Compte rendu
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements
– Audition de représentants de la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF) : Mme Séverine Salgado, directrice générale, Mme Anaïs Perelman, responsable « petite enfance et initiatives sociales » et Mme Julie Doye, directrice nationale « Enfance ». 2
Mercredi 6 mars 2024
Séance de 16 heures
Compte rendu n° 17
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Thibault Bazin,
Président
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La séance est ouverte à 16 heures 05.
La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné des représentants de la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF) : Mme Séverine Salgado, directrice générale, Mme Anaïs Perelman, responsable « petite enfance et initiatives sociales » et Mme Julie Doye, directrice nationale « Enfance ».
M. le président Thibault Bazin. Les mutuelles sont des acteurs de premier plan du domaine médicosocial. La Mutualité française intervient également dans le secteur de la petite enfance, notamment à travers 250 établissements et services petite enfance mutualistes, répartis sur tout le territoire. Vous avez créé un référentiel Afnor Quali’Enfance, pour accompagner la démarche d’amélioration continue de la qualité dans les établissements et services d’accueil des jeunes enfants, et vous proposez un dispositif pour accompagner les familles soumises à des horaires atypiques.
Cette audition est retransmise en direct sur le site Internet de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande.
Je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure ».
(Mmes Séverine Salgado, Anaïs Perelman et Julie Doye prêtent serment).
Vous n’êtes pas obligées de répondre toutes les trois aux questions qui vous seront posées, je vous laisse la liberté de vous organiser.
Mme Séverine Salgado, directrice générale FNMF. Je vous remercie chaleureusement de nous donner l’occasion de vous présenter les positionnements et les propositions de la Mutualité française. Je souhaite commencer par vous expliquer comment nous avons composé cette délégation, afin de vous permettre de comprendre avec qui vous échangez et ce que nous représentons au sein du champ d’activité des mutuelles.
Nous représentons la Mutualité française dans son ensemble : la Fédération, mais aussi le réseau de la petite enfance, géré par les mutuelles. En tant que directrice générale de la Fédération, je dispose d’une vision assez globale du sujet et peux effectuer des liens avec l’ensemble des champs d’activité des mutuelles.
Anaïs Perelman est chargée du pilotage et de l’animation du réseau petite enfance, ainsi que de la veille. Elle bénéficie donc d’une vision à la fois experte et élargie. Elle est également chargée de ce que nous appelons les « innovations sociales », car nous avons à cœur de voir notre réseau petite enfance constituer un lieu d’innovation. En effet, la prise en charge précoce de l’enfant et de l’ensemble des problématiques de la petite enfance constitue un champ d’intervention historique, que nous avons investi de longue date.
Enfin, Julie Doye, directrice nationale petite enfance du groupement mutualiste Vyv3, représente les gestionnaires des établissements d’accueil de la petite enfance.
La Fédération de la Mutualité française rassemble près de 500 mutuelles, qui embrassent un large spectre d’activités. Nous sommes bien sûr très connus du grand public en tant que complémentaire santé, mais nous nous distinguons aussi, et c’est vraisemblablement essentiellement pour cette raison que nous sommes invitées aujourd’hui, par ce que nous appelons des « réalisations mutualistes », qui vont de la petite enfance au grand âge, en passant par le handicap, l’insertion sociale, le logement social, ou le réseau sanitaire à travers les centres de santé et les cliniques mutualistes. Nous proposons près de 2 900 services de soins et d’accompagnement mutualistes (SAM) sur l’ensemble du territoire. Ils sont nés du constat de besoins non couverts, qu’il était nécessaire de mutualiser afin de mieux servir nos bénéficiaires et nos adhérents. À ce titre, la Mutualité française, au sens large, constitue un acteur historique pérenne, et le premier réseau sanitaire et social du territoire. Il favorise l’accès à la santé, mais également la prévention de la protection de l’enfance.
Je juge utile de rappeler la dimension émancipatrice très forte dans laquelle s’inscrivent la création et la promotion de nos réalisations mutualistes. Nous avons décidé de prendre en compte les besoins non couverts, afin de soulager nos bénéficiaires et adhérents et leur permettre de mener à bien leurs projets de vie ou leurs projets professionnels. Lorsque nous avons créé nos premiers lieux d’accueil pour jeunes enfants, c’était tout d’abord à l’attention des jeunes parents, afin de leur permettre de construire leur parcours professionnel et favoriser ainsi l’égalité des chances, et une meilleure insertion sociale et professionnelle. Notre attention était également tournée vers les jeunes enfants, dont nous souhaitions accompagner le développement intellectuel et psychosocial. Enfin, nous proposons à nos équipes des parcours professionnels et des dispositifs de formation au sein de notre réseau.
Le réseau petite enfance de la Mutualité française se compose de 260 établissements et services, répartis sur 35 départements et gérés par 23 groupements et 2 100 salariés. 30 000 enfants sont accueillis en crèche et dans nos relais petite enfance auprès d’assistantes maternelles. Les établissements vont de la microcrèche au multi-accueil, en passant par les crèches interentreprises. Les gestionnaires mutualistes gèrent principalement des structures sous forme de délégation de service public (même si nous restons ouverts à d’autres modèles). À ces établissements s’ajoutent des lieux d’accueil enfants/parents, avec des ludothèques et un service de garde en horaires atypiques nommé Mamhique.
En plus de la dimension émancipatrice susmentionnée, nous adoptons une démarche d’innovation, notamment en termes d’accompagnement à la parentalité et de liens intergénérationnels. Nous sommes extrêmement sensibles à ces derniers, pour lesquels nous avons imaginé des dispositifs de crèches reliées aux Ehpad, qui ont démontré leurs bénéfices immédiats, à moyen et long terme, pour les résidents tout comme pour les enfants, dont le rapport à la séniorité s’en trouve modifié. Nous proposons aussi des actions de prévention et présentons une utilité sociale qui se traduit à travers des indicateurs comme le taux d’emploi des femmes, des solutions apportées directement aux familles monoparentales ou notre présence dans les quartiers politiques de la ville.
Nous avons joué le rôle de précurseurs dans plusieurs domaines, notamment en créant le premier référentiel Afnor Quali’Enfance. Nous accueillons également des enfants en situation de handicap et délivrons une formation mutualiste afin de proposer un accueil en milieu ordinaire. Ainsi, au sein de notre réseau, une crèche sur deux peut recevoir au moins un enfant en situation de handicap (contre une crèche sur trois au niveau national). Toutes nos crèches bénéficient de la présence d’un référent handicap. En matière de prévention, nous sensibilisons les parents aux perturbateurs endocriniens ou à l’obésité. Dans ces moments d’échanges, les parents sont vulnérables, au sens positif du terme, et se montrent très ouverts aux messages et actions de prévention que nous pouvons leur proposer. Enfin, le service Mamhique constitue une offre assez innovante en direction des parents confrontés à des horaires atypiques. À la demande du ministre de l’époque, nous avons rédigé un guide, remis au secrétaire d’État en octobre 2021.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure de la commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements. J’avais initialement prévu de vous interroger tout de suite sur votre financement, mais je pense qu’il serait intéressant que vous puissiez détailler au préalable la norme Afnor Quali’Enfance. En quoi diffère-t-elle des normes réglementaires déjà établies et comment assurez-vous le financement d’une qualité d’accueil supérieure aux normes réglementaires ?
Mme Anaïs Perelman, responsable petite enfance et initiatives sociales FNMF. Cela fait maintenant plus de dix ans que nous nous inscrivons dans cette démarche d’amélioration continue de la qualité. Les mutuelles étant pluridisciplinaires, la démarche d’amélioration continue de la qualité et les référentiels sont devenus obligatoires pour les autres activités des mutualistes. Il nous a semblé évident de devoir l’appliquer également au secteur de la petite enfance. Nous nous sommes donc rapprochés d’Afnor certification pour élaborer ensemble un référentiel, qui n’était encore nullement obligatoire au sein des crèches. Nous l’avons coconstruit avec le terrain, c’est-à-dire les groupements mutualistes gestionnaires d’établissements.
En dix ans, ce référentiel a beaucoup évolué et entre aujourd’hui dans sa troisième version. L’objectif est d’aller plus loin dans l’engagement et les propositions d’action formulées aux structures qui s’inscrivent dans cette démarche et aspirent à une certification. Nous cherchons également à verdir ces différents engagements en insistant sur leur dimension de développement durable. C’est pourquoi la nouvelle version comporte un volet consacré à l’écocitoyenneté et à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
Le référentiel se compose de sept engagements, reprenant évidemment les dispositions de la réforme applicables dans les structures. Mais nous souhaitons aller plus loin en mettant en valeur le travail quotidien des professionnels, en accompagnant les familles et en fédérant des équipes autour d’un projet. Par ailleurs, contrairement à des entreprises qui certifient les structures avec leurs propres labels, nous avons choisi le référentiel Afnor Quali’Enfance parce qu’il est assorti d’un audit externe.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Je reviens sur la question que je vous ai posée sur la norme que vous avez pu établir, permettant de proposer une qualité d’accueil supérieure aux exigences réglementaires. Comment le delta est-il financé ?
Par ailleurs, vous avez souligné qu’une partie importante de vos établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE) fonctionne en délégation de service public. Comme cela a pu être constaté sur le terrain, une forme de concurrence déloyale est à l’œuvre avec le secteur privé lucratif. Comment appréhendez-vous cette situation ?
Concernant le handicap, le bonus dédié parvient-il à couvrir les coûts supplémentaires ?
Enfin, comment appréhendez-vous les modes de financement en prestation de service unique (PSU) ou en Paje ? En dehors des crèches en délégation de service public ou des crèches interentreprises, le financement avec la commune passe-t-il par une subvention d’équilibre ou par un autre véhicule ?
Mme Julie Doye, directrice nationale enfance FNMF. Sur la question des délégations de service public, à la lecture du rapport d’analyse des offres que nous nous procurons systématiquement lorsque nous répondons à ce genre de marché, nous nous sommes effectivement parfois interrogés sur le prix, car le même cahier des charges s’impose à tous les répondants. Mais il n’est pas possible d’obtenir des explications précises. Le choix appartient à la collectivité, qui prend sa décision en fonction de ses propres critères.
Concernant le bonus handicap, le gestionnaire le touche a posteriori, après avoir justifié du nombre d’enfants accueillis en situation de handicap. Il ne permet donc bien évidemment pas d’anticiper les moyens nécessaires à cet accueil. Nous essayons de trouver des solutions de contournement ou parions sur la présence d’enfants handicapés, mais ce bonus ne constitue pas une mesure proactive nous permettant de prévoir le recrutement d’un équivalent temps plein (ETP) ou plus, et d’être ainsi en mesure d’accueillir l’enfant en fonction de ses besoins. Cela constitue d’ailleurs une certaine déception : nous regrettons que la dernière COG n’ait pas été plus volontariste sur ce point.
99 % de nos crèches fonctionnent en PSU de façon historique, et cela correspond à notre approche. Concernant les Paje, des développements ont été réalisés dans certains territoires exempts de tiers financeurs. La question qui se pose est celle des prix pratiqués auprès des familles. Elle nous pousse à nous interroger sur la pertinence de développer ou non le modèle en fonction des territoires, mais la décision appartient à nos élus mutualistes.
Quant aux subventions du groupe Vyv, 70 % des berceaux sont réservés pour le compte des collectivités, à travers des délégations de service public, des conventions de gestion ou des Cpom, en fonction des différentes appellations. Dans tous les cas, ce sont les collectivités qui décident du mode de contractualisation. Néanmoins, dans les territoires sur lesquels nous sommes fortement ancrés depuis trente ans, les modèles de convention de gestion sont privilégiés, car ils nous permettent de fixer des objectifs en termes de qualité d’accueil et non de nous cantonner à la tarification. Cela dit, nous avons pu constater que les collectivités gagnent en expertise dans le cadre des délégations de service public : leurs cahiers des charges prennent désormais en compte des dimensions qualitatives supérieures.
M. le président Thibault Bazin. Nous vous remercions de nous transmettre les différents modèles évoqués. J’imagine que, si vous répondez à des délégations de service public (DSP), vous transmettez des budgets et des comptes pour chacune des structures. Il serait intéressant pour nous d’étudier les modèles utilisés.
Par ailleurs, vous représentez un groupe mutualiste très diversifié. Quelle est la nature juridique de vos structures ?
Mme Julie Doye. Nous dépendons du Code de la mutualité. Nous constituons donc des entités gestionnaires mutualistes et ne sommes ni associatifs ni privés non lucratifs. Cela nous pose d’ailleurs parfois quelques soucis avec les documents administratifs, parce que la case « mutualiste » n’existe pas et cela déroute nos interlocuteurs. Nous nous situons entre deux eaux, mais faisons partie de l’économie sociale et solidaire.
Mme Séverine Salgado. Plus précisément, nous relevons du livre 3 du code de la mutualité, c’est-à-dire de mutuelles gouvernées par des principes démocratiques, avec des élus mutualistes qui sont des acteurs privés non lucratifs. Elles ne comportent pas d’actionnaires et disposent d’un mode de gestion qui leur est propre. Cela peut être parfois déroutant, sauf lorsque nous sommes implantés depuis plusieurs décennies sur un territoire.
M. le président Thibault Bazin. Puisque votre réseau se compose à la fois de microcrèches fonctionnant en Paje et de crèches fonctionnant en PSU, il serait intéressant pour nous d’avoir connaissance de vos différents modèles et de vos contraintes, notamment en termes de coût en ressources humaines ou en matière de conventions collectives applicables. Nous avons besoin de disposer de la totalité de vos modèles et de leurs spécificités.
Mme Julie Doye. Si je peux me permettre, ne serait-ce que pour le volet petite enfance du groupe Vyv, quatre conventions collectives s’appliquent.
M. le président Thibault Bazin. J’ai bien compris que vous fonctionnez selon plusieurs modèles. C’est pourquoi nous avons besoin de les consulter, afin de bien les appréhender dans leur diversité.
Vous avez fait part de 70 % de « réservations de berceaux » par les collectivités locales. Les 30 % restants sont-ils attribués à des entreprises ou à des particuliers ?
Mme Julie Doye. Le groupe Vyv n’entretient pas de lien direct avec les particuliers, car il ne compte pas de crèches Paje. Les réservations sont effectuées uniquement par des entreprises.
M. le président Thibault Bazin. Certes, mais les crèches PSU pourraient compter des berceaux non réservés par la collectivité en l’absence de tiers financeurs.
Mme Julie Doye. Les réservations sont réalisées par des entreprises, car nous nous appuyons sur des modèles mixtes. Dans le cas d’une collectivité nous confiant la gestion d’un établissement qu’elle a elle-même construit, 100 % des berceaux sont financés dans le cadre de la délégation de service public. Néanmoins, eu égard au poids de l’histoire, certaines collectivités présentent des besoins spécifiques dans des quartiers ou territoires qui n’ont pas eu la possibilité d’investir. Nous choisissons alors d’y aménager une crèche. La collectivité cofinance une partie des berceaux, et charge à nous de commercialiser également des places auprès des entreprises. Nous estimons que les crèches constituent des outils de développement locaux, et proposons donc un mode de fonctionnement gagnant-gagnant. Très souvent, les collectivités et les maires accompagnent ce déploiement. C’est pourquoi 30 % de nos crèches sont forcément mixtes. Seulement 10 % ne fonctionnent que sur le modèle interentreprises. Nous cherchons véritablement à répondre aux besoins territoriaux et sommes souvent approchés par des agences de développement local souhaitant favoriser la venue d’entreprises.
M. le président Thibault Bazin. Il serait très intéressant pour nous de disposer du modèle 100 % entreprise, 100 % collectivité, et du modèle mixte.
Mme Béatrice Roullaud (RN). Vous représentez un acteur majeur en France. Avez-vous pu comparer notre modèle avec celui d’autres pays aux tendances plus libérales ou plus étatistes ? Si oui, quels sont nos atouts, ou quels seraient au contraire les points d’amélioration ?
Mme Séverine Salgado. C’est une très bonne question à laquelle il va m’être compliqué de répondre. Nous n’avons pas mené de comparaison internationale. Nous avons bien quelques idées de leviers d’amélioration, notamment en matière de financement, mais les systèmes de protection sociale sont tellement différents d’un pays à l’autre qu’il est parfois difficile de les comparer.
Quoi qu’il en soit, permettre aux jeunes parents de poursuivre leur parcours de vie, leur parcours professionnel, tout en accompagnant le petit enfant dans son développement personnel et psychosocial, constitue nos grands objectifs, que j’imagine partagés par l’ensemble des gestionnaires d’établissements. Ma réponse est assez elliptique et votre question mériterait d’être creusée. Je vous en remercie.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Il est vrai que le modèle mutualiste est un modèle compliqué. Dans l’économie sociale et solidaire (ESS), nous avons l’habitude de ne pas pouvoir résumer en trente secondes la complexité des innovations sociales, qui sont conduites depuis plus de 150 ans et que j’espère voir se prolonger encore longtemps. Toutefois, la mutuelle est codifiée, et toutes les questions qui ont été précédemment posées concernant le modèle économique nous intéressent au plus haut point, car nous essayons, à travers notre enquête, de comprendre quels modèles devraient être davantage valorisés.
À travers les auditions effectuées jusqu’à présent, le groupe de la France insoumise est convaincu que le modèle privé lucratif reposant sur l’actionnariat et la pression financière n’est pas bon, que ce soit en matière d’accueil des enfants, ou au niveau économique en matière de denier public. Une impression de surfinancement se dégage, tandis que l’audition de ce matin consacrée à une représentante d’associations non lucratives nous a laissé l’impression inverse. Comprendre comment vous maintenez votre équilibre est d’autant plus intéressant que vous constituez un acteur majeur, couvrant 35 départements. Je me demande d’ailleurs pourquoi vous arrêter à ce chiffre.
Je souhaite vous poser une première question portant sur votre politique d’accueil de l’enfant et vos relations avec les parents. Vous investissez beaucoup d’argent dans la prévention et l’accompagnement. Ce travail représente un coût important et exige de lui dédier du personnel. Quel est son poids dans votre modèle économique, et quel est celui de l’amélioration des bonnes pratiques ?
Avez-vous recensé des cas de maltraitance dans vos crèches ? Si oui, pourquoi avoir cherché à les identifier et comment avez-vous tenté d’y remédier ? Sinon, pourquoi n’en comptez-vous pas, alors que d’autres secteurs en comptabilisent ?
Vous avez raison de promouvoir le modèle mutualiste auprès des collectivités locales. Vous essayez de les convaincre, à juste titre, de vous confier des délégations de service public. Sur le plan économique, que mettez-vous en avant ? Quels sont les avantages pour les parents et pour les collectivités locales ? Le coût est-il moindre que dans la sphère privée et lucrative ? D’autres bénéfices existent-ils ?
Enfin, les territoires et départements présentent de fortes inégalités. Quelles sont celles que vous avez pu constater en termes d’accueil et comment les gérez-vous ? J’ignore si vous occupez le département de Seine-Saint-Denis, mais je vous sais très présents en Occitanie ou en Bretagne. Au sein de départements ruraux, périurbains ou très urbains comme Paris, quelles différences avez-vous recensées d’un point de vue économique ?
Mme Anaïs Perelman. Concernant notre développement sur les territoires, il subsiste aujourd’hui deux régions exemptes de structures de petite enfance mutualistes : la région Île-de-France et la région des Hauts-de-France. Cela résulte d’une volonté des groupements se trouvant sur ces territoires. Néanmoins, le groupement mutualiste ambitionne de créer un pôle petite enfance en Hauts-de-France. Nous espérons voir des structures s’y implanter très prochainement.
Pour ce qui est de notre politique d’accueil, l’objectif d’une crèche mutualiste est de proposer un accueil au plus près des besoins des familles. Il n’existe donc pas de structure type : nous élaborons une réponse adaptée, en collaboration avec le partenaire, en fonction des besoins du territoire et de la population d’enfants et de familles qui y réside. Les actions de prévention consistent parfois dans un accompagnement plus spécifique pour certains territoires, en fonction des familles accueillies. Cela peut par exemple concerner le soutien à la parentalité. Face à la pénurie de professionnels, dont nous avons tous connaissance, nous mettons en avant nos valeurs mutualistes pour les inciter à rejoindre nos structures. Dans d’autres territoires, nos crèches sont de facture classique, à l’instar des crèches associatives ou des crèches privées lucratives.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Peut-être ma question n’était-elle pas suffisamment claire. J’essaie de mesurer votre investissement en termes de formation de votre personnel, afin que ce dernier puisse assumer ses missions d’accompagnement des parents, de prévention, etc. Disposez-vous d’un personnel dédié ? Que représente cet investissement dans votre modèle économique, car il constitue un poids important qui n’a pas été mentionné au cours des autres auditions ?
M. le président Thibault Bazin. Les refacturez-vous dans les DSP ?
Mme Julie Doye. La prévention fait partie de notre approche pédagogique de base. Les professionnels que nous recrutons doivent présenter cette appétence. Nous délivrons également des formations internes.
Travailler avec des collectivités implique parfois de gérer un établissement pour personnes âgées, ou un service d’accompagnement dans le champ du handicap. Nous disposons de ressources en interne permettant de faire venir des professionnels. Dans le cadre de la prévention, si nous gérons un magasin d’optique et que nous annonçons une action de prévention, nous faisons venir un opticien. Cela constitue l’une de nos forces. Dans le cadre de l’accueil inclusif, nous avons réalisé une enquête auprès de nos personnels afin d’évaluer leurs besoins. Par exemple, la nécessité d’entretiens avec des spécialistes des troubles autistiques a été identifiée. Or, nous disposons de ces compétences en interne. Nous mettons actuellement en place une cartographie qui permettra d’échanger par téléphone avec divers professionnels, même s’ils ne se trouvent pas sur le même territoire. C’est la force de notre réseau. Les compétences disponibles se diffusent à travers les projets.
Nous disposons également de référents santé, ou de personnes extérieures aux structures et dédiées à la coordination, qui se déplacent en fonction des besoins des directrices de crèches ou de leurs personnels. Comme tout gestionnaire, nos équipes répondent aux minimas de la réglementation, mais nous essayons d’aller plus loin, que ce soit en termes de catégorie 1 ou du nombre de professionnels réclamés par la protection maternelle et infantile (PMI).
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Nous en revenons à la question que je vous avais initialement posée, concernant le financement du différentiel que vous mentionnez. Je peux comprendre que votre taille critique vous permette de mutualiser certaines fonctions, et donc de faire monter en compétence vos personnels. Cependant, vous vous positionnez vraiment au-dessus des normes réglementaires, dans un contexte d’équilibre financier pourtant très difficile à maintenir. Je m’interroge sur vos capacités de financement. Vous n’avez peut-être pas la possibilité de nous répondre immédiatement et je le comprends. Mais cela nous intéresse particulièrement.
Mme Julie Doye. Nous disposons de ressources internes qui nous permettent d’accompagner nos professionnels.
M. le président Thibault Bazin. Lorsque vous parlez de ressources internes, cela signifie-t-il que vous injectez des fonds propres ?
Mme Julie Doye. Non, il est question de temps. Par exemple, la directrice nationale du handicap donne de son temps pour m’aider à cranter mes projets pédagogiques.
M. le président Thibault Bazin. Cela fait-il l’objet d’une refacturation à la structure ?
Mme Julie Doye. L’apport des ressources internes est inclus dans les frais de gestion globale de l’Union, les frais de siège. Il existe bien un impact, mais sans doute moindre par rapport à une prestation externe.
Par ailleurs, puisque le financement est assuré à 70, voire 80 % par les collectivités, ce sont elles qui nous permettent aussi, soit à travers les conventions de délégation de service public soit à travers les Cpom, de financer un équivalent temps plein supplémentaire dans les endroits qui le nécessitent, parce qu’elles jugent la démarche cohérente avec le projet que nous proposons. Soyons francs : le modèle économique d’une crèche en PSU s’impose à tout type de gestionnaire. Le prix de vente à des entreprises ou des collectivités peut varier, mais le compte d’exploitation d’une crèche reste le même pour tout le monde.
M. le président Thibault Bazin. J’en déduis que les DSP ouvrent la porte au mieux-disant lorsque les collectivités paient au-delà de la réglementation.
Mme Julie Doye. C’est exact. C’est ce que nous proposons dans notre offre. Ce sont les collectivités qui décident. Lorsque nous nous trouvons en phase de renouvellement, nous savons que nous devons faire face à la concurrence et nous nous interrogeons sur le prix plancher au-dessous duquel nous refuserons de passer. Cela requiert l’aval de nos politiques, mais nous nous posons la question.
M. le président Thibault Bazin. Je souhaite aborder le sujet des maltraitances évoqué par notre collègue. Votre groupe en a-t-il recensé, pourquoi l’a-t-il fait, et si aucun cas n’a été comptabilisé, pour quelle raison ?
Mme Anaïs Perelman. Aucune maltraitance ne nous a été signalée au niveau national. Ce que nous qualifions « d’évènements indésirables » se produit parfois dans certaines crèches. Nous disposons d’un protocole, lié au référentiel Quali’Enfance, et d’outils informatiques nous permettant de faire remonter d’éventuelles problématiques aux bons interlocuteurs et de déclencher les actions pertinentes. Par exemple, il peut s’agir d’un enfant qui en mord un autre, ou d’un enfant qui s’est cogné. Nous différencions les évènements indésirables des évènements indésirables graves, ces derniers englobant la maltraitance. Nos structures ne nous ont signalé aucun cas de cet ordre.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Quel est l’avantage de votre modèle, en dehors de l’effet de structure, qui laisse sans doute les parents indifférents ? Vous pratiquez par exemple une cotisation de 1 400 euros par salarié pour les services de garde en horaires atypiques. S’agit-il d’une moyenne ? Quel est le reste à charge moyen des parents pour les différents services que vous offrez ? Mettez-vous en avant un avantage économique auprès des collectivités ?
Mme Julie Doye. Concernant les crèches en PSU, le tarif est fixé par la caisse d’allocations familiales (CAF). Chaque famille paie donc en fonction de sa composition propre et de ses revenus. Le montant de 1 400 euros que vous mentionnez est lié au dispositif Mamhique, qui s’adresse aux entreprises et leur permet de proposer une solution de garde aux salariés travaillant en horaires atypiques. Le processus est le même que lorsqu’une entreprise réserve une place en crèche, à la différence qu’ici, il est question de financer l’accompagnement d’une famille par le biais du dispositif Mamhique, géré par Vyv3 Bretagne. Parallèlement, si l’entreprise le souhaite, elle peut également payer les frais supplémentaires de garde en horaires atypiques à la place de la famille. Ce dispositif spécifique ne concerne pas un accueil en crèche, mais un accueil à domicile soit par des assistantes maternelles soit par une garde à domicile.
Mme Anne Bergantz (Dem). Le financement PSU constitue un modèle extrêmement complexe et chronophage pour les gestionnaires, avec des effets assez pervers en termes de remplissage maximum, mais qui peut présenter aussi des avantages pour le parent, qui ne paie que ce qu’il consomme. Néanmoins, j’ai cru comprendre que vous proposiez un réaménagement de la PSU sous la forme de contrats à long terme, dénués d’horaires, empreints de souplesse. Cette proposition exigera sans doute beaucoup de pédagogie auprès des parents, qui sont persuadés de ne payer que ce qu’ils consomment. Ce financement au forfait ne risque-t-il pas de s’accompagner d’une baisse du nombre de places ?
Mme Julie Doye. La Mutualité française formule effectivement, depuis le début, des propositions de refonte du modèle PSU, notamment parce que, depuis 2014, de par les effets de seuil, les gestionnaires sont pénalisés si les familles ne remplissent pas les créneaux contractualisés. Le système a eu du bon, mais aujourd’hui, au bout de dix ans, il atteint ses limites, d’autant plus que les directrices de crèches consacrent beaucoup de temps à la révision des contrats et à la pédagogie auprès des parents, pour leur expliquer que la structure est pénalisée lorsque les familles n’honorent pas les créneaux réservés. Le système est à bout de souffle, c’est pourquoi nous plaidons en faveur de la mise en place d’une part forfaitaire. Nous ne demandons pas à revenir en arrière, puisque deux enfants peuvent aujourd’hui se partager une seule place, mais nous sommes favorables à une part forfaitisée. La nouvelle COG a mis cette tendance en avant. Nous nourrissons cependant aujourd’hui des interrogations sur les modalités de mise en place, et nous avons besoin d’assurances, notamment concernant les bonus territoire et les bonus trajectoire. Certes, nous souhaitons une part de forfait, mais pas 100 % de forfait.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Monsieur le Président, je tiens tout d’abord à vous féliciter pour la tenue des débats : je trouve très utile et pertinent que les orateurs puissent relancer les personnes auditionnées pour obtenir des réponses. J’espère que cette méthode sera maintenue, notamment dans le cadre de certaines auditions quelque peu sensibles, vis-à-vis des ministres ou des grands groupes privés, car il n’y a pas de raison de « cuisiner » uniquement les représentantes de la Mutualité.
Dans le cadre de la vente de places aux entreprises, vous adressez-vous directement à elles ou passez-vous par des intermédiaires ? D’autres auditions nous ont fourni les exemples de Baby Loup ou de Crèches Pour Tous (faux-nez du groupe people&baby). Si vous passez par ces réseaux, avez-vous connaissance du différentiel entre le montant qui vous est versé, et celui payé par les entreprises ?
Nous avons beaucoup parlé, au cours de cette audition, des différences de gestionnaires. J’estime qu’un gestionnaire mutualiste se dissocie effectivement d’un gestionnaire public ou d’un gestionnaire privé lucratif. Je souhaite aborder la question des libertés syndicales au sein de la crèche, puisque le secteur public s’inscrit dans une construction syndicale particulière, du fait de la présence des syndicats dans la fonction publique. À l’inverse, dans le privé lucratif, le sujet est plus épineux, sans doute à cause de la précarité des salariés, mais aussi, à mon avis, à cause d’une forme de répression syndicale susceptible de survenir. La représentation syndicale et la démocratie sociale font partie des valeurs défendues par le secteur mutualiste. Je ne doute pas qu’elles soient importantes pour vous. Se traduisent-elles par une meilleure implantation des organisations syndicales au sein de vos structures ?
Enfin, je souhaite revenir sur les délégations de service public. Je suis convaincu que certaines collectivités territoriales, du fait des contraintes financières qui s’exercent sur elles, utilisent malheureusement la DSP uniquement pour faire baisser le coût. Plutôt que de devoir rémunérer des agents et fonctionnaires, et devoir assumer une gestion publique, certaines collectivités préfèrent passer par une DSP. Dans les cas les plus radicaux, cela peut se traduire par la recherche d’un acteur privé lucratif qui n’aura aucun mal à faire baisser très fortement les prix, ou par la recherche d’une mutuelle répondant à l’appel d’offres de la DSP. Avez-vous parfois le sentiment d’être pris dans cet engrenage ? Si une externalisation du service est organisée (en l’occurrence, la récupération de la gestion d’une crèche par une mutuelle), avez-vous l’impression, sans doute à votre corps défendant, de participer à cette course de la baisse des coûts ?
M. le président Thibault Bazin. Ce sont trois questions très précises, auxquelles il faut répondre de manière très précise. Je souhaite compléter l’une d’elles : sur les 30 % de places réservées par les entreprises, une part est-elle attribuée aux organismes comme Baby Loup ?
Mme Julie Doye. Nous vendons nous-mêmes des places aux entreprises à hauteur d’environ 65 %. Le reste passe par des plateformes : des gestionnaires privés implantés sur les territoires où nous sommes installés nous achètent des places. Nous leur imposons un prix minimum et refusons de passer au-dessous. En revanche, nous ne maîtrisons pas leur prix de vente et n’en avons pas connaissance. Nous ignorons quelle marge ils dégagent.
Concernant la liberté syndicale, un CSE se tient tous les mois dans chaque entité gestionnaire, et des questions en lien avec la petite enfance sont systématiquement posées. Les représentations syndicales sont fortes, elles occupent une place réelle au sein des structures.
Quant à l’engrenage que vous avez mentionné, lorsque nous remettons une offre à améliorer en fin de processus de délégation de service public, nous nous savons capables de tenir la qualité de service proposée et au prix indiqué. Nous ne pratiquons pas « la course à l’échalote ». Si la collectivité cherche à tirer encore le prix vers le bas, nous en restons là. Nous n’améliorons donc pas systématiquement notre offre.
Comme je l’ai déjà expliqué, les gestionnaires privés lucratifs représentent à peu près 30 % de nos ventes de places en sous-traitance. Sur 100 places, 70 sont vendues en direct grâce à notre propre force de frappe commerciale. Les 30 places restantes sont achetées par des plateformes de gestionnaires privés.
M. le président Thibault Bazin. Je m’interroge sur le chiffre initial public/privé, avec 70 % de réservations effectuées par les collectivités locales.
Mme Julie Doye. Chez Vyv, l’offre mutualiste globale est un peu plus faible, puisque nous représentons 50 % du parc de crèches. La spécificité de notre groupe est de compter davantage de crèches interentreprises que les autres gestionnaires mutualistes. Chez nous, 30 % des places sont réservées par des entreprises.
M. le président Thibault Bazin. Sur ces 30 %, vous commercialisez 65 % des places vous-même.
Mme Julie Doye. Exactement.
M. le président Thibault Bazin. Par conséquent, 35 % des 30 % passent par des réseaux. Quels sont-ils ?
Mme Julie Doye. Il s’agit de tous les gestionnaires privés, par exemple Baby Loup, ou Grandir (anciennement Les Petits Chaperons Rouges). Ils nous achètent régulièrement des places, et parfois, nous leur en achetons aussi lorsque des clients en ont besoin. Nous pratiquons les ventes croisées.
M. le président Thibault Bazin. En l’absence d’autres questions, je suspends courtement la séance.
La séance est levée à 17 heures.
Membres présents ou excusés
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements
Réunion du mercredi 6 mars 2024 à 16 heures
Présents. - M. Thibault Bazin, Mme Anne Bergantz, Mme Sophia Chikirou, M. William Martinet, Mme Béatrice Roullaud, Mme Sarah Tanzilli
Excusé. - M. Thierry Frappé