Compte rendu
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements
– Audition des dirigeants de l’entreprise Babilou : M. Xavier Ouvrard, président-directeur général, M. Vincent Bulan, directeur général 2
Mercredi 20 mars 2024
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 21
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Thibault Bazin,
Président
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La séance est ouverte à 9 heures 30.
La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné les dirigeants de l’entreprise Babilou : M. Xavier Ouvrard, président-directeur général, et M. Vincent Bulan, directeur général.
M. le président Thibault Bazin. Chers collègues, nous recevons M. Xavier Ouvrard, président-directeur général du groupe Babilou Family, et M. Vincent Bulan, directeur général France de Babilou Family.
Babilou a été créé en 2003 par Rodolphe et Édouard Carle et est devenu, en vingt ans, un acteur essentiel du secteur des crèches. Son réseau compte en effet aujourd’hui en France plus de 3 000 établissements : 480 crèches Babilou proprement dites et 2 600 crèches partenaires. Pourrez-vous, dans votre propos liminaire, préciser cette distinction et retracer les principales étapes du développement de l’entreprise qui ont abouti à son organisation actuelle ? Par organisation, j’entends aussi bien la façon dont l’entreprise se déploie sur nos territoires que le fonctionnement du groupe lui-même, en France et à l’international. À cet égard, Mme la rapporteure vous a adressé, comme à l’ensemble des personnes que nous auditionnons, un questionnaire préparatoire afin que nos échanges soient facilités.
Cette audition, je le précise, est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et l’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande.
Nous avons tenu à recevoir le même jour les grandes entreprises du secteur dit des crèches privées, qui ont été récemment placées sous le feu des projecteurs à l’occasion de la parution d’ouvrages et la publication de rapports. Il n’y a pas eu d’ordre de passage prédéterminé.
Nous sommes soucieux de vous entendre dans le cadre du périmètre de notre commission d’enquête, qui concerne l’ensemble du secteur des crèches. Les auditions ont jusqu’à présent montré que la distinction entre public, privé et associatif recouvrait une réalité parfois plus complexe.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Xavier Ouvrard et M. Vincent Bulan prêtent successivement serment.)
M. Xavier Ouvrard. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, nous vous remercions de nous accueillir à l’Assemblée nationale.
Je suis le président-directeur général de Babilou Family depuis sept ans. J’habite à Aubagne, où Babilou vient d’inaugurer une crèche dans un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV), en lien étroit avec la mairie, la caisse d’allocations familiales (CAF) et la protection maternelle et infantile (PMI) des Bouches-du-Rhône. Je travaille dans le secteur des crèches depuis douze ans ; de nombreux membres de ma famille sont professionnels de la petite enfance et je suis moi-même passionné par l’éducation.
Le constat sur la situation des crèches en France fait l’objet d’un consensus tous secteurs confondus. Il manque 200 000 places de crèche alors que la moitié des assistantes maternelles partiront à la retraite en 2030. Le secteur est en souffrance, faute notamment de moyens alors qu’il doit affronter de nombreux vents contraires : la baisse des vocations depuis le covid, l’évolution de la prestation de service unique (PSU) inférieure au taux l’inflation pendant des années, la très forte hausse des coûts de l’énergie qui a touché tous les types d’accueil.
Parallèlement, notre métier connaît depuis une vingtaine d’années la révolution majeure des neurosciences. Nous savons désormais que 85 % des connexions du cerveau se développent avant l’âge de 6 ans. C’est à ce moment-là de la vie que se construit tout le socle éducatif ; cette commission est une chance unique d’aider nos concitoyens à en prendre conscience.
Nous sommes donc confrontés à un défi immense. Pour parvenir à le relever, le secteur public aura besoin de l’offre complémentaire proposée par le secteur privé et des financements apportés par les entreprises, dans un environnement budgétaire contraint. Conscients que la complémentarité est un grand atout pour répondre efficacement aux besoins des familles, les pouvoirs publics l’ont accompagnée en déployant la PSU. Celle-ci propose un modèle utile pour assurer un accès universel et égalitaire aux services de la petite enfance ; mais elle a aussi créé une approche fondée sur la consommation à l’heure qui a changé le sens de notre métier.
Je présenterai Babilou en quelques chiffres. C’est une entreprise à mission, laquelle est inscrite dans nos statuts : construire un monde meilleur par l’éducation et l’attention portée à chaque enfant. En France métropolitaine, nous sommes le deuxième plus grand acteur du pays, derrière le groupe Grandir, avec 12 436 places, 442 établissements et 5 000 professionnels.
Notre entreprise a été créée il y a vingt ans. Nous avons fait le choix de nous concentrer sur les crèches inter-entreprises au tarif PSU, qui représentent 85 % de nos places. Nous sommes en effet sortis, il y a quinze ans, du modèle de délégation de service public (DSP) car nous ne parvenions pas à maintenir le niveau de qualité qui est le nôtre avec des prix inférieurs à 5 000 euros par berceau ; les DSP ne représentent donc plus que 7 % de nos places. Enfin, 8 % de nos places sont au tarif de la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje).
En 2022, notre chiffre d’affaires en France s’élevait à 293 millions d’euros et notre résultat d’exploitation à 3,2 %. Depuis vingt ans, nous avons distribué zéro euro de dividende à nos actionnaires. L’intégralité de cette marge a été réinvestie dans nos établissements et dans la progression de la qualité.
À l’international, nous sommes présents dans dix pays et nous comptons un peu plus de 55 000 places, ouvertes de 0 à 6 ans car l’école maternelle est une spécialité française. Nous sommes notamment leader du secteur d’activité en Allemagne et numéro 2 en Hollande. En vingt ans, nous avons accueilli un peu plus d’un million d’enfants au sein de toutes nos structures dans le monde.
En France, nous mettons toute notre énergie à mobiliser nos ressources pour que notre mission pédagogique soit une réalité. Vincent Bulan, directeur général France, va vous présenter les points clefs de la qualité et de l’attractivité du secteur.
M. Vincent Bulan. Puériculteur de formation, j’ai commencé ma vie professionnelle dans les services d’urgence et de réanimation néonatale et pédiatrique, où j’ai été amené à côtoyer la vulnérabilité des enfants. J’ai ensuite expérimenté la diversité des métiers de la petite enfance. J’ai d’abord été directeur de crèche municipale et cadre administratif de la petite enfance pour la ville de Montreuil, puis responsable pédagogique et des opérations pour un petit groupe de crèches privées, avant de rejoindre, en 2013, l’entreprise Babilou. J’y ai franchi différentes étapes, en exerçant successivement l’ensemble des métiers support, jusqu’à en devenir le directeur général il y a trois ans.
Mon expérience m’a appris que la grande priorité de notre secteur est de garantir la sécurité et la qualité de notre projet pédagogique. C’est pourquoi nous avons engagé 100 % de nos crèches dans une démarche d’amélioration continue, en créant le label de qualité « Elsa » – environnement ludique sécurisé et apprenant. Nous avons d’ailleurs mis ce label à la disposition de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) lors des auditions de 2023 concernant l’élaboration d’un référentiel national de qualité.
Depuis plus de dix ans, la lutte contre la maltraitance et les violences éducatives ordinaires (VEO) est déployée chez Babilou par le biais d’une cellule d’information des situations préoccupantes et d’une ligne directe de remontée des informations par les parents. Nous avons mis en place un système de contrôle quotidien du taux d’encadrement : notre dispositif « Sérénité » permet de vérifier tous les jours l’adéquation du nombre d’enfants avec le nombre de professionnels présents, grâce à un système de pointage. Nous avons fait certifier par un tiers indépendant, Veritas, toute notre procédure de déclaration à la CAF, du pointage de la famille jusqu’à la transmission aux systèmes de la CAF.
Comme nous l’avons dit lors de la mission flash portant sur les perspectives d’évolution de la prise en charge des enfants dans les crèches, dont les députées Michèle Peyron et Isabelle Santiago étaient les co-rapporteures, nous devrions collectivement privilégier quatre axes de travail.
Premièrement, renforcer le taux d’encadrement dans les structures pour atteindre au moins un adulte pour cinq enfants ; à titre de comparaison, en Allemagne, la moyenne est de 3,7 enfants pour un adulte.
Deuxièmement, mener une réflexion de fond sur la PSU pour préserver son universalité tout en revenant à une approche plus forfaitaire, à même de remobiliser les professionnels sur leur cœur de métier.
Troisièmement, concentrer nos énergies pour réaliser un effort massif en faveur de l’attractivité de notre métier, tant au regard des conditions d’exercice et du niveau de rémunération des professionnels – que nous avons anticipé chez Babilou en 2024 – que de la formation, par la création de places supplémentaires dans les écoles de puériculture et d’éducateurs de jeunes enfants.
Quatrièmement, mettre en place un référentiel qualité éducatif national opposable, piloté de façon impartiale par les services départementaux de PMI, qui s’appliquerait aux secteurs privés, public et associatif. Il serait accessible à tous, notamment aux familles, en toute transparence, comme c’est le cas en Hollande.
Nous nous tenons à la disposition des pouvoirs publics pour échanger sur ces sujets et construire avec eux le modèle des crèches de demain. Je tiens à remercier l’ensemble des personnels de Babilou, mobilisés chaque jour dans nos établissements, et qui suivent depuis septembre dernier les différentes péripéties et actions menées. Je souligne également la qualité de notre partenariat avec les institutions ; je remercie les milliers d’agents et d’élus qui œuvrent pour notre métier, la CNAF, les CAF, les PMI et les mairies. À nous, entreprises, associations, parlementaires, élus locaux, de répondre avec ambition aux enjeux de ce magnifique secteur afin d’assurer la reconnaissance de notre profession et attirer ainsi les meilleurs professionnels pour prendre soin de nos enfants.
M. le président Thibault Bazin. Vos propos liminaires appellent des questions. Quels sont le rôle et la place des fondateurs, Rodolphe et Édouard Carle ? Sont-ils toujours coprésidents du conseil d’administration, comme je l’ai lu ? Vous êtes respectivement le président-directeur général et le directeur général de Babilou, et c’est vous qui représentez le groupe aujourd’hui. Qui décide ? Quel est le rôle de chacun ?
S’agissant de l’organisation du groupe Babilou Family, pouvez-vous décrire les différentes sociétés en son sein et les liens qu’elles entretiennent ? Vous avez indiqué que 85 % de vos crèches relevaient de la PSU et 8 % de la Paje ; cela ne fait pas 100 %. Qu’en est-il des crèches résiduelles ? Pouvez-vous préciser la différence de modèle entre les crèches Babilou et les crèches partenaires, comme je vous y avais invité ?
L’immobilier, comme on l’a mesuré sur le terrain, est souvent une question importante, notamment dans les territoires très urbains, qui ont un bâti complexe. Êtes-vous propriétaires de vos crèches ? Si oui, qui ? Le groupe, ou des sociétés civiles immobilières (SCI) ? Cela a un impact sur le modèle de développement.
Ce sont des questions très concrètes. J’attends une réponse à chacune.
M. Xavier Ouvrard. Les fondateurs, Rodolphe et Édouard Carle, sont coprésidents du conseil de surveillance. Je suis le PDG de l’entreprise et je jouis donc d’une autonomie totale sur sa réalité opérationnelle. Les fondateurs détiennent une participation au capital de l’entreprise, et nous les consultons comme les autres actionnaires ; mais ils n’ont plus de rôle opérationnel depuis six ans, date à laquelle je suis devenu directeur général de l’entreprise, avant d’en devenir également le président il y a trois ans.
S’agissant de notre organisation, Babilou Family est la structure qui chapote l’ensemble du groupe. Nous avons une société par pays, chargée d’y piloter notre activité. En France, nous avons principalement deux sociétés. La première regroupe l’ensemble de nos crèches dans un cadre unifié, avec un comité social économique (CSE) unique pour les représentants du personnel. Une autre société comprend les collaborateurs de Babilou Family, soit une quarantaine de personnes qui travaillent pour le groupe sur l’ensemble du périmètre mondial, afin de bien les distinguer des collaborateurs de Babilou France, que dirige Vincent Bulan.
Concernant la répartition de nos établissements, 92 % de nos crèches sont au tarif PSU – dont 85 % de crèches inter-entreprises et 7 % de DSP – et 8 % de crèches sont au tarif Paje.
Parmi les DSP que nous avions il y a quinze ans, avant de décider de nous retirer du segment, seules trois nous restent. Depuis lors, nous en avons conclu de nouvelles, à condition que le prix de la place soit supérieur à 5 000 euros ; à défaut, nous nous retirons des marchés.
M. le président Thibault Bazin. C’est plus clair. Vous n’avez donc pas quitté les DSP, comme vous le disiez tout à l’heure ; vous avez continué, mais sous condition économique.
M. Xavier Ouvrard. Nous avons décidé de ne pas répondre quand le prix est inférieur à celui qui nous semble fondamental pour garantir le taux d’encadrement et la qualité.
S’agissant des crèches partenaires, le modèle est assez simple. Elles sont indépendantes, mais nous les aidons à commercialiser leurs places. Cette activité représente environ 11 % de notre chiffre d’affaires – nous vous ferons parvenir le chiffre exact.
Il s’agit pour nous de répondre aux besoins des familles. Il y a vingt ans, lorsque des entreprises ont voulu proposer une offre à leurs collaborateurs, des crèches spécifiques ont été installées au sein des sièges sociaux. Cela posait cependant d’énormes problèmes de transport aux familles. Nous nous sommes rapidement rendu compte qu’elles aspiraient à disposer d’une place en crèche près de chez elles. Uniquement dans ce cadre-là, nous avons fait appel à des crèches indépendantes pour compléter l’offre que nous proposions aux entreprises.
Ce modèle est extrêmement intéressant : il est confortable pour les enfants, implique le conjoint et optimise le crédit d’impôt famille (Cifam). Dans les crèches dédiées aux entreprises, il arrivait en effet que le nombre de places ne soit pas adéquat au nombre d’enfants, ou que les parents n’obtiennent pas le nombre d’heures dont ils avaient besoin. Désormais, nous répondons au plus près du besoin de l’enfant.
Sur ce segment-là, nous vendons un nombre de places très conséquent pour le compte d’associations, souvent reconnues – je pense au réseau Crescendo –, ce qui génère 3,47 millions d’euros de chiffre d’affaires. Grâce à ce système, elles perçoivent un revenu complémentaire qui les préserve d’une situation économique complexe.
M. le président Thibault Bazin. Nous avons auditionné des représentants de crèches mutualistes ou associatives, qui apparaissaient sur internet comme des partenaires de Babilou. Quelle est la part de crèches à but non lucratif parmi vos crèches partenaires ?
M. Vincent Bulan. Je n’ai pas le chiffre exact mais je vous le transmettrai. Babilou a 2 915 crèches partenaires. Sur le site internet, une distinction est faite entre les crèches Babilou proprement dites et les crèches partenaires qui sont présentées comme indépendantes.
Nous permettons ainsi aux familles de faire un choix au plus proche de leurs besoins. Lors de la commission d’attribution, elles se déterminent en fonction de leur lieu de domicile et de l’intérêt de l’enfant. Telle est la finalité du réseau partenaire : mettre l'enfant au centre. Cela signifie lui épargner trois quarts d’heure de RER pour se rendre à la crèche de l’employeur du père ou de la mère, et de le faire garder dans une crèche plus proche de son domicile. Cette démarche recouvre en outre un intérêt éducatif : ne pas le délocaliser de son lieu d’habitation et faire le lien avec l’école maternelle, où il conservera son petit réseau de copains.
Le maillage a donc été important. Ces crèches indépendantes sont sélectionnées par Babilou, au moyen d’une visite d’adhésion au partenariat, qui ne se substitue pas à la délivrance de l’agrément par la PMI. Les crèches qui ne sont plus au niveau sont déconventionnées, ce qui arrive régulièrement avec les partenaires qui ne jouent pas le jeu de l’amélioration continue de la qualité et de l’exigence pédagogique que nous attendons.
Cette offre partenaire est transparente non seulement pour la famille, mais aussi pour le tiers réservataire. Il n’y a pas de commission d’attribution spécifique et le prix payé par le tiers réservataire ou la famille est neutre, que la crèche soit au tarif PSU ou Paje. Ce prix est fixé par la crèche partenaire, sans que Babilou perçoive aucune intermédiation.
M. le président Thibault Bazin. Et sur l’immobilier ?
M. Xavier Ouvrard. Nous ne sommes propriétaires d'aucun de nos murs ; nous louons l’intégralité de nos crèches.
M. le président Thibault Bazin. Il n’y a pas de SCI ?
M. Xavier Ouvrard. Le groupe Babilou ne détient aucune SCI.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Mes questions porteront sur trois thèmes : votre actionnariat ; votre modèle économique ; et la qualité d’accueil au sein de vos établissements.
Vous nous avez indiqué l’architecture globale du groupe Babilou. Pouvez-vous nous préciser la structure de votre actionnariat et l’historique des mouvements en son sein ? Comment expliquez-vous la participation à votre capital de fonds d’investissement, dans la mesure où vous ne faites pas état de résultats financiers très importants – loin de là, puisque vous n’avez pas réalisé de résultat positif ces trois dernières années ?
Où pensez-vous que ces fonds trouvent leur compte ? Quelles contraintes font-ils peser sur les modalités de fonctionnement et de gestion de votre entreprise ? Dans quelle mesure ces contraintes diffèrent-elles de celles qu’impose un organisme de financement bancaire ? A contrario, quel avantage procure le fait d’être adossé à des fonds d’investissement solides financièrement ?
M. Xavier Ouvrard. La structure actionnariale de Babilou est répartie ainsi : Antin détient un peu plus de la moitié du capital ; deux autres fonds détiennent environ 20 % et 5 % ; la famille Carle détient autour de 20 % ; et les cent premiers collaborateurs de l’entreprise le reste du capital – c’est un point important, j’ai tenu à ce que les collaborateurs les plus impliqués dans l’entreprise puissent en devenir actionnaires. Je vous transmettrai les quanta exacts plus tard.
Les fonds d’investissement sont, selon moi, un atout. Ceux qui investissent dans une activité comme la nôtre ont conscience qu’il s’agit d’une activité sociale de long terme ; les fondateurs et moi-même les avons choisis dans cet état d’esprit, avec un sentiment de responsabilité. Ils génèreront de la valeur si l’entreprise réalise de la croissance au cours du temps, grâce au capital investi. C’est au bout de sept ou huit ans – une durée généralement assez longue –, lorsqu’ils sortiront du capital qu’ils dégageront éventuellement une survaleur. Que ce soit clair : les fonds d’investissement ne nous demandent aucun euro de dividende.
S’ils font peser une contrainte sur les managers que nous sommes, ce serait une forme d’exigence sur la qualité un peu supérieure à ce que nous avions connu avant.
M. le président Thibault Bazin. Avant quoi ?
M. Xavier Ouvrard. Avant l’arrivée des fonds d’investissement. Ils impliquent des critères de suivi qui nécessitent une traçabilité totale, notamment de la qualité, des incidents, de tout ce qui peut survenir dans la vie d’un établissement. Il en résulte une certaine pression opérationnelle, mais qui représente une chance pour l’entreprise. Nous avons ainsi mis en place des systèmes de surveillance et de remontée automatique de tous les incidents qui ont lieu dans nos établissements, avec des niveaux de qualification différents – Vincent pourra vous fournir des éléments précis.
Par-delà cette exigence, ils nous ont apporté une solidité financière. Dans ce secteur d’activité gourmand en capital – construire une crèche suppose que nous supportions la moitié des investissements –, les fonds propres sont nécessaires. Je suis un homme engagé depuis toujours, que ce soit dans mon territoire, les Bouches-du-Rhône, où je suis président d’un groupement de théâtres associatifs depuis plus de dix ans, ou dans mon entreprise, en tant que PDG. Ce qui compte le plus pour moi, c’est de pouvoir gérer en bon père de famille. Or, un bon père de famille doit avoir des fonds propres, pour pouvoir faire face dans la tempête.
Pendant le covid, nos actionnaires ont répondu à l’appel lorsque nous leur avons demandé de nous soutenir. Grâce à leur appui, nous n’avons pas eu à décaler les paiements et nous avons pu honorer nos échéances. Nos confrères, en particulier dans le secteur associatif, sont souvent confrontés à des difficultés de trésorerie complexes. De ce point de vue de là, avoir des fonds au capital nous confère une véritable solidité.
Il y a trois ans, j’ai souhaité mettre en place le projet « Sérénité » qui consiste à faire pointer les familles et nos collaborateurs, avec l’accord des représentants des personnels, pour vérifier la réalité du taux d’encadrement ; cela exigeait beaucoup d’argent, des systèmes informatiques, du temps. Lorsque j’ai présenté le projet aux actionnaires, ils m’ont dit oui tout de suite, sans poser aucune question.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. À vous entendre, il n’y a pas d’inconvénient à ce qu’il y ait des fonds d’investissement au capital d’une société de gestion d’établissements d’accueil de jeunes enfants (EAJE). Pourriez-vous nous transmettre, au terme de l’audition, les critères de suivi que vous avez évoqués, et nous en indiquer dès maintenant certains ?
M. Vincent Bulan. Certainement. Depuis que nous sommes une entreprise à mission, ces critères de suivi sont consignés dans un rapport d’impact annuel, largement diffusé – nous vous le transmettrons.
Je ne parlerais pas de pression opérationnelle, mais plutôt d’exigences, du moins de questions auxquelles le directeur général du pays est tenu d’apporter des réponses. Dans le contexte de désenchantement du métier et de pénurie des professionnels qui a suivi le covid, l’enjeu d’assurer les taux d’encadrement des enfants au quotidien nous a obligés, moi y compris, à faire du monitoring. Pour prévenir les contrôles de la PMI, nous devons être en mesure de dire : « Attention, sur cette journée-là, il nous manque une professionnelle. » Nous avons beau anticiper un planning et disposer d’un pool d’équipes volantes, qui permet de compenser des absences ponctuelles pour maladie, pour congé, ou surtout pour formation – nous formons beaucoup nos professionnels –, il arrive que nous ayons à réduire l’amplitude horaire de l’accueil, avec toutes les contraintes qui en résultent pour les familles. On a créé le thermomètre pour le savoir.
En étant aussi exigeants, on donne peut-être le bâton pour se faire battre. On peut cependant montrer exactement ce que l’on fait aux différentes tutelles, mais aussi à nos équipes. Le projet a été appelé « Sérénité » parce qu’il vise à rendre sereines les équipes en leur garantissant que l’organisation et les moyens mis en place sont réels et concrets. S’ils ne le sont pas, on se réorganise et on prend toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des enfants et la qualité de l’accueil. Le niveau d’exigence opérationnelle s’est donc élevé, en lien avec le contexte actuel de pénurie.
À l’heure actuelle, le secteur est contraint de réenchanter le métier pour le rendre à nouveau attractif, en parlant non de modes de garde et de remplissage, mais d’éducation. Comme le rappelle Boris Cyrulnik, les 1 000 premiers jours de la vie sont d’une importance capitale.
Or le regard que porte la société sur les professionnels de l’accueil des 0-3 ans, dont je fais partie, est qu’ils assurent un mode de garde pour permettre aux parents d’aller travailler. Cela est réducteur. Nous avons entre les mains un enjeu primordial, dont découlent des exigences. Nous avons des enfants, vulnérables. Nous devons nous conformer à une exigence opérationnelle. Grâce à nos fonds, nous en avons les moyens.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. J’en viens au modèle économique, sur lequel j’ai de nombreuses questions à vous poser.
Quel est le prix moyen d’un berceau dans votre réseau au tarif PSU et au tarif Paje ? Comment appréhendez-vous ces deux modes de financement ? Quel pourcentage du prix moyen d’un berceau le coût de sa commercialisation représente-t-il ?
Vous avez indiqué que, lorsque vous confiez des enfants à une crèche de votre réseau de partenaires, une part du prix du berceau reste au sein de Babilou. Pouvez-vous préciser ce point ? Dans le cadre de nos auditions, nous avons constaté en effet que, lorsque des grands groupes commercialisent des berceaux en plaçant des enfants au sein de leur réseau de partenaires, une part significative du prix du berceau demeure en leur sein.
S’agissant du Cifam, en bénéficiez-vous en tant qu’entreprise réservataire ? Si oui, pour quel montant ? Est-il calculé sur la base du prix de revient du berceau ou sur la base du prix auquel vous le commercialisez à un tiers ?
M. le président vous a interrogés sur le portage immobilier. Nous aimerions obtenir des précisions à ce sujet.
S’agissant des observations du rapport de l’Igas sur les frais de siège des établissements du secteur marchand dont le tiers financeur est une entreprise, elles relèvent « une augmentation de 51,8 % des « autres charges », compte dans lequel sont notamment imputés les frais de siège des groupes ». Pouvez-vous réagir à cette affirmation ? Comment expliquez-vous ce chiffre ?
Vous avez indiqué ne pas vous porter candidat aux DSP si le prix du berceau est inférieur à 5 000 euros. D’après les informations dont nous disposons, le prix moyen d’un berceau est de l’ordre de 20 000 euros.
Je comprends tout à fait que vous ne vous portiez pas candidat si le prix du berceau est inférieur à 5 000 euros, mais, quand bien même il serait compris entre 5 000 et 10 000 euros, l’écart m’intrigue. Je comprends d’autant moins pourquoi l’écart est si important que le prix d’un berceau est essentiellement composé de frais de personnel par nature incompressibles, et que vous devez, comme toute entreprise, maîtriser vos coûts de fonctionnement. Comment cela se traduit-il au sein de vos établissements ?
M. Vincent Bulan. Je répondrai d’abord à la dernière question, qui appelle une clarification et commande les autres.
Elle procède, me semble-t-il, d’une confusion entre le coût de revient du berceau, qui est d’environ 20 000 euros, et le prix auquel il est commercialisé au tiers réservataire pour équilibrer le modèle. Le montant de DSP dont nous estimons qu’il ne donne pas au gestionnaire les moyens de faire fonctionner sa crèche conformément à nos exigences de qualité est celui de la part que lui verse le tiers réservataire.
Quant au coût de revient du berceau chez Babilou, il était en 2022 – nos comptes 2023 sont en cours de certification – de 21 474 euros au tarif PSU et de 23 683 euros au tarif Paje. Ces montants ont été établis à partir d’une cohorte de crèches en fonctionnement régulier depuis plus de deux ans au 1er janvier de l’année considérée.
Ils sont composés des frais de personnel, à hauteur d’au moins 50 %. Les coûts variables sont les repas, l’hygiène, l’énergie, la maintenance, les loyers, les frais de siège alloués à la gestion de la crèche considérée, les amortissements des investissements, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), l’impôt sur les sociétés calculé d’après le résultat de la crèche considérée, les intérêts des prêts bancaires et la TVA non récupérable.
Le montant que nous percevons au titre de la PSU pour la même cohorte de crèches est de 63,81 millions d’euros, pour un coût de revient total de 192,73 millions, soit un taux de couverture de 33 %. Son financement est complété par la part familiale adossée à la PSU, dont le montant s’élève à 39,85 millions, soit 21 % du coût de revient. Ainsi, l’addition de la PSU et de la part familiale couvre 54 % du coût de revient. Le modèle est donc équilibré grâce aux tiers réservataires, qui sont les entreprises publiques telles que les hôpitaux, les caisses d’allocations familiales (CAF), les ministères, les préfectures, les collectivités locales, notamment les mairies, les entreprises privées des plus grandes aux très petites entreprises (TPE).
S’agissant de la DSP, nous ne connaissons pas le prix à l’avance, dès lors qu’il s’agit d’un appel d’offres. Nous déterminons si, dans le cahier des charges, le poids du prix est supérieur à celui de la qualité. Si tel est le cas, nous ne postulons pas. Les moyens que nous engageons exigent un certain niveau de service. Si le cahier des charges nous semble conforme à ce que Babilou souhaite faire, nous répondons à l’appel d’offres. En tout état de cause, nous ne faisons pas de dumping en tirant les prix vers le bas. Et nous ne descendons pas en-dessous de 5 000 euros.
M. Xavier Ouvrard. Dans le cadre d’une DSP, sur un coût de revient d’environ 21 000 euros, la PSU génère environ 11 000 euros. En général, les municipalités ne facturent pas de loyer. Il arrive qu’elles ne facturent pas les dépenses d’énergie. Il importe donc de savoir comment est financé chaque berceau. Les 11 000 euros financés par la PSU couvrent peu ou prou les charges salariales. Le solde finance notamment les repas, les couches, les formations, les activités et la maintenance.
Nous ne sommes pas en mesure de financer une activité garantissant un taux d’encadrement correspondant à 11 000 euros de masse salariale par place et le niveau de qualité des prestations qui est le nôtre si nous ne percevons pas au moins 5 000 euros dans le cadre de la DSP. Je me tiens à votre disposition pour fournir toute précision supplémentaire sur ce sujet, dont j’admets qu’il est complexe.
M. le président Thibault Bazin. Si je comprends bien, le montant de 5 000 euros ne comprend pas le loyer gratuit et l’éventuelle absence de facturation des dépenses d’énergie et des services associés ?
M. Vincent Bulan. En effet. Le montant de 5 000 euros s’entend net de redevance, laquelle n’est pas à la charge de Babilou. Au-dessus de ce seuil, nous sommes à l’équilibre et nous pouvons fonctionner. Ce montant est répercuté par la commune sur la convention territoriale globale (CTG), dans le cadre de laquelle la Caf l’aide à payer cette place en crèche au sein de la DSP.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Le montant de 11 000 euros dont vous indiquez qu’il est généré par la PSU inclut-il la part familiale ?
M. Vincent Bulan. Oui. J’ai indiqué que l’addition de la PSU et de la part familiale couvre 54 % du coût de revient d’un berceau, soit environ 11 000 euros pour un coût de revient d’environ 22 000 euros. Cela correspond au coût de la masse salariale d’une structure donnée.
J’en viens aux questions relatives à notre réseau de partenaires. Vous en avez auditionné un. Chaque structure est libre d’être partenaire de Babilou. Nous ne contraignons pas nos partenaires à acheter des places. Il s’agit d’une négociation entre entreprises sur la base du prix de revient de la place gérée par le partenaire. Il s’agit d’acheter au juste prix pour que celui-ci bénéficie de ressources supplémentaires.
Souvent, les TPE n’ont pas les ressources pour aller chercher des tiers réservataires. Babilou leur apporte un supplément de chiffre d’affaires. S’agissant des crèches associatives, nous en comptons 171 parmi nos partenaires, accueillant 250 familles. Nous leur apportons un complément de revenu, qui leur permet d’améliorer la qualité de leurs prestations et de bénéficier de marges de manœuvre supplémentaires.
Lorsque nous distribuons ces places à nos partenaires, nous partons de l’enfant, donc de la famille ayant besoin d’une place au plus près de son domicile. Si Babilou en a une, nous la proposons. Si cette place se trouve dans une crèche partenaire, nous lui demandons si elle peut accueillir l’enfant, et à quel coût de revient. Sur cette base, une négociation s’engage. La différence entre ce que nous a versé le réservataire et ce que nous versons au partenaire est notre marge brute.
Il faut en défalquer l’effort commercial consenti par Babilou pour répondre à l’appel d’offres et assurer le suivi du réseau. Des gens y travaillent, dont le coût est imputé aux frais de siège. Par ailleurs, nous ne nous contentons pas d’acheter et de revendre des places en crèche. Nous proposons des formations à nos partenaires. Babilou se positionne comme acteur déterminé à tirer le secteur vers le haut. Par exemple, lorsque le Gouvernement publiait, pendant la crise du covid, des circulaires relatives à l’ouverture des locaux ou au port du masque, Babilou en proposait à ses partenaires une version simplifiée et intelligible.
M. le président Thibault Bazin. Sur le terrain, où nous avons passé plusieurs jours, nous avons observé, s’agissant des réservations de berceaux, d’importantes différences de prix et de pratiques. Nous n’en comprenons pas la raison. Pourquoi le prix des réservations de berceaux n’est-il pas homogène ?
M. Xavier Ouvrard. Chez Babilou, le prix moyen de vente du berceau est de 11 000 euros. La marge nette que nous réalisons sur l’activité de nos partenaires est de 9 %.
S’agissant du Cifam, nous l’appliquons à nos collaborateurs au sein de deux entités en France. L’une est au plafond, soit 500 000 euros par an ; l’autre est à environ 343 000 euros. Nous avons fait l’objet d’un contrôle fiscal à ce sujet en 2017. L’administration fiscale nous a donné quitus de notre facturation au coût de revient, sans ordonner un redressement. Le coût de revient n’est pas le même selon que nous plaçons un enfant à Paris intra-muros, où les loyers sont élevés, ou à Argenton-sur-Creuse, où ils sont plus bas.
Concernant le portage immobilier, les équipes de M. Bulan présentent les projets au sein du comité d’investissement, que je préside. Il arrive que des représentants des actionnaires y siègent. Nous comparons systématiquement chaque projet avec la valorisation des loyers dans la même zone par un tiers indépendant, qui est BNP Paribas Immobilier. Nous ne validons aucun dossier dont le loyer est supérieur au loyer de marché issu de son analyse. Je répète que Babilou ne possède pas les murs des crèches qu’il exploite.
Concernant les frais de siège, ils représentent 13 % de notre chiffre d’affaires. Pour l’essentiel, ils sont constitués des dépenses occasionnées par le support qualité et le suivi des opérations, auxquels travaillent soixante-dix personnes, et par la comptabilité ainsi que par les sièges régionaux de Rennes, Lille, Marseille, Lyon, Bordeaux et Toulouse.
M. Vincent Bulan. Madame la rapporteure, j’imagine que vous entendez par « frais de fonctionnement » les coûts variables induits principalement par les achats de couches et de nourriture.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. En effet. L’enjeu, dans un secteur tel que celui des crèches, est de connaître votre approche de la maîtrise des coûts de fonctionnement.
M. Vincent Bulan. Les coûts de fonctionnement sont en adéquation avec l’accueil des enfants, au plus près de ses besoins. Ils sont donc délégués à la directrice de crèche.
Nous fournissons à la Caf le budget prévisionnel qu’elle demande, présentant le coût de fonctionnement en rapport avec l’activité attendue, qui elle-même dépend du nombre d’enfants que nous accueillerons. Un budget est fait pour être dépensé, éventuellement dépassé, en fonction de l’activité constatée.
En matière de maîtrise des coûts de fonctionnement, nous nous contentons de donner une ligne directrice en début d’année, consistant à dire à la directrice, en substance : « Tu accueilleras tant d’enfants et alloueras tel montant à l’alimentation, tel montant aux jeux et tel montant à l’hygiène – soit concrètement les couches et les produits servant à nettoyer les fesses des enfants ». Sur cette base, la directrice commande son activité au plus près et nous suivons l’évolution de son budget.
Au demeurant, nous nous inquiétons s’il n’est pas dépensé, au point de demander à la directrice si elle est en retard dans ses dépenses ou s’il se passe quelque chose. Dans un budget qui n’est pas dépensé, nous avons tendance à voir un signal d’alerte, tout en veillant à éviter le gaspillage s’il est dépassé, comme il est normal. Notre maîtrise des coûts de fonctionnement est donc celle d’un bon père de famille. Nous n’avons aucun quota et ne pratiquons aucune forme de rationnement.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. J’aimerais obtenir deux précisions sur votre modèle économique.
S’agissant de la commercialisation des berceaux dans les crèches partenaires, vous indiquez que votre marge brute est de 9 %. Je serai claire : une personne, qui s’appelle Carole Chrisment, a témoigné en audition que la différence entre les deux prix pouvait aller du simple au double. Elle gère des crèches en partenariat avec des groupes. J’entends qu’il faut déduire les frais de la marge brute, mais j’ai besoin de disposer d’informations précises sur l’écart entre ce qui est perçu par la structure qui accueille l’enfant et ce qui est perçu par la structure qui commercialise le berceau.
S’agissant de l’augmentation des frais de siège, je rappelle que le rapport de l’Igas fait état d’une « augmentation de 51,8 % des « autres charges », compte dans lequel sont notamment imputés les frais de siège des groupes ». Ce chiffre m’interpelle. J’aimerais vraiment obtenir votre point de vue à ce sujet.
M. Xavier Ouvrard. Au cours des cinq dernières années, le nombre de crèches Babilou a augmenté de 48 %. L’augmentation des frais de siège est à peu près deux fois inférieure à cette proportion. Nous avons petit à petit absorbé la charge des frais de siège. Nous vous transmettrons les chiffres exacts pour confirmer mes propos.
M. Vincent Bulan. Concernant les imprécisions de notre collègue, je vous transmettrai par écrit les montants de vente et d’achat de berceaux. Les proportions ne sont pas celles qu’elle indique. Elle a oublié de préciser que le prix négocié avec elle l’a été au prorata de l’accueil de l’enfant, qui n’est pas à temps plein, mais deux, trois ou quatre jours par semaine.
M. le président Thibault Bazin. Nous l’avons auditionnée et rencontrée dans son département. Pour être clair, la différence entre les deux montants qu’elle indique n’est pas due à la durée d’accueil de l’enfant, mais à une part importante prélevée par le commercialisateur de la place en crèche.
Monsieur Ouvrard, sans contester le chiffre de l’augmentation des frais de siège qui figure dans un rapport documenté, vous indiquez qu’elle est moitié moindre dans votre groupe, soit environ 26 %, ce qui est déjà beaucoup. Comment l’expliquer ? S’agit-il de dépenses supplémentaires, que vous pouvez documenter et justifier, ou de marge ?
M. Xavier Ouvrard. Lorsque votre réseau croît de 43 %, vos frais de siège augmentent potentiellement dans les mêmes proportions. Il ne faut surtout pas regarder l’augmentation des frais de siège en valeur absolue, mais en rapport avec la croissance du réseau. Nous ne travaillons pas à réseau constant.
Sur la période considérée, nos frais de siège sont passés de 15 % ou 16 % de notre chiffre d’affaires à environ 13 %. Nous avons petit à petit diminué l’impact de certaines fonctions support, notamment celles liées à l’éducation, aux opérations, à la comptabilité, à l’informatique et aux ressources humaines. Pour une crèche donnée, le poids des frais de siège a diminué. Nous vous en transmettrons le chiffre exact.
M. Vincent Bulan. Je pense que notre collègue a approché à l’envers le processus d’achat et de revente de places. Nous répondons à l’appel d’offres d’une entreprise ou d’une collectivité publique. Le prix de ce tiers réservataire est déterminé à l’avance. L’achat de la place au partenaire n’est pas corrélé à l’appel d’offres auquel nous avons répondu.
Au sein de la commission d’attribution des places, si une famille, d’où qu’elle vienne, souhaite obtenir une place dans la crèche d’un partenaire donné, le prix, fixé dans le cadre de l’appel d’offres, est d’ores et déjà déterminé. Il est d’environ 11 000 euros en moyenne, et peut varier de 9 000 à 13 000 euros. Ce prix, auquel je me demande comment elle a eu accès, car il est confidentiel, nous n’en tenons pas compte lorsque nous établissons un partenariat ou achetons une place à un partenaire.
L’achat d’une place par Babilou à un partenaire est indépendant du prix auquel nous avons remporté l’appel d’offres. J’ai le sentiment que notre collègue pense que nous achetons une place en fonction du gestionnaire. Tel n’est pas le cas.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Nous pouvons nous interroger sur le caractère plus ou moins égalitaire de la relation que vous entretenez avec de petites structures qui ont besoin de ce partenariat pour assurer l’équilibre économique de leurs crèches.
Mais une autre question se pose, car il ne s’agit pas d’une activité comme une autre, dans la mesure où la réservation d’un berceau par une entreprise entraîne une dépense publique, sous la forme du crédit d’impôt qui lui est accordé et qui représente une part conséquente du coût de cette réservation. Si cet argent public finance l’accueil de l’enfant dans les meilleures conditions, cela signifie qu’une partie très substantielle du montant reversé par l’entreprise doit bénéficier aux associations concernées. L’argent public n’a pas vocation à financer la commercialisation de places de crèche.
M. Vincent Bulan. C’est très clair. Notre relation partenariale ne se limite pas à l’acte de transaction dont les places en crèche font l’objet. Pendant la crise sanitaire, quand toutes les crèches ont fermé, Babilou a payé tous ses partenaires rubis sur l’ongle. Cela illustre le rôle de soutien aux petites structures que nous jouons en tant que distributeur. Ces dernières ont en effet besoin de nous et nous sommes présents pour les soutenir quand il le faut.
Encore une fois, notre transaction avec nos partenaires ne se limite pas à l’achat de places. Il y a des coûts de distribution. Un petit gestionnaire, faute des frais de siège ou de la structure nécessaires, n’est pas en mesure de mener à bien la campagne d’attribution de centaines de places correspondant à un appel d’offres comme celui de L’Oréal. Ce gestionnaire a besoin de Babilou pour conduire la famille L’Oréal jusque dans sa petite crèche.
La différence entre le prix d’achat et de revente des places en crèche inclut non seulement le coût de l’accueil, mais aussi celui du partenariat, du soutien aux partenaires, de la formation que nous leur dispensons, ou encore de la gestion des campagnes que nous assurons pour les réservataires. Le prix moyen à payer par un tiers réservataire pour une place s’élève à 11 000 euros, tandis que le coût d’achat-revente moyen de la place oscille entre 8 000 et 9 000 euros, suivant les coûts de revient. Il ne s’agit que de moyennes et les écarts‑types peuvent être grands, mais notre marge nette s’élève à 9 %. Cette marge inclut les coûts inhérents à la gestion de l’attribution des places, au soutien financier que Babilou apporte à ses partenaires en cas de coup dur, aux mesures relatives à la qualité d’accueil, à l’éducation, ou encore à la promotion des réseaux et des territoires.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Venons-en à la qualité d’accueil. Dans l’un des ouvrages parus l’automne dernier au sujet des conditions d’accueil des très jeunes enfants en crèche, nous pouvons lire : « Non, le secteur privé n’a pas le monopole des drames et des maltraitances graves sur enfants. Mais les centaines d’entretiens que nous avons menés nous ont en revanche confortées sur un point : ces dix dernières années, les principales alertes pour des suspicions de maltraitance, pour des accidents, pour des dysfonctionnements importants dans les crèches proviennent principalement du secteur privé lucratif. »
Quelle réaction cette affirmation suscite-t-elle en vous ? Avez-vous créé des procédures internes de contrôle de la qualité de l’accueil des jeunes enfants ? En particulier, y a-t-il eu un avant et un après le drame qui a coûté la vie à un nourrisson à Lyon en juin 2022 ?
Pouvez-vous décrire votre politique de pilotage des EAJE (établissements d’accueil du jeune enfant) et de management du personnel de direction ? Les rapports et les ouvrages parus à l’automne dernier font état d’un glissement de politiques centrées sur la pédagogie vers d’autres qui privilégient la commercialisation des places et soumettent les directeurs d’EAJE à une pression constante visant à réduire les coûts et à remplir les berceaux. Pouvez-vous nous indiquer la durée moyenne d’emploi d’un directeur de crèche au sein de votre groupe ?
À quelle fréquence êtes-vous contrôlés par la PMI (protection maternelle et infantile) ? Les crèches de votre réseau font-elles l’objet de contrôles inopinés ? Votre répartition sur l’ensemble du territoire vous permet-elle d’observer des différences entre les pratiques des départements ?
Les EAJE ont la responsabilité de déclarer tout changement de personnel auprès des PMI ; or certaines PMI nous signalent que cette obligation n’est pas respectée. Êtes-vous en mesure de vérifier si elle l’est dans vos établissements ? Y faites-vous appliquer une procédure à cette fin ?
M. Xavier Ouvrard. Les allégations suivant lesquelles les maltraitances seraient plus nombreuses dans le secteur privé que dans le secteur public ne sont fondées sur rien. Un certain nombre des journalistes qui ont écrit les livres que vous évoquez ont lancé des appels à témoins uniquement au sujet des crèches privées, et non publiques ou associatives. Notre pratique et nos échanges avec l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), qui nous a rencontrés et auditionnés, nous montrent que l’ensemble des structures d’accueil rencontrent des problèmes. Babilou les avait anticipés bien avant le drame qui a touché People&Baby à Lyon, et applique des protocoles très précis afin de ne pas y être confrontée.
Il n’y a pas de maltraitance systémique dans notre secteur.
M. Vincent Bulan. Le drame qui s’est déroulé à Lyon a choqué tous les professionnels du secteur, dont ceux qu’emploie Babilou, qui se sont demandé comment il avait pu se produire et comment prévenir un événement semblable dans notre entreprise. Avant sa survenue, nous menions déjà des contrôles de qualité et de sécurité. Immédiatement après, nous avons modifié la gestion des micro-crèches : anticipant les missions de l’Igas et de l’IGF (Inspection générale des finances), nous avons placé dans ces établissements deux professionnels d’ouverture et deux professionnels de fermeture, au-delà des exigences réglementaires. C’est précisément la mesure qui a été prise après le drame dans la crèche People&aby.
Depuis vingt ans, Babilou travaille pour la qualité et pour l’attractivité du secteur. Nous avons bien conscience que la sécurité de l’exercice de ses métiers contribue à y attirer des professionnels. Nous avons donc avant tout travaillé sur l’organisation du travail car la qualité du service repose d’abord sur les hommes et les femmes qui accueillent les enfants. Ne pas prévoir dans les budgets suffisamment de masse salariale ou d’équipes revient à partir avec un handicap. Babilou a toujours fait le choix d’aller au-delà de ce qu’impose la loi. Certes, ce n’est pas facile dans un contexte de pénurie, mais nos ratios d’encadrement sont mieux-disants. Cela permet d’introduire de la souplesse dans l’organisation, d’assurer des formations et de constituer des groupes d’analyse de pratiques. L’absence de moyens humains contribue à la sous-qualité du service fourni.
Lorsque nous avons créé le label Elsa (Environnement ludique sécurisé et apprenant), nous avons organisé un tour de table et demandé ce qu’était la qualité en crèche. À cette question, on peut donner dix réponses différentes, que nous avons intégrées à ce label, dont l’attribution repose sur le contrôle de plus de 500 critères de qualité. Lorsque nous l’avons présenté à l’Igas, nous avons cru comprendre qu’il s’agissait d’un des labels les plus exigeants qui soient. Il nous a valu en tout cas des citations positives.
La démarche d’amélioration continue promue par ce label tient compte de l’humain, des taux d’encadrement, de la qualification et des diplômes. S’agissant de la déclaration des changements de personnel aux PMI, Elsa nous oblige à la faire, à l’occasion du contrôle du niveau des diplômes. Je ne vous cache pas qu’il peut s’écouler un temps administratif de deux ou trois mois entre l’audit d’une crèche et la déclaration correspondante à la PMI, mais il est certain qu’ils ont lieu une fois par an.
La qualité du service passe aussi par le bâtiment, donc par les moyens que Babilou consacre à la rénovation de ses crèches.
S’agissant de leur sécurisation, un système de remontée d’incidents nous permet d’élaborer des statistiques montrant que certains jouets sont plus dangereux que d’autres. Par exemple, si les enfants de moins de dix-huit mois en phase d’acquisition de la marche se prennent les pieds dans un tapis, qui s’avère trop élevé, nous décidons de le retirer de leurs espaces de vie. Le label Elsa nous permet d’atteindre ce degré de précision.
Il contrôle aussi la qualité éducative. De nombreux labels ne s’intéressent qu’au mobilier, à la hauteur des poignées de porte. Si de tels éléments contribuent à la qualité du service, elle repose aussi sur la position de l’adulte par rapport à l’enfant et sur l’aménagement des espaces. Je crois que vous avez visité la crèche des Lionceaux à Saint‑Priest : j’espère que vous vous avez pu observer tout ce dont je vous parle. C’est ce travail que nous menons au quotidien dans l’ensemble de nos établissements.
La sécurisation passe aussi par le dialogue que nous avons toujours entretenu avec les équipes. L’ADN de Babilou, c’est de travailler avec des professionnels. Je suis puériculteur avant d’être directeur général. Je peux compter sur l’aide d’un CSE représentatif pour prendre les meilleures décisions. Si j’ai un doute opérationnel, j’en discute directement avec les directrices et les équipes. Cette amélioration continue émane, non pas des bureaux du siège, mais du terrain, et c’est ce qui fait l’essence de Babilou.
Pour nous, après qu’un incident est arrivé, il est trop tard. Nous faisons de la prévention, qui passe par la formation obligatoire des professionnels aux VEO (violences éducatives ordinaires). Nous sommes convaincus qu’il ne suffit pas d’être diplômé pour travailler en crèche. Nous avons donc créé des écoles des métiers de la crèche, où l’on n’exige pas seulement un diplôme, mais aussi une façon de se comporter, d’interagir. Nos directrices sont notamment formées au management en lien avec le secteur social, car nous ne pratiquons pas le management d’entreprise. Toutes ces formations préviennent la maltraitance et constituent le socle de la qualité.
Enfin, des cellules indépendantes sont pilotées par la direction de l’éducation, telle la cellule d’information des situations préoccupantes. Ainsi, tout professionnel employé par Babilou ayant un doute à l’égard d’une pratique ou d’un parent le signalera à cette cellule, qui procédera à une analyse et entrera en relation, si nécessaire, avec la PMI pour disposer d’une vision à 360 degrés. Cela permettra d’engager des actions de prévention avant qu’un drame ne se produise.
Chez Babilou, l’ancienneté des directrices est supérieure à cinq ans. Nous pouvons donc compter sur leur fidélité. En moyenne, l’ancienneté de nos collaborateurs s’élève à trois ans et dix mois.
Nous faisons régulièrement l’objet de contrôles de PMI. En 2022, leur nombre avoisine les quatre-vingts – je vous communiquerai le chiffre exact.
Il existe en effet des pratiques différentes. Nous le regrettons et préférerions compter sur un référentiel de contrôle national, opposable et vérifiable. Nous sommes prêts à publier les rapports des PMI et à les diffuser auprès des familles, afin de leur faire savoir ce qui fonctionne ou ce qui, ponctuellement, ne fonctionne pas dans une crèche. Tout ne va pas bien tous les jours dans les 440 crèches de Babilou. Lorsque c’est le cas, nous en avons conscience grâce aux outils qui nous permettent de le mesurer, et nous disposons de plans d’action pour essayer d’y remédier. Nous travaillons en toute transparence et en amont avec les PMI, qui nous contrôlent plus souvent parce que nous les avons informées d’une situation que de manière inopinée.
M. Philippe Lottiaux (RN). La PSU (prestation de service unique) horaire vous semble devoir être revue.
S’agissant de votre modèle économique, vous n’êtes guère concernés par les délégations de service public (DSP). En revanche, je suppose que vous travaillez avec les collectivités, puisque ces dernières, en tant que tiers financeurs, au même titre que les entreprises, vous louent des berceaux, pour un montant dont je crois comprendre qu’il s’élève à 10 000 euros par berceau, dans le cadre de marchés déjà quasiment attribués.
Vous avez précisé que vous louiez toutes vos crèches, avant d’indiquer que vous aviez besoin de fonds propres pour construire. Quelque chose doit m’échapper. Construisez-vous parfois pour le compte de collectivités ?
Idéalement, pour améliorer l’attractivité des métiers de la petite enfance, il faut selon vous augmenter les rémunérations – je pense que tout le monde en est d’accord – et le taux d’encadrement. Dans votre modèle, qui paie pour ces augmentations ?
M. Vincent Bulan. Le modèle de la PSU a connu un changement de paradigme qui a chamboulé le secteur en 2014, lorsque cette prestation a commencé d’être conditionnée à la présence réelle des enfants. Nous comprenons la raison de ce changement : l’universalité de la PSU, trop peu incitative, induisait des biais qui rendaient les taux d’occupation réels trop faibles. Babilou applique les modes de financement de ses structures établis par la Cnaf (Caisse nationale des allocations familiales). En moyenne, notre taux d’occupation facturé s’élève à 77 %, tandis que notre taux d’occupation réel est de 67 %.
De facto, depuis 2014, nous avons connu une baisse de ressources du fait de la réforme de la PSU, puisqu’elle varie suivant le taux de facturation, alors que nos coûts fixes – salaires et loyers, notamment – ne peuvent varier. Il faut donc revoir ce système, car, au-delà de la contrainte financière supplémentaire qu’il fait peser sur nous, il a désaxé le travail des directrices. Lorsque j’étais directeur de crèche – il y a longtemps maintenant –, j’évoquais avec les parents les projets pédagogique et éducatif. Aujourd'hui, les directrices leur parlent de contrats, de temps de présence, de réservations. Il est urgent de leur redonner du confort dans l’exercice de leur métier. Encore une fois, nous comprenons la décision qu’a prise la Cnaf dans l’intérêt des familles, dont il est important de tenir compte dans un contexte d’inflation ; mais la PSU doit aussi prendre en considération celui de l’enfant. Il ne s’agit pas de lui réserver une case à un moment donné mais une place et un accueil par des professionnels.
S’agissant des DSP, nous en gérons effectivement peu. Les villes peuvent réserver des places chez Babilou, au travers de marchés à procédure adaptée. Le prix du berceau que vous citez à cet égard est à peu près juste.
M. Xavier Ouvrard. Nous louons nos crèches, mais nous avons besoin de fonds propres pour l’aménagement des locaux, pour construire des murs ou agencer des cuisines, par exemple. Alors que l’aménagement d’une place de crèche dans un bâtiment livré brut coûte 25 000 euros, nous en payons directement les deux tiers, les CAF, le tiers restant grâce aux Piaje (plans d’investissement pour l’accueil du jeune enfant), à hauteur de 7 000 euros par place au minimum, auxquels peut s’ajouter un complément suivant les zones.
Si notre résultat d’exploitation – 3,2 % – est raisonnable, c’est parce que nous avons fait le choix d’investir fortement dans la rémunération de notre personnel. Nos collaborateurs de rang 1 – éducateurs de jeunes enfants, directrices de crèche, auxiliaires de puériculture – ont ainsi bénéficié d’une augmentation comprise entre 150 et 200 euros en 2024. Au sein de Babilou, l’exigence de dialogue social est forte, car notre CSE, composé de représentants syndicaux élus par nos collaborateurs, est unifié. Tout au long de l’année dernière alors que le taux d’inflation était particulièrement élevé, nous avons mis en œuvre avec lui un accord sur le pouvoir d’achat, et avons versé à nos collaborateurs une prime Macron. Nous tenons à votre disposition leurs niveaux de rémunération.
Madame la rapporteure, sur le fondement des comptes de l’année 2022, les frais de siège s’élèvent à 17 % du coût de revient pour un berceau en PSU, et à 15 % pour un berceau en PAJE
M. William Martinet (LFI-NUPES). Je pense qu’il serait utile que nous auditionnions les fondateurs de votre groupe. Les frères Carle ont en effet fait fortune en lançant Babilou et ont participé intensément au lobbying aboutissant à la construction d’un cadre légal et réglementaire très favorable au développement du secteur privé. Édouard Carle a même expliqué dans un entretien dans paru dans Le Figaro qu’il avait écrit la loi en matière d’ouverture au privé du secteur de la petite enfance.
Je crois comprendre que le fonds d’investissement Antin Infrastructure Partners est l’actionnaire majoritaire de Babilou, et qu’il l’est devenu à l’issue d’un LBO (leveraged buy‑out, ou rachat avec effet de levier). Si je ne me trompe, Antin a créé une holding, qui s’est endettée auprès des banques, ce qui lui a permis de racheter les actions de Babilou. Me confirmez-vous qu’il s’agit du montage utilisé ? Pouvez-vous m’indiquer le niveau d’endettement de cette holding, qui détermine, si j’en crois mes interlocuteurs du secteur financier, la pression que l’actionnaire exerce sur l’entreprise en vue de dégager du cash ?
Vous nous avez dit que, depuis vingt ans, le groupe Babilou n’avait versé aucun dividende à la holding susmentionnée. Antin n’est pourtant pas un actionnaire bénévole, et la rentabilité de son investissement dépendra de l’écart entre le montant qu’il a dépensé pour acquérir les actions de Babilou et le prix qu’il tirera de leur vente. Il a donc intérêt à ce que le développement de l’entreprise soit très important pendant la période de sept ans où il demeurera votre actionnaire, une durée que vous évoquiez peut-être à titre indicatif. Quel pacte actionnarial avez-vous passé avec Antin au moment de son entrée au capital et quelle pression exerce-t-il sur vous afin d’obtenir que le groupe se développe ?
M. Xavier Ouvrard. En effet, ce sont des LBO qui permettent ce type d’acquisition d’entreprise. Je ne dispose pas du montant exact de la dette à laquelle vous faites référence, mais nous vous le transmettrons. Je précise qu’aucune pression ne s’exerce sur nous du fait de cette dette d’acquisition, qui n’a rien à voir avec nous sur le plan opérationnel. Il s’agit d’une dette dite in fine, dont les intérêts sont versés à la fin du crédit. Le risque que prennent les acquéreurs, quels qu’ils soient, en la contractant est indépendant de notre activité.
Je vous confirme que nous n’avons versé aucun dividende depuis l’arrivée de nos derniers actionnaires, et que, depuis la création de Babilou, l’intégralité de nos marges a été réinvestie dans nos crèches.
La stratégie construite avec nos actionnaires vise la croissance. Comme je vous l’ai dit, 85 % des connexions neuronales se construisent avant l’âge de six ans. Dans la quasi‑totalité des pays, le modèle éducatif des enfants de 0 à 3 ans, ou de 0 à 6 ans – l’école maternelle est une exception française – est pilotée par des entreprises anglo-saxonnes. Nous avons saisi l’occasion de promouvoir le modèle éducatif français et européen. Ainsi, l’activité internationale de Babilou représente aujourd’hui les deux tiers de notre chiffre d’affaires, contre 10 % lorsque je suis arrivé à la tête de l’entreprise, il y a sept ans. Cette stratégie nous a permis de porter l’excellence éducative française et européenne, à un moment où il est absolument essentiel de le faire.
L’OCDE a montré qu’en France, un enfant ayant passé deux ans en crèche voit son score en sciences passer de 42 à 63 points, suivant les critères du classement Pisa lorsqu’il est au collège ou au lycée. Nous pouvons faire valoir de tels éléments à l’étranger. Nous avons commencé par l’Allemagne, qui connaissait un gros problème démographique…
M. le président Thibault Bazin. Nous nous éloignons de la question… Si vous pouviez en revenir au pacte actionnarial.
M. Xavier Ouvrard. Je viens de répondre à la question en décrivant la stratégie demandée par nos actionnaires pour assurer une croissance de l’entreprise. Notre pacte actionnarial a donc pour objectif un développement de l’entreprise, à l’international et en France, qui soit maîtrisé et respectueux de nos critères de qualité, afin de permettre à Babilou de diffuser son socle éducatif et ses projets de développement pour les familles, essentiellement en Europe.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Vous nous confirmez donc que c’est le développement de Babilou qui assurera la rentabilité de l’investissement d’Antin. Vous affirmez toutefois dans le même temps qu’il n’exerce aucune pression, n’impose aucune exigence, ne fixe aucun objectif de développement. J’ai du mal à voir la cohérence de votre propos.
S’agissant de l’immobilier, vous disiez que Babilou n’était pas propriétaire de ses crèches, précisant qu’elle ne l’était pas en interne – j’ignore ce que cette précision suggère. Qui sont les principaux bailleurs de vos crèches et, parmi eux, certains entretiennent-ils un lien direct ou indirect avec les actionnaires de Babilou Family ou encore de la holding d’Antin ?
M. Xavier Ouvrard. Nous ne sommes propriétaires d’aucun de nos sites. Nous avons un très grand nombre de bailleurs différents. La famille fondatrice possède une holding immobilière, qui détient 45 établissements sur les 443, ce qui correspond à 13,3 % des loyers versés, fixés au prix de marché. L’avantage est que cela nous offre une garantie de pérennité. Tous les projets passent en comité d’investissement et sont totalement indépendants de l’entreprise Babilou. Ils sont jugés, quels qu’ils soient, comme des tiers, avec des intérêts économiques correspondant à l’intérêt social de l’entreprise.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Merci pour votre réponse. Vous auriez pu nous donner cette information dès notre première question sur l’immobilier.
S’agissant des frais de siège, l’Igas rapporte les propos de la Cnaf, qui ne dispose pas, malgré ses demandes répétées, de visibilité sur la clé de répartition des frais de siège entre les établissements. Est-ce vrai que vous refusez de la communiquer aux CAF ou à la Cnaf ? Il est important de savoir si l’argent public est utilisé pour des fonctions support ou s’il l’est pour autre chose.
M. Vincent Bulan. Nous déclarons nos frais de siège, puisqu’ils font partie des éléments demandés lors des contrôles effectués par les CAF.
La clé de répartition fait l’objet d’un travail avec la direction générale de la Cnaf, étant donné sa complexité pour de gros groupes multi-CAF. Il faut définir le bon niveau de frais de siège par département. Nos comptabilités étant analytiques, il est assez simple, en réalité, de les repositionner. Dans le cadre d’ateliers que nous avons menés il y a deux mois, nous avons ouvert nos livres de comptes de frais de siège et nous avons travaillé avec la direction générale de la Cnaf pour savoir ce qui doit être affecté concrètement…
M. le président Thibault Bazin. Vous avez donc transmis les données ?
M. Vincent Bulan. Les données sont accessibles. Sur les 40 millions d’euros de frais de siège, constitués principalement de salaires, les CAF nous demandaient tous les bulletins de paie des quelque 300 collaborateurs du siège, qui ne sont pas transmissibles. Ces données rempliraient des camions entiers ! La Cnaf et les CAF en ont conscience. C’est pourquoi nous travaillons en ce moment pour trouver le bon chemin de transmission de ces frais. Une piste est en cours d’évaluation : la Cnaf pourrait centraliser les frais de siège des grands groupes, définir leur montant par berceau et faire redescendre vers les CAF locales ce qu’elles doivent retrouver dans les déclarations des gestionnaires – 3 140 euros de frais de siège multipliés par trente berceaux pour telle crèche, par exemple. Nous avons associé nos commissaires aux comptes à l’élaboration de cette note méthodologique. Nous travaillons aussi au niveau national avec les services de la Cnaf. Encore une fois, Babilou est un acteur contrôlé, qui n’a rien à cacher. Tout a été exposé.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Un autre chiffre préoccupe l’Igas : le fait que les groupes privés de crèches aient vu diminuer leurs impôts sur le bénéfice de 16,2 % ces dix dernières années, alors qu’ils sont en pleine croissance. Est-ce aussi le cas pour Babilou ?
M. Xavier Ouvrard. Nous respectons totalement la réglementation fiscale française. Je n’ai aucun commentaire supplémentaire à faire. Nous vous fournirons le montant précis des impôts versés par Babilou.
M. William Martinet (LFI-NUPES). S’agissant des conditions de travail et d’accueil, vous disiez tout à l’heure qu’aucun élément statistique ne permettait de démontrer que, dans le secteur privé lucratif, ces conditions seraient moins bonnes qu’ailleurs. Nous disposons tout de même d’une masse d’informations par le biais des témoignages récoltés auprès des professionnels. Je vous accorde que c’est empirique mais, quand les données empiriques s’accumulent et que, interlocuteur après interlocuteur, les propos convergent, il est bon de s’interroger.
Beaucoup de salariés de votre entreprise témoignent de la pression importante existant sur les taux d’encadrement qui sont parfois ric-rac voire pas respectés. Peut-on mettre cela en lien avec une information de l’Igas, selon laquelle, ces dix dernières années, les grands groupes de crèches ont vu le coût de leur masse salariale par heure facturée diminuer de 2 %, alors que, dans le secteur associatif, il a augmenté de 11 % et de 18 % dans le secteur public ?
M. Vincent Bulan. Je vous rejoins sur le fait que les conditions d’exercice sont compliquées. Je ne vais pas revenir sur la PSU. La pénurie de professionnels, la moindre attractivité, le désenchantement face à ce métier expliquent que le vécu puisse être compliqué dans ce secteur, et chez Babilou aussi. En revanche, en tant que président du CSE (comité social et économique), dans le dialogue social, je n’ai pas ce type de remontées concernant la pression sur l’occupation ou sur l’accueil.
Babilou, en bon gestionnaire, a toujours eu à cœur de ménager un équilibre entre le social et le financement de la qualité, qui passe par l’activité. Babilou n’édicte pas les règles. Nous sommes conventionnés par la PSU. Nous devons atteindre des taux minimaux de 70 %. Je vous ai dit tout à l’heure que l’occupation moyenne chez nous est de 77 % en facturé et de 67 % en taux de présence réelle. Nous sommes dans l’épure du fonctionnement de nos structures. Il n’y a pas de suroccupation, qui, de toute façon, ne serait pas réglementaire.
Les témoignages que vous mentionnez sont tout à fait respectables et nous les acceptons. Babilou n’a pas été mentionné dans les ouvrages pour des faits de maltraitance. Il était écrit que Babilou était « à la limite de l’occupation ». Je ne sais pas ce qu’est la limite dans ce cas : soit on est dans les clous, soit on n’y est pas. Babilou a toujours été dans les clous de la réglementation sur l’occupation.
M. le président Thibault Bazin. Quelle est l’évolution du coût de la masse salariale ?
M. Vincent Bulan. À la page 91 du rapport de l’Igas, il était mentionné que le salaire moyen par berceau était de 9 152 euros, de mémoire. Chez Babilou, il est en moyenne de 11 000 euros.
L’évolution des salaires moyens a été de 18,75 % pour les auxiliaires de puériculture entre 2022 et 2024.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Quel est le coût salarial par heure facturée ?
M. Vincent Bulan. Je n’ai pas cette information ; je vous la transmettrai.
Mme Anne Bergantz (Dem). Comment se conçoit une création de crèche ou de micro-crèche ? Allez-vous voir les collectivités pour entendre leurs besoins ou seulement les entreprises du secteur ? Comment menez-vous votre étude de marché ? On nous a souvent rapporté que des communes découvraient l’ouverture d’une micro-crèche.
Comment s’organise l’offre de formation territoriale dans la perspective de recrutements ?
Pour ce qui est de l’aide au financement, y a-t-il des contrôles réguliers des CAF sur le devenir de leurs subventions ou sur le nombre de berceaux réellement créés ? Existe-t-il beaucoup de demandes de remboursement des subventions d’installation après avoir constaté un sous-développement de la crèche ?
Ces dernières années, 80 % des places ont été créées dans le privé. L’Igas indique que le coût moyen d’investissement d’une crèche privée est de 20 410 euros par berceau, quand il est de 47 908 euros dans le public. Comment expliquez-vous une telle différence ?
Je souhaite également revenir sur votre coût de revient de 21 474 euros – 33 % pris en charge par la DSP, 21 % par les familles et 46 % par le tiers réservataire, soit environ 9 800 euros. Vous avez dit que vous n’acceptiez plus de DSP d’un montant inférieur à 5 000 euros. Pourriez-vous préciser ce point ?
Vous avez mentionné une rentabilité nette de 3,2 %. Sauf erreur de ma part, vous n’avez pas parlé de votre taux d’endettement. Quel est-il ?
Enfin, dans Babyzness, il est question de contrats comportant des clauses abusives. Proposez-vous les mêmes contrats dans toutes vos structures ? Avez-vous travaillé sur ce sujet ? Quelles sont les conditions des préavis ? Quelle caution est demandée aux parents ?
M. Vincent Bulan. L’organisation Babilou est régionalisée voire départementalisée. Les équipes sont très proches des communes. Le développement de Babilou ne se fait jamais si la commune et le maire n’y trouvent pas un intérêt. Le maillage municipal du SPPE (service public de la petite enfance) est le bon. C’est le maire qui doit pouvoir positionner les structures, en fonction du besoin de ses habitants. Babilou développe principalement des crèches en PSU, pour lesquelles il existe un cahier des charges. Nous devons obtenir des autorisations de la mairie. Nous passons en commission d’action sociale auprès de la Cnaf. L’intérêt est à la fois pour la CAF, en fonction des zones prioritaires qu’elle a déterminées, et pour le maire.
Bien que ce ne soit pas notre métier initial, nous avons racheté, il y a cinq ans, l’école de puériculture Paul Strauss en faillite, la plus vieille école d’auxiliaires de puériculture, que ni le département, ni la région, ni la Ville de Paris n’avaient souhaité reprendre. Nous sommes fiers de dire que nous formons 200 auxiliaires de puériculture, dont la majorité n’ira pas chez Babilou, mais à la Ville de Paris, dans les hôpitaux et les services de PMI. Nous prenons notre part à la formation pour accompagner le développement de Babilou. Nous travaillons aussi beaucoup sur la VAE (validation des acquis de l’expérience) de nos professionnels, afin de les accompagner pour devenir auxiliaires de puériculture ou éducateurs de jeunes enfants (EJE).
Le contrôle des investissements est toujours fait par les services de la CAF. Nous demandons la subvention en commission d’action sociale ; nous fournissons les factures des travaux réalisés ; et les services de la CAF viennent effectuer leur contrôle dans l’année qui suit l’ouverture. Une fois la conformité validée, la subvention est versée, soit près de dix-huit mois après l’ouverture de la structure. Cela peut poser des problèmes à de plus petits gestionnaires, dans la mesure où il faut s’endetter.
En moyenne, le coût de la création d’un berceau chez Babilou est de 25 000 euros. Des conditions particulières liées aux procédures de passation de marchés et aux appels d’offres peuvent expliquer l’écart de prix avec le public. Le secteur privé est peut-être moins contraint. Les négociations peuvent être plus rapides, si bien que nous pouvons bénéficier de coûts inférieurs sur les matériaux de construction, par exemple. Les crèches municipales sont souvent de grande taille, avec plus de soixante berceaux, quand la taille moyenne chez Babilou est de trente berceaux : leur conception est peut-être plus normée. Par ailleurs, cette activité est au cœur de notre métier, puisque nous construisons ou aménageons des crèches tous les mois. Cette habitude permet aussi de réduire le coût de la conception, sans que cela nuise à la qualité des aménagements. Nous avons d’ailleurs rénové notre charte d’aménagement pour coller au plus près des besoins de l’enfant et des professionnels.
Il nous reste cinq DSP historiques auxquelles nous avons répondu il y a vingt ans et trente-deux DSP en gestion. Nous répondons seulement à partir de ce prix frontière de 5 000 euros ; en dessous, nous n’y allons pas.
M. Xavier Ouvrard. À peu près 11 000 euros proviennent de la PSU et de la part famille. Les mairies prennent à leur charge un certain nombre de coûts pour un montant autour de 5 000 euros, qui ne sont pas inclus dans le prix, puisqu’ils continuent à être supportés par la collectivité. Si le montant additionnel n’est pas de 5 000 euros, on ne couvre pas notre coût de revient, donc on ne répond pas.
Pour ce qui concerne le taux d’endettement, nous vous répondrons par écrit, parce que je n’ai pas les chiffres exacts, d’autant que nous sommes en pleine clôture. Nous avons des covenants, soit des accords avec nos prêteurs : nous devons respecter un certain taux d’endettement sur fonds propres, sur résultats, de façon à assurer une gestion de l’entreprise en bon père de famille.
M. Vincent Bulan. Pour vous répondre sur les clauses abusives, il y a trois ans, les services de la DGCCRF ont fait de la prévention, en nous demandant les règlements de fonctionnement. Babilou n’a pas été sanctionné. Nous avons reçu des recommandations que nous avons intégrées à nos règlements de fonctionnement.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Pour revenir sur la question immobilière, s’il est vrai que l’on ne répond qu’aux questions qu’on nous pose, William Martinet a fini par vous faire dire que les fondateurs avaient une société immobilière, qui possède 13 % des crèches Babilou en propre. Est-ce le principal bailleur ? Y a-t-il une autre SCI (société civile immobilière) plus importante ? De quoi est constitué le reste des bailleurs ?
S’agissant des partenariats, nous avons été assez troublés par les témoignages des crèches partenaires. Vous avez dit, en début d’audition, que vous aviez une sorte de cahier des charges et que vous organisiez des visites pour confirmer les partenariats et des contrôles pour vous assurer de leur qualité et du respect du label Babilou. Est-ce vrai ? Ces contrôles sont-ils réguliers ? Comment cela se traduit-il concrètement ? Le label pouvant donner l’impression que la crèche partenaire est de la même qualité qu’une crèche Babilou, menez-vous un accompagnement en matière de formation des personnels ? Vous assurez-vous que les services soient au même niveau que ce que vous faites en propre ?
Concernant la formation, je viens d’aller voir le site internet de l’école Paul Strauss, qui forme 200 auxiliaires de puériculture, dont vingt collaborateurs de Babilou. J’imagine que vous vendez de la formation professionnelle à des collectivités ou à d’autres crèches, ce qui constitue une activité financière supplémentaire. Que représente-t-elle dans votre revenu global ? Vous avez aussi une école des métiers, sous la forme d’un séminaire de trois jours pour les nouveaux directeurs de crèche. Il existe enfin des programmes de formation et de la VAE, un classique que l’on retrouve partout. Quel est votre investissement dans la formation et la montée en compétences des personnels ? Avez-vous le même souci pour vos crèches partenaires ? Enfin, comment se répartit votre pool d’auxiliaires volantes dans le pays ? Comment fonctionne-t-il concrètement ? Combien de personnes sont concernées ? Quelles sont leurs conditions de travail ?
On vous a posé beaucoup de questions, mais ce qui nous intéresse, c’est votre modèle économique. Nous essayons de comprendre quel est l’intérêt pour l’État de persister, depuis vingt ans, à subventionner des crèches privées, qui ne correspondent pas forcément aux attentes et coûtent parfois plus cher. Quelles sont vos perspectives de croissance ? Souhaitez‑vous vous concentrer sur le développement en propre ? Avez-vous un modèle économique unique pour vos 500 crèches en propre ? Misez-vous plutôt sur la commercialisation de places ? Dans ce cas, vers quel modèle vous orientez-vous ? Vers la franchise ? Vers la commercialisation et donc la chasse aux places, qui représentent un coût important ? Si la réglementation vous le permet, n’allez-vous pas vous transformer en plateforme Airbnb mettant en lien des besoins avec des offres ?
M. Xavier Ouvrard. Sur l’immobilier, ce sont essentiellement des bailleurs indépendants ; certains sont institutionnels. Nous pourrons vous donner la répartition précise. Il n’y a aucune autre activité immobilière liée à nos actionnaires que celle que j’ai mentionnée tout à l’heure, pour 13 % des loyers français.
Le modèle des partenaires est uniquement français, du fait que nous sommes dans un marché B2B. Pour servir l’intérêt de l’enfant, nous avons été obligés de le créer afin de trouver des crèches au plus près du domicile des parents. Il permet d’aller au bout de notre projet éducatif et il rend service à nos partenaires, auxquels je rends hommage, parce que ce sont souvent des chefs d’entreprise et des associations dévoués à leur métier. Il s’agit d’une activité qui nous permet de répondre aux besoins des familles et des enfants, mais qui n’est pas le cœur de métier de Babilou, puisqu’elle représente environ 10 % de l’activité en France.
Notre stratégie de développement se fonde sur les crèches Babilou en propre, suivant un modèle éducatif que nous appelons l’éducation durable, fondé sur cinq piliers que je pourrai vous transmettre. Notre direction de l’éducation travaille sur ce sujet de façon très approfondie. Nous nous adaptons à la culture de chaque pays. En Allemagne, par exemple, nous faisons du 0-6 ans, ce qui suppose un modèle éducatif légèrement différent. Il existe en France des normes très particulières. La grande spécialité française, c’est le 3-18 mois. Nous sommes reconnus comme le leader mondial en qualité sur ce sujet, avec des postes de change indépendants de la section, tout un travail sur la motricité fine. Ce savoir-faire exceptionnel est le cœur du sujet. Notre développement, ce sont donc des crèches en propre avec ce modèle éducatif.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Je vous interrogeais sur le modèle économique.
M. Xavier Ouvrard. Le modèle économique, ce sont des crèches en propre détenues par nous, avec un investissement d’aménagement que nous réalisons, commercialisé en France auprès de partenaires et dans le monde directement auprès des familles, par le biais de subventions réglées directement aux familles.
M. Vincent Bulan. Pour compléter sur les partenariats, on ne se substitue pas aux instances de contrôle de la PMI. Quand nous référençons un partenaire, nous faisons une visite de structure, pour vérifier leurs agréments et qu’ils soient dans une démarche d’amélioration continue de la qualité, par le biais d’un label notamment. Pour des partenaires plus grands, qui ont les moyens de s’inscrire dans cette démarche d’amélioration continue, nous travaillons à l’implantation du label Elsa.
Chaque année, une enquête de satisfaction est menée auprès des familles, qui sont les premiers juges de la qualité de nos partenaires. C’est par leur biais que le contrôle continu s’effectue, puisque nous n’avons pas les moyens de contrôler les 2 900 crèches. Nos personnels ne remplacent pas les services de PMI.
L’idée n’est pas de standardiser l’offre de nos partenaires. La diversité est une chance. Certains ont ainsi des concepts de crèche en plein air, que nous ne pouvons pas développer partout, d’autres proposent le bilinguisme, ce que nous ne faisons pas. L’offre partenariale vise non pas à standardiser, mais à proposer une offre éducative différente vers laquelle Babilou ne peut pas aller.
Je suis un peu choqué par votre rapprochement avec Airbnb. Nous ne sommes pas en train de créer une plateforme de transaction, mais une vraie offre d’accueil, au centre de laquelle se trouve l’enfant. Nous n’allons pas développer une crèche Babilou à côté d’un partenaire. Ce serait de la mauvaise concurrence, qui n’a aucun intérêt. Nous préférons le faire vivre.
Sur la formation, je vous donnerai les chiffres, mais nous dégageons très peu de résultats dessus. Le désenchantement est visible jusque dans les inscriptions, puisqu’il y a cinq ans, quand on a repris l’école Paul Strauss, la liste d’attente comprenait 500 personnes ; aujourd’hui, on a du mal à remplir les 140 places en contrôle continu. C’est un vrai drame. La nécessité du choc d’attractivité, nous la vivons concrètement dans cette école.
L’école des métiers est une école de formation interne. Un diplômé de la petite enfance n’est pas forcément prêt à être un professionnel de la crèche. Cette école vise à former des professionnels de crèche : une éducatrice de jeunes enfants, une auxiliaire de puériculture ou une directrice aux manettes d’une structure sociale et éducative qui va accompagner des professionnels. Nous avons aussi un parcours de progression au sein de l’entreprise, « Petit Pas Deviendra Grand ». On ne veut pas que les professionnels de catégorie rang 2 qui arrivent dans nos crèches restent pendant vingt, vingt-cinq ou trente ans au même stade. Nous proposons 47 000 heures de formation et avons accompagné 172 professionnels vers la VAE depuis sa création.
Quant au pool de volantes, nous sommes très vigilants à ses conditions de travail. Ce sont majoritairement des femmes, comme dans ce métier, qui est à 96 % féminin. On le rejoint sur la base du volontariat. Depuis le covid, les professionnelles souhaitent plus de souplesse et de variété. Elles ont un CDI mais elles ne sont pas affectées à une structure. Une quarantaine de personnes sont concernées, exclusivement en Île-de-France. Elles sont sectorisées sur un périmètre d’une dizaine de crèches et bénéficient d’un supplément de rémunération significatif pour compenser cette contrainte. Elles sont formées et accompagnées par un référent. Ce sont des vraies salariées Babilou, avec la même pédagogie et qui font l’objet de la même ambition et de la même exigence de qualité. Elles viennent renforcer positivement les équipes.
M. le président Thibault Bazin. Je vous remercie, messieurs, pour vos réponses.
La séance est levée à 11 heures 40.
Membres présents ou excusés
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements
Réunion du mercredi 20 mars 2024 à 9 h 30
Présents. - M. Joël Aviragnet, M. Thibault Bazin, Mme Anne Bergantz, Mme Sophia Chikirou, Mme Christine Decodts, M. Thierry Frappé, Mme Élise Leboucher, M. Philippe Lottiaux, M. William Martinet, Mme Anne Stambach-Terrenoir, Mme Sarah Tanzilli