Compte rendu
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements
– Audition de M. Philippe Dupuy, directeur de l’Association des collectifs Enfants parents professionnels (ACEPP), Mme Julie Marty Pichon, responsable du collectif « Pas de bébés à la consigne », ainsi que Mme Valérie González, co‑présidente, psychologue clinicienne, et Mme Lucineia Martins Dos Santos, psychologue clinicienne, pour l’Association nationale des psychologues pour la petite enfance (A.NA.PSY.pe) 2
Mercredi 7 février 2024
Séance de 15 heures
Compte rendu n° 10
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Thibault Bazin,
président
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La séance est ouverte à 15 heures.
La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné M. Philippe Dupuy, directeur de l’Association des collectifs Enfants parents professionnels (ACEPP), Mme Julie Marty Pichon, responsable du collectif « Pas de bébés à la consigne », ainsi que Mme Valérie González, co‑présidente, psychologue clinicienne, et Mme Lucineia Martins Dos Santos, psychologue clinicienne, pour l’Association nationale des psychologues pour la petite enfance (A.NA.PSY.pe).
M. le président Thibault Bazin. Nous arrivons au terme du premier cycle de nos auditions, qui avait une vocation assez généraliste. Nous consacrerons la semaine prochaine à des visites de terrain que la rapporteure et moi-même effectuerons dans nos départements respectifs. Auparavant, il nous semblait important de réunir des praticiens et de les faire dialoguer avec nous et entre eux.
Cette audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et l’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande.
Avant de laisser la parole à nos invités pour une intervention liminaire, je les invite à se conformer à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, aux termes duquel les personnes auditionnées par une commission d’enquête doivent prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mmes Julie Marty Pichon, Valérie González et Lucineia Martins Dos Santos, M. Philippe Dupuy prêtent successivement serment.)
Mme Julie Marty Pichon, responsable du collectif Pas de bébés à la consigne. Le collectif Pas de bébés à la consigne est honoré d’être auditionné dans le cadre des travaux de cette commission d’enquête. Ce collectif fête ses quinze ans cette année. Il a été créé en septembre 2009, au moment où la secrétaire d’État Nadine Morano a décidé d’une réforme des modes d’accueil, qui n’a pas manqué d’en amoindrir la qualité, consistant à la fois à baisser les qualifications des professionnels et à autoriser l’accueil en surnombre. Depuis, le collectif, qui regroupe une cinquantaine d’organisations, syndicats et associations, n’a cessé de promouvoir la qualité de l’accueil dans le secteur de la petite enfance.
Depuis quinze ans, les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de déréguler le secteur dans le seul but d’ouvrir des places à tout prix. L’ouverture aux gestionnaires privés lucratifs, la baisse des qualifications, l’accueil en surnombre, la tarification à l’heure et, plus récemment, la pénurie des professionnels n’ont pour effet que de dégrader les conditions d’accueil des bébés et de travail des professionnels. La dernière réforme des normes applicables à la petite enfance (Norma), prise sous la présidence de M. Macron, est entrée en vigueur en septembre 2021. Visant à simplifier et à clarifier les modes d’accueil de la petite enfance, elle se voulait qualitative.
En matière de taux d’encadrement, la réforme Norma a introduit la possibilité pour le gestionnaire de choisir entre la présence d’un professionnel pour cinq enfants qui ne marchent pas et d’un pour huit enfants qui marchent, ou le classique taux unique d’un professionnel pour six enfants, quel que soit leur âge. Très vite, les associations de professionnels ont alerté sur la dégradation de la qualité d’accueil des plus petits : alors que des sections de dix enfants étaient déjà compliquées à encadrer par deux professionnels, depuis deux ans, nombre d’établissements les ont élargies à douze bébés, avec le même nombre de professionnels. Dès lors, se pose la question de la qualité, mais surtout de la sécurité, sachant que l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) a souligné que le taux d’encadrement classique – un professionnel pour cinq enfants qui ne marchent pas et un pour huit enfants qui marchent – correspondait à un seuil de sécurité en dessous duquel il ne fallait surtout pas descendre.
Depuis quinze ans, le collectif se mobilise, manifeste – plus de soixante-dix villes ont manifesté le 6 octobre 2022 – et fait des propositions. Nous sommes heureux qu’une telle commission ait vu le jour. Les bébés, les parents et les professionnels méritent une politique ambitieuse dans notre pays, la septième puissance mondiale.
M. Philippe Dupuy, directeur de l’Association des collectifs Enfants parents professionnels (Acepp). Je vous remercie de recevoir l’Acepp dont l’objet croise les volets qualité de l’accueil et modèle économique de vos travaux. Depuis les années 1970 et au moins jusqu’aux années 1990, un mouvement de parents et de professionnels qualifiés et diplômés, en capacité d’animer un groupe d’enfants, s’est organisé pour créer à la fois des lieux de vie dédiés à leurs enfants, mais aussi de lieux d’entraide entre parents, où se retrouver entre pairs pour œuvrer à une qualité d’accueil satisfaisante.
Dans nos associations, la qualité de l’accueil est un compromis qui s’invente tous les jours, en fonction du contexte et de ses évolutions. Notre modèle économique est construit sur la nécessité de répondre aux attentes de chacun des angles d’un triangle formé par les parents collectivement, les professionnels et les institutions qui nous versent des financements publics ; il dépend donc des territoires et est en permanente innovation.
Cette particularité du réseau, qui est aussi son point faible, constitue la principale caractéristique des 800 associations qui le composent. L’Acepp a également comme mission de promouvoir sa conception de la qualité de l’accueil pour l’ensemble des modes d’accueil, à travers un travail de représentation au sein des institutions, afin que la place des parents et la coopération entre parents et professionnels soient mieux reconnues et organisées.
Mme Valérie González, coprésidente de l’Association nationale des psychologues pour la petite enfance (Anapsy Pe), psychologue clinicienne. Nous sommes très honorées de représenter ici l’Association nationale des psychologues pour la petite enfance, qui aura bientôt quarante ans. En 1983, une circulaire a redéfini les orientations du service de la protection maternelle et infantile (PMI) et en a transféré la compétence du ministère de la santé au conseil général. À l’époque, des psychologues travaillant en crèche et en PMI, notamment en Seine-Saint-Denis, souhaitant témoigner des enjeux psychologiques attachés aux services de la petite enfance, ont créé cette association dont la vocation est de nous représenter auprès des pouvoirs publics.
Depuis quarante ans, nous sommes déterminés à témoigner de ce que vit le tout-petit accueilli dans un lieu où il est séparé de ses parents, de ce qui va permettre de lui garantir un accueil de qualité et des conditions dans lesquelles les professionnels pourront s’en occuper. À l’époque, on parlait déjà beaucoup de psychologie sans forcément faire mention des psychologues. « Puisqu’on nous a dit qu’il faut faire de la psychologie, alors autant que ce soient les psychologues qui le fassent » : c’est sur ces considérations que Jacqueline de Chambrun, médecin responsable du service de PMI, avait fait recruter des psychologues en Seine-Saint-Denis.
Mme Lucineia Martins Dos Santos, psychologue clinicienne, pour l’Association nationale des psychologues pour la petite enfance. Les psychologues cliniciens sont des acteurs de la prévention et des soins ; ils travaillent en lien avec les professionnels dans le champ de la petite enfance. Ils ont un savoir et une expérience spécifiques du développement et de la vie psychique du petit et de son environnement, et connaissent l’environnement nécessaire à son épanouissement.
La crèche est un lieu de prévention. Nous souhaitons que la réponse aux besoins des familles ne se fasse pas au détriment de l’intérêt de leur enfant. On ne garde un enfant ; on l’accueille, avec son parent, dans sa dimension singulière et subjective. Il faut penser et créer un système institutionnel permettant la mise en mots des vécus bruts des professionnels au contact des enfants et de leurs parents. Un appui sur l’extérieur est nécessaire, avec des temps de réunion, de formation, de concertation et d’échanges de pratiques.
Prendre soin d’un tout-petit peut créer de l’agressivité. Il faut absolument que le politique se saisisse de cette rencontre pour faire progresser la démarche de la qualité de l’accueil de l’enfant et de ses parents.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Cette commission d’enquête s’interroge sur la qualité de l’accueil de l’enfant en crèche, mais également sur le modèle économique, notamment le financement public des crèches, et sur les pistes d’évolution. Selon vous, quels leviers conviendrait-il d’actionner pour passer d’une approche quantitative, s’attachant surtout à la création de places en crèche, à une approche qualitative, permettant à l’enfant d’évoluer dans un environnement propice à son développement ? Quelle place y serait réservée aux parents ? La qualité de l’accueil vous semble-t-elle différer selon que les crèches relèvent du système public ou privé, de délégation de service public (DSP) ou du monde associatif ?
Mme Julie Marty Pichon. Au cours des vingt dernières années, on ne s’est préoccupé en France que de l’ouverture de places, en raison d’un retard massif et d’un besoin très important. Or on a créé beaucoup de structures sans se soucier d’avoir des professionnels en nombre suffisant pour les faire fonctionner. On savait pourtant que ce que nous vivons depuis le covid, et même un peu avant, allait arriver ; les données selon lesquelles, en 2030, 40 % des assistants maternels seront à la retraite étaient connues. Pourtant, il n’y a pas eu de grand plan de formation des professionnels de la petite enfance, et l’Igas a relevé de façon très documentée dans son rapport de 2023 le grave manque à venir de professionnels.
Tant qu’on ne réglera pas la question de la qualité des conditions d’accueil des bébés et celle des conditions de travail pour les professionnels, qui recouvrent les taux d’encadrements, la qualification des professionnels, les temps d’analyse de la pratique et de réunion hors la présence des enfants, tous critères de qualité détaillés par les experts depuis de nombreuses années, on ne pourra pas continuer à ouvrir des places. Les 200 000 places annoncées à l’horizon 2027-2030 sont une hérésie qui mettrait en difficulté et en danger les bébés qui vont être accueillis et les professionnels qui les accompagnent, qui connaissent des situations de travail extrêmement dégradées.
Il faut s’atteler à régler le sujet de la formation et travailler à l’instauration de normes de qualité – elles sont actuellement très inférieures à ce qui se pratique ailleurs en Europe. La France est, à cet égard, l’un des pays qui compte la plus grande diversité de structures et de régimes de taux d’encadrement dérogatoires. Le taux d’encadrement des tout-petits y est très faible. La solution consiste à mettre un coup d’arrêt à la politique de l’offre et à s’attaquer d’urgence à la politique qualitative, mais cela suppose d’avoir le courage politique d’annoncer aux familles une restriction des places d’accueil pendant quatre ou cinq ans, pour mieux accueillir les enfants par la suite.
Les leviers sont donc d’ordre à la fois financier et politique. Il faut réformer le décret qui régit les modes d’accueil collectifs, c’est-à-dire revenir sur la réforme de 2021 dite Norma – elle a eu beau être annoncée comme étant celle de la qualité, elle n’a été qu’une énième réforme de dérégulation. En particulier, la possibilité a été laissée aux gestionnaires d’avoir un taux d’encadrement d’un adulte pour six enfants, quel que soit leur âge. Pour les crèches organisées par sections d’âge – en région parisienne, il n’est pas rare d’en trouver dont la capacité est de 100 berceaux –, l’incidence n’est pas la même que pour les autres. Dans beaucoup de crèches de l’agglomération toulousaine, le taux d’encadrement est passé de deux professionnels pour dix bébés qui ne marchent pas, à deux pour douze, en raison de la liste d’attente, de la pression exercée par les familles sur les territoires. Cela s’entend, mais on ne peut pas faire de l’accueil de jeunes enfants à tout prix. La question des moyens est incontournable, de même que la définition de ce que sont de bonnes conditions d’accueil d’un enfant et des normes correspondantes.
M. Philippe Dupuy. Une bascule s’est produite au moment où la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje) a été développée de manière plus pointue et a été concurrencée par la prestation de service unique (PSU). Au même moment, ont émergé les maisons d’assistantes maternelles (MAM) et les microcrèches, qui visaient à en contrer le développement. En fait, les deux systèmes fonctionnent actuellement en parallèle et se font concurrence.
Alors que les familles étaient autrefois mises à contribution en cas de financement insuffisant, l’instauration de la PSU leur a substitué un tiers – dans l’esprit de beaucoup, ce ne pouvait être que les collectivités territoriales. Avec l’arrivée du lucratif dans le secteur, les entreprises ont été considérées comme des tiers financeurs bien plus intéressants. Le développement parallèle de plusieurs systèmes de financement a contribué à mettre les différents acteurs en concurrence, un phénomène accentué par le recours croissant des collectivités locales aux DSP.
Le monde associatif n’a pas adhéré à cette évolution, puisque, habituellement, une association est soutenue par des collectivités locales ou des financements publics. En l’espèce, les caisses d’allocations familiales (CAF) et les collectivités locales étaient devenues les donneurs d’ordre, et il s’est retrouvé en concurrence avec d’autres – associations, acteurs de l’économie sociale ou du secteur lucratif. Dans ce cadre, le projet n’appartient plus à l’association ; c’est celui du donneur d’ordre. Les associations se sont parfois trouvées dans l’incapacité de répondre à une DSP, car leur vocation n’est pas d’entrer en concurrence avec une autre association de quartier, encore moins avec des grands groupes, lucratifs ou pas.
Dans cette mise en concurrence exacerbée par la recherche du moindre coût de la part des collectivités locales, c’était à qui faisait le moins cher parmi les prestataires, ce qui, dans cette activité, se traduit par la réduction de la rémunération des professionnels. De nouvelles normes ont alors été prises pour lutter contre ce phénomène, ce qui se produit également aujourd’hui pour mieux réguler la concurrence tout en essayant de garantir une qualité d’accueil. Il s’agit d’un minimum qui ne satisfait personne, si bien que les professionnels nous ont fait savoir qu’ils ne veulent plus travailler chez nous. Même pour le plus beau projet du monde, on ne trouve plus de professionnels désireux de travailler. Tout le monde est touché, ce qui nous conduit à nous réinterroger sur la qualité de l’accueil.
Mme Valérie González. Selon nous, le projet de la structure doit être centré sur les besoins de l’enfant, mais également, puisque les deux sont indissociables, de son parent qui doit être accueilli dans sa singularité et sa culture, ainsi que du professionnel qui va prendre soin de l’enfant en l’absence de son parent. Les responsables d’établissements et les équipes doivent être formés au développement de l’enfant et pouvoir interroger en permanence leur pratique. Travailler auprès de tout-petits, c’est exercer une profession à risque en ce qu’elle confronte à des éprouvés bruts, qu’il faut pouvoir élaborer. Les psychologues sont les mieux placés pour aider les équipes dans ce travail. La pluridisciplinarité se présente donc comme le premier des garde-fous, car elle s’accompagne de réunions fréquentes et d’une présence régulière des personnes ressources que sont les psychologues.
Mme Lucineia Martins Dos Santos. Dès la création de la PSU, les psychologues de notre association ont mis en garde contre la dégradation de la qualité de l’accueil des enfants qu’elle entraînerait. On le constate maintenant, mais le phénomène s’est installé progressivement depuis vingt ans. Les crèches ne devraient pas être mises en concurrence ; ce ne sont pas des entreprises. Elles devraient être un service public. L’accueil des enfants ne saurait être associé au mot « lucratif », et pourtant on en constate la dégradation dans le secteur public aussi bien que dans le privé, les deux essayant de réaliser des profits. Faute de moyens, le secteur public cherche également à faire des économies sur le dos de nos enfants : c’est très grave !
Sur le terrain, nous constatons au quotidien une souffrance psychique des professionnels qui s’occupent des enfants. Leurs conditions de travail ne sont pas bonnes : certaines crèches sont complètement délabrées ; le taux d’encadrement n’est pas respecté ; les professionnels recrutés à la faveur de la PSU sont insuffisamment formés et ne connaissent pas le secteur de la petite enfance. On ne peut pas continuer à faire des économies sur le dos des enfants. Ce sont les citoyens de demain. Sachant que l’investissement à leur consacrer n’aura d’effets visibles que dans vingt ans, je ne vois pas comment on peut parler de profits au sujet des crèches privées.
Je n’ai rien contre les crèches privées, qui sont importantes, mais il faut revoir leur financement, car elles ne sauraient avoir pour objectif de faire du profit sur les enfants. On ne peut pas économiser sur les couches ou les repas !
Il faut faire confiance aux professionnels de la petite enfance : cela fait des décennies que nous vous disons que nous avons des compétences et qu’il faut nous écouter. Les professionnels de la petite enfance ressentent une grande fatigue. Venez passer une journée, voire une semaine, dans une crèche : vous verrez en quoi consiste ce travail ; vous verrez que c’est avec tout son corps et son psychisme que l’on s’occupe d’un enfant, que cela nécessite un engagement total.
Les professionnels de la petite enfance font un travail formidable, mais il faut les former. Or le décret Morano a porté un coup à cette formation, qui va désormais à la dérive. De nouvelles formations apparaissent, qui remplacent le CAP Petite enfance. Autrefois, on parlait d’auxiliaires de puériculture : il n’en est plus question dans les textes, alors que c’est un métier qui nécessite une année d’étude, puis de la formation continue. Il faut revenir à la base et former 100 % des personnels de puériculture, comme on le fait en Seine-Saint-Denis, dans l’établissement qu’a créé Mme de Chambrun.
Il faut que tout le personnel soit formé, y compris les directeurs. Les responsables d’établissement ont une importance considérable, car les auxiliaires de puériculture doivent être soutenus par leur direction. Or, actuellement, les directeurs et directrices de crèches n’ont plus le temps de penser, car ils sont partout, même dans la cuisine, du fait du manque de personnel.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Cet automne, nous avons voté une évolution législative permettant la création d’un service public de la petite enfance, dont les communes seront les autorités organisatrices. Qu’en pensez-vous ?
J’aimerais aussi revenir sur les délégations de service public et sur la place du privé lucratif. Pensez-vous que ce qui pose un problème, c’est le principe même d’une mise en concurrence, ou bien la manière dont les acteurs sont mis en concurrence ? Quand une commune recourt à une délégation de service public, elle peut choisir de pondérer à 75 % le critère du prix ou de pondérer à 75 % celui de la qualité de service. Il me semble que, selon le cas, on n’aura pas les mêmes offres.
Pensez-vous qu’il faille rayer d’un trait de plume la présence du privé dans le secteur des crèches ? Ou bien, dans la mesure où le privé a contribué à y créer de nombreuses places, ne faudrait-il pas plutôt aider l’autorité organisatrice à trouver des stratégies permettant de faire passer la qualité avant la question du coût du berceau ?
Mme Julie Marty Pichon. Le problème, c’est que la petite enfance est devenue un marché. Or la libre concurrence, dans le travail social, est fondamentalement un problème. C’est notamment pour s’opposer à cette conception des choses que notre collectif s’est créé en 2009. Le lucratif est entré dans la danse, grâce à diverses dispositions, dont la directive « services », qui a entériné les choses au niveau européen, la France ayant fait le choix de ne pas exclure de son champ d’application les services d’accueil de la petite enfance. C’est un problème, car cela met en concurrence des acteurs qui n’ont pas à l’être. Une association n’a pas à être en concurrence avec une entreprise privée lucrative qui cherche à faire du profit grâce aux fonds publics. Avant les années 2000, les crèches étaient hospitalières, publiques, territoriales ou associatives ; l’arrivée du secteur lucratif, en 2003-2004, a marqué un point de bascule.
Les délégations de service public posent un vrai problème. En tant qu’éducatrice de jeunes enfants, j’ai été coordinatrice de structures pour une grande association du sud de la France et, à ce titre, j’ai vu passer un paquet de marchés publics. Le problème, c’est que nous subissons une concurrence déloyale. Dans l’associatif, du fait des conventions collectives, qui garantissent notamment au personnel des conditions de travail favorables et un accès à la formation continue, la masse salariale est très importante – elle représente souvent 85 % du budget. En face, vous avez des entreprises privées qui protègent moins leurs salariés, qui ont une masse salariale moins importante, et qui bénéficient de dispositifs financiers leur permettant de rationaliser au maximum leurs coûts. Il est évident que nous ne jouons pas dans la même cour.
On ne parle presque jamais non plus des implications de la délégation de service public sur le personnel, mais il faut savoir qu’une DSP est souvent accordée pour une durée de trois ans – même si elle peut parfois atteindre sept ou huit ans. Cela signifie qu’au bout de deux ans et demi, les salariés commencent à se demander si leur employeur va changer, s’ils seront repris dans les mêmes conditions, si le projet dans lequel ils se sont investis sera poursuivi, etc. C’est un stress permanent. La commission d’appel d’offres rend ensuite sa décision, et la pondération accorde généralement une place prépondérante au critère du prix.
Je ne sais pas si c’est possible, mais il serait effectivement souhaitable de réguler les commissions d’appel d’offres afin que la question du prix ne soit plus considérée comme le critère principal et que l’on tienne davantage compte du projet d’établissement ou de la politique de la structure en matière de ressources humaines, par exemple. Pour des personnes qui travaillent dans le milieu associatif par choix et qui sont investies dans un projet qui a du sens pour elles, il est très difficile de voir un grand groupe du privé lucratif remporter l’appel d’offres au bout de trois ans. Je vous assure que c’est une douche froide. Et j’insiste sur le fait que les structures en délégation de service public sont dans un état d’angoisse permanente.
La mise en concurrence dans le secteur du travail social est vraiment un problème, particulièrement dans la petite enfance.
M. Philippe Dupuy. Cela reste un choix politique et il y a autant de choix politiques que d’établissements. Lorsqu’on essaie de faire bouger les choses, on se heurte à la libre administration des collectivités locales, et surtout au code des marchés publics, parce que tous les appels d’offres pour des DSP sont rédigés par des spécialistes des marchés publics, et non par des spécialistes de l’appel à projets ou de la subvention. Toutes les administrations sont formées au code des marchés publics, qui repose sur le principe de la mise en concurrence. Même lorsque nous essayons d’influencer, ou du moins d’informer des élus qui s’apprêtent à écrire un marché public, ils se heurtent très vite à des administratifs qui leur disent que ce que nous suggérons n’est pas possible. Vous pourriez faire une étude sur la manière dont les marchés publics sont rédigés et sur le poids accordé au critère du prix : je serais très curieux de connaître vos conclusions.
M. le président Thibault Bazin. Cela fait partie de nos souhaits.
M. Philippe Dupuy. Fort bien. Il reste que ce n’est pas du tout la même chose, pour une association, de répondre à un marché public ou de solliciter une collectivité locale pour qu’elle la soutienne dans un projet d’intérêt général. La petite enfance est devenue un service. Même si la loi Hamon a sécurisé la subvention, les rédacteurs de marchés publics n’ont pas été formés à celle-ci et la considèrent comme peu sûre. Le système est donc totalement déséquilibré : tous les gros – qu’ils soient associatifs, à but lucratif ou même municipaux – sont mieux armés techniquement pour répondre aux marchés publics, si bien que les petites associations de quartier ont peu à peu disparu du secteur de la petite enfance, même si elles essaient de se maintenir, à titre historique.
On me demande souvent pourquoi le secteur associatif a été pris par le lucratif. C’est la conséquence de la politique d’évitement qui a poussé les collectivités territoriales vers les microcrèches Paje, qu’elles n’avaient pas à financer, et maintenant vers les maisons d’assistants maternels. Je pense que si une réglementation est adoptée pour lutter contre les microcrèches, dans dix ans, ce sont les MAM qui domineront le marché. Quoi qu’on en dise, dans ce secteur, on est toujours dans une recherche du moins-disant, pas forcément en termes de qualité d’accueil, mais en termes de régulation du système au niveau d’un territoire.
Un autre grand tournant s’est produit dans les années 2005-2007, que l’Acepp a soutenu, et qui a consisté à accueillir tous les enfants. L’accueil de tous a entraîné des modifications profondes des projets d’accueil et de la qualification des professionnels. C’était un énorme défi : il n’est pas du tout évident d’accueillir tous les enfants quand on a été formé à l’accueil d’un certain type de familles. Il aurait fallu prendre en compte le fait que les projets d’accueil des années 1990 n’étaient plus adaptés, dès lors que l’on avait la volonté d’accueillir tous les enfants. C’est ce changement, combiné à la financiarisation du secteur de la petite enfance, qui a mené à la situation actuelle.
Mme Valérie González. Je m’en tiendrai à la clinique. L’essentiel pour nous, au-delà du clivage entre public et privé, c’est de garantir le respect des besoins fondamentaux de l’enfant, d’accueillir un enfant singulier avec son parent singulier et de permettre la séparation, car il arrive que le parent soit très vulnérable au moment de se séparer de son enfant. Nous parlons surtout des crèches, mais il importe d’aborder le mode d’accueil de façon plus globale et de déterminer celui qui conviendra le mieux à chaque enfant et à son parent. Il faut assurer la stabilité et la fiabilité de l’accueil, permettre à l’enfant d’être accueilli le mieux possible, ce qui implique que les professionnels ne soient pas en souffrance.
Mme Lucineia Martins Dos Santos. Il faut garder à l’esprit que la crèche est un lieu de prévention précoce et il me paraît très étrange que l’on parle d’appel d’offres ou de mise en concurrence à propos de l’accueil des enfants.
Les parents qui arrivent dans une crèche sont dans une position de vulnérabilité. Boris Cyrulnik a bien rappelé dans son rapport sur les 1 000 premiers jours que les parents ont besoin d’être soutenus et accompagnés. Avec la crise sanitaire, on a constaté une hausse de la maltraitance infantile et des violences conjugales, dont les enfants sont les covictimes. Face à une telle situation, ce n’est pas un rapport marchand qu’il faut établir avec les parents. Les crèches ne devraient pas avoir pour but de réaliser des bénéfices. Le seul bénéfice qu’il faut rechercher pour les enfants et les parents – pour les enfants surtout –, c’est un bénéfice social et humanisant : il faut accueillir les enfants avec l’idée que dans vingt, trente ou quarante ans, ils apporteront quelque chose à la société, alors que la violence ne cesse de monter.
Le parent n’est pas un client. C’est une personne que l’on accueille dans sa dimension psychique, singulière et vulnérable. Il faut tout de même rappeler que les crèches accueillent les enfants dès l’âge de 2 mois et demi. Imaginez ce que cela représente pour les parents ! Il faut tout faire pour les accueillir d’une façon humaine. La crèche n’est pas un service, c’est un soin, qui est global, à la fois physique et psychique. Le soin que les professionnels de la petite enfance offrent à l’enfant, ils l’offrent aussi aux parents. Un enfant tout seul n’existe pas : accueillir un enfant, c’est accueillir ses parents. La crèche, je le répète, est un lieu de prévention, et si l’on continue dans cette logique marchande, on ne va pas y arriver.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Si on va au bout de votre logique, il ne faudrait confier aucun service public à une entreprise privée : ce serait donc aussi la fin des cliniques privées ! Il me semble que la solution consisterait plutôt à imposer des obligations aux gestionnaires de crèches privées et à contrôler qu’ils les respectent bien. Je ne conteste nullement les difficultés que rencontre le secteur de la petite enfance : cela fait un mois que nous avons commencé nos auditions et elles nous ont montré les carences dont souffre ce secteur. Mais il me semble problématique de dire que, par principe, l’accueil des jeunes enfants ne peut pas faire l’objet d’une activité privée lucrative. J’ai évoqué les cliniques privées, mais je pourrais aussi mentionner la gestion des déchets ou celle de l’eau potable, qui sont également des enjeux majeurs pour la planète : à vous entendre, il faudrait aussi se passer, dans ces domaines stratégiques, de tout opérateur privé ? J’avoue être un peu surprise par vos propos.
Mme Lucineia Martins Dos Santos. Je ne suis pas contre le privé mais je pense qu’il faut repenser le mode de subvention de ces entreprises pour qu’elles n’aient pas à faire du profit sur les enfants. Nous avons besoin des crèches privées, c’est évident, mais il faut poser la question de leurs subventions.
Mme Béatrice Roullaud (RN). Je vous remercie d’avoir rappelé que l’intérêt de l’enfant doit l’emporter sur toute autre considération.
Vous avez déjà indiqué qu’il manque des professionnels pour garantir un accueil satisfaisant aux enfants. Quel serait, selon vous, le ratio idéal, selon les âges ?
Pensez-vous qu’un salaire parental, versé pendant un an ou deux, pourrait être une solution ? Certains enfants pourraient ainsi rester auprès de leurs parents, dans de bonnes conditions, et cela libérerait par ailleurs des places en crèche.
Quel effort faut-il faire en matière de formation ? Quelles pistes devrait-on emprunter ?
Enfin, faut-il revoir le code des marchés publics et y introduire des règles spécifiques pour la petite enfance ?
M. Philippe Dupuy. Tout le monde est un peu obnubilé par la question du ratio, parce que c’est un indicateur commode – et le seul dont les financiers tiennent compte pour évaluer la qualité de l’accueil – mais il n’a pas grand sens en lui-même. Il faut aussi regarder l’organisation de la structure, la qualification du personnel, la nature des locaux, la taille de l’établissement, etc. Cela étant, nous sommes tous d’accord pour dire que le ratio d’un professionnel pour six enfants, tel qu’il est interprété, n’est pas suffisant et qu’il serait préférable d’avoir un professionnel pour cinq enfants, à condition d’ajouter « auprès des enfants ». Les professionnels, de fait, ne sont pas en permanence auprès des enfants et ils demandent à avoir davantage de temps pour souffler. Travailler dix heures dans une crèche, c’est épuisant. Le ratio est un indicateur, mais il n’est pas suffisant.
Je ne vous répondrai pas sur la question du salaire parental, parce que l’Acepp n’a pas de position précise sur ce sujet. Mais ce que je peux vous dire, c’est que nous sommes attachés à ce que tous les enfants, même s’ils restent à la maison, aient accès à un mode d’accueil, d’abord parce que les parents peuvent avoir besoin de souffler, ensuite parce que les enfants ont besoin de sortir de leur univers familial pour découvrir d’autres choses. Si l’on introduit un salaire parental, nous demanderons, comme pour le congé parental d’éducation à temps complet, que les enfants concernés aient accès à un mode d’accueil, quel que soit leur âge.
Mme Julie Marty Pichon. Si la question du ratio, ou du taux d’encadrement, est importante, c’est parce que c’est un marqueur. Les professionnels sont dans une situation intenable qui les oblige à jongler en permanence. Leur dire que l’on veut augmenter le taux d’encadrement, c’est une manière de dire que l’on a compris leurs difficultés et que l’on va tout faire pour améliorer les choses. Notre collectif, depuis de nombreuses années, demande qu’il y ait un adulte pour cinq enfants, quel que soit l’âge, de sorte que l’encadrement soit meilleur auprès des plus petits comme des plus grands. Quand vous êtes deux adultes pour seize enfants qui trottinent, c’est du sport !
Le collectif n’a pas non plus de position sur la question du congé parental.
S’agissant du code des marchés publics, il faudrait faire en sorte que les choses soient équitables et qu’une organisation ne soit plus défavorisée par rapport à une autre sur le plan économique, comme c’est le cas actuellement.
Le service public de la petite enfance a vocation à s’occuper de petits êtres humains, fragiles et vulnérables. Et c’est parce que nous nous occupons d’un public très vulnérable que la mise en concurrence n’est pas de mise. Depuis des années, les témoignages de professionnels qui nous sont remontés montrent que la recherche de profit et de rentabilité n’a pas de bonnes répercussions sur l’accueil des enfants. Cela est bien documenté désormais : on ne peut plus le nier.
Quand une association accueille des jeunes enfants, elle ne cherche pas la rentabilité. Son budget est censé être à l’équilibre parce que les dotations que lui donne la collectivité doivent être utilisées seulement pour l’accueil des enfants. Si elle réalise un excédent, il est réinvesti dans l’achat de jouets, dans des projets, etc. Le privé lucratif ne le fait que très peu, ce qui change la donne.
Un service public de la petite enfance doit être universel, accessible à tous les enfants, que les parents soient en congé parental ou pas, et quel que soit leur lieu de résidence. Les études de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) ont en effet montré que les structures sont concentrées dans les milieux urbains et périurbains. Dès que l’on s’éloigne un peu, il devient plus difficile de trouver un accueil pour son enfant.
Il nous paraît également indispensable que l’accueil des 0-3 ans soit gratuit, dans un premier temps pour les familles qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, puis progressivement pour l’ensemble des familles. L’école maternelle, qui occupe la deuxième tranche d’âge de la petite enfance, est gratuite : il n’y a pas de raison que l’accueil des enfants de 0 à 3 ans ne le devienne pas. C’est primordial.
Mme Lucineia Martins Dos Santos. Dans son rapport de mars 2023, l’Igas recommande de se rapprocher d’un ratio d’encadrement d’un professionnel pour quatre bébés et d’un pour cinq enfants qui marchent. J’ai fait l’expérience dans la crèche où je travaille : cela change tout, notamment au niveau du portage psychique. La littérature scientifique préconise un adulte pour trois enfants de moins de 2 ans et un adulte pour quatre ou cinq enfants de plus de 2 ans – on est loin du compte !
En outre, l’Igas préconise, pour la qualité de l’accueil de jeunes enfants, de constituer de petits groupes d’enfants, comprenant entre six et huit enfants pour les moins de 2 ans, et entre dix et douze enfants pour les plus de 2 ans. L’association Pikler Lóczy, qui s’inspire des travaux menés par la grande pédiatre Emmi Pikler sur la qualité de l’accueil des enfants au lendemain de la seconde guerre mondiale, est très engagée en faveur des petites unités et également de la formation. Nous sommes nombreux dans notre département à travailler avec cette association dans le cadre de la formation continue. De nombreux lieux de qualité permettent de se former, comme les écoles d’auxiliaires de puériculture ; la question est celle des moyens alloués à la formation initiale et continue.
Par ailleurs, la règle des 5 mètres carrés par enfant, que l’on soit en crèche publique ou privée, ne semble pas encore connue de tous. La dégradation des lieux, pour des raisons d’économies, est réelle. Le sujet ne fait pas partie des dix principes de la Charte nationale pour l’accueil du jeune enfant, mais nous y travaillons.
Enfin, chacun doit avoir sa place dans l’institution. Nous ne sommes pas interchangeables. La directrice ne peut pas s’occuper de la cuisine ou accomplir d’autres tâches que celles qui lui incombent pour soutenir son équipe.
Mme Valérie González. Le ratio est important dans le sens où il garantit la présence de professionnels connus de l’enfant, qui sont pour lui des repères stables, ainsi que du temps hors présence de l’enfant pour réfléchir à la pratique, parler de ce qui va ou ne va pas, des symptômes qui ont pu être décelés chez l’enfant. Cela se fait forcément pendant la journée de travail et il faut bien, pendant ce temps, que des professionnels gardent les enfants.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Je tiens à vous remercier pour votre engagement et pour vos travaux sur la petite enfance. Je signale d’ailleurs que Mme Marty Pichon a récemment publié un livre, J’ai mal à ma crèche, qui est très instructif et peut nous servir dans le cadre de nos travaux.
Ce que vous décrivez du secteur de la petite enfance converge malheureusement avec ce que nous avons entendu lors des auditions précédentes. Le tableau est assez sombre. Vous avez parlé de qualité d’accueil insatisfaisante – c’est sans doute un euphémisme. Mon propos n’est pas de généraliser : on sait que, grâce à l’investissement des professionnels et des gestionnaires, il y a heureusement des crèches où cela se passe bien, mais on sait aussi qu’il y a des crèches où il en va différemment. Que l’on soit parent, citoyen ou responsable politique, on ne peut pas se satisfaire de l’idée que, dans certaines crèches, cela se passe mal pour les enfants. Ce que vous décrivez devrait provoquer un électrochoc et pousser à une réaction politique.
Comment en sommes-nous arrivés là ? C’est assez simple, me semble-t-il : depuis dix ou vingt ans, il faut faire plus avec moins d’argent. La dérégulation a entraîné une réduction du taux d’encadrement, de la formation des professionnels, du nombre de mètres carrés, etc. À un moment, cela finit par craquer. Quand on ne parvient plus à recruter les professionnels pour travailler dans les crèches, on aura beau annoncer l’ouverture de 200 000 places en crèches d’ici à la fin du quinquennat, on sait bien que ces objectifs ne seront pas tenus.
De tout cela, je retire que le privé lucratif joue un rôle sur les conditions d’accueil, non seulement, au sein des crèches privées lucratives, par les exigences de rentabilité, mais également par la mise en concurrence des acteurs pour tirer vers le bas. Quand le privé lucratif soumissionne pour une DSP avec des prix faibles pour gagner le marché, cela contraint les autres acteurs, notamment associatifs, à descendre les leurs, donc la qualité de l’accueil. Partagez-vous ce constat ?
Quelles mesures immédiates et fortes faudrait-il prendre pour casser ce cercle vicieux ? Le manque de professionnels entraîne une dégradation des conditions de travail qui, à son tour, dissuade les professionnels de venir travailler en crèche. Sur quoi faut-il intervenir : la rémunération, l’encadrement, la formation ? Quelles mesures prendre dès maintenant pour inverser la tendance et améliorer l’accueil des jeunes enfants ?
Mme Julie Marty Pichon. Je me suis déjà amplement exprimée sur la question du privé lucratif : le collectif considère qu’il ne devrait pas faire partie de la mission de service public de la petite enfance.
S’agissant des mesures immédiates à prendre, il faut sûrement revenir sur la réforme Norma de 2021, notamment sur la suppression de l’exigence d’une expérience professionnelle minimale de trois ans pour les directeurs et directrices de crèches des très petites, petites et moyennes crèches – elle n’a été maintenue que pour les grandes et les très grandes crèches. C’est une vraie difficulté parce qu’on ne peut pas arriver en direction sans avoir expérimenté les relations parent-professionnel-enfant au sein d’une structure. Il est assez facile de revenir sur cette disposition. Il en va de même pour le taux d’encadrement d’un pour six : on peut parfaitement revenir sur cette disposition et en rester, dans l’immédiat, à un taux d’un adulte pour cinq enfants qui ne marchent pas, c’est-à-dire les plus vulnérables, et un pour huit enfants qui marchent.
En matière de qualifications, on peut également revenir sur la possibilité d’ouvrir une microcrèche sans un responsable technique spécialiste des métiers de la petite enfance présent à raison de dix heures par semaine si l’on s’adjoint dans l’année douze heures d’accompagnement d’une puéricultrice ou d’un éducateur de jeunes enfants (EJE). Que des personnes sans aucune expérience de la petite enfance puissent se retrouver à la tête d’une microcrèche avec ce seul accompagnement de douze heures par an, c’est ridicule. Là encore, il n’est pas très compliqué de revenir sur cette disposition : un décret suffit.
S’agissant du ratio de qualification des professionnels, les équipes de structure collective comptent au minimum 40 % de personnel diplômé – auxiliaires de puériculture, éducateurs de jeunes enfants, puéricultrices – et au maximum 60 % de personnel ayant un CAP qualifié Petite enfance, avec dix-sept autres qualifications possibles et des dérogations encore possibles sur ces qualifications. Nous demandons le rétablissement du ratio 50-50 prévu dans le décret de 2000, qui assurait un équilibre entre les différents professionnels. Le souci avec les équipes comptant moins de professionnels hautement qualifiés que de professionnels très bassement qualifiés, c’est que, des experts l’ont montré, la déqualification des métiers peut engendrer des situations de maltraitance et de mise en danger, par manque de recul sur sa pratique et par manque de repères de la formation.
Cette question-là sera plus compliquée à régler en raison de la pénurie de personnel. Elle impose de lancer le grand plan « métiers » que nous appelons de nos vœux depuis vingt ans au moins. Il faut ouvrir les centres de formation et augmenter les quotas sans perdre de temps, parce qu’il faut un an pour former une auxiliaire de puériculture, trois ans pour un EJE et quatre ans pour une puéricultrice ! Si l’on attend, la situation va encore empirer, avec le risque de se retrouver dans quelques années avec seulement des professionnels très bassement qualifiés dans les structures, les diplômés étant partis faire autre chose.
M. Philippe Dupuy. Je ne suis pas certain qu’il y ait moins d’argent : au niveau national, on constate que les budgets grossissent. En revanche, on ne voit pas les crédits arriver sur le terrain. Nous avons tous remarqué que certaines collectivités locales – pas toutes – ont profité de ce que l’État avait injecté de l’argent dans la petite enfance pour se désinvestir, et déduire de leurs propres subventions les sommes accordées par l’État. D’un point de vue économique, cela n’a donc eu aucune conséquence pour la structure ; c’est la manière dont l’argent a été bloqué qui diffère. C’est beaucoup plus complexe qu’on l’imagine. La vigilance doit porter sur certains indicateurs. Ainsi, nous estimons que 80 % des recettes doivent être consacrés aux salaires auprès des enfants.
Le moyen de rompre le cercle vicieux reste à inventer. On a besoin de former des professionnels mais on ne peut pas en intégrer dans les équipes autant que nous le souhaiterions car il y aurait trop d’adultes auprès des enfants. Le nombre de stagiaires doit être déterminé en adéquation avec le nombre d’enfants accueillis, et au regard des locaux.
En outre, dans une crèche qui a fonctionné avec des adultes supplémentaires, lorsque ceux-ci partent, le personnel qui reste ressent une forme de déqualification, le sentiment qu’il ne fait plus de la qualité. Il faut donc prévoir tout un accompagnement. C’est une difficulté que nous avons vécue dans notre réseau, qui était très utilisateur de contrats aidés. Nous avons pris la décision d’arrêter d’y recourir pour stabiliser les équipes et assurer une meilleure qualité d’accueil. Il est certes important de conserver un volet insertion, mais le fonctionnement d’une crèche ne doit pas reposer structurellement dessus. En l’occurrence, nous connaissions une forme de surencadrement, avec un adulte pour trois enfants ; lorsque nous sommes repassés à un pour quatre, voire un pour cinq, les professionnels ont eu le sentiment qu’ils ne savaient plus faire alors qu’ils y parvenaient très bien avant et qu’ils avaient été formés pour.
Pour assurer une montée en charge, il faut former des gens avant de créer des structures, sinon le basculement de professionnels dans les nouvelles crèches créera un malaise dans celles qui devront fonctionner avec moins d’adultes. De plus, il faudra tenir compte de l’état de fatigue des équipes en place quand elles devront accueillir et former les futurs professionnels. La question est donc beaucoup plus complexe qu’on ne l’imagine et suscite des résistances fortes et justifiées de la part des équipes. Si elles sont toutes en attente d’une telle réforme, elles ne sont pas prêtes à s’investir parce qu’elles craignent que cela ne se fasse encore au détriment de leurs conditions de travail.
Selon moi, la mesure à mettre en place immédiatement est de mettre fin au double système de microcrèche Paje et PSU : nous devons inciter toutes les microcrèches Paje à basculer vers la PSU, en repensant le financement au niveau national pour que la transition se fasse sans solliciter les collectivités locales, qui ne peuvent pas faire face économiquement, faute de quoi nous risquons de nous retrouver dans une impasse.
Tout le monde doit relever du même système de financement parce que la PSU permet beaucoup plus de contrôles, tant sur le modèle économique que sur la manière dont les équipes sont montées. Nous pourrions avancer doucement dans cette direction, et à petits pas car le secteur est extrêmement fragile en ce moment. Même dans un réseau comme le nôtre, les gens – des militants – ne se battent plus ; ils se disent que cela n’en vaut plus la peine et s’en vont. La complexité tient au fait qu’il faut réussir à rassurer tout le monde pour pouvoir repartir.
Mme Valérie González. Nous constatons, nous aussi, la démotivation et l’épuisement physique et psychique de professionnels portés par des idéaux très forts une fois qu’ils sont confrontés au terrain. Cela a évidemment des conséquences en cascade sur l’accueil de l’enfant et sur les parents.
Mme Lucineia Martins Dos Santos. Les professionnels sont très fatigués : il faut commencer par reconnaître leur grande souffrance, avant même de proposer un plan de formation. De plus, il faut absolument recruter du personnel de direction formé – la personne à la tête d’une crèche, c’est le chef d’orchestre qui va permettre de faire une belle musique avec les enfants. La formation est un point fondamental, car on constate une dégradation importante. Tout le monde n’est pas capable de s’occuper des enfants : il faut être formé pour pouvoir s’occuper de petits enfants, qui sont des êtres vulnérables, tout comme le sont également leurs parents – n’oublions pas qu’il y a 20 % de dépressions post-partum. La crèche est là aussi pour faire de la prévention et accompagner les parents.
Mme Anne Bergantz (Dem). Ayant assisté à quasiment toutes les auditions, il me semble que les conséquences sur la qualité de l’accueil de la concurrence privée-public-associatif n’ont rien d’évident. Personne n’a affirmé que le public était formidable et que le privé était forcément mauvais. En revanche, il semble que l’on ait du mal à se retrouver dans l’imbrication des normes. Vous avez également évoqué les conséquences très négatives des délégations de service public. La petite enfance n’est pas le seul domaine où l’on constate de telles dérives. C’est donc un vrai problème.
Pourriez-vous me dire, car je n’ai pas réussi à obtenir de réponse à cette question, en quoi consistent les assouplissements apportés par le décret Morano et par la réforme Norma ? Pouvez-vous dire qu’il y a eu une véritable dégradation de l’accueil depuis quinze ans ? Nous savons que les professionnelles ont dû prendre sur elles pour absorber ces décisions, au point d’en être aujourd’hui épuisées et, pour certaines, de préférer quitter ce secteur. Mais, concrètement, pensez-vous réellement que cela a eu des conséquences sur l’accueil des enfants ? Je voudrais mettre cela en regard avec la très forte satisfaction des parents, selon plusieurs sondages concernant l’accueil de leurs enfants.
J’entends très bien ce que vous dites sur le taux d’encadrement. Ayant eu l’occasion de participer à des haltes-garderies parentales, j’ai gardé des enfants et je peux témoigner à quel point c’est éprouvant, tant au niveau sonore que physique ; cela demande une attention de tous les instants. Je sais que ce sont de véritables métiers. Mais, sur ce point précis, peut-on dire que les décrets Morano et la réforme Norma ont eu des effets prégnants sur l’accueil des enfants ?
Mme Julie Marty Pichon. Concernant la satisfaction des parents, les baromètres établis par les grands groupes sont évidemment très bons. Mais quand un parent reçoit une enquête de satisfaction sur l’accueil de son enfant, il ne va pas expliquer que ça se passe mal ou qu’il a des désaccords parce qu’il court le risque de perdre sa place. Les baromètres sont très hauts parce qu’il y a une pression sur les parents, qui s’estiment déjà heureux d’avoir trouvé une crèche près de chez eux et qui, sauf problème très grave, ne disent pas grand-chose.
J’en viens à la dégradation constatée depuis l’entrée en vigueur du décret Morano et de la réforme Norma. Concernant cette dernière, nous ne disposons pas encore d’une évaluation concrète. Nous avons cependant recueilli de nombreux témoignages en ce sens sur l’accueil des plus petits. À cela s’ajoute l’arrêté du 29 juillet 2022, qui autorise des personnes sans qualification et sans expérience à compléter les équipes, lesquelles doivent de ce fait les former. C’est particulièrement contraignant et épuisant pour les professionnels.
Avant la généralisation du multi-accueil et l’invention de la PSU, les crèches accueillaient les enfants des familles qui travaillent ; ces enfants venaient toute la semaine et constituaient un groupe stable. À côté de cela, il existait des haltes-garderies, destinées le plus souvent aux familles en congé parental. Elles accueillaient les enfants de façon très partielle, par demi-journée, sans servir de repas. Les professionnels s’occupaient donc de groupes d’enfants différents mais étaient formés pour cela. Les haltes-garderies remplissaient un vrai rôle social dans les territoires. Aujourd’hui, elles ont quasiment disparu : c’est un drame, car elles accomplissaient une mission essentielle d’accompagnement des parents à la maison.
Le multi-accueil et la PSU incitent à accueillir des enfants en permanence. Auparavant, si deux enfants d’un groupe de vingt étaient absents, ce qui arrivait notamment le mercredi, lorsque les mères travaillant à temps partiel gardent leurs enfants, les collègues pouvaient travailler au projet pédagogique sur leurs heures de travail, et non de dix-neuf heures à vingt et une heures.
Si bien pensé soit-il, le multi-accueil incite à optimiser la capacité d’accueil. Il faut que les places soient occupées chaque jour à toute heure. La PSU ouvre droit à d’autant plus de subventions que le nombre d’heures facturées est élevé. C’est pourquoi des listes d’attente sont ouvertes indiquant combien d’enfants peuvent venir de telle heure à telle heure. Il m’est arrivé d’appeler des familles le lundi matin pour leur proposer une place libre de neuf heures à midi en raison de l’absence d’un enfant. Cela provoque du stress et donne le sentiment que l’on fait autre chose que son travail, dans des conditions dégradées qui plus est.
Par ailleurs, la possibilité d’accueillir des enfants en surnombre, à concurrence de 115 % de la capacité d’accueil des établissements, est calculée sur la capacité théorique totale, ce qui ne permet pas toujours de maintenir le taux d’encadrement prévu. En pratique, nous ne pouvons pas mettre des adultes en face des enfants en surnombre, en raison de pénuries de personnel ou parce que l’on ne remplace pas les gens au pied levé.
Tout cela induit une dégradation des conditions d’accueil. Avant l’épidémie de covid, nous avons ouvert une plateforme intitulée Petite Enfance en péril, sur laquelle les professionnels pouvaient témoigner des conditions d’accueil. Il s’agissait d’alerter le Gouvernement sur leur dégradation dans le cadre de la réforme Norma. Plus de 250 témoignages corroborent ce que je viens de décrire.
Mme Valérie González. L’accueil occasionnel peut aller à l’encontre de l’intérêt de l’enfant, qui se trouve privé de la capacité de se projeter faute d’être dans le groupe d’enfants qu’il connaît avec la professionnelle qu’il connaît, ce qui peut avoir des effets néfastes et va à l’encontre de tout ce que nous préconisons.
En halte-garderie, l’accueil est certes à temps partiel mais sur une demi-journée, dans le cadre d’un projet spécifique et pensé. Il en reste quelques-unes, qui font un travail de qualité s’inscrivant dans une continuité d’accueil et de soins pour l’enfant.
Mme Lucineia Martins Dos Santos. L’expression « enquête de satisfaction » suggère que les parents sont des clients ou des consommateurs. Telle n’est pas l’essence de la relation qu’il convient d’avoir avec eux. Les parents ne sont pas des clients. Cette approche contrevient au développement psychique de l’enfant et occulte la dimension psychique de la parentalité, notamment de la transparence psychique, qui peut subsister pendant les trois premiers mois de l’enfant. En crèche, il n’est pas opportun de parler d’enquêtes de satisfaction.
Concrètement, les professionnelles font état d’un réel épuisement psychique et physique. Ces dames, dont je salue le travail formidable, engagent leurs corps dans leur activité. Elles portent des enfants qui sont parfois inconsolables une fois séparés de leurs parents – psychologues et psychomotriciens concourent au bien-être de l’enfant. Au soutien de l’enfant dont le parent est parti travailler, la professionnelle qui l’accueille prête son corps et son psychisme.
Il importe donc de faire en sorte que le taux d’encadrement soit respecté, dans une perspective globale. Les directrices de crèche sont bien formées ; elles connaissent ce travail. Il faut éviter que les professionnels aient toujours la tête dans le guidon et ne se sentent pas écoutés. Il faudrait peut-être aussi revaloriser leurs salaires. Par ailleurs, leur formation continue, tout au long de la vie, est le secret de la qualité de l’accueil qu’elles assurent.
Elles sont nombreuses, en crèche, à faire un travail formidable. Il est regrettable qu’on ne parvienne pas à sortir de la logique financière pour écouter les professionnels de la petite enfance. C’est tout ce que nous demandons, depuis vingt ans. On ne peut pas marchandiser l’enfance comme nous sommes en train de le faire. C’est très grave. D’autres secteurs, notamment la pédopsychiatrie, sont dans une situation comparable.
M. Philippe Dupuy. Du point de vue des parents, qui attendent un service, il est logique d’être invité à donner son avis, même sous une appellation autre que « enquête de satisfaction ». Il faut réussir à concilier les points de vue. Un parent qui confie son enfant à un adulte ignore s’il s’agit d’un EJE, d’un auxiliaire de crèche ou d’un titulaire d’un CAP Petite enfance. Tout cela relève d’une cuisine interne qu’il connaît peu. Or tout parent ayant laissé son enfant en crèche a constaté qu’un adulte peu qualifié peut offrir aux enfants un accueil formidable et qu’un adulte très qualifié peut faire la tête chaque matin.
Par ailleurs, les professionnels de la petite enfance cultivent l’aptitude à ne pas montrer leur souffrance et à toujours faire comme si tout se passait bien. Cela fait partie de l’éthique du métier : les problèmes personnels restent sur le pas de la porte de la crèche. C’est pourquoi tout explose lorsque les choses vont mal. Les parents ne comprennent pas qu’une équipe se mette en grève, car ils ont toujours reçu, de la part du professionnel, le message selon lequel tout va bien : « J’ai toujours arboré un grand sourire, j’ai tout fait pour vous accueillir, j’ai pris sur moi ». L’enquête de satisfaction est le reflet de ce qu’on nous donne à voir, pas de ce qui se passe derrière, dont on a que peu connaissance.
La particularité de l’Acepp est de faire entrer les parents dans le cœur du réacteur. Ils peuvent ainsi prendre conscience que la professionnelle qui leur a fait un grand sourire le matin est aussi une personne qui, en réunion, leur dit qu’elle est fatiguée et qu’elle n’en peut plus parce qu’elle remplace une collègue pour la troisième fois, faute de personnel en nombre suffisant. Cela n’affleure jamais dans la relation avec les parents. Il faut donc être très vigilant lorsque l’on demande leur avis aux parents, et tenir compte de ce qui se passe au sein de l’équipe de professionnels. De cette façon, la construction de la qualité est différente.
S’agissant de la réglementation, elle fixe des minima dans le cadre desquels les équipes déploient leur action. Certaines mordent parfois sur la limite. Il ne faut surtout pas la franchir. Dans le secteur associatif, ne pas respecter la réglementation fait courir des risques trop importants, aux professionnels comme aux parents gestionnaires. Si le taux d’encadrement est trop bas, nous préférons fermer. Ce qui nous choque, c’est que tel n’est pas le cas dans le secteur public ni dans le secteur privé à bus lucratif. Même si nous accueillons un peu plus d’enfants que la normale, le taux d’encadrement est toujours respecté. Nous ne pouvons pas nous permettre de faire autrement.
Les mauvaises pratiques sont davantage mises en lumière qu’elles ne l’étaient. Les témoignages qui ont été recueillis et le rapport de l’Igas ont permis d’en prendre la mesure. Il faut procéder à des contrôles. Les professionnels le disent rarement.
Mme Valérie González. Le contrôle de la PMI gagnerait à porter non seulement sur les bâtiments, l’hygiène et la sécurité, mais aussi sur la qualité d’accueil.
Mme Lucineia Martins Dos Santos. Aux enquêtes de satisfaction, nous, psychologues responsables de crèche formés à l’accueil de la petite enfance, préférons le soutien à la parentalité dans le cadre de la relation entre parents et professionnels. Il s’agit de faire entrer les parents dans la crèche et de leur montrer notre travail. Dans la relation entre parents et professionnels, des mécanismes inconscients sont à l’œuvre, qu’il nous faut repérer, ce qui exige un accompagnement. Lorsque vous devez laisser votre enfant le matin à un professionnel qui s’en occupera pendant que vous travaillez, cela crée des rivalités fantasmatiques.
Il s’agit de montrer aux parents comment leur enfant est accompagné au quotidien, par le biais de réunions telles qu’un café des parents et de tout ce qui est lié à l’art, à la culture et à la nature. Les parents doivent entrer dans la crèche pour se rendre compte par eux-mêmes de ce qui s’y passe et pour y participer, car ils ont aussi des compétences qu’ils peuvent partager avec les établissements d’accueil.
M. le président Thibault Bazin. Madame Martins Dos Santos, vous avez évoqué des locaux délabrés. En avez-vous des exemples concrets ? Où ? Qui en était propriétaire ? La PMI compétente a-t-elle été saisie ?
Mme Lucineia Martins Dos Santos. Je ne peux vous répondre, car je m’y suis rendue dans le cadre d’une session d’analyse des pratiques professionnelles, ce qui m’astreint au secret professionnel.
M. le président Thibault Bazin. S’agit-il d’une structure privée à but lucratif, d’une structure privée associative ou d’une structure publique ?
Mme Lucineia Martins Dos Santos. Il s’agit d’une structure publique.
M. le président Thibault Bazin. Madame Marty Pichon, vous avez évoqué des crèches de 100 berceaux où le taux d’encadrement est passé de deux professionnels pour dix enfants à deux pour douze. S’agit-il de structures privées à but lucratif, de structures privées associatives ou de structures publiques ?
Mme Julie Marty Pichon. Il s’agit de deux choses distinctes. J’ai dit que les crèches de 100 berceaux sont courantes en région parisienne et que, dans les crèches organisées en sections, le taux d’encadrement est passé de deux professionnels pour dix enfants à deux pour douze ; les exemples qui m’ont été remontés concernaient des crèches municipales.
M. le président Thibault Bazin. Monsieur Dupuy, vous nous avez beaucoup alertés sur la notion de transition nécessaire. Nous avons beaucoup parlé du plan de formation. Si nous renforçons les exigences qualitatives, quel délai sera nécessaire au secteur que vous représentez pour s’adapter ?
M. Philippe Dupuy. Au moins dix ans. Dans le secteur de la petite enfance, nous avons l’habitude de travailler en coopération et d’échanger nos points de vue. Nous n’avons pas réfléchi collectivement à ce sujet, mais un délai de dix ans me semble un minimum.
M. le président Thibault Bazin. Mesdames, monsieur, au nom de la commission d’enquête, je vous remercie de vos réponses. N’hésitez pas à nous faire parvenir tout élément d’information complémentaire qui vous semblerait utile à nos travaux, ainsi que toute précision ou correction que vous jugeriez bon d’apporter à vos déclarations.
La séance est levée à 16 heures 50.
Membres présents ou excusés
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements
Réunion du mercredi 7 février 2024 à 15 heures
Présents. - M. Thibault Bazin, Mme Anne Bergantz, M. William Martinet, Mme Béatrice Roullaud, Mme Anne Stambach-Terrenoir, Mme Sarah Tanzilli
Excusés. - M. Thierry Frappé, Mme Élise Leboucher, Mme Isabelle Santiago