Compte rendu

Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements

– Audition de représentants de l’Union nationale des associations familiales (Unaf) : Mme Véronique Desmaizières, administratrice de l'Unaf département « Parentalité-Enfance », Mme Guillemette Leneveu, directrice générale, et Mme Claire Ménard, chargée des relations parlementaires              2

 


Mercredi 6 mars 2024

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 19

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
M. Thibault Bazin,
Président


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La séance est ouverte à 18 heures 05.

La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné des représentants de l’Union nationale des associations familiales (Unaf) : Mme Véronique Desmaizières, administratrice de l'Unaf département « Parentalité-Enfance », Mme Guillemette Leneveu, directrice générale, et Mme Claire Ménard, chargée des relations parlementaires.

M. le président Thibault Bazin. L’Unaf est l’interlocuteur essentiel des pouvoirs publics en matière de politique familiale en direction de la petite enfance. Elle participe par ailleurs à bon nombre de réflexions en cours, parallèlement à la nôtre.

Je rappelle que cette audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. Par ailleurs, l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure ».

(Mmes Véronique Desmaizières, Guillemette Leneveu et Claire Ménard prêtent serment).

Mme Guillemette Leneveu, directrice générale de l’Unaf. Nous intervenons en tant que représentantes des familles, conformément au mandat qui nous est confié. Nous sommes également susceptibles de gérer des structures, le Code de l’action sociale des familles nous octroyant la possibilité de proposer des services d’intérêt familial, ce qui inclut les établissements dédiés à la petite enfance. Cependant, notre réseau est assez peu présent dans ce secteur, même si certaines de nos associations, telles que Familles rurales, ont pour mission de gérer des structures. Notre propos portera donc davantage sur les familles que sur le rôle de gestionnaire.

Nous participons actuellement à de nombreux travaux autour de la petite enfance. La garde d’enfant constitue aujourd’hui une véritable problématique pour les parents qui travaillent, et qui ne voient pas comment concilier leur vie professionnelle et la « charge » de leur enfant. Notre propos s’appuiera à la fois sur notre connaissance des jeunes familles que nous accueillons au sein des structures de notre réseau, sur nos enquêtes, et sur les études statistiques menées au niveau national (qui souffrent malheureusement d’un manque de données).

À nos yeux, l’objectif premier du modèle économique des crèches doit être de répondre à trois attentes principales de la part des parents de jeunes enfants.

La première consiste dans la disponibilité : les familles doivent être certaines de pouvoir trouver une solution de garde. Nous nous appuyons ici sur l’enquête réalisée dans le cadre du rapport d’Hamon Edelman, qui s’était penché sur les questions de conciliation il y a deux ans je crois. Cette enquête avait démontré à quel point les choix professionnels des parents sont perturbés par l’inconnu majeur que constitue la garde de leur enfant.

La seconde attente principale concerne la sécurité physique et affective des enfants, jugée primordiale par les parents, qui veulent être certains que le lieu auquel ils confient leur enfant est sûr. Cette question de la sécurité soulève de facto celle du nombre d’adultes formés par enfant.

Enfin, l’accessibilité financière représente un point majeur. Les parents veulent s’assurer qu’ils seront capables, eu égard à leurs ressources, de supporter la charge financière générée par le recours à un mode d’accueil. En 2022, l’enquête que nous avons confiée à OpinionWay dans le cadre de l’Observatoire des familles a révélé que 38 % des parents de jeunes enfants ne travaillent pas à temps plein afin d’éviter des frais de garde trop élevés. Cet arbitrage concerne notamment les femmes.

Nous considérons que le modèle économique actuel échoue partiellement à satisfaire aux trois attentes principales des parents. En termes de disponibilité, force est de constater que très peu d’améliorations ont été apportées au cours des dix dernières années. L’offre d’accueil globale baisse, le nombre d’enfants accueillis aussi. Si nous divisons le nombre total des heures de garde par la population totale des enfants de moins de 3 ans, nous nous apercevons que le recours aux établissements d’accueil n’a progressé que de 76 heures par enfant et par an, soit à peine une garde à plein temps de 7 jours ouvrés en dix ans. J’ajoute qu’il est question ici d’heures facturées, dont le nombre est supérieur aux heures réalisées.

Quelles sont les causes ?

Tout d’abord, il n’existe aucune obligation pour quiconque de créer et financer des crèches, même dans les endroits où les besoins sont prégnants, que ce soit au niveau territorial ou national. Il est beaucoup moins onéreux pour une commune (voire gratuit) de laisser s’implanter des microcrèches Paje ou de laisser des entreprises réserver des berceaux financés par de l’argent public, c’est-à-dire le crédit d’impôt famille et autres dispositifs fiscaux. Mais cet avantage a une contrepartie : l’impossibilité pour les pouvoirs publics de piloter l’implantation de ces structures et d’en assurer le suivi.

Par ailleurs, nous constatons que les microcrèches Paje ont créé des capacités là où la clientèle était solvable, ce qui a plutôt contribué à renforcer les inégalités territoriales, comme en atteste le rapport rendu par le Haut Conseil de la famille en 2023.

Nous remarquons également que les réservations de places par les entreprises sont coûteuses pour l’État, à cause du crédit d’impôt famille et des autres dispositifs fiscaux, comme l’ont confirmé devant cette commission les auteurs du rapport de l’Igas. L’apport financier net des entreprises est très faible : 80 millions d’euros en 2019, tandis que les dépenses publiques d’accueil de la petite enfance atteignent 15,3 milliards. En outre, tout en étant largement financé par l’argent public, le système fonctionne en coupe-file, ce qui peut nuire aux familles des quartiers dans lesquels sont installés les établissements, soit parce qu’elles ne peuvent pas y accéder, soit parce qu’elles peuvent être brutalement remplacées par des parents salariés d’une entreprise ayant effectué une réservation.

Nous pensons que, si ces dispositifs de réservation de places et de microcrèches Paje n’avaient pas existé, les communes et les intercommunalités ne seraient pas à ce point désengagées du financement de l’accueil du jeune enfant. Nous estimons en outre que les capacités d’accueil auraient davantage progressé.

C’est pourquoi nous appelons à cesser de compter sur le crédit d’impôt et les microcrèches Paje, afin de construire un véritable service public de la petite enfance. Il faut selon nous mettre un terme à la création de places reposant sur ces dispositifs. Pour rappel, l’Igas a d’ailleurs envisagé, dans son rapport, l’extinction du Cifam et du modèle de financement des microcrèches Paje. Nous pensons en outre que les communes devraient pleinement exercer leur rôle d’autorité organisatrice, telle qu’elle est prévue par la loi plein emploi. En toute franchise, nous aurions même souhaité que cette loi impose aux communes d’organiser ce service. Quoi qu’il en soit, en tant qu’autorité organisatrice, elles doivent s’approprier pleinement leur rôle, et aller même au-delà, en s’impliquant dans la création de places. Nous rappelons toute l’importance de l’enjeu, qui touche à l’emploi, à l’attractivité des territoires, et précisons que les prises en charge financières de la branche famille ont augmenté au bénéfice des communes.

M. le président Thibault Bazin. Je vous remercie d’écourter votre propos, car nous voudrions pouvoir vous questionner.

Mme Guillemette Leneveu. D’accord. Concernant la qualité et la sécurité de l’accueil, le bilan n’est pas meilleur, car les objectifs n’ont pas été atteints. De notre point de vue, le système en vigueur nuit à la qualité de l’accueil, de par le manque d’encadrement des enfants. L’amélioration du taux d’encadrement constitue à nos yeux une condition essentielle à la qualité. Nous rejoignons sur ce point le rapport consacré aux 1 000 premiers jours. En effet, lorsqu’un nombre trop élevé d’enfants est confié aux professionnels, une souffrance au travail peut en résulter et enclencher un cercle vicieux d’absentéisme, de démission et donc de pénurie de personnel. Certes, le salaire constitue un sujet incontournable, mais le taux d’encadrement également.

Pour ce qui est de l’offre à but lucratif, l’Unaf ne s’y est jamais opposée par principe. En revanche, nous regrettons la façon dont le système a évolué. Dans les pays étrangers ayant laissé l’offre lucrative se développer largement, la qualité est toujours moindre qu’auprès d’autres acteurs, ou facturée au prix le plus fort, à l’État, aux familles, ou aux deux. Toute structure bénéficiant de financements publics (secteur privé lucratif inclus) devrait faire l’objet de contrôles réguliers, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Enfin, nous sommes préoccupés par l’évolution à venir du reste à charge des familles. L’essentiel des places créées depuis dix ans se concentre au sein des microcrèches Paje, qui facturent des restes à charge que nous estimons bien trop élevés. Certains parents nous ont fait part de factures dépassant 1 000 euros par mois dans le cadre d’un temps plein. Par ailleurs, certains parents se trouvent amenés à faire la promotion des crèches privées lucratives auprès de leur propre entreprise, afin que cette dernière réserve un berceau et prenne en charge une partie du coût. Nous redoutons la contagion de ces factures à tous les modes d’accueil, jusqu’à ce qu’elles finissent par devenir la norme. Nous sommes défavorables au déplafonnement du tarif PSU, car l’augmentation des restes à charge pénalisera les couples biactifs, qui ont besoin de gardes de longue durée. L’argument qui nous est opposé consiste dans une hausse n’impactant que les familles aisées. Tout dépend de la signification du terme « aisé ». Les couples qui travaillent, et au sein desquels certaines femmes ont vu leur salaire augmenter, pourraient subir une charge financière trop lourde, devenant dissuasive. Or, bien souvent, l’arbitrage effectué par les familles se fait au détriment des femmes : ce sont généralement ces dernières qui réduisent leur temps de travail.

Nous considérons qu’aucune famille ne devrait dépenser plus de 500 euros par mois pour faire garder son enfant. En Suède, pays exemplaire sur ce point, le montant maximal est de 150 euros. Nous assimilons la hausse des restes à charge à un impôt appliqué aux familles. Certaines entreprises ont augmenté les salaires de leurs collaborateurs, ce qui est une bonne chose. Mais si cet avantage présente l’inconvénient de faire grimper le montant des frais de garde, le bénéfice s’en trouvera nul pour les familles et constituera un coût pour les entreprises.

Pour conclure, nous sommes favorables à une révision des modèles économiques d’accueil de la petite enfance, qui se traduisent actuellement par un échec, à une révision de l’utilisation des fonds publics dédiés à la politique de la petite enfance, et à un investissement dans le développement des modes d’accueil. Je rappelle que la dynamique de la branche famille le permet et que l’investissement dont il est question concerne le bien-être des enfants, donc des adultes de demain, et qu’il ne pourra que bénéficier à l’emploi, qui constitue le meilleur outil de prévention de la pauvreté. Sortir de la précarité passe par le travail, mais encore faut-il donner aux parents la possibilité de travailler. Enfin, investir dans l’accueil des enfants favorisera l’égalité entre les femmes et les hommes.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Votre propos a répondu aux premières questions que je souhaitais vous poser, je vous en remercie.

Vous avez évoqué la nécessité de plafonner le reste à charge des familles à 500 euros par mois. Connaissez-vous le reste à charge moyen actuel, ventilé en fonction des différents statuts des établissements d’accueil ?

Nous n’avions jusqu’ici jamais entendu parler du déplafonnement de la PSU. Pourriez-vous développer ce point ?

Quant au besoin des familles en termes d’horaires de garde, plusieurs de nos auditions ont abordé la problématique des horaires atypiques, qui imposent des contraintes aux établissements d’accueil. Lorsque ces derniers acceptent de répondre à la demande, il s’avère que les inscriptions ne sont pas aussi nombreuses que l’attendu. Il est bien évidemment possible qu’un territoire présente peu de familles concernées, mais je peux fournir l’exemple de zones très commerçantes, dans lesquelles une demande d’ouverture de crèche le samedi avait été fortement exprimée, et s’étant finalement soldée par un faible volume d’inscriptions. Disposez-vous d’éléments concrets quant aux besoins en horaires de garde ?

De façon plus générale, dans votre dernier communiqué de presse, prenant appui sur plusieurs rapports, en particulier celui de l’Igas, des interrogations sont soulevées, notamment sur la pertinence du Cifam. Vous indiquez que le nombre de places doit augmenter, que le reste à charge des familles doit diminuer et que le taux d’encadrement doit être amélioré en renforçant l’attractivité du métier, pour enrayer la pénurie de professionnels. Face à ces nombreux enjeux contradictoires, proposez-vous des solutions concrètes ?

Mme Véronique Desmaizières, administratrice de l’Unaf département Parentalité-Enfance. Vos questions sont vastes. Si nous avions la science infuse, nous trouverions les solutions magiques. Comme vous avez pu le constater, énormément de problèmes se cumulent dans tous les domaines, et je ne pense pas qu’il soit possible de trouver une solution globale et immédiate. Il faut établir des priorités. Nous avons dressé la liste des problématiques rencontrées par le terrain, aussi bien par les gestionnaires de structures associativesque par les familles.

Concernant le reste à charge moyen dans les établissements PSU, il est estimé à 500 euros. Sur la base du nombre d’enfants accueillis, fourni par la Cnaf, une courbe de Gauss se dégage et établit une moyenne de salaires inférieure à 6 000 euros. Pour les autres moyens de garde, nous ne disposons pas toujours des chiffres nous permettant de calculer, à salaire égal, la dépense moyenne des familles. Personne ne peut donc répondre à cette question et cela est regrettable. Certains parents confiant leurs enfants à des assistantes maternelles voient leur facture grimper à 1 500 euros.

M. le président Thibault Bazin. Je ne comprends pas que l’Unaf ne dispose pas de ces données.

Mme Véronique Desmaizières. Non, parce que tous les parents n’acceptent pas de déclarer quelles sommes ils dépensent, et nous devons disposer de chiffres précis pour établir une moyenne fiable.

M. le président Thibault Bazin. Madame Leneveu a évoqué des données manquantes dans son propos liminaire. Pourriez-vous préciser vos besoins sur ce point ?

Mme Véronique Desmaizières. Au sein des microcrèches Paje, il est extrêmement difficile d’établir un coût moyen, à moins d’identifier les exonérations d’impôt réclamées par les parents, ce qui implique des calculs très complexes. Nous ne disposons pas du nombre d’heures réalisées par les familles au sein de ces structures, puisque les contrats d’accueil sont généralement signés à l’année, voire au mois. Or, certains parents peuvent n’utiliser qu’un petit nombre d’heures dans le cadre d’un travail à temps partiel : ils ne laissent pas leur enfant en garde cinq jours par semaine, tout en payant un accueil à temps complet. En revanche, les structures PSU appliquant le tarif de la CAF sont contraintes de fournir le nombre d’heures réalisées. Les caisses d’allocations familiales sont donc à même d’en dresser le bilan.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Je ne comprends pas quel est l’intérêt financierpour les parents d’opter pour une garde à temps partiel tout en payant un accueil à temps complet.

Mme Véronique Desmaizières. Nous sommes d’accord : quitte à payer un montant fixe, autant travailler davantage pour disposer des ressources financières nécessaires. Mais en dehors des microcrèches Paje, lorsque le taux d’effort est trop élevé, nous constatons une baisse de l’activité afin de réduire le nombre d’heures de garde. J’ai quelque peu mélangé mes propos, l’essentiel étant que nous ne disposons pas de données exhaustives.

Mme Guillemette Leneveu. Je confirme notre manque d’informations sur le coût et les heures, quels que soient les modes d’accueil. L’Unaf est forcée de raisonner sur la base de cas-types.

Mme Véronique Desmaizières. Concernant la PSU, actuellement, les familles paient les heures réellement effectuées. Mais cela exige des gestionnaires un travail colossal pour adapter les contrats aux absences constatées. C’est pourquoi nous demandons, dans le cadre de la révision de la PSU, que le remplissage des documents soit ramené à la demi-journée, afin de permettre aux personnels de crèches de passer davantage de temps auprès des enfants qu’à des tâches administratives.

Mme Guillemette Leneveu. À l’heure actuelle, le plafonnement PSU à partir duquel le prix est identique est établi à 6 000 euros par famille. Il est envisagé de passer ce plafond à 7 000 euros, avec la perspective de l’augmenter encore par la suite. L’argument selon lequel seuls les ménages les plus aisés seront impactés est discutable, car le plafond concerne les revenus du ménage. Je précise que ce projet n’est pas mentionné dans la COG État/Cnaf, mais qu’il fait l’objet de négociations, vraisemblablement avec Bercy. La proposition a été soumise au conseil d’administration de la Cnaf en fin d’année dernière. L’ensemble des administrateurs a réclamé un bilan de la consommation des crédits avant d’envisager une augmentation du plafond. Nous estimons en effet qu’il faut commencer par dépenser l’argent disponible, avant de rehausser la participation financière des parents. La question devrait être abordée à nouveau au mois d’avril, devant le prochain conseil d’administration de la Cnaf.

Mme Véronique Desmaizières. Concernant les horaires atypiques, il est clair qu’ils sont nécessaires. Mais avant d’adopter ces plages d’ouverture, il est essentiel de réaliser une étude de marché afin d’identifier la présence d’entreprises fonctionnant en horaires décalés. Certains territoires ne présentant pas suffisamment de structures de petite enfance ou de moyens de garde, assistantes maternelles incluses, il ne faut pas se lancer dans un tel projet sans s’assurer de sa tangibilité. Même dans les grandes villes, les établissements optant pour les horaires atypiques doivent veiller à ne pas se trouver trop éloignés des lieux de vie des familles. Il est évident que peu d’enfants feront l’objet de telles inscriptions dans chaque structure. De la même façon, les crèches à vocation d’insertion professionnelle permettent heureusement à des familles monoparentales en recherche d’emploi de trouver une place. Elles ne nécessitent pas non plus un grand nombre de places, mais la réponse à cette demande spécifique devrait être valorisée au niveau national.

Mme Ingrid Dordain (RE). En date du 23 octobre 2023, l’ancienne ministre des solidarités, Mme Aurore Bergé, a exprimé à Mme Marie-Andrée Blanc, présidente de l’Unaf, le souhait de renforcer le rôle des parents dans le système d’accueil des jeunes enfants. Elle vous a sollicités pour obtenir des recommandations concrètes et opérationnelles, visant à garantir à l’échelle individuelle une participation active des parents à la vie quotidienne du mode d’accueil de leurs enfants, et à renforcer à l’échelle collective la participation des parents dans la gouvernance de la politique d’accueil des jeunes enfants, tant au niveau départemental qu’au niveau national.

Nous sommes tous d’accord sur le fait que l’accueil/participation des parents dans la structure représente un élément clef de la bonne intégration de l’enfant, de son bien-être et de son bon développement. Ainsi, pour que l’accueil soit optimal et vertueux, vous affichez la volonté nationale de disposer d’un équivalent temps plein supplémentaire pour maximiser le bien-être des enfants, des parents et du personnel. Malheureusement, dans certains territoires, nous observons des disparités, résultant de fermetures de berceaux, voire de crèches, et d’un manque de personnel. Nous soulignons également les annonces de Mme Vautrin, ministre du travail et des solidarités, qui prévoit une augmentation de 100 à 150 euros nets par professionnel, dont le financement sera pris en charge à hauteur de 66 % par la branche famille de la Sécurité sociale.

Pensez-vous que l’ensemble des organisations lucratives et non lucratives pourra faire face aux 34 % de reste à charge sans impacter les familles ?

Pensez-vous que l’équivalent temps plein supplémentaire permettra de répondre aux difficultés massives de recrutement, liées au manque d’attractivité et de reconnaissance de ces métiers, ainsi qu’aux problématiques que vous rencontrez, notamment celle de garantir la pérennisation d’accueil des parents au quotidien et dans leur gouvernance ?

Mme Guillemette Leneveu. Nous avons soumis à Madame la ministre des propositions permettant aux parents de trouver leur place au sein des structures, telles que les conseils de parents, qui permettraient à ces derniers d’exprimer leurs interrogations par rapport au personnel, ou d’émettre des alertes. Nous avons rappelé qu’il existe déjà des organisations, au niveau départemental, accordant une place aux parents aux côtés des Udaf. Nous sommes favorables à l’ouverture des structures, aux initiatives renforçant la confiance, créant du lien et favorisant la communication. Nous espérons que des suites seront apportées à nos propositions.

Mme Véronique Desmaizières. En matière d’augmentation salariale, il me semble évident qu’elle est nécessaire et doit concerner tous les personnels de la petite enfance. À Paris, la majorité des professionnelles des EAJE est par exemple  assujettie à des trajets d’au moins une heure pour venir travailler et subit donc des déplacements éprouvants. Ces conditions de travail défavorables sont aggravées par des salaires très faibles et des loyers exorbitants. La plupart de ces professionnelles sont assez jeunes car, à l’approche de la cinquantaine, la fatigue et les problèmes de santé commencent à se faire jour.

La hausse de salaire de 100 euros pour les crèches municipales et de 150 euros pour le secteur associatif n’a pas encore été votée, et même si le conseil d’administration de la Cnaf se prononce favorablement, encore faudra-t-il que les conventions collectives suivent. Or, à l’heure actuelle, seules les conventions Alisfa seraient à même d’octroyer une augmentation rétroactive au 1er janvier 2024. Ainsi, un nombre considérable de personnels ne sera pas concerné par cette revalorisation.

Mme Ingrid Dordain (RE). Cela témoigne de l’inégalité qui sévit entre les salariés en fonction du statut de la crèche dans laquelle ils travaillent.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Suite au rapport de l’Igas, vous avez proposé de réformer le système des microcrèches Paje. Comment concevez-vous son remplacement ?

Mme Véronique Desmaizières. Nous ne souhaitons pas supprimer ce qui existe déjà et qui fonctionne bien. Néanmoins, il faut donner la possibilité aux familles de trouver un moyen de garde qui leur convienne, tant sur le plan financier que géographique. Il faut donc réduire les inégalités territoriales et sociales pour que toutes les familles, quel que soit leur profil, disposent d’une solution d’accueil.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Je remercie l’Unaf pour ses prises de position parfois (et à juste titre) critiques quant au modèle économique des crèches, qui ont d’ailleurs contribué à l’ouverture de cette commission d’enquête. Si j’ai personnellement déposé une résolution visant à créer une commission sur le sujet, c’était notamment parce que l’Unaf avait tiré la sonnette d’alarme.

Je souhaite m’assurer de ma bonne compréhension de deux critiques principales émises dans vos propos. Concernant le Cifam, vous relevez le poids élevé de son coût pour la puissance publique, tandis qu’il ne permet de mobiliser que peu d’argent privé : 80 millions d’euros ont été réellement dépensés par les entreprises, pour des dépenses publiques globales avoisinant les 15 milliards. Par ailleurs, vous dénoncez le fonctionnement des microcrèches Paje, dont le reste à charge pour les parents est élevé, et dont la rareté des données n’en permet pas la consolidation. En outre, ces structures coûtent cher à la puissance publique, eu égard aux défiscalisations pratiquées. Enfin, la qualité de l’accueil est remise en question, notamment en termes de qualification des professionnels, au regard de normes moins-disantes que celles imposées aux autres accueils collectifs. Je vous remercie de me confirmer que nous partageons l’ensemble de ce constat.

J’ajouterai un point personnel. Lorsque l’on émet des critiques, à juste titre, contre le Cifam et les microcrèches Paje, il faut aller au bout du propos : ce sont les acteurs privés lucratifs qui recourent à ces deux dispositifs. Par conséquent, la révision du Cifam et des microcrèches Paje doit passer par l’identification de leurs acteurs légitimes, que j’estime être les acteurs non lucratifs.

Quant au déplafonnement de la PSU, je n’en avais pas entendu parler. Si j’ai bien compris, il a fait l’objet de discussions au conseil d’administration de la Cnaf, mais sera réabordé au mois d’avril. Il s’agit là d’un sujet sensible, qui n’a pas été mentionné explicitement dans la COG, et que le gouvernement s’est bien gardé d’évoquer lorsqu’il a annoncé la création d’un service public de la petite enfance. Je me prononce en faveur d’un système de protection sociale universelle, et non pour un déplafonnement qui risque, à terme, de séparer les familles. Plus les ménages des classes moyennes et supérieures devront mettre la main à la poche, plus elles s’éloigneront du système de sécurité sociale et seront renvoyées vers le secteur privé. Je pense qu’il faut maintenir un coût modeste et commun à l’ensemble des familles, pour renforcer la sécurité sociale et établir un service public de la petite enfance pertinent. Apparemment, le gouvernement cherche à remettre cela en question. En tant que parlementaires, nous avons besoin d’être informés des discussions en cours et du programme envisagé.

Mme Guillemette Leneveu. Sur la question du déplafonnement, je vous suggère de lire la lettre électronique de l’Unaf : nous n’avons pas caché notre connaissance du projet. Nous avons alerté les ministres successifs à plusieurs reprises, mais peinons à nous faire entendre, car il est considéré comme normal que les couples biactifs dits « aisés » paient le service beaucoup plus cher que les ménages bénéficiant de moins de revenus. La question est de savoir comment les recettes dégagées seront utilisées. Pour rappel, le financement repose sur la branche famille, dont l’ensemble des crédits n’est pas consommé.

En ce qui concerne le secteur lucratif, nous estimons que c’est l’argent public qui constitue le cœur du problème. L’existence d’un système lucratif peut tout à fait être débattue, mais le nœud du problème reste le financement public et le retour sur investissement généré par le système en place. En outre, ce système a eu pour effet d’évincer la création de crèches en PSU, c’est-à-dire de structures financièrement accessibles. Les bilans quantitatifs de création de places de la dernière COG se sont révélés catastrophiques, démontrant que le système classique n’a pas fonctionné. Ce n’est pas tant l’existence du secteur lucratif qui pose problème, mais le fait qu’il ait pris toute la place. La dérive doit être rééquilibrée.

Mme Véronique Desmaizières. J’ajoute qu’il est facile pour une entreprise qui a de l’argent de s’implanter dans des zones où l’immobilier lui sied et d’investir de façon minime, la plus grosse part du financement étant assurée par les fonds publics. Transformer un local nu en bâtiment confortable pouvant être revendu facilement est compréhensible. Mais l’objectif est de construire des structures dédiées à la petite enfance. Le maintien de l’objet de l’établissement est certes passé de dix à quinze ans, mais le retour sur investissement attendu par les entreprises à but lucratif est quelque peu choquant au regard des fonds publics engagés.

Vous avez parlé de l’identification des gestionnaires. C’est à vous que cette tâche incombe. Notre rôle est de transmettre la parole des familles et de les défendre. Si vous découvrez qui se trouve derrière ces achats d’entreprises privées, libre à vous de le communiquer.

Quant aux structures Paje, elles s’accompagnent d’une problématique de mixité sociale. En effet, lorsqu’il est demandé à une famille de dépenser 1 500 euros par mois pour accueillir son enfant en établissement collectif, les parents en concluent qu’il est plus intéressant de recourir à la garde à domicile ou à la garde partagée, parfois moins coûteuse et exempte de la contrainte des horaires fixes. C’est pourquoi nous sommes favorables à la mise en place d’un tarif unique (adossé bien entendu au salaire), à la fois régulé et contrôlable, car les structures privées ne font actuellement l’objet d’aucun contrôle. La PMI donne son accord pour l’ouverture de l’établissement, mais par la suite, ce ne sont ni la ville ni la CAF, du fait de leur faible investissement, qui se trouveront légitimes à exercer un suivi annuel en termes de fonctionnement et de qualité d’accueil. Les crèches Paje ne disposent pas du même niveau d’encadrement que les autres structures. Elles ne sont pas dotées d’une infirmière ou d’une éducatrice de jeune enfant, mais de référents chargés de dix heures d’encadrement par an, ce qui n’équivaut même pas à une heure par mois pour une ouverture de dix mois dans l’année.

Mme Guillemette Leneveu. L’absence de contrôle est effectivement choquante. Certes, les structures concernées ne perçoivent pas de dotations de la part des communes ou de la CAF, mais bénéficient tout de même de financements publics par le biais des avantages fiscaux. Nous ne cherchons pas à fustiger certains modes d’accueil sur le plan de la qualité, mais nous estimons que tous les établissements devraient être contrôlés, même s’ils ne touchent pas de financements publics.

M. le président Thibault Bazin. Nous avons lancé un vaste questionnement de l’ensemble des PMI et des CAF quant à la mise en place de contrôles systématiques et inopinés. Nous sentons que, depuis quelques mois, les pratiques ont changé sous l’impulsion des alertes.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Je reviens sur les subventions de la CAF, et plus particulièrement celles portant sur l’investissement dans certains projets. Je peux faire part de nombreuses alertes émises par des administrateurs, notamment d’associations familiales, qui se sont opposés en vain à certaines subventions et s’interrogent sur la pertinence pour l’argent public de financer de l’immobilier. Par ailleurs, une autre méthode est utilisée, consistant à faire subventionner par la CAF les dépenses de fonctionnement, qui incluent le paiement d’un loyer très élevé à une SCI, dont les porteurs sont inconnus. Nous soupçonnons ces derniers d’être les mêmes personnes formulant les demandes de subventions.

Je pense que votre présence aux conseils d’administration des CAF est très intéressante pour les alertes qui pourraient être émises. Je ne doute pas que Monsieur le président et Madame la rapporteure, eu égard aux pouvoirs dont ils disposent, pourront investiguer davantage pour identifier les acteurs des montages financiers. C’est l’un de mes grands espoirs que de voir cette commission éclairer cette zone d’ombre.

M. le président Thibault Bazin. Nous le partageons.

 

La séance est levée à 19 heures.


Membres présents ou excusés

Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements

 

Réunion du mercredi 6 mars 2024 à 18 heures

 

Présents. - M. Thibault Bazin, Mme Ingrid Dordain, M. William Martinet, Mme Béatrice Roullaud, Mme Sarah Tanzilli

 

Excusé. - M. Thierry Frappé