Compte rendu

Mission d’information
de la conférence des présidents
sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable

 Audition de M. Patrice Vergriete, ministre délégué auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chargé du logement              2


Mercredi
25 octobre 2023

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 12

2023-2024

 

Présidence de
M. Stéphane Peu,
Président
 


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La mission d’information de la conférence des présidents sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable a auditionné M. Patrice Vergriete, ministre délégué auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chargé du logement.

M. le président Stéphane Peu. Mon collègue Mickaël Cosson et moi-même avons été missionnés par la présidence de l’Assemblée nationale pour conduire une mission d’information parlementaire sur le logement. Il y en a déjà eu beaucoup, sur des thématiques particulières ; c’est pourquoi nous avons choisi de prendre de la hauteur et d’embrasser un large spectre de problématiques. Plusieurs projets de loi sont attendus prochainement, dont un projet de loi-cadre sur la politique du logement.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. L’objet de notre rapport sera notamment d’aborder les points bloquants qui existent en matière de logement pour les étudiants, les jeunes actifs ou les seniors. À chaque étape de la vie, nous rencontrons des difficultés pour trouver un logement adapté à nos besoins. Au cours des dernières décennies, nous avons produit des logements ; maintenant que le tissu urbain va être découpé, l’enjeu est de « coudre une dentelle » permettant de répondre aux besoins spécifiques de nos populations, lesquels peuvent différer d’un territoire à l’autre.

M. Patrice Vergriete, ministre délégué auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chargé du logement. Une politique durable du logement poursuit quatre objectifs : un objectif économique – que chacun puisse trouver, à un coût abordable, un logement qui correspond à ses besoins ; un objectif environnemental – veiller à ce que l’ensemble des logements à l’échelle nationale répondent aux enjeux de la transition écologique et énergétique ; un objectif social – que chacun ait un toit digne et décent ; et un objectif territorial – avoir une politique du logement adaptée aux différents contextes territoriaux.

Tels sont les grands objectifs historiques de la politique du logement. Ils s’expriment aujourd’hui dans un contexte de crise multifactorielle. Il s’agit d’abord d’une crise de la production, avec la hausse des taux d’intérêt – ceux-ci oscillent aujourd’hui autour de 4 % –, l’augmentation du coût des matériaux et du coût de la construction, la raréfaction du foncier et son renchérissement ainsi que les réticences de plus en plus prononcées devant les constructions neuves.

À cette crise de la production s’ajoutent une crise écologique – la nécessité d’accélérer la rénovation énergétique des logements – et une crise démographique – c’est-à-dire les problématiques du vieillissement de la population et de l’adaptation des logements –, qui sont considérables. Aujourd’hui, le parc social est presque plus en avance sur la question de la rénovation énergétique que sur celle de l’adaptation au vieillissement. Il existe enfin une crise de l’hébergement d’urgence.

Cette crise multifactorielle appelle naturellement des réponses multiples : il n’existe pas de réponse simple à des questions complexes et diverses.

La stratégie que nous avons souhaité engager se déploie en deux temps et comporte plusieurs objectifs. D’abord – et ce fut ma préoccupation essentielle depuis mon arrivée – nous essayons de mettre en place des mesures d’amortissement de la crise – notamment des mesures à caractère économique, pour amortir le choc de la hausse des taux d’intérêt. Ces mesures sont ou seront inscrites dans le projet de loi de finances pour 2024 : je pense ainsi à l’élargissement du prêt à taux zéro (PTZ) à de nouveaux territoires et à de nouveaux publics, avec l’objectif de maintenir un même niveau d’engagement.

Nous souhaitons soutenir le logement locatif intermédiaire, en l’ouvrant à l’épargne des particuliers via des fonds d’investissement ainsi qu’aux résidences.

Nous soutenons le logement locatif social : un accord a été trouvé avec le mouvement HLM, notre volonté étant de tenir ensemble des objectifs difficiles sur la rénovation énergétique et sur la garantie d’un niveau de production satisfaisant. Des mesures ont été prises sur le foncier, avec l’idée de renforcer quelques abattements sur les plus-values de cession foncière, en attendant peut-être une réflexion sur leur fiscalité.

La réflexion sur le logement étudiant passera par différentes voies, notamment la mobilisation de foncier sur les campus universitaires et la volonté d’innover sur la colocation de grands logements des bailleurs sociaux.

À ceci s’ajoute le plan de rachat de 47 000 logements par la Caisse des dépôts et consignations et Action Logement, afin de pouvoir amortir le choc d’opérations déjà lancées par les promoteurs et qui ne trouvent pas preneurs.

Ces mesures visaient avant tout à amortir le choc économique. Pour essayer de répondre à la crise, l’idée est aussi de mobiliser le parc existant.

Nous poursuivons le plan de lutte contre la vacance : le nombre de territoires éligibles à la taxe sur les logements vacants a été élargi ; nous avons gardé, dans les zones détendues, un prêt à taux zéro dans l’ancien, destiné à accompagner la rénovation ; nous poursuivons le travail de la start-up Zéro Logement Vacant, qui permet aux maires d’avoir connaissance des propriétaires des logements concernés.

Nous souhaitons également travailler avec le mouvement HLM sur la manière de fluidifier et d’améliorer la mobilité à l’intérieur du parc social.

La réflexion porte aussi sur les meublés touristiques et la lutte contre l’attrition des logements. Le Parlement débattra prochainement de la fiscalité des meublés touristiques et il est un juge légitime en la matière. À mes yeux, l’important est de donner rapidement un outil de régulation aux collectivités locales : un simple aménagement de la fiscalité ne réduira pas substantiellement l’attractivité des meublés touristiques et leur rentabilité ; dans un certain nombre de territoires, seul un outil à la main des collectivités locales permettra de juguler le problème. La question de la fiscalité des meublés sera intégrée à la mission parlementaire que j’ai annoncée sur la fiscalité locative, mais elle ne doit pas être l’alpha et l’oméga de notre réflexion sur les meublés touristiques.

Hier, nous avons rendu public le rapport de Michèle Lutz et Mathieu Hanotin sur les outils d’habitat et d’urbanisme à créer ou améliorer pour renforcer la lutte contre l’habitat indigne. Il contient un certain nombre de propositions qui constitueront la feuille de route du ministère du logement, avec pour objectifs de mettre en place un plan à caractère réglementaire et financier le plus rapidement possible et de déposer un projet de loi au premier trimestre 2024.

Nous menons une réflexion sur la rénovation énergétique des passoires thermiques. Nous souhaitons conserver au maximum le calendrier de la loi « Climat et résilience » et essayons d’accompagner les professionnels dans le respect de celui-ci. Des annonces ont été faites sur le renforcement de MaPrimeRénov’ ; nous souhaitons mobiliser davantage des dispositifs comme Loc’Avantages, qui doivent permettre de remettre sur le marché de la location un certain nombre de biens vacants ou dans des situations d’habitat dégradé.

Une réflexion sur le long terme est également nécessaire pour refonder la politique du logement. Depuis la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), beaucoup de choses ont changé : la transition écologique s’est accélérée ; la crise sanitaire liée à la covid-19 a apporté une autre vision de ce que devait être l’habitat ; des thèmes forts s’imposent, comme le lien emploi-logement – peut-on accepter que des travailleurs-clés vivent à cinquante ou cent kilomètres de leur travail ? Des thèmes nouveaux apparaissent. Il semble donc nécessaire au gouvernement de refonder cette politique du logement et de penser un nouveau modèle de fabrication de la ville. Une fois que nous aurons imaginé collectivement la ville de demain, la politique du logement qui en découlera devra constituer le contenu même de ce projet de loi-cadre, qui a vocation à arriver sur le bureau de l’Assemblée nationale au printemps 2024.

Ce projet de loi couvre de nombreux sujets, notamment celui de la décentralisation et celui de la différenciation de l’action et de l’intervention de l’État. Dans ce nouveau modèle, l’intervention de l’État ne doit pas être la même à Paris, à Vesoul ou dans le Pays basque. Le zonage actuel opère une forme assez rudimentaire de différenciation de la politique et de l’intervention de l’État ; cela doit être largement amélioré : la différenciation de cette action doit être beaucoup plus précise.

Le projet de loi sera l’occasion de repenser la place du logement social dans notre modèle de logement. Les attributions suivent des logiques essentiellement procédurales. Le logement social a-t-il vocation à voir disparaître son modèle généraliste de mixité sociale ou faut-il se reposer la question de cette mixité ?

Nous commençons d’ores et déjà à mettre en œuvre cette différenciation de l’action de l’État avec la volonté de renforcer le prêt à taux zéro, ainsi qu’avec l’appel à candidatures « Territoires engagés pour le logement », une démarche qui vise à accélérer la production de logements dans un certain nombre de sites où la pénurie rend nécessaire d’agir plus vite.

M. le président Stéphane Peu. Cette année, le nombre de logements produits par notre pays a atteint un point bas historique, alors que la population et les demandes de logement continuent d’augmenter, notamment les demandes de logement social. Il ne s’agit pas seulement d’une crise immobilière, comme nous en avons connu dans les années 1900 ou en 2008, mais également d’une crise sociale qui n’est pas liée à la hausse des taux mais à la baisse de la production.

Lorsque la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi « Elan », a été votée (2018), le taux du livret A se situait à 0,5 %. Je rappelle qu’un point de taux du livret A représente 1,5 milliard d’euros (Md€) supplémentaire à décaisser pour les organismes HLM et que 1,5 Md€ correspond également, à peu près, au montant de la réduction de loyer de solidarité (RLS). Nous sommes passés de 0,5 % à 3 %, ce qui ampute considérablement les capacités d’investissement des organismes HLM. Face à la crise du logement abordable, quelles que soient les catégories concernées, ne peut-il pas y avoir une mesure qui tienne compte de la conjoncture, laquelle n’est plus la même qu’en 2018, et qui permette de revenir à une TVA à taux réduit et de mettre fin à la RLS ?

M. Mickaël Cosson, rapporteur. Un sujet n’a pas été retravaillé depuis des décennies : celui des baux. N’y a-t-il pas quelque chose à faire pour permettre plus de fluidité, plus de droits, plus de garanties pour le locataire en cas de défaillance ? Au Québec, trouver un logement est chose aisée : le projet de loi ne peut-il pas s’inspirer de cet exemple et importer certaines pratiques pour faciliter les parcours résidentiels, qui deviennent parfois de véritables courses d’obstacles ?

M. William Martinet (LFI-NUPES). Au congrès de l’Union sociale pour l’habitat (USH), vous avez annoncé 400 millions d’euros (M€) par an pour financer la rénovation énergétique des logements sociaux. Il se murmure que ces 400 M€ seraient prélevés sur l’augmentation de l’enveloppe décidée pour MaPrimeRénov’, laquelle se monte à 1,6 Md€ pour 2024 : est-ce exact ?

À combien estimez-vous le coût de l’abattement sur la plus-value foncière ? Combien de terrains seront mis à disposition ?

En termes d’attribution de logements, il existe aujourd’hui des obligations légales. 25 % des attributions doivent être DALO ou, à défaut, prioritaires ; 25 % doivent bénéficier aux ménages du premier quartile de revenus. Ces obligations poussent les réservataires et les bailleurs à aller chercher les ménages modestes. Contrairement aux idées reçues, plus vous avez un revenu important, plus il vous est facile d’accéder au logement social et ce sont les publics les plus précaires qui rencontrent des difficultés d’accès : un rapport de la fondation Abbé Pierre est assez clair là-dessus. Avec l’objectif de plus de mixité sociale que vous avez évoqué, souhaitez-vous renverser la vapeur ?

La Banque des territoires a réalisé des projections sur la production de logements sociaux et la capacité de rénovation des bailleurs. Ces projections font état de 80 000 productions et de 60 000 rénovations par an, à périmètre économique constant : nous sommes très loin des besoins sociaux et environnementaux avérés. J’imagine que le gouvernement lui-même pense que nous ne sommes pas à la hauteur des besoins. Vous satisfaites-vous de ces chiffres ? Sinon, que comptez-vous faire pour que les réalisations soient plus élevées ?

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Depuis quand n’y a-t-il pas eu de véritable politique du logement dans notre pays ? Cette interrogation est réelle et sans esprit polémique.

Chaque année, nous nous battons contre la perte de places et la fermeture de centres d’hébergement. Qu’en est-il pour cet hiver ?

S’agissant du logement social, une disposition permet au préfet de construire en lieu et place, sur le budget de la commune, quand les maires sont récalcitrants. Le gouvernement compte-t-il activer cette disposition, qui figure déjà dans la loi ?

Concernant les meublés touristiques, allons-nous en finir avec la niche fiscale ? Je ne parle pas d’un alignement des taux ou d’un ajustement de l’abattement. Le rapporteur a indiqué qu’il était trop violent de changer les taux à l’approche de la nouvelle année… mais la violence, c’est de ne pas pouvoir se loger !

Quand des requérants arrivent à être reconnus DALO, ils peuvent demander une astreinte. Celle-ci est versée de l’État à l’État. Êtes-vous favorable à ce que, dans l’attente de son relogement, toute ou partie de cette astreinte puisse être versée au requérant ?

Si une grande loi « Logement » est présentée, êtes-vous favorable à une nouvelle garantie universelle des loyers ? Elle avait un temps été légale, avant d’être escamotée dans la loi Alur.

M. Philippe Lottiaux (RN). La crise est économique : les entreprises de BTP ont encore du travail, mais il n’y a plus rien qui arrive. La crise est aussi sociale. Il ne faut pas oublier que plus de la moitié des logements sociaux sont produits dans le cadre d’opérations mixtes. Il n’y a plus de privé, il n’y a plus de public, ce qui est problématique. J’ai l’impression que vous n’avez pas pris de mesures à la hauteur de la situation.

Que fait-on pour faciliter l’acte de construire ? Certains maires hésitent beaucoup à construire. Des propositions ont été formulées, notamment en termes d’incitation financière. Que fait-on pour faciliter l’acte d’achat, quand les banques refusent de plus en plus de prêts et que les taux augmentent ? Il semble qu’il n’y ait pas de mesure conjoncturelle à la hauteur de cette crise, qui est très prégnante. L’extension du PTZ est un autre exemple : on en a exclu le neuf individuel dans la plupart des territoires.

Que peut-on faire pour relancer l’investissement locatif ? Nous avons constaté une disparition totale des investisseurs institutionnels dans le locatif. Comment les faire revenir ?

Le bailleur social doit-il absolument être propriétaire des murs ? N’est-il pas possible d’envisager des foncières ou des investisseurs qui délèguent à d’autres la gestion de logements à caractère social ?

Ma troisième question porte sur le statut du bailleur, qui pourrait également faciliter l’investissement locatif.

M. Patrice Vergriete. Le maintien du taux du livret A à 3 % représente l’équivalent de 1,4 Md€ d’économie de charges. L’effort du gouvernement est aujourd’hui supérieur à la charge liée à la RLS. Le lendemain de cette décision, nous avons vu les bailleurs sociaux revenir vers la Caisse des dépôts et consignations et refaire partir les prêts. L’impact a donc été substantiel.

Quand on analyse les « produits » de logement social, on voit que le prêt locatif aidé d’intégration (PLAI) arrive à trouver son modèle économique, tout comme le prêt locatif social (PLS) ; le prêt locatif à usage social (Plus), en revanche, ne le trouve pas. L’accord conclu avec le mouvement HLM prévoit de regarder comment faire évoluer ces produits, de manière à ce qu’ils s’équilibrent. Dans son rapport, la Caisse des dépôts et consignations indique que le Plus ne se rééquilibre qu’à cinquante-deux ans : c’est sans doute le produit qui pose problème dans le bouclage des opérations des bailleurs sociaux. Je suis d’accord sur la nécessité de réfléchir aux moyens de rééquilibrer ce produit.

Les 400 M€ que vous évoquez ne sont pas pris sur le 1,6 Md€ de MaPrimeRenov’, mais sur les 5 Md€ dédiés à la rénovation énergétique.

S’agissant de l’abattement foncier, nous n’avons pas de chiffrage. Il existe plusieurs mesures possibles, qui sont assez techniques. Je ne dispose pas des éléments permettant de vous répondre plus précisément.

Pour ce qui est des attributions, je ne partage pas votre analyse. Aujourd’hui, les deux premiers déciles n’ont jamais été aussi représentés dans l’histoire du parc social. Il n’est pas exact de dire que les attributions n’iraient pas vers les plus défavorisés. Le mouvement HLM le dit lui-même : il y a une paupérisation des locataires du parc HLM.

La loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi « 3DS », a inventé le dispositif des « résidences à enjeu de mixité sociale ». Quand les élus locaux auront identifié de telles résidences, devra-t-on intégrer des paramètres de mixité sociale dans les attributions ou est-ce qu’on continuera à concentrer toujours plus la misère au même endroit ? C’est une question de fond qu’il faudra se poser dans le cadre du futur projet de loi sur le logement. Allons-nous abandonner définitivement notre modèle généraliste pour accepter une concentration des plus pauvres, convergeant ainsi vers d’autres modèles européens de logement social ? À titre personnel, je n’y suis pas favorable ; je défends le concept de « mixité sociale », je suis d’ailleurs l’un des corédacteurs de l’article 55 de la loi SRU, auquel je tiens. Continuer à fermer les yeux et à concentrer la misère n’est pas une solution.

En ce qui concerne les projections de constructions, je me fiche éperdument des chiffres nationaux qui circulent ; ils ne m’intéressent pas.

S’il y a une chose que nous devons faire aujourd’hui, c’est de la différenciation territoriale : je vais mettre en place des conventions territorialisées, avec des engagements de production et de rénovation énergétique. Ce qui m’intéresse est de savoir si nous atteignons les objectifs, territoire par territoire : l’Île‑de‑France a besoin d’énormément de constructions neuves ; est-elle en retard ? Si oui, pourquoi ? Qu’est-ce qui fait que des territoires qui sont dans la même situation arrivent ou pas à « sortir » des logements ? Dunkerque va accueillir vingt mille emplois nouveaux : nous avons identifié tous les opérateurs et tous les fonciers ; nous avons des dates et des engagements ; les logements sortent… J’aimerais savoir pourquoi ce n’est pas le cas dans d’autres territoires : est-ce en raison de questions territoriales, nationales ou politiques ?

Vous avez évoqué l’hébergement d’urgence. Nous n’avons pas de diminution du nombre de places : ce nombre est passé de 93 000 en 2013 à 203 000 aujourd’hui ; l’augmentation est considérable et ce chiffre n’a jamais diminué. Mais faut-il continuer à accepter, année après année, une augmentation du nombre de places, ou doit-on essayer de faire une réforme plus structurelle de l’hébergement d’urgence ? Je ne comprends pas que des familles avec des enfants scolarisés logent pendant cinq ans en hébergement d’urgence dans un hôtel. Peut-être faut-il refuser de telles situations et engager une réflexion de fond sur ce sujet.

La loi SRU, qui est critiquée de tous côtés, est une loi que je veux défendre. Elle a fait son chemin et aujourd’hui, un logement social sur deux vient de la loi SRU – ce qui me semble être un succès. C’est l’une des rares lois qui aient survécu à tous les gouvernements et sensibilités ; elle n’est ni trop restrictive, ni pas assez. Vous pouvez compter sur moi pour l’appliquer avec fermeté et signer des contrats de mixité sociale avec les élus, pour rendre tangibles les engagements. Certains maires, nous le savons, sont récalcitrants et nous pouvons nous montrer coercitifs : les choses avancent, je ne voudrais pas qu’on fasse un mauvais procès à cette loi.

La question de l’évolution de baux et celle de la fluidité du marché peuvent s’inscrire dans le cadre d’un projet de loi consacré au logement.

S’agissant des meublés touristiques, le débat en cours au Parlement est sain et intéressant. J’ai donné mon point de vue personnel. Je veux insister sur un point : la fiscalité des meublés touristiques ne réglera pas le problème de fond, il faut un outil de régulation publique. Une mission parlementaire analysera les effets de bord d’un éventuel alignement de cette fiscalité ; ensuite, que le Parlement prenne la décision qu’il estimera fiscalement juste !

S’agissant de la garantie universelle des loyers, le Conseil général de l’environnement et du développement durable et l’Inspection générale des finances avaient considéré que cette garantie devait être ciblée sur les jeunes. Cela a donné la garantie Visale, qui s’étend progressivement à d’autres publics que les jeunes et qui fonctionne bien. C’est un débat que nous pourrons avoir dans le cadre du projet de loi consacré au logement.

Vous avez évoqué la dimension procyclique du logement social par rapport au logement privé. Effectivement, jusqu’à une période récente, quand survenait une crise du logement privé, il n’y avait qu’une contagion limitée vers le logement social. Les bailleurs sociaux avaient une certaine capacité à produire en propre, ils avaient un patrimoine moindre et ils s’appuyaient moins sur les ventes HLM pour équilibrer leurs opérations : il y avait un effet contracyclique du logement locatif social par rapport au secteur privé. Aujourd’hui et c’est un fait nouveau, 50 % du logement social est produit par les promoteurs et certains bailleurs n’ont même plus la capacité de produire du logement social. Cette dimension moins contracyclique est un problème supplémentaire : quand la crise survient dans le secteur privé, elle survient aussi dans le secteur HLM.

Le problème ne vient pas nécessairement de ce que les maires ne voudraient pas construire, mais plutôt du fait que, dans notre société, dans la population, il existe une forme de réticence à la construction neuve. Le nouveau modèle de développement territorial que nous devons construire doit donc intégrer un dialogue avec la population : souvent, une population accepte la densification dès lors qu’elle y gagne des services. L’acceptation par la population de ce nouveau modèle économique est indispensable si nous voulons changer notre mode de fabrication de la ville.

Le crédit immobilier a beaucoup souffert de la hausse des taux. Le ministre chargé de l’économie, Bruno Le Maire, et moi-même dialoguons avec le gouverneur de la Banque de France. Nous ne demandons pas qu’on change les règles prudentielles, mais qu’on arrête de mettre des sous-critères supplémentaires aux banques dans leurs 20 % de marge ! Aujourd’hui, les banques n’utilisent que 13 % de leur marge et nous perdons donc 7 % de crédits qui pourraient être utilisés dans la construction neuve.

M. Dominique Da Silva (RE). Je crois que la ville de demain devra s’attacher à l’équilibre logement-emploi, surtout dans l’intérêt des actifs les plus modestes : il me semble que c’est une dimension que nous avons oubliée.

Le péché originel de la loi sur la solidarité et le renouvellement urbains a été de ne pas introduire la notion d’emploi ; nous avons construit là où c’était possible, là où les maires étaient d’accord, mais nous ne nous sommes pas attachés à savoir si les gens trouveraient du travail. Les logements sociaux ont augmenté de 30 %, mais les demandeurs sont deux fois plus nombreux, ce qui interroge.

Nous évoquons toujours l’emploi au sein des grandes entreprises, mais nous ne parlons jamais des problématiques d’accès au logement pour les salariés des PME. Des millions d’entreprises sont confrontées à ce sujet et nous n’y répondons pas. Ne pensez-vous pas que les employeurs pourraient s’engager dans le cofinancement du logement ? Il faut leur redonner la main, car c’est une manière de décentraliser et de faire du logement là où c’est utile, à proximité des lieux de travail, ce qui répond aussi à la question écologique.

M. Guillaume Vuilletet (RE). Vous avez parlé de la réticence de certains habitants à avoir de nouveaux voisins. C’est peut-être moins vrai dans les cœurs de métropole, même s’il apparaît parfois un attachement soudain et inattendu à la biodiversité dans les villes, dès lors que des logements sociaux doivent s’implanter près de notre lieu d’habitation...

L’idée selon laquelle les emplois sur le point d’être créés dans une ville doivent trouver leur contrepartie dans des logements supplémentaires est, à mon avis, une bonne manière d’aborder le sujet. Elle peut être à la base du récit que l’on doit raconter aux habitants des villes pour leur faire admettre que leur voisin n’est pas haïssable.

Vous avez parlé de la paupérisation de la population du parc social. Celle-ci s’explique par le fait que les commissions d’attribution privilégient les personnes en très grande difficulté, mais aussi par le fait que ces personnes ne bougent pas et vieillissent. Si l’on croise ce constat avec le fait que les besoins ne sont pas les mêmes dans les territoires, le problème fondamental n’est-il pas celui de la mobilité ? Certaines personnes refusent un emploi parce que l’accepter supposerait de quitter un logement social, au risque de ne pouvoir y revenir.

Les endroits où existent de fortes tensions sur le logement sont aussi les endroits où il y a peu de foncier disponible et où ce foncier disponible est public. Entre l’injonction du ministre des finances à vendre cher et le système de décote du ministère du logement pour pouvoir faire du logement social, il existe un hiatus qui fait qu’à la fin, personne n’est logé. N’y a-t-il pas quelque chose à faire, notamment en réfléchissant à des mécanismes de démembrement de la propriété publique ?

Que comptez-vous faire pour permettre une meilleure mobilité dans le logement social, mais aussi résidentiel ?

En matière de logements indignes, que pensez-vous de l’idée d’immatriculer les logements afin de mieux les suivre et de mieux suivre les travaux qui y sont réalisés ?

M. le président Stéphane Peu. La participation des employeurs à l’effort de construction (Peec) est désormais une cotisation sur les entreprises de plus de cinquante salariés. Ne faudrait-il pas revenir à une Peec applicable aux entreprises à partir de dix salariés et qu’on ponctionnerait moins pour financer certaines politiques publiques ?

Vous avez parlé de différenciation et de décentralisation. Presque tous les territoires sont astreints à une programmation, à travers les programmes locaux de l’habitat (PLH), ce que l’État ne fait plus. En cumulant tous les PLH, on en arrive à cinq cent mille logements à produire, dont 198 000 logements sociaux. Si nous prenons ce chiffre comme seuil et comme ambition, nous ne regarderons plus la crise de la même manière : ce n’est pas un décrochage que nous vivons, mais une véritable chute.

Quand la décision de mettre en place la RLS a été prise, en 2018, le taux du livret A était de 0,5 % ; avec un taux à 3 %, cela fait 3,7 Md€ supplémentaires par an pour les organismes HLM, auxquels il faut ajouter la RLS (+ 1,5 Md€) : c’est autant de capacité à produire du logement en moins. Par ailleurs, quand vous devez arbitrer entre l’entretien d’un patrimoine existant et la production de logements neufs, vous arbitrez toujours en faveur de l’entretien. Il y a nécessairement un lien entre le niveau de production historiquement bas du logement social dans notre pays et ces mesures qui amputent les capacités financières des organismes. C’est la raison pour laquelle je pensais que la conjoncture pouvait vous amener à revenir sur une mesure comme la RLS.

M. Patrice Vergriete. Le thème emploi-logement était absent de la loi SRU parce qu’il n’était pas à l’ordre du jour à la fin des années quatre-vingt-dix. Nous étions encore dans un modèle de fabrication de la ville dans lequel nous réglions le problème par l’automobile, s’éloigner de son emploi de cinquante kilomètres n’était pas un problème. C’est ce modèle que nous devons remettre en cause et de nouveaux outils doivent apparaître pour répondre aux nouveaux enjeux.

S’agissant de la contribution des employeurs au logement de leurs salariés, il faut bien veiller à ce que ce soit une contribution volontaire – et non en déduction de la Peec. Sinon, nous perdons d’un côté ce que nous gagnons de l’autre.

Vous avez évoqué la question des travailleurs-clés, ainsi que celle de la mobilité dans le parc social, qui est un enjeu majeur aujourd’hui – c’était d’ailleurs l’objectif de la gestion en flux. Nous discutons avec le mouvement HLM pour essayer de trouver des mesures permettant d’améliorer les choses.

Je ne suis pas très favorable à la remise en cause du droit au maintien dans les lieux : je pense qu’il concourt à la mixité. Avant cette remise en cause, il me semble qu’un certain nombre de mesures peuvent être mises en place chez les bailleurs sociaux pour essayer d’améliorer la fluidité et la mobilité. Sur les quelque 2,4 millions de demandeurs d’un logement social, huit cent mille personnes sont déjà au sein du parc social : un tiers du problème concerne donc la mobilité au sein de ce même parc.

Pour ce qui concerne la mobilisation du foncier public, il y a un débat autour de la décote, qui est un débat de justice fiscale. Quand l’État choisit d’appliquer une décote pour produire du logement social à Paris, c’est le contribuable national qui donne de l’argent pour cela : est-il légitime que ce soit ce contribuable qui participe, ou faut-il que ce soit le contribuable parisien ? Ce qui permettrait de trancher cette question, c’est qu’il n’y ait pas de cession du foncier. La rentabilité du foncier de l’État ne dépend que de nous et n’est plus une question de justice fiscale.

Je ne veux pas donner le sentiment que le foncier public est l’alpha et l’oméga de la solution. Une réflexion a été développée sur les zones commerciales, où les réserves foncières sont très importantes. Les foncières commerciales sont à la recherche de ce type d’opérations. Dans le nouveau modèle de fabrication de la ville, avoir davantage de mélange entre logements et commerces est une piste à explorer.

Nous ne sommes pas opposés à l’immatriculation des logements, mais c’est un énorme travail.

Vous avez évoqué la question de la Peec : il s’agirait de l’aligner sur le versement Mobilité. Si vous obtenez cela, je signe. Ce sujet dépasse le ministère du logement…

Il est intéressant d’essayer de comprendre pourquoi certains territoires n’arrivent pas à atteindre leurs objectifs. Nous devrions avoir 198 000 logements sociaux, mais nous ne les avons pas. Essayons de comprendre ensemble, je suis certain que vous ne serez pas opposés à des analyses territorialisées : ce n’est pas uniquement une question de budget, d’autres éléments entrent en jeu.

Je ne reviens pas sur le débat portant sur le livret A et la RLS. Jusqu’en 2020, les bailleurs avaient un taux d’autofinancement compris entre 9 % et 10 %, qui n’était pas mauvais en soi. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir si les bailleurs ont aujourd’hui la capacité d’assurer à la fois la rénovation et la production : tel était l’objectif et le sens de l’accord signé avec le mouvement HLM. Il importe que l’on puisse continuer à poursuivre ces deux objectifs concomitamment et que l’on ne donne pas aux bailleurs le sentiment qu’il faut sacrifier la production pour assurer la rénovation.

Je voudrais évoquer les investisseurs institutionnels. Nous ne reviendrons jamais aux 30 % que nous avons connus, mais je ne me satisfais pas de 1 %. Si l’on analyse les choses sur le temps long, l’immobilier de bureau a servi de rente pendant très longtemps et a mobilisé l’épargne des particuliers via des fonds d’investissement. Je ne suis pas sûr que l’immobilier de bureau ait encore de beaux jours devant lui, alors que l’épargne est importante et abondante en France. Dans cette épargne, il y a peut-être deux à trois milliards d’euros qui pourraient donc être investis dans l’immobilier résidentiel, à travers des fonds d’investissement : c’est la raison pour laquelle le projet de loi de finances pour 2024 prévoit l’ouverture aux SCPI du logement locatif intermédiaire. Aujourd’hui, de nouveaux entrants – en particulier, des promoteurs – ont envie de se saisir de cet outil : essayons de voir si cela marche et si, grâce à cela, nous réussissons à orienter un peu plus d’épargne vers la production de logements. J’ai envie d’étudier ce sujet, ainsi que celui de la fiscalité pouvant y être adossée, de manière à avoir un rendement locatif suffisamment attractif pour développer ces fonds d’investissement.

Le dispositif d’aide fiscale à l’investissement locatif direct des particuliers constitue un effet d’aubaine pour celui qui avait l’intention de faire de l’investissement immobilier, ou alors il concerne quelqu’un qui s’engage dans l’investissement immobilier parce qu’un banquier ou un conseiller en gestion de patrimoine le lui a conseillé. Or ce dispositif n’a pas produit des logements comme nous l’imaginions, car les coûts de commercialisation étaient de 10 % : ceux qui croyaient faire de bonnes affaires ont fini par en faire de mauvaises.

M. le président Stéphane Peu. Je vous remercie, Monsieur le ministre.


Membres présents ou excusés

Réunion du mercredi 25 octobre 2023 à 17 h 30

Présents. – M. Julien Bayou, M. Mickaël Cosson, M. Dominique Da Silva, M. Philippe Lottiaux, M. William Martinet, M. Stéphane Peu, M. Guillaume Vuilletet.