ses fesses et la prendre en photo. Voilà ce qui m’a été rapporté. Pour moi, c’est grave.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Ce sont des faits graves, évidemment. Je vous demanderai de m’envoyer une copie de votre signalement au titre de l’article 40, s’il vous plaît.
M. Nadir Allouache. Très bien, je le note.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. À quel moment avez-vous eu connaissance de ces faits ?
M. Nadir Allouache. C’était à mon retour des championnats du monde d’Antalya, il y a une dizaine de jours.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quel est le nombre d’articles 40 qui ont été déclenchés à votre connaissance ?
M. Nadir Allouache. C’était le premier. Quand je suis allé au ministère, la personne qui gère Signal-sports m’a dit qu’il n’y avait alors aucun signalement venant de la Fédération.
J’ai eu connaissance de cette situation grâce au travail que je mène au quotidien auprès des clubs et durant les compétitions. Des gens n’osent pas trop parler, mais je fais en sorte de les mettre à l’aise. Cette demoiselle pourra peut-être dire si d’autres ont subi le même sort dans son club. Celui-ci n’est plus affilié à nous, mais à une autre structure, depuis 2017 ou 2018.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quand avez-vous eu un entretien au ministère au sujet des signalements ?
M. Nadir Allouache. C’était au lendemain de l’audition de M. Molina. J’ai demandé à être reçu par le ministère, et je l’ai été par la directrice des sports, Mme Fabienne Bourdais, et la personne qui gère les dossiers dans le cadre de Signal-sports.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. De quoi avez-vous parlé ?
M. Nadir Allouache. Nous avons échangé au sujet des calomnies formulées durant l’audition et nous avons évoqué les cadres d’État. J’ai demandé si des signalements venant de notre fédération avaient été reçus, car nous n’en avions pas de notre côté. Le 20 juillet, M. Molina a cité un club d’Aulnay-sous-Bois qui est affilié à nous.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous dites que c’est vous qui avez demandé un entretien avec Mme Bourdais ?
M. Nadir Allouache. Tout à fait.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous eu d’autres contacts une fois que le ministère des sports a saisi la justice pour faire suite au témoignage de M. Molina ?
M. Nadir Allouache. Non, il n’y a pas eu d’autres contacts.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous mené une enquête à la suite de l’audition de M. Molina, qui nous a informés du chantage sexuel qui existait dans le club d’Aulnay-sous-Bois ?
M. Nadir Allouache. Après le témoignage de M. Molina, je me suis rendu dans le club : j’ai échangé avec l’entraîneur, le président, les athlètes et les mères qui étaient présentes. Aucune personne ne m’a rapporté ce type d’agissements. De quels moyens puis-je disposer pour mener une enquête ? On m’a dit qu’il s’agissait de mensonges, et je pense que le procureur de la République a été saisi.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. À la suite de ces accusations qui sont extrêmement graves, vous auriez pu, vous-même, faire un signalement à Signal-sports.
M. Nadir Allouache. En effet, mais qui aurais-je pu signaler ? Au sein d’un club, il y a le président, l’entraîneur, le trésorier, les athlètes… La personne que vous avez auditionnée vous a dit qu’elle vous préciserait plus tard de qui il s’agissait.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous auriez tout de même pu faire un signalement.
Nous avons reçu plusieurs documents, dont un tableau Excel nominatif dans lequel figurent la date de naissance, le nom et le prénom des mamans, leur numéro de téléphone et le « tarif ». À côté de « tarif automatique » est indiqué : « une pipe ». Figurent aussi des avis : « favorable », « doit faire ses preuves » ou « défavorable ». Figurent ensuite « nombre de galas », « total pipes effectuées », « t-shirts donnés », « total dû en pipes », etc. Ce tableau existe : nous l’avons reçu.
Certaines personnes ont voulu nous expliquer que rien n’était vrai. Nous avons reçu, en quelques heures, des tableaux et des e-mails, dont un émanant de quelqu’un du club, qui nous a indiqué que le tableau était ironique et ne correspondait pas du tout à la réalité. Je pense en tout cas que la situation, au vu de sa gravité, aurait mérité un signalement de votre part.
M. Nadir Allouache. Vous avez reçu ce tableau, madame la rapporteure ; je ne l’ai pas eu.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quand nous avons été informés, nous avons mené des recherches. De votre côté, vous auriez pu vous dire, après l’audition de M. Molina, que les faits étaient peut-être vrais et donc faire un signalement.
M. Nadir Allouache. Je suis allé voir Mme Bourdais et nous avons parlé de ce club. Sa collègue m’a assuré qu’il n’y avait eu aucun signalement à ce sujet. En tant que président de fédération, je me suis rendu moi-même dans le club. J’ai échangé avec les athlètes, les mamans, le président et les entraîneurs : aucune de ces personnes ne m’a parlé de tels faits. Si j’en avais eu connaissance, j’aurais prévenu le procureur de la République et le ministère des sports.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Mme Bourdais ne vous a-t-elle pas demandé de faire un signalement ou de déclencher un article 40 ?
M. Nadir Allouache. Non. Ce jour-là, elle ne disposait peut-être pas des éléments dont nous parlons.
Mme Claudia Rouaux (SOC). Vous semblez avoir des difficultés à évoquer des noms. Encore aujourd’hui, vous avez la possibilité de téléphoner au procureur, de lui exposer la situation et de voir avec lui la question du signalement.
M. Nadir Allouache. Merci pour votre conseil, mais je pense que le procureur de la République a été saisi de cette affaire.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le ministère des sports a fait un article 40, mais en tant que président de la Fédération, au moment où vous avez pris connaissance de ce témoignage, vous auriez également pu le faire. Vous dites que vous n’aviez pas d’informations. Néanmoins, si le ministère des sports a estimé qu’il était possible de déclencher un article 40, vous auriez pu faire de même. Pourquoi aucun signalement n’a-t-il été fait à la suite de ces révélations ?
M. Nadir Allouache. Après les accusations diffamatoires formulées par M. Molina, je ne pouvais pas me permettre de signaler au procureur de la République des choses qui n’étaient pas fondées. J’ai donc pris rendez-vous au ministère pour expliquer la situation et c’est ensuite lui qui a pris l’initiative de déclencher l’article 40, à la suite du tableau qu’il avait reçu. Si je l’avais eu, j’aurais pu faire appel au procureur de la République. Si vous le souhaitez, je peux le faire dès demain.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quels sont précisément les sujets que vous avez abordés lors de votre entretien avec Mme Bourdais ?
M. Nadir Allouache. Nous avons évoqué les cadres d’État qui étaient mis en cause et le club d’Aulnay. Les accusations formulées étaient très graves et il s’agissait de savoir si elles étaient vraies ou non.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. S’agissant du dernier point, qu’avez-vous répondu ?
M. Nadir Allouache. J’ai dit que je ne disposais pas des éléments dont M. Molina avait fait part à la commission d’enquête, et j’ai demandé si le ministère les avait, pour qu’on puisse regarder s’ils étaient vrais ou non. Il y a les dires des gens, mais il faut des choses vraiment fondées. Vous avez reçu un tableau. Le ministère ne l’avait peut-être pas au moment où je suis allé voir Mme Bourdais.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. En application de l’article 3 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, la FFKMDA doit, en tant qu’association reconnue d’utilité publique, mettre en place un dispositif de prévention et de détection des atteintes à la probité. Comment vous acquittez-vous de cette obligation ? Votre fédération a-t-elle mis en place une plateforme de signalement ?
Comment votre fédération s’acquitte-t-elle, plus particulièrement, de son obligation de prévenir les conflits d’intérêts et de lutter contre eux ? Quel est le rôle de la commission d’éthique, de déontologie et de prévention des conflits d’intérêts ? Quels sont les membres des instances dirigeantes qui doivent lui adresser une déclaration d’intérêts ? Des règles d’abstention ou de déport en cas de conflit d’intérêts sont-elles prévues ? Sont-elles respectées ?
M. Nadir Allouache. Nous avons, bien sûr, des commissions en matière de déontologie, d’éthique et d’honorabilité. La Fédération est armée pour traiter ces sujets.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Par quelles personnes ces questions sont-elles gérées ? Pourriez-vous nous en dire les noms ?
M. Nadir Allouache. Serge Castello s’occupe de l’honorabilité et Patrice Santero de l’éthique. Je ne me souviens plus du nom de la troisième personne, mais je vous l’indiquerai par écrit.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Ces personnes sont-elles bénévoles ?
M. Nadir Allouache. Oui, ce sont des élus.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Par qui ont-ils été élus ?
M. Nadir Allouache. Par les clubs et les grands électeurs.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Ont-ils désigné ces responsables ?
M. Nadir Allouache. Non, les commissions ont été montées à l’intérieur de la Fédération et des personnes se sont proposées pour les présider. J’avais mal compris votre question, madame la présidente, pardonnez-moi.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Votre fédération doit mettre en place un dispositif de détection et de traitement des faits de violence, de discrimination et de harcèlement. Votre site internet comporte un onglet « prévention » qui permet d’accéder à une rubrique appelée « lutte contre les dérives et violences sexuelles ». Cette rubrique renvoie à un questionnaire du Comité français du fair-play relatif à la violence et au harcèlement, mis en ligne en décembre 2021 en vue d’un forum tenu en 2022. Le lien donne accès à un questionnaire anonyme, apparemment relayé par la CGT, qui porte sur les violences sexistes et sexuelles envers les femmes dans les relations de travail et qui est destiné aux personnes travaillant dans les établissements de STMicroelectronics SA et SAS. Pouvez-vous nous en dire plus ? Comment expliquer cette erreur sur votre site ?
M. Nadir Allouache. Notre site fédéral a rencontré des difficultés au moment où OVH a connu un problème, et nous avons perdu pas mal de données. Nous avons alors fait appel à une autre société, qui s’appelle European Consulting. Le site a été refait, en lien avec un nouveau prestataire.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je suis en train de consulter votre site : rien n’a changé, ce questionnaire est toujours en ligne.
M. Nadir Allouache. Je vérifierai ce qu’il en est avant de vous répondre, mais ce que vous dites m’étonne un peu, car nous avons tout relancé.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La rubrique en question renvoie à trois numéros d’urgence, le 119, le 30 18 et le 114, mais elle ne propose pas aux victimes ou aux témoins de signaler des violences à la Fédération, ce qui semble contraire au contrat de délégation, qui prévoit la mise en place d’un dispositif efficace de prévention, de détection et de traitement des faits de violence, de discrimination et de harcèlement. Comment expliquez-vous qu’il n’y ait pas de renvoi, pour les victimes, à votre fédération ? Par ailleurs, étant donné qu’il n’existe aucun endroit où des victimes peuvent vous signaler des faits de violence, comment en prenez-vous connaissance ?
M. Nadir Allouache. Nous envoyons des mailings à tous les clubs et je leur rappelle, depuis très longtemps, notamment lors des compétitions, qu’ils ne doivent surtout pas hésiter à faire un signalement au moindre problème.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Comment les victimes peuvent-elles faire un signalement, puisque rien sur votre site ne renvoie à une plateforme, à une adresse e-mail ou à signal-sports ?
M. Nadir Allouache. Si tout cela est absent, il y a une difficulté, c’est vrai. Des numéros de téléphone figurent : on pensait peut-être que cela suffisait. Je demanderai au service de la communication de notre fédération d’agir en urgence. S’il y a des manques, j’en suis désolé.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Par ailleurs, la rubrique « lutte contre les dérives et violences sexuelles » comporte une série de liens utiles, vers un guide juridique, une plaquette du ministère des sports et un autre document concernant les violences sexuelles envers les mineurs, mais aucun des liens ne fonctionne.
Vous n’avez pas de plateforme de signalement, vous ne renvoyez pas à Signal-sports et, en plus, aucun des liens sur votre site ne fonctionne.
M. Nadir Allouache. Je suis désolé de l’apprendre, et un peu étonné, car je suis très attaché à ces valeurs. Je ne comprends pas pourquoi notre site ne comporte pas tous ces éléments visant à faciliter les signalements des athlètes, garçons ou filles. Dès la fin de cette audition, j’appellerai les personnes concernées – je ne gère pas le site internet, même si j’aurais peut-être dû vérifier.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lors de votre rendez-vous au ministère des sports, on ne vous a pas indiqué tous ces problèmes concernant votre site internet ?
M. Nadir Allouache. Non. Personne ne me les a signalés, et je suis surpris que mes services ne l’aient pas fait. Sachez seulement que les agents du service de la communication avaient démissionné et que d’autres personnes sont arrivées il y a deux mois. Néanmoins, cela reste une erreur des responsables – moi-même au premier chef.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Qu’en est-il du directeur technique national (DTN) ?
M. Nadir Allouache. M. Eric Lepagnot a quitté la fédération en mars dernier.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je suis très étonnée, car nous avions compris qu’il était toujours le DTN de votre fédération.
M. Nadir Allouache. Je n’ai plus de DTN depuis quelques mois. J’ai demandé au ministère qu’il y en ait un autre.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourquoi n’en avez-vous plus ?
M. Nadir Allouache. C’est géré par le ministère. J’aurais souhaité un DTN dans l’immédiat, mais cela prend du temps.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Que s’est-il passé ? Est-ce le DTN qui a choisi de partir ?
M. Nadir Allouache. Tout à fait. Il avait envie de faire autre chose.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vais vous lire un e-mail qu’il a écrit et qui explique peut-être son départ : « Bonjour à tous, le stage du groupe France muaythai vient de se terminer. Il s’est déroulé dans des conditions d’encadrement – un seul cadre présent – qui ne sont ni sérieuses ni responsables. Ceci a en effet conduit le groupe à être placé jeudi soir sous la seule responsabilité de [X] » – je ne citerai pas le prénom de la personne – « et à se gérer seul, sans aucun encadrement, pendant une partie de la journée de vendredi, et cela alors même que quelques mineurs étaient présents. N’ayant jamais vu cela, même au niveau départemental, en plus de trente-cinq ans de carrière, il va devenir difficile, dans ces conditions, d’appeler de nos vœux un comportement respectueux et exemplaire de la part de nos combattants. » Avez-vous eu connaissance de cet e-mail ?
M. Nadir Allouache. J’ai eu connaissance de cet e-mail. Depuis 2015, nous réalisons une dizaine de stages par an, voire plus, mais nous n’avions jamais rencontré ce type de difficulté. S’agissant du stage en question, trois encadrants étaient prévus, en plus du salarié de la Fédération qui est chargé d’accueillir les enfants – on va jusqu’à chercher les mineurs à la gare pour les amener directement au Creps (centre de ressources, d’expertise et de performance sportive). Ce jour-là, et je pourrai vous fournir des preuves, un des entraîneurs, qui habite à Nice, a été obligé d’emmener sa femme à l’hôpital et de rester avec elle. Il nous a appelés à la dernière minute et nous n’avons pas pu trouver quelqu’un d’autre. Quant au deuxième encadrant, qui habitait en Île-de-France, il s’est cassé le genou. Nous avons eu de la malchance ce jour-là. Je comprends très bien la colère de M. Lepagnot – il n’y avait qu’un seul encadrant –mais c’est la première fois que nous rencontrons ce problème depuis ma prise de fonctions. Par ailleurs, ce n’est pas ce qui a fait que M. Lepagnot a quitté la Fédération. Vous pourrez lui poser la question, et même le convoquer. Je pense qu’il sera heureux de vous répondre.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourquoi est-il donc parti ?
M. Nadir Allouache. Il l’a fait parce qu’il avait envie d’un changement. Les DTN peuvent faire un mandat ou plus, c’est comme ils veulent. Le prédécesseur de M. Lepagnot était resté sept ans, et celui d’avant seulement deux. Les DTN ont un contrat de deux ans : ils peuvent le renouveler, mais aussi partir.
Vous pouvez convoquer M. Lepagnot. Il n’y a aucun problème avec lui. Mais j’ai une difficulté : je me retrouve sans DTN.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Cela fait plusieurs mois. Est-ce une question que vous avez évoquée avec le ministère des sports ?
M. Nadir Allouache. Tout à fait. Il y a eu un échange d’e-mails et de SMS à ce sujet, et je me suis déplacé au ministère, qui m’a dit qu’il fallait attendre, que c’était ce qui se passait habituellement en la matière. Un appel à candidatures pour ce poste a été lancé, puis clos le 31 septembre. Nous devions avoir quelqu’un au plus tard début novembre, mais je n’ai pas encore eu de réponse du ministère. J’ai appelé le responsable ce matin même.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous dites être extrêmement présent lors des événements sportifs de votre fédération, aux quatre coins de la France et à l’international. Étiez-vous présent lors du championnat K1 rules light, en Île-de-France, le week-end du 15 octobre ?
M. Nadir Allouache. Non, j’étais en déplacement au Portugal pour assister à une réunion de la Fédération internationale. Je suis membre de son bureau exécutif.
Par ailleurs, l’organisatrice était la ligue d’Île-de-France et non la fédération. Il s’agissait d’un championnat de ligue.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pour votre information, si jamais des échos ne vous sont pas encore parvenus, de graves dysfonctionnements en matière de sécurité, concernant des enfants, ont entraîné énormément de mécontentement et des prises de position très fortes de la part des parents.
M. Nadir Allouache. C’est faux, madame la présidente. Je peux vous transmettre des e-mails envoyés par des personnes très contentes de l’organisation, y compris le maire de la ville et des responsables de clubs, notamment celui qui servait de support.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Le maire, peut-être – nous lui poserons la question –, mais j’ai reçu le témoignage suivant : « Le désordre et le non-respect des règles régnaient lors de cette compétition. Où était l’équipe de sécurité afin de garantir la sérénité du déroulement de la compétition ? Vous continuez de mettre en danger la vie de nos enfants. Compétition après compétition, vous volez l’argent au détriment de leur sécurité. »
M. Nadir Allouache. Nous avons tous eu ce témoignage, envoyé par un corbeau – les auteurs de tels messages ne les signent pas. En revanche, la fédération a reçu des e-mails signés par des clubs qui se disaient ravis, et je pourrai vous les transmettre.
M. Stéphane Mazars (RE). Vous êtes un président salarié.
M. Nadir Allouache. En effet.
M. Stéphane Mazars (RE). C’est un choix qu’on peut saluer, car un président de fédération donne beaucoup de son temps. Pourtant, ce n’est pas anodin : tous les présidents de fédération de sport ne sont pas rémunérés. Depuis quand avez-vous un contrat de travail ? Par ailleurs, qu’est-ce qui a conduit votre fédération à décider d’avoir un président salarié ?
M. Nadir Allouache. Je suis membre du comité directeur de la Fédération depuis 2011. J’ai œuvré bénévolement jusqu’à la démission de mon prédécesseur, puis pendant deux années supplémentaires. En 2017, compte tenu de mon investissement, du temps que je consacrais à la Fédération et de mon manque à gagner, nous avons décidé ensemble, le comité directeur et moi, que je serais désormais salarié. Mon contrat, que je peux vous envoyer, a été approuvé par l’assemblée générale et il est conforme aux règles en vigueur, notamment en ce qui concerne la rémunération.
M. Stéphane Mazars (RE). En tant que président, vous avez une responsabilité en cas de manquement au sein de votre fédération sur le plan éthique ou déontologique et en ce qui concerne les violences potentiellement commises.
M. Nadir Allouache. Oui, j’assume mes responsabilités en tant que président.
M. Stéphane Mazars (RE). Vous avez expliqué qu’il existait des commissions en matière d’éthique, de déontologie et de violences. J’imagine que tout doit remonter vers vous.
M. Nadir Allouache. Tout à fait. Cependant, à ma connaissance, la commission d’éthique n’a jamais été saisie.
M. Stéphane Mazars (RE). Vous avez indiqué avoir déclenché, il y a quelques jours, un article 40. Confirmez-vous que, hormis ce cas, aucun fait concernant des violences, du harcèlement ou une question éthique qui aurait nécessité, selon vous, de prendre des mesures n’est remonté jusqu’à vous ?
M. Nadir Allouache. Nous n’avons reçu aucun signalement.
M. Stéphane Buchou (RE). Sauf erreur de ma part, lorsque la question des mesures concrètes pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles vous a été posée, vous avez notamment dit qu’un lien vers la cellule Signal-sports figurait sur votre site internet. Or Mme la rapporteure a détaillé tous les dysfonctionnements de ce site.
J’ai le profond sentiment, monsieur le président, que cette audition a été mal préparée. Par ailleurs, je crains qu’elle n’ait pas d’autre sens pour vous que de répondre à des accusations portées lors d’une précédente audition. Je me permets de vous rappeler que vous êtes auditionné et que vos propos sont tenus sous serment.
En ce qui concerne la prévention et les possibilités de signalement pour les victimes, je suis très surpris qu’aucun lien ne fonctionne sur votre site internet. Vous nous indiquez que vous allez vous en occuper en urgence et vous nous renvoyez, lorsque nous vous demandons des réponses un peu précises, à vos collaborateurs ou aux présidents des différentes commissions. Cela laisse un goût amer au membre de la commission d’enquête que je suis : nous n’obtenons quasiment aucune réponse aux questions que nous vous posons. Or nous gagnerions tous à ce que vous vous montriez un peu plus loquace, monsieur le président.
M. Nadir Allouache. Nous n’avons eu aucun signalement en matière d’éthique. Nous avons traité quatre cas concernant l’honorabilité en 2022, et un cas en 2023. Les autres commissions n’ont pas reçu de signalements.
Je suis sincèrement surpris qu’il n’existe pas de lien direct sur le site de la Fédération pour permettre aux victimes de la contacter. Je sais que nous avions mis des éléments en place pour qu’on puisse nous appeler directement ou passer par Signal-sports, comme le font désormais beaucoup plus de personnes.
Les personnes du service de la communication qui ont géré ce dossier, mais qui ne sont plus chez nous aujourd’hui, se sont peut-être occupées des numéros d’urgence et ont laissé faire les clubs pour le reste, en se disant qu’un signalement passerait directement par Signal-sports. La situation me désole en tant que président, et donc responsable de la Fédération. Je me charge, je l’ai dit, d’y remédier en urgence. Il est très simple de mettre en place un numéro pour les signalements, et nous allons le faire.
Mme Claudia Rouaux (SOC). Vous présidez une petite fédération. Considérez-vous avoir des moyens suffisants pour mettre en place toutes les cellules ? Il est quand même incroyable que vous n’ayez plus de DTN.
Ne vous êtes-vous jamais interrogé sur les raisons pour lesquelles aucune plainte ne vous parvenait en matière de violences sexistes et sexuelles ? La première date de cette commission d’enquête.
Nous avons parlé des dysfonctionnements concernant l’organisation de certaines manifestations. Je suppose, par ailleurs, que la plupart des locaux que vous utilisez sont des salles privées et non des salles omnisports publiques.
M. Nadir Allouache. Si, madame la députée, nous utilisons ces salles.
Mme Claudia Rouaux (SOC). Y a-t-il des affiches relatives à la prévention des violences ?
M. Nadir Allouache. Il est vrai que nous sommes une petite fédération, de 60 000 licenciés, mais nous sommes très à l’aise financièrement : nous pourrons mettre en place les commissions nécessaires. Nous disposons d’à peu près 3 millions d’euros, alors que la Fédération était très déficitaire en 2015.
Je suis très souvent sur le terrain et j’échange beaucoup. La personne qui est venue me voir pour me parler, il y a une quinzaine de jours, l’a fait parce que je mets les gens à l’aise. J’alerte en permanence les dirigeants, les présidents de ligue et de club.
Il est vrai que notre comité directeur s’est demandé, à un moment, pourquoi la Fédération et le ministère ne recevaient aucun signalement. J’ai continué mon action, et elle a porté ses fruits : une personne s’est confiée à moi, elle a parlé de sa situation et nous avons déclenché un article 40.
Nous utilisons les gymnases de la ville de Paris et ceux des clubs supports, par exemple dans le 91, le 93 et le 94.
Mme Claudia Rouaux (SOC). S’agissant de votre signalement, avez-vous suspendu l’entraîneur ?
M. Nadir Allouache. Il ne travaille plus chez nous. Ce club, je l’ai dit, n’est plus affilié à notre fédération depuis 2017.
Mme Claudia Rouaux (SOC). Vous disposez tout de même de moyens d’action à l’égard du club. Avez-vous suspendu cet entraîneur ?
M. Nadir Allouache. Le club n’est plus chez nous. Nous ne pouvons pas retirer une licence en l’absence d’affiliation à notre fédération.
Mme Claudia Rouaux (SOC). Des entraîneurs qui ne sont pas affiliés à votre fédération entraînent donc des jeunes qui, eux, ont leur licence chez vous.
M. Nadir Allouache. Non, les faits remontent à quelques années. La jeune fille en question n’est plus dans ce club : elle l’a quitté.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous connaissance d’une pétition visant à évincer Mme Henriques du Comité national olympique et sportif français (Cnosf) ?
M. Nadir Allouache. Oui, j’ai d’ailleurs signé cette pétition.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pour quelles raisons ?
M. Nadir Allouache. Je l’ai fait à cause des dysfonctionnements dans la gestion du Cnosf, notamment sur le plan financier. Je pense que votre commission est au courant.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Qui était à l’initiative de cette pétition ?
M. Nadir Allouache. C’était un groupe de huit personnes, parmi lesquelles l’ancien président, M. Denis Masseglia.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. S’agit-il de huit fédérations ?
M. Nadir Allouache. Non, de huit membres du conseil d’administration. Il existe un procès-verbal.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourrez-vous nous le fournir ?
M. Nadir Allouache. Je ne l’ai pas en ma possession, mais le Cnosf pourra vous le communiquer.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous déjà embauché un membre de votre famille, enfant ou épouse, à temps complet ou à temps partiel ?
M. Nadir Allouache. À la Fédération, jamais.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous rémunéré des vacations pour un membre de votre famille, enfant ou épouse ?
M. Nadir Allouache. Non. Il a été dit que ma femme avait été rémunérée par la Fédération, mais c’est faux et la comptabilité pourra le prouver.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous nous dire quels sont vos liens avec M. Patrick Karam ?
M. Nadir Allouache. Ce sont ceux qui existent entre un président de fédération et le vice-président de la région Île-de-France qui gère le sport. Contrairement à ce qui se dit, je ne suis pas pote avec lui : je n’ai jamais mangé avec M. Karam ni bu un café avec lui, mais c’est quelqu’un qui fait beaucoup pour le sport.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous est-il arrivé de faire campagne pour Valérie Pécresse auprès de vos licenciés ?
M. Nadir Allouache. Jamais. Nous nous sommes tous rendus à Clichy-la-Garenne : au moins une trentaine de fédérations étaient là. Elles ont rappelé que le sport francilien était debout grâce aux moyens mis en place par la région Île-de-France, mais à aucun moment nous n’avons appelé à voter pour Valérie Pécresse. En tout cas, je n’ai jamais fait un écrit en ce sens.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’ai des messages que vous avez échangés avec M. Karam. Je vais vous les lire : « Nadir, je te confirme la réunion avec le mouvement sportif francilien le samedi 12 juin au parc Roger-Salengro de Clichy-la-Garenne, à dix heures et demie, avec Valérie Pécresse et moi-même. Valérie fera des annonces très fortes pour le sport, notamment pour les clubs. » Vous avez ensuite envoyé ce message : « Bonjour à toutes et à tous. N’oubliez pas ce rendez-vous très important. Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, va annoncer des choses très intéressantes à nos licenciés. Je compte sur votre présence. » Vous avez joint une affiche.
M. Nadir Allouache. À aucun moment je n’ai invité à voter pour Valérie Pécresse. Un échange a eu lieu entre M. Karam et moi, comme avec tous les présidents de fédérations. Au moins une trentaine d’entre elles étaient représentées à la réunion : il n’y avait pas que nous, et des annonces intéressantes pour le mouvement sportif ont été faites.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Conformément à la loi, votre fédération a institué en son sein un comité d’éthique. La charte d’éthique et de déontologie de la Fédération prévoit que les cinq membres du comité sont nommés par le comité directeur de la Fédération sur proposition de son président, c’est-à-dire vous. Pensez-vous que cette nomination soit à même de fournir au comité d’éthique toutes les garanties d’indépendance ?
M. Nadir Allouache. Bien sûr. Toutes les commissions sont indépendantes, dont la commission de discipline.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous en nommez les cinq membres.
M. Nadir Allouache. Les personnes présentent leur candidature, que je valide. Il est important d’étudier le profil des personnes qui se présentent.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il est indiqué que « les cinq membres du comité sont nommés par le comité directeur de la fédération sur proposition de son président ». Ainsi, vous êtes celui qui propose les noms.
M. Nadir Allouache. Des candidats se présentent, nous étudions le profil des uns et des autres, puis nous nous efforçons de nommer les personnes qui sont capables de gérer les commissions. Ensuite, le comité directeur valide. Il en a toujours été ainsi.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La charte d’éthique et de déontologie prévoit que le président de la Fédération peut assister au débat. Concevez-vous que la présence du président de la Fédération puisse créer un doute légitime sur l’impartialité des travaux du comité d’éthique ?
M. Nadir Allouache. Je ne le pense pas. Dans ce domaine, nous allons tous dans le même sens. Par ailleurs, je n’ai jamais assisté à une telle réunion : nous n’avons jamais reçu de signalement. Si vous souhaitez que le président ne soit pas présent, cela ne pose pas de problème.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je ne souhaite rien du tout. Dans la charte, vous écrivez que « compte tenu des missions du comité, il est nécessaire de veiller à l’indépendance de celui-ci par rapport aux instances dirigeantes de la Fédération, tant dans sa composition que dans son fonctionnement ». Ne pensez-vous pas que votre présence remet en cause l’impartialité ?
M. Nadir Allouache. Je ne peux pas vous répondre par « oui » ou par « non ». Je dirai simplement que nos commissions sont souveraines et que le président n’interfère pas. Qui plus est, il n’est pas obligatoirement présent : il peut être invité à assister à la réunion.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Sur le site, nous n’avons trouvé aucun compte rendu ou bilan d’activité du comité d’éthique. Combien de fois s’est-il réuni depuis sa création ?
M. Nadir Allouache. Il s’est réuni deux ou trois fois. Cependant, est-il nécessaire de l’indiquer sur le site ?
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourrez-vous nous envoyer les comptes rendus du comité d’éthique ?
M. Nadir Allouache. Bien sûr.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La commission a été informée que la Fédération faisait actuellement l’objet d’une mission de contrôle de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche. Sur quel type de faits porte cette mission ?
M. Nadir Allouache. Chaque année, le ministère choisit quelques fédérations à inspecter. Cette fois, nous avons été choisis. Il me semble qu’une autre inspection a eu lieu en 2011, année durant laquelle je ne faisais pas partie du comité directeur.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quand a eu lieu la dernière mission de contrôle de l’Inspection générale ?
M. Nadir Allouache. En 2011.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. M. Molina a mis en cause M. Serge Castello, membre du bureau exécutif de la FFKMDA, qui en est aussi le président délégué et le référent honorabilité. M. Castello, commissaire divisionnaire et ancien directeur territorial de la sécurité de proximité de la Seine-Saint-Denis, est actuellement directeur de la sûreté du groupe Transdev. Selon les informations qui nous ont été transmises, M. Castello serait intervenu à votre demande auprès d’un commissariat pour mettre fin à la garde à vue d’un licencié proche de vous dans une affaire de contrebande de parfum. Avez-vous demandé à M. Castello de procéder à un appel téléphonique ? Que savez-vous de cette affaire ?
M. Nadir Allouache. C’est faux. La seule personne habilitée à lever une garde à vue est le procureur de la République. Je n’ai jamais appelé M. Castello pour lui demander de faire lever une garde à vue et je n’étais pas au courant de cette affaire. J’espère que la justice fera son travail. Par ailleurs, M. Castello pourra répondre à vos questions.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. M. Castello aurait bloqué la demande de nationalité française d’un ancien salarié de la FFKMDA, mais lui aurait proposé une aide pour l’obtention de papiers en échange d’un versement d’argent. Cela se serait passé dans le cadre d’un trafic de faux papiers à la préfecture de Nanterre. Avez-vous eu connaissance de tels faits ?
M. Nadir Allouache. J’aimerais bien savoir qui est ce salarié. M. Castello n’a pas le pouvoir de bloquer quoi que ce soit puisqu’il ne travaille pas à la préfecture. Il s’agit donc d’un tissu de mensonges et de calomnies. Si cette personne est salariée par la Fédération, j’aimerais qu’elle porte plainte.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. De graves accusations portant sur la gouvernance financière de la Fédération ont été formulées auprès de la commission d’enquête – des budgets de compétitions sportives anormalement élevés, des subventions mal estimées ou encore un détournement de voitures de fonction au profit de membres de votre famille. Avez-vous des réponses à apporter sur ces différents points ? Pouvez-vous aussi revenir sur un voyage en Thaïlande qui aurait coûté, en 2014, 65 000 euros à la Fédération au lieu des 5 000 euros initialement prévus ?
M. Nadir Allouache. Ces propos concernant les budgets de la Fédération sont faux, madame la rapporteure, comme le prouvera notre comptabilité. Un budget est toujours prévu pour les compétitions fédérales, mais il y a parfois des variations.
Vous évoquez un voyage en Thaïlande qui aurait coûté, en 2014, 65 000 euros et non 5 000. Permettez-moi de vous dire que je n’étais pas le président de la Fédération à cette époque. La question doit être posée à mon prédécesseur, mais je ne pense pas que le montant cité soit exact.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Étiez-vous présent lors de ce voyage ?
M. Nadir Allouache. Oui, avec quarante-cinq autres membres de la Fédération. Nous sommes allés faire des stages d’arbitrage, et les athlètes ont boxé.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. On nous a indiqué que le comité directeur était passé à dix-sept membres au moment de la démission de votre prédécesseur, c’est-à-dire à un effectif inférieur au minimum requis selon les statuts. Le DTN aurait dû informer le ministère des sports et la Fédération aurait dû être placée sous tutelle jusqu’à ce qu’un nouveau comité directeur soit formé. Cela s’est-il passé ainsi ?
M. Nadir Allouache. Je suis surpris par cette question. Lors de la démission de mon prédécesseur, le comité directeur était au complet : il n’y a pas eu d’autres démissions à ce moment-là. Elles ont eu lieu juste après, et nous avons procédé à un renouvellement. En cas de dépassement d’un certain seuil, les statuts demandent un nouvel appel à candidatures. Je suis d’ailleurs un peu étonné qu’il n’y ait pas eu de recours à ce sujet.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. C’est justement le sens de ma question. Si je comprends bien, c’est après votre élection que des démissions et des départs ont eu lieu et que vous êtes descendus sous le seuil prévu.
M. Nadir Allouache. Si les effectifs descendent en dessous d’un certain seuil, on est obligé de faire un appel à candidatures. Lorsque nous avons fait une élection, au départ de M. Elkaim, le comité directeur était au grand complet.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quel est le niveau du seuil ?
M. Nadir Allouache. À l’époque, je crois qu’il était fixé à vingt-trois personnes, mais je m’en souviens mal. Il existe un procès-verbal.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous pourrez donc nous le transmettre.
M. Nadir Allouache. J’espère le retrouver, car nous avons déménagé entre-temps.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Plusieurs accusations de violences physiques et verbales, notamment en marge des Capital Fights de 2023 à Bagnolet, à l’encontre d’un dirigeant d’un club de Sarcelles, ont été portées à notre connaissance. Vous êtes-vous rendu coupable de tels actes ? Avez-vous déposé des plaintes en diffamation pour contester ces accusations ?
M. Nadir Allouache. J’ai déposé plainte pour diffamation contre le youtubeur en question. S’agissant des personnes que vous évoquez, je n’ai pas reçu de convocation du commissariat.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quels sont les liens des instances dirigeantes de la FFKMDA avec la Thaïlande ? Une affaire de chantage sexuel à l’encontre d’un ancien DTN de la fédération, M. Albert Pernet, sur la base d’éléments filmés en Thaïlande, a été évoquée devant notre commission. Que savez-vous de cette affaire ?
M. Nadir Allouache. J’en ai entendu parler sur les réseaux sociaux. Tout est faux. Je peux vous dire que M. Albert Pernet n’a jamais fait l’objet de tels agissements à l’occasion de soirées festives ou autres. Notre fédération n’a ni filmé ce cadre d’État ni pris de photos compromettantes de lui. Nous n’avons rien de tel, et je sais que je m’exprime sous serment.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. M. Jean-Bernard Sautron, président de la ligue de kickboxing et muaythai de La Réunion, aurait été révoqué par la commission disciplinaire de la FFKMDA en septembre 2022. Le confirmez-vous ? Le cas échéant, quelles sont à votre connaissance les raisons de cette décision ?
M. Nadir Allouache. J’ai préparé quelques éléments. La ligue de La Réunion a connu des ingérences, dans le cadre d’une procédure disciplinaire et d’une demande de nouvelles élections. Le tribunal administratif a été saisi.
L’ancien président, M. Sautron, a délivré des titres sans en aviser la Fédération, ce qui est contraire au règlement. La commission de discipline s’est prononcée : M. Sautron a été démis de ses fonctions de président, puisqu’il avait enfreint les règles de la Fédération. Par ailleurs, il a été condamné par le tribunal administratif.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En septembre 2022, l’élection du président par intérim de la ligue réunionnaise, M. Madi Ahamed, a été invalidée par le bureau exécutif de la FFKMDA. Deux autres élections ont ensuite été invalidées. Pouvez-vous nous expliquer pour quelles raisons ?
Vous auriez été contacté par M. Ahamed à propos de la gestion de ce dossier, mais vous ne lui auriez pas répondu. La secrétaire générale et le trésorier de la ligue vous auraient également contacté pour réclamer un changement de référent au sein du bureau exécutif, sans obtenir de réponse. Que savez-vous de cette affaire ?
M. Nadir Allouache. L’élection de M. Ahamed était irrégulière. Une pétition a été signée par des clubs, et des membres du comité directeur de la ligue nous ont fourni des éléments de preuve. Nous avons fait appel à la commission disciplinaire, qui a statué. Je ne peux pas vous communiquer plus d’informations puisqu’une procédure est en cours auprès du tribunal administratif.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. On nous a indiqué que M. Ahamed avait tenté de vous contacter, mais n’avait pas obtenu de réponse, pas plus que la secrétaire générale et le trésorier. Avez-vous eu connaissance de leurs sollicitations ?
M. Nadir Allouache. Je me suis entretenu de vive voix avec la secrétaire générale à Goussainville, pendant les championnats, et j’ai parlé plusieurs fois au téléphone avec M. Ahamed. Je leur ai expliqué que des irrégularités avaient été commises et que je ne pouvais pas les cautionner en tant que président de la Fédération.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Apparemment, des élections n’ont toujours pas eu lieu à la ligue réunionnaise. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?
M. Nadir Allouache. Si, des élections ont eu lieu : la ligue a un nouveau président et un nouveau comité directeur, qui fonctionne selon les règles.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quand s’est tenue l’élection ?
M. Nadir Allouache. C’était au moment où la commission de discipline s’est réunie – durant l’été 2023, il me semble. Je pourrai vous envoyer des éléments.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En août 2023, vingt-huit clubs de l’île de La Réunion ont signé une pétition réclamant l’organisation d’élections. M. Giovanni Patissier, président de l’Elite Fight Club et porte-parole du collectif, vous a écrit une lettre le 25 août. Lui avez-vous répondu ?
M. Nadir Allouache. Non, mais un vice-président s’est chargé de ce dossier. Je ne peux pas répondre à tous les clubs, compte tenu de ma charge de travail au sein de la Fédération.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. S’agit-il de M. Santero ? Pourrez-vous nous envoyer le courrier en question ?
M. Nadir Allouache. Tout à fait, vous êtes bien informée. Je vous communiquerai tous les échanges d’e-mails.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Dans le courant de l’année 2022, M. Patrice Santero aurait demandé au bureau exécutif de cette ligue de ne pas se servir de ses finances. Il aurait également demandé à M. Stéphane Singa, responsable du service des sports de la région, de réattribuer à la Fédération les crédits d’une subvention – 12 000 euros versés à un club de l’île. Avez-vous eu connaissance de ces faits ?
M. Nadir Allouache. Je laisserai notre vice-président vous répondre au sujet de la demande de transfert de crédits.
L’organisation d’un gala privé par un club et la demande d’une subvention par la ligue m’ont paru un peu incohérentes et nous avons souhaité mener des recherches. M. Santero s’est chargé de ce dossier.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Qu’en est-il résulté ?
M. Nadir Allouache. Il s’est avéré que le gala était organisé par le frère de M. Ahamed, qui a fait des virements au moment où la commission disciplinaire a statué sur ses fonctions de président.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Où sont les 12 000 euros ?
M. Nadir Allouache. Le montant s’élève plutôt à 9 000 euros. Nous avons demandé au comptable de la ligue de La Réunion de nous envoyer les comptes rendus et les bilans, mais il nous a répondu qu’il n’était pas en mesure de le faire, car il n’avait pas été payé. La Fédération a proposé de s’en occuper, mais il ne nous a jamais transmis les éléments. Ce n’est pas facile pour nous, mais je ne peux pas, en tant que président de fédération, laisser faire ces irrégularités.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je reviens sur les élections à La Réunion : il nous faudrait vraiment des dates. Nous avons eu connaissance d’e-mails échangés au mois de juillet, dont cette réponse de votre part : « La Fédération est fermée pour congés annuels à partir du 28 juillet 2023 et nous reviendrons vers vous lors de la rentrée sportive » – vous aviez alors reçu une demande concernant l’organisation d’élections. À quel moment celles-ci ont-elles eu lieu ? Vous avez évoqué l’été 2023, mais visiblement aucune élection n’avait été organisée en août.
M. Nadir Allouache. Les élections se sont tenues durant l’été. Je ne pourrai pas vous dire exactement quand, mais je vous enverrai le procès-verbal qui a été établi. Lorsque nous avons reçu le courrier que vous évoquez, la Fédération était fermée, c’est vrai – nous étions, le personnel et moi-même, en vacances.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Un courrier datant du 25 août 2023 renouvelait une demande de réunion de l’assemblée générale en vue de l’organisation de nouvelles élections. Elles n’avaient donc pas encore eu lieu.
M. Nadir Allouache. Elles se sont tenues bien avant ce courrier, mais une nouvelle demande a été faite par des personnes qui estimaient qu’elles s’étaient déroulées dans des conditions irrégulières.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je lis que « ce collectif a fait part de notre demande au président, M. Nadir Allouache, dans un courrier du 24 juillet ». S’agissait-il déjà d’une demande d’organisation de nouvelles élections ?
M. Nadir Allouache. Non, il y a eu un désaccord avec l’élection du président actuel, mais la ligue de La Réunion est souveraine et ses responsables ont été élus conformément aux règles. La Fédération ne peut pas les destituer dans le but qu’une nouvelle élection ait lieu.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Que s’est-il passé entre septembre 2022 et juillet 2023 ? À quel moment une élection a-t-elle été organisée ?
M. Nadir Allouache. À la suite de l’erreur commise par M. Sautron, la commission de discipline a décidé de le démettre de ses fonctions. Un membre du comité directeur et d’autres personnes autour de lui ont assuré l’intérim, puis ont organisé des élections qui n’étaient pas conformes aux règles. Après vérification, nous avons demandé la tenue d’une nouvelle élection. Elle a eu lieu : un nouveau président et un nouveau comité directeur sont en place.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. À quel moment l’élection a-t-elle eu lieu ?
M. Nadir Allouache. Je n’ai pas la date exacte, mais je demanderai à la ligue de La Réunion de m’envoyer le procès-verbal, que je vous ferai parvenir.
Ensuite, des clubs ont soi-disant signé une pétition, mais d’autres personnes que celles qui s’opposent à l’élection n’ont pas signé cette pétition au sein des mêmes clubs. La situation au sein de la ligue n’est pas simple, mais nous essayons de la gérer.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Ce dossier a-t-il fait l’objet d’échanges avec le ministère des sports ? Si oui, quelle en a été la teneur ?
M. Nadir Allouache. Oui, nous avons échangé à ce sujet : j’ai expliqué la situation. Les opposants à la dernière élection ont envoyé un courrier au ministère pour faire part de leur mécontentement au sujet du respect des règles et nous avons répondu au ministère.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Les échanges ont-ils eu lieu par écrit ?
M. Nadir Allouache. Il y a eu un écrit venant de La Réunion. Pour ma part, j’ai échangé avec le ministère en présentiel.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Qui avez-vous rencontré et à quel moment ?
M. Nadir Allouache. J’ai vu M. Quénéhervé, qui était en poste avant Mme Bourdais.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. À quelle date ?
M. Nadir Allouache. Je ne peux pas vous le dire, mais je vous enverrai le procès-verbal.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous eu cette rencontre au ministère pour évoquer spécifiquement le cas de la ligue de La Réunion ?
M. Nadir Allouache. Non, il s’agissait de discuter du développement de la Fédération et des cadres d’État, mais le ministère a aussi évoqué ce sujet. Nous n’avions pas connaissance du courrier envoyé par la ligue de La Réunion.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. On nous a fait part d’un incident qui aurait eu lieu lors du championnat de kickboxing light, qui s’est tenu du 13 au 15 octobre 2023. Cela vous dit-il quelque chose ?
M. Nadir Allouache. De quel incident s’agit-il, madame la rapporteure ?
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il s’agit de menaces avec arme à feu de la part d’un dirigeant de club à l’encontre d’un autre dirigeant en présence de parents et de jeunes athlètes.
M. Nadir Allouache. Je ne suis pas au courant de cette grave accusation.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. C’était lors du championnat de kickboxing light.
M. Nadir Allouache. Voulez-vous dire le kick light, pour les enfants ?
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je pense que c’était pendant le championnat auquel Mme la présidente a fait référence tout à l’heure.
M. Nadir Allouache. Comme je vous l’ai expliqué, j’étais au Portugal pour une réunion de la Fédération internationale. On ne m’a jamais fait part de cette question.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Merci, monsieur Allouache. N’oubliez pas de nous transmettre tous les documents dont nous avons parlé. S’il nous manque d’autres informations, nous vous le dirons. De votre côté, si vous avez d’autres éléments à nous communiquer en complément, n’hésitez pas à le faire.
La séance s’achève à dix-huit heures trente-cinq.
Présents. – Mme Béatrice Bellamy, M. Andy Kerbrat, Mme Pascale Martin, M. Stéphane Mazars, M. François Piquemal, Mme Claudia Rouaux, Mme Sabrina Sebaihi