Compte rendu
Commission d’enquête relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif ayant délégation de service public
– Audition, ouverte à la presse, de M. Laurent Mauduit, journaliste à Mediapart 2
– Audition, ouverte à la presse, de M. Éric Thomas, président de l’Association française de football amateur (AFFA) – (en visioconférence) 10
– Audition, ouverte à la presse, de M. Gilles Sézionale, président de la Fédération française de natation, et de M. Laurent Ciubini, directeur général 17
– Audition, ouverte à la presse, de M. André Giraud, président de la Fédération française d’athlétisme (FFA), et de Mme Souäd Rochdi, directrice générale 30
– Présences en réunion................................49
Mardi
21 novembre 2023
Séance de 13 heures 30
Compte rendu n° 47
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
Mme Béatrice Bellamy,
Présidente
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La séance est ouverte à treize heures trente.
La commission auditionne M. Laurent Mauduit, journaliste à Mediapart.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Chers collègues, nous accueillons à présent M. Laurent Mauduit journaliste à Mediapart. Monsieur, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions après une première audition de messieurs Arfi et Hajdenberg.
Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête le 20 juillet 2023. Nos travaux portent sur trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les atteintes à la probité.
Vous êtes l’un des fondateurs de Mediapart où vous vous consacrez à la corruption, aux abus de pouvoir ou encore aux dysfonctionnements au sein des institutions, des entreprises et des organisations, y compris des fédérations sportives. Nos travaux montrent le rôle majeur que jouent les médias pour briser l’omerta et faire évoluer les pouvoirs publics et les acteurs du monde sportif sur les sujets qui intéressent notre commission.
Le 7 février 2023, vous avez dénoncé certains dysfonctionnements dans la gouvernance de la Fédération française de tennis (FFT). Pouvez-vous revenir sur cette enquête et ce que vous avez appris depuis ? Vous avez également suivi et commenté les travaux de notre commission le week-end dernier encore, s’agissant de l’audition du président de la Fédération française de rugby. Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir revenir sur les observations que vous inspirent les informations qui nous ont été communiquées publiquement au cours de ces auditions.
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure. »
(M. Laurent Mauduit prête serment).
M. Laurent Mauduit, journaliste à Mediapart. Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, je vous sais gré de me recevoir. En tant que journaliste d’investigation, mon métier consiste à révéler des informations d’intérêt public. Depuis 2016, j’ai notamment beaucoup travaillé sur les dysfonctionnements de la Fédération française de tennis (FFT) afin d’éclairer le débat public, les citoyens et les élus. Dans un souci de transparence, je vous indique que je suis par ailleurs co-président d’un petit club de tennis, mais je ne participe à aucun débat départemental, régional ou fédéral, pour rester libre de ma plume.
Au terme de mes investigations, j’ai le sentiment que depuis très longtemps, sans doute une trentaine d’années, la FFT traverse une crise morale et éthique grave sans que la puissance publique ne s’en soit occupée. La Fédération a ainsi été affectée par des dysfonctionnements innombrables. Les premiers remontent à la présidence de Christian Bîmes, qui s’est étendue de 1993 à 2009 et dont l’épilogue a été une condamnation le 9 juillet 2009 à cinq mois de prison avec sursis et 30 000 euros d’amende pour prise illégale d’intérêts. À cette occasion, l’avocat des plaignants, M.e Versini-Campinchi, avait dit de lui à l’audience qu’il était « un véritable pilleur de troncs ». Christian Bîmes maniait un mélange des genres permanent, illustré notamment par l’entreprise de son épouse qui fournissait des hôtesses pour Roland-Garros.
L’autre grande affaire qui a marqué les présidences suivantes et sur laquelle j’ai commencé à enquêter a débuté en 2016, date à laquelle j’ai mis la main, grâce à une source, sur un rapport de l’inspection générale de la jeunesse et des sports. J’avais d’ailleurs inséré un lien pour télécharger ce rapport au sein de l’article que j’avais publié à l’époque sur Mediapart. Ce rapport, rédigé par deux inspecteurs généraux de la jeunesse et des sports, pointait des dysfonctionnements gravissimes au sein de la Fédération française de tennis, révélant notamment un trafic de billets. Ainsi, certains billets étaient détournés et revendus jusqu’à trente fois leur prix. Les deux rapporteurs soulignaient également des « manquements à l’éthique et à la probité ». Enfin, ces dysfonctionnements se caractérisaient également par un « pacte de silence ». En effet, au sein de la direction de la Fédération française de tennis, certains étaient coupables de ces manquements à la loi ; d’autres l’ont appris et ils ont décidé ensemble de n’en rien dire et de ne pas effectuer un signalement au procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale.
En outre, la puissance publique a été défaillante en 2016, puisque ni le chef de l’inspection générale de la jeunesse et des sports ni le ministre des sports de l’époque n’ont fait jouer l’article 40, obligeant les deux inspecteurs, sous leur seule responsabilité, à activer cette procédure en signalant les faits au parquet et en évoquant la possibilité de délits pénaux afférents. Sur la base de ce signalement courageux des deux inspecteurs, le parquet national financier (PNF) a décidé en mars 2016 d’ouvrir une enquête préliminaire, qui n’est toujours pas close à l’heure actuelle. J’ai régulièrement pris contact avec le procureur chargé de la communication et aux dernières nouvelles, il y a deux mois, le PNF se demandait s’il n’allait pas ouvrir le dossier aux parties, pour éventuellement prendre une ordonnance de renvoi en correctionnelle. Par conséquent, les prédécesseurs de Gilles Moretton pourraient être concernés par des soupçons graves d’atteinte à la probité. Une autre affaire très récente, dont les médias n’ont pas parlé, concerne une procédure engagée contre Bastien Laurichesse, le directeur des relations publiques de la FFT à l’époque, pour faute grave et revente de billets de Roland-Garros à des sociétés écrans. En résumé, de nombreuses affaires sont intervenues.
La dernière et la plus importante, celle qui vous préoccupe, a trait à la nouvelle enquête ouverte par le parquet national financier. À l’origine de celle-ci figure une plainte de sept dirigeants ou anciens dirigeants de la Fédération française de tennis. Dans les semaines qui ont suivi, j’ai produit un nouvel article indiquant que les reventes de billets n’ont pas seulement eu lieu en 2019-2020, mais qu’elles se sont poursuivies en 2022 et 2023. À la suite de cet article, les plaignants ont effectué un complément de plainte auprès du PNF.
Lors de son audition par votre commission d’enquête, en réponse à la question d’un député, Gilles Moretton a affirmé qu’il n’y avait pas de revente de billets. Il a prétexté que les ligues régionales avaient à leur disposition un certain nombre de billets et qu’elles agissaient toutes de la même manière que lui, lorsqu’il présidait la ligue Auvergne-Rhône-Alpes. D’après les plaignants, ce récit est erroné. Dans le détail, la plainte met en lumière deux fautes possibles. La première concerne le trafic et la revente de billets, quand la seconde dénonce une corruption. Il est nécessaire de s’attarder sur les deux soupçons.
La découverte d’une possible revente illégale de billets a eu lieu de manière fortuite. L’une des sociétés avec lesquelles Gilles Moretton, alors président de la ligue Auvergne-Rhône-Alpes, avait passé un accord est la société d’intérim Adéquat. Cette société diffuse d’ailleurs en ligne sur son site internet l’accord de partenariat passé avec la ligue Auvergne-Rhône-Alpes. Il y a bien eu revente de billets, puisque dans le langage de FFT, il s’agit de « billets packagés ». En résumé, la ligue d’Auvergne-Rhône-Alpes a offert à cette société Adéquat des billets et la possibilité de recevoir ses clients au sein du restaurant de Roland-Garros, qui s’appelle « Le Roland-Garros ». Parmi les prestations figurait également la présence de Gilles Moretton à ces différents rassemblements de clients. D’après les plaignants, ceci contrevient totalement aux conditions générales de vente.
Lorsque l’ancien président de la FFT, Bernard Giudicelli, a découvert ces faits, il a saisi la commission des litiges et demandé un audit des pratiques irrégulières ou illégales conduites par les différentes ligues en France. Les différents documents sont en ligne sur le site de Mediapart, mais je pourrai également les fournir au secrétariat de la commission. Le rapport d’audit réalisé par la direction financière de la FFT étudie les différentes irrégularités, maladresses ou pratiques illégales et il mentionne les éléments suivants : le non-respect des conditions générales de vente 72 et 109 des règlements administratifs et des droits d’exploitation de la Fédération française de tennis, ainsi que la revente de billets de Roland-Garros et de prestations de restauration par la ligue à des sociétés partenaires, via l’établissement d’un contrat contrepartie à Roland-Garros. Ce rapport d’audit précise bien que pour ce manquement une seule ligue était concernée. Il s’agissait de la ligue alors dirigée par Gilles Moretton. Par ailleurs, d’autres manquements ont été découverts concernant le comité de Paris, l’une des instances très puissantes dans la vie interne de la Fédération. Ce comité a longtemps été dirigé par Hughes Cavallin, qui a ensuite passé le relais à M. Barrière. M. Cavallin, qui était également à l’époque le trésorier de la FFT, est par ailleurs l’époux d’Agnès Bourguignon, laquelle détient une agence. À l’époque, il a été découvert que celle-ci vendait des billets alors qu’elle n’était pas une agence agréée et que ces billets lui avaient été fournis par le Comité de Paris.
L’ancien président Bernard Giudicelli ayant saisi la commission des litiges, les instances dirigeantes de la Fédération ont ressenti une certaine inquiétude. C’est ici que la seconde étape intervient : au-delà d’un possible détournement de billets, les plaignants pointent un éventuel pacte corruptif. Je me propose de vous détailler l’enchaînement des faits : M. Cavallin, inquiet des avancées de la commission des litiges, a changé de camp lors de la campagne alors en cours pour l’élection du nouveau président de la FFT. Il a ainsi abandonné le camp de M. Giudicelli pour rejoindre celui de M. Moretton. Ce transfert a d’ailleurs assez largement favorisé la victoire de M. Moretton.
Dans les jours qui ont suivi cette victoire, un premier comité exécutif a décidé, de manière spectaculaire, l’arrêt de la saisine de la commission des litiges. Il a « passé l’éponge ». Ici, nous retombons en quelque sorte sur le pacte de silence dénoncé en 2016 par les inspecteurs généraux de la jeunesse et des sports. Cette décision a été votée à l’unanimité des membres du comité exécutif, dont Mme Amélie Oudéa-Castéra. Dans le même mouvement, M. Barrière a été promu trésorier du nouveau président et M. Cavallin nommé directeur de cabinet de M. Moretton, poste qui n’existait pas au préalable. Les plaignants estiment donc qu’il y a eu une forme de remerciement pour services rendus ou échange de bons procédés.
En résumé, ces dernières affaires portent sur un possible trafic de billets en 2019 et 2020. De mon côté, j’ai révélé la plainte et j’ai continué à essayer d’enquêter pour voir si ces éventuelles pratiques contestables n’avaient pas perduré. Après ce dépôt de plainte, j’ai publié le 27 mai 2023 un nouvel article intitulé « Roland-Garros : rebondissement dans l’affaire des billets », dans lequel je dis avoir découvert l’existence d’une revente de billets sans doute illégale en 2022 et 2023. Dans cet article, j’ai ainsi raconté que la société AS Events, dirigée par Mme Bourguignon, l’épouse de M. Cavallin, directeur de cabinet de M. Moretton, a commercialisé des billets alors qu’elle n’est pas une agence agréée et qu’elle n’a donc pas le droit légal de le faire. J’ai même précisé dans mon article le nom de certaines des sociétés qui ont acheté les loges.
J’ai reçu une confirmation assez étonnante de la véracité des faits que je rapporte. Par respect du contradictoire, j’ai en effet interrogé Mme Bourguignon. Vous trouverez sur Mediapart la réponse qu’elle a donnée aux questions que je lui avais soumises et que je vous livre : « Nous comprenons dans votre mail que vous avez eu accès à la comptabilité de notre entreprise. De deux choses l’une : soit ces données vous ont été remises par quelqu’un de chez nous, ce dont nous doutons fortement ; soit ils ont été dérobés ? » Je passe sur la méchanceté et la calomnie des propos : Mediapart ne vole jamais rien. Quoi qu’il en soit, cette réponse est une confirmation implicite du fait que ces données proviennent de la comptabilité de son entreprise.
À la suite de cet article, les plaignants ont rédigé un complément de plainte adressé au PNF. M. Moretton vous a indiqué que l’affaire s’était achevée et vous a lu des extraits de l’ordonnance de non-lieu. Or, le 24 juillet dernier, j’ai révélé l’existence d’une procédure tout à fait exceptionnelle. Quand le parquet rend une décision de non-lieu, les plaignants peuvent faire un recours auprès du parquet général. Me Versini-Campinchi a agi de la sorte ; le parquet général a fait droit à ce recours et a donné instruction au PNF d’ouvrir une enquête préliminaire. À la suite de mon article, toute la presse s’en est fait l’écho. Le Parisien a ainsi titré « Tennis : soupçons de détournement à la FFT, le parquet demande une enquête préliminaire ». Dans cet article, Me Alain Jakubowicz, avocat de M. Moretton commente la décision ; il était donc totalement informé. Dans un article ultérieur, Le Monde a également confirmé que l’enquête préliminaire était engagée.
En résumé, depuis trente ans, les soupçons sont les mêmes et ces affaires donnent le sentiment que la puissance publique n’a pas agi. Ce manque d’appui de la puissance publique est d’autant plus grave que dans une petite communauté comme celle d’une fédération sportive, des pressions interviennent lorsqu’une plainte est déposée. Parmi celles-ci, je souhaite vous livrer un exemple. Parmi les plaignants figurait un ancien président de ligue, qui voulait adhérer spontanément à l’amicale des anciens présidents de ligue, dont le siège est à Roland-Garros. Il a reçu une stupéfiante réponse de la part du président de cette amicale : « Deux faits ont été portés à notre connaissance, dont des relations qualifiées de conflictuelles avec les dirigeants fédéraux actuels. Considérant ces deux informations et la nature de l’association de l’amicale, le bureau à l’unanimité a décidé de surseoir à l’agrément jusqu’à sa prochaine réunion. Cette période probatoire devrait te permettre de nous donner toutes les assurances quant au comportement que tu devras adopter dans ton attitude vis-à-vis des dirigeants fédéraux, ce qui constitue un préalable à ton éventuelle admission. » Cet exemple est illustratif d’un petit microcosme qui se défend et qui se protège.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Comment expliquez-vous l’absence de réaction de la puissance publique ?
M. Laurent Mauduit. Je ne m’explique pas cette inertie, alors que les faits sont connus. À la suite d’une dénonciation anonyme, les inspecteurs de la jeunesse et des sports ont mené leur enquête. Celle-ci a abouti au rapport de 2016, qui est formidablement précis, détaillé et documenté. Le ministre de l’époque, M. Kanner, pourtant dûment informé, n’a pas fait jouer l’article 40 du code de procédure pénale et n’a pas averti le parquet.
Dans le cas présent, je ne peux faire que des hypothèses, mais je trouve curieux que la puissance publique n’ait pas agi. Vous le savez, Mme Amélie Oudéa-Castéra fait l’objet, compte tenu de son passé à la FFT, d’un arrêté de déport signé par la Première ministre. Dès lors, la tutelle de la Fédération française de tennis est exercée par Matignon. De manière assez logique, nous pouvons concevoir que dans l’époque très tourmentée que nous vivons, la Première ministre a d’autres soucis à gérer que les petites turbulences de la FFT, qui n’en demeurent pas moins graves sur le plan éthique et moral. L’inspection générale la jeunesse et des sports n’a donc pas été saisie.
Un autre aspect doit également être évoqué ; il concerne la crise sociale que traverse la Fédération française de tennis. Depuis l’arrivée de Gilles Moretton à sa tête, la Fédération a connu 140 départs sur les quelque 400 salariés qu’elle comporte. Tous ne s’expliquent pas par la gouvernance mise en place. Certains salariés ont quitté la Fédération de leur propre initiative, notamment pour rejoindre le Comité d’organisation des Jeux olympiques de Paris 2024. Cependant, un climat oppressant pèse sur la FFT et la plupart des directions ont été décapitées, y compris des directions décisives. Il y a un peu plus de deux ans, un grand désordre est intervenu à l’occasion d’une session nocturne du tournoi de Roland-Garros. Le responsable de la sécurité avait été prié de quitter son poste et la jeune personne qui avait pris sa succession ne disposait pas de liens bien établis avec la police pour organiser la sortie des spectateurs à deux heures du matin.
De même, un droit d’alerte a été lancé par le comité social et économique de la Fédération sur deux signalements de harcèlement moral. Gilles Moretton a refusé la demande du comité social et économique (CSE) concernant un audit externe pour apprécier la situation sociale des salariés et a décidé qu’une petite commission de deux personnes mènerait l’audit : le directeur des ressources humaines (DRH) et un membre du CSE. Or ce DRH de la FFT a été nommé à ce poste par la directrice générale, qui était précisément visée par les signalements pour harcèlement. Cette commission a abouti à une pantalonnade, l’audit n’a rien donné et aucune action n’a été mise en œuvre.
Seul le comité d’éthique de la Fédération a réagi en indiquant : « Certes, la directrice générale [Mme Flaissier] n’a été à aucun moment associée à la procédure. Néanmoins cette dernière a été visée par l’alerte. La conduite de l’enquête par deux salariés de la Fédération dont l’un occupe des fonctions de direction sous son pouvoir hiérarchique immédiat interroge à tout le moins l’apparence d’impartialité de la procédure conduite. »
Si j’ai bonne mémoire, la ministre des sports, Mme Amélie Oudéa-Castéra a simultanément diligenté des inspections du travail au sein du groupement d’intérêt public de France Rugby 2023. Pourquoi l’inspection du travail a-t-elle été dépêchée dans un cas, mais pas dans l’autre ? Sans pouvoir la documenter, l’intention assez logique laisse imaginer que la puissance publique n’a sans doute pas voulu importuner la ministre. Je ne me prononce pas mais pose simplement cette question.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je souhaite revenir sur l’audition de M. Moretton devant cette commission d’enquête, qui a donné lieu à un article de votre part. Trois éléments méritent ainsi que nous nous y arrêtions : la revente de billets dont vous avez déjà parlé ; la stratégie patrimoniale de la FFT et l’acquisition d’un appartement dont l’évaluation et le prix d’achat posent question ; et la rémunération de Mme Oudéa-Castéra à l’époque où elle était directrice de la Fédération. Mme Oudéa-Castéra a ainsi indiqué ainsi que cette rémunération était trois fois inférieure que ce qu’elle touchait à l’époque.
Depuis, nous avons reçu plusieurs informations divergentes. Une première question concerne le changement de statut de Mme Oudéa-Castéra à la suite de l’élection de M. Moretton. D’abord élue sur sa liste, elle est ensuite devenue directrice générale de la Fédération. Cette pratique est-elle courante ? Nous avons également reçu des informations divergentes concernant son salaire à l’époque. Enfin, lors de son audition, elle avait indiqué que la Fédération ne touchait pas de fonds publics. Elle a ensuite adressé un courrier pour reconnaître son erreur, mais les montants des subventions sont supérieurs à ce qu’elle a indiqué. Ainsi, sur l’année 2021-2022, plus de 10 millions d’euros ont été attribués à la FFT au titre d’aides, notamment des acomptes de compensation de la billetterie de Roland-Garros juste après l’épidémie de covid. Ces éléments nous interrogent d’autant plus sur le choix d’un montant de salaire aussi élevé alors même que cette fédération était visiblement en difficulté, puisqu’elle a reçu cette aide.
Disposez-vous d’éléments concernant le salaire du prédécesseur de Mme Oudéa‑Castéra et celui de la directrice générale actuelle ? Nous n’avons toujours pas obtenu le montant du salaire de cette dernière, en dépit de notre demande. Enfin, diriez-vous que M. Moretton nous a menti lors de son audition ?
M. Laurent Mauduit. Sans éluder vos questions, je répondrai en journaliste, c’est-à-dire sur celles pour lesquelles j’ai qualité à répondre, puisque j’ai enquêté. Certains confrères ont par ailleurs complété certaines de mes découvertes.
J’ai publié il y a six mois le salaire de Mme Oudéa-Castéra, après avoir consulté le site de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Je m’en suis tenu à la classification de la HATVP, qui distingue d’un côté les rémunérations et avantages et de l’autre les titres financiers qu’elle a pu acquérir. À partir de ces données, il est possible d’en déduire qu’elle disposait une rémunération de 35 600 euros nets par mois, mais j’ai eu l’impression que Mme Oudéa-Castéra a confondu le net et le brut lors de son audition. Le chiffre est quand même formidablement important pour une association dont la richesse dépend d’abord du travail des bénévoles, alors que les présidents de club s’évertuent à trouver des moyens pour faire fonctionner leurs structures et aider les enfants dont les parents n’ont pas forcément beaucoup d’argent.
Votre commission dispose de moyens que je n’ai pas pour obtenir le contrat d’embauche de M. Jean-François Vilotte, son prédécesseur. Si je suis bien informé, il a été rémunéré 28 500 euros bruts, soit 23 000 euros nets. M. Moretton a indiqué que Mme Oudéa-Castéra avait été payée « dans les mêmes eaux » que M. Vilotte, mais la différence est malgré tout de 12 000 euros par mois. Si je suis bien renseigné, M. Vilotte pouvait toucher une prime équivalant à 10 % de rémunération en cas de bonne performance. J’ignore si cette clause a été activée. Mais quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas du tout de la même rémunération. Pour moi, le véritable débat est là, bien plus que ce qu’elle a perdu en rejoignant la FFT. J’ai dirigé le service Entreprises du Monde pendant très longtemps et peux vous indiquer que cette rémunération de 35 600 euros est supérieure à celle du dirigeant de la Caisse des dépôts et consignations, qui gère plus de 240 milliards d’euros d’actifs. C’est un séisme que de penser qu’une fédération qui a des missions d’intérêt public peut payer de telles sommes. Ensuite, j’ignore s’il était décidé par avance que Mme Oudéa-Castéra passerait de fonctions électives à des fonctions de direction. On peut le supposer, mais je n’ai pas de preuve.
Aujourd’hui, il est possible de connaître la rémunération des patrons du CAC 40. Mais dans le cas de la FFT, l’opacité est bien plus grande. Les licenciés de la Fédération ont pourtant le droit de connaître ce que deviennent les sommes qu’ils payent pour s’acquitter de leur licence annuelle. Le simple fait que l’on ne connaisse pas la rémunération de sa successeure est assez problématique. Pourquoi le bilan annuel de la FFT ne fournit-il pas cette information ? Ce système est assez pervers et le manque de transparence suscite une suspicion légitime.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Savez-vous quelles sont les rémunérations des directeurs généraux des autres fédérations ?
M. Laurent Mauduit. Je me suis posé cette question et j’ai interrogé des inspecteurs généraux de la jeunesse et des sports ainsi que des responsables de fédérations sportives que je connaissais. On m’a répondu qu’il n’y avait qu’un seul équivalent proche : la rémunération du directeur général de la Fédération française de football (FFF), dont j’ignore le montant. Pour le reste, l’immense majorité des directeurs généraux des fédérations sportives sont souvent rémunérés entre 4 000 et 8 000 euros par mois. De plus, ils cumulent le plus souvent cette fonction avec celle de directeur technique national (DTN).
En résumé, deux fédérations sont happées par des logiques financières fortes, pour la même raison, l’inflation des droits de retransmission télévisuelle. La financiarisation est à l’œuvre. De la même manière, de nombreux licenciés de la FFT sont choqués par le projet de rémunération des présidents de ligues et des présidents des comités départementaux. Le principe d’une rémunération des directeurs généraux des grosses ligues ne me dérange pas ; celui d’une rémunération des présidents me dérange beaucoup plus. Ce faisant, on peut ainsi soupçonner, si la réforme entre en vigueur, que les présidents de ligue deviennent les obligés du président de la Fédération.
De la même manière que le football a dérivé vers le « foot business », il est loisible de se demander si le tennis ne va pas lui aussi être livré aux mêmes logiques financières et aux logiques d’argent. Au-delà de l’affaire Oudéa-Castéra, il y a une forme de « transformation moléculaire » qui pose débat. Est-on favorable à la popularisation du tennis ou veut-on maintenir un sport réservé à une petite élite de joueurs et de responsables de fédération et de ligues ? Je rappelle que des joueurs faisant partie du top 100 gagnent une misère, bien qu’ils soient des sportifs de haut niveau. Les droits qu’ils touchent pour venir jouer dans mon petit club de tennis en Bretagne sont par exemple inférieurs au prix du billet aller-retour pour venir de Paris.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons abordé la question des salaires au sein de cette commission, par exemple quand nous avons évoqué l’idée d’un binôme d’entraîneurs afin de protéger justement les jeunes athlètes. On nous avait répondu que la Fédération n’avait pas les moyens financiers pour payer des entraîneurs supplémentaires. Pour en revenir à la plainte que vous avez mentionnée, pourquoi celle-ci pourrait-elle concerner l’actuelle ministre des sports, Mme Oudéa-Castéra ?
M. Laurent Mauduit. Je ne suis pas juriste et je n’ai pas à qualifier les faits. Néanmoins, elle a participé à un vote et a approuvé une résolution qui a eu pour effet de suspendre la saisine de la commission des litiges qui a enquêté sur le possible trafic de billets. Ce vote a enterré l’affaire. Sa voix aurait compté si elle avait refusé. À l’époque, le comité d’éthique ne s’était pas non plus intéressé à l’affaire.
S’agissant de la situation sociale, je rappelle que 140 départs sont intervenus lors des premiers dix-huit mois de la présidence de M. Moretton, dans un climat de violence. J’ai révélé les problèmes liés à la situation sociale et mes confrères ont ensuite pris le relais. M. Moretton est en première ligne dans cette crise sociale puisque, dès le premier comité exécutif, il a fait voter une résolution aux termes de laquelle le président de la FFT a désormais le pouvoir d’embaucher et de débaucher qui il veut, sans devoir passer par la direction des ressources humaines. Pour le reste, la directrice générale a la charge de conduire la politique sociale et la responsabilité de la purge sociale qui a lieu à la FFT repose pour moitié sur Mme Amélie Oudéa-Castéra et pour moitié sur sa successeure, Mme Caroline Flaissier.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez publié ce week-end un article dans lequel vous montrez comment, lors de leur audition par cette commission d’enquête, le président de la Fédération française de rugby (FFR), M. Florian Grill, et son directeur général ont qualifié abusivement la procédure qui a décidé d’un partenariat avec l’entreprise Altrad pour le flocage des maillots de l’équipe de France. Pouvez-vous revenir sur cet article et pourriez-vous nous transmettre les documents qui vous ont servi à produire cet article ?
M. Laurent Mauduit. J’ai écouté M. Grill, que je ne connaissais pas, lorsqu’il a été auditionné par votre commission. À cinq ou six reprises, il a évoqué des appels d’offres. Au terme de mes recherches, j’ai découvert qu’il n’y avait pas eu en réalité d’appel d’offres. En raison du secret des sources, je ne pourrai pas vous transmettre les documents. Mais à mon avis, le travail de vérification de la commission sera assez simple.
J’ai interrogé M. Grill et j’ai reçu une réponse, dont quelques extraits figurent dans mon article. Il reconnaît lui-même qu’il s’agit d’un abus de langage et qu’il a eu tort d’employer le terme d’appel d’offres. Je l’ai eu par la suite au téléphone et il m’a confirmé qu’il s’était trompé. J’ignore s’il a employé le mauvais terme à dessein ou par erreur. Par ailleurs, il est « petit » actionnaire du club de Montpellier, qui est la propriété de M. Mohed Altrad. M. Grill a fait valoir dans sa réponse écrite que le comité d’éthique de la FFR avait considéré qu’il ne s’agissait pas d’un conflit d’intérêts. J’ai juste relevé qu’il ne s’était pas déporté lorsque le comité directeur avait pris à l’unanimité la décision d’octroyer le flocage du maillot de l’équipe de France au groupe Altrad. M. Grill m’a dit oralement qu’il en informerait votre commission d’enquête.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pour le moment, nous n’avons rien reçu en ce sens. Il me semblait que dans le premier procès concernant M. Altrad, l’appel d’offres avait été rédigé de telle manière que seule la société Altrad pouvait y répondre. Puisqu’il n’y a pas eu d’appel d’offres dans ce deuxième contrat, de quelle manière cette procédure s’est-elle effectuée ?
M. Laurent Mauduit. Je ne peux que vous renvoyer au texte qu’il me donne et qui figure dans les annexes de l’article de Mediapart. Il y décrit la procédure qui a été retenue.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous regarderons cet aspect. L’ancien contrat court jusqu’en décembre 2023 et le prochain débutera en janvier 2024.
Dans l’édition du 18 novembre de Mediapart, votre collègue David Perrotin signe un article intitulé « Lutte contre les chants homophobes dans le foot : le grand malaise ». Quels sont les principaux constats de cet article ?
M. Laurent Mauduit. N’étant pas l’auteur de l’article, je préfère ne pas vous répondre par peur d’être imprécis.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie.
La commission auditionne M. Éric Thomas, président de l’Association française de football amateur (AFFA) – (en visioconférence).
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons à présent Éric Thomas, président de l’Association française de football amateur. Monsieur Thomas, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions.
Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête le 20 juillet 2023. Nos travaux portent sur trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les atteintes à la probité
L’Association française de football amateur a été constituée le 7 décembre 2010. Elle a notamment pour objectif de remettre au cœur de la pratique du football un « rôle social et citoyen ». En janvier 2023, à la suite à la démission de Noël Le Graët de la présidence de la Fédération française de football (FFF), vous aviez estimé qu’il fallait « tout changer dans le football français » et que la FFF privatisait le football français au bénéfice exclusif du football professionnel et au détriment du football amateur.
En mai 2023, vous avez publié avec un collectif de présidents de club et d’anciens internationaux une tribune dans Le Monde appelant à un renouveau démocratique dans le football français. Que pensez-vous des moyens et actions mises en œuvre par la FFF pour soutenir le football amateur ? Quelles sont vos observations quant à la gouvernance de la Fédération française de football ? De manière générale, la gouvernance du football vous paraît-elle satisfaisante ?
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure. »
(M. Éric Thomas prête serment).
M. Éric Thomas, président de l’Association française de football amateur. Je vous remercie de votre invitation. Je souhaite d’abord vous présenter mon parcours d’amoureux du football. J’ai commencé à pratiquer ce sport à l’âge de six ans et ai joué dans mes jeunes années au club de La Charité-sur-Loire dans la Nièvre. Mes activités professionnelles m’ont ensuite conduit à Clermont-Ferrand où j’ai joué trois ans au club d’Orcines, dans le Puy-de-Dôme, avant de vivre à Montlouis-sur-Loire, en Indre-et-Loire. J’ai cessé de jouer au football à la suite de blessures aux ligaments croisés, puis me suis engagé au sein du club de Montlouis-sur-Loire pour aider les éducateurs quand mon fils a voulu jouer au football. J’ai ensuite été vice-président du club de Montlouis pendant trois ans, puis quatre ans président entre 2010 et 2017.
En compagnie de quelques amis passionnés de football, j’ai créé l’Association française de football amateur (AFFA) à la suite de la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud. Après le « naufrage » de Knysna, nous attendions des états généraux qui n’ont finalement jamais eu lieu et nous nous sommes intéressés à la gouvernance de la Fédération française de football (FFF). Avec l’équipe de l’AFFA, nous nous sommes présentés à trois reprises aux élections de la FFF : en 2011, lorsque le scrutin a été ouvert à tous les licenciés, mais aussi en 2012 et en 2017.
Je souhaite évoquer la gouvernance de la Fédération, le fonctionnement électoral ainsi que l’appauvrissement du football français, particulièrement du football amateur. Lors de l’élection de Noël Le Graët à la FFF en 2011, il y avait plus de 19 000 clubs amateurs, contre à peine 12 000 actifs en 2023. Avec l’AFFA, nous avons dénoncé des gouvernances très éloignées, complètement coupées de la réalité des pratiquants et qui n’ont de cesse de décourager les bénévoles plutôt que de les encourager.
J’ai regardé avec beaucoup d’attention les auditions de M. Le Graët, de M. Lapeyre, du nouveau président de la Fédération et de son directeur général, et j’ai eu l’impression d’assister à un naufrage. Malheureusement, nous dénonçons depuis de nombreuses années ce naufrage annoncé sans être vraiment entendus. Le football français génère de fortes sommes d’argent, mais au bénéfice exclusif des clubs professionnels et au détriment des clubs amateurs. Le nouveau président indiquait par exemple qu’une vingtaine de millions d’euros étaient consacrés au fonds d’aide au football amateur (FAFA), mais le site de la Fédération évoque un montant proche de 16 millions d’euros.
Aux yeux de l’AFFA, énormément d’argent est ponctionné dans les caisses du football amateur, en moyenne entre 70 et 80 euros par licencié, pour faire fonctionner l’ensemble de l’administration du football. Qu’il s’agisse de la Fédération, des ligues ou des districts, ce montant est estimé à plus de 150 millions d’euros. La diminution du nombre de clubs a particulièrement affecté le monde rural. Les raisons essentielles sont liées aux ponctions dans les budgets des clubs, qui doivent s’acquitter des amendes disciplinaires, des formations à leur charge, des frais d’arbitrage et des inscriptions dans les différentes compétitions. Tout est fait pour soutirer de l’argent dans les caisses des clubs amateurs et en redistribuer le moins possible. Les nombreux rapports de la Cour des comptes en ont témoigné. La Cour dénonce également la Haute Autorité du football, créée à la suite de la réforme de 2011 mais qui n’a toujours pas trouvé sa place. Elle évoque enfin une thésaurisation excessive, toujours au détriment des clubs amateurs.
Nous appelons à une révolution démocratique, dans le respect de l’esprit de la loi du 2 mars 2022. L’AFFA plaide ainsi depuis longtemps pour qu’au moins 50 % des clubs amateurs constituent le socle électoral futur lors des élections à la Fédération française de football. Malheureusement, nous n’avons pas été sollicités ni consultés. Il n’y a eu aucun dialogue : la Fédération a décidé sans concertation, comme elle le fait d’habitude, d’appliquer un barème différent : un tiers du socle électoral pour les clubs professionnels, un tiers pour les grands électeurs et un tiers seulement pour les 12 000 clubs amateurs, en fonction du nombre de leurs licenciés. À nos yeux, ce fonctionnement ne respecte pas l’esprit de la loi du 2 mars 2022.
L’AFFA a participé à trois élections FFF en 2011, 2012 et 2017, mais si vous le souhaitez, je pourrai également revenir sur une élection de la ligue de football du Centre-Val de Loire en 2019. À travers ces premières réflexions, je voulais simplement signifier que nous n’avons jamais eu le sentiment de participer à des élections sincères, c’est-à-dire des élections libres et non faussées.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je voudrais revenir sur le système électoral de la FFF, au sujet duquel votre association a émis à plusieurs reprises des critiques. À partir de 2024, les clubs amateurs devraient pouvoir voter et participer à l’élection du président de la FFF. Les quelque 12 000 clubs amateurs devraient peser le même poids que les quarante-trois clubs professionnels. Auparavant, les clubs amateurs n’avaient pas de voix aux élections. L’AFFA s’est présentée aux élections de la présidence de la Fédération. Quelles sont vos observations quant à la gouvernance au sein de la FFF et ses dernières évolutions ?
M. Éric Thomas. Je vous adresserai naturellement des documents concernant notre constat. Le système antérieur reposait à la fois sur 216 grands électeurs divisés en deux, d’une part les représentants du monde amateur, soit grosso modo les présidents de ligue et les présidents de district, et d’autre part les quarante-trois clubs professionnels qui disposaient de 37 % des voix.
Les clubs amateurs n’étaient pas vraiment représentés. Vous le savez sans doute : lors des élections, les clubs désignent le représentant au département sur un projet départemental, le représentant à la ligue sur un projet régional, mais à aucun moment les clubs ne sont sollicités pour l’élection suprême, c’est-à-dire l’élection du président de la FFF et de son équipe, autour d’un projet spécifique. Cela n’a eu lieu qu’une seule fois dans un district, en 2011 ou 2012. Ce district s’était prononcé sur trois projets : le projet de Noël Le Graët, le projet de Fernand Duchaussoy et le projet de l’AFFA. Lorsque les clubs ont été consultés, ils ont désigné à l’unanimité le projet de l’AFFA comme étant le meilleur pour répondre à leurs attentes et à leurs besoins. Tel est le premier constat.
Le deuxième constat concerne l’absence de garantie sur la confidentialité des votes. Le secret du vote est une règle constitutionnelle, mais il n’a jamais été respecté jusqu’à maintenant à la FFF. Le vote est réalisé à partir de cartes électroniques disposant toutes d’un numéro de série différent, ce qui rend traçable les votes des uns et des autres.
L’absence de déontologie doit également être relevée. Lors de l’élection de mars 2017, le sélectionneur national, M. Didier Deschamps, pourtant salarié de la FFF a, en toute impunité, fait campagne pour son président employeur à l’époque. En effet, Noël Le Graët était candidat à sa réélection, malgré la saisine de la commission de surveillance électorale de la FFF. Je tiens à votre disposition le procès-verbal de cette saisine.
L’absence de moyens pour faire campagne constitue un autre fait saillant. Malgré nos démarches réitérées, la Fédération a refusé de prévoir un budget de campagne égalitaire pour l’ensemble des candidats. À l’inverse, le président sortant a fait campagne à l’aide de l’ensemble des moyens de la Fédération mis à sa disposition.
S’ajoute à cela l’absence d’opposition au sein du comité exécutif (Comex), ainsi que l’absence de contrôle. La liste élue remporte la totalité des places au Comex et la Haute Autorité du football ne joue pas son rôle de contrôle.
Lors de leur audition, les responsables de la Fédération ont établi une comparaison avec un conseil municipal. Mais dans un conseil municipal, si la majorité élue remporte une grande partie des sièges, il existe également une opposition, qui peut exercer son travail de vigilance. Cette opposition n’est pas représentée à la Fédération française de football. Aucune place n’est prévue, ni dans le système qui prévalait jusqu’à maintenant, ni à ma connaissance dans le futur système. Une équipe décidera de tout, tout le temps. Ce système reproduit en réalité les pratiques de Noël Le Graët pendant ses treize ans de présidence, où il décidait de tout, tout le temps, tout seul.
Parmi les propositions que nous avons pu formuler à l’issue de ce constat figurait évidemment la nécessité d’élargir le socle électoral en donnant le droit de vote à tous les clubs. La proposition que nous avions faite à l’époque visait à réduire le poids du monde professionnel à 25 %, au lieu des 33 % qui leur seront consacrés demain. Cette préconisation était d’ailleurs en ligne avec un rapport de 2012 du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), « Mieux adapter la gouvernance des fédérations aux enjeux de la société ».
Nous proposons également de réduire le poids des instances, des ligues et des districts – c’est-à-dire les grands électeurs du monde amateur – à 25 % du poids électoral total de la Fédération et de redonner aux clubs amateurs une place centrale dans le paysage du sport français avec 50 % du poids électoral total, en fonction du nombre de licenciés. Par exemple un club de moins de cent licenciés aurait une voix, un club de moins de deux cents licenciés en aurait deux, et ainsi de suite.
Nous recommandons évidemment de garantir le secret des votes, de préserver la neutralité de la Fédération française de football en interdisant aux salariés toute expression publique dans le cadre de la campagne électorale – à l’image des campagnes électorales pour les mandats politiques – et de permettre l’expression d’une pluralité démocratique en attribuant un budget de campagne identique à chacune des listes, en veillant à la bonne utilisation des moyens de la Fédération pendant la campagne. Nous voulons réserver des places au Comex aux listes minoritaires, sur le modèle de l’exécutif municipal ; limiter à deux le nombre de mandats successifs et de même fonction exécutive au sein de la FFF, des ligues et des districts ; et enfin rendre obligatoire une déclaration du patrimoine pour les membres du comité exécutif à l’entrée et à la sortie des fonctions, et en assurer, bien évidemment le contrôle.
Le système actuel ne peut pas être qualifié de démocratique ; il ne s’agit pas d’une élection mais plutôt d’une désignation, puisque 216 grands électeurs votent. À deux reprises, en 2011 et en 2017, le choix du président de la FFF s’est opéré par le vote de trois ou quatre présidents de Ligue 1, ce qui témoigne du poids du monde professionnel au sein de la Fédération française de football.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quels ont été les rapports entre l’AFFA et la FFF sous la présidence de Noël Le Graët ? Plus précisément, aviez-vous connaissance des faits à son encontre, en amont des révélations effectuées à l’hiver 2023 ?
M. Éric Thomas. L’AFFA est une association libre et indépendante, ce qui nous a d’ailleurs valu le courroux répété de Noël Le Graët. Il était presque de notoriété publique qu’il avait une addiction pour l’alcool et qu’à partir d’une certaine heure de la journée, il n’était pas dans son état normal. Pour ma part, je me souviens de l’avoir eu au téléphone aux alentours de 18 heures et j’avais assez vite compris qu’il était sous l’emprise de l’alcool et peut-être aussi des médicaments. Cette discussion était lunaire : je m’étais fait engueuler, ses propos divaguaient. Ils n’étaient pas ceux d’un homme sobre, mais plutôt d’un homme sous l’emprise de l’alcool.
Il se disait, mais je ne l’ai jamais constaté personnellement, que Noël Le Graët envoyait des invitations à des femmes ou à des jeunes femmes. Je n’ai jamais été un proche, mais pendant deux ans, entre 2011 et 2013, nos relations étaient courtoises. J’échangeais trois ou quatre fois par an avec lui, il me recevait à la Fédération. Il faut dire que la campagne, y compris la campagne médiatique que nous avions menée en 2011 avec l’AFFA pour témoigner de l’abandon du monde amateur, l’avait grandement aidé pour remporter l’élection de la FFF. Il l’avait d’ailleurs reconnu. À un moment, je pense qu’il a estimé que ce n’était plus la peine de perdre son temps avec nous, que nous étions des « empêcheurs de présider en rond », en tout cas dans l’entre-soi.
Nous avons alors assisté à l’institution d’un système où Noël Le Graët et ses proches ont organisé la Fédération à leur main. Je pense notamment à la décision de rémunérer les présidents de ligue, décision que je ne conteste pas sur le fond, mais qui a été prise par le Comex, notamment par M. Borghini, qui l’a voté et s’est empressé lui-même de se l’appliquer dans sa ligue Méditerranée. Cet exemple est illustratif du mélange des genres, mais il y en a beaucoup d’autres. Certains présidents de district se vantaient de se faire rembourser trois fois leurs frais de déplacement, une fois par leur district, une fois par la ligue, une fois par la FFF, pour la même réunion.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous effectué des signalements concernant ce triple remboursement par exemple ? Disposez-vous de preuves à ce sujet ?
M. Éric Thomas. Malheureusement, non. Ce sont des propos que j’ai entendus. Je n’ai évidemment pas les éléments tangibles permettant de procéder à un tel signalement. En revanche, un article a clairement dénoncé les agissements de l’ancien trésorier de la Ligue de football amateur. Il bénéficiait d’une voiture de fonction en tant que président délégué de la ligue de Normandie, mais il se faisait malgré tout rembourser ses frais de déplacement. Il a dit qu’il avait remboursé une petite partie de ces sommes. Je ne sais pas si des sanctions lui ont été appliquées par la suite par la FFF.
Lorsque la Cour des comptes a demandé à la Fédération de ne pas affréter des avions, les coûts associés aux avions privés ont explosé. J’ai d’ailleurs écrit à plusieurs reprises à l’ancien Premier président de la Cour des comptes pour lui demander que ce rapport confidentiel devienne public. Je n’ai pas eu de gain de cause. Ce rapport, malheureusement, n’avait pas vocation à devenir public. Il a été remis en main propre à Noël Le Graët, à qui j’ai demandé qu’il puisse être porté à la connaissance de l’assemblée fédérale. Évidemment, cela n’a pas eu lieu et les déplacements des membres de la FFF ont continué. Les dépenses associées aux avions privés se sont multipliées. De fait, les frais consacrés au fonctionnement de l’équipe de France sont exponentiels, au détriment du monde amateur.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je souhaite à présent évoquer les violences sexuelles et sexistes (VSS) et les différentes formes de discrimination, dont l’homophobie et le racisme. De quelle manière décririez-vous l’attitude de la Fédération française de football quant à la lutte contre les VSS ? Des dispositifs particuliers de sensibilisation ont-ils été mis en place auprès des clubs ?
M. Éric Thomas. La Fédération est absente sur tous ces sujets-là. Pendant de nombreuses années, en tant que joueur, encadrant ou dirigeant bénévole, je n’ai jamais reçu la moindre information ni assisté à la moindre réunion de formation sur tous ces sujets. Quand je suis devenu président de mon club, je craignais que nos jeunes puissent être victimes d’atteintes sexuelles. J’ai essayé de sensibiliser les gens, mais il est très difficile d’agir sur ces sujets quand vous êtes seul. Vous n’avez pas les mots, vous n’avez pas forcément les bons termes. J’ai aussi souhaité sécuriser les déplacements de mes équipes en achetant des minibus grâce au FAFA, mais une fois encore, dans toute ma carrière, ces sujets n’ont jamais fait l’objet d’informations ou de formations. La prise de conscience est relativement récente.
Récemment, j’ai pu constater que le numéro vert dédié aux victimes de VSS, que la Fédération avait attribué par le biais d’une association, a sonné de longs mois dans le vide. Il n’était pourtant pas très compliqué de demander à un salarié de la Fédération de prendre le relais, le temps de retrouver un prestataire. Cela n’a pas été fait, ce qui démontre bien la vacuité et l’absence de politique en la matière.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Connaissez-vous la cellule Signal-sports ? Comment travaillez-vous sur ces questions de lutte contre les VSS, d’homophobie et de racisme ?
M. Éric Thomas. Je la connais depuis que la commission en a parlé.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Est-elle est connue par les clubs membres de l’AFFA ?
M. Éric Thomas. Depuis la crise sanitaire, nous avons perdu beaucoup de bénévoles dans les clubs amateurs et en particulier à l’AFFA. Nos combats sont épuisants.
Depuis treize ans, nous menons un combat pour la révolution démocratique au sein de la Fédération. Nous avons demandé, le 21 juin 2014, dans ma ligue, celle du Centre-Val-de-Loire, le vote de l’ensemble des clubs. Ce vœu a été voté à l’unanimité et aurait dû être transmis à la Fédération, mais il ne l’a jamais été. Le district du Finistère l’a également voté à l’unanimité et ce vœu a été porté au suffrage de plus de 80 % des clubs de la ligue de Bretagne en 2018. Le Comex lui a ensuite opposé une fin de non-recevoir. En l’espèce, il a témoigné de son absence de volonté de changement. À l’inverse, l’objectif consistait bien à conserver le pouvoir à tout prix et à ne surtout pas ouvrir la Fédération à la démocratie des clubs.
En outre, vous savez qu’il existe deux ligues de football. La Ligue de football professionnel (LFP) est dotée d’une personnalité morale et juridique et d’un budget, quand la Ligue de football amateur (LFA) n’a ni l’un, ni l’autre. Cet exemple montre bien l’absence de volonté politique pour porter une action responsable en direction des clubs amateurs.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quelles sont vos observations quant aux discriminations homophobes, racistes et sexistes dans le football amateur ? Que peuvent mettre en place les clubs pour y répondre ?
M. Éric Thomas. Le football est un sport populaire et universel, mais il n’est que le reflet de la société. La société est sous tension et les stades peuvent constituer des exutoires à cette violence. Nous plaidons en faveur de la formation et de la pédagogie en direction des bénévoles, des licenciés, des éducateurs, mais aussi en faveur de la féminisation du football, qui n’est pas assez rapide à nos yeux. La seule manière de conférer une forme de responsabilité est d’y consacrer des moyens. Mais ces moyens manquent pour former sans relâche les bénévoles, les dirigeants, les éducateurs et pour sensibiliser les licenciés.
La confiance est rompue depuis de nombreuses années entre ceux qui ont tous les droits, le Comex, et ceux à qui l’on attribue tous les devoirs. Pendant longtemps, la Fédération s’est crue au-dessus des lois. Je l’ai vécu personnellement : lorsque nous nous sommes présentés à l’élection de la ligue de football du Centre-Val de Loire, en 2019, nous avons démontré que la liste adverse comportait un membre de la commission de surveillance des opérations électorales. M. Lapeyre, directeur juridique de la FFF, l’a lui-même reconnu, mais le CNOSF, saisi en urgence, n’a établi qu’un seul constat, qui a consisté à dire que notre tête de liste n’avait aucun intérêt personnel et direct à agir …
En résumé, les dysfonctionnements sont nombreux, en termes de gouvernance et de démocratie, on pourrait dire que c’est un « système » bien établi dont le monde amateur constitue la variable d’ajustement permanent, les problématiques de discrimination et d’inclusion sont rarement prises au sérieux. Pourtant, le football joue un rôle sociétal, citoyen, éducatif, inclusif, et évidemment de santé publique, ce que certains oublient un peu trop souvent.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous reçu des retours des clubs quant à la mise en place d’un contrôle d’honorabilité effectif ? Que pensez-vous de ce dispositif ?
M. Éric Thomas. Ce dispositif a été inauguré dans la ligue de football du Centre‑Val de Loire dans des conditions assez surréalistes, puisqu’à l’époque, le président de la ligue en question était Jacky Fortépaule, qui a été condamné en première instance et en appel pour des faits de harcèlement moral et sexuel, notamment sur des salariés de la ligue. Sur le fond, vos auditions laissent à penser que le dispositif semble être une usine à gaz, difficile à faire fonctionner et à la merci d’une erreur – volontaire ou involontaire – dans les champs renseignés. Voilà pour le fond et la forme.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quel regard portez-vous sur la Haute Autorité du football qui exerce un pouvoir de contrôle sur la gestion de la Fédération ?
M. Éric Thomas. Madame la présidente, la Haute Autorité du football n’a jamais exercé le moindre contrôle. Très franchement, je pense que tous ceux qui ont, de près ou de loin, connu l’action de la Haute Autorité du football vous répondront de la même manière que moi. Par ailleurs, je suis toujours en attente d’une réponse à ma demande d’audition qui date du 16 mai 2018… Comme dirait la Cour des comptes, cette Haute Autorité n’a pas trouvé sa place. Ses missions demeurent sous la domination et la tutelle de la FFF.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quelles sont vos relations avec la nouvelle présidence de la FFF ? Sentez-vous une évolution ou le statu quo est-il toujours de mise ?
M. Éric Thomas. Je ferais mienne la célèbre sentence de Lampedusa : « il faut que tout change, pour que rien ne change », le système se reproduit à l’identique. Noël Le Graët était le candidat des professionnels ; Philippe Diallo est celui qui poursuivra la mission au service exclusif des professionnels. Je vous ai donné le chiffre tout à l’heure : on annonce une vingtaine de millions d’euros pour le fonds d’aide au football amateur, alors qu’il n’est que de 16 millions, l’écart est important. Je connais Philippe Diallo depuis longtemps, il s’agit d’une personne intelligente mais qui ne changera rien aux dysfonctionnements de la FFF. Son audition et celle de son directeur général devant cette commission m’ont donné l’impression de bons élèves venus vanter les mérites d’une nouvelle organisation hors sol et d’un « contrat de confiance » illusoire. En réalité, cela ne changera rien, malheureusement. Pensez-vous que si 100 millions d’euros par an avaient été dirigés vers le football amateur ces dernières années, comme on l’entend régulièrement, celui-ci aurait perdu plus de 7 000 de ses clubs ?
Je voudrais être optimiste, mais cet optimisme ne pourra être validé qu’à la condition d’un changement du socle électoral de la FFF, afin que le football amateur, et particulièrement les dirigeants des clubs amateurs, y représente au moins à 50 %. Je suis très inquiet parce que l’argent du football, qui est pourtant abondant, ne va pas là où il devrait aller. Il arrose toujours plus les terrains du football professionnel, qui dispose déjà d’énormément d’argent, mais il oublie les terrains du monde amateur.
C’est la raison pour laquelle nous avions demandé la création d’une véritable Ligue de football amateur et la reconnaissance de la formation des joueurs par les clubs amateurs, dès la première licence signée, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. À l’heure actuelle, les droits de formation et de préformation ne commencent qu’à partir de l’âge de dix ans. Ce dispositif ne concerne que les joueurs et pas les joueuses ! Or il est pourtant essentiel de reconnaître le travail effectué par les bénévoles et les éducateurs des clubs amateurs pour les garçons comme pour les filles dès l’âge de cinq ans. Encore une fois, nous subissons une pénurie d’éducateurs dans le monde rural et une pénurie d’équipements sportifs dans le monde urbain. Le football n’irrigue plus de la même manière l’ensemble du territoire français, pour les raisons que je vous ai exposées.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie. Souhaitez-vous compléter votre intervention ?
M. Éric Thomas. J’ai découvert très récemment la création d’une agence de voyage par la FFF. Est-ce vraiment son rôle ? Son rôle ne consisterait-il pas plutôt à encourager le football amateur, ce qui n’est plus le cas depuis de trop nombreuses années ?
Je vous remercie de votre écoute et je serai évidemment très attentif aux conclusions qui seront les vôtres.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous donner plus de détails sur cette agence de voyage ?
M. Éric Thomas. Cette agence a été créée par la FFF et il semblerait qu’elle soit destinée aux supporters de l’équipe de France qui souhaitent se déplacer pour suivre les Bleus, par exemple à l’Euro qui aura lieu dans quelques mois. J’avoue que le sens de la création de cette agence de voyage m’échappe.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous remercie de nous avoir transmis cette information, que nous étudierions dans le détail.
M. Éric Thomas. Je souhaite terminer mon intervention en vous faisant part de quelques chiffres. Ils datent de 2020. Alors que le FAFA se voit attribuer 16 millions d’euros par an, l’équipe de France masculine bénéficie de 31 millions d’euros pour l’ensemble de son fonctionnement annuel. L’équipe de France féminine ne reçoit quant à elle que 3,8 millions d’euros. Ces chiffres illustrent le rapport entre le football amateur et le football professionnel « à la mode FFF ». Beaucoup est pris aux clubs amateurs pour être redirigé vers les professionnels et l’entourage de l’équipe de France.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie.
La commission auditionne M. Gilles Sézionale, président de la Fédération française de natation, et M. Laurent Ciubini, directeur général.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons à présent M. Gilles Sézionale, président de la Fédération française de natation (FFN) et M. Laurent Ciubini, directeur général. Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions.
Nous avons débuté les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet 2023. Nos travaux portent sur trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ; les discriminations sexuelles et raciales ; les problématiques liées à la gouvernance financière.
Monsieur le président, vous avez été élu en 2017 et réélu en 2021. Vous exerciez déjà des fonctions au sein des instances dirigeantes de la Fédération avant votre élection, en tant que vice-président et président de la ligue Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) jusqu’en 2017. Monsieur le directeur général, vous occupez vos fonctions depuis 2017 et présidez le Cercle des nageurs d’Antibes. Nous avons déjà entendu le directeur technique national (DTN) de cette fédération : il nous a décrit les actions mises en place depuis 2020. Nous avons évoqué avec lui quelques cas sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir.
J’entame notre échange avec une première question. Nos auditions montrent qu’il y a eu un avant et un après 2020. La Fédération avait fait l’objet d’un contrôle de l’inspection générale de la jeunesse et des sports (IGJS) en 2014. Son rapport pointait le manque d’implication de la FFN : « Pas d’élu ni de salarié référent, pas de commission d’éthique, pas de plan d’action national, pas de guide de procédures, pas d’outils de prévention, pas de programme de formations, pas d’organisation du retour de l’information. »
Le rapport appelait la FFN à mettre en œuvre, en relation étroite avec le ministère des sports, des dispositifs performants d’information, de sensibilisation, de prévention, de formation et d’alerte impliquant les élus comme les cadres techniques et concernant tant le niveau national que territorial. Des suites immédiates ont-elles été données à ce rapport ? La ministre des sports et des Jeux olympiques et paralympiques a-t-elle demandé à la Fédération de mettre en œuvre les actions préconisées par le rapport de 2014 ? Enfin, M. Issoulié, DTN depuis 2017, nous a indiqué que c’est « à partir de 2020 que les choses ont été mises en place » ; pouvez-vous nous le confirmer ?
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(MM. Gilles Sézionale et Laurent Ciubini prêtent serment).
M. Gilles Sézionale, président de la Fédération française de natation. Je vous remercie pour le travail que vous effectuez sur ce sujet si complexe et si important des violences sexistes et sexuelles (VSS) et de la gouvernance des fédérations.
Avant d’être président de la FFN, j’en ai été le vice-président. J’ai acquis un certain nombre de certitudes, fondées sur une volonté de tolérance zéro et de rénovation profonde des systèmes fédéraux. C’est pourquoi, après vingt-cinq ans de règne de mon prédécesseur, j’ai souhaité me porter candidat à la présidence – pour la première fois, sur la base d’un projet –, afin d’en modifier la gouvernance en profondeur.
Le sujet des VSS est intervenu au cours de mon premier mandat, marqué par beaucoup de crises – covid, énergie, guerre en Ukraine. Cette question a été complexe à appréhender pour des bénévoles engagés comme moi. En effet, notre objet était avant tout sportif : nous souffrons donc de lacunes, car originellement, une fédération était principalement chargée de l’organisation des compétitions. Petit à petit, notre rôle s’est étendu et il nous a été demandé de mener diverses politiques publiques. Désormais, nous devons nous engager dans le contrôle d’honorabilité des éducateurs et mettre en place des systèmes pour punir les agressions sexuelles, alors même que le traitement de ce type d’affaires est régulièrement reproché au système judiciaire.
Je rappelle que la FFN porte cinq disciplines olympiques, la politique de l’apprentissage de la natation et une politique de responsabilité sociale des entreprises (RSE) ambitieuse. En outre, grâce à notre politique de développement, nous avons porté la fédération de 308 000 licenciés à 402 000 licenciés, dont 54 % de femmes. Environ 60 % de nos licenciés ont moins de 15 ans et 50 % sont des jeunes filles. Je porte une volonté paritaire depuis longtemps : à une personne près, le comité de direction a atteint la parité ; la secrétaire générale est une femme ; les vice-présidents comptent autant de femmes que d’hommes.
Permettez-moi également de décrire les mesures que nous avons instaurées dans un processus global de prévention et de lutte contre toutes formes d’atteintes à l’intégrité physique ou morale des dirigeants, à l’éthique et à la probité, dans les cinq disciplines. Nous avons renforcé et structuré les processus de lutte contre les violences et discriminations. Bien que les statuts l’autorisent, l’équipe dirigeante a fait le choix de ne pas être rémunérée. Depuis notre élection, les achats sont soumis à une procédure de marchés publics.
Nous avons créé des cercles de compétences, notamment sur les violences sexuelles, et la féminisation. Nous avons également nommé des référents : Agnès Berthet, DTN adjointe, est référente sur les VSS ; Christine Marc’h, directrice des ressources humaines (DRH), est référente en cas d’atteintes à la probité et, vis-à-vis des salariés, en cas de problème de harcèlement au travail ; de même, dans chaque ligue, un référent violence est identifié.
Nous procédons au contrôle de l’honorabilité des dirigeants, des entraîneurs, des officiels et des exploitants, via le système d’information automatisé du contrôle de l’honorabilité (SI honorabilité). Nous avons adopté une charte éthique et de déontologie et créé un comité d’éthique pour en garantir les principes. Le processus de traitement des signalements s’est consolidé avec le temps : nous avons mis en place une cellule de gestion des situations prioritaires. D’autres actions concernent le développement des formations – antidopage, violences – adaptées au public, mais aussi le développement de partenariats avec les associations Colosse aux pieds d’argile, Les Papillons et avec la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), ainsi que la prévention des manipulations des compétitions sportives.
Malgré cet arsenal, nous sommes à l’interface entre les pouvoirs publics et les clubs. Comme en atteste la mise en place de la commission d’enquête, on nous prête l’intention de vouloir maintenir un système établi, alors que, depuis six ans, je m’efforce au contraire de réformer la FFN, à titre bénévole. Les clubs nous perçoivent également comme une institution parisienne, parfois déconnectée de la réalité, et formulant toujours plus d’exigences et d’obligations à leur égard. Malgré un contexte de crise du bénévolat, il nous faut amener les clubs à faire évoluer les pratiques.
Je ne nie aucunement les difficultés et reste engagé à traiter chacune d’entre elles. Si de nombreuses anomalies interviennent lors du contrôle de l’honorabilité, les équipes continuent à faire remonter les problématiques. De plus, nous éprouvons une difficulté collective pour communiquer sur le sujet. Grâce à notre nouveau site, nous espérons cependant gagner en clarté et lisibilité. À cet égard, nous avons, pour la première fois, adressé un QR code sur le sujet à nos 400 000 licenciés.
Je reste également convaincu que la prise de conscience de chaque entraîneur est nécessaire pour faire évoluer les pratiques, notamment autour du haut-niveau. Pour cela, nous mettons en place des formations de plus en plus régulières. Le manque d’informations concernant les procédures judiciaires constitue une réelle difficulté : j’espère que vos conclusions permettront de trouver un système permettant d’éviter les pertes de suivi dans les affaires.
Je citerai enfin la difficulté de traiter la parole des enfants de moins de 15 ans en matière d’agression sexuelle, et, de manière très opérationnelle, la détermination du quantum de la sanction – elle n’est pas chose aisée pour nos organes disciplinaires. Un accompagnement global des fédérations sportives pourrait constituer une solution, afin d’harmoniser les sanctions, ou, a minima, de guider les instances disciplinaires.
En conclusion, nous devons tous être très humbles face à ces sujets extrêmement complexes. J’estime avoir mis en pratique mes convictions durant l’exercice de mes fonctions bénévoles et je reste engagé pour faire évoluer le système, qui peut encore être amélioré.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez raison de rappeler que cette commission d’enquête a pour vocation d’aider les fédérations et le mouvement sportif dans son ensemble. Lors de son audition, M. Issoulié, DTN depuis 2017, nous a indiqué que des mesures avaient été mises en place à partir de 2020. Le confirmez-vous ?
M. Gilles Sézionale. Nous avons pris connaissance du rapport de 2014 tardivement. Il m’a incité à me porter candidat à la présidence de la Fédération, puisqu’il mettait en lumière les critiques que je portais, en tant que vice-président, sur la gouvernance de la FFN. Dès mon élection, la gouvernance a été profondément modifiée. Nous avons ainsi remplacé le vote des grands électeurs par celui des clubs, réduit le nombre de mandats et promu la parité. Naturellement, beaucoup reste à accomplir.
Nous sommes toutefois confrontés à une forte crise du bénévolat, alors même que celui-ci est particulièrement nécessaire au sein de nos clubs. Par exemple, lors d’une compétition officielle, il ne faut pas moins de trente-cinq personnes bénévoles pour composer un jury officiel. En outre, les exigences s’accroissent. Dès lors, nous devons procéder à l’ensemble des évolutions nécessaires, tout en maintenant notre base de bénévoles, en ne la décourageant pas.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Si je comprends bien, vous n’avez pris connaissance du rapport de 2014 qu’en 2016. Que s’est-il passé entre 2017 et 2020, en termes de lutte contre les VSS ?
M. Laurent Ciubini, directeur général de la Fédération française de natation. Le rapport de 2014 est celui de l’IGJS. Nous en avons pris connaissance en 2017 et avons repris nombre de ses préconisations dans le plan d’action qui est venu compléter le programme de Gilles Sézionale. Un deuxième rapport, évoqué par le président, date de 2017 et a été intégralement repris dans son plan d’action. Je n’ai personnellement jamais retrouvé de compte rendu d’actions ayant pu être menées entre le rapport de 2014 et notre arrivée en 2017. En 2017, nous avons mis en place deux premières actions : la désignation d’un référent et la création d’un comité d’éthique. Ensuite, l’année 2020 a effectivement constitué un tournant pour la libération de la parole et dix-neuf affaires ont été traitées au sein de la Fédération.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Qui a rédigé le deuxième rapport que vous avez mentionné ?
M. Laurent Ciubini. Il me semble qu’il s’agit de la Cour des comptes. Je vous le transmettrai.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je souhaite évoquer l’affaire Yannick Agnel, dont les faits sont intervenus en 2016. Pour mémoire, Yannick Agnel a été mis en examen en décembre 2021 pour viol sur une mineure âgée de 13 ans – la fille de Lionel Horter, cadre d’État, ancien DTN et ancien entraîneur, notamment de Yannick Agnel et de Roxana Maracineanu. M. Agnel a reconnu avoir entretenu une relation avec cette jeune fille, ce qui est interdit par la loi. Il est placé sous le statut de témoin assisté pour une autre affaire d’agression sexuelle. À quel moment avez-vous eu connaissance des faits qui lui sont reprochés ?
M. Gilles Sézionale. Nous en avons eu connaissance quand l’affaire a été révélée par la presse, en décembre 2021. Nous étions à ce moment-là aux championnats de France à Montpellier. La fédération n’avait pas eu de remontées jusque-là.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lors de son audition par la commission d’enquête, M. Issoulié a indiqué qu’il n’y avait pas eu de signaux avant-coureurs. Partagez-vous ce sentiment ?
M. Gilles Sézionale. Tout à fait, ce fut un véritable électrochoc. À cette époque, M. Agnel ne nageait plus et n’était plus licencié à la Fédération. Nous avons évidemment côtoyé ce nageur, mais aussi Lionel Horter, qui a été le DTN de la FFN. À aucun moment, il n’a évoqué le sujet avec nous. Rien n’avait jamais filtré.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. La cellule d’investigation de Radio France estime pourtant que plusieurs membres de l’entourage étaient au courant, de même que des nageurs et nageuses de l’époque. Qu’en pensez-vous ?
M. Laurent Ciubini. Nous l’avons entendu également, mais je peux vous affirmer que nous n’avons eu connaissance de cette affaire qu’en décembre 2021. L’affaire est en cours ; nous sommes parties civiles et attendons le jugement pour pouvoir en discuter plus en profondeur.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. M. Issoulié nous a indiqué avoir été informé par M. Horter au moment où l’affaire est sortie dans la presse, en décembre 2021. Il lui aurait alors dit qu’il savait, depuis « quelques semaines ou quelques mois ». S’agit-il de plusieurs semaines ou de plusieurs mois ? Ce n’est pas clair.
M. Laurent Ciubini. Ces propos engagent M. Issoulié. Lorsqu’il a eu connaissance de cette information, le même jour où elle a été révélée par la presse – le 9 décembre 2021 –, il en a fait état au président. M. Issoulié nous a confirmé avoir parlé avec M. Horter, qui l’avait appris quelques mois auparavant.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La fille de M. Horter a déposé plainte en juillet 2021. Pourquoi la Fédération n’a-t-elle été informée qu’en décembre ?
M. Laurent Ciubini. Malheureusement, la communication n’est pas fluide entre la justice et les fédérations. Ainsi, nous n’avons jamais eu de suivi des signalements que nous avions effectués.
M. Gilles Sézionale. Je précise que M. Horter n’était plus DTN, ni n’avait de mission au sein de la FFN à ce moment-là. Il avait été choisi par l’ancien président de la Fédération – Francis Luyce. À la suite d’une action du ministère, M. Horter n’a pas poursuivi sa mission, dans la mesure où il avait également un emploi dans son club, le Mulhouse Olympic Natation (MON).
M. Laurent Ciubini. M. Issoulié a été mis au courant des faits le même jour que nous. M. Horter n’avait pas informé sa hiérarchie.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous nous confirmez donc que la Fédération n’avait jamais entendu parler des relations entre la fille de M. Horter et Yannick Agnel avant que l’affaire ne sorte dans la presse ?
M. Gilles Sézionale. Je vous le confirme.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. M. Issoulié nous a indiqué que le club n’avait pas été informé, mais seulement la famille. Qui était le président du club ?
M. Laurent Ciubini. Il me semble qu’à cette époque, ce devait être M. Franck Horter, le frère de Lionel Horter.
M. Gilles Sézionale. Franck Horter a pris la suite de son père, Laurent, qui a été président du club MON jusqu’en 2017.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Puisque la famille était informée, cela signifie donc que le président du club l’était également.
M. Gilles Sézionale. Il m’est difficile de répondre, je ne suis pas un intime de la famille Horter. Lorsque j’ai été interviewé par la presse, j’ai indiqué que l’accueil de jeunes athlètes dans les familles, notamment de leurs entraîneurs, soulevait certaines problématiques.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. En tant que cadre d’État et père de la victime, M. Horter n’aurait-il pas dû effectuer un signalement ?
M. Laurent Ciubini. Oui, selon les procédures actuelles.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. L’article 40 existe pourtant depuis longtemps.
M. Laurent Ciubini. Certes, mais l’obligation d’effectuer un signalement selon l’article 40, ainsi que sa systématisation, sont plus récentes.
M. Gilles Sézionale. Nous avons mis en place une cellule pour traiter les dossiers prioritaires, autour de moi-même, du DTN, du directeur général et du responsable juridique. Elle nous permet de traiter les affaires très rapidement, et, si nécessaire, de soulever immédiatement l’article 40.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. La cellule d’investigation de Radio France indique notamment : « D’autres nageurs de l’époque se demandent comment les parents de la victime – Lionel et Marjorie Horter –, omniprésents dans la vie du club, en particulier lors des stages à l’étranger, ont pu ne rien voir. Lors de leur audition par les enquêteurs le 15 juillet 2021, ces derniers ont indiqué avoir eu connaissance des faits deux semaines seulement avant que leur fille ne porte plainte, soit au début des vacances d’été 2021. Toutefois, de nombreuses personnes proches du MON s’interrogent sur cette version. C’est le cas d’un ancien cadre du club, qui nous raconte cet épisode remontant à fin mars ou début avril 2019. Le MON est alors en conflit avec Yannick Agnel qui lui réclame 60 000 euros pour sa dernière année de contrat au club – celle-ci ne lui aurait pas été payée. Le club envoie alors une lettre de conciliation. « Franck Horter me dit que Yannick serait sage d’accepter cette conciliation, car ils ont un dossier sur lui et sa nièce, N. », raconte cet ancien cadre. Pour votre part, que saviez-vous ?
M. Laurent Ciubini. Nous n’en savions absolument rien, nous l’avons découvert avec l’investigation de Radio France.
M. Gilles Sézionale. Nous connaissions l’existence d’un différend d’ordre financier entre le club et Yannick Agnel. Nous n’avons jamais rien su d’un éventuel arrangement entre la famille Horter et Yannick Agnel.
M. Laurent Ciubini. Le différend portait sur une somme de 62 000 euros ; à ma connaissance, le club a honoré cette dette.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. À la suite des révélations de Radio France, la FFN a-t-elle cherché à en savoir plus sur cette tentative de conciliation ?
M. Laurent Ciubini. Non, dans la mesure où il s’agissait d’une problématique privée entre le club et l’athlète ; de plus, l’affaire était déjà devant les tribunaux.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Radio France a révélé cette tentative de conciliation ; selon elle, plusieurs personnes étaient informées. Avez-vous cherché à savoir qui elles étaient ? D’autres adultes étaient peut-être au courant, mais n’avaient pas relayé l’information.
M. Laurent Ciubini. Nous nous sommes portés parties civiles, mais il était difficile de mener une enquête alors que la justice était déjà saisie.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dès lors que Radio France avait révélé que des nageurs et des nageuses licenciés à la FFN étaient informés, n’avez-vous pas cherché à comprendre qui savait ?
M. Laurent Ciubini. Nous ne l’avons pas fait, car cela ne nous semblait ni légitime, ni utile.
M. Gilles Sézionale. Sans remettre en cause l’enquête de Radio France, il est difficile de faire la part des choses. Les parents – les premiers concernés – avaient l’air effondré. Si des nageurs étaient au courant, l’information n’est pas non plus remontée. Avons-nous été défaillants ? Si tant de gens savaient, pourquoi l’information n’est-elle jamais remontée ? Même lorsque nous avons voulu nous porter partie civile, nous avons dû agir à deux reprises, puisque cela nous a été refusé en première instance.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous nous interrogeons sur les processus institutionnalisés existants pour ce type d’affaire. En effet, lors de plusieurs auditions, nous avons entendu parler de bruits ou de rumeurs ; pour autant, les fédérations n’ont pas toujours effectué de recherche d’informations pour mieux comprendre ce qui se passait. Comment établir une voie de remontée de l’information ? Comment une fédération peut-elle enquêter ?
M. Laurent Ciubini. Si nous avions entendu des bruits sur une affaire non traitée par la justice, nous aurions déclenché une action. En l’espèce, nous avons été informés plus tard. Nous ne voulions pas marcher sur les platebandes de la justice.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Qui a effectué le signalement et à quel moment ?
M. Laurent Ciubini. Il n’y a pas eu de signalement, puisque la justice avait été préalablement saisie.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. M. Issoulié nous a indiqué que Signal-sports a effectué le signalement. Qui l’a prévenu ?
M. Laurent Ciubini. Je l’ignore. Il ne s’agit pas de la FFN. À mon sens, il s’agit de la famille, mais je rechercherai cette information.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. À quel moment le ministère des sports a-t-il été informé et qu’a-t-il préconisé ?
M. Laurent Ciubini. Le ministère a sans doute appris l’affaire par les médias, comme nous ; nous n’avons pas échangé avec la ministre de l’époque.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. M. Issoulié nous a indiqué que les capacités de réaction de la Fédération étaient réduites, car M. Agnel n’en était plus licencié. Depuis quand ne l’était-il plus ?
M. Laurent Ciubini. Il n’est plus licencié depuis le 15 septembre 2016.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous eu connaissance d’autres relations entre des entraîneurs de natation et des nageurs ou nageuses mineurs ? De combien de cas de VSS avez-vous eu connaissance ces dernières années ?
M. Laurent Ciubini. Nous avons traité en tout dix-neuf affaires : sept en 2020, deux en 2021, quatre en 2022 et six en 2023. Toutes n’ont pas connu les mêmes suites. Ces cas ont concerné : une violence sexuelle, une maltraitance sous forme de bizutage, treize atteintes à l’intégrité physique et morale, deux affaires de harcèlement physiques et moral, dix-sept fautes contre l’honneur et la bienséance. Des suspensions ont été prononcées. Nous disposons d’un recueil concernant les suites données à chacun des cas.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Disposez-vous de la traçabilité des entraîneurs mis en cause ?
M. Laurent Ciubini. Oui. Nous disposons d’un fichier centralisé et nous pouvons suspendre la licence. En cas de suspension, il est impossible de se licencier.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Cinq adolescentes ont porté plainte contre leur entraîneur de natation à Angoulême. De quelle manière cette affaire a-t-elle été traitée par la FFN ?
M. Laurent Ciubini. Pouvez-vous me donner plus de précisions ?
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Cette affaire a été révélée par la presse le 26 avril 2022. La presse a indiqué que cinq adolescentes avaient porté plainte contre leur entraîneur de natation à Angoulême. Selon les informations révélées par la Charente Libre, elles ont dénoncé des faits de harcèlement et d’agressions sexuelles ; l’homme de 33 ans serait ressorti libre après sa garde à vue.
M. Laurent Ciubini. Je vous prie de m’excuser, mais je ne connais pas ce cas. Je me renseignerai et vous fournirai plus de détails.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Cela signifie-t-il que cette affaire ne fait pas partie des dix-neuf cas que vous avez mentionnés ?
M. Laurent Ciubini. C’est exact, sauf si je l’ai mal classé.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous sommes surpris qu’une telle affaire ne vous soit pas remontée.
M. Laurent Ciubini. Ma base de données me permet d’accéder aux noms des entraîneurs.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Il s’agit d’un entraîneur du club Angoulême Natation Charente (ANC).
M. Laurent Ciubini. On me confirme que l’entraîneur en question fait bien partie des dix-neuf cas que j’ai mentionnés. Il a écopé d’une suspension de dix-huit mois, en 2022, dont douze avec sursis. Je vous prie de m’excuser, je n’avais pas fait le lien. A priori, il n’est plus suspendu à l’heure actuelle.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Savez-vous où il travaille désormais ?
M. Laurent Ciubini. Je vous le confirmerai par écrit, mais il me semble ne plus être licencié, a priori. Au bout des dix-huit mois, il peut à nouveau travailler, même à la FFN, en reprenant une licence.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je reviens sur l’affaire Agnel. M. Horter l’aurait installé chez lui pour superviser au plus près sa préparation et son hygiène de vie, dans la perspective des Jeux olympiques de Rio. La FFN le savait-elle et acceptait-elle qu’un entraîneur héberge un athlète chez lui pour superviser sa préparation ?
M. Gilles Sézionale. Il faudrait poser la question à mon prédécesseur, puisque les Jeux olympiques de Rio ont eu lieu en 2016, mais je pense que oui. La situation n’est pas simple. Quand Julien Issoulié essaye de dissuader des parents de faire héberger leur enfant chez un entraîneur, ceux-ci répondent que si la Fédération continue à les embêter, ils le feront émanciper. Il existe cependant d’autres exemples où les choses se sont bien passées. De mon point de vue, ce type d’agissement est à éviter.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. À l’heure actuelle, des nageurs ou nageuses sont-ils encore hébergés chez leur entraîneur ?
M. Laurent Ciubini. Je suppose qu’il y en a de moins en moins. Nous recommandons de ne pas le faire et nous voulons transformer cette préconisation en obligation, mais le chemin est long. La natation repose encore sur le bénévolat et il peut être extrêmement complexe pour les familles, d’un point de vue financier, de trouver des structures d’accueil. Dans notre projet de performance fédéral (PPF), nous demandons la création d’internats et de centres de ressources, d’expertise et de performance sportives (Creps), de manière à sécuriser le dispositif à des coûts relatifs. Si nous supprimons tout, nous serons confrontés à un creux générationnel.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Il peut donc encore arriver qu’un majeur dorme dans la chambre d’un mineur ?
M. Gilles Sézionale. Non, je ne pense pas que la chambre soit partagée, même si nous ne pouvons pas tout vérifier.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. M. Issoulié a évoqué le cas de clubs qui optent pour la location d’appartements sur Airbnb lors des championnats. Dès lors, un mineur est-il susceptible de dormir dans la même chambre qu’un adulte ?
M. Gilles Sézionale. Je n’ai pas été informé de tels cas. À la FFN, tout est entrepris pour réserver des chambres de manière séparée. De même, nous nous efforçons d’avoir des accompagnatrices pour les filles et des accompagnateurs pour garçons. Nous préconisons depuis longtemps de généraliser cette ligne d’action aux niveaux inférieurs.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ces préconisations ou recommandations sont-elles clairement adressées ? Sont-elles écrites ou orales ?
M. Laurent Ciubini. Notre objectif est d’inscrire cette règle dans le PPF, déjà à l’œuvre pour les déplacements fédéraux, en tant que prérequis. Si nous ne pouvons pas savoir ce qui se passe dans nos 1 300 clubs, nous allons rédiger formellement cette règle.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ce serait une bonne chose. Je souhaite également évoquer le contrat de délégation de la FFN avec le ministère. Avez-vous rempli et transmis le tableau envoyé par la direction des sports sur le bilan du contrat de délégation ? Avez-vous rencontré la directrice, Mme Bourdais, pour faire le point sur l’application de ce contrat ?
M. Laurent Ciubini. Notre directrice technique nationale adjointe a rempli et transmis ce tableau. Un rendez-vous avec Mme Bourdais est prévu le 29 novembre.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous sommes extrêmement surpris, dans la mesure où, dans votre contrat de délégation, le volet « lutte contre les violences » se contente de décrire ce que vous avez déjà réalisé. On peut y lire que la FFN a nommé un référent VSS et a entamé un dialogue avec les associations. Il est également indiqué qu’en matière de contrôle d’honorabilité, elle est parvenue à contrôler plus des trois quarts des licenciés soumis au contrôle. Il est précisé qu’une page « Lutte contre les maltraitances » a été créée sur le site, dont nous avons relevé qu’elle ne renvoie pas vers Signal-sports. La FFN a mis en place une procédure dédiée de traitement et de signalement.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dans ce contrat, vous avez listé vos réalisations, mais quels sont vos objectifs en matière de dispositif de lutte contre les VSS ? Quels sont vos engagements ?
M. Laurent Ciubini. Comme le président vous l’a indiqué, nous allons naturellement renvoyer vers Signal-sports et mettre en place un onglet spécifique sur notre site. Notre nouveau site internet sera en ligne la semaine prochaine. Nous nous efforçons d’appliquer chaque jour, dans tous les dossiers, notre politique de tolérance zéro.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lorsque nous avons reçu M. Issoulié, il a reconnu que la Fédération n’encourageait pas les licenciés à se tourner vers Signal-sports et privilégiait les circuits de signalement internes. En outre, votre page « Lutte contre les maltraitances » ne renvoie pas non plus vers Signal-sports. Est-ce un choix délibéré, visant à garder les signalements en interne ?
M. Laurent Ciubini. Nous avons créé un cercle de compétence dédié au suivi des VSS. Il détermine les procédures, en lien avec le comité d’éthique et de déontologie, qui les valide. Nous avons également établi des partenariats avec des associations comme Colosse aux pieds d’argile, Les Papillons et la Licra. Nos licenciés sont extrêmement jeunes et ont à 60 % moins de 15 ans. Dès lors, nous essayons de trouver des moyens pour les inciter à prendre la parole, grâce à ces associations. Je le redis, le nouveau site disposera d’un lien vers Signal-sports.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le ministère des sports vous a-t-il fait part de la nécessité de renvoyer les personnes vers Signal-sports ?
M. Laurent Ciubini. Ce message ne nous a pas été adressé, mais il a dû l’être au DTN. La transmission vers Signal-sports deviendra automatique.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La cellule a aussi été mise en place pour permettre aux victimes de s’exprimer en dehors de leur fédération et de leur club. Indiquer les différents moyens à la disposition des victimes permet également de faciliter la libération de la parole.
Ensuite, votre site indique que « pour des raisons de confidentialité de la procédure, afin de protéger les personnes en cause dans l’attente du déclenchement des mesures qui s’imposent, la divulgation d’informations à des médias ne saurait se faire sans l’accord du référent chargé de la lutte contre les violences de la FFN ». Pouvez-vous expliciter ce passage ?
M. Laurent Ciubini. Je n’ai pas écrit ce texte, mais je comprends ce passage comme un moyen de protéger les différents intervenants.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Votre site renvoie vers le comité éthique et sport. Or, il a été dissous en avril 2022.
M. Laurent Ciubini. Effectivement, nous n’avons plus de partenariat avec ce comité, à l’origine de problèmes. C’est la raison pour laquelle le ministère avait lancé un certain nombre d’appels à candidatures auprès de plus d’une dizaine d’associations. Nous avons contractualisé avec quatre d’entre elles.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Depuis quand procédez-vous au contrôle de l’honorabilité ? À quelle échéance pensez-vous parvenir à un contrôle d’honorabilité à 100 % ? M. Issoulié a également indiqué que 30 % des éducateurs ne sont pas contrôlés.
M. Laurent Ciubini. La difficulté à laquelle nous sommes confrontés est d’ordre technique. Tous les licenciés qui se déclarent comme encadrants remplissent une annexe. Ensuite, la plateforme connaît quelques difficultés techniques, qui nous empêchent d’avoir un contrôle à 100 %. Notre objectif est cependant d’y parvenir à court terme. Le contrôle d’honorabilité est en place depuis deux années.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Apparemment, le contrôle d’honorabilité existe depuis 2006 ou 2008. La date que vous mentionnez fait-elle référence à la plateforme ?
M. Laurent Ciubini. Je le découvre avec vous.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. À la question de savoir ce qu’il manquait pour lutter contre les VSS, M. Issoulié répondait au journal Le Parisien qu’« il faudrait que toutes les fédérations puissent avoir accès à une plateforme commune lors de la prise de licence : vous entrez un nom, une date de naissance et s’il y a un souci, un message vous demande, sans divulguer quoi que ce soit, de vous rapprocher de tel ou tel service de l’État ». Avez-vous demandé la mise en place d’une telle plateforme au ministère des sports ?
M. Laurent Ciubini. Oui. Nous en avons également parlé au Comité national olympique et sportif français (CNOSF). Cela nous semble très important.
M. Gilles Sézionale. Il serait aussi très important de voir avec l’État comment mieux codifier les sanctions. Le système repose sur des bénévoles et nous éprouvons des difficultés à trouver des personnes prêtes à donner de leur temps libre. Je souhaite que vos travaux permettent d’établir des procédures qui facilitent le travail des fédérations.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Depuis quand avez-vous fait part de cette demande de plateforme au ministère des sports et au CNOSF ? Que vous a-t-il été répondu ?
M. Laurent Ciubini. Nous avons mené ces travaux lors du renouvellement des instances du CNOSF, en 2021.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Depuis quand avez-vous instauré un comité d’éthique ? Le DTN est chargé de veiller au respect de la loi, laquelle prévoit par ailleurs que la Fédération garantisse l’indépendance du comité d’éthique. C’est la raison pour laquelle il est surprenant que M. Issoulié n’ait pas été en mesure de nous dire qui avait nommé les membres du comité d’éthique de la FFN. Pouvez-vous nous communiquer cette information ?
M. Laurent Ciubini. Les membres sont proposés par le président au comité directeur. Le comité d’éthique a été créé en 2018, en lien avec le programme électoral de M. Sézionale. Il a été présidé par M. Sébastien Rouault pendant cinq ans. Celui-ci a quitté ses fonctions fin 2022 et a été remplacé par Dominique Contensoux. Il nous faut à la fois trouver des bénévoles compétents et indépendants. Nous avons connu deux démissions lors des dernières années et avons rencontré des difficultés pour trouver des candidats.
Les remplaçants sur les postes vacants sont en cours de validation par le comité directeur, depuis lundi dernier. À l’issue de ce vote, il n’y aura plus de postes vacants.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pour quelle raison ces démissions ont-elles eu lieu ?
M. Laurent Ciubini. La situation est assez simple. Deux personnes travaillaient pour l’organisation des Jeux olympiques de Paris 2024 et rencontraient des problématiques d’agenda. Ce travail occupe en effet au moins une demi-journée par mois, un peu plus pour le président.
M. Gilles Sézionale. Je précise que je ne connais pas forcément les personnes qui sont proposées. Nous recevons les candidats qui se présentent et nous nous efforçons de retenir les plus motivés.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quelles sont vos autres recommandations pour améliorer le contrôle d’honorabilité ?
M. Laurent Ciubini. Nos principales recommandations concernent la plateforme, qui est aujourd’hui particulièrement complexe. Nous avons fait partie des fédérations pilotes pour tester le système, sur la saison 2021-2022. Le contrôle est bon, mais l’amélioration des outils sera décisive pour nous permettre de progresser. Encore une fois, nous sommes favorables à une base commune des licenciés.
M. Gilles Sézionale. Les problématiques viennent généralement des prises de licence, qui sont souvent opérées de manière manuelle. Il suffit d’une faute d’orthographe pour entraîner des problèmes sur la plateforme. À cet égard, un logiciel commun pour les prises de licence dans les fédérations constituerait une grande avancée.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous déjà obtenu des retours sur les noms rentrés dans le logiciel, à l’occasion de ces contrôles d’honorabilité ?
M. Laurent Ciubini. Oui. Ces cas ont entraîné des suspensions de licence, auxquelles nous pouvons procéder dans l’heure.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Les obligations réglementaires et légales sur la probité des instances dirigeantes sont-elles respectées ? Avez-vous réalisé une cartographie des risques d’atteinte à la probité ?
M. Laurent Ciubini. Nous avons strictement appliqué la loi, en demandant au vice-président, au trésorier, au secrétaire général et au président de transmettre les informations à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Par ailleurs, nous avons été contrôlés par l’Agence française anticorruption (AFA) il y a quelques mois. Elle a préconisé la réalisation d’une telle cartographie pour la fin de l’année 2023. Celle-ci est en cours de création et une cellule dédiée doit rendre ses travaux à la fin du mois de décembre 2023.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Dans le contrat de délégation qui la lie à l’État, la FFN s’est engagée à se doter d’un dispositif de formation aux risques de corruption. De quelle manière ce dispositif sera-t-il organisé ? Quand sera-t-il opérant ?
M. Laurent Ciubini. Nous envisageons de l’intégrer dans nos différentes formations, sous forme de modules, plutôt que de réaliser une formation dédiée.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. L’audition touche à sa fin. Souhaitez-vous compléter vos propos ?
M. Gilles Sézionale. La difficulté de notre tâche consiste à faire évoluer les mentalités sans brusquer les personnes. Nous nous appuyons essentiellement sur des bénévoles pour le fonctionnement de notre fédération ; il nous faut être pédagogues, tout en conservant une forme d’équilibre. Nous essayons de nous améliorer. Si beaucoup de progrès ont été effectués depuis 2017, nous sommes conscients du chemin qu’il reste à parcourir.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quel est le nombre exact de vos licenciés ?
M. Gilles Sézionale. Nos licenciés sont aujourd’hui au nombre de 402 000, contre 308 000 lorsque j’ai été élu.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie de votre disponibilité. N’hésitez pas à nous transmettre les documents auxquels vous avez fait référence durant nos échanges.
La commission auditionne M. André Giraud, président de la Fédération française d’athlétisme (FFA), et Mme Souäd Rochdi, directrice générale.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons à nouveau, après une première audition le 2 novembre, M. André Giraud, président de la Fédération française d’athlétisme (FFA) et Mme Souäd Rochdi, sa directrice générale.
Monsieur le président, madame la directrice générale, nous avons jugé utile de vous entendre à nouveau afin d’aborder les sujets que nous n’avons pas eu le temps d’évoquer lors de votre première audition ainsi que de clarifier certains points à la suite des réponses parfois imprécises, pour ne pas dire inexactes, que vous avez apportées.
Mme la rapporteure s’est rendue dans vos locaux vendredi dernier afin de se faire communiquer un certain nombre de documents.
Le 4 novembre, vous avez adressé à la présidente de l’Assemblée nationale un courrier dont la presse s’est fait écho, dans lequel vous estimez que votre audition s’était déroulée dans des conditions indignes de l’institution sur la forme, et déloyale sur le fond.
Faut-il rappeler que nous sommes tous ici attachés à la vitalité du monde sportif et à son apport essentiel à notre société ? Cependant, nos travaux ont pour objet d’identifier, pour mieux les corriger, un certain nombre de dysfonctionnements et dérives inacceptables. Nous cherchons à comprendre si les règles procédurales ont bien été respectées dans le traitement disciplinaire de plusieurs affaires qui ont été portées à notre connaissance au sein de la fédération que vous présidez. Nous avons procédé ainsi avec l’ensemble des représentants de fédérations que nous avons entendus.
Dans le courrier à l’attention de la présidente de l’Assemblée nationale dont vous avez adressé une copie au Président de la République, vous indiquez qu’« en vertu du principe de séparation des pouvoirs, nous ne pouvons tolérer le fait que les députés puissent ouvertement remettre en cause les décisions prises par les organes disciplinaires indépendants ». Permettez‑moi de vous rappeler que les commissions d’enquête sont parfaitement fondées à s’interroger sur le fonctionnement de l’action disciplinaire des fédérations, dont nos travaux ont déjà permis de pointer de nombreuses défaillances. Nous pouvons en revanche nous interroger sur la conception de la séparation des pouvoirs d’un président de fédération qui se tourne vers le Président de la République pour critiquer le mode de fonctionnement d’une commission d’enquête parlementaire.
Ces précisions étant faites, vous avez affirmé, lors de votre audition du 2 octobre devant cette commission d’enquête, avoir effectué un signalement au procureur de la République au titre de l’article 40 du code de procédure pénale au sujet de l’affaire Claire Palou. Pouvez-vous nous confirmer ce signalement ?
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure ».
(M. André Giraud et Mme Souäd Rochdi prêtent serment).
M. André Giraud, président de la Fédération française d’athlétisme. Pour la seconde fois, je m’adresse à vous au nom de la Fédération française d’athlétisme (FFA). Si j’ai pu regretter la forme de nos échanges, il n’y a aucune défiance de la part de la FFA envers votre commission. Bien au contraire, nous nous soumettons volontiers à votre examen.
Je souhaite vous faire part de ce que nous avons retenu de notre première audition, car nous souhaitons, comme vous, avancer. La lutte contre les violences est un sujet difficile, complexe, présent hélas dans toutes les sphères de notre société. Le sport concentre nombre de violences, qui sont de plusieurs natures : physiques, psychologiques, sexistes, sexuelles. Elles sont présentes dans le sport de très haut niveau, comme dans la pratique quotidienne, notamment celle des jeunes, et dans de nombreuses disciplines sportives.
Oui, nous devons protéger nos licenciés, nous le savons et nous le faisons. Nous devons encore progresser collectivement. Toutefois, parce que le sujet est sérieux et grave, nous ne pouvions laisser dire sans réagir que la FFA n’agit pas de manière transparente. Tous les procès-verbaux de nos commissions sont d’ailleurs consultables sur notre site internet. La FFA n’a rien à cacher et ne protège aucun athlète, ni aucun entraîneur parce qu’ils seraient des espoirs de médaille aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris. Ce n’est pas le cas.
Les Jeux de 2024, événement exceptionnel que nous attendons depuis un siècle, constituent autant une opportunité qu’une forme de difficulté pour nos fédérations. Ils créent de nombreuses attentes et frustrations que nous devons gérer quotidiennement. Comme cela a été dit par d’autres présidents de fédérations que vous avez auditionnés, nous avons des moyens limités, y compris d’un point de vue disciplinaire, au regard de notre responsabilité.
La Fédération, à travers son organe disciplinaire indépendant, effectue un travail sérieux. Je l’ai déjà affirmé ici et vous avez pu le constater par vous-mêmes à la lecture des pièces que nous vous avons transmises la semaine dernière. Vous vous interrogez sur les dysfonctionnements de nos organisations dans la lutte contre les violences. Je parlerai plutôt des limites du cadre légal actuel dans lequel évolue l’ensemble des acteurs. Il n’est pas assez efficient : il ne nous permet pas une bonne coordination ni une bonne diffusion des informations entre nos services. En écoutant à nouveau les témoignages de Claire Palou et d’Emma Odiou, je prends conscience de la manière dont elles ont ressenti les événements. Le décalage entre nos perceptions est immense. Nous devons nous en souvenir pour progresser.
Nous partageons tous des valeurs communes, puisque nous nous engageons tous au service de l’intérêt général. C’est la raison pour laquelle je souhaite que cette audition puisse se dérouler dans un respect mutuel, à la hauteur des enjeux liés aux sujets dont traite votre commission.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Notre commission d’enquête n’est en aucun cas un tribunal. Nous sommes de bonne foi et souhaitons simplement échanger afin de faire progresser le mouvement sportif et de mettre fin aux dysfonctionnements.
M. André Giraud. Je vous entends. Nous travaillons tous en faveur de l’intérêt général et sommes à l’écoute des victimes.
Lors de notre première audition, je me suis peut-être mal exprimé, mais je ne suis pas habilité à faire un signalement au titre de l’article 40. Cette compétence relève de notre directeur technique national (DTN). Dans l’affaire Palou, puisque les faits se sont déroulés au sein de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), le DTN et le directeur de l’institution se sont accordés pour que ce dernier procède au signalement au titre de l’article 40. Je rappelle également que la Fédération a guidé la victime, qui a déposé une plainte ou une main courante auprès de la gendarmerie. Elle nous a d’ailleurs remerciés par courrier électronique.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. La ministre des sports a rappelé en audition que les présidents des fédérations sont assimilés à des agents publics en ce qui concerne l’article 40. Vous pouvez donc déclencher cette procédure.
M. André Giraud. Je vous remercie pour cette précision. Je l’ignorais.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous préciser dans quel cas vous effectuez des signalements au titre de l’article 40 ? Dans les 35 cas de violences sexistes et sexuelles (VSS) que vous avez mentionnés la dernière fois, avez-vous procédé à un signalement de manière systématique ?
M. André Giraud. Comme je l’ai indiqué lors de la dernière audition, lorsqu’un cas est signalé par le service juridique ou par le comité d’éthique et de déontologie, selon la gravité des faits, je demande à l’organe disciplinaire de la Fédération de se saisir du dossier. Je n’ai jamais procédé directement à un signalement au procureur. Nous avons étoffé nos équipes et nous disposons d’un service juridique professionnel et compétent qui instruit directement l’affaire. Afin de laisser la commission de discipline travailler sereinement, je n’ai pas connaissance du déroulement des auditions des différents témoins. Je vous ai transmis les résultats de l’organe de première instance et de la commission d’appel.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Comment évaluez-vous la gravité d’un signalement et par conséquent la nécessité de saisir la commission de discipline ?
M. André Giraud. Depuis 2017, le comité d’éthique et de déontologie a traité 118 affaires, dont 47 cas (40 %) concernent la diffamation, la discrimination et le dénigrement ; 35 (18 %) portent sur des affaires à connotation sexuelle ou sexiste – tous ces dossiers ont été transmis à la commission de discipline ; 8 % relèvent du harcèlement moral et 2 % des atteintes à la laïcité. Au total, 10 % ont été transférées à l’organe disciplinaire de première instance et 10 % ont connu un prolongement juridique. Le comité d’éthique et de déontologie, qui a été créé en 2013, bien avant qu’il ne devienne obligatoire, nous transmet ses conclusions. Dans le cas d’un harcèlement moral, nous évaluons s’il est nécessaire de solliciter la commission de discipline ou d’effectuer un rappel à l’ordre.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. S’agissant de l’affaire Palou, avez-vous pu vérifier si la procédure suivie était conforme aux règles de la FFA ?
M. André Giraud. Oui. Comme je vous l’ai indiqué, je ne peux intervenir auprès de la commission, qui est indépendante. Je suis seulement destinataire des conclusions. Les juristes et le président de la commission conduisent les auditions comme ils l’entendent.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Madame Rochdi, disposez-vous d’informations sur la rédaction de la fameuse convocation qui avait été adressée la veille de l’audition ?
Mme Souäd Rochdi, directrice générale de la Fédération française d’athlétisme. Nous vous avons fait parvenir la chronologie des échanges avec Mme Palou. Il y a eu une incompréhension : Mme Palou étant convoquée en tant que témoin et non en tant que victime, elle n’avait pas vocation à être accompagnée.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La convocation indiquait également que l’auteur présumé serait présent et pourrait répondre aux propos de Mme Palou. Il me semble qu’il n’est pas dans vos habitudes de procéder à des confrontations.
Mme Souäd Rochdi. Il n’y avait pas de confrontation. Le président de la commission organise les auditions comme il le souhaite. Nous demandons au témoin et au présumé agresseur d’être présents le même jour, mais ils ne se croisent pas. Dans le cas présent, nous savions que le présumé coupable serait en visioconférence.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. L’incompréhension vient de la rédaction du courriel, qui laissait supposer que la victime se serait retrouvée face à l’auteur présumé des faits. Peut-être convient-il de réfléchir à ce propos.
Mme Souäd Rochdi. Il est vrai que la rédaction de ce type de document juridique peut paraître froide et manquant d’empathie. Nous devons nous interroger sur la manière d’accompagner les athlètes convoqués devant la commission.
M. André Giraud. Nous avons pris conscience de cette incompréhension, qui va nous conduire à demander à nos juristes de faire des efforts dans la rédaction de leurs documents. Dans le cas présent, il ne s’agissait pas d’une confrontation ; la personne qui était convoquée en commission était le présumé coupable, Mme Palou était invitée en tant que témoin. Les termes juridiques sont parfois froids et peuvent choquer.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Depuis quand la Fédération dispose-t-elle d’un référent intégrité, d’un référent violences sexuelles, et d’un référent honorabilité ?
M. André Giraud. Cela doit dater de la période 2019-2020. Nous nous sommes toujours mis en conformité avec les demandes du ministère. Un référent honorabilité est désigné parmi les élus et la DTN, comme l’exige l’État. Nous avions constitué auparavant une cellule d’intégrité au sein du comité d’éthique et de déontologie.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Le contrat de délégation indique que votre stratégie en matière de lutte contre les violences repose principalement sur votre engagement à désigner ces référents. Trois des six tirets traduisent des actions concrètes dans ce type de contrat. Cela signifie-t-il que vous vous êtes engagé à mettre en œuvre des dispositifs qui existaient déjà ?
M. André Giraud. La FFA a été la première à instituer un comité d’éthique en 2013. À l’époque, les dossiers concernaient surtout des incivilités. Lorsque nous avons suivi les recommandations du ministère, nous avons adapté le fonctionnement de notre comité d’éthique et de déontologie. Ce changement a pu d’ailleurs créer quelques conflits entre des personnes qui ne parlaient pas le même langage.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez signé le contrat de délégation en mars 2022. Or la moitié des objectifs, qu’il vous assignait, avaient déjà été atteints. Cela nous a posé question. Quels sont les nouveaux dispositifs dont la Fédération se dote pour progresser sur la question des VSS ?
Mme Souäd Rochdi. Certains sujets sont récurrents et figurent inévitablement dans le contrat. Par exemple, chaque personne qui souscrit à une licence d’athlétisme doit lire la charte d’éthique et de déontologie.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Certes, mais la désignation d’un référent intégrité, d’un référent violences sexuelles, et d’un référent honorabilité avait déjà eu lieu avant la signature d’un contrat qui semble avoir été rédigé à la va-vite. Nous ne pouvons donc pas considérer qu’il s’agit d’un nouveau dispositif. Nous nous interrogeons donc sur les outils supplémentaires dont vous souhaitez vous doter pour lutter contre ce fléau.
M. André Giraud. Dans les formations que nous dispensons, le premier module concerne l’éthique. Ce dispositif a été mis en place bien avant 2022. Depuis plusieurs années, les licenciés sont obligés de lire la charte d’éthique et de déontologie pour pouvoir valider leurs licences.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le contrat de délégation est censé être un document ambitieux, signé entre l’État et les fédérations, pour progresser sur différentes questions, et notamment celle des VSS. Il ne doit pas seulement se contenter de recenser les actions déjà menées. Comment peut-on évaluer l’exécution d’un contrat dont certains objectifs sont réalisés avant même sa signature ?
M. André Giraud. Nous sommes en train de mettre en place un plan de prévention des violences avec le DTN et la directrice des sports du ministère, Mme Bourdais, – qui nous a d’ailleurs reçus depuis la dernière audition – afin de nouer d’autres partenariats, de mieux communiquer sur nos médias fédéraux – Athlé Mag et réseaux sociaux –, et de lancer une campagne d’information et de formation auprès des ligues et des référents de ligue. Nous avons retravaillé la charte d’éthique et de déontologie de l’athlétisme. Nous soumettrons l’obtention des labels à la formation des dirigeants et des entraîneurs. Nous allons aussi faciliter le processus de signalement. Nous allons organiser des webinaires avec les personnes responsables du service juridique et avec le comité d’éthique et de déontologie pour sensibiliser, dans un premier temps, tous les conseillers techniques sportifs (CTS) et tous les entraîneurs.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dans le contrat de délégation, la Fédération mentionne la valorisation d’un système de « signalement des violences, incivilités et discriminations de toute nature » et la formalisation d’une procédure de traitement de ces signalements. En quoi consiste ce système ? Ensuite, lors du contrôle sur place, il nous avait été indiqué qu’une adresse mail dédiée avait été créée aux fins de signalement. Nous ne l’avons pas trouvée. Où se trouve-t-elle ?
M. André Giraud. Notre site internet comporte des lacunes et nous sommes en train de le revoir. Cependant, l’adresse de signalement a été créée et portée à la connaissance des entraîneurs et CTS. Nous devons désormais mettre l’accent sur la communication.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Comment une victime peut-elle trouver cette adresse électronique ?
M. André Giraud. Nous avons créé notre propre article 40, qui est d’ailleurs inscrit dans le code d’éthique et de déontologie que tous les licenciés doivent normalement lire. Il y est indiqué que tous les licenciés doivent nous signaler toute dérive ou toute forme de violence qu’ils constateraient. Désormais, il nous faut aller plus loin.
Mme Souäd Rochdi. Nous allons refondre le site pour la rentrée 2024. Il me semble que l’adresse figure dans la rubrique « licencié ».
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous eu un retour du ministère sur ce point ?
M. André Giraud. Avec la directrice générale et le DTN, nous avons participé le 6 avril dernier à une réunion avec Mme Bourdais, portant sur l’évaluation de notre contrat de délégation et sur ce sujet en particulier. J’en profite pour le répéter : nous avons reçu des félicitations sur notre gestion des problèmes de violences sexuelles en lien avec le ministère. Nous avons eu des remarques sur d’autres sujets tels que le suivi médical.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. S’agissant du suivi médical, dans le tableau que vous avez rempli à destination du ministère des sports, il est indiqué que tous les objectifs ont été atteints. Pourtant des retards nous avaient été rapportés.
M. André Giraud. Ces dernières années, nous accusions un retard considérable dans le suivi médical des athlètes. Le ministère a reconnu que nous avions progressé dans ce domaine. Le tableau est rempli par la commission médicale et la direction technique nationale. Quelques athlètes ne se soumettent pas à la totalité des contrôles inscrits dans le suivi médical, par exemple oubliant de réaliser un suivi dentaire. De nombreux dossiers sont incomplets. Le 6 avril, il nous a été indiqué que 75 % étaient à jour et qu’un effort devait être réalisé pour les 25 % restants.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Sur le tableau qui nous a été remis par la DTN, figure uniquement la mention « atteint ». Par ailleurs, il semble que vous avez décidé vous-mêmes des indicateurs sur la base desquels vous êtes évalués.
Mme Souäd Rochdi. On ne peut inventer les chiffres dans ce domaine. Alors que nous avions pris beaucoup de retard, nous avons étoffé le pôle médical. Le taux de réalisation est aujourd’hui de 74 %.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Que signifie la mention « atteint » ?
Mme Souäd Rochdi. Je ne peux le dire.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Le contrat de délégation prévoit la formalisation et la publication sur le site internet de la FFA d’une procédure de signalement des violences, incivilités et discriminations. Pouvez-vous nous décrire cette procédure ? A-t-elle été publiée sur votre site internet ? Au-delà du signalement, de quel dispositif d’écoute, de prise en charge et d’accompagnement des victimes la FFA dispose-t-elle ?
M. André Giraud. Nous avons signé une convention avec Colosse aux pieds d’argile pour l’accompagnement. S’agissant du signalement, nous disposons d’une adresse électronique spécifique, que nous nous efforcerons de rendre plus visible lors de la refonte du site. S’agissant des VSS, les sanctions que nous avons prises vont jusqu’à quarante années de suspension. Mais aucun athlète ne nous a demandé d’être accompagné.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le contrat de délégation indique que le référent intégrité, en collaboration avec le comité d’éthique et de déontologie, doit établir et décliner un plan d’action, en particulier concernant les violences sexuelles et le harcèlement. Quelles mesures ont été mises en œuvre dans le cadre de ce plan ?
M. André Giraud. Je vous ai présenté le plan que nous mettons en œuvre progressivement. Il comprend l’obligation pour le licencié de lire la charte d’éthique et de déontologie ; la faculté de signalement ; la sensibilisation à l’information des entraîneurs, qu’ils soient CTS ou entraîneurs fédéraux. Nous avons bien conscience qu’il s’agit d’un sujet délicat et nous sommes justement prêts à revoir certains éléments.
Depuis deux ans, nous avons fait de nombreux efforts pour répondre aux multiples demandes, notamment en renforçant notre service juridique, grâce à la création d’un emploi spécifique, financé sur nos fonds propres. Nous avons également demandé à chaque président de ligue de créer un poste de référent intégrité.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. De quelle manière la FFA a-t-elle communiqué sur l’existence de la cellule Signal-sports ?
M. André Giraud. Chaque fois qu’un cas a été signalé, il a été transmis à Signal-sports.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Ce n’est pas ma question. Vos licenciés ont‑ils accès à Signal-sports ?
Mme Souäd Rochdi. Sur le site de la Fédération figure un onglet « Aide aux victimes », qui renvoie vers Signal-sports.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je comprends donc qu’il faut cliquer sur le lien et que Signal-sports n’est pas indiqué en première intention.
Mme Souäd Rochdi. Nous devons améliorer cet aspect.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Il importe de mieux faire connaître Signal-sports afin que toute victime sache qu’elle peut y faire un signalement. En facilitant l’accès, on contribue à libérer la parole.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le ministère des sports vous a-t-il demandé de communiquer précisément sur l’existence de la cellule ?
M. André Giraud. Lors de la réunion en avril, nous avons évoqué Signal-sports. La mention de la cellule figure bien sur notre site même si elle est difficile à trouver.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pour communiquer sur l’existence de la cellule, il ne suffit pas qu’elle apparaisse sur votre site, il faut la valoriser.
M. André Giraud. Nous avons parfaitement conscience de la nécessité de renforcer le plan d’action que je vous ai décrit. Sachez que nous essayons de faire le maximum, compte tenu des très nombreuses actions qu’il nous est demandé de mener simultanément de surcroît. Je ne nie pas la nécessité d’accentuer nos efforts en la matière.
Par ailleurs, vous nous aviez demandé si nous souhaitions formuler des propositions. L’une d’entre elles pourrait consister à mieux coordonner les actions de signalement des différentes fédérations. Un cadre unique applicable à toutes les fédérations permettrait d’éviter les incompréhensions.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La cellule Signal-sports est censée uniformiser les signalements dans toutes les fédérations. Nous avons constaté que les fédérations disposent souvent de leur propre outil. Lorsque vous avez rencontré Mme Bourdais, après la dernière audition, vous a-t-elle demandé d’améliorer la communication relative à Signal-sports ?
M. André Giraud. Ce sujet a effectivement été évoqué. Nous partageons tous le souci de progresser. Les dispositifs ont besoin d’être clarifiés.
Mme Souäd Rochdi. Le tableau qui vous a été fourni montre que les signalements peuvent provenir de plusieurs sources, comme Signal-sports, la Fédération ou le comité d’éthique et de déontologie.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je ne crois pas voir d’onglet « Signal-sports » dans le tableau.
Notre interrogation porte sur le manque d’évaluation par le ministère des sports de l’usage que font les fédérations d’un outil qu’elle a créé.
M. André Giraud. J’en vois au moins deux.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous ne parlons pas du même tableau. D’après nos informations, la Fédération doit remplir un tableau envoyé par le ministère afin d’évaluer les actions qu’elle a entreprises. Or nous constatons que l’information sur la cellule Signal-sports ne fait pas partie des items proposés. Comment évaluer des outils s’ils n’apparaissent pas dans les items ?
Mme Souäd Rochdi. Cela regarde plutôt la direction technique nationale.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Les remarques que le ministère vous a faites oralement au sujet de Signal-sports n’apparaissent pas dans le tableau d’évaluation.
M. André Giraud. À l’issue de la réunion du 6 avril, nous avons demandé à Mme Bourdais de nous adresser un courrier listant les points à améliorer, notamment le suivi médical renforcé, afin de mettre la pression sur notre commission médicale.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La plupart des décisions les plus récentes de l’organe disciplinaire de première instance, recensées par le site internet, concernent des comportements inappropriés, verbaux ou physiques, notamment sexuels – quatre des six décisions du mois de juillet 2023. Il s’agit très souvent de comportements de la part d’entraîneurs à l’égard des sportives. L’athlétisme est-il un sport plus touché que les autres par les VSS ? Si tel est le cas, comment l’expliquez-vous ?
M. André Giraud. Je ne me suis pas penché sur les autres sports. À mon avis, ces phénomènes sont plus fréquents dans les sports individuels que dans les sports collectifs. Lorsque les athlètes s’entraînent en groupe, les problèmes sont moins fréquents. Les difficultés surviennent plutôt lorsque les athlètes s’entraînent avec un entraîneur de manière individualisée, notamment en dehors du club. Nous avons peu de prise car les athlètes ne nous disent pas qu’ils partent en stage. Les signalements, que nous avons traités immédiatement, correspondaient à ces situations et nous avons pris des sanctions très fortes.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. La FFA s’est-elle déjà constituée partie civile dans une affaire concernant l’un ou l’une de ses licenciés ? Et si tel est le cas, quelle était la nature de l’affaire ?
M. André Giraud. Cela nous est arrivé, principalement en matière de dopage. Nous avons été mis en cause par des athlètes qui partaient effectuer un stage individuel et qui nous ont rendus responsables, alors que nous ne savions pas où ils se trouvaient. Nous ne pouvons pas empêcher un athlète de partir avec son entraîneur pour faire un stage au Mexique, au Maroc ou aux États-Unis. Dans certains cas de ce type, nous nous sommes constitués partie civile en raison de l’atteinte à l’image de la Fédération.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous eu des retours ?
M. André Giraud. Une autre affaire concernait une athlète, pour des problèmes financiers. Nous nous sommes constitués partie civile et nous avons gagné.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous êtes-vous constitués partie civile sur des cas de VSS ?
M. André Giraud. Non. Nous nous sommes posé la question. Dans les cas de violences sexuelles, la constitution de partie civile est quasi systématiquement refusée par les juges.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La Fédération française de tennis le fait pourtant, y compris pour des VSS. Nous avons reçu juste avant vous les responsables de la Fédération française de natation. On lui a refusé la possibilité de se constituer partie civile en première instance mais elle a eu gain de cause en appel. Vous pouvez donc le faire également.
M. Stéphane Mazars (RE). Selon vous, n’y aurait-il intérêt à essayer de vous porter partie civile, sachant que cela vous permet d’accéder au dossier et de faire valoir les droits et l’image de la Fédération ?
Ensuite, quelles sont vos préconisations pour améliorer la gestion et l’organisation de votre fédération ? L’articulation entre les procédures administratives, disciplinaires et judiciaires vous semble-t-elle suffisamment claire ? En effet, les temporalités ne sont pas identiques.
M. André Giraud. J’ai pris bonne note de la remarque de Mme la rapporteure que nous ne manquerons de mettre en pratique. Le fait de pouvoir accéder aux dossiers en tant que partie civile nous permettra ainsi de mieux traiter les cas disciplinaires.
S’agissant de la temporalité, le code du sport nous demande de traiter des cas disciplinaires en dix semaines. Or le temps judiciaire est bien plus long ; il dure parfois des mois, voire des années. Quand nous traitions nous-mêmes les cas de dopage, les suspensions intervenaient dans les dix semaines. Aujourd’hui, nous n’avons plus le droit de sanctionner des athlètes soupçonnés de dopage. Par exemple, un athlète poursuivi pour des « no show » répétés il y a deux ans n’est toujours pas sanctionné. Aujourd’hui, seule l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) peut le suspendre. S’il est suspendu au bout de deux ans, toutes ses performances réalisées entre-temps, y compris les médailles obtenues pour la France, seront annulées.
Nous avons besoin de circuits plus courts à l’intérieur desquels nous sommes prêts à collaborer. Nous aimerions obtenir une uniformisation et une accélération des procédures.
Par ailleurs, nous ne sommes qu’au début des problèmes de VSS. La parole ne s’est libérée qu’il y a trois à quatre ans, mais nous n’étions pas prêts. Nous avons renforcé le service juridique, avec les moyens dont nous disposions, mais nous avons parfaitement conscience de la nécessité d’une coordination avec les autres fédérations et le ministère des sports.
M. Stéphane Buchou (RE). Sans épiloguer, je regrette les messages qui ont suivi la première audition et qui ne sont pas à la hauteur de nos travaux, ni surtout des enjeux. Nous ne consacrons pas autant de temps sur ces sujets pour être égratignés de la sorte.
Vous avez indiqué que, lors de votre rencontre avec Mme Bourdais, après la première audition, des axes d’amélioration avaient été évoqués. Qu’entendez-vous par là ? Un plan a‑t‑il été établi ?
Ensuite, la presse du département dont je suis l’élu, la Vendée, fait état ce matin de la condamnation d’un entraîneur d’athlétisme à deux ans de prison avec sursis avec interdiction d’exercer toute activité en lien avec des mineurs pour des agressions sexuelles et sexistes. La plainte avait été déposée en 2015. La Fédération avait-elle eu connaissance de ces agissements ? Pouvons-nous avoir l’assurance qu’il n’exerce plus de fonctions dans l’athlétisme, ni dans d’autres sports ?
M. André Giraud. Comme cela l’a été indiqué au préalable, nous avons établi un plan de prévention des violences, qui a été évoqué avec Fabienne Bourdais. Certaines des actions qu’il préconisait sont déjà conduites et d’autres vont l’être. Ce plan pourra vous être remis si vous le souhaitez.
Ensuite, le dossier que vous évoquez est en cours de traitement par la commission de discipline. Comme nous l’avons décidé dans d’autres dossiers, il n’est pas question pour nous que cette personne continue à entraîner ailleurs. Il y a deux ans, nous avons été confrontés au cas d’un cadre fédéral qui avait quitté l’Aquitaine pour la Bretagne et qui s’était glissé entre les mailles du filet pour rejoindre un petit club. Quand nous l’avons appris, nous avons fait cesser immédiatement son activité.
M. Stéphane Buchou (RE). Quand avez-vous été saisi ?
M. André Giraud. Il n’y a pas très longtemps.
Mme Souäd Rochdi. Je précise que notre rendez-vous avec la directrice des sports était prévu de longue date ; il n’était pas lié à notre audition.
M. Stéphane Buchou (RE). Ma question concernait plutôt Signal-sports. Vous avez évoqué, sans doute à juste titre, la nécessité d’une harmonisation des procédures des fédérations en matière de VSS. La priorité doit être donnée aux victimes et leurs démarches doivent être simplifiées.
Ensuite, vous nous dites avoir été informés récemment de l’affaire que j’ai évoquée, mais l’article de presse fait état d’un dépôt de plainte en 2015.
Mme Souäd Rochdi. Nous en avons été informés le 5 avril 2023 par Signal-sports.
M. Stéphane Buchou (RE). J’en déduis que vous n’avez pas eu la possibilité de vous porter partie civile.
Mme Souäd Rochdi. Exactement.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous tenté de comprendre à quel moment le ministère des sports avait été informé de cette plainte ?
M. André Giraud. Non. J’apprends aujourd’hui que la plainte date de 2015.
M. Stéphane Buchou (RE). Ce cas illustre le problème auquel nous sommes confrontés. Dans l’article de presse, il est indiqué que la plainte déposée en 2015 a été classée sans suite. S’exprimant sur l’affaire, la procureure a indiqué que la personne incriminée avait perpétré les mêmes comportements déviants pendant vingt ans. Entre 2015 et 2023, huit ans se sont écoulés – il y a quand même un souci. Comment l’expliquez-vous ?
M. André Giraud. De ce que je comprends de l’affaire, puisque la plainte a été classée sans suite en 2015, aucun signalement ne nous est parvenu, y compris au niveau local. Mais vous avez raison, il nous faut trouver les voies appropriées pour faire remonter les informations.
M. Stéphane Buchou (RE). Aujourd’hui, avez-vous les moyens et surtout l’envie d’investiguer pour faire la lumière sur les dysfonctionnements dans ce cas précis ? Comment se fait-il qu’à aucun moment vous n’ayez été informés ? Peut-être conviendrait-il également d’entendre les victimes, ne serait-ce que pour savoir si elles en avaient parlé aux dirigeants de leur club.
M. Stéphane Mazars (RE). Nous sommes en 2015. La plainte avait été classée sans suite à l’époque. Les bénévoles du club ne pouvaient sans doute pas faire plus.
M. André Giraud. Nous avons naturellement envie d’en savoir plus. J’interrogerai le président de la ligue en poste à l’époque. Je rappelle que nous avons créé un poste de juriste complémentaire, sur les fonds propres de la Fédération, et que nous avons investi 12 000 euros dans notre partenariat avec Colosse aux pieds d’argile. Nous n’avons pas les moyens humains d’effectuer le travail de la police.
Le ministère a lancé un plan Sport emploi, qui permet de créer des postes aidés par l’État. Je propose que ce plan finance des postes de juristes complémentaires dans les 110 fédérations que compte notre pays. Nos moyens financiers ne nous permettent pas de créer de nombreux emplois et nous n’avons pas été formés pour mener des investigations.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons constaté à plusieurs reprises que des personnes avaient été informées de différents cas de violences, mais qu’elles n’avaient rien dit, n’avaient pas fait remonter l’information. C’est la raison pour laquelle nous vous demandons si vous pouvez vous renseigner pour savoir ce qu’il s’est passé et pourquoi l’information n’est pas remontée jusqu’à vous. Dans de telles affaires, ne rien dire équivaut à être complice. 1.14 à compléter.
Mme Souäd Rochdi. À ce sujet, notre code éthique précise bien que si un licencié est informé de quelque chose, il doit en informer la Fédération. Si nous apprenons qu’un licencié ne l’a pas fait, nous pouvons le sanctionner.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous confirmez que vous n’aviez aucune information sur le comportement de cet entraîneur dans le club ACLR (Athletic club La Roche‑sur‑Yon), n’est-ce pas ?
M. André Giraud. Non, je n’avais aucune information. J’interrogerai le président de la ligue.
M. Stéphane Mazars (RE). Une fois encore, la possibilité pour les fédérations de se constituer partie civile, et ainsi de pouvoir accéder aux dossiers, me semble essentielle. Cela vous aurait permis dans cette affaire de vous forger une conviction sur les éventuels dysfonctionnements. De manière plus générale, le fait d’avoir connaissance des dossiers dans les affaires qui arrivent devant les tribunaux aujourd’hui est aussi un moyen de faire les indispensables retours d’expérience.
M. André Giraud. Nous allons nous intéresser à cette affaire. Par ailleurs, je ne vous cache pas qu’en dehors des trente-cinq dossiers déjà évoqués, sept ou huit sont en cours. Ces instructions demandent des moyens, parfois au détriment de notre cœur de métier. Par exemple, nous sommes en train de revoir les statuts des ligues et des comités pour imposer la parité – domaine dans lequel la fédération a été pionnière – dès les élections de 2024 dans les départements – toutes les instances nationales sont déjà paritaires. Malheureusement, nous n’avons pas le temps de travailler sur le sujet car le juriste qui a été embauché est absorbé par les dossiers sur les violences. Le manque de moyens des fédérations est patent alors que nous avons tant à faire dans des domaines très variés. Pour autant, nous sommes conscients des progrès qui demeurent à accomplir.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lors de nos auditions, plusieurs acteurs ont évoqué l’idée d’une autorité indépendante pour gérer les affaires de violences, qui sont chronophages et demandent des moyens ainsi que des compétences. Qu’en pensez-vous ?
M. André Giraud. Je suis pour ma part très favorable à une telle autorité indépendante, qui nous permettrait de mieux traiter ces problèmes grâce à des spécialistes et des juristes. Nous pourrions ainsi leur transmettre les dossiers, ce qui nous faciliterait la tâche et garantirait un traitement harmonisé. Dans le domaine du dopage, l’AFLD prononce des sanctions dans tous les sports, de manière uniforme. Jusqu’en 2019, les fédérations prononçaient les sanctions pour dopage selon leur propre échelle quand certaines cachaient le dopage. Depuis que l’AFLD a repris en main cette question, les mêmes sanctions s’appliquent à tous les sportifs, quels qu’ils soient. Nous sommes très favorables à la création d’une institution qui pourrait nous venir en aide.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je souhaite à présent évoquer le contrôle d’honorabilité. Où en êtes-vous ? Le tableau qui nous a été transmis porte aussi la mention « atteint ». Qu’est-ce que cela signifie ? Pouvez-vous également évoquer les difficultés rencontrées lors de ces contrôles d’honorabilité ?
M. André Giraud. En 2021, en phase de test, 83 contrôles ont été effectués, puis 6 698 en 2022 et 10 476 en 2023. Ils ont concerné 7 126 dirigeants et 3 350 entraîneurs. D’après le ministère, si des progrès restent à accomplir dans ce domaine, nous ne sommes pas en retard par rapport à d’autres fédérations.
Mme Souäd Rochdi. Les chiffres actualisés montrent que nous avons même dépassé la barre des 20 000 contrôles en 2023, la semaine dernière. La direction des sports estime que leur nombre devrait s’établir autour de 30 000, compte tenu du nombre de nos licenciés.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lors de mon contrôle sur place, j’ai pu constater les difficultés dans le temps de traitement des informations. En avez-vous parlé au ministère des sports ? Des réflexions sont-elles en cours pour améliorer le dispositif ?
M. André Giraud. Nous avons effectivement fait remonter les difficultés que vous avez vous-même constatées, notamment avec le logiciel. On nous a assuré que le problème avait été pris en compte et que des améliorations verraient bientôt le jour.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Un délai vous a-t-il été donné ?
M. André Giraud. Non. Nos remarques, que nous n’étions pas les seuls à les formuler, ont été prises en compte.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je souhaite revenir sur le tableau. À quoi correspond la mention « atteint » ? Cela signifie-t-il que vous avez contrôlé toutes les personnes qui devraient l’être ou que le nombre de personnes contrôlées est satisfaisant à vos yeux ?
Mme Souäd Rochdi. Le tableau a été rempli par les services de la direction technique nationale. Le contrôle d’honorabilité a été réalisé sans forcément avoir des objectifs précis. En revanche, comme je vous le disais précédemment, lors de la réunion avec la direction des sports, le chiffre de 10 000 contrôles était jugé insuffisant par rapport au nombre de licenciés de la Fédération.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourquoi n’atteignez-vous pas aujourd’hui le chiffre de 30 000 contrôles ? Est-ce lié au fait que vous n’avez pas pu entrer les 30 000 noms dans le logiciel ? À l’inverse, avez-vous entré ces 30 000 noms mais vous a-t-il été indiqué qu’il n’était pas possible de réaliser le contrôle intégral ?
M. André Giraud. Certains contrôles n’ont pas pu être réalisés en raison de défaillances du logiciel. En outre, nous éprouvons des difficultés, en dépit de notre insistance, pour obtenir les remontées suffisantes auprès de nos dirigeants territoriaux. Des progrès ont malgré tout été effectués, et nous continuons d’insister auprès d’eux, lors de chaque réunion.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Tous les bénévoles de la FFA sont-ils licenciés dans un club, comme le souhaite la ministre des sports afin de garantir une traçabilité ?
M. André Giraud. Normalement, tous nos bénévoles sont licenciés.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous dites « normalement ». Pouvez-vous le vérifier ?
M. André Giraud. Cet élément fait partie de notre règlement intérieur et de nos statuts. Tous les membres d’un club doivent être licenciés.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je parlais des bénévoles.
M. André Giraud. Tous les bénévoles qui encadrent ou interviennent doivent être licenciés à la Fédération française d’athlétisme.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Comment pouvez-vous le vérifier ?
M. André Giraud. Nous le vérifions avec les présidents de ligue.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Tous les bénévoles sont-ils donc bien licenciés à la Fédération ?
M. André Giraud. Un bénévole qui vient apporter une aide temporaire lors d’une manifestation pour transporter des javelots ou des poids, pour tendre un gobelet aux coureurs durant une course n’est pas obligatoirement licencié. En revanche, pour pouvoir effectuer des tâches d’encadrement, la licence est obligatoire.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. La question pourrait peut-être se poser. Elle l’est d’ailleurs par la ministre des sports. Une personne qui accompagne des mineurs le dimanche matin à une compétition pourrait devoir être licenciée au sein du club et donc de la Fédération, afin de garantir une traçabilité.
M. André Giraud. Nous sommes naturellement favorables à cette démarche, qui nous permettrait de gagner des licenciés. De la même manière, depuis que je suis élu, j’ai formulé une proposition qui n’a pas été véritablement entendue jusqu’à présent. Il y a aujourd’hui en France 10 millions de runners, c’est-à-dire 10 millions de coureurs, à comparer à nos 300 000 licenciés. Ils pratiquent pourtant l’athlétisme et on les autorise à courir avec des organisations privées qui ne sont pas affiliées à la Fédération.
Nous avons soumis une proposition aux différents ministres : si chaque runner, chaque marathonien, versait un euro par an pour pouvoir courir, la Fédération n’aurait plus besoin de recourir à l’argent public. Je vous indique que cette démarche est à l’œuvre pour le triathlon ou pour le cyclisme : il n’est pas possible de pratiquer le triathlon sans être licencié. Nous serions alors la première fédération de France, puisqu’il n’y a pas 10 millions de footballeurs.
Mme Claudia Rouaux (SOC). Je tiens à vous faire part d’un cas qui m’a été signalé. Il y a une quinzaine de jours, j’ai discuté avec les responsables d’une importante association d’athlétisme, qui accueille 570 licenciés. Le président m’indiquait avoir effectué un signalement concernant un entraîneur auprès de la délégation régionale académique à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (Drajes) de Bretagne. En effet, des jeunes filles quittaient le club et le président s’est rendu compte que l’entraîneur en question les harcelait, leur envoyant notamment des sms douteux. Cet entraîneur est ensuite parti dans un autre club du sud de la France. Il est finalement passé à l’acte et aujourd’hui, il est revenu dans son club initial, à Mantes, il me semble, où son père est un entraîneur connu. Cette affaire illustre le fait que malgré le signalement, rien ne s’est véritablement passé. L’entraîneur a continué d’exercer et d’être rémunéré et il est finalement passé à l’acte. Quelles sont les failles qui empêchent de sanctionner de tels agissements ?
M. André Giraud. Je n’avais pas connaissance de ce dossier. Le signalement a‑t‑il effectué auprès de la Fédération ?
Mme Claudia Rouaux (SOC). Le président de club l’a signalé à la Drajes.
M. André Giraud. Lorsque de tels signalements nous sont adressés, ils sont immédiatement traités en commission de discipline, dans les dix semaines. Mais si la Drajes n’a pas fait remonter l’information…
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Comment expliquez-vous que le président de club n’ait pas fait remonter l’information au sein de la Fédération ? Un président n’est-il pas obligé de le faire ?
M. André Giraud. Notre charte le prévoit effectivement. Nous sommes une des rares fédérations aussi à avoir mis en place, depuis plusieurs années, une formation de dirigeant, sanctionnée par des diplômes. Il existe ainsi trois degrés de diplôme et chaque année, des dirigeants passent les différents modules, dont le premier est consacré à l’éthique. Madame la députée, pouvez-vous nous transmettre les noms ? Nous vérifierons. Il peut arriver qu’un bénévole devienne président sans avoir été formé, après la démission de son prédécesseur, pour assurer la pérennité du club. Si le président a contacté la Drajes mais n’a pas saisi, au moins, le président de la ligue, cela signifie qu’il ne connaît pas le fonctionnement de la Fédération, ce qui nous interpelle.
Mme Claudia Rouaux (SOC). Je connais ce club depuis vingt ans. Le dirigeant est un homme remarquable, mais il ne connaissait pas la procédure. Pour lui, le fait d’alerter la Drajes était important. Cet exemple illustre un manque de communication, en particulier sur les violences, au sein des institutions sportives – pas toutes puisque nous en avons trouvé une qui fait u travail remarquable en la matière. Malgré tout, l’information a circulé, puisqu’un autre président de club, dans lequel cet entraîneur postulait, l’a appelé. Le dirigeant dont je vous parlais a expliqué la situation et l’a dissuadé de recruter l’entraîneur.
Il est nécessaire de sécuriser les procédures, car, malgré toute la bonne volonté des bénévoles, les failles dans la communication sur les VSS ou les autres violences sont criantes. La tâche des dirigeants bénévoles est déjà très difficile et chronophage et, en l’espèce, le président était persuadé d’avoir bien fait les choses. On peut aussi s’interroger sur l’absence de réaction de la part de la Drajes.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez évoqué la charte. Lorsqu’un président de club ou de ligue est élu, est-il informé des démarches à accomplir cas de violences, quelles qu’elles soient ? La Fédération est-elle très précise sur les procédures à suivre ?
M. André Giraud. Notre charte et notre code d’éthique et de déontologie figurent sur notre site et doivent être consultés avant de pouvoir se licencier. Le président du club est censé avoir lu cette charte, sur laquelle nous avons beaucoup communiqué. Nous allons relancer une nouvelle campagne de communication.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je comprends la procédure pour les licenciés. Mais menez-vous une action spécifique en direction des présidents de club ou de ligue, dont les responsabilités sont plus importantes ? Ne serait-il pas nécessaire de réfléchir à un document spécifique sur les obligations de déclaration, notamment des cas de VSS, pour un dirigeant de club ou de ligue ?
M. André Giraud. Nous disposons d’un mécanisme de labellisation des clubs. Pour qu’un club soit labellisé, le président du club doit posséder le diplôme de dirigeant, donc avoir passé le premier module de formation sur l’éthique, les droits et les devoirs. Si le club en question est labellisé, son président n’a pas suivi les consignes. Dès lors qu’il est diplômé, il devrait connaître les procédures.
Les petits clubs qui se créent en milieu rural ou dans les quartiers ne sont pas forcément labellisés, mais nous incitons leurs dirigeants à suivre ces formations. Nous tenons compte de vos remarques, madame la rapporteure, pour améliorer la communication sur les démarches à entreprendre lorsqu’un cas est signalé.
Mme Souäd Rochdi. Nous adressons également des circulaires aux clubs pour les informer. Il y a un mois, nous avons communiqué, notamment sur l’adresse de signalement de la FFA. Comme je l’ai indiqué, nous allons refondre notre site internet pour le rendre plus claire ; grâce à un outil de gestion de la relation client (CRM), nous pourrons mieux cibler nos interlocuteurs et adapter notre discours : on ne parle pas de la même façon à un licencié qui pratique la course à pied qu’à un bénévole ou à un président de club. La communication sera meilleure dès la rentrée 2024.
Mme Claudia Rouaux (SOC). Les associations qui organisent des manifestations, comme des courses sur route par exemple, ne sont pas nécessairement affiliées à la FFA, souvent pour des raisons financières, et échappent ainsi à tout contrôle. En la matière, je partage votre remarque, la vigilance doit être de mise.
M. André Giraud. Je suis très heureux de votre remarque, dans la mesure où je formule régulièrement des propositions à ce sujet depuis 2017. Lorsque les courses sur route – aujourd’hui les trails et les courses en nature – ont fait leur apparition dans le paysage de l’athlétisme, les dirigeants des années soixante-dix ne s’y sont pas intéressés, à tort. Nous les avons laissées se développer, mais ces petites courses conviviales sont devenues de grosses affaires commerciales, qui brassent beaucoup d’argent. Malheureusement, cette manne ne profite pas au mouvement sportif alors qu’il pourrait permettre à des clubs de créer des emplois.
Par ailleurs, ces manifestations ne font pas l’objet de prévention médicale. Dans certains cas, les certificats médicaux qui sont présentés sont des certificats de complaisance, voire des photocopies de certificats médicaux. À l’inverse, le club garantit une prévention médicale.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Estimez-vous que votre comité d’éthique et de déontologie fonctionne de manière satisfaisante et suffisamment indépendante ? A-t-il connu des démissions et si tel est le cas, pour quelles raisons ?
M. André Giraud. Ce comité fonctionne de manière satisfaisante et suffisamment indépendante selon moi. Ses membres prennent leur travail à cœur. Son président m’appelle deux fois par semaine pour me faire part de cas, souvent légers, sur lesquels il a été alerté. En effet, des démissions sont intervenues, à cause de relations interpersonnelles difficiles et de points de vue différents. Certaines personnes ne se sont pas entendues avec le président actuel. Je regrette ces démissions.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Sur quels sujets portaient ces mésententes ?
M. André Giraud. Je crois que les personnes démissionnaires reprochaient au comité de ne pas pouvoir prononcer des sanctions. Mais le comité n’a pas de pouvoir en la matière, contrairement à la commission de discipline, il peut uniquement émettre des recommandations.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Êtes-vous satisfaits des avis rendus par le comité d’éthique et de déontologie ?
M. André Giraud. Tout à fait.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Combien de démissions avez-vous recensées jusqu’à présent ?
M. André Giraud. Il y a eu deux démissions depuis 2018 ou 2019.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La composition du comité est-elle paritaire aujourd’hui ?
M. André Giraud. Elle ne l’est pas pour le moment, mais nous souhaitons y parvenir pour le prochain mandat. Actuellement, il est composé de huit hommes et de quatre femmes. Les services, représentés par deux femmes, y participent également.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Outre le désaccord sur la possibilité de prononcer des sanctions, d’autres raisons ont-elles été invoquées par les démissionnaires ?
M. André Giraud. À ma connaissance, les deux personnes qui ont démissionné l’ont fait uniquement en raison de leur désaccord avec les procédures juridiques de la Fédération. Je regrette leur choix. Elles estimaient que, dans un ou deux cas, le comité devait prononcer des sanctions. Or, selon nos règles, seule la commission de discipline, saisie par le comité, est dotée de ce pouvoir.
Mme la présidente Béatrice Bellamy. Confirmez-vous que le comité est composé de quatre femmes ?
M. André Giraud. Oui. Il y a quatre femmes, plus deux autres issues des services.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Les deux personnes qui ont démissionné sont‑elles des femmes ?
M. André Giraud. Oui. Les démissions datent du mandat 2017-2020.
Mme Claudia Rouaux (SOC). Je tiens à souligner que le travail de la présidente et de la rapporteure de la commission est remarquable. Nous avons tous été très affectés par la première audition, et notamment le traitement des cas des deux athlètes évoqués. Nous regrettons les manquements qui ont été mis en lumière. J’espère qu’à la suite des auditions, nous aurons tous pris conscience que lorsqu’une victime considère avoir été abusée, un signalement immédiat doit être effectué. C’est à la justice ensuite de se prononcer. On ne peut pas laisser un comité d’éthique ou d’autres personnes, qui n’ont pas forcément les compétences juridiques, porter un jugement.
Les victimes doivent être soutenues de manière inconditionnelle. J’ai eu la chance de rencontrer Catherine Moyon de Baecque. Lorsque j’ai écouté les deux athlètes qui sont venues témoigner devant la commission d’enquête, j’ai été replongée dans le drame qu’elle avait vécu à l’époque. Vingt ou trente ans plus tard, on a le sentiment que les progrès sont insuffisants. C’est la raison pour laquelle nous sommes particulièrement tenaces. Derrière ces affaires, il y a de l’humain, des femmes en l’occurrence. Tout le monde doit pouvoir s’épanouir, à la fois sportivement mais aussi sur le plan personnel.
En résumé, je soutiens pleinement mes collègues qui ont eu raison de vous pousser dans vos retranchements car le sujet le mérite.
M. André Giraud. Dans les années quatre-vingt-dix, j’étais tout juste licencié à la Fédération, mais j’avais eu connaissance de cette affaire. Il y a à peu près un an, à l’occasion d’une soirée de remise de récompenses organisée par le Comité national olympique et sportif français, j’ai voulu m’entretenir avec Catherine Moyon de Baecque. Mais elle a refusé de me serrer la main, parce que j’étais le président de la FFA. Cela m’a marqué.
Ensuite, j’ai heureusement eu l’occasion de la rencontrer. Elle est venue à la Fédération et nous avons d’ailleurs publié un numéro spécial de notre magazine, qui lui consacrait quinze pages, et qui a été distribué à tous les licenciés. Dans ce numéro figure également Emma Odiou. Toutes les deux ont ainsi pris la parole. Depuis, lorsque nous nous croisons, Catherine Moyon de Baecque me remercie de l’action entreprise par la Fédération.
Par ailleurs, j’ai réécouté l’audition d’Emma Odiou et de Claire Palou, qui ont fait part de leur ressenti et de leurs reproches vis-à-vis de la Fédération. Mais je peux vous garantir que leurs dossiers n’ont pas été traités avec négligence. Je les ai apportés, ils représentent plus de 200 pages. Ces dossiers ont été traités par le service juridique de la Fédération. Chaque fédération dispose de son propre cadre juridique mais je ne peux pas laisser dire que nous aurions laissé tomber l’affaire. Nous avons traité ces cas, qui ont par ailleurs fait l’objet de non-lieu lors de leur traitement judiciaire. Que pouvons-nous faire de plus, si ce n’est continuer à les accompagner ? Les enquêtes de police n’ont pas abouti à la condamnation des présumés coupables et de notre côté, nous ne sommes pas des juges.
Je regrette que la première audition ait sans doute été émaillée d’incompréhensions de part et d’autre.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nos interrogations étaient plus que légitimes à l’issue de leur audition. En l’espèce, ces deux athlètes étaient en détresse, elles avaient effectué un signalement, mais la procédure de l’article 40 n’a été déclenchée que plusieurs mois après, alors qu’elle est censée intervenir immédiatement. En l’espèce, c’est l’Insep qui a fait usage de l’article 40. J’entends vos propos, mais, vous l’avez rappelé, la Fédération dispose de dix semaines pour instruire un signalement pouvant donne lieu à une mesure disciplinaire tandis que le temps de la justice peut être beaucoup plus long. Il peut être nécessaire de prononcer une sanction disciplinaire en amont de la décision de justice, précisément pour mettre à l’abri la victime ou d’autres potentielles victimes.
Le fait d’avoir auditionné l’ensemble des acteurs a permis de montrer que l’intervention de plusieurs organes dans le dossier a conduit à un déclenchement tardif de l’article 40. La FFA n’est pas la seule concernée ; nous avons par exemple eu l’occasion de constater qu’au sein de la Fédération française de football, il a parfois fallu attendre un an pour comprendre que le signalement au titre de l’article 40 n’avait pas été fait.
Les nombreux dysfonctionnements ont provoqué beaucoup de détresse chez des victimes qui ont eu le sentiment – à tort ou à raison, mais nous ne sommes pas là pour juger de leur sentiment – qu’elles n’ont pas été entendues, crues, ni écoutées et que leurs affaires n’ont pas été traitées comme elles auraient dû l’être. Comme ma collègue l’a indiqué, les premières auditions ont été particulièrement difficiles pour tous les membres de cette commission. Nous avons entendu des victimes qui ont parfois mis des années avant de pouvoir s’exprimer sur leurs affaires.
Certains dirigeants ont pris la mesure du problème, mais d’autres n’en ont pas du tout conscience. L’objectif de la commission n’est pas de pointer un doigt accusateur sur telle ou telle personne, mais de mettre en lumière les failles et surtout de réfléchir à la manière d’y remédier.
Mme Souäd Rochdi. Si je peux me permettre, notre audition a sans doute donné lieu à une incompréhension. On a reproché à la FFA de n’avoir rien fait pour ces deux athlètes alors que la Fédération avait le sentiment que les procédures juridiques et administratives avaient été conduites dans les règles. Nous avons malgré tout appris des choses, comme la possibilité pour un président de procéder à un signalement au titre de l’article 40. Il existait un décalage de perception. Nous avons évidemment été touchés par le témoignage de ces deux athlètes devant votre commission. Il y a eu un décalage entre le traitement juridique froid, d’une part, et, d’autre part, la relation avec l’athlète, qui doit être plus sensible.
Emma Odiou a salué lors de son audition le travail d’un certain Guillaume, qui récolte la parole des athlètes. Ce dernier est un cadre technique qui travaille pour la Fédération mais n’est pas identifié en tant que tel. Notre communication doit sans doute être mieux calibrée pour définir les personnes ressources et informer de toutes les actions que la Fédération mène. Nous devons tirer des enseignements. L’accompagnement psychologique n’est pas l’objet de la Fédération, mais il est possible de trouver des moyens pour aider les athlètes.
En tant que femme, ancienne athlète, membre d’un club, directrice de la Fédération, je ne peux pas entendre que l’omerta règne à la FFA. En résumé, il y a sans doute eu une incompréhension réciproque lors de la première audition. Mais sachez que nous sommes là pour faire avancer le débat.
Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le directeur de l’Insep lui-même a indiqué que la Fédération avait mis du temps à réagir. Nous ne l’avons pas inventé. Peut-être prendrez-vous le temps de faire un retour d’expérience avec lui et d’échanger sur les difficultés et les dysfonctionnements dans cette affaire malheureuse. M. Canu nous a bien dit que la FFA avait tardé à réagir. C’est la raison pour laquelle nous vous avions interrogé sur le déclenchement de l’article 40. Lorsque l’on nous indique que l’information est révélée en février, mais que le signalement n’est intervenu qu’au mois de septembre, il est légitime que nous nous interrogions.
La séance s’achève à dix-neuf heures cinq.
Présents. – Mme Béatrice Bellamy, M. Stéphane Buchou, M. Stéphane Mazars, Mme Claudia Rouaux, Mme Sabrina Sebaihi
Excusé. – M. Pierre-Henri Dumont