Compte rendu
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements
– Audition de Mme Carole Chrisment, présidente du collectif des crèches associatives du Grand Est 2
Mercredi 6 mars 2024
Séance de 10 heures 30
Compte rendu n° 14
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Thibault Bazin,
Président
— 1 —
La séance est ouverte à 10 heures 30.
La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné Mme Carole Chrisment, présidente du collectif des crèches associatives du Grand Est.
M. le président Thibault Bazin. Mes chers collègues, je suis heureux d’accueillir ce matin, devant notre commission d’enquête, Mme Carole Chrisment, présidente du collectif des crèches associatives du Grand Est. J’aurais également pu vous présenter, Mme Chrisment, en tant que vice-présidente d’une caisse d’allocations familiales (CAF), évoquer votre parcours très riche d’expériences dans le secteur de l’accueil de la petite enfance, ou encore rappeler que vous présidez la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) de Meurthe-et-Moselle, votre mandat ayant même été renouvelé avant-hier.
Vous nous présenterez brièvement votre parcours et vos actions. Nous avons fait votre connaissance lors du déplacement qui a été effectué à Nancy par Mme la rapporteure, les 12 et 13 février derniers, et il nous a semblé utile de partager les enseignements de cette rencontre.
Je crois savoir que Mme la rapporteure vous interrogera notamment sur la prestation de service unique (PSU) et sur les effets de bord qu’elle génère. Nos échanges pourront bien entendu porter sur d’autres sujets, en particulier sur la qualité d’accueil.
Votre audition est retransmise en direct sur le site Internet de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible, à la demande.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme Carole Chrisment prête serment.)
Mme Carole Chrisment. Bonjour à tous, Mesdames et Messieurs les Députés. Je suis en effet très impliquée dans la petite enfance. J’ai ouvert une première halte-garderie en 1989. J’ai été présidente régionale de l’association des collectifs enfants parents professionnels (ACEPP) pendant deux ans. J’ai par la suite ouvert deux crèches franco-anglaises, en 1992 et en 1993, que je dirige depuis près de 33 ans. À ce jour, ces crèches accueillent respectivement 25 et 30 enfants.
J’ai en outre été élue maire-adjointe à la petite enfance dans une commune de 15 000 habitants. J’ai ainsi connu l’envers du décor, au niveau municipal. J’ai par ailleurs assuré un mandat d’administrateur au sein de la CAF de Meurthe-et-Moselle, de mémoire à partir de 1991. Je suis actuellement troisième vice-présidente de la CAF des Vosges.
En outre, j’assure depuis longtemps la fonction de présidente du collectif des crèches du Grand Est, position que personne ne veut occuper, je dois bien le reconnaître.
J’ajoute que je siège toujours dans les commissions relatives à l’accueil de la petite enfance, mises en place conjointement par la CAF et le conseil départemental.
Je fais enfin partie d’un groupe international travaillant sur la qualité d’accueil de la petite enfance. J’ai dans ce contexte voyagé en Norvège, au Canada et en Allemagne, notamment dans le cadre d’un partenariat noué en Allemagne par le département de Meurthe-et-Moselle.
M. le président Thibault Bazin. Avant que je cède la parole à Mme la rapporteure, quelles informations souhaitez-vous nous communiquer, qui entretiennent un lien avec nos travaux et leurs enjeux ?
Mme Carole Chrisment. Je voulais dire pour commencer que la question de l’accueil de la petite enfance est étroitement liée à la qualité de cet accueil. Or, on considère parfois en France que la qualité d’accueil du jeune enfant est uniquement liée à la qualité de vie de ses parents.
Les places d’accueil d’une crèche sont estimées par le nombre de berceaux qui y sont disponibles. Or un enfant a des besoins physiologiques. Il a des besoins en matière d’estime de soi et il a besoin d’un cadre. Il a en somme des besoins autres que le seul berceau.
Les actions qui sont mises en place visent uniquement à améliorer la vie quotidienne du parent et ne prennent pas en considération les besoins de l’enfant. Sa sécurité affective repose en effet sur trois critères : le temps, le lieu et l’humain. La pédagogue Laurence Rameau décrit bien dans ses travaux la fonction de ce dernier critère. L’enfant a des besoins et pendant les cinq premiers mois de sa vie, son parent constitue le référent nécessaire.
Après cinq mois, un mode de garde de l’enfant peut être instauré. En revanche, il ne pourra plus l’être au moment de la « crise des neuf mois », période pendant laquelle les parents peuvent être amenés à qualifier leur enfant de « pot-de-colle ». Cette crise se caractérise par une peur de l’abandon et cette étape ne doit pas être manquée.
L’humain est doté de trois cerveaux – dont le reptilien et le limbique. L’enfant pleure tour à tour parce qu’il a faim, parce qu’il a envie de jouer ou parce qu’il a sommeil. L’enfant développe peu à peu son cerveau limbique en dormant. Lorsque l’adulte ne sécurise pas l’enfant, le cerveau reptilien de l’enfant s’en trouve marqué. Aucun mode de garde ne doit donc être instauré lorsque l’enfant est âgé de neuf mois, c’est soit avant soit après. La « crise des dix-huit mois » est également à prendre en compte. Elle se caractérise par des cauchemars nocturnes. J’en ai fini avec le premier développement que je souhaitais faire.
Je voulais également évoquer la réforme NORMA, qui a essentiellement trait aux bâtiments. Cette réforme est bonne, en tant qu’elle clarifie les modes d’accueil. Certaines des dispositions qu’elle prévoit posent néanmoins problème.
La réforme NORMA évoque la question des « couchages ». Elle prévoit que le premier couchage doit être installé dans au moins sept mètres carrés et qu’un mètre carré additionnel doit être observé pour chaque couchage supplémentaire. Ainsi, les chambres des crèches mesurent environ trente mètres carrés, pour un groupe d’enfants très nombreux. Cette configuration des chambres n’est cependant pas satisfaisante pour l’enfant, dans la mesure où son sommeil est très important. Il conviendrait à ce propos de promouvoir des chambres de plus petite taille.
Ce schéma collectif a, à mon sens, été adopté sans prendre en considération la réalité du terrain. Les crèches françaises disposent plutôt de petites chambres, car la qualité du sommeil de l’enfant a été privilégiée. La réforme s’imposera à toutes les crèches en 2026, ce qui laisse du temps pour en modifier les dispositions. Je propose à ce titre que la notion de « couchage » soit remplacée par celle de « lit » – sachant que les crèches comptent de nombreux lits doubles – et que le premier lit soit installé dans au moins six mètres carrés, un mètre carré additionnel étant prévu pour chaque lit supplémentaire.
Les crèches existantes pourraient ainsi conserver leurs chambres de petite taille, ce qui s’avérerait moins onéreux. En l’état, plus de 90 % des crèches ne seraient pas conformes aux normes à l’horizon 2026. De plus, la disposition de la réforme relative aux couchages ne sert pas les intérêts de l’enfant.
La réforme NORMA contient par ailleurs des éléments relatifs aux normes d’encadrement, avec la disposition relative aux « trois listes ». Les crèches sont en effet tenues de compter parmi leurs effectifs, 40 % de personnels relevant de la première liste ; 35 % de personnels relevant de la seconde ; 25 % de personnels relevant de la troisième. La première liste regroupe les éducatrices de jeunes enfants, les infirmières, les médecins et les auxiliaires de puériculture. La seconde comprend les titulaires d’un CAP Accompagnant éducatif petite enfance (AEPE) et les titulaires du brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA). La dernière concerne les titulaires d’un baccalauréat professionnel d’accompagnement, de soins et de services à la personne (ASSP).
Contrairement à ce qui peut être dit, les crèches comptent 100 % de personnels diplômés. En revanche, il est vrai que la troisième liste n’est pas adaptée aux besoins des crèches. Nous manquons de personnel et faisons face à des problèmes de recrutement. Je cherche pour ma part une éducatrice de jeunes enfants titulaire d’un Bac + 3 depuis quatre ans et n’ai reçu aucun CV.
Les crèches emploient néanmoins des personnels qui ne relèvent d’aucune des trois listes, mais qui ont une réelle appétence pour la petite enfance et qui savent notamment s’occuper d’un groupe d’enfants. Ce personnel dispose d’un savoir-faire et d’un savoir-être. Il conviendrait de valoriser ce savoir. La liste 3 devrait ainsi être ouverte aux apprentis et à du personnel non diplômé. Les crèches feraient ainsi monter en compétence 25 % de leur personnel, par un biais à la fois plus souple et plus sympathique.
J’en viens maintenant à la PSU, qui a été conçue dans l’objectif de créer des places de crèche supplémentaires, en finançant 66 % du prix de revient de la garde. Néanmoins, la PSU est fonction d’un taux de facturation qui impose aux crèches de ne dépenser que 10,05 euros par heure. Les acteurs des crèches deviennent de véritables comptables.
Les 33 % restants sont en théorie supportés par la commune. Celle-ci évalue les heures de présence des enfants et calcule ses aides à la minute près, tandis que le financement de la CAF repose sur les heures qui sont facturées. Nous devons donc systématiquement comptabiliser les heures et les minutes et devons considérer les dépenses et les taux de facturation.
Dans le cas où une famille demanderait dix journées de crèche supplémentaires en décembre, nous gagnerions 19,80 euros sur les cent heures sollicitées. Néanmoins, le taux de facturation baisserait, car la PSU est fonction des dépenses. Dans cet exemple, nous perdrions par conséquent de l’argent.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Bonjour à tous, mes chers collègues. Merci, Madame Chrisment, d’être avec nous. J’avais prévu de vous interroger sur un certain nombre d’éléments que vous avez déjà mentionnés dans le cadre de votre propos liminaire, en particulier sur la qualité d’accueil et les avantages et inconvénients de la réforme NORMA.
Je comptais en outre vous interroger sur la manière dont vous appréhendez l’écart qui existe entre le fort niveau d’exigence en matière bâtimentaire et la qualité d’accueil sur le plan humain.
Vous proposez de faire monter en compétence des personnels non diplômés. Comment les pouvoirs publics pourraient-ils appréhender et contrôler cette montée en compétence, au regard de l’enjeu majeur que présente la qualité de la formation du personnel des crèches ?
La question de la « crise des neuf mois » nous intéresse par ailleurs, dans la mesure où le sujet du moment d’entrée en crèche est stratégique, eu égard au nombre de places disponibles que comptent les établissements. Quelles conclusions en tirez-vous ? L’enfant devrait-t-il être accueilli en tout état de cause après ses neuf mois ? L’accueil en crèche d’un enfant de six mois est-il envisageable ?
J’avais en outre une série de questions à vous poser, relatives à la question des modes de financement des établissements d’accueil de jeunes enfants. Quel regard portez-vous sur la PSU, dont le mode de financement est assorti d’un mécanisme lié au taux de facturation ? À ce propos, un dispositif de PSU qui ne soit plus strictement corrélé aux heures facturées pourrait-il à l’avenir être envisagé ? Quelles dérives le mécanisme actuel entraine-t-il selon vous ? Pensez-vous que la PSU et la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) favorisent naturellement le secteur privé lucratif, au détriment des crèches publiques et des crèches associatives ? Je souhaiterais que vous nous fassiez part de votre point de vue à ce sujet.
Par ailleurs, quel mode de financement vertueux pourrait être mis en place afin d’améliorer la qualité de l’accueil en crèche et de mieux rémunérer les personnels, au regard de la pénibilité de leurs fonctions et de la nécessité de rendre plus attractif ce secteur que l’on sait en tension ?
Mme Carole Chrisment. La réforme NORMA porte en effet davantage sur les bâtiments que sur le personnel. Il est en outre plus aisé de disposer de personnels qui relèvent des trois listes précitées que de faire monter en compétence le personnel. La France est à cet égard très normée. Après la crise sanitaire, des difficultés relatives au recrutement ont émergé, et ce dans tous les domaines. Il s’agirait de permettre aux entreprises – et notamment celles, comme la mienne, qui obéissent à des normes – de disposer de personnels qui répondent aux besoins des enfants.
Ma demande en la matière porte sur la liste 3, laquelle n’admet même pas les apprentis, alors que les établissements supportent le coût de leur contrat d’apprentissage et les forment. Le service de protection maternelle et infantile (PMI) refuse de les intégrer dans la liste 3. Il conviendrait que les personnes sachent ce qu’est un bébé. Ne pas permettre aux apprentis d’intégrer une des listes leur fait perdre la substantifique moelle du métier. Aussi conviendrait-il de faire monter en compétence le personnel non diplômé.
J’emploie une agente de ménage qui s’intéresse beaucoup à l’animation et qui ambitionne d’obtenir un CAP AEPE. Au début, elle prenait discrètement un livre le soir et le lisait aux enfants. Ceux-ci étaient captivés. Désormais, je le reconnais, elle lit tous les soirs un livre à un groupe de huit enfants. Nous souhaitons la faire monter en compétence. En effet, nous l’avons mise en situation et accompagnée. Elle signera un contrat d’apprentissage en septembre prochain. La PMI est néanmoins intervenue, jugeant la situation anormale, l’agente de nettoyage ne relevant d’aucun critère. Pour autant, cette agente de nettoyage est dotée du savoir-faire et du savoir-être qui conviennent et parvient à captiver les enfants. Pourquoi ne pas lui laisser sa chance ?
S’agissant maintenant de la « crise des neuf mois », une partie du cerveau se construit pendant les six mois qu’elle dure. Cette crise est excessivement importante. Je préconise pour ma part que l’enfant entre en crèche à cinq mois. Après neuf mois, il est difficile d’y faire entrer un enfant qui a été entouré de ses parents pendant dix mois. Par ailleurs, la « crise des neuf mois » peut aussi bien survenir à sept mois ou à onze mois.
Le pédagogue anglais Donald Winnicott considérait que l’existence de liens d’attachement aux parents peut être appréciée au bout de cinq mois. Ceux-ci peuvent se construire plus tard, mais plus difficilement. Ainsi, cinq mois constitue l’âge idéal d’entrée en crèche. Dans les meilleures dispositions, l’enfant sait qu’il retrouvera ses parents le soir.
Il convient par ailleurs que les enfants passent au moins trois jours par semaine en crèche, en vue d’assurer la qualité de leur accueil. La PSU permet cependant de placer son enfant en crèche de façon dispersée dans le mois. Or l’enfant a besoin d’un cadre et d’être sécurisé, sur le plan affectif notamment, selon les trois critères que j’évoquais plus tôt, à savoir le temps, le lieu et l’humain.
Quant aux modes de financement, en lien avec la PSU et la PAJE, les micro-crèches relevant de la PAJE n’accueillent que douze enfants et n’obéissent pas aux mêmes règles que les crèches liées à la PSU. Ces dernières sont par exemple tenues de disposer de deux professionnels, et ce à toute heure de la journée, contre un seul dans les crèches relevant de la PAJE. De plus, celles-ci peuvent ne compter qu’une seule éducatrice de jeunes enfants (EJE) pour trois micro-crèches. L’EJE ne passe que dix heures par semaine dans chaque micro-crèche. Elle n’y est que très peu présente, alors qu’elle a étudié pendant trois ou quatre ans les besoins et le fonctionnement de l’enfant.
Les collaborateurs des micro-crèches relevant de la PAJE ne sont du reste pas régis par la même convention collective que ceux des crèches liées à la PSU. Les deux types d’établissements ne sont pas non plus soumis aux mêmes obligations en matière de personnel.
Pour ma part, je considère comme préférable que deux professionnels soient présents toute la journée au sein de l’établissement. En effet, l’un peut changer un enfant, pendant que l’autre reçoit un parent. Le ratio d’un professionnel pour douze enfants – âgés de quinze à dix-huit mois – semble trop faible.
Je suis à l’origine de la formule de calcul qui a sauvé toutes les crèches françaises pendant la crise sanitaire. Je connaissais en effet une adjointe au maire du Havre, qui a assuré le lien avec le Premier ministre alors en fonction. La formule était excessivement simple : elle reposait sur la multiplication de 17 euros par le nombre de jours de fermeture et par le nombre d’enfants. Une formule de ce type pourrait resservir, en vue de sauver de nouveau toutes les crèches de France. Je donne l’alerte : les crèches vont très mal !
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. S’agissant des personnels non diplômés, la question de la qualité d’accueil repose à l’évidence sur la qualité de la formation des personnels de crèche. J’entends que des personnes sont dotées d’une sensibilité naturelle sur ces sujets et qu’elles montent en compétence dans le cadre de leur expérience professionnelle. Je crois en revanche que l’obtention d’un diplôme permet de confirmer leurs compétences.
Par ailleurs, les structures qui pâtissent de problèmes de manque de personnels importants encourent le risque que leur personnel ne soit pas réellement capable de prendre correctement en charge les enfants. Ainsi, comment valider la montée en compétence de ces personnes, à travers leur expérience professionnelle ?
Quant aux modes de financement, les dispositions de la convention d’objectifs et de gestion (COG) permettent de corriger la tarification liée au taux de facturation. La COG introduit en outre des bonus relatifs au handicap et à la mixité. Comment les appréhendez-vous ? Autrement, comment envisagez-vous l’accueil de jeunes enfants à des horaires atypiques ?
Mme Carole Chrisment. Les personnels relevant des listes 1 et 2 sont déjà diplômés. Ils représentent 75 % de l’effectif des établissements. Les pouvoirs publics pourraient accorder du crédit aux crèches, en ce qui concerne les 25 % de personnels restants. Je ne connais par ailleurs aucune entreprise à qui il est demandé d’afficher 100 % de personnels diplômés. Contrairement aux autres entreprises, les apprentis ne sont pas comptabilisés dans notre effectif. Or une EJE en contrat d’apprentissage est rémunérée pendant trois ans et elle pourrait, dans ce contexte, monter en compétence.
Quant aux bonus censés rendre la PSU plus juste, l’aide à la prestation de service est égale à 66 % du prix de revient. Ainsi, les établissements dont le prix de revient ne s’élève pas à 10,05 euros par heure et par enfant ne sont pas éligibles au montant d’aide maximum. Le prix de revient ne peut ni s’afficher à 10,04 euros, ni à 10,06 euros, ce qui semble excessivement précis et reposer sur une logique de « tolérance zéro ».
L’ensemble des crèches perçoit un bonus relatif aux places de concertation. Le bonus « inclusion handicap » se décline selon trois taux, mais l’enfant doit nécessairement avoir été reconnu handicapé par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH).
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Il semble qu’à ce jour, la notification de la MDPH ne soit plus nécessaire pour bénéficier du bonus « inclusion handicap », d’après les informations que la CAF nous a communiquées.
Mme Carole Chrisment. Les établissements doivent compter 5 % d’enfants handicapés pour prétendre à ce bonus. Nous parlons à ce propos d’enfants « différents », à la crèche. Par ailleurs, les enfants qui bénéficient d’un projet d’accueil individualisé (PAI) ne peuvent pas être comptabilisés parmi les enfants dont le handicap a été reconnu.
L’obtention du bonus « mixité sociale » dépend par ailleurs du lieu d’implantation des crèches. Aussi certaines n’en bénéficient-elles pas car elles ne se trouvent pas à proximité d’un quartier prioritaire. Les inscriptions des enfants en crèche ne dépendent plus des revenus des parents, dans la mesure où la CAF complète à hauteur de 6,63 euros maximum.
Le bonus « territoire » compte neuf tranches et dépend du potentiel financier par habitant de la commune où est installée la crèche. Un bonus relatif à la formation a également été instauré. Son montant est néanmoins conditionné au prix de la prestation de service. Nous attendons enfin le bonus relatif aux ressources humaines (RH), lequel n’a pas encore été instauré.
M. le président Thibault Bazin. Pourriez-vous, je vous prie, rappeler le statut des crèches que vous représentez ?
Mme Carole Chrisment. Je représente deux crèches associatives et préside le collectif des crèches associatives du Grand Est.
M. Philippe Lottiaux (RN). Vous évoquez un besoin de souplesse dans un système qui semble de plus en plus compliqué et rigide. Vous évoquez en outre une piste en matière de RH. À l’exception de la PSU et de la PAJE, existe-t-il d’autres modes de financement des crèches ? Le système de financement actuel est très complexe et contraint un personnel – déjà en nombre insuffisant – à effectuer des tâches administratives. Comment simplifier ce système ?
En second lieu, on entend dire qu’il faut améliorer la qualité, instaurer davantage de normes bâtimentaires, renforcer l’attractivité des métiers et employer plus de personnels travaillant avec les enfants. Le mieux est cependant l’ennemi du bien et il faudra payer ces améliorations. Les collectivités locales, les parents et la CAF ne pourraient pas financer beaucoup plus le système en place. Ainsi, quelles actions mériteraient à votre sens d’être priorisées, dans ce secteur ?
Mme Carole Chrisment. Nous avons en effet besoin de plus souplesse, sachant que notre secteur est de plus en plus normé. Nous parvenons à remplir les crèches. Ainsi, pour celles qui affichent 85 % d’enfants présents, un prix horaire pourrait être déterminé. Pour les crèches qui n’atteindraient pas ce taux, le prix pourrait être divisé par deux et le résultat ensuite réduit d’un euro. Les crèches seraient ainsi obligées de remplir leurs structures. Certaines crèches municipales se contentent parfois de l’agrément de vingt enfants et n’en inscrivent que vingt. Or ledit agrément est renouvelé chaque jour. Un agrément de vingt enfants concerne environ quarante-trois familles.
Par rapport à d’autres pays, les crèches françaises sont très normées. Les prises électriques doivent par exemple être positionnées à 1,20 mètre du sol en France. En Norvège, il arrive que des enfants chutent, mais personne ne se précipite pour les relever. Les petits Norvégiens s’amusent avec des marteaux et des clous. En France, la PMI ferait immédiatement fermer la crèche où cette situation surviendrait. Entre la France et la Norvège, un juste milieu devrait être trouvé.
S’agissant des horaires atypiques, je souhaiterais en effet que mes crèches soient atypiques. Je travaille actuellement à organiser une soirée dédiée aux parents, une fois par mois. La crèche fermerait ce jour à 22 heures, contre 18 heures 30 habituellement. Je suis néanmoins confrontée à la PMI, et ce de façon particulièrement difficile. J’aimerais en outre prévoir un week-end dédié aux parents, comme il en est organisé au Canada.
M. William Martinet (LFI). Vous avez évoqué le problème des normes, considérant qu’il en existe trop et que leur nombre tend à s’accroître. Je souhaiterais que vous précisiez votre propos. En effet, les professionnels que nous avons jusque lors entendus aborder la question des normes en distinguaient deux types. Il existerait d’une part les normes issues de l’histoire de la tradition hygiéniste du système d’accueil collectif français. Celles-ci sont assez souvent critiquées. Un acteur de la profession évoquait à ce propos le protocole de ramassage des feuilles dans le jardin d’une crèche qu’avait sollicité une PMI. Cette norme peut en effet paraître abusive.
Le second type de normes concernerait d’autre part les professionnels et leur qualification. Vos propos contreviennent à cet égard à ce que l’on nous a rapporté, à savoir que le mouvement de dérégulation et de baisse d’exigence des qualifications des professionnels dans les établissements d’accueil collectif des jeunes enfants constituerait une des causes de la crise que le secteur connaît aujourd’hui.
Vous avez en outre évoqué la réforme NORMA et la possibilité de recruter des professionnels qui ne sont titulaires d’aucun diplôme en matière de petite enfance. De nombreuses personnes, dont je fais partie, considèrent qu’il s’agit d’un grave problème.
Considérerait-on comme normal qu’à l’hôpital une personne réalise une prise de sang en lieu et place d’une infirmière, au motif qu’elle est dotée d’une « sensibilité naturelle » pour le soin et qu’elle pourrait monter en compétence ? Cette situation paraîtrait inacceptable. Pourquoi, dans le secteur de la petite enfance, considèrerait-on que la prise en charge et l’accueil des enfants pourraient être assurés par des personnes dont les compétences ne sont pas attestées par des diplômes et des qualifications ? Je ne suis pas d’accord avec ces choix et je pense que mon opinion est partagée par nombre d’acteurs du secteur.
Autrement, vous indiquez que les personnels en contrat d’apprentissage ne sont pas comptabilisés. Ils ne le sont pas, dans le taux d’encadrement auquel obéissent les crèches, mais il est bien heureux que les crèches soient autorisées à compter dans leur effectif des personnes en apprentissage qui passent du temps aux côtés des enfants. Cette pratique tend du reste à se développer.
Vous donnez l’exemple d’une agente de nettoyage qui a envie de travailler avec les enfants et de monter en compétence dans une crèche. Ces situations sont nombreuses et s’avèrent positives. Ces professionnelles doivent être encouragées à monter en qualification. La question qui demeure est néanmoins la suivante : à partir de quand sera-t-elle comptée dans le taux d’encadrement des professionnels ? À notre sens, elle ne le pourra qu’une fois qu’elle aura suivi jusqu’à son terme un parcours de formation et obtenu un diplôme.
Je comprends votre discours, lorsque je me place du point de vue d’un gestionnaire. Vous ne parvenez pas à recruter et donc vous souhaitez recruter des personnes qui ne disposent pas des diplômes et qualifications qui conviennent. Pour autant, n’avez-vous pas l’impression que ce discours – qui participe au mouvement de déqualification des professionnels de la petite enfance – vous dessert ?
Mme Carole Chrisment. Vos propos sont un peu forts, notamment le terme « déqualification ». J’ai entendu certains députés dire que seuls 40 % des effectifs des crèches étaient diplômés, ce qui est faux. En prenant en compte la liste 3, 100 % d’entre eux sont diplômés. Mais l’agente de nettoyage qui ferait montre d’appétence pour les métiers de la petite enfance ne peut pas prétendre relever de cette liste. De plus, deux professionnels sont présents en crèche, à toute heure de la journée.
La France connaît en outre une baisse de la natalité durable, le taux de natalité étant passé près de 2,1 à 1,8 enfant par femme. Pour la première année, une liste d’attente avait été constituée dans ma crèche. Il me manquait treize tampons. On entend régulièrement dire qu’il faudrait créer des places en crèche. Certains départements en ont besoin ; d’autres, non. Un plan national ne saurait donc convenir. Il s’agirait avant tout de répondre aux besoins des parents. Le besoin national n’existe pas.
Il ne s’agirait pas à mon sens d’une baisse de qualification, mais d’une montée en compétence. Par ailleurs, il existe également des professionnels qui ne s’intéressent pas aux enfants. Il s’agirait de permettre une ouverture, afin de pouvoir recruter du personnel.
J’emploie par exemple une auxiliaire de puériculture. La personne a passé son CAP en apprentissage. Elle a été salariée une année et a souhaité suivre la formation pour devenir auxiliaire de puériculture. Récemment, elle m’a annoncé qu’elle souhaitait suivre une formation de trois ans pour devenir EJE. Cette nouvelle m’a réjouie, dans la mesure où les EJE sont rares. En revanche, elle ne sera pas comptabilisée dans les effectifs de ma crèche pendant trois ans, alors qu’elle est déjà titulaire d’un diplôme d’auxiliaire de puériculture. Ce n’est pas normal.
Autrement, je suis moi-même EJE. Au regard des problématiques que nous rencontrons en matière de recrutement, j’ai fini par suivre une formation. Sur les vingt heures que je consacre à chacune de mes deux structures, aucune n’est dédiée à l’encadrement des enfants, car la PMI considère que toutes mes heures doivent être consacrées à des tâches administratives. Ce n’est pas normal. J’aime pourtant encadrer les activités des enfants.
J’avais demandé plusieurs années auparavant que la norme soit fixée à un professionnel pour six enfants. Je préfèrerais cependant qu’elle soit abaissée à un professionnel pour cinq enfants et que les crèches soient autorisées à compter 20 % ou 25 % de personnels non diplômés dans leur effectif. Cette mesure nous permettrait de faire monter les personnes en compétence, selon nos manières propres de travailler avec les enfants.
Dans le secteur de la petite enfance, il est intéressant de voir que toutes les crèches appliquent des programmes pédagogiques différents. En prévision des Jeux olympiques, j’aimerais par exemple inviter une sportive de haut niveau qui doit y participer, afin qu’elle encadre une activité sportive avec les enfants. Ce projet reste néanmoins impossible à présenter à la PMI : elle le refusera de toute évidence.
Un enfant se construit pour partie en pratiquant une activité sportive, en peignant, en dessinant, en manipulant, en dormant et en jouant. Il faut permettre aux crèches d’organiser des activités. Les crèches ne représentent plus des zones de socialisation de l’enfant, mais des accompagnateurs de son développement physique et intellectuel. Il faut nous permettre d’assumer cette fonction.
En l’absence de personnels diplômés, que convient-il de faire ? Fermer les crèches ? Je cherche depuis quatre ans une EJE.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Mes précédents propos ne visaient pas à exprimer une opinion sur la proposition que Mme Chrisment a formulée, mais à la lui faire préciser. À ce propos, vous n’avez pas répondu, Madame Chrisment, sur la manière dont l’expérience professionnelle de terrain pourrait être validée.
Les parlementaires et législateurs que nous sommes sont très préoccupés par la qualité de la formation et la capacité des personnels de crèche à accueillir correctement les enfants et à leur permettre de se développer. Ainsi, il est vrai que votre proposition surprend à cet égard.
Il conviendrait probablement de s’interroger sur la distinction entre le personnel qui relève du taux d’encadrement et celui qui n’en relève pas et sur la création de conditions qui permettraient aux crèches de disposer de marges de manœuvre financières suffisantes pour faire monter en compétence des personnes sur le terrain, tout en garantissant la sécurité des enfants. Celle-ci constitue notre préoccupation principale.
La question sous-jacente porte sur le contrôle de la qualité des personnels et sur la circulation des informations entre les départements, quant à des personnels qui auraient été identifiés comme défaillants. Cette question fait partie des points à améliorer et je souhaitais vous entendre à ce propos.
M. le président Thibault Bazin. Vous avez en outre indiqué, Madame Chrisment, que la PMI exigeait de vous que vous consacriez vos heures de travail à des tâches administratives. J’en déduis qu’il existe une répartition des heures de travail des personnels relevant de la liste 1, dont une partie doit être effectuée loin des enfants. Pouvez-vous préciser ce point et vos recommandations à cet égard ?
Mme Carole Chrisment. La directrice d’une crèche – pour autant qu’elle soit infirmière, EJE, médecin ou puéricultrice – doit consacrer un temps incompressible – 20 heures par semaine – à des tâches de bureau. Ce temps n’est de surcroît pas comptabilisé dans les données relatives au taux d’encadrement de la crèche.
Quant à la qualité de la formation, les salariés diplômés ont des appétences différentes : s’amuser avec les enfants, les rendre à leurs parents ou s’occuper des infrastructures et des soins à prodiguer aux enfants. L’obtention d’un diplôme ne garantit aucunement que son titulaire sera un parfait professionnel auprès des enfants. Néanmoins, l’obligation de disposer de deux professionnels au sein de la crèche, à toute heure de la journée, est importante et ne doit pas être modifiée. D’autres normes pourraient toutefois l’être.
Je n’avais pas le sentiment de m’exprimer en faveur d’une baisse de qualification en évoquant la montée en compétence de personnels. Adopter le schéma d’encadrement que j’évoquais plus tôt – un professionnel pour cinq enfants – nous permettrait à ce propos de comptabiliser les apprentis.
Le programme pédagogique diffère selon les structures, bien que la CAF s’attache actuellement à les lisser au moyen d’une trame fixe, ce qui n’est pas bon. En effet, la petite enfance est dynamique ; elle est plurielle. Le programme que souhaite instaurer la CAF m’empêcherait par exemple de proposer la journée sportive relative aux Jeux olympiques, que j’évoquais précédemment. Je souhaite de surcroît organiser un événement autour de « La Grande Lessive » – une manifestation culturelle mondiale –, mais cette proposition me sera vraisemblablement refusée. Les normes qui régissent les crèches sont en somme trop importantes.
Mme Anne Bergantz (Dem). Merci pour ces échanges passionnants et pour ces remontées de terrain. Je crois à ce propos que nous devons nous nourrir de la réalité des crèches, en l’occurrence associatives, que vous représentez.
D’aucuns parlent de personnes non qualifiées. J’entends que vous évoquez plutôt des personnes en apprentissage et en formation, ce qui est très différent. Il ne s’agirait pas de personnes sélectionnées au hasard. Elles seraient inscrites dans un processus de formation.
Vous nous alertez : « Nous allons très, très mal ! » J’ai relevé cette phrase comme un cri d’alarme. Vous avez souligné des sujets problématiques différents, dont le recrutement, les normes et le volet administratif. Quelle action permettrait, selon vous, de vous redonner rapidement un peu d’oxygène ? S’agirait-il d’une réflexion sur les diplômes ou sur la PSU ? Je découvre ce jour les normes relatives au prix de revient – qui doit constamment s’afficher à 10,05 euros – et ne sais pas comment vous parvenez concrètement à l’assurer. Comment pourrions-nous accroître vos marges de manœuvre, sans dégrader la qualité de l’accueil des enfants ?
Comment percevez-vous par ailleurs au quotidien le triptyque enfant-parent-professionnel ? Vous nous dites par ailleurs que vous avez ouvert des crèches franco-anglaises. L’approche de ce type de crèches est-elle différente ?
Mme Carole Chrisment. Les crèches se portent en effet très mal, en premier lieu car elles connaissent des difficultés à trouver des personnels. La crise sanitaire a de plus porté un coup aux personnels, sur le plan psychologique. Mes fonctions de directrice de crèches me fatiguent. Je produis trois plannings différents par jour. Les enfants ont en effet besoin de référents, de personnels et de professionnels qualifiés.
Les crèches se portent mal également sur le plan financier. En mars 2023, j’ai perçu mon solde de l’année 2022 ainsi qu’une avance de 70 % au titre de 2023. Par ailleurs, la convention collective nous a contraints à revaloriser les salaires, ce qui s’avère une bonne chose. Néanmoins, les charges des crèches s’en sont trouvées considérablement augmentées. Cette revalorisation a en effet coûté 100 000 euros à chacune d’elles.
Depuis août dernier, nos crèches accueillent moins d’enfants, ce qui réduira les montants que nous percevrons en mars prochain. Depuis le 1er janvier 2024, je rémunère mieux mes salariés. Or je ne suis pas autorisée à augmenter le coût de la place en crèche, en raison du prix fixe qui est instauré par la PSU.
Ainsi, depuis janvier dernier, le compte bancaire de la crèche est à découvert. À ce jour, je ne connais toujours pas le montant que me versera la CAF. Des revalorisations ont été actées, dans le même temps que les dépenses ont augmenté. Je ne suis donc pas certaine d’obtenir cette année la même somme que l’année dernière.
Nous percevions auparavant des acomptes trimestriels. À ce jour, nous percevons 70 % de l’aide une fois par an et la somme est calculée à partir d’éléments arbitraires. De plus, nous élaborons des prévisions quant au nombre d’enfants qui seront accueillis, mais la prévision n’est pas une science exacte. Nous prévoyons en outre le prix que le parent paiera. En cas d’écart – ne serait-ce que de 2 % –, nous devons rendre des comptes. Les crèches n’ont enfin pas intérêt à effectuer dix journées supplémentaires au mois de décembre, sous peine de perdre de l’argent et une partie des montants liés à la prestation de service et aux bonus afférents.
Je suis titulaire d’un diplôme juridique et d’un diplôme d’école de commerce ; j’ai validé un master en DRH ; j’ai obtenu une certification d’aptitude à l’administration des entreprises ; depuis 2022, j’ai obtenu un diplôme d’EJE, par validation des acquis de l’expérience. Pour autant, je ne m’en sors pas.
Par ailleurs, il est vrai que la petite enfance s’inscrit dans le triptyque enfant-parent-professionnel et que le parent y a toute sa place. En France, la qualité d’accueil du jeune enfant n’est en revanche considérée qu’à l’aune du parent et j’avais pour ma part envie de ne parler aujourd’hui que de l’enfant. Depuis peu, nous ouvrons néanmoins les crèches aux parents, ce qui ne se faisait pas trois ans plus tôt. Les demandes du parent sont de plus en plus prises en considération.
Quant aux crèches franco-anglaises que j’ai ouvertes, lorsque j’ai constaté que ma fille parvenait à apprendre quelques mots d’anglais et d’espagnol en regardant la télévision, j’ai eu l’idée d’initier les enfants à l’anglais. Mes deux crèches les familiarisent ainsi à la culture et à la langue anglaises. Jeudi prochain, nous organisons un événement portant sur la fête de la Saint-Patrick. Nous avons été primés par l’Union européenne. Les enfants que j’accueille pendant trois ans connaissent quelques rudiments d’anglais et disposent d’une meilleure ouverture sur le monde.
Mme Virginie Lanlo (RE). Merci de l’honnêteté de vos propos, qui semblent venir du cœur. « La Grande Lessive » consiste pour rappel en une opération internationale, qui invite notamment les écoles à produire une exposition hors les murs, dont les œuvres sont accrochées sur un fil avec des pinces à linge.
Je retiens des précédents échanges la non-prise en considération de la directrice de la structure dans le taux d’encadrement. Le problème est similaire dans les accueils de loisirs. La directrice de crèche doit de mémoire consacrer entre 75 % et 80 % de son temps à des tâches de bureau et n’est pas censée rester auprès des enfants pendant ce temps. Cette règle est une aberration, en accueil de loisirs.
Au sein de ces derniers, des personnels non diplômés montent en compétence et sont comptabilisés dans le taux d’encadrement des structures. Il ne s’agirait pas pour autant de sélectionner n’importe qui. À ce propos, je suppose que les casiers judiciaires des personnels sont systématiquement vérifiés.
Je suppose par ailleurs qu’outre les apprentis, les alternants pourraient intégrer les 25 % de personnels obligatoires relevant de la liste 3.
Certaines formations dépendent du reste de plusieurs ministères et les passerelles sont compliquées, sachant que les personnels ne sont parfois plus comptabilisés dans le taux d’encadrement de la structure.
Il pourrait être envisagé de créer un socle commun aux différentes formations, entre les niveaux Bac – 3 et Bac + 3, lequel ne dépendrait plus que d’un ministère. Les passerelles et le suivi des formations pourraient s’en trouver facilités.
Mme Carole Chrisment. La PMI vérifie le bulletin n° 2 du casier judiciaire des personnels et parents qui interviennent pour animer des activités. Elle vérifie également le bulletin n° 3 des personnes. De la même manière, lorsqu’un spectacle de fin d’année est organisé, je dois demander la vérification du casier judiciaire de toutes les personnes qui interviennent ou qui pénètrent dans la crèche.
Par ailleurs, je ne consacre en effet que 25 % de mon temps de travail aux enfants et passe les 75 % restants dans mon bureau.
J’appelle de mes vœux la constitution d’un socle de formation, entre le CAP, la formation d’auxiliaire de puériculture et la formation d’EJE. Ce socle permettrait une meilleure visibilité. Les apprenants pourraient néanmoins se spécialiser, par exemple sur le jeu ou sur la complexité du cerveau de l’enfant.
Je souhaiterais en outre qu’une continuité éducative soit assurée. Une EJE de la crèche pourrait notamment passer le premier mois à l’école maternelle, en vue d’aider l’institutrice. Notre formation de trois ans porte en effet sur le jeune enfant et cet aspect manque dans la formation de l’institutrice. Tout le village élève l’enfant et non uniquement le parent.
Mme Sophia Chikirou (LFI). Merci, Madame, de la sincérité et de la spontanéité de votre témoignage, celui d’une dirigeante d’association qui procure des services d’accueil de la petite enfance.
Je suis interpelée, car vos crèches sont partenaires du groupe Babilou, premier acteur privé du secteur de la petite enfance en France. Il a été l’un des quatre groupes à avoir été mis en cause en 2023 pour maltraitance, dans des enquêtes journalistiques et un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). Babilou compte à ce jour 2 000 crèches, dont 500 en propre et 1 500 crèches partenaires.
Vous avez déclaré que vous vous réjouissiez de la mise en place de notre commission d’enquête. Je vous cite : « Il y a une dérive dans les crèches financières. La petite enfance mérite mieux que l’on s’intéresse à elle uniquement sous l’angle de la finance. » Je souhaiterais cependant que vous précisiez vos liens financiers avec Babilou. Le groupe intervient-il dans votre gouvernance et dans vos projets pédagogiques ?
En sus, quelles différences constatez-vous entre les crèches publiques, les crèches associatives privées et les autres types de structure, en matière d’impacts financiers ?
Autrement, vos crèches associatives sont-elles à but lucratif ou non lucratif ? Je crois savoir que vous réinvestissez les bénéfices au sein de vos crèches.
Identifiez-vous en somme des liens entre la qualité d’accueil et la structure financière, au regard de votre expérience avec le groupe Babilou ? Considérez-vous qu’il convient de continuer de permettre à des crèches privées de ne chercher qu’à engranger des bénéfices ? Dans le cas contraire, devrions-nous concentrer nos efforts sur les crèches publiques, municipales et associatives, à but non lucratif ?
Mme Carole Chrisment. Le financement des crèches est supporté par la PSU et, dans certains cas, par la commune. Nous disposons en outre de places de crèche d’entreprises. Dans ce contexte, un conventionnement nous lie avec le groupe Babilou. Une entreprise de grande taille sollicite des places en crèche pour ses salariés et Babilou signe un conventionnement avec la crèche en question, afin de permettre à des salariés de cette entreprise d’y faire garder leurs enfants. Chacune de mes structures compte trois places de cette nature.
En revanche, je ne parlerais pas de « partenariat ». En effet, nous ne portons pas le même programme pédagogique que Babilou ; nos actions sont différentes ; la qualité d’accueil du jeune enfant est différente. Par conséquent, je ne suis pas partenaire de Babilou.
Je ne représente pas uniquement mes deux crèches, puisque je suis présidente du collectif des crèches du Grand Est et que ces dernières se réjouissaient que je témoigne devant vous, ce jour. Nous avons par ailleurs préparé ensemble le propos que je tiens devant vous.
Mes crèches sont à visée non lucrative. La question de la qualité d’accueil des jeunes enfants me tient à cœur, car je considère que les enfants constituent l’avenir du pays. Je souhaiterais à cet égard que nous adoptions le même slogan qu’au Canada : « Nous sommes tous fous de nos enfants. » Nous progresserions grandement.
Pour fonctionner, une crèche a besoin d’argent. L’enfant doit se sentir bien à la crèche et pour ce faire, le professionnel doit être respecté et correctement rémunéré.
Par ailleurs, la micro-crèche PAJE n’obéit pas aux mêmes règles que les autres crèches. Les deux types ne sont pas régis par la même convention collective ; les attentes au niveau des personnels y sont différentes. Les micro-crèches PAJE ne sont pas tenues de disposer de deux professionnels à toute heure de la journée. L’EJE couvre trois micro-crèches. La CAF – c’est-à-dire la France – finance enfin différemment la crèche relevant de la PSU et la micro-crèche PAJE.
En effet, les crèches de certains départements pâtissent d’un manque de places. Nous avons besoin des micro-crèches. En revanche, il existe un problème d’équité. Je souhaiterais que la micro-crèche PAJE obéisse aux mêmes règles que la micro-crèche PSU. Les problèmes financiers qu’a relevés le rapport de l’Igas seraient par là même résolus. Le problème est néanmoins d’ordre politique.
M. le président Thibault Bazin. Dans le cadre de la convention qui vous lie à Babilou, quel est le montant de la réservation d’un berceau ? Entretenez-vous des liens de cette nature avec un tiers financeur public ?
Mme Sophia Chikirou (LFI). Vous pointez par ailleurs les différences d’intervention entre les municipalités. Celles-ci interviennent-elles sur les places conventionnées avec Babilou, à destination des entreprises ? D’autres acteurs publics financeurs sont-ils présents, autrement que par le crédit d’impôt ?
Mme Carole Chrisment. Outre Babilou, nous signons des conventionnements avec d’autres acteurs privés, dont Crèches pour Tous. Ceux-ci nous contactent et sollicitent une place en crèche. Si nous acceptons, les acteurs nous imposent un prix. Les négociations sont très limitées. Je dispose de places qui génèrent 3 500 euros par an, que j’ai négociées directement avec une entreprise. D’autres me rapportent entre 9 000 euros et 12 500 euros. En revanche, je n’ai pas décidé de ce montant. La mairie n’intervient pas sur ces sujets et n’en est probablement pas même informée. Elle n’intervient pas non plus, lorsqu’un parent sollicite une place en crèche pour son enfant.
Des commissions « petite enfance » sont cependant organisées conjointement avec la commune, au cours desquelles les dossiers de parents qui souffrent d’un manque de mode de garde sont étudiés.
Nous bénéficions par ailleurs d’une prestation de service de la commune. Celle-ci verse une participation à la crèche, qui est calculée en fonction des minutes de présence de l’enfant relevant de sa commune.
Une de mes crèches est établie à Laxou, dans le département de Meurthe-et-Moselle. La commune me verse 0,90 euro par heure. Pour un enfant qui réside à Villers-lès-Nancy, la commune ne me verse rien. La commune de Maxéville me verse 0,70 euro par heure de garde d’un enfant y demeurant.
M. le président Thibault Bazin. Je comprends que les financements publics dépendent de l’activité réelle et que vous ne bénéficiez pas de subvention d’équilibre, alors que votre crèche est à but non lucratif. Les tarifs diffèrent de plus selon les communes et certaines ne participent pas au financement de vos crèches.
Des entreprises – outre Babilou – vous contactent par ailleurs. Combien d’enfants accueillez-vous dont la place au sein de vos crèches a été négociée avec des entreprises ?
Mme Carole Chrisment. Mettons qu’un enfant résidant à Laxou soit amené par son parent, lequel sollicite une place pour trois ou quatre jours par semaine. Sa place sera financée par la PSU, car il est fort probable qu’il soit allocataire. Dans la mesure où il relève de la commune de Laxou, celle-ci me verse une participation – calculée sur les heures de présence de l’enfant au sein de ma crèche, à la minute près – équivalente à 0,90 euro par heure.
Dans d’autres cas, Babilou ou Crèches pour Tous me contactent, en vue de placer un enfant dans une de mes crèches. Si je peux l’accueillir, ces acteurs privés fixent le tarif de la place. Qu’il s’agisse de deux, trois ou quatre jours par semaine, nous ne disposons en revanche d’aucune visibilité sur leurs tarifs. La crèche accepte néanmoins la proposition, dans la mesure où elle lui permet de gagner de l’argent.
Le reste du temps, je démarche moi-même des entreprises, afin de pourvoir mes places en crèche et d’être en mesure de rémunérer les professionnels que j’emploie. Dans ce cas de figure, ni la CAF ni la mairie ne perçoivent un pourcentage du montant de la prestation.
Pour reprendre ces exemples, l’enfant serait dans l’idéal proposé par Babilou et résiderait à Laxou. La crèche concernée percevrait alors des montants de la part de la CAF et de l’entreprise.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Je m’apprêtais à aborder ce point. Je comprends que lorsqu’un enfant est placé via un berceau réservé par une entreprise et est issu d’une commune qui finance la crèche, vous percevez à la fois le financement de la commune et celui de l’entreprise.
Lorsqu’un berceau n’est pas réservé par une entreprise, vous percevez la PSU, le financement de la famille et, en principe, celui d’un tiers financeur. Celui-ci correspond-il à la subvention de la commune, calculée à la minute près ? Dans le cas contraire, qui est le tiers financeur de ce dispositif ?
Mme Carole Chrisment. Vous avez identifié, Mme la rapporteure, le point d’achoppement du dispositif. 66 % du financement provient de la PSU – c’est-à-dire de la CAF et des parents. Initialement, les communes devaient financer le tiers restant. Pour autant, pas une commune française ne finance de places en crèche à hauteur de 33 %.
L’agglomération dont je relève, à savoir la Métropole du Grand Nancy, compte vingt communes. Le financement le plus élevé s’élève à 1,10 euro par heure et par enfant relevant de la commune en question. En admettant que le prix de revient horaire de la crèche s’établisse à 10,05 euros, 6,63 euros ajoutés à 1,10 euro ne donnent que 7,73 euros. Les crèches perdent dans ce cas 2,32 euros par heure de garde de l’enfant.
Autrement, le conseil départemental nous verse 3 500 euros par an, mais cette subvention est conditionnée à la conduite de projets au sein des crèches.
M. William Martinet (LFI). Malheureusement, le modèle que vous décrivez est commun, je crois, à beaucoup de crèches associatives. Les communes assument de moins en moins leur rôle de tiers financeur. Celui-ci se trouve à présent partagé entre les communes et les entreprises réservant des places – les réseaux des grands groupes privés de crèches faisant parfois office d’intermédiaire entre les deux.
Cette situation a-t-elle évolué ? J’ai échangé avec nombre de dirigeants de crèches associatives et il semble que le recul des subventions des communes ait été compensé par le fait que les associations démarchent désormais des entreprises et leurs réseaux. Avez-vous été confrontée à ce mouvement ?
Connaissez-vous par ailleurs les montants que facturent Babilou ou Crèches pour Tous aux entreprises au titre desquelles elles réservent des berceaux ? La marge que ces groupes engrangent semble importante à connaître.
Mme Carole Chrisment. Les places qui me rapportent 6 000 euros sont facturées 12 000 euros aux entreprises, par les groupes privés de crèches.
Quant au tiers financeur, sur 6 500 euros, le financement ne s’élève qu’à 2,88 euros par heure. Les crèches se trouvent de façon récurrente et depuis longtemps en situation de déficit. Nos structures ne sont pas attractives, car les salaires n’étaient pas assez élevés. Depuis janvier 2024, malgré l’augmentation qui a été passée, nous ne sommes toujours pas en mesure de rémunérer les personnels.
Une évolution est notable, du fait des changements dont la convention collective a fait l’objet, au 1er janvier dernier. Pour engranger de l’argent, les crèches doivent accueillir des enfants. De plus, les micro-crèches n’obéissent pas aux mêmes règles que nos structures. Elles se multiplient et dérèglent l’ensemble de l’écosystème des crèches associatives municipales.
Une micro-crèche qui se situait à proximité d’une des miennes a fermé en décembre dernier. J’ai dû faire visiter mes crèches pendant mes congés pour rassurer les parents dont l’enfant y était auparavant placé. Ceux-ci n’ont pas compris pourquoi cette micro-crèche avait fermé. Elle l’a été au motif de violences faites aux enfants. J’ai accueilli des enfants supplémentaires, mais certains ont dû être rassurés, sachant qu’ils passaient d’un accueil collectif de douze à vingt-cinq enfants.
Passer d’une crèche à une autre constitue également une violence pour l’enfant. Les crèches ne sont pas interchangeables. La continuité éducative d’un enfant repose, une fois encore, sur sa sécurité affective, c’est-à-dire sur le temps, le lieu et l’humain. Cette dernière ne pourra pas être garantie, tant que ces trois dynamiques ne seront pas considérées conjointement.
M. le président Thibault Bazin. Merci, Madame Chrisment, de conclure sur l’enjeu que représente la qualité d’accueil pour l’enfant. Nous pourrions vous recontacter, en vue d’obtenir des précisions supplémentaires. Dans le cas où vous vous apercevriez de l’inexactitude de certains éléments que vous avez portés à notre connaissance, nous comptons sur vous pour nous faire parvenir des correctifs.
La séance est levée à 12 heures 10.
Membres présents ou excusés
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements
Réunion du mercredi 6 mars 2024 à 10 h 30
Présents. - M. Thibault Bazin, Mme Anne Bergantz, Mme Sophia Chikirou, M. Thierry Frappé, Mme Virginie Lanlo, M. Philippe Lottiaux, M. William Martinet, Mme Sarah Tanzilli