Compte rendu
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements
– Audition de représentants de France urbaine : Mme Annick Bouquet, adjointe au maire de Versailles, chargée de la petite enfance, membre de la commission Éducation, jeunesse et petite enfance, et M. Étienne Chauffour, directeur en charge de l’éducation et de la petite enfance, maire honoraire de Juvisy-sur-Orge 2
Mercredi 6 mars 2024
Séance de 12 heures
Compte rendu n° 15
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Thibault Bazin,
Président
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La séance est ouverte à 12 heures 15.
La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné des représentants de France urbaine : Mme Annick Bouquet, adjointe au maire de Versailles, chargée de la petite enfance, membre de la commission Éducation, jeunesse et petite enfance de France urbaine, et M. Étienne Chauffour, directeur en charge de l’éducation et de la petite enfance à France urbaine, maire honoraire de Juvisy-sur-Orge.
M. le président Thibault Bazin. France urbaine est l’association qui représente l’ensemble des métropoles, comités urbains, comités d’agglomération et grandes villes de France. Cette audition s’inscrit dans la continuité de celles qui ont été menées la semaine dernière et notamment des auditions des représentants de l’association des maires de France (AMF) et des intercommunalités.
Les sujets que nous aborderons entreront en résonance avec ceux qui l’ont été la semaine passée. Ils le seront néanmoins à l’aune du regard du monde urbain et de ses caractéristiques propres.
Cette audition est retransmise en direct sur le site Internet de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible, à la demande.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme Annick Bouquet et M. Étienne Chauffour prêtent serment.)
Mme Annick Bouquet. Je m’exprime devant vous au nom des villes comptant plus de 30 000 habitants, et de leurs aires urbaines. Jusque lors, ces villes étaient très impliquées dans la délégation à la petite enfance et faisaient dans une certaine mesure office de service public en la matière.
Les familles sollicitaient naturellement les mairies, afin de connaître les possibilités d’accueil. Nous avions en outre connaissance des dispositifs existants sur notre territoire, en vue de les informer au mieux et de les aider à trouver une place en crèche pour leur enfant.
Le principal obstacle auquel nous faisions face était d’ordre budgétaire. Le coût d’une place en crèche est en effet très élevé, malgré la participation de partenaires – dont la CAF. En outre, la suppression de la taxe d’habitation n’a pas amélioré les budgets de nos communes.
Le second obstacle majeur a trait aux difficultés actuelles en matière de recrutement. Nous connaissons en effet une pénurie de professionnels de la petite enfance.
Toutes les associations d’élus – dont l’AMF et France urbaine – siègent au comité de filière et s’attachent à trouver des solutions. La situation est urgente. La ville de Lyon a par exemple gelé 300 berceaux, ce qui représente à peu près cent crèches. Au printemps 2022, la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) a estimé le nombre total de berceaux gelés à 10 000 et la situation s’est aggravée depuis.
De plus, les communes sont parfois contraintes de recourir à l’intérim, ce qui présente un coût supplémentaire. Nous portons la volonté de répondre aux besoins des familles. En ne proposant pas de places en crèche, nous contribuons de manière générale à freiner l’économie. Nous empêchons des femmes – enseignantes ou médecins, par exemple – d’exercer, car en cas de manque de places d’accueil, ce sont en effet les femmes qui, en général, s’arrêtent de travailler.
Nous répondons du reste aux besoins des personnes les plus fragiles, en accueillant des enfants en situation de handicap ou encore issus de familles dont les revenus sont très faibles.
M. Étienne Chauffour. Je tiens en premier lieu à vous remercier de nous avoir reçus. Nous avons sollicité cette audition, car il nous a semblé légitime que France urbaine soit entendue, au même titre que l’AMF et les régions.
À la question que vous nous avez posée, visant à savoir si les acteurs publics sont pour partie responsables de l’émiettement du secteur de la petite enfance, la Cour des comptes nous l’a également posée, la semaine passée, en des termes assez directs. Elle a relevé l’émergence de plus en plus forte d’acteurs privés et nous a interrogés : « N’avez-vous pas laissé émerger ces acteurs privés, faute de solutions publiques ? »
En effet, si l’offre publique avait été intégrale, ces acteurs privés n’auraient sans doute pas pu émerger. Je rappelle toutefois qu’une large part de l’accueil individuel – lequel est assuré par les assistantes maternelles libres et agréés – repose sur une activité rarement publique.
La capacité de gestion quotidienne du service public est en effet de plus en plus pénible pour les communes. Pour rappel, la moitié des dépenses du compte administratif d’une collectivité concerne l’enfant âgé de zéro à dix ans. Pour améliorer la prise en charge de l’enfant de zéro à trois ans, il faudrait diminuer ailleurs les dispositifs de solidarité ou d’accompagnement du vieillissement. La question se pose en effet en ces termes, à plus forte raison au regard de la perte d’une partie de l’autonomie fiscale des collectivités.
La problématique relative au recrutement est aujourd’hui majeure, pour partie car nous n’avons pas pris la mesure des métiers de services à la personne – relevant du soin, du handicap ou de la petite enfance – et que ceux-ci n’ont pas été valorisés comme ils auraient dû l’être. Nous n’avions pas non plus pris la mesure de la pyramide des âges, notamment des assistantes maternelles assurant un accueil à domicile, dont 60 % auront fait valoir leurs droits à la retraite d’ici à cinq ans. Pour l’heure, nous ne parvenons à en remplacer qu’une sur dix, dans le meilleur des cas.
Ce métier, issu des années 1970, est rémunéré à hauteur de 0,232 % du SMIC horaire. Les assistantes maternelles s’occupent généralement de trois bébés. L’exercice repose du reste sur un modèle désuet, où la femme avait un mari qui travaillait, disposait d’un logement suffisant spacieux et se consacrait à ce métier dans le même temps qu’elle élevait son premier enfant et continuait par la suite de l’exercer. Ce modèle n’existe plus autant que dans les années 1970.
Lorsque nous proposons de recruter des candidates au poste d’assistante maternelle, elles pointent le manque de compétitivité de ce métier.
Mme Annick Bouquet et moi serions favorables à la généralisation de la loi « Petite enfance ». Le service public de la petite enfance existe dans les villes depuis plusieurs années. Le rendre obligatoire dans des villes qui comptent des milliers de places disponibles répondrait à un enjeu historique et majeur, celui de la capacité des femmes à retravailler. Pour autant, même les villes qui disposent de ce service public de la petite enfance depuis plusieurs années ne parviennent à répondre qu’à environ la moitié de la demande, tous modes de garde confondus.
Ce service public de la petite enfance et la volonté associée d’instaurer une véritable autorité organisatrice nous paraissent intéressants. Néanmoins, le domaine de la petite enfance compte à ce jour des crèches collectives, des crèches privées, des crèches d’entreprises, des micro-crèches PAJE au régime fiscal différent, des assistantes maternelles, des assistantes maternelles gérées en crèche familiale et de l’accueil à domicile – dont le statut n’est pas clairement déterminé. Nous devons de surcroît travailler avec le mode de financement que constitue la PSU et composer avec la PAJE – qui représente une aide fiscale non adossée à la CAF. Nous nous retrouvons, de fait, avec des problèmes de solvabilisation des acteurs et des inégalités tarifaires majeures. En effet, selon que l’enfant de la famille est accueilli par une crèche publique ou que celle-ci doive se satisfaire d’autres solutions, les conditions tarifaires diffèrent.
Ce système devra devenir gérable, équitable à l’égard des familles et, si possible, lisible. En effet, si nous acceptons l’idée de devenir autorité organisatrice – et nous l’avons revendiquée –, nous ne pourrions pas pour autant pallier la pénurie de professionnels de la petite enfance. Le cas échéant, les familles nous accorderaient à juste titre leur crédit, mais nous ne gérerions ni les contrôles, ni les agréments, ni les conditions de qualité d’accueil, ni les financements.
Nous nous trouvons ainsi à la veille d’un travail qui s’avérera essentiel et qui consistera à nous donner cette compétence, sans entraîner de conflit entre acteurs publics et acteurs privés. Ce travail devra poser la question de la régulation de l’autorité organisatrice.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Je vous remercie de ces premiers éléments introductifs, lesquels sont denses et très riches. En premier lieu, je souhaiterais que nous abordions les spécificités du territoire urbain et que vous nous indiquiez les difficultés particulières qui y sont rencontrées. Je pense notamment aux enjeux fonciers et immobiliers qui renchérissent le coût de ces services.
En matière de financement, quels sont aujourd’hui les principaux freins à l’ouverture de crèches publiques dans les territoires urbains ?
Autrement, estimez-vous disposer de moyens suffisants pour contrôler la qualité d’accueil dans les délégations de service public (DSP) ? Comment l’organisation France urbaine accompagne-t-elle ses membres, dans le cadre de l’établissement de la pondération des critères, en vue de la passation de DSP ?
Diriez-vous par ailleurs que le recours à des crèches privées à but lucratif s’avère plus avantageux pour les communes que d’ouvrir des crèches publiques sur le territoire ?
S’agissant de l’autorité organisatrice de l’accueil du jeune enfant dévolue aux communes au titre de la loi pour le plein emploi, comment abordez-vous cette mission ? Comment appréhendez-vous l’organisation de la gouvernance, en matière de qualité d’accueil dans les crèches ? Comme vous l’avez rappelé, le territoire compte différents acteurs et il existe un enjeu de coordination entre ces derniers.
Mme Annick Bouquet. Les questions foncières sont problématiques pour les villes. En effet, d’une part le foncier est onéreux et pose problème lorsqu’il s’agit d’ouvrir des crèches. D’autre part, la pénurie de professionnels de la petite enfance est probablement plus importante dans nos villes, eu égard au prix de la location et du niveau de rémunération de ces professionnels.
La crise sanitaire a de surcroît accru cet écart. Les professionnels qui exercent dans ma ville viennent en effet de loin. Ils se sont aperçus que leur temps de trajet générait de la fatigue et qu’ils ne le consacraient pas à leur famille. Je pense que nous avons perdu des professionnels, après qu’ils ont tiré ces constatations.
Dans ma ville, nous peinons à trouver des biens fonciers, en raison des secteurs protégés qu’elle compte et de la loi « zéro artificialisation nette » (ZAN).
Par ailleurs, nous n’utilisons pas de DSP, mais achetons des berceaux dans le secteur privé, ce qui nous offre une certaine liberté, sachant que les contrats afférents durent trois ans. Chaque année, nous étudions les besoins des familles en fonction des quartiers et de leur évolution. Une fois tous les trois ans, nous achetons ainsi des berceaux, en fonction des besoins.
À ce propos, lorsque deviendrons autorité organisatrice, je souhaiterais que nous disposions d’un droit de regard plus important sur les crèches privées. Lorsque nous lançons un appel d’offres, j’étudie en premier lieu le projet pédagogique et la qualité d’accueil de la crèche, avant ses tarifs.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Combien coûtent les berceaux que vous achetez ? La fin de votre réponse m’interpelle par ailleurs. Lors de l’exécution d’un marché public, la puissance publique doit en effet être en mesure de contrôler que les conditions qui ont été arrêtées dans le cadre de la passation sont respectées. J’imagine que les appels d’offres que vous lancez comportent des points relatifs à la qualité d’accueil et vous devriez être en mesure de vous assurer qu’ils sont respectés. Or vous laissez entendre que vous êtes empêchés d’exercer ce contrôle.
Mme Annick Bouquet. Nous n’en sommes pas empêchés. En revanche, ce contrôle nécessite des moyens et des personnes et s’avère compliqué dans un contexte de pénurie de professionnels. Nous pouvons néanmoins compter sur les retours des familles et nous sommes présents au moindre incident.
M. Étienne Chauffour. Sur le plan juridique, la notion d’appel d’offres est rare dans le domaine de la petite enfance. Quelques communes disposent d’une DSP couvrant la totalité de leurs activités relatives à la petite enfance, à l’instar d’Aix-en-Provence. Ce cas s’inscrit dans les conditions traditionnelles de la DSP : une commission ad hoc se réunit et l’exécution de la DSP est contrôlée. Nous n’avons par ailleurs jamais eu à gérer la défaillance d’un délégataire.
Autrement, nous subventionnons des crèches associatives, dans le cadre d’une mission de service public. Cette situation est plus fréquente que la mise en place de DSP et nombre de villes – dont Toulouse et Lyon – la pratiquent. Dans ce cas, une convention de mission est établie, qui fixe des limites réglementaires, les attentes de la collectivité et les modalités de leur exécution.
Dans d’autres cas, nous subventionnons partiellement des crèches associatives, sans conventionnement avec la ville. Il existe du reste des crèches privées et des micro-crèches PAJE, sur lesquelles nos capacités de contrôle sont nulles. Les conditions d’agrément de ces structures relèvent de la PMI et du département, et non de la ville.
Pour rappel, l’essentiel de la grande précarité se concentre en milieu urbain, à hauteur de 80 % environ. Les conditions d’accueil en quartier prioritaire doivent ainsi répondre à ces enjeux spécifiques.
La loi « ZAN » est par ailleurs souvent défavorable aux communes urbaines, considérant la densité en milieu urbain comme déjà forte et ne laissant de marges de manœuvre à l’artificialisation qu’aux milieux ruraux.
Autrement, le seul avantage que présentent les crèches privées sur les territoires réside dans la solution alternative qu’elles offrent aux familles, pour pallier la saturation des crèches publiques. Il s’agit d’un avantage à l’égard des habitants et non par rapport au service public de la petite enfance.
Du reste, il n’était pas de notre responsabilité de décliner la directive Bolkestein relative aux services en France, ni de donner la possibilité aux services publics de devenir des services privés à but lucratif. La notion d’autorité organisatrice devrait à cet égard contribuer à réguler ces derniers.
M. le président Thibault Bazin. Vous n’avez pas répondu, Madame Bouquet, à la question du montant du prix du berceau et à sa question sous-jacente : au regard des volumes non pourvus que compte votre commune, pourquoi n’optez-vous pas pour la construction d’une crèche publique ?
Par ailleurs, je comprends que vous souhaitez, Monieur Chauffour – et l’organisation France urbaine que vous représentez –, dans la perspective du service public de la petite enfance et de l’autorité organisatrice, pouvoir exercer les missions de contrôle qui incombent à ce jour à la PMI. En qualité d’autorité organisatrice, vous souhaiteriez en outre gérer la définition du financement de l’ensemble des structures présentes sur votre territoire.
Vous avez évoqué les subventions des communes qui assurent le rôle de tiers financeur. La personne qui a été auditionnée avant vous indiquait que les subventions des communes étaient calculées sur la base du temps réel – au même titre que la CAF –, à la minute près. Les tarifs semblent en outre différer en fonction des communes.
Mme Annick Bouquet. L’achat d’un berceau coûte entre 10 000 euros et 12 000 euros à la commune. Plusieurs appels d’offres sont lancés. Les élus souhaitent en effet proposer un vaste choix aux familles. Chacune peut ainsi opter pour la solution qui répondra le mieux à ses besoins.
J’achète des berceaux pour la commune de Versailles, car je ne dispose pas de moyens immobiliers suffisants. De plus, une grande partie de la ville de Versailles ne nous appartient pas.
Cette année, j’ai acheté moins de berceaux dans un quartier et davantage dans un autre, car la demande était plus forte dans ce dernier. Dans les grandes villes, les personnes optent pour la crèche la plus proche de leur domicile, d’un arrêt de bus, de tram ou de train ou de l’école dans laquelle est éventuellement inscrit un premier enfant.
M. Étienne Chauffour. Nous ne divergeons pas nécessairement sur ces sujets, mais sommes parfois contraints d’utiliser des pis-aller. La réservation de berceaux de la part d’une collectivité pose en effet question à l’égard des crèches publiques. Versailles a fait ce choix – bien qu’il ne soit pas fréquent. En l’état, il révèle que nous ne parvenons pas à constituer une réponse satisfaisante du service public et que nous optons pour d’autres solutions.
À propos de la capacité des autorités organisatrices, nous avons suggéré qu’à l’instar de ce qui se fait à Lyon ou à Paris, les moyens de contrôle et d’agrément nous soient transférés, dans les zones où le territoire urbain et le département seraient volontaires.
Le rapport qui a porté sur la pauvreté des enfants et des jeunes a notamment conclu que les PMI devraient se consacrer à plein temps à leurs missions de protection médicale infantile et préconisé que la partie administrative relative à l’autorisation d’une ouverture – que nous savons déjà gérer dans nos villes – soit confiée à d’autres structures.
Notre demande nous a semblé cohérente, eu égard au problème que présente le millefeuille administratif. En revanche, nous ne souhaitons pas être dépositaires des financements. Le système actuel – qui repose sur la branche Famille de la sécurité sociale – devrait probablement être revalorisé, mais il s’avère en l’état assez satisfaisant. Il ne compense pas les coûts réels, ce qui explique qu’il n’y ait pas suffisamment d’établissements publics. Pour autant, ce système est assez satisfaisant.
Par ailleurs, le système de complément de libre choix du mode de garde (CMG) relatif à l’accueil individuel devrait être revalorisé, mais constitue en l’état une réponse satisfaisante. En revanche, d’autres dispositifs ne relèvent pas de la CAF et n’adoptent pas la même grille de lecture, à l’instar des aides fiscales dont dépendent les micro-crèches PAJE. Nous avons suggéré de mettre en place un système qui – sans pour autant être unique – n’admettrait pas la diversité des modalités.
En ce qui concerne le contrôle et les agréments, lorsqu’une famille sera mécontente, elle ne sollicitera plus le ministre, ni le président du conseil départemental, mais le maire de sa commune. La famille aurait raison, dans la mesure où sa démarche illustrerait le crédit qu’elle porte à une institution proche de chez elle. Dans le cadre du concept d’autorité organisatrice, nous devrons être en mesure d’assumer pleinement la responsabilité du mécontentement des familles. Nous ne souhaitons pas en somme maîtriser l’ensemble des sujets, mais être en mesure d’assurer à l’habitant que nous assumons pleinement la responsabilité en matière de petite enfance.
Mme Annick Bouquet. Il est vrai que les familles qui confient leur enfant sont anxieuses. Elles ont besoin d’une certaine transparence. Or la diversité des modes d’accueil, des financements et des modes de fonctionnement, d’une commune à l’autre, est complexe. Nous avons besoin de rassurer les parents, a fortiori lorsqu’il s’agit de leur premier enfant.
M. William Martinet (LFI). Vous estimez, M. Chauffour, que le rôle d’autorité organisatrice est positif pour la commune, mais vous soulignez le risque de devenir autorité organisatrice de la pénurie.
À propos de la façon dont le rôle de contrôle et d’administration pourrait être davantage dévolu à la commune, il manque à mon sens des idées et des propositions qui permettraient de dépasser la question de la pénurie. Aussi de quoi auriez-vous besoin afin d’assurer l’ouverture de places de qualité, en tant qu’autorité organisatrice ?
En second lieu, s’agissant de l’attractivité des métiers et de leur rémunération, nous nous accorderons, je suppose, à considérer que la revalorisation des salaires des professionnels constitue une condition, en vue d’ouvrir des places et de s’assurer que les places actuelles puissent être maintenues.
Sur cette question, la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités vient d’annoncer il y a peu une augmentation des salaires des professionnels de la petite enfance – bien que les différents ministres l’évoquent depuis déjà un an. Ainsi, les professionnels exerçant dans le secteur public percevraient cent euros supplémentaires, dont deux tiers seraient pris en charge par la CAF et le dernier par le tiers financeur. À cet égard, considérez-vous que vous disposez des moyens suffisants pour supporter le coût de ce dernier tiers, en vue de concrétiser l’augmentation de salaire qui a été annoncée ?
M. Étienne Chauffour. Comment atteindre l’objectif qui a été fixé par le Président de la République d’ouvrir 200 000 nouveaux berceaux ? Je ne sais pas si nous y parviendrons. En revanche, pour ce faire, nous avons besoin de nouvelles acquisitions immobilières, ce qui pose notamment la question des subventions d’investissement et de la solvabilisation de l’offre. En l’état, la PSU qui couvre entre deux tiers et trois quarts du coût réel ne suffit pas et ne permet pas aux communes d’ouvrir de nouveaux berceaux.
Le second aspect important a trait au recrutement. À cet égard, un travail conséquent a été réalisé au sein du comité de filière. Celui-ci a notamment considéré qu’il fallait augmenter la rémunération des professionnels, sans pour autant entraîner la défaillance économique des employeurs. Il est en effet prévu de rehausser de 150 euros la rémunération des professionnels relevant du secteur privé et de 100 euros celle des professionnels relevant du secteur public. Cette augmentation sera pour partie compensée par la branche Famille de la sécurité sociale. Cet écart d’augmentation s’explique par l’incapacité d’agir sur les éléments indiciaires de l’emploi public, tandis qu’il suffit pour le secteur privé de s’assurer que les sept conventions collectives rehaussent leurs conditions de rémunération.
Néanmoins, cette mesure s’apparente une fois encore à un pis-aller. Un travail de même nature pourrait par ailleurs être envisagé pour les assistantes maternelles. Ce travail a été engagé. Parviendrons-nous pour autant à répondre à l’objectif d’ouvrir 200 000 berceaux, sans que des dizaines de milliers de berceaux soient dans le même temps fermés ? Je ne le crois pas. En revanche, nous avons le sentiment d’avoir progressé, en l’espace d’un an.
Autrement, il est demandé à la fonction publique d’être en mesure de recruter des agents publics. Dans le cas où une infirmière qui aurait exercé pendant dix ans se laisserait convaincre de devenir infirmière de puériculture – laquelle fonction est essentielle au fonctionnement des crèches –, il lui serait tout de même demandé de passer le concours administratif qui s’impose. Depuis cinq ans, nous demandons à l’État que les professionnels soient titularisés sur titre, ce qui se fait déjà dans un certain nombre de domaines. Aucun professionnel de la petite enfance expérimenté n’accepterait en effet de rejoindre la fonction publique dans ce contexte, alors que le secteur privé les accueillerait sans qu’il ait à passer de concours. Aussi souhaitons-nous que les professionnels de la petite enfance qui disposent d’une qualification obligatoire et d’une compétence reconnue professionnellement puissent être titularisés sur titre. Il est ridicule que cette possibilité ne leur ait pas encore été offerte.
M. le président Thibault Bazin. Je suppose que les personnels relevant de collectivités qui ont déjà mis en place un régime indemnitaire ne percevront pas les 100 euros supplémentaires précités, si leur rémunération en atteint déjà le plafond.
M. Étienne Chauffour. Nous avons demandé au Gouvernement de prendre en considération la délibération relative à l’augmentation du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (RIFSEEP), laquelle a déjà été actée depuis plusieurs mois dans la plupart des grandes villes.
Nous avons en outre souhaité que le Gouvernement consente à une revalorisation supérieure du régime indemnitaire, dans la mesure où celui-ci ne donne lieu à aucune cotisation à la retraite. Le versement de 100 euros supplémentaires pourrait à cet égard ne pas être totalement équitable, au regard des efforts que la collectivité fournira. Les négociations à ce sujet se poursuivent.
Pour répondre à votre question, l’annonce de la ministre n’est pas incompatible avec une précédente augmentation du régime indemnitaire. Certaines communes pourraient en effet envisager de fournir un nouvel effort, notamment si le précédent s’est avéré bénéfique et s’il a permis de résoudre une partie des problèmes liés au recrutement.
Mme Anne Bergantz (Dem). Merci, Madame Bouquet et Monsieur Chauffour, d’évoquer la réalité que vous vivez dans les villes, en matière de petite enfance.
Vous avez évoqué les problèmes de recrutement auxquels vous faites face, non dans une logique d’ouverture de nouveaux berceaux, mais de sécurisation des berceaux existants. Cette dernière semble constituer un premier défi.
Nous avons reçu la semaine dernière les régions et je me suis pour ma part étonnée de leur manque de visibilité quant aux places de formation qu’elles devraient ouvrir pour répondre aux demandes du terrain. Les problèmes de formation que vous avez mentionnés pourraient-ils être réduits par une augmentation des places de formation ? Quelles sont vos relations avec les régions à ce sujet ? Autrement, un autre enjeu a trait à la pérennisation des personnels.
Par ailleurs, les différents modèles des crèches – privé, associatif et public – sont-ils à votre sens concurrents ou complémentaires ?
Mme Annick Bouquet. À propos de la formation, nous n’entretenons pas de véritables liens avec les régions. J’entretiens en revanche des relations avec toutes les écoles de formation du territoire yvelinois et je sais qu’elles ne sont pas toutes remplies. L’instauration de Parcoursup a contribué à freiner les demandes d’inscription dans ces écoles. Parcoursup n’est cependant pas la seule cause de ce ralentissement des inscriptions.
Ces écoles de formation sont variées et le comité de filière travaille sur ce sujet. La formation des puéricultrices n’a par exemple pas évolué depuis quarante ans. Il semble ainsi urgent d’adapter ces formations, d’une part aux changements de la société, d’autre part, aux changements de la jeunesse qui souhaite s’y inscrire.
Par ailleurs, nos crèches comptent des métiers très divers. Je suis favorable à cette diversité, dans la mesure où les volets sanitaires et pédagogiques sont hautement complémentaires.
M. Étienne Chauffour. Certains territoires entretiennent des relations fluides avec la région, sur le plan de la formation ; d’autres, non. Les territoires urbains qui se situent en région Auvergne-Rhône-Alpes – dont les mairies de Lyon, de Grenoble, de Saint-Étienne et de Clermont-Ferrand – ont fait publiquement savoir que leurs attentes de financement de nouvelles places dans les formations aux métiers de la petite enfance n’étaient pas satisfaites. Dans près d’un tiers des régions, le nombre de places n’est pas satisfaisant au regard du besoin de formation.
Mme Annick Bouquet. À propos de la coexistence de différents modèles de crèches, nous ne souhaitons pas qu’ils entrent en concurrence, bien que notre objectif consiste à pérenniser nos lieux d’accueil.
Nous considérons que les conditions de travail sont indissociables de la qualité d’accueil. Nous travaillons donc largement sur ces conditions de travail, au-delà de la revalorisation salariale annoncée.
M. le président Thibault Bazin. Merci pour vos réponses. Si certaines d’entre elles vous paraissaient a posteriori inexactes, faites nous parvenir des correctifs. Nous pourrions être amenés à vous recontacter, en vue de vous demander des précisions.
La séance est levée à 13 heures 05.
Membres présents ou excusés
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements
Réunion du mercredi 6 mars 2024 à 12 h 15
Présents. - M. Thibault Bazin, Mme Anne Bergantz, M. Thierry Frappé, Mme Virginie Lanlo, M. William Martinet, Mme Sarah Tanzilli