Compte rendu
Mission d’information
de la conférence des présidents
sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable
– Audition de M. Pierre Madec, chargé d’études à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) 2
Mercredi
14 février 2024
Séance de 16 heures 30
Compte rendu n° 20
2023-2024
Présidence de
M. Stéphane Peu,
Président
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La mission d’information de la conférence des présidents sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable a auditionné M. Pierre Madec, chargé d’études à l’Observatoire français des conjonctures économiques.
M. le président Stéphane Peu. Nous arrivons au terme de notre mission sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable, qui nous a été confiée par la présidente de l’Assemblée nationale.
Cette mission a débuté au mois de novembre 2023 et, initialement, il s’agissait de mener une mission généraliste sur les questions de logement. En effet, quelques semaines auparavant, le Président de la République avait annoncé une loi d’orientation sur les questions de logement pour la fin du printemps 2024, par la suite confirmée par le ministre du logement alors en exercice. Notre mission a eu pour objectif d’élaborer des propositions dans la perspective de cette loi-cadre, en s’appuyant notamment sur les conclusions du conseil national de la refondation (CNR). En effet, celui-ci a réussi à dégager des propositions consensuelles à l’issue de travaux co-pilotés par des représentants de la Fondation Abbé Pierre, du Medef, des promoteurs immobiliers et des organismes HLM.
Nous achevons nos travaux en sollicitant des spécialistes, c’est-à-dire des universitaires et des chercheurs qui développent des réflexions plus globales. Nous sommes donc intéressés par votre analyse d’économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Nous avons besoin de dresser un état des lieux objectif : le quotidien Le Monde a publié hier un article montrant que la quantification de la demande de logement dans notre pays varie selon les interlocuteurs ; celle-ci passe du simple au double, selon qu’on reprend les chiffres de la direction du Trésor ou ceux du Conseil national de l’habitat.
M. Pierre Madec. Économiste à l’OFCE, je travaille notamment sur les questions de politique du logement et enseigne à Sciences-Po sur des sujets relatifs à l’économie urbaine.
Le premier point de votre questionnaire portait sur la gouvernance et l’idée de décentralisation – un sujet qui, effectivement, mérite un point de vigilance. Les acteurs locaux ont demandé, pendant des années, qu’une politique de décentralisation soit engagée, arguant de leur connaissance du terrain. Je partage plutôt ce point de vue, mais j’estime que l’État doit également jouer un rôle essentiel pour assurer la cohésion territoriale : les politiques du logement sont extrêmement diverses, certains territoires étant très volontaristes sur la question – notamment la métropole de Rennes – et d’autres étant moins mobilisés. Du point de vue du logement, de l’immobilier et de l’habitat, le principe de cohésion des territoires n'est pas assuré et la décentralisation ne comporte pas uniquement des aspects positifs.
En outre, il faut bien s’entendre sur la « décentralisation » dont il est question : décentralise-t-on des objectifs ou des moyens ? Globalement, les moyens de la politique du logement ont plutôt tendance à se réduire. Dès lors, décentraliser une politique qui fonctionne imparfaitement pourrait conduire certains à blâmer a posteriori les collectivités locales, quand bien même les moyens disponibles diminueraient.
Votre deuxième question porte sur la production de logements sociaux. La diminution de la production de ces logements constitue une tendance relativement ancienne, qui remonte aux années 2008-2010. Cette situation résulte de choix politiques : après les dernières élections municipales, la production de logements sociaux par les municipalités a eu tendance à diminuer. Par ailleurs, les économies budgétaires réalisées sur le secteur ont amputé les capacités de financement et d’investissement des bailleurs, sans parler des difficultés liées à l’indisponibilité du foncier. Les tensions sont nombreuses sur le segment du parc social, alors que la demande reste extrêmement dynamique.
Il est, de surcroît, est particulièrement difficile d’estimer les besoins. À l’heure actuelle, la question se concentre sur la capacité à pouvoir financer autant de logements sociaux que l’année précédente. Or le taux de rotation dans le parc social ne cesse de diminuer et les besoins de financement pour la production de logements sociaux sont en réalité sous-estimés.
Vous avez récemment auditionné le professeur Jean-Claude Driant, avec lequel j’avais écrit un article sur les questions de mobilité résidentielle dans le cadre d’un ouvrage que nous avions co-dirigé. Cet article, qui s’appuyait sur des données relativement anciennes (2013), pointait l’existence d’un véritable problème de sortie du parc social et d’accession sociale à la propriété, qui s’expliquait par plusieurs raisons : renchérissement des prix immobiliers, désolvabilisation d’un certain nombre de ménages, déconnexion entre le revenu des ménages et les prix, etc. Auparavant, les ménages réussissaient à sortir du parc social pour accéder à la propriété ; aujourd’hui, ils sont de moins en moins nombreux à y parvenir. Puisque le taux de rotation diminue, le nombre de logements attribués chaque année diminue également. Ainsi, la file d’attente qui s’accroît dans le parc social n’est pas seulement due à la moindre production de logements sociaux, elle est largement liée à la moindre libération de ces logements dans le cadre des parcours résidentiels des ménages.
D’un point de vue plus conjoncturel, une des questions concerne le mur d’investissement et les besoins de rénovation. De mémoire, le nombre de passoires thermiques dans le parc social est de l’ordre de 300 000 unités. Certes, il est question de revoir le diagnostic de performance énergétique (DPE), ce qui contribuera à extraire un certain nombre de logements. Cependant, s’il fallait rénover ces 300 000 logements à raison de 10 000 euros ou 20 000 euros par logement, les montants d’investissement seraient extrêmement élevés.
Les bailleurs préféreraient rénover plutôt que construire pour différentes raisons. D’abord, ils auraient la main sur ces rénovations, contrairement à la construction. Ensuite, il est nécessaire de rénover, parce que la loi l’impose. Aujourd’hui, nous avons l’impression que la capacité d’investissement des bailleurs a été amputée, notamment avec le dispositif de réduction de loyer de solidarité (RLS). Simultanément, les bailleurs font face à des injonctions contradictoires, qui les contraignent à la fois à plus construire et à plus rénover. L’équation financière devient très compliquée, à plus forte raison dans ces temps d’économies budgétaires.
Ensuite, il me semble nécessaire de prendre du recul sur la situation financière des bailleurs. Il faut adopter une position de juste milieu entre des bailleurs qui estiment être à l’agonie et un gouvernement ou des décideurs qui considèrent que les bailleurs n’ont pas de problèmes de fonds propres ou de capacités de financement. Je pense que la vérité se situe entre ces deux positions. À ce titre, les rapports de l’Agence nationale de contrôle du logement social (Ancols) fournissent un grand nombre d’informations. Dans le rapport produit par l’Ancols sur les données de 2021, c’est-à-dire avant le durcissement des conditions de crédit, la situation était décrite comme globalement satisfaisante. En effet, à l’époque, les conditions d’accès au crédit étaient exceptionnelles : puisque les taux d’intérêt étaient à un niveau historiquement bas, la charge d’intérêt pour les bailleurs se situait à un niveau historiquement faible, ce qui permettait à ces derniers de bénéficier d’une situation correcte.
La remontée massive des taux met en danger cet équilibre qui, selon les mots de l’Ancols, était déjà fragile. De ce point de vue, même s’il existe un juste milieu, le système financier des bailleurs sociaux a vu sa fragilité s’accroître en raison du durcissement soudain des conditions de crédit.
M. le président Stéphane Peu. Il faut rappeler que les bailleurs sont endettés à taux variable. Le stock de la dette des bailleurs est considérable, car les prêts qui leur sont accordés sont indexés sur le taux variable du livret A.
M. Pierre Madec. Il me semble que l’Union sociale pour l’habitat (USH) a d’ailleurs réalisé un exercice de simulation de l’impact de la hausse du taux du livret A sur l’endettement des bailleurs. Puisque le taux de ce livret A a augmenté, l’ensemble de l’encours des dettes s’en trouve impacté.
Une autre question portait sur les prêts aidés et leur efficacité. Il n’existe pas aujourd’hui de meilleur moyen que les prêts aidés, les subventions et les réductions d’impôts. Les bailleurs sociaux sont confrontés au même coût du foncier que les bailleurs privés. Jusqu’à récemment, ils ne pouvaient pas compter sur la vente comme un levier d’endettement. Pour produire du logement moins cher que le prix de marché, la seule manière consistait à travailler à partir des dispositifs d’aide.
Pendant très longtemps, ces prêts aidés ont été accompagnés par ce que les bailleurs appellent les « aides à la pierre », c’est-à-dire des subventions directes. Ces prêts aidés ont été mis en place pour être accompagnés de subventions et d’aides. Aujourd’hui, à la lecture des opérations de financement des bailleurs, nous constatons que l’endettement et les fonds propres ont remplacé les subventions directes et les aides fiscales. Faut-il revoir le système en profondeur ? Est-il seulement la résultante d’économies budgétaires qui ont pu être réalisées ? J’aurais tendance à pencher pour la deuxième assertion.
Quoi qu’il en soit, le système n’a pas été créé pour fonctionner de la manière dont il fonctionne aujourd’hui. Si les aides à la pierre cessent, s’il est considéré que la TVA à taux réduit et que l’exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) ne constituent pas de bons outils, il sera nécessaire de réfléchir au fonctionnement même des prêts aidés, comme les prêts bonifiés à l’installation (BAI).
Votre questionnaire comporte plusieurs questions relatives à la fiscalité. Des réflexions sont en cours dans ce domaine, des papiers de recherche récents ont étudié la taxation des loyers implicites. Globalement, une remise à plat de la fiscalité immobilière semble être absolument indispensable. Aujourd’hui, la fiscalité incite à la rétention et elle est assise, de fait, sur les prix immobiliers. À Paris, la taxe foncière a flambé dans la mesure où l’on anticipait une diminution des droits de mutation à titre onéreux (DMTO).
Cette fiscalité immobilière, qui incite à la fois à la rétention et à la hausse des prix de l’immobilier, pose question. La remise à plat de la fiscalité devrait concerner le neuf et l’ancien, mais il faudrait également imaginer un nouveau système plus performant, qui prenne mieux en compte le revenu des ménages. En effet, la taxe foncière est globalement un impôt anti-redistributif, en tout cas, lorsque l’on se concentre sur les propriétaires. En résumé, la question de la fiscalité immobilière est centrale. En outre, il me semble exister un consensus pour mettre en place une espèce de taxe foncière rénovée, prenant mieux en compte le revenu et l’occupation du logement. Il faut également ajouter à cet aspect la question du statut du bailleur privé, qui revient aussi régulièrement dans les débats. Je pense que l’outil fiscal représente un levier d’action publique extrêmement important, il doit être mobilisé.
Votre questionnaire porte également sur le foncier. Économiquement, le prix du foncier est établi par la méthode du « compte à rebours » : le prix du foncier dépend des prix de l’immobilier et non l’inverse. De fait, le foncier est une résultante : il est cher parce que les prix immobiliers ont explosé. En résumé, le foncier correspond aux prix immobiliers, moins le bâti et les coûts de construction. Aujourd’hui, les professionnels, les promoteurs indiquent qu’ils ont acheté à un prix du foncier extrêmement cher dans la mesure où ils pensaient revendre à la fois bâti et foncier à un prix extrêmement élevé. Ils estiment que si les prix se sont légèrement ajustés, ils ne peuvent de leur côté ajuster leur charge foncière. Ils conservent certes un peu de flexibilité sur leurs marges, mais il existe malgré tout des frictions : sur les opérations de logements neufs, le prix du foncier est déterminé avant la vente finale, une fois le terrain bâti. Quoi qu’il en soit, si les prix immobiliers diminuent, les prix du foncier suivront la même tendance.
Ensuite, la disponibilité foncière est relativement faible. À ce titre, un élément demeure surprenant. Des plans de mobilisation du foncier public et du foncier privé ont été mis en place. Des appels ont été adressés aux propriétaires, à qui des exonérations fiscales massives ont été promises pendant un ou deux ans en échange d’une libération du foncier. Malgré tout, il demeure difficile de récupérer du foncier. J’ignore s’il faut établir des incitations. De ce point de vue, l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN) participe à une raréfaction de l’offre foncière. L’accompagnement par les collectivités locales n’était sans doute pas tout à fait suffisant, de même que la pédagogie concernant le dispositif. Néanmoins, nous pouvons avoir l’impression que le logement est le grand perdant du ZAN.
Le ZAN a été établi en intégrant des objectifs particulièrement ambitieux, en affirmant que le logement ne devait pas y perdre. Mais simultanément sont intervenus des plans de soutien aux zones commerciales en déprise. Par conséquent, il conviendrait sans doute d’adopter une vision plus large et indiquer que le ZAN ne porte pas sur le logement, mais sur l’occupation des sols. Il est certainement possible de mieux occuper les sols et d’accorder une plus grande place au logement en France, tout en respectant le ZAN. Par exemple, le nombre d’entreprises logistiques qui accaparent du foncier n’a cessé d’augmenter. En résumé, il importe d’adopter une vision plus « macro », qui accorderait une priorité au logement plutôt qu’à d’autres types d’occupation des sols.
Vous m’avez également interrogé sur les dispositifs d’incitation à l’investissement locatif. De la même manière qu’il existait un consensus pour critiquer le dispositif Pinel, un consensus se fait aujourd’hui jour pour critiquer sa suppression, en raison de l’absence de contreparties. Certes, le Pinel et les précédents dispositifs coûtaient extrêmement cher et ne permettaient pas de produire du logement accessible, abordable pour les ménages, mais ils permettaient néanmoins de sortir chaque année 40 000 à 60 000 logements, qui avaient vocation à être mis en location. Dès lors, le marché locatif était soutenu, même si cela n’intervenait peut-être pas dans de bonnes conditions. Si le Pinel n’est pas remplacé par un autre dispositif, mais uniquement par des économies budgétaires, cela se traduira par une diminution du nombre de logements mis en location. Dès lors, cet aspect pose question.
Une autre interrogation concernait la mobilisation du parc existant. Ce débat revient de manière régulière, à juste titre. En effet, il faut rappeler que les bonnes années, la construction neuve représente 1,5 % de production de logements rapportés au stock. L’étude des données historiques fait apparaître une diminution du nombre de résidences principales. Paris constitue à ce titre un exemple caricatural. Ainsi, en dix ans, le nombre de logements s’est accru de 20 000 unités, mais le nombre de résidences principales a diminué d’autant.
Avant la crise récente, la France était, au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le pays dont la production de logements en proportion de son nombre d’habitants était la plus importante. Malgré tout, le logement est cher et peu abordable. Les tensions s’accentuent dans les zones les plus tendues, la part des résidences principales a diminué quand le nombre de résidences secondaires et les phénomènes de vacance n’ont cessé d’augmenter. Par conséquent, si un choc d’offre doit intervenir, il doit porter en premier lieu sur l’ancien. Comment, dans une ville comme Paris, le nombre de logements peut-il augmenter, mais le nombre de résidences principales diminuer ?
De ce point de vue, quoiqu’en dise la directrice des affaires publiques d’Airbnb, les meublés de tourisme et les résidences secondaires, jouent un rôle dans la raréfaction du logement, car ils sont concentrés dans les zones les plus chères où les difficultés de logement sont les plus importantes. Même si au niveau macroéconomique, l’effet est relativement marginal, dans les territoires en tension, un meublé de tourisme est un logement soustrait.
Une thèse récente réalisée sur Barcelone montre l’impact d’Airbnb sur le prix des loyers dans cette ville, à travers un double effet : d’une part une raréfaction de l’offre et d’autre part l’augmentation des loyers par les propriétaires. Ce double effet entretient une inflation élevée et la thèse en question évalue à 15 % la contribution des meublés de tourisme à l’augmentation des loyers à Barcelone, soit une hausse extrêmement significative.
Au-delà de cet effet inflationniste, il faut relever un effet de captation d’une partie du parc dans les territoires en tension où, par définition, des logements ne sont pas produits. En résumé, les meublés de tourisme constituent un véritable sujet d’interrogation. Dès lors, il convient d’aller plus loin en matière de réglementation. Aujourd’hui, certaines villes interdisent la mise en location de logements entiers, à l’instar de New York ou de Berlin par exemple.
Ensuite, l’Insee a récemment publié une étude sur l’augmentation notable de la vacance. En la matière, plusieurs aspects doivent être distingués. Pour commencer, la vacance est très souvent liée un manque d’attractivité, notamment dans la « diagonale du vide ». La direction générale du trésor ou certains candidats à la dernière élection présidentielle estimaient que la crise du logement pourrait se résoudre en mobilisant les logements vacants. Mais expliquer aux travailleurs essentiels d’Île-de-France qu’un logement vacant est disponible pour eux dans la Creuse me semble relever d’une vision assez réductrice.
La question de l’attractivité des territoires est donc incontournable. À ce propos, le soutien de la métropolisation pendant des décennies a contribué à vider des territoires. Or l’accessibilité à l’emploi figure parmi les facteurs de l’attractivité d’un territoire et des prix immobiliers. Si des emplois disparaissent d’un territoire, des phénomènes de vacance se créent. Par conséquent, lorsque des politiques de réindustrialisation sont menées, elles doivent s’accompagner d’une réflexion sur le logement. Inversement, une réflexion sur la manière de mobiliser les logements vacants nécessite de s’interroger sur les politiques d’attractivité des territoires. Selon moi, une très grande partie de la vacance dans la diagonale du vide ne pourra pas être résolue uniquement en établissant une taxe sur les logements vacants : il n’est pas pertinent de taxer des propriétaires qui n’arrivent pas à vendre, à louer ou à rénover simplement parce que la demande n’existe pas.
Un autre aspect, plus marginal, de la vacance, concerne les zones tendues. Ici, les outils fiscaux peuvent jouer un rôle. À cet égard, il peut sembler intéressant d’augmenter la taxe sur les logements vacants. Cependant, je n’ai pas le sentiment que la vacance longue soit massive dans les zones tendues. La vacance existe dans les zones tendues, car elle est aussi mesurée comme une résultante de la mobilité résidentielle. Cette vacance « frictionnelle » est plutôt liée au bon fonctionnement du marché.
Dans les territoires tendus, il convient de s’intéresser à la vacance longue, qui est plus difficile à mesurer. Des expérimentations sont actuellement menées sur des territoires « Zéro logement vacant » et portent sur des accompagnements des collectivités, pour prendre contact avec les propriétaires. Ainsi, il peut être intéressant de massifier ce type de dispositif qui semble fonctionner correctement et de le généraliser à l’ensemble des territoires pour mobiliser au mieux les logements vacants.
La dernière partie du questionnaire porte sur la question du sous-peuplement. Ce sujet revient fréquemment dans le débat. De nombreuses voix s’élèvent pour signaler qu’il existe un très grand nombre de logements sous-peuplés dans le parc social et qu’il est absolument nécessaire de corriger cette situation pour pouvoir accueillir les familles. Il est exact que le sous-peuplement a augmenté massivement, en raison du vieillissement de la population et des effets de décohabitation, à la suite des divorces notamment. Ces effets sont désormais bien documentés et ce sous-peuplement a fortement augmenté dans le parc social et dans le parc privé locatif : environ 45 % des logements sociaux seraient aujourd’hui sous-peuplés.
Cette problématique est réelle, mais elle doit être intégrée dans un cadre plus général. La moitié des demandeurs de logements sociaux sont des personnes seules. Dès lors, on a tendance à penser qu’il faut surtout des logements sociaux de plus petite taille. Au niveau des territoires, l’adéquation peut sûrement être améliorée, mais je ne suis pas sûr que la solution consiste à s’attaquer à la sous-occupation.
Ensuite, la sous-occupation existe aussi dans le diffus, dans l’individuel, ces fameux pavillons occupés par un certain nombre de ménages âgés. Il est possible de conduire une re-densification en essayant de mieux mobiliser ces logements, qui sont sous-occupés. La colocation intergénérationnelle peut ainsi être envisagée, mais un travail d’ampleur doit être accompli pour rendre ces territoires attractifs. En résumé, les réponses simples que l’on entend régulièrement ne sont pas nécessairement les plus performantes.
L’adaptabilité du parc au vieillissement constitue un véritable sujet, sur lequel nous avons travaillé. Nous avons ainsi établi des scénarios de prospective sur l’avenir du bâtiment avec le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) et l’Agence de la transition écologique (Ademe), en nous penchant notamment sur le vieillissement, lequel constitue un facteur clé et structurant de l’avenir de la ville. Les projections de l’Insee laissent assez peu de doute à cet égard : la part des personnes âgées de 75 ans et plus devrait passer de 9 % de la population aujourd’hui à 16 % à l’horizon 2050. Le besoin de logement de cette population est donc bien établi.
Certains peuvent considérer qu’il n’existe pas de souci pour loger cette classe d’âge, grâce à un système d’accueil, notamment en maison de retraite ou en Ehpad, parfaitement fonctionnel. Cependant, je ne pense pas que cette position soit assumée politiquement, à l’inverse de celle qui prône le maintien à domicile. Mais dans ce cas, encore faut-il disposer de logements adaptés et la question des pavillons se pose à nouveau. Dans ce cadre, il peut être envisageable de maintenir les personnes âgées au rez-de-chaussée, l’utilisation des étages étant un moyen de mieux densifier l’habitat.
Il est beaucoup question de la rénovation énergétique des logements, mais des investissements massifs doivent être menés en matière d’accessibilité des logements. De ce point de vue, la loi Elan ne constitue pas nécessairement une avancée. Compte tenu des caractéristiques du parc ancien, il est ainsi pertinent de construire des logements neufs accessibles. De plus, les logements ne sont pas uniquement construits pour ceux qui les achètent ; il faut également les construire pour ceux qu’on y accueille aujourd’hui, par exemple les personnes âgées, mais aussi pour les habitants futurs qui, là encore, pourront être des personnes âgées en situation de dépendance. Action Logement a porté un certain nombre de dispositifs, notamment sur l’accessibilité, à travers MaPrimeAdapt’. Cependant, le besoin en investissement et accompagnement est massif, au même titre que celui portant sur la rénovation thermique des bâtiments.
Vous m’avez également questionné sur le lien entre travail et emploi, qui fait aujourd’hui consensus. Je rappelle ainsi que le Medef a rendu un Livre blanc sur le logement dès 2015. De fait, le logement cher représente un frein à l’accessibilité et à l’acceptabilité des emplois en zones tendues. J’ai précédemment évoqué les phénomènes de métropolisation : l’emploi a en effet été concentré sur les territoires métropolitains, les rendant de facto très attractifs, ce qui a contribué à la hausse des prix immobiliers. Ce faisant, les populations ont été éloignées de leur lieu de travail.
À ce sujet, les derniers chiffres publiés par l’Insee sont éloquents : globalement, dans toutes les unités urbaines, la distance entre le domicile et le lieu de travail augmente. Les personnes s’installent de plus en plus loin de leur lieu de travail puisque l’accessibilité au parc de logements, tant en termes de prix qu’en termes d’offres disponibles, n’est pas suffisante. D’un point de vue conjoncturel, les offres locatives ont diminué de 20 % à 30 % en moyenne. Le marché locatif privé a vocation à accueillir les travailleurs en mutation, en mobilité ; ainsi que les jeunes. Au-delà des difficultés structurelles et anciennes, la conjoncture est difficile, du fait de l’entrave du parcours résidentiel des ménages et du durcissement des conditions de crédit. Dès lors, moins de logements locatifs sont libérés, ce qui se traduit directement par une diminution du nombre de logements mis en location, sans même parler de la concurrence avec les meublés de tourisme.
Ces éléments entraînent nécessairement une conséquence sur l’adéquation de l’offre et de la demande sur le marché du travail. La littérature scientifique cherche parfois à évaluer l’impact du taux de propriétaires sur le chômage. Il en va ainsi de la célèbre hypothèse d’Oswald, lequel a développé l’idée que l’une des explications majeures du chômage observé dans les pays de l’OCDE serait l’augmentation du nombre de propriétaires. Selon cette hypothèse, la hausse du nombre de propriétaires crée un spatial mismatch sur le marché de l’emploi. Cependant, la littérature économique n’a pas établi un consensus sur cette hypothèse : certains articles estiment que l’effet est marginal, quand d’autres considèrent qu’il existe effectivement un effet, mais pas pour les raisons attendues. Globalement, les propriétaires connaissent un moindre taux de chômage et ont plus de facilité que les locataires à trouver un emploi. En revanche, puisqu’ils sont enracinés sur leur territoire, ils ont tendance à accepter des emplois qui correspondent moins à leurs qualifications que les locataires.
Certains estiment que la politique du logement est trop coûteuse. Toutefois, il faut reconnaître qu’elle est liée à la politique de l’emploi. De ce point de vue, les professionnels ou le Medef s’alarment de plus en plus de l’impact du logement cher et de la raréfaction de l’offre de logement sur les territoires.
M. le président Stéphane Peu. Je souhaite revenir sur la question de l’effort de la nation, toutes politiques du logement confondues, en pourcentage du PIB. Il serait à ce titre intéressant de s’intéresser à l’évolution historique de cet élément.
M. Pierre Madec. Ce sujet est intéressant. En effet, on a tendance à pointer une dérive de la politique du logement, et à penser que la France dépense beaucoup plus que ses voisins. En réalité, quand on la rapporte au PIB, cette dépense est extrêmement stable. Une brève augmentation est intervenue en 2008-2009 au moment du plan de relance. Elle est liée aux aides à la pierre, qui ont été particulièrement favorisées, notamment à travers la libéralisation du dispositif Scellier. Toutefois, les politiques du logement représentent deux points de PIB chaque année depuis l’instauration de cette mesure dans les comptes du logement, en 1984 : un point est consacré aux aides à la personne et un point est destiné aux aides à la pierre.
En outre, la bascule intervient plutôt sur la période récente, d’autant plus que sur la période allant de 1984 à aujourd’hui, les aides à la rénovation énergétique ont connu une montée en charge très importante, notamment à travers MaPrimeRénov’. Les dispositifs visant à aider les ménages à payer leurs dépenses en logement ou à produire du logement ont, de leur côté, connu une baisse extrêmement importante.
M. le président Stéphane Peu. En prenant en compte cette longue période, arrivez-vous à distinguer la part en points de PIB de l’aide à la production de logements, toutes catégories confondues ?
M. Pierre Madec. Tout à fait. Les comptes du logement permettent de distinguer les aides à la rénovation des aides à la production de logements.
M. le président Stéphane Peu. Cette projection me semble en effet intéressante. Par ailleurs, un sujet plus récent, que nous n’avions pas nécessairement évoqué au début de nos travaux, prend de plus en plus d’envergure. Il concerne plus particulièrement les questions relatives aux prêts bancaires. Il est de plus en plus souvent question de prêts à remboursement in fine, de prêts hypothécaires ou d’une révision des mesures prudentielles adoptées par les banques. Quel est votre avis d’économiste sur ces sujets ?
M. Pierre Madec. Tout le monde s’accorde à dire que l’explosion des prix immobiliers et la déconnexion entre les prix immobiliers et les revenus ont été permises par l’assouplissement des conditions de crédit, dans tous les pays européens. Aujourd’hui, nous sommes revenus à des niveaux de taux élevés, que nous avons déjà connus par le passé. Cependant, nous n’avions jamais rencontré de tels taux simultanément avec des prix aussi élevés et aussi déconnectés du revenu des ménages.
Si l’on considère que le principal problème concerne l’accès au crédit, la course en avant sur la durée du prêt se poursuivra. Nous connaissons cette tendance depuis une vingtaine d’années, qui a eu pour conséquence de faire exploser les prix de l’immobilier. Dans ces conditions, la solvabilisation des ménages entraîne un effet inflationniste très important. Il faut se souvenir que la durée moyenne d’emprunt des ménages était de dix-sept ans il y a une dizaine ou une quinzaine d’années, contre vingt-quatre ans aujourd’hui.
Dès lors, le vrai problème porte sur la déconnexion entre les prix et les revenus. Il semblerait que le pari qui a été opéré par les autorités consiste à assécher la demande, à réduire de 40 % le volume de crédits distribués, en espérant que les prix s’ajusteront à la baisse comme la théorie économique nous l’enseigne. Cependant, les prix ne se sont pas ajustés, alors même que nous observons un effondrement des transactions dans l’ancien. Peut-être sommes revenus au rythme normal de transactions annuelles, autour de 700 000 à 800 000 opérations ? Ainsi, le rythme récent de 1,2 million de transactions par an n’était peut-être dû qu’à l’explosion du volume de crédits distribués. L’asséchement de la demande a conduit à freiner les mobilités qui n’étaient pas forcées, mais qui correspondaient à des échanges de logements entre ménages propriétaires qui profitaient de conditions de crédit favorables pour acheter un logement un peu plus grand ou ailleurs. Telles sont les raisons pour lesquelles les prix ont beaucoup moins diminué en France qu’en Allemagne par exemple, où en l’espace d’un trimestre, les prix ont baissé de 15 %.
Malheureusement, il n’existe pas de baguette magique pour faire baisser les prix : il convient d’agir, soit sur la demande, soit sur l’offre de logements en la massifiant. Par ailleurs, il faut également se poser les bonnes questions. Si nous avons créé de nombreux logements au cours des dix à quinze dernières années, peut-être n’avons-nous pas produit les bons logements, pour les bonnes personnes, au bon prix.
De ce point de vue, la massification ou la généralisation de dispositifs comme le bail réel solidaire (BRS), même s’il coûte cher, peut constituer une bonne mesure pour promouvoir l’accession sociale à la propriété.
M. le président Stéphane Peu. Pourquoi ce dispositif coûte-t-il cher ?
M. Pierre Madec. Il coûte cher, car cela implique de mobiliser du foncier et donc des capacités financières. Mais ce dispositif permet de s’attaquer à la cause du problème, c’est-à-dire la cherté du logement, ce qui n’est pas le cas de l’élargissement du prêt à taux zéro (PTZ) ou de la massification. Il faut rappeler que les perdants de l’assouplissement massif des conditions de crédit et de la dynamique de prix très importante qui s’en est suivie, et les perdants du renchérissement du coût du crédit actuel sont les mêmes : les ménages modestes. Si la part des primo-accédants a globalement été maintenue, au sein de ces derniers, la part des ménages modestes a été divisée par trois. Ils étaient déjà victimes de l’assouplissement des conditions de crédit et ses effets inflationnistes, ils sont aujourd’hui victimes du resserrement brutal de ces mêmes conditions de crédit. Nous ne reviendrons jamais à des taux à 1 % et si les prix ne s’ajustent pas, je ne vois pas comment l’équation financière peut être viable.
M. le président Stéphane Peu. Je vous remercie.
Membres présents ou excusés
Réunion du mercredi 14 février 2024 à 16 h 30
Présents. – M. Stéphane Peu.