Compte rendu
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements
– Audition de représentants de la Fédération française des entreprises de crèches (FFEC) : M. Jérôme Obry, président, et Mme Elsa Hervy, déléguée générale 2
Mardi 19 mars 2024
Séance de 16 heures
Compte rendu n° 20
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Thibault Bazin,
Président
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La séance est ouverte à 16 heures.
La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné les représentants de la Fédération française des entreprises de crèches (FFEC) : M. Jérôme Obry, président, et Mme Elsa Hervy, déléguée générale.
M. le président Thibault Bazin. Nous auditionnons aujourd’hui M. Jérôme Obry, président de la Fédération française des entreprises de crèches (FFEC) et Mme Elsa Hervy, déléguée générale de cette même fédération. Créée en 2006, la FFEC rassemble 1 100 entreprises, qui proposent des services d’accueil pour les jeunes enfants. D’après les chiffres de la FFEC, ces entreprises représentent près de 3 000 établissements et plus de 68 000 places de crèche ; elles emploient 28 000 salariés. La FFEC se donne pour mission « de promouvoir un mode d’accueil collectif de jeunes enfants par des entreprises privées » et « ne s’exprime que pour ses membres qui en sus de la réglementation strictement identique pour toutes les crèches publiques et privées, associations ou entreprises, ont choisi de s’appliquer une charte éthique rappelant leurs engagements notamment pour la bientraitance des professionnels de crèches et la qualité d’accueil des enfants ».
Il serait bon, Monsieur Obry, Madame Hervy, que vous explicitiez brièvement ces éléments de présentation avant que nous abordions ensemble les questions ayant trait au secteur des crèches, vos actions et vos propositions concernant la petite enfance. Cette audition, je le précise, est retransmise sur le site de l’Assemblée nationale et son enregistrement sera ensuite disponible à la demande.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Jérôme Obry et Mme Elsa Hervy prêtent successivement serment.)
M. Jérôme Obry, président de la Fédération française des entreprises de crèches (FFEC). Président de la FFEC, je suis également dirigeant de l’entreprise de crèches Rigolo comme la vie, basée à Roubaix. Comme beaucoup de mes confrères je ne suis pas devenu dirigeant de crèches par hasard, mais par conviction : quoi de plus motivant que de contribuer à la construction d’un être au cours de ses 1 000 premiers jours, si déterminants pour son futur. Tout le monde parle, à juste titre, de la planète que nous allons laisser à nos enfants ; moi je me demande quels enfants nous allons laisser à la planète. Tel est le sens profond de mon travail.
Je suis également convaincu que le secteur privé représente une solution pour accompagner l’État dans la transformation d’une filière en situation de blocage et de souffrance. Depuis plusieurs années, nous avons en effet prouvé notre capacité à intégrer, à former et à encadrer des équipes d’un métier résolument humain, à proposer des parcours professionnels apprenants et évolutifs, à motiver des investisseurs pour qu’ils financent de nouvelles crèches, à mobiliser des employeurs pour qu’ils s’engagent dans la petite enfance, à créer des référentiels pour objectiver la qualité et à optimiser les process pour diminuer la charge administrative au profit de la présence auprès des enfants.
En 2015, j’ai rejoint la FFEC, car comme le dit un vieux proverbe : tout seul, on va plus vite ; ensemble, on va plus loin. Dès cette époque, mes équipes et moi-même avons intégré les commissions de la fédération. Mais en 2017, un événement m’a particulièrement marqué : j’ai dû fermer une crèche fonctionnant en prestation de service unique (PSU) à Douvrin dans le Pas-de-Calais. L’employeur qui assurait plus de la moitié de l’équilibre économique de la crèche ne pouvait plus continuer de payer cette prestation. J’ai dû expliquer à une trentaine de familles que je ne pouvais pas durablement maintenir cette crèche ouverte sans ce réservataire. Ces familles, particulièrement impliquées dans la vie de la crèche où leurs enfants s’épanouissaient, m’ont proposé de passer à la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje), ce qui n’était pas possible. J’ai donc fermé une crèche d’à peine dix ans, pleine d’enfants et dont les parents s’étaient mobilisés pour trouver une solution, parce que la réglementation ne permettait pas la cohabitation de familles avec réservataire relevant de la PSU et de familles sans réservataire, relevant donc de la Paje. Après cet événement, en 2018, je me suis porté candidat et les adhérents m’ont élu administrateur de la fédération, avant de m’élire président de notre organisation en 2021.
Comme vous l’avez rappelé, notre fédération regroupe 3 000 établissements, 68 000 places de crèche, et 28 000 collaborateurs ; nous représentons un peu plus de la moitié des crèches privées. Je préside et représente avec fierté ce collectif d’entreprises, qui va des plus petites aux plus grandes : toutes sont visitées à leur entrée dans notre fédération, et toutes ont signé notre charte éthique, qui les engage en matière de qualité d’accueil, d’accompagnement et de satisfaction des enfants, des familles et des collaborateurs, des partenaires publics, institutionnels et privés.
Je vous ai fait part des raisons de mon engagement et de ce qui nous anime et nous rassemble au sein de notre fédération. Je conclurai en évoquant notre vrai combat, la rupture à laquelle nous devons tous œuvrer : arrêtons de considérer la petite enfance comme une dépense à administrer et transformons-la en un investissement durable, entièrement tourné vers l’enfant et sa famille, parfaitement lisible pour les parents, conjuguant équité sociale, économique et territoriale – à rebours de ce qui prévaut aujourd’hui. Voilà vingt ans, un pays d’Europe a créé un droit à un accueil de qualité, devenant opposable au plus tard au douzième mois de l’enfant, pour un prix prévisible avant sa naissance et plafonné à 130 euros par mois. Vingt ans plus tard, ce pays voit sa courbe de natalité repartir à la hausse, présente le taux d’emploi féminin le plus élevé d’Europe, se hisse de la 27e à la 7e place du classement Pisa (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) et connaît une forte baisse de l’échec scolaire. La France, nation pionnière de la politique familiale, doit mobiliser toutes les parties prenantes pour parvenir à ce que la Suède a réussi. Mesdames, messieurs les députés, vous avez le pouvoir et le devoir de nous fédérer autour de la petite enfance, en dépassant les querelles idéologiques, comme le font au quotidien l’immense majorité de nos professionnels auprès des enfants et des familles.
Mme Elsa Hervy, déléguée générale de Fédération française des entreprises de crèches (FFEC). Déléguée générale de notre fédération depuis septembre 2017, j’exerce à ce titre les fonctions de porte-parole et de responsable de plaidoyer et suis membre du comité de filière petite enfance, du comité partenarial petite enfance de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), du comité laïcité de la Cnaf et de tous les groupes de travail convoqués par le Gouvernement et les autorités. Je veille à répondre à chaque invitation adressée à la FFEC et vous remercie à nouveau de nous avoir conviés à vos travaux. Ma conviction profonde, après sept ans d’expérience professionnelle, est que les entreprises que je représente sont du même côté que vous pour agir concrètement et sur le temps long au service de la qualité d’accueil de la petite enfance. C’est ce qui fait leur fierté et la raison d’être de leur quotidien.
Jamais les adhérents de la FFEC ne m’ont demandé de dire qu’ils étaient parfaits, mais toujours ils m’ont demandé de parler fort, pour que toutes leurs équipes, dans les crèches, les micro-crèches et les sièges, entendent à la télévision que les professionnels de nos entreprises sont formidables de compétence, de professionnalisme, de dévouement aux enfants et aux familles, car ce n’est pas le statut juridique qui fait la qualité d’accueil.
Celle-ci repose sur quatre piliers, dont les équipes constituent le premier. Il y a sept ans lorsque j’ai commencé, la quasi-totalité des entrepreneurs avaient souligné l’impérieuse nécessité de donner du sens à ces métiers essentiels pour la France et m’avaient alertée : ils rencontraient déjà des difficultés à recruter et à fidéliser. On a, depuis, documenté la pénurie : il manque 10 000 professionnels ; quel qu’en soit le statut juridique, une crèche sur deux avait au moins un poste vacant au 1er avril 2022 ; une sur dix n’avait plus de directeur. Il faut décréter l’état d’urgence ; il faut former aujourd’hui les 10 000 professionnels qui nous manquent.
Des règles claires devraient constituer le deuxième pilier. Il y a sept ans, l’immense majorité des adhérents avaient évoqué leur manque de lisibilité et leur inquiétude permanente de n’être pas au fait de la dernière norme, surtout locale. Oui, je l’assume, je travaille au service des rares entrepreneurs de France qui vous demandent plus de normes, à condition qu’elles soient claires, objectives, et surtout nationales, publiques, exhaustives et opposables, en mettant fin aux multiples exigences locales. Ces normes doivent être les mêmes pour tous les enfants, pour tous les professionnels, et être contrôlées avec une égale vigilance dans toutes les crèches de tous les départements, sans distinction de statut juridique. Certains parlent des réformes du service public du dernier kilomètre ; pour ma part, je vous prie de bien vouloir accomplir celles de la dernière touche de clavier. Dans notre secteur, nous travaillons en effet avec des arrêtés manquants, parfois depuis plus de dix ans : nous attendons ainsi depuis 2007 l’arrêté déterminant le rapport annuel à envoyer aux services de protection maternelle et infantile (PMI) ; depuis 2012, l’arrêté interministériel relatif à la qualité nutritionnelle minimale des repas servis dans les crèches. Nous espérons que cette commission d’enquête donnera l’occasion de réarmer le métier de nos directeurs afin de leur permettre de passer plus de temps auprès des enfants, des familles et des équipes plutôt qu’à remplir des tableaux de contrôle qui diffèrent d’un département à un autre.
Le troisième pilier est la transparence pour les familles, les autorités et les gestionnaires. Moi-même mère de deux enfants, j’ai personnellement fait l’expérience de la nécessité de la transparence de la crèche au sujet des bobos. J’ai ainsi dû aller aux urgences faire suturer le menton de mon fils après un accident de toboggan à la crèche. Ma fille et mon fils en sont déjà revenus avec des traces de morsures, dont on refusait de m’indiquer l’auteur jusqu’à ce qu’on me dise qu’il s’agissait du frère ou de la sœur – mes enfants sont jumeaux. Mes adhérents demandent à aller plus loin en matière de transparence : s’il vous plaît, publiez les résultats de contrôle des modes d’accueil de tout statut juridique. Ces résultats montreront la volonté constante des entreprises de la FFEC de faire mieux pour les enfants, les familles et les professionnels.
Le quatrième et dernier pilier, c’est évidemment les moyens. La présidente du comité de filière petite enfance, Élisabeth Laithier, que vous n’avez pas encore auditionnée, le répète souvent : dans la petite enfance, on peut faire mieux et plus avec plus, mais il faut cesser de nous demander de faire plus avec moins. Voici le bilan de la convention d’objectifs et de gestion (COG) 2018-2022 : le Smic a augmenté de 13 % ; la PSU de 9 % ; le plafond des micro-crèches Paje de 0 %, fixé à 10 euros depuis 2016 ; et l’aide aux familles accueillies dans ces micro-crèches de 3,96 %. Alors que la branche Famille avait plus de 2 milliards d’euros par an d’excédent annoncé, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 les a donnés à l’Assurance maladie. Avec 2 milliards d’euros, vous pouviez au choix chaque année : créer 67 000 places de crèches à 30 000 euros la place ou embaucher 48 000 personnes au salaire médian de 2 600 euros brut. La France a donc bien théoriquement les moyens de financer les crèches à la hauteur de la qualité que vous, responsables publics, déciderez, de revaloriser les salaires des professionnels de la petite enfance à la hauteur des choix politiques que vous ferez, et même de construire ces 200 000 places de crèches et de former les 100 000 nouveaux professionnels qu’il nous faut en l’état des normes d’encadrement, ou d’en former encore plus si vous souhaitez améliorer ces normes.
À l’issue de vos travaux, j’espère sincèrement que vous appellerez à une loi de programmation pour la petite enfance, en pensant d’abord aux enfants et aux professionnels qui les accueillent, et que vous saurez convaincre le ministère de l’économie que l’intérêt supérieur de notre pays nécessite que nous nous donnions les moyens humains, matériels et financiers d’offrir un accueil de qualité à tous les enfants. Je reste disponible pour répondre à toutes vos questions et vous remercie à nouveau de l’existence de cette commission, qui met nos problèmes en pleine lumière et qui permettra aux crèches de tout statut juridique de progresser.
M. le président Thibault Bazin. Vous avez dit, monsieur Obry, que le secteur privé représentait une solution. Quel lien faites-vous entre le statut juridique des entreprises de crèche que vous représentez et la qualité d’accueil que vous défendez ? Votre fédération regroupe un très grand nombre d’entreprises. Des abus ont-ils été constatés dans certaines d’entre elles et, le cas échéant, ont-ils donné lieu à des procédures de la part de votre organisation ? Autrement dit : l’appartenance à votre fédération constitue-t-elle une garantie de qualité ?
Mme Elsa Hervy. Notre fédération est dotée d’une charte éthique comportant des engagements volontaires. Nous ne sommes pas un ordre professionnel mais une petite structure, employant seulement deux salariés. Nous n’avons donc pas de pouvoir d’inspection et de contrôle, que seules les véritables autorités – les services de PMI, les autorités des caisses d’allocation familiale (CAF), les maires, les employeurs – sont à même d’exercer. Depuis mon arrivée en septembre 2017, aucune procédure d’exclusion ou de sanction n’a été engagée : nous avons la chance de ne pas avoir rencontré de difficulté majeure avec nos adhérents.
Notre fédération soutient les efforts de ses adhérents visant à promouvoir la qualité d’accueil, notamment en les accompagnant dans la mise en œuvre des réformes, nombreuses ces dernières années. Pour cela, nous fournissons des kits, des procédures, des trames de protocoles et de contrats, des lettres types et tous les outils dont les adhérents nous font savoir qu’ils ont besoin. Nos six commissions de travail examinent ces besoins, en collaboration avec les adhérents et les salariés disponibles pour travailler avec nous, afin de produire les outils types, ensuite mis à leur disposition. Pour autant, notre fédération n’est pas un ordre professionnel.
M. Jérôme Obry. Je reviens sur le statut et l’organisation. Nous avons une cinquantaine de crèches, dont vingt-cinq maillent la métropole lilloise. Cela permet notamment de proposer des parcours professionnels apprenants et évolutifs à nos collaborateurs. Une personne qui commence comme animatrice d’éveil peut obtenir la validation des acquis de l’expérience (VAE), passer un diplôme d’État d’éducatrice de jeunes enfants (DEEJE), devenir adjointe, puis directrice de crèche. Cette pérennité constitue une véritable valeur ajoutée pour la qualité. Ce maillage permet également de mutualiser la formation, indispensable à nos métiers. Dans une ville de taille moyenne, avec une ou deux crèches, cela ne sera pas possible, peu importe le statut.
Cette organisation nous permet en outre d’assurer la mixité sociale : quand une ville réserve, par exemple, dix berceaux sur les vingt-cinq que compte un établissement, nous avons les compétences, grâce à notre taille, pour commercialiser les quinze autres. Ainsi, chez Rigolo comme la vie, nous gérons six crèches à Roubaix, dont la parfaite mixité fait ma fierté : soixante-seize berceaux publics, soixante-seize privés.
La qualité n’est donc pas liée au statut d’entreprise privée, mais à une cohérence dans la multiplicité.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Avant d’en venir au cœur de l’audition, je tenais à informer mes collègues des difficultés que je rencontre pour collecter des données. Je le rappelle, j’ai adressé à Départements de France un questionnaire concernant les modalités de mise en œuvre des compétences de protection maternelle et infantile (PMI) de tous les départements de France. L’association m’a répondu dix jours après mon envoi qu’elle refusait finalement de transmettre elle-même le questionnaire à l’ensemble des départements. Je déplore cette mauvaise volonté, confinant aux manœuvres dilatoires. Or répondre aux questions d’une commission d’enquête est une obligation légale. Je ne doute pas que ce malentendu sera levé lorsque nous recevrons les représentants de Départements de France, le 26 mars prochain. En attendant, j’ai dû adresser directement ce questionnaire à chacun des 101 départements de France sous forme de courrier papier.
J’en viens au sujet du jour. Merci à vous, monsieur Obry, madame Hervy, d’échanger avec nous. Ma première série de questions portera sur le secteur des crèches privées marchandes en général ; la seconde, plus spécifique, sur les activités de la FFEC.
Vous avez publié la semaine dernière les statistiques de l’année 2023 de vos entreprises adhérentes. Vous faites état de la création nette de près de 5 000 places de crèches en 2023. Vous appelez à une réforme de la PSU, qui permette de soutenir plus fortement le financement issu des tiers financeurs, mairies et employeurs. Vous dites : « le désengagement de certains, dû à leurs propres contraintes économiques [est] la première cause de fermeture de places » en PSU. Permettez-moi de m’interroger sur une partie de cette affirmation. Si je conviens de la nécessité de mieux accompagner les mairies, dont le reste à charge dépasse parfois très largement les 34 % du prix du berceau, je suis beaucoup plus circonspecte concernant l’accompagnement des employeurs, qui bénéficient de mécanismes très généreux de compensation de leur reste à charge par l’État, cette prise en charge pouvant aller jusqu’à 75 % du prix du berceau. Pouvez-vous expliciter vos propos à ce sujet ?
Vos critiques se concentrent sur la PSU et épargnent la Paje, pour quelles raisons ? Le mécanisme de financement des micro-crèches serait-il plus satisfaisant ? Je souhaiterais également connaître votre sentiment à propos d’une citation extraite d’un ouvrage paru à l’automne dernier sur les conditions d’accueil des très jeunes enfants en crèches : « Non, le secteur privé n’a pas le monopole des drames et des maltraitances graves sur enfants. Mais les centaines d’entretiens que nous avons menés nous ont en revanche confortées sur un point : ces dix dernières années, les principales alertes pour des suspicions de maltraitance, pour des accidents, pour des dysfonctionnements importants dans les crèches proviennent principalement du secteur privé lucratif. » Quelles réactions suscitent chez vous une telle affirmation ?
Mme Elsa Hervy. Nous avons en effet publié la semaine dernière les statistiques relatives aux créations de places par nos adhérents. Nous veillons à le faire tous les ans, au mois de mars. Cette année encore, nos adhérents ont créé 5 000 places nettes. Les créations l’emportent, malgré une progression des destructions de places en crèches PSU comme en micro-crèches Paje. S’agissant de ces dernières, nous attendons les conclusions d’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l’Inspection générale des finances (IGF). Toutes les réformes au bénéfice des micro-crèches étant suspendues à ces conclusions, nous sommes dans l’expectative, pour ne pas dire inquiets.
Concernant les crèches PSU, peut-être convient-il d’en rappeler brièvement le modèle. Quel que soit notre statut juridique, nous sommes tous soumis au même code de la santé publique. Qu’il s’agisse d’associations, d’entreprises ou de crèches municipales, les parents paient en fonction du quotient familial. Cela couvre en moyenne 15 % des coûts. Intervient ensuite le versement de la PSU, une prestation de service intelligente : quand nous accueillons des familles dites riches, nous recevons moins de PSU ; quand nous accueillons des familles dites pauvres, nous en recevons davantage. Ajoutée à ce que paient les parents, cette prestation couvre en théorie 66 % des frais ; malheureusement, cela ne couvre en réalité que 66 % d’un prix plafonné à 10,05 euros de l’heure. Fixé par Bercy pour cinq ans dans chaque COG, ce plafond est sans rapport avec le réel coût de la qualité d’accueil en France : d’après les mêmes barèmes nationaux des CAF, celui-ci s’élevait à 11,70 euros par heure en moyenne en 2023. Depuis des années, ce prix plafond décroche du coût réel. S’agissant de la réforme de la PSU, nous souhaitons donc que soit effectué un vrai travail sur le coût minimal de la qualité d’accueil – l’Igas l’a fait – et que ce dernier soit à l’origine du plafond, et non un tableau Excel préparé à Bercy.
Les crèches de tout statut ont encore 50 % de leurs coûts de fonctionnement à faire financer. Les crèches municipales auront le bonus territoire (BT) et, bien entendu, les impôts locaux des citoyens de la commune. Les crèches associatives recevront les subventions qui vous ont été décrites lors de précédentes auditions – les fameuses prestations de service en fonction de l’endroit où les enfants habitent, ou d’autres encore. Ces crèches associatives et les entreprises de crèche partagent enfin le modèle de la réservation de places, soit par les mairies pour les enfants de la commune, soit par des employeurs, publics et privés, pour les enfants de leurs salariés. Vous connaissez les contraintes financières qui pèsent sur les employeurs et les mairies, ces dernières, soumises au pacte de Cahors, cherchent, elles aussi, à baisser leurs dépenses. Le premier des employeurs réservant des places de crèche n’est autre que l’État. Or, pendant sept ans, on pouvait trouver dans le projet de loi de finances (PLF) un indicateur de performance visant à faire baisser le coût de la place de crèche. Il a été supprimé il y a deux ans seulement. Les entreprises, soumises à des difficultés économiques – d’autres acteurs que moi pourront vous le dire – cherchent, elles aussi, à réduire leurs coûts.
Il serait extrêmement vertueux qu’un indice public du coût de la qualité d’accueil serve de boussole pour guider la revalorisation de la subvention publique. Un tel indice fournirait en outre la clause d’indexation des marchés publics de réservation de places par les mairies ou par l’État-employeur, mais aussi des marchés privés. Faute de quoi, nos adhérents doivent négocier tous les ans les hausses de prix en démontrant la réalité de l’augmentation des coûts, inévitable du reste, ne serait-ce que du fait de l’augmentation annuelle du Smic et parce que l’inflation fait son œuvre.
M. Jérôme Obry. Les 75 % évoqués par madame la rapporteure supposent que l’entreprise fasse des bénéfices, puisqu’une part prend la forme d’une réduction sur l’IS et que l’autre, le Cifam, qui représente 50 % de la prise en charge, est imputé sur l’impôt sur les bénéfices. Une entreprise en difficulté renoncera souvent à ses berceaux. Embarquer les entreprises dans des engagements en faveur de la petite enfance n’est pas neutre.
Par ailleurs, les indépendants n’ont pas accès au Cifam. La Paje souffre également d’une forme d’iniquité sociale, puisque, pour deux jours et demi de garde par semaine, le reste à charge net est assez proche de la PSU, et donc supportable par tous, mais le quatrième et le cinquième jour, on passe de 1,50 euro ou 2 euros par heure à 9 ou 10 euros, ce qui est inabordable pour une majorité des familles.
Enfin, il n’existe aucune statistique sur les incidents. Nous attendons que des contrôles objectifs soient menés afin d’établir de vraies statistiques. En réalité, toutes les crèches sont concernées. À partir du moment où l’on respecte la réglementation de la PMI, ce que tout le monde fait, les incidents trouvent souvent leur origine dans l’équipe. Le plus important dans une crèche, ce qui fait la différence, c’est la qualité de l’équipe, son entente et sa solidarité, et non pas son statut. Arrêtons de mettre de l’idéologie dans tout cela. Nous avons un métier résolument humain.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. J’en viens aux questions relatives à vos activités de représentation d’intérêts.
Comment qualifieriez-vous vos relations avec les différents ministères chargés de la petite enfance durant ces dix dernières années ? Y avez-vous trouvé des appuis ou, au contraire, des résistances à vos demandes ? Ces dernières années ont vu de nombreuses réformes réglementaires. De quelle manière votre fédération est-elle intervenue dans ces processus – je pense notamment à la réforme Norma de 2021 ? On lit dans Babyzness que : « Quand des menaces ont plané sur l’existence du Cifam, comme en 2020 dans le projet de loi de finances 2021, les gestionnaires de crèches privées sont vite montés au créneau, se fendant de communiqués alarmistes annonçant la disparition de 80 000 places de crèche en France. La mesure n’a jamais vu le jour. » Qu’est-ce que cette citation vous inspire ? Dans quelle mesure la fédération que vous présidez a œuvré à éviter une telle réforme ?
Vous vous êtes félicitée de la création du service public de la petite enfance. Pourquoi cette mesure vous satisfait-elle ? Avez-vous entrepris des actions publiques ou non pour encourager les décideurs publics à l’entériner ? Si oui, sous quelle forme ?
Votre voix porte jusqu’au Parlement. J’ai d’ailleurs pu constater que des amendements proposés par votre fédération avaient été déposés par la quasi-totalité des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale. Comment intervenez-vous auprès d’eux ?
Dans quelle mesure êtes-vous intervenue auprès de la Cnaf et de son conseil d’administration dans le processus d’élaboration de la COG 2023-2027 ? Avez-vous, directement ou par le biais de représentants, exercé une influence sur sa rédaction ?
Depuis près de vingt ans, alors que cet objectif a été partagé par tous les gouvernements, le secteur privé marchand que vous représentez est le principal moteur de création des places de crèche. Cette nouvelle donne vous a nécessairement placés en position favorable pour faire valoir vos intérêts. Pensez-vous qu’il est juste de dire que vous vous êtes retrouvés, de fait, en situation de cogestion de la politique publique d’accueil du jeune enfant ?
Je souhaitais enfin vous interroger sur vos modalités de financement. J’imagine que ce sont vos adhérents, par le biais de leur contribution, qui financent votre fonctionnement. Pouvez-vous me le confirmer ? Comment est établie cette contribution ? Savez-vous comment vos adhérents, qui sont financés directement ou indirectement par des fonds publics, l’imputent dans leurs comptes ? Est-elle réimputée dans les comptes de chaque établissement d’accueil du jeune enfant (EAJE), en particulier par le biais des frais de siège, ou est-elle imputée sur le résultat avant impôts de vos adhérents ?
M. le président Thibault Bazin. Madame Hervy, je vous invite à répondre à chacune de ces questions de manière brève mais transparente.
Mme Elsa Hervy. Vous me permettrez de ne répondre que pour la période postérieure à septembre 2017, puisque je n’étais pas en poste avant. Les relations avec les ministères chargés de la petite enfance et les autorités sont toujours courtoises et constructives. Je veille systématiquement à répondre aux sollicitations et aux invitations. Dans le cadre des concertations, la logique n’est pas de nous montrer injonctifs, mais bien de proposer, le cas échéant, d’autres manières de faire.
Concernant la réforme Norma, la direction générale de la cohésion sociale a monté des groupes de travail, qui ont commencé à se réunir à l’automne 2018, de mémoire, pendant plus d’un an. Nous y avons fait valoir des positions et des propositions. Christelle Dubos, qui était secrétaire d’État chargée de la famille auprès d’Agnès Buzyn, a arbitré fin 2019. Une première ordonnance n’a pas été adoptée ; une deuxième l’a été en mai 2021.
Nous avons découvert au moment de la publication du projet de loi de finances pour 2020 qu’il était envisagé de borner le Cifam. Qui dit bornage dit perte de confiance des employeurs dans le dispositif. Comment peut-on dire à un employeur, qui s’engage dans une politique sociale de long terme, pour cinq, dix, quinze ou vingt ans, qu’il n’y aura peut-être plus de crédit d’impôt cinq ans plus tard ? Nous avons envoyé des mails et des communiqués de presse, demandé des rendez-vous à un certain nombre d’élus pour éviter le bornage de ce crédit d’impôt, en arguant qu’il fallait commencer par le début, soit l’évaluer enfin. Aujourd’hui encore, il faut passer par un formulaire téléchargeable en PDF sur le site des impôts, que vous envoyez par mail à votre direction des impôts et au ministère des solidarités ; mais personne ne traite ce document qui n’est toujours pas dématérialisé.
Du fait de l’épidémie de covid, l’inspection d’évaluation conjointe Igas-IGF, qui aurait dû avoir lieu dès l’année 2020, ne s’est faite qu’à l’été 2021. Vous ne les avez pas auditionnés, mais ce rapport de juillet 2021 démontre que le crédit d’impôt famille est vertueux, qu’il a un véritable effet de levier et que les employeurs dépensent 44 euros qu’ils n’auraient jamais dépensés sans lui.
De manière générale, nous veillons à ce que nos positions soient publiques. Il n’y a pas de notes blanches. Nous nous exprimons beaucoup par des communiqués, dont un certain nombre d’entre vous sont d’ailleurs destinataires. Nous avons soutenu dès son origine le principe du service public de la petite enfance que l’on a longtemps espéré appeler « service universel de la petite enfance », dans la mesure où son nom prête à confusion. Dès le début, les ministres ont parlé d’une universalité de ce service public, où tous les acteurs auraient leur place, y compris les assistantes maternelles, les gardes à domicile et les crèches privées. Mais on a persisté à l’appeler service public – dont acte. Nous sommes intervenus pour faire entendre notre voix, ne pas être oubliés et faciliter sa mise en œuvre pour tous. Dans le cadre de la loi pour le plein emploi, nous avons incité un certain nombre de sénateurs puis de députés à déposer des amendements, rendus publics par communiqués de presse, vous appelant déjà à faire ce qu’on vous appelle à faire aujourd’hui : des règles claires et objectives, publiques, nationales, exhaustives et opposables, avec les mêmes obligations de contrôle et de transparence, quel que soit le statut juridique de la crèche.
Je suis la seule représentante d’intérêts au sein de la fédération. J’interviens énormément par mail. Vous avez tous reçu après votre élection une lettre de félicitations de la fédération contenant nos onze propositions, et vous proposant de vous rencontrer. Certains ont accepté, d’autres n’ont pas eu le temps, d’autres ont répondu, certains m’ont conviée en m’envoyant de très longues questions, notamment M. le député Martinet. Nous avons un système de veille. Si l’un d’entre vous pose une question écrite au sujet des crèches, nous lui proposerons un deuxième rendez-vous ; et le dialogue se poursuivra ainsi. On enverra, lorsqu’on le juge opportun, des propositions d’amendements, en fonction de votre calendrier.
Sur la COG et les liens avec la Cnaf, ce n’est un secret pour personne : la fédération française des entreprises de crèches est adhérente du Medef, qui a six postes au conseil d’administration de la Cnaf. À la suite d’un appel à candidatures, la FFEC a proposé la mienne, ce qui fait que je suis administratrice de la Cnaf au titre du Medef depuis 2018. Quand je suis administratrice de la Cnaf, j’obéis aux consignes du Medef et non plus à celles de mes adhérents : je vote dans l’intérêt décidé par le Medef et selon les positions qu’il a choisies et qui ne sont pas forcément celles des adhérents de la fédération. En revanche, quand je suis déléguée générale de la fédération, j’ai des contacts réguliers avec les services de la Cnaf, dans le cadre soit du comité partenarial soit du comité laïcité, où je retrouve ma liberté de parole. Il est vrai que nous donnons notre avis, même si l’on ne nous le demande pas. Il nous arrive de faire des contributions spontanées, dans le cas de réformes dont on n’est pas informés.
Quant à l’influence que nous avons pu avoir sur la COG, nous avons fait valoir notre projet auprès des services de la Cnaf et de l’État, notamment dans le livret des onze propositions conçu en janvier 2022. Nous avons aussi sollicité les services de la Cnaf pour les rencontrer. Nous avions produit une note très détaillée sur les outils de la réforme paramétrique que nous proposions. Nous défendons le projet d’indice dont je vous ai parlé depuis 2023.
Nous ne sommes pas en situation de cogestion. Ce n’est pas du tout dans cet esprit que les autorités travaillent avec nous ; et tant mieux, puisque nos 51 000 places de crèches PSU et nos 17 000 places de micro-crèches Paje ne représentent que 14 % des 492 800 places de crèche. La cogestion est plutôt du côté des collectivités locales, qui sont gestionnaires de près de 60 % des places de crèche.
Enfin, concernant les modalités de financement, notre fédération est financée presque exclusivement par les adhésions. Les cotisations sont mentionnées sur notre site internet. Elles coûtent 500 euros par an jusqu’à 39 berceaux, 1 000 euros jusqu’à 99 berceaux, 3 000 euros jusqu’à 550 berceaux. Au-delà de 550 berceaux, c’est 5,50 euros le berceau. Sur les 198 bulletins que nous avons réalisés en 2023, la cotisation moyenne était de 2 344,25 euros. Quant à la manière dont elle est imputée par chacun des 198 adhérents, je ne suis pas en mesure de vous répondre.
M. le président Thibault Bazin. J’ai l’impression, madame Hervy, que vous suivez nos travaux. Vous commentez ce que nous devrions faire. Mais c’est tout de même à la rapporteure qu’il reviendra de formuler des recommandations. Nous auditionnerons très prochainement la mission Igas-IGF que vous évoquez. Le programme définitif des auditions n’est pas encore définitif, puisqu’il se complète au fil des réponses qui nous sont apportées.
M. Philippe Lottiaux (RN). Croyez-vous qu’il faille garder le système horaire de la PSU ?
La course à l’échalote des bas prix dans les marchés publics n’est-elle pas responsable d’une baisse de la qualité ? Comment des entreprises ont-elles pu continuer à fonctionner avec des prix dont on sait pertinemment qu’ils ne correspondent pas au coût réel du service ?
Le développement des micro-crèches est-il favorisé par la souplesse de leur modèle, aussi bien dans leur organisation que dans leur fonctionnement ?
Vous avez mentionné la question du déséquilibre financier. Qui voyez-vous mettre plus d’argent aujourd’hui ? La CAF ? Les collectivités ? Les parents ? Comment voyez-vous l’évolution des modalités de l’équilibre financier ?
Pensez-vous que, sur un plan financier, sans parler des problèmes de formation et de disponibilité du personnel, l’évolution des normes d’encadrement soit réaliste ?
Mme Elsa Hervy. Comme la plupart des gens que vous avez auditionnés, nous estimons que la PSU à l’heure n’est pas un bon système. Il est bien conçu pour les familles. Avant la PSU, on forçait des familles, qui n’avaient besoin que de trois jours de crèche, à en réserver cinq. Une subvention publique leur était versée pour ces cinq jours et la place n’était occupée que trois, alors que des centaines de milliers de familles n’en avaient pas. La logique de la PSU à l’heure, c’est d’inciter à l’occupation, ce qui n’est pas illégitime. Malheureusement, elle a des effets de bord aberrants.
Le prix plafond de la PSU a été fixé à 10,05 euros, sans aucun lien avec le coût de production d’une heure d’accueil de crèche qui est de 11,70 euros. Par ailleurs, on est parti d’un forfait qui couvrait environ dix heures de fonctionnement dans la journée, tout en sachant que les enfants viendraient entre sept et huit heures par jour. Ce forfait n’a pas été divisé par sept ou huit mais par dix. Depuis la création de la PSU à l’heure, tout le monde court après ces deux heures et ces enfants magiques qui viennent de sept heures à neuf heures et de dix-sept heures à dix-neuf heures, qui n’existent pas et n’existeront jamais. C’est ainsi qu’a été autorisé le système de la suroccupation pour compenser l’absence de ces enfants magiques. Dès le début, il aurait été possible de dire que c’était le juste coût payé au juste prix, celui de la qualité.
Parmi les multiples amendements que nous vous avons suggérés, à presque tous, lors de l’examen de la loi pour le plein emploi, nous vous proposions, si vous l’acceptiez, d’inscrire dans le code des marchés publics que le prix ne pouvait jamais être le critère principal d’une attribution. Cela me semble une garantie absolue. C’est aussi pour cette raison que nous avons agi auprès de Bercy pour que soit supprimé un indicateur du PLF dans le programme 148 : Bercy incitait l’ensemble des sections régionales interministérielles d’action sociale (SRIAS) à toujours choisir le prix le plus bas pour réserver les places de crèche pour les enfants des salariés des administrations de l’État. Pour nous, le prix ne peut pas guider à lui seul l’achat. Il est essentiel de définir la règle selon laquelle quand les coûts augmentent, les prix augmentent aussi. C’est pour cela que je vous appelle une troisième fois à la création d’un indice public du coût de la qualité d’accueil en crèche.
Les micro-crèches bénéficient d’un statut un peu plus souple dans le code de la santé publique, mais c’est de moins en moins vrai. Le mouvement de fond est de leur imposer les mêmes exigences qu’aux autres. Elles ont le même référentiel bâtimentaire que les grandes crèches, elles ont un référent santé et accueil inclusif, une équipe de direction adaptée à leur petite taille. En matière d’organisation, elles ont finalement assez peu de souplesse par rapport à des crèches classiques. La force de la micro-crèche, c’est son modèle économique, qui ne nécessite pas de tiers réservataire. Ce sont les parents qui la financent et qui seront aidés a posteriori par le complément de mode de garde (CMG) de la CAF. Pour un enfant de parents gagnant l’équivalent de 2 SMIC accueilli en crèche PSU, la dépense publique cumulée sera de l’ordre de 1 600 euros par mois. La dépense publique pour un enfant accueilli en micro-crèche Paje sera de l’ordre de 800 euros par mois. Dès lors que l’on exige la même sécurité et la même qualité d’accueil minimale, ce qui est normal, dans une micro-crèche Paje que dans une crèche PSU, si le soutien public n’est pas équitable, il faut bien que quelqu’un paie et, dans ce cas, ce sont les parents.
Pour ce qui est de l’équilibre financier, quand la sécurité sociale a été créée, la branche Famille visait à instaurer une solidarité entre ceux qui ont des familles et ceux qui n’en ont pas, pour soutenir la politique familiale et la natalité. Il n’est pas normal d’avoir 2 milliards d’euros par an qui disparaissent et que les excédents de la branche Famille servent à combler un autre trou d’une autre branche. Cet argent devrait être dépensé conformément à son objet : au bénéfice des familles.
Enfin, s’agissant des normes d’encadrement, à la fédération, nous partageons la volonté d’améliorer les taux d’encadrement. Mais, soyons réalistes, c’est actuellement une utopie absolue. Notre urgence, c’est de faire que tous les postes soient pourvus dans les crèches existantes ; c’est de former les 10 000 professionnels qui manquent ; et d’avoir une vraie gestion prévisionnelle, qui n’a jamais été faite, des emplois et des compétences, pour anticiper les départs à la retraite. Il faut poser le principe que, pour trois places de crèche créées, on forme au moins un nouveau professionnel. L’urgence actuelle n’est pas d’améliorer le taux d’encadrement mais de ne pas fermer ce qui existe et de former des gens en nombre suffisant. Améliorer le taux d’encadrement, dans l’absolu, nous y sommes bien évidemment favorables. Mais il faudra s’en donner les moyens, sans quoi cela restera une utopie ou cela risquera de mettre des dizaines, des centaines, probablement des milliers de crèches en situation d’échec, parce qu’elles ne seront pas en mesure de respecter ces nouvelles normes.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Je vous remercie d’avoir répondu à notre convocation. Il était très important de pouvoir discuter avec le lobby des crèches privées, qui est un secteur en très fort développement. Ces crèches privées lucratives ont un modèle économique qui repose essentiellement sur la subvention publique, qu’elle provienne directement ou indirectement de la Caf, du crédit d’impôt famille ou de la réduction de l’impôt sur les sociétés des entreprises achetant des berceaux. Votre modèle économique étant particulièrement déterminé par les politiques publiques, on se doute bien que votre action de lobbying doit être intense.
Les entreprises de crèche que vous représentez fonctionnent avec de l’argent public. Or l’administration nous a appris que certaines ont des niveaux de profitabilité extrêmement importants, puisque 5 % d’entre elles dépassent 25 % de taux de profit. Pensez-vous qu’il soit normal, pour des entreprises dont le chiffre d’affaires provient majoritairement de subventions publiques, d’avoir des taux de profit aussi importants ?
Mme Elsa Hervy. Globalement, les entreprises de crèches ne sont pas sur-rentables : il n’y a pas de surcalibrage du financement public. En moyenne, leur rentabilité s’élève à 6 %. L’évaluation de l’Igas et de l’IGF de 2021 montre qu’un quart des entreprises de crèches ont une rentabilité négative, qu’un autre quart d’entre elles ont une rentabilité supérieure à 14 % et que 5 % ont une rentabilité supérieure à 25 %. Ces chiffres ne proviennent pas de données théoriques issues de budgets prévisionnels, comme ceux de l’Igas et de l’IGF de 2017, mais émanent de l’administration fiscale, qui a contrôlé les numéros Siret de nos adhérents.
Nous avons nous aussi été surpris par ces chiffres. J’ai demandé à ceux de nos adhérents qui étaient concernés de m’apporter des explications, ce qu’ont fait environ 5 % d’entre eux. La rentabilité peut parfois paraître élevée, en pourcentage, mais on parle de petits chefs d’entreprise qui ne se versent pas de salaires et choisissent de se payer en dividendes à la fin de l’année. On parle d’entreprises qui ont une rentabilité de l’ordre de 25 % mais dont le bénéfice n’excède pas 60 000 euros. Plutôt que de payer 45 % de charges sur leur salaire, leurs dirigeants choisissent de se priver de leurs droits sociaux et de se payer en dividendes, lesquels sont assujettis à la flat tax de 30 %.
La mission Igas-IGF sur les micro-crèches a mené une nouvelle enquête très complète et a pu obtenir la liste des Siret, fournie par la Cnaf, de toutes les entreprises de crèches adhérentes et non adhérentes de la fédération. Elle est censée avoir regardé leur rentabilité à partir des données de Bercy. Elle devrait être en mesure de répondre précisément à vos questions si du moins elle publie ces éléments avant la fin des travaux de votre commission d’enquête.
M. le président Thibault Bazin. Autrement dit, les entreprises de crèches ayant un taux de rentabilité élevé privilégient, pour des raisons fiscales, le versement de dividendes à leur gestionnaire « bénévole ». Dans les entreprises ayant une rentabilité moindre, en revanche, le gestionnaire se verse un salaire. Pouvez-vous nous transmettre des éléments sur ces différents modèles, y compris les cas types que vous évoquiez ?
Mme Elsa Hervy. Je m’efforcerai de vous les communiquer, à condition toutefois que la mission Igas-IGF sur les micro-crèches, qui nous a promis d’établir ces cas types, ne l’ait pas déjà fait. Je ne voudrais pas vous fournir quelque chose qui serait certainement moins bien fait que ce que pourraient établir les inspections générales sur la base des chiffres officiels.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Si je vous ai bien suivie, les entreprises de crèches dont les taux de profits sont très élevés – en particulier celles dont la rentabilité excède 25 % – sont de petites structures. Elles se différencient donc en cela des Big Four, comme on les appelle parfois, à savoir Babilou, People&Baby – qui n’est pas un adhérent de votre fédération –, Les Petits Chaperons rouges (LPCR) et La Maison Bleue, qui, nous dites-vous, n’ont pas un niveau de profitabilité très élevé. Vous avez dit à plusieurs reprises – vous me l’aviez déjà indiqué lorsque nous nous étions rencontrés il y a quelque temps – que ces quatre entreprises ne versaient pas de dividendes à leurs actionnaires. Pouvez-vous me confirmer ces propos ?
Mme Elsa Hervy. Je vous confirme que les trois adhérents de ma fédération que vous avez cités ne font pas partie de ceux dont la rentabilité excède 25 % – au contraire, dirais-je. Ils pourront vous donner les chiffres détaillés lors de leur audition de demain. Par ailleurs, lorsqu’on s’est vu le 20 octobre 2022, vous m’aviez demandé quel était le montant des dividendes versés par les trois adhérents précités au cours des trois dernières années. Je vous ai dit la vérité, à savoir zéro, et je vous redis zéro, sous serment, aujourd’hui.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Je prends note de votre réponse, qui m’étonne, car il me semblait que le capital des groupes en question était détenu par des holdings créées par des fonds d’investissement. À titre d’exemple, le fonds d’investissement Antin Infrastructures Partners a créé une holding pour racheter Babilou. Vous nous dites donc qu’il n’y a pas eu de transferts financiers depuis trois ans entre Babilou et cette holding, qui est son actionnaire principal. Je le note. Nous aurons l’occasion de reposer la question à cette entreprise demain. N’hésitez pas à me corriger si j’ai mal interprété vos propos.
Par ailleurs, madame Hervy, vous êtes une femme de conviction, avec des convictions politiques sans doute à droite. Vous avez été, en 2002, assistante parlementaire d’un député de l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP), avant de travailler à l’UMP puis dans plusieurs cabinets ministériels, notamment ceux de M. Brice Hortefeux et de M. Christian Estrosi. Vos affinités avec la droite – et c’est votre droit – semblent se poursuivre puisque nous avons appris par la presse spécialisée qu’Aurore Bergé, alors ministre des solidarités, avait cherché à vous recruter comme directrice de cabinet, proposition que vous auriez refusée. Je suis étonné que cette information ait fait si peu de bruit. Si le ministre du travail tentait de recruter le délégué général du Medef comme directeur de cabinet, cela ferait la une des journaux et on en débattrait mais, dans le monde de la petite enfance, on en discute un peu moins. Madame Hervy, confirmez-vous que vous avez été approchée par Mme Bergé ou par son entourage pour occuper la fonction de directrice du cabinet de la ministre ?
Cette information éclaire sous un jour différent l’attitude qu’a adoptée Mme Bergé dans ses fonctions gouvernementales, notamment à la suite de l’affaire terrible du décès d’une petite fille dans une crèche People&Baby et de la publication, au même moment, du rapport de l’Igas. Il y avait des décisions politiques fortes à prendre vis-à-vis du secteur privé. Lorsque Mme Bergé était ministre des solidarités, quels échanges aviez-vous avec elle hors du cadre officiel, en dehors de ses fonctions gouvernementales et des communications de la FFEC ? Sur quoi portaient ces échanges ? Avez-vous évoqué la question des entreprises de crèches et de l’actualité qui les concernait ?
Mme Elsa Hervy. Monsieur Martinet, le 20 octobre 2022, vous m’avez demandé quel montant de dividendes avait été versé par les trois adhérents de notre fédération au cours des trois dernières années. Je répète ma réponse : zéro. Je n’ai pas eu d’autres informations que celle-là. J’ai répondu précisément à une question qui ne l’était pas moins. Je ne connais pas le fonctionnement financier interne de chacun des 191 adhérents de la fédération.
S’agissant de Mme Bergé, vous contribuez à faire circuler cette rumeur bien que la ministre et moi-même l’ayons démentie dans la Lettre A. Ce n’est pas parce que vous la répétez inlassablement qu’elle devient la vérité. Non, il ne m’a pas été proposé d’être la directrice de cabinet d’Aurore Bergé.
Par ailleurs, à l’époque du drame de Lyon et de la publication du rapport de l’Igas, Mme Bergé était encore députée et présidente du groupe Renaissance : c’était Jean-Christophe Combe qui était ministre des solidarités. Aurore Bergé lui a succédé à l’été 2023 et a piloté la loi pour le plein emploi et le service public de la petite enfance.
Avec Aurore Bergé, nous nous connaissions déjà, nous échangions des SMS régulièrement. Elle s’est rendue à l’assemblée générale de la fédération. Il m’est arrivé de lui relayer les communiqués de presse qu’elle avait pu voir par ailleurs, mais il s’agissait des mêmes communications que celles que j’avais avec son cabinet.
Mme Anne Bergantz (Dem). Je suis convaincue de l’importance du recrutement pour pérenniser les places existantes et la connaissance fine des besoins dans les territoires. Dans vos communiqués et vos avis, vous avez affirmé la nécessité d’un meilleur recensement des créations et des suppressions de places ainsi que des besoins de nouveaux professionnels de la petite enfance aux différents échelons locaux. Vous avez également signalé que les régions n’avaient augmenté que de 7 % les places de formation entre 2011 et 2021, alors que, dans le même temps, le nombre de places de crèches progressait de 31 %. On a un peu de mal à comprendre comment l’harmonisation des formations s’articule avec les besoins des territoires. Échangez-vous avec les régions sur ce point ? Comment, selon vous, fixer des objectifs de formation des professionnels et de création de places d’accueil adaptés à la réalité ?
Quel avis portez-vous sur la suppression possible des horaires atypiques dans les micro-crèches Paje et sur la révision éventuelle du taux d’encadrement, qui est, me semble-t‑il, d’un professionnel pour trois enfants ?
Mme Elsa Hervy. Nous avons beaucoup relayé les chiffres que vous avez cités, mais ils nous ont été fournis par l’Igas, dans son rapport d’avril 2023. Pour la première fois, à l’échelon national, quelqu’un a compté le nombre de places de crèches créé – lequel a augmenté de 31 % entre 2011 et 2021 – et le nombre de places ouvertes dans les écoles d’éducateurs de jeunes enfants et d’auxiliaires de puériculture, qui n’a progressé, respectivement, que de 7 et 22 %. C’était un peu la chronique d’une pénurie annoncée, que l’ensemble des acteurs dénonçaient déjà. Nous étions nombreux à alerter – dans les secteurs privé, public, associatif et au sein des associations de professionnels – sur le fait que, depuis des années, nous avions le sentiment que l’on ne formait pas assez. Les chiffres de l’Igas nous ont donné raison.
Un plan d’urgence devrait définir des objectifs. L’enquête sur la pénurie de professionnels menée en avril 2022 détaille, pour chaque département, le nombre d’éducateurs de jeunes enfants de catégorie 1 et de postes de direction manquants. Cela devrait être le guide pour l’action des régions. Nous avons écrit à chaque président et présidente de région pour leur demander si, compte tenu de ces chiffres, ils allaient augmenter les places en urgence. Certains nous ont répondu.
Dans la loi pour le plein emploi, vous avez prévu un recensement des besoins dans le cadre des schémas communaux des services aux familles. Nous espérons que nous échapperons aux difficultés que l’on rencontre habituellement en la matière. En effet, dans le domaine de la petite enfance, il est fréquent que les collectivités emploient des modes de calcul divergents, ce qui empêche la comptabilisation à l’échelle de la région. Celle-ci répond alors généralement qu’elle n’est pas en mesure de cerner les besoins. Nous sommes persuadés qu’il faut une grille nationale, publique, exhaustive, opposable de recensement des besoins, qui pourrait être instituée par un arrêté ministériel. Nos directeurs pourraient envoyer une fois par an leurs besoins en personnel à toutes les autorités, mais, de grâce, ne leur demandons pas de les communiquer à des dates différentes à la mairie, à la CAF, au département, etc.
Depuis leur création, les micro-crèches bénéficient d’une dérogation leur permettant d’accueillir, avec une seule professionnelle, jusqu’à trois enfants en début et en fin de journée. Cette dérogation a été étendue à toutes les crèches de France entre le 13 mars 2020 – début du covid – et le 31 juillet 2022, après le meurtre de Lyon. Avant que ne survienne ce drame, il avait été envisagé de généraliser cette possibilité, en tout début et en toute fin de journée, afin d’accroître l’offre des services aux familles et les horaires atypiques. Si cette faculté est supprimée, l’amplitude horaire d’ouverture des micro-crèches sera réduite, puisque leur modèle économique ne permet pas d’avoir deux salariés présents avec un seul enfant.
Mme Anne Stambach-Terrenoir (LFI-NUPES). En 2017, un rapport de l’Igas établissait un calcul théorique du taux de rentabilité des micro-crèches à partir de l’étude d’échantillons. Il estimait qu’en recourant à tous les financements à leur disposition, ces entreprises pouvaient atteindre un taux de rentabilité de 30 %. On comprend bien que cette information ne sert pas vos intérêts puisqu’on peut déduire de ce niveau de profit élevé que les entreprises que vous représentez perçoivent trop d’argent public. La FFEC a donc contesté ces chiffres et a chargé le cabinet Ernst & Young de réaliser une étude sur la question, après lui avoir fourni des éléments non publics de comptabilité d’entreprise. Ernst & Young a estimé que le taux de rentabilité nette se situait entre 1 et 3 % sur la période 2014-2016.
Toutefois, la fiabilité de cette étude a été mise en cause par la mission Igas-IGF d’évaluation du crédit d’impôt famille (Cifam) de 2021, qui écrit « Le cabinet Ernst & Young a toutefois indiqué ne pas engager sa responsabilité sur ces estimations fournies pour le seul usage interne de la FFEC sur le fondement des données communiquées ». La mission ajoute que ces chiffres ne concordent pas du tout avec l’estimation à laquelle elle s’est livrée à partir d’un échantillon d’entreprises adhérentes de la FFEC, sélectionnées dans la base Fare, qui est le fichier des données comptables des entreprises. Je cite encore : « La mission relève que l’échantillon analysé par Ernst & Young n’apparaît pas cohérent avec celui étudié par la mission. »
Ma question sera directe : avez-vous bidonné l’enquête d’Ernst & Young et, ainsi, tenté de minimiser les profits réalisés par les entreprises de crèches sur le dos de l’argent public ?
Mme Elsa Hervy. Non, à la FFEC, on ne bidonne pas les enquêtes, les statistiques et les chiffres. En revanche, il peut y avoir des erreurs méthodologiques, des biais. Cette enquête a été réalisée en urgence. Nous avons demandé à nos adhérents d’envoyer leurs comptes consolidés et avons chargé Ernst & Young de procéder à un retraitement de ces comptes afin d’estimer la rentabilité hors subventions et avec subventions. À l’époque, nos adhérents avaient déjà des systèmes de comptabilité différents, ce qui a pu faire apparaître des différences. Cela étant, la mission Igas-IGF de 2021 considère que les définitions établies par Ernst & Young étaient correctes et constate, comme le relevait Ernst & Young, qu’un quart des entreprises de crèches connaissent une rentabilité négative.
M. Jérôme Obry. Dans l’étude de l’Igas de 2017, la rentabilité de 30 % n’avait pas été calculée sur la base de résultats réels mais à partir de budgets déposés. Entre un budget déposé auprès de la CAF pour obtenir des subventions et les résultats de l’activité, il peut y avoir des écarts. L’étude comporte un biais, à cet égard.
Mme Anne Stambach-Terrenoir (LFI-NUPES). Madame Hervy, j’entends qu’il peut y avoir des erreurs et des biais, mais vous confirmez que les résultats de l’étude d’Ernst & Young ne sont pas fiables en l’état ?
Mme Elsa Hervy. Je confirme qu’il faut toujours croire l’Igas et l’IGF, qui ont davantage accès à des données fiables. Pour notre part, nous avons demandé à nos adhérents d’envoyer leurs documents comptables, qui n’étaient pas forcément normés. Il s’agissait parfois de documents de groupe, parfois d’agrégats de documents. L’Igas et l’IGF ont forcément davantage raison qu’Ernst & Young, à qui on a demandé de travailler en moins de six semaines sur la base des documents qui étaient disponibles à l’époque.
Je voudrais revenir sur le rapport Igas-IGF de 2017. Ces institutions sont toujours transparentes sur leur méthodologie. Elles ont travaillé sur 32 dossiers de demande de subventions d’investissement comportant un budget prévisionnel, alors qu’à l’époque, il existait au moins 4 000 micro-crèches : le nombre de dossiers disponibles comportant des budgets d’investissement était donc bien supérieur. Bizarrement, dans tous ces dossiers, il y avait des places réservées pour les employeurs, ce qui ne correspondait pas du tout à la réalité des micro-crèches Paje qui, en majorité, n’affectent pas de places aux employeurs. Par ailleurs, la mission Igas-IGF a décidé que, dans ces micro-crèches, tous les parents payaient 10 euros de l’heure. Or, la Cnaf a montré un an plus tard qu’en réalité, les parents paient, en moyenne, 7,62 euros de l’heure. Nous avons donc contesté et continuons à contester les calculs théoriques de 2017.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Vous nous avez fourni un document très complet, mais je commence à avoir un petit doute sur sa fiabilité, puisque vous nous avez parlé de biais méthodologiques. Je m’appuierai donc plutôt sur les données de l’Igas. En 2016, Ernst & Young a réalisé une étude pour la Cnaf, dans laquelle il démontrait que l’introduction du privé n’avait nullement permis à l’État de faire des économies, contrairement à ce que vous affirmez dans votre document publicitaire. Je cite cette étude : « Le prix de revient réel moyen est plus élevé si le gestionnaire est une entreprise privée que si le gestionnaire a un statut associatif ». Le surcoût indiqué est de 25 %. L’étude ajoute : « Pourtant, les salaires du personnel y sont en moyenne plus faibles que pour un gestionnaire associatif ». Pouvez-vous nous expliquer cette différence de coûts ? Pourquoi les salaires sont-ils plus bas chez un gestionnaire privé que chez un gestionnaire associatif ?
Dans son enquête de 2017, l’Igas relève également un surcalibrage des financements publics. Vous nous dites de nous fier aux données de l’Igas, mais vous dites tout le contraire dans les documents que vous nous avez remis.
Il doit être assez compliqué pour vous de gérer votre double casquette de membre du conseil d’administration de la Cnaf au titre du Medef et de déléguée générale de la FFEC. J’entends bien que, d’un côté, vous agissez en vertu d’un mandat administratif et que, de l’autre, vous exercez votre métier, mais cela ne vous place-t-il pas dans une situation tellement compliquée – ne parlons pas de conflit d’intérêts, le mot pourrait être insultant pour vous – que, parfois, vous cherchez à faire converger ces deux activités au lieu de faire primer l’intérêt général ? Peut-être vous arrive-t-il de préconiser des solutions qui ne sont pas les plus intéressantes, au sein de la Cnaf, parce que vous êtes placée dans une forme de contradiction ? Voilà plusieurs années que cela dure. Ne vous dites-vous pas, parfois, que le plus simple serait de mettre un terme à cette situation et de clarifier les choses ?
La séance est suspendue de dix-sept heures vingt-cinq et reprise à dix-sept heures trente-cinq.
Mme Elsa Hervy. Je vous recommande de vous fonder sur les conclusions du rapport Igas-IGF de 2021, qui porte sur des liasses fiscales et des données réelles plutôt que sur des extrapolations de théories à partir de budgets prévisionnels établis en 2017. Ernst & Young a en effet réalisé une étude en 2016 pour la Cnaf sur les comparaisons des prix de revient par statut juridique. À l’époque, je n’étais pas encore déléguée générale de la fédération mais mes administrateurs m’ont indiqué qu’ils ont contesté la méthodologie employée. En effet, pour le calcul du prix de revient, un certain nombre de coûts n’étaient pas pris en compte dans les structures publiques et associatives. Les structures publiques, en règle générale, ne comptabilisent pas la valeur locative du bâtiment dont elles sont propriétaires, ni le fait que l’entretien de la crèche et du jardin extérieur peut être fait par les services municipaux. En revanche, toutes ces dépenses sont tracées, à un moment ou à un autre, et payées par les entreprises de crèches. Cela explique la différence de prix de revient de la place, qui est une réalité.
La Cnaf pourra vous donner des chiffres à jour. Les derniers chiffres dont je dispose remontent à 2016 ; à l’époque, le prix de revient par place et par an dans les entreprises de crèches était de l’ordre de 17 500 euros, soit 12 % – 2 000 euros – de plus que la moyenne des crèches de France. Le prix de revient par heure était de 10,26 euros en 2016, soit seulement 2 % de plus que la moyenne, ce qui s’explique par le fait que, dans les entreprises de crèches, structurellement, nous proposons plus de places aux familles et laissons moins les places vides le mercredi et le vendredi. En moyenne, nous réalisions, en 2016, 12 % d’heures de plus que la moyenne des autres crèches.
Les crèches municipales, les crèches associatives et les entreprises de crèches évoluent dans des cadres socio-fiscaux complètement différents. Le salaire médian brut, en France, s’élève à 2 600 euros. Dans le public, où on paie moins de charges, le salaire net est de 2 161 euros ; dans une association ou une entreprise, où on verse plus de cotisations salariales, le salaire net n’est que de 2 016 euros. Côté employeurs, les entreprises de crèches sont les seules structures du secteur à payer la taxe sur les salaires. Les crèches publiques ne la paient pas. Les associations, dans notre secteur, emploient moins de cinquante salariés, ce qui leur permet de bénéficier d’un crédit de taxe sur les salaires et, in fine, de ne pas la payer. Seules les associations de plus de cinquante salariés la versent. En moyenne, pour un salaire brut de 2 600 euros, le coût sera de 3 200 euros, en moyenne, pour l’association employeur, et d’environ 3 600 euros pour l’entreprise. Les entreprises adhérentes de notre fédération ne s’opposeraient aucunement à ce que la somme qu’elles versent au titre de la taxe sur les salaires change de colonne pour abonder le salaire net de leurs salariés.
Enfin, puisque vous vous préoccupez de mon bien-être au travail et de la conciliation de mes missions d’administratrice de la Cnaf et de déléguée générale de la FFEC, je vous confirme que je vais bien et que je parviens à scinder les questions et les intérêts. Je ne crois pas avoir manqué de loyauté ni à l’une ni à l’autre de ces missions. Le Medef a fait pour ses adhérents le choix d’une totale transparence et a décidé d’appliquer au sein du conseil d’administration de la Cnaf des règles de déport encore plus strictes que celles auxquelles nous oblige la loi. Je suis ainsi déportée de tous les sujets ayant, de près ou de loin, un rapport avec les crèches.
Du reste, je ne suis pas la première administratrice de la Cnaf que vous auditionnez, puisque vous avez déjà entendu Mme Véronique Desmaizières pour l’Union nationale des associations familiales (Unaf). Ce qui s’applique à moi devrait s’appliquer aussi à elle. Nous sommes riches des apports de l’Unaf, qui gère aussi des crèches associatives, et l’expertise que nous acquérons dans nos métiers peut enrichir les débats d’une délégation. Vous avez également auditionné la présidente des crèches associatives du Grand-Est, qui est par ailleurs vice-présidente de la CAF au titre de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), dont l’expertise a également du sens au sein du conseil d’administration de la CAF.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). À vous entendre, j’ai l’impression que, finalement, ça ne vaut vraiment pas la peine d’avoir une entreprise privée de crèche, car ce n’est pas rentable : on ne gagne pas beaucoup d’argent, le coût salarial est plus élevé et l’État ne finance pas assez. Pourquoi vous battez-vous autant pour gérer ces entreprises privées alors que l’associatif et le public semblent plus avantageux ?
Par ailleurs, je suis ravie de savoir que vous êtes bien dans vos bottes mais, lorsque vous siégez au conseil d’administration de la Cnaf, où vous avez une mission de conseil à propos des plans crèches, n’avez-vous pas plutôt tendance à pousser vers les solutions privées lucratives que vous défendez mordicus – tout en nous démontrant depuis tout à l’heure qu’elles ne sont pas rentables et pas intéressantes pour un patron ? M. Obry ne disait-il pas qu’il avait fini par fermer une crèche parce qu’il ne pouvait pas s’en sortir ? Si le privé est dans une telle situation pour la gestion du service public de la petite enfance, cela ne signifie-t-il pas tout simplement que cette activité ne peut pas être privée et lucrative et qu’elle doit être publique ou associative à but non lucratif ?
M. Jérôme Obry. En citant cet exemple, je ne voulais pas dire que j’avais des difficultés dans mon entreprise, mais que l’incohérence de la réglementation m’a obligé à fermer cette crèche que j’aurais voulu maintenir. Je n’ai pas évoqué de non-rentabilité structurelle et vous avez généralisé un exemple.
Les travaux de votre commission d’enquête vous montrent que notre secteur est très complexe, avec une infinité de détails – mais si le diable est dans les détails, l’ange est dans la précision, et personne mieux que Mme Hervy ne sait introduire dans cet univers autant de précision et d’objectivité, pour faire avancer la totalité du secteur. La contribution qu’elle nous a apportée lors de la réforme Norma, et qui a servi à tout le monde, a été exemplaire. Les crèches du secteur privé parviennent à vivre avec les crèches, malgré des difficultés chroniques en termes d’équité sociale, économique et territoriale, qui concernent totalité du secteur. Il ne faut pas généraliser des détails.
Mme Elsa Hervy. Les entrepreneurs que je représente sont convaincus que leur entreprise a un sens, un rôle social fondamental. Parti de rien en l’an 2000, ce secteur offre aujourd’hui plus de 100 000 places de crèche et assure tous les jours un service de qualité à des centaines de milliers de familles. Oui, je suis très fière de représenter ce secteur d’avenir et rappelle qu’il manque encore 200 000 places de crèche : il faudra bien que tout le monde se retrousse les manches.
Peut-être n’ai-je pas indiqué assez clairement les règles qui s’appliquent au conseil d’administration de la Cnaf. Si vous entendez auditionner tous les anciens ministres responsables de ce secteur, Christelle Dubos, qui est aujourd’hui médiatrice de la Cnaf et chargée de la déontologie, pourra vous expliquer en détail ce qu’il en est : si nous estimons être dans une situation de potentiel conflit d’intérêts, nous devons sortir du vote et du débat préalable. Je le fais systématiquement pour tous les sujets relatifs aux crèches, même si je n’en ai pas l’obligation juridique. Cette position a été décidée par le Medef à partir de la fin de l’année 2018, de telle sorte qu’on a pu me voir antérieurement prendre part à des votes.
Mme Béatrice Roullaud (RN). Vous avez beaucoup insisté sur le coût réel des berceaux, qui est en effet un problème central. Dans ma circonscription, de nombreuses crèches associatives me disent qu’elles ne peuvent pas s’en sortir et redoutent d’être prochainement supplantées par des crèches privées. Selon elles, le problème tient notamment à la multiplicité des systèmes de financement. Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par « unification des systèmes » ?
Vous avez aussi déclaré que le problème n’était pas tant de recruter du personnel que d’éviter la fermeture de crèches. Faut-il, pour ce faire, revaloriser les salaires du personnel ? Quelles seraient les quelques mesures d’urgence que vous préconisez pour éviter ces fermetures ?
Par ailleurs, l’encadrement permet certes un meilleur accueil de l’enfant mais, comme vous l’avez indiqué tout à l’heure, dans les micro-crèches, un renforcement de l’encadrement conduirait à des fermetures, ce qui suppose de ne pas être trop stricts à cet égard envers ces structures. Quelles sont vos préconisations en la matière ?
Enfin, un contrôle inopiné de la part des députés pourrait-il contribuer à éviter les maltraitances en incitant les entreprises à plus de rigueur encore dans le recrutement de leur personnel ? Il s’agirait par exemple d’éviter des drames comme celui qu’a provoqué une salariée, manifestement pas apte à cet emploi, qui a administré du Destop à un bébé pour l’empêcher de crier.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). L’Unaf est une organisation qui représente des millions de parents et seulement trente crèches, et ne se trouve donc pas du tout dans la même situation que la vôtre, qui représente plusieurs centaines de crèches.
Vous dites que la position du Medef vous a permis de participer à des votes, et on a lu dans la presse que vous l’aviez fait au moins jusqu’en 2019. Vous reconnaissez donc que vous avez été dans une situation de conflit d’intérêts en participant à des votes relatifs à des plans crèches alors que vous portiez une double casquette au sein du conseil d’administration de la Cnaf.
Mme Elsa Hervy. Madame Roullaud, la qualité n’a certes pas de prix, mais elle a toujours un coût. L’une des issues aux difficultés que rencontrent les crèches associatives consiste à trouver plus de ressources, en proposant aux familles toutes les places disponibles et en invitant les employeurs à soutenir leur fonctionnement en réservant des places pour leurs salariés.
Par ailleurs, je vous confirme que, faute de professionnels en nombre suffisant, les crèches réduisent leurs horaires et certaines sections peuvent même être fermées. En avril 2022, avec 10 000 professionnels manquants, 10 000 places de crèche étaient fermées, et on aurait même dû, potentiellement, en fermer 30 000 : on fait donc fonctionner 20 000 places de crèche à coups d’heures supplémentaires, on épuise les équipes et on dégrade les conditions de travail dans l’ensemble des crèches de France, quel que soit leur statut.
Je pense en effet qu’il faut revaloriser les salaires et je tiens donc à vous alerter à propos du bonus attractivité, qui fait actuellement l’objet d’un dialogue avec la Caisse nationale des allocations familiales et qui s’applique à tout le monde, sauf à nous, car une accumulation de conditions impossibles le rend inaccessible aux entreprises de crèches. Nous n’avons toujours pas compris s’il fallait avoir augmenté les rémunérations de 150 euros net en moyenne depuis le 1er janvier 2024 ou depuis le 1er janvier 2023. C’était du reste le sens de la question de France urbaine, qui demandait si les villes de Lyon et de Marseille, qui ont revalorisé les rémunérations, en septembre et en décembre respectivement, seraient éligibles ou si elles devaient les revaloriser à nouveau, mais nous n’avons pas eu de réponse à cette question.
On nous a également répondu qu’il n’y aurait toujours pas d’autre élargissement que l’obligation de passer par des conventions collectives. La Fédération française des entreprises de crèches négocie la convention collective des entreprises de services à la personne et nous comptons parmi nos membres des micro-crèches et des crèches PSU. Or, alors qu’il nous avait été promis qu’atterriraient en même temps le bonus attractivité et la réforme des micro‑crèches, nous savons que le premier adviendra bien, mais nous ignorons ce qu’il adviendra de la seconde.
Je n’ai pas – et c’est normal – de mandat de la part des entreprises de micro-crèches pour augmenter massivement les salaires de 150 euros net en moyenne, alors qu’elles n’ont aucune garantie quant à leur avenir économique. Il n’y a pas non plus de consensus au sein de la Fédération ni de mandat de la part de ses adhérents pour augmenter les salaires de 150 euros en moyenne.
Par ailleurs, il m’est demandé de faire en sorte que ces 150 euros figurent dans la convention collective. Il se trouve que nous relevons de celle des entreprises d’aide à domicile et que les auxiliaires de puériculture de crèche se situent sur la même ligne que les assistantes de vie à domicile, et que ces dernières, lorsqu’elles sont employées par des entreprises d’aide à domicile, sont les seuls salariés de France travaillant auprès des personnes âgées qui n’ont pas bénéficié des mesures du Ségur. Comment la Fédération française des entreprises de crèches, avec ses 7,65 % de salariés, même si je parle fort et que mes arguments sont affûtés, pourra-t-elle convaincre les employeurs des 90 % de salariés relevant de cette convention collective d’augmenter les salaires à la seule fin que les entrepreneurs de crèches aient droit à une aide de la Cnaf ? Nous demandons depuis le début le remplacement de ces conditions impossibles par des garanties accessibles. De nombreuses entreprises de crèches qui ont déjà fait des efforts salariaux vont, du simple fait de leur statut juridique, être privées de toute aide faute de critères objectifs et à cause des conditions impossibles qui leur sont imposées.
Quant à l’idée d’un contrôle inopiné des crèches par les députés afin d’éviter la maltraitance, qui évoque ce qui se pratique pour les lieux de privation de liberté, je n’y souscris guère, car ce parallèle serait très dévalorisant pour les professionnels des crèches. Pour prévenir la maltraitance, nous demandons, pour notre part, la création d’une carte professionnelle des professionnels de la petite enfance. Actuellement, on nous demande de vérifier l’honorabilité des salariés, mais cette mesure, votée par le Parlement et entrée en vigueur depuis le 1er novembre 2022, pourra s’appliquer grâce à un système informatique et à un décret qui verront le jour prochainement, selon un système de vérification – lors du recrutement et à intervalles réguliers – qui sera défini tout aussi prochainement dans ledit décret, sans qu’ait par ailleurs été prévue la possibilité pour les employeurs de licencier immédiatement les personnes dont on constaterait, lors de leur renouvellement – et non pas au moment de leur recrutement, puisqu’il suffirait alors de ne pas les embaucher ou de mettre fin à leur période d’essai –, qu’elles ne remplissent plus la condition d’honorabilité. Il manque un petit bout de loi !
Madame Chikirou, il n’y a pas de situation dans laquelle j’ai été en conflit d’intérêts à la Cnaf. En effet, la Fédération française des entreprises de crèches n’est pas une association percevant des fonds de cette caisse : ses fonds proviennent exclusivement de ses adhérents et de l’Association de gestion du fonds paritaire national (AGFPN). Je n’étais donc pas en situation d’incompatibilité ou de conflit d’intérêts. Nous nous en sommes expliqués et le Medef, dans une logique d’ultra-prudence, a décidé qu’à partir de 2019 je me déporte systématiquement de tous les sujets relatifs aux entreprises de crèches adhérentes de ma fédération, même si nous persistons à penser que nous n’étions pas en conflit d’intérêts. Sur ces questions, Christelle Dubos, déontologue de la branche Famille, a entrepris de réviser ces règles afin de les clarifier. Nous souhaiterions en effet savoir si c’est nous qui sommes trop prudents ou les gestionnaires des crèches associatives qui ne le sont pas assez.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Monsieur Obry, madame Hervy, je vous remercie pour l’exercice de franchise que nous avons mené tous ensemble.
L’augmentation de 150 euros des rémunérations me semble être un élément d’attractivité notable dans un secteur dont nous reconnaissons tous la fragilité en la matière, que vous avez du reste largement soulignée. Vous avez apporté des éléments expliquant pourquoi on ne parvient pas à atteindre les objectifs établis, mais il faut être très clairs : la difficulté ne vient-elle pas plutôt de la multiplication des conventions collectives dans le secteur des crèches et ne devrions-nous pas nous interroger sur une éventuelle refonte de l’architecture actuelle ?
Je crois avoir compris que, selon vous, le fait de conditionner l’augmentation de la rémunération à la renégociation des conventions collectives était une erreur. Il me semble cependant que, derrière la question de la renégociation de la convention collective, se pose celle des très bas salaires, qu’il conviendrait de réaligner sur le Smic, qui a augmenté. Il me semble légitime que, si l’État contribue financièrement, aucun personnel ne soit rémunéré selon une grille de convention collective inférieure au salaire minimum. Pouvez-vous préciser ce point de blocage ?
Par ailleurs, alors que le prix moyen du berceau est estimé à 20 000 euros, certains éléments d’information nous laissent penser que, notamment en cas de délégation de service public, ce prix peut être très inférieur, entre 5 000 et 10 00 euros – je n’évoquerai même pas les quelques cas identifiés de tarifs inférieurs à 5 000 euros, qui me semblent totalement lunaires. Non seulement cet écart de tarifs pose question en lui-même, mais il signifie aussi que certains prix sont très supérieurs à 20 000 euros. Pouvez-vous nous communiquer des éléments à ce propos et quel est le prix maximum du berceau constaté sur le territoire national ?
Enfin, nous avons constaté des cas de micro-crèches très proches les unes des autres, voire parfois accolées ou séparées de quelques dizaines de mètres seulement. Certains des employeurs de votre fédération ont-ils recours, à votre connaissance, à de telles pratiques ? Que pensez-vous de cette forme de détournement de la règle qui s’applique aux crèches classiques recevant un financement PSU ?
Mme Elsa Hervy. Pour ce qui est du bonus attractivité, une seule convention collective – celle des entreprises de services à la personne – s’applique au secteur des entreprises de crèches. Nos confrères associatifs relèvent, quant à eux, de huit conventions collectives différentes, du fait de leur histoire propre, souvent bien plus ancienne que la nôtre – comme celle des crèches de la Croix-Rouge, rattachées à la convention collective de l’hospitalisation privée non lucrative.
En tout cas, quand bien même une convention collective prévoit un salaire minimum inférieur au Smic, c’est sur la base de ce dernier que tous les salariés sont rémunérés. Cela pose la question du tassement des grilles et c’est la raison pour laquelle vous avez modifié la loi. Lorsqu’il est constaté que l’un des minima d’une convention collective est rattrapé par le Smic, les partenaires sociaux ont obligation d’entrer en négociation dans le trimestre.
M. le président Thibault Bazin. Il y a encore du travail !
Mme Elsa Hervy. Pour ce qui concerne la convention collective dont relève notre fédération, nous avons la chance que le groupe soit présidé par la direction générale du travail elle-même et les négociations commencent donc tous les trimestres. Nous avons ainsi signé le mois dernier un avenant qui tient compte des revalorisations du mois de janvier. Nous nous efforçons donc de tenir les calendriers.
Pour ce qui est de la condition impossible, certaines entreprises adhérentes de notre fédération ont déjà fait ou annoncé qu’elles allaient faire des efforts significatifs de revalorisation salariale. Pourquoi le dispositif permet-il à Marseille, à Lyon ou à d’autres villes d’avoir accès au bonus de ressources humaines sur la base d’une délibération du conseil municipal, sans avoir à réformer l’ensemble du statut de la fonction publique territoriale, tandis que nous, entreprises de crèches, n’y avons pas accès sur la base des accords d’entreprise ou des décisions unilatérales de l’employeur – en respectant le minimum de 150 euros net mensuels –, et pourquoi devons-nous préalablement obtenir l’augmentation du montant fixé par le Ségur pour les assistantes de vie à domicile ?
Nous demandons que, dans l’esprit des « ordonnances Macron », qui ont mis en valeur les accords d’entreprise par rapport à la convention collective, le fait de procéder aux augmentations par la voie des accords d’entreprise soit accepté comme une condition de l’accès aux aides.
Pour ce qui est du prix du berceau, il faut bien distinguer, pour le secteur de la petite enfance, le prix de revient, c’est-à-dire le coût de la place de crèche et de la qualité – qui est en effet de l’ordre de 20 000 euros et pour lequel la Cnaf dispose de chiffres plus précis que les miens –, et le prix de vente, qui dépend de ce qui est pris en compte. Il peut en effet arriver que, dans les cas de délégation de service public, certains coûts ne soient pas facturés, mais intégrés à la réduction de prix. Ainsi, en cas de délégation de service public d’une crèche municipale, il faut payer toutes les factures de cette dernière pour fixer un prix de fonctionnement. À cet égard, je ne sais pas quel est le juste prix, car notre fédération ne possède pas d’observatoire des prix – ce ne serait pas compatible avec les obligations imposées par l’Autorité de la concurrence –, mais la municipalité peut décider de ne pas facturer le loyer, à charge pour la crèche de le défalquer du prix, de telle sorte que ce dernier, qui aurait dû être, par exemple, de 10 000 euros avec 3 000 euros de loyer, passe à 7 000 euros. Il faut donc examiner ces situations pour chaque contrat, mais toujours est-il que ces coûts cachés dans des réductions de prix existent bel et bien : on ne peut donc pas se fonder sur le prix facial de la place et il faut savoir ce qui entre dans sa composition.
Enfin, les micro-crèches accolées n’ont pas pour objet de détourner le code de la santé publique ou de permettre des économies, car le fonctionnement de deux micro-crèches côte à côte revient plus cher, en termes d’encadrement et de structure, que celui d’une crèche de vingt-quatre places. Il s’agit pour ces structures de pouvoir accueillir des enfants dans vingt‑quatre places hors du système PSU. Les micro-crèches accolées ont été soutenues par certaines CAF, comme à La Réunion – où toutefois les micro-crèches de l’un de nos adhérents, malgré le soutien qu’elles ont reçu de la CAF dès leur origine, ne pourront, du fait de leur statut, pas recevoir de subventions pour rénovation.
M. le président Thibault Bazin. Merci pour ces réponses. Nous aurons l’occasion d’interroger la CAF sur vos propos.
Vous avez dit que seules les entreprises de crèches ne seraient pas éligibles au bonus attractivité, mais les choses ne sont pas aussi simples pour les collectivités locales et d’autres secteurs ont aussi leurs difficultés.
Je conclus en rappelant que vous avez parlé sous serment devant notre commission d’enquête. Si, la nuit portant conseil, vous jugez que certaines de vos déclarations ne correspondaient pas à la réalité, vous avez l’obligation de transmettre au plus tôt vos rectificatifs à la rapporteure.
La séance est levée à 18 heures 10.
Membres présents ou excusés
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements
Réunion du mardi 19 mars 2024 à 16 heures
Présents. - M. Joël Aviragnet, M. Thibault Bazin, Mme Anne Bergantz, Mme Sophia Chikirou, Mme Christine Decodts, M. Philippe Lottiaux, M. William Martinet, Mme Béatrice Roullaud, Mme Anne Stambach-Terrenoir, Mme Sarah Tanzilli